Crise du travail social, malaise des travailleurs sociaux François Aballéa* Si pour l'auteur, crise du travail social et malaise des travailleurs sociaux ne sont pas indépendants l'un de l'autre, ces deux phénomènes ne sont pas non plus de même nature. Le premier renvoie à un mouvement de destructuration du champ du travail social qui se manifeste au niveau de son objet, de ses objectifs et de ses destinataires. Les concepts de base du travail social : lien social, insertion, citoyenneté, deviennent flous tout comme celui de famille paraît de plus en plus évanescent, altérant la force et l'unité du travail social. Les modes d'actiotts eux-mêmes, qu'il s'agisse de la relation clinique ou de l'action communautaire, sont de plus en plus malmenés face à la montée de l'urgence. Le malaise résulterait d'un non -renouvellement de l'expertise, d'une remise en cause de l'éthique professionnelle, d'une transformation du processus de professionnalisation et s'accompagnerait d'interrogations identitaires face aux professions nouvelles et concurrentes de l'intervention sociale. Pris entre un sentiment d'illégitimité à s'inscrire sur les nouvelles lignes de force du champ et l'absence de reconnaissance sociale quand ils s'y essaient, les travailleurs sociaux se trouvent face à une situation anomique. n première approximation, on peut considérer que parler de la crise du travail social d'une part, du malaise des travailleurs soctaux d'autre part, c'est une seule et même chose. Imagine-t-on, en effet, le travail social possible sans les travailleurs sociaux et pense-t-on des travailleurs sociaux qui développeraient leur activité essentiellement en dehors de la sphère du travail social ? Du reste, quand on parle aujourd'hui de crise du travail social ne fait-on pas référence au malaise que vivent dans leur identité ct leur exercice professionnel les travailleurs sociaux? li • GRIS (Groupe de recherche mnovallons ct sociétés), Umvcrs1tl' Ùl'ROUl'll Pourtant, il paraît nécessaire de distinguer la crise du travail soctal ct le malaise des travailleurs sociaux, à la fois sur un plan pratique ct sur un plan théorique. Sur un plan pratique puisque l'on note la tendance dans certaines institutions, les CAF, les offices d'HLM par exemple, ou dans certaines catégories de travailleurs sociaux, animateurs,assistantssociauxparfois,àquitter le travail social, tout au moins la relation clinique et le contact charnel avec le terrain pour se situer sur des positions d'expertise de questions diverses telles que l'accueil local de l'enfance, de gestion (de dossiers de précontentieux par exemple) ou d'ingénierie (en matière de développement urbain entre autres). Dans le même temps,et peut-être par réaction, on voit des travailleurs sociaux dont la pratiqucprofessionnelleétaitsollicitéedans des champs éloignés du travail social rcvcndtquer leur appartenance aux professionsdu travail social. C'est le cas des conseillers en économie sociale ct famtliale, par exemple. 11 RECHERCHES ET PREVISIONS n· 44 -1996 Sur le plan théorique, envisager le travail social d'un côté, les travailleurs sociaux de l'autre, nécessite des références différentes. Plus exactement, l'analyse diffère selon que l'on met en pnorité l'acccntsurletravail social ou sur les travailleurs sociaux pour rendre compte des transformations qmles affectent. Analyser le travail social Donner priorité à 1'entrée par le travail social, c'est envisager un champ d'action dont il s'agit d'analyser les transformations, c'est-àdire la rccomposition intcrncct la rectification des frontières, en les rapportant à l'évolution généra led u contexte. Dans une telle approche, les pratiques professionnelles ct la situation de ceux qui les exercent, les travailleurs sociaux, trouvent leurs principales caractéristiques dans les caractéristiques mêmes du champ. Privilégier,commcaxed'étudc,lcstravailleurs sociaux, c'est partir d'une analyse de la constitution et de la transformation d'un corps professionnel, de l'identité ct des traJectoires personnelles et professionnelles de ses membres, des valeurs qui les animent, des relations qu'ils développent avec d'autres corps professionnels. Dans une telle approche, le travail social apparaît comme un construit social résultant de la dynamique propre aux acteurs engagés dans les luttes pour l'autonomie, la reconnaissance sociale ct la captation des bénéfices économiques et symboliques qui en résultent. Cette différence théorique dans les approches renvoie pour une large part aux clivages théoriques qui traversent la sociologie du travaii,entreunesociologiede la détermination sociale des pratiques et des représentations par le contexte, plus largement représentée en France, ct une sociologie de l'interaction sociale qui met au prinCipe de l'action les déterminants biographiques et les systèmes de relations qui se nouent à l'occasion de celle-ci. Elle apparaît nécessaire dès lors, qu'utilisant une même terminologie, on parle indistinctement du travail social ou des travailleurs sociaux. Il en va ainsi à propos de la prétendue crise du travail social E.'t des travailleurs sociaux. La question se complique d'ailleurs singulièrement du fait que la notion de crise est elle- 12 RECHERCHES ET PREVISIONS n' 44 -1996 même polémique. Qu'est-cc qui n'est pas en crise aujourd'hui ? Sans vouloir chercher à fonder un concept explicatif et dans un simple souci d'opératiOnnalité immédiate, on appellera crise dans les pages qui suivent, un processus de destructuration-restructura ti on dans lequel les phénomènesdedestructuration l'emportent sur les phénomènes de restructuration. Il s'agitdonc,ditautrementetd'une façon simpliste, d'un changementqui ne paraît pasonentéversunétatdontonpeutperccvmr plus ou moins clairement le terme. On peut parler en ce sens de la crise économique actuelle comme d'un processus de destructuration du modèle reposant sur la production ct la consommation de masse de produits standardisés par un salariat urbain tendant à s'étendre à l'ensemble de la population active, sans que l'on perçmve clairement le modèle qui serait susceptible de conduire à un nouvel équilibre. Crise et malaise : des notions floues Si la notion de crise est loin d'être claire, celle de malaise est encore plus floue. Ni les sociologues, ni les économistes, ni même beaucoup de psychologues en font usage. En fait les sociologues utilisent le concept d'anomie et c'est à travers celui-ci que l'on peut chercher à donner un sens au malaise ressenti. L'anomie désigne la situation d'un individu ou d'un groupe qui a perdu ses repères, notamment la possibilité de situer son action par rapport à un certain nombre de valeurs qui servent à l'encadrer, du fait de la variabilité deces valeurs ou du décalage entre les valeurs qui servent de référence à l'action etlesmoyensd'actiondonnéspourysouscrire. En cc sens il y a malaise parce que le travailleur social serait écartelé entre les valeurs, l'éthique du travail social, et l'allégeance à son institution par exemple, ou parce que les valeurs auxquelles il lui est demandé de souscrire, la neutralitéentrcautres,entrenten contradiction avec des logiques de clientélisme institutionnel, ou encore parce qu'il n'a pas les moyens de souscrire aux valeurs qui sont censées guider l'action comme le développement de 1'autonomie de la personne dans des situations d'urgence. Envisager ains1 le malmse des travailleurs sociaux peut tradmrcceq11'1l faut bien appeler une crise d'1dentité. Peut-on dire ams1 que le travail social d'un côté, les travailleurs sooaux de l'autre sont affectésd'un tel processus de destructurationrestructuration désorienté? On a envisagé le travail social comme un champ d'action, c'est-à-dire comme un domaine d'activité caractérisé par son objet, son système d'action, son système d'acteurs, son positionnement par rapport à d'autres champs. Le champ est ainsi un ensemble de positions dans un espace déhmité par la spéoftcité de son contenu et par l'adhésion à un certain nombre de valeurs, les valeurs du champ, pos1tions qUJ, d'une part, ne se définissent et ne se comprennent que par le rapport à l'ensemble des au tres positions et qui, d'autre part, vont détermmer les pratiques de ceux qui les occupent. Parler de crise du travail social, c'est donc analyser les phénomènes qui affectent chacune des dimens1ons du champ au pomt de les destructurer. Travail social :à l'origine un modèle cohérent L'objet du travail sooal,c'cst-à-direconcrètement ses objectifs, son contenu instrumental, ses destinataires privilégiés, les fameuses «populations cibles», s'est considérablement transformé au cours de l'histoire du travail socia 1. Il ne s'agit pas ici de refaire la généalogie du travail social, mais on peut, en simplifiant à l'extrême, caractériser quelques moments où le travail social a paru, au moins rétrospectivement, présenter une relative cohérence- objectif, moyen, cible -qui permet de parler de modèle. Un premiermodèlesedégagcainsi autour du traitement de la «question sociale» dans la seconde moitié du XIX' siècle, c'est-à-d1re de la question ouvnère. La cible est assez clairement identifiée, il s'agit de l'ouvrier et de sa fam1lle, ses enfants notamment (plutôt que de la famllleouvrièredontleconccptreste encore lissez flou, comme en témoignent les travaux de Villermé ct surtout de Le Play). L'objectif (latent sinon manifeste) paraît également relatiVement bien Identifié autour du couple assistance-contrôle. Ass1stancc nécessaire pour assurer la reproduction de la force de travail mise à mal du fait de l'explOitation de la classe ouvnère ct de la misèreqmenrésulte,renforcéesubjectivement sinon objectivement par les phénomènes de concentratiOn urbaine; contrôle lié à la perception de la dangerosité des classes laborieuses contaminées par le vtrus révolutionnaire ou anarchiste ou plus simplement animées de sentiments d'envie et de jalousie toujours susceptibles de générer des révoltes ou des émeutes. Secours chantables, quadrillage par des réseaux d'a1dcs et d'assistance s'appuyant éventuellementsurdesactivitésdomestiquesassurent une certaine efficacité à l'action engagée dans une perspective rééducatrice, moralisatrice plus que normative. Ce modèle perd sa cohérence au fur et à mesure que la classe ouvrière intègre les normes, les valeurs ou plus s1mplement la d1sciplinc nécessaire au bon fonctionnement du système productif industncl et capitaliste, et que son niveau s'élève la mettant peu ou prou à distance des exigences mmimales de la survie. La cible du travail social se modifie alors. Il s'agit de la famille ouvrière dont il convientd'assurcr la bonne santé physique et intellectuelle grâce à une hygiène plus stricte, un logcmcntconstruitct tenu selon des nonnes formalisées, des comportements hors travail débarrassés des séquelles d'une sociabilité populaire et fortement intimisée. Aujourd'hui :accompagner, et socialiser L'objet du travail social n'est plus tant l'assistance ct lccontrôle-qui ne disparaîtront jamais complètement- que l'accompagnement social et la soçialisation. Accompagnement pour permettre de souscrire aux normes, socialisation pour adhérer aux valeurs et s'approprier les exigences du système. Surleplanmstrumcntal, le travail social se fait éducatif et normatif, via notamment l'aide ménagère à destination des mères de famille et des jeunes filles, ct s'appuie sur des résca ux d'mstitutions mêlant à la fois les loisirs et la 13 RECHERCHES ET PREVISIONS n• 44- 1996 fom1at1on dans une conceptiOn ongmalc de l'éducation populaire la1quc ou confessionnelle. L'évolution sc poursuit après la Seconde Guerre mondiale. La cible du travail soc1al va sc déplacer de li! famille ouvrière à la famille urbamc au furet à mesure que sc développe le secteur tcrtia1rc ct que s'urbanise la société française. Son objetn'cstplus tant l'éducation de la famille que sa participation sociale ct celle de ses membres aux pnscs avec un changement exacerbé par la mobilité géographique et professionnelle, ct leur maîtnsc du fonctionnement social, des services et équipements m1s à leur disposition, renforçant à la fois leur autonomisation ct leur sentiment d' appartcnancccollcctivcou communautaire. Le travail prend alors une connotation fortement socioculturelle, reposant sur l'animation ct le développement de réseaux associatifs. L'appréhension de la famille sc veut globale en rupture avec les approches partielles ct spécialisées. La visée est intégratrice cherchant à corriger les inégalités qui limitent l'intégration ou à raccrocher au train du progrèslcs«inévitables» laissés-pourcompte de la croissance. Tout cela est évidemment schématique. A aucun moment de l'histoire du travail social nescsontrencontrésdetelsmodèlcsdanslcur pureté «idéal typique». A tout moment le travail a visé les divers objectifs présentés_cidcssus ct a instrumentalisé sa pratique de différentes manières. Néanmoins, il y avait peu ou prou une certaine cohérence de fait même si celle-ci n'a pu être théorisée qu'a posteriori. Une cohérence qui se détruirait aujourd'hui C'estcettccohércnceplusou moins étroite qui se détruirait aujourd'hui. Les «concepts de base>> du travail social deviennent «flous>>. L'assistance charitable pouvait servir de principe d'identification et declassement à un certain nombre de pratiques bien identifiées par leur contenu et leurs effets directs (la survie) ct indirects (le maintien de la dépendance). L'éducation familiale de la même façon. Elle permet de rapprocher un certain nombre de pratiques dans des domaines divers (l'hygiène, la tenue du logement, 14 RECHERCHES ET PREVISIONS n· 44. 1996 l'éducation des jcunesenfants, les loisirs) mais qui ont pour caractéristique d'inculquer des normes générées en dehors du milieu sur lequel sc déploie le trava1l social. Certes, le «concept>> d'animatiOn paraît déjà avoir une vertu identtficatricc plus faible et, du reste, le moment où il est importé dans le champ correspond déjà sans doute à une phase de dislocation. Celle-c1 s'accentue avec la promotion de notions comme lien social («maintenir ou réorgamscr le lien social>>), exclusion, citoyenneté, urbanité qui viendraient unifier le sens des pratiques, ou encore risque (social) qui servirait à caractériser les nouveaux tcrrainsetlcsnouveauxobjetsdu travail social (population à risque, quartiers à risque ... ). La cible elle-même devient floue. Le référent qui renforçait l'unité, la visibilité ct la cohérence du travail social en le centrant sur une population spécifique, la famille, paraît de plus en pluséclatédu fait des transformations structurelles qui affectent la famille avec la diversité des modes de fondation de celle-ci, mariage, union maritale, remariage et la dynam1que de son évolution qui fait sc succéder des statuts matrimoniaux ou conjugaux divers. Transformation qui a non seulement pour effet de brouiller les repères traditionnels mais encore de renforcer le poids des nouveaux ,déterminants de l'action (la précarité~ du fait précisément que ces mutations structurelles ct cette dynamique séquentielle fragilisent tant les parents que les enfants accroissant ainsi les risques de les voir sc précariser ct de devoir faire face à l'urgence ct aux contraintes de la survie. Ainsi, même si les destinataires du travail social n'ont jamais pu être réduits aux membres de la famille conjugale constituée selon le modèle canonique des années 60, il est bien évident que les profils des «bénéficiaires» se sont aujourd'hui largement démultipliés, jeunes dans leur famille, célibataires sans domicile fixe, parents aux prises avec le surcndettemcnt, isolés bénéficiaires du RMI, personnes âgées isolées ... , rendant de plus en plus Illusoire la capacité de maîtriser les conditions d'une prise en charge globale ainsi que de celle de bâtirdesactionscommunautairesdans le cadre d'unepromotioncollective,remcttantencausc en fait le concept d'action sociale familiale ct le concept même de polyvalence de secteur, base du modèle d'action, sans qu'une alternative réelle ne sc dégage aujourd'hui au tcm1c d'un débat pourtant vigoureux. Un modèle d'action fortement ébranlé travail social, on appelle parf01s le travail soCial intégré sur un territoire. Le territOire dans cette accepta ti on n'est plus seulement un espace de mise en cohérence de moyens pour attcindredcs objccti fsdéfiniscn dehors de 1ui, mais le lieu d'émergence d'une identité, de reconnaissance d'une légitimité à faire valoir des objectifs propres et des cohérences partlcuhèrcsdans le respect de ses spécificités sociales, économiques ou culturelles. Le travail social, à travers une histoire qui n'est pas iCJ retracée, avait fim pardéfimr,à la fin des années 60 ct dans les années 70, un Quant au système de références, 1l s'était lm modèle d'action, c'est-à-dire tout à la fois un aussi progressivement constitué encadrant mode ct un cadre d'action ou d'intervention, d'une façon plus ou moins précise la mise en amsi qu'un système de références. Or cc ocuvrcdcl'actionautourdevalcurstellesque modèled'act10n paraîtaujourd'huifottcmcnt· . · •J'autonomie par opposition à l'enfcrmement ébranlé sans que là non plus ne sc dégage · ' dans ·l'assistance dépendante, la recherche clauemcnt une alternative. des démarches préventives plus que l'intervention curative, la neutralité idéologique et non les investissements partisans, la préLe type ou mode d'action n'était pas umvoquc, éminence des logiques de besoin sur celle du il s'appuyait sur les deux p11icrscn apparence droit, l'universalisme de l'action et le refus de nature opposée que sont la relation clinique d'exclusion fondée sur des motifs ethniques individuelle engagée dans l'action de soutien ou de nationalité, le primat de l'efficacité, ct l'action communautaire reposant sur la c'est-à-dire la mise en oeuvre de la solution mise au jour ct la mobilisation des énergies optimale par opposition à une recherche de collectives. Mais, par-delà la différence radicale l'efficience,c'est-à-dired'unesolution prenant de ces deux modes, l'action s'inscrivait dans par trop en considération les problèmes de une même logique ct sur un même registre coût. d'appréhension de la réalité que l'on peut décliner ainsi par une succession de Ce système a été plus ou moins approprié par caractéristiques : l'aide personnalisée par les travailleurs sociaux et sans doute ne s'estopposition à la prestation standard indifil jamais totalement incarné dans les pratiques férenciée; l'action globale prenant en charge de terrain. Mais il a constitué une sorte de la totalité des dimensions de la personne ou référence idéale et emblématique du travail du groupe par opposition à une action social par opposition à des systèmes de spécialisée, sectorielle ou localisée à visée références concurrents qui avaient pu ou thérapeutique immédiate : la participation pouvaient le concurrencer, qu'il s'agisse des des bénéficiaires par opposition à l'aide systèmes de références caritatifs ou des octroyée ou imposée, à la prestation prédéfinie systèmes de patronage. Cc modèle est sans à consommer en 1'état; la solidarité collective, doute leproduitdu champ lui-même et de ses par opposition au traitement individuel ; la acteurs privilégiés, les travailleurs sociaux, pnsc en compte des spécificités locales des mais il a été porté, par la suite, par la plupart cultures, des modes de sociabilité, par des «agences de légitimité» du champ (écoles opposition à l'application uniforme de la de travailleurs sociaux, commissions du Plan, réglementation. univcrsitairesctchcrcheurs,quand bien même ceux-ci en dénonçaient les dérives sinon Lccadred'mtervenhonprivilégiécetconstruit l'essence, normalisatricc et mtégratrice). au m11ieu des années 60 et surtout, dans les années 70, la polyvalence de secteur étaient sans doute cc qui permettait le mieux de prendre en compte à la fois la globalité de la Les repères traditionnels situation ct de la personne et la dimension brouillés, des acteurs déstabilisés collective ct communautaire de l'action par Cc modèle d'action, ainsi systématisé, paraît opposition à la spécialisation par type de prestation, d'ayants droit ou d'institutions. Il lui aussi de plus en plus malmené et traversé renvoie à cc que dans les textes relatifs au par des contradictions ct des tensions qui 15 RECHERCHES ET PREVISIONS n• 44 .1996 bromllcnt les repères traditionnels ct déstabilisent les acteurs. Le type ct le mode d'actiOn élaborés dans les années 60 ct 70 résistent mal à la montée de l'urgence ct de la précarité, à ·la nécessité de faire face à la brutalité de la détérioration des SI tua ti ons économiques et sociales. Les approches communautaires et collectives cadrent mal avec les démarches d'accompagnement social ct les exigences d'un suivi individualisé, contractualisé ou non, et les démarches d'aides immédiates. Réapparition des logiques de clientèles Lcslogiqucsdcclicntèlcsréapparaissent(«nos pauvres>>) d'autant plus exacerbées que la croissance de la demandcd'aides'accompagne d'une diminution des capacités de réponses, obligeant chaque institution à être plus sélective. Le partenariat en subit des contrecoups. Le cadre de l'intervention lui-même se trouve affecté par le rcprofilage du concept de polyvalence de secteur opéré par nombre de conseils généraux qui tend de plus en plus à signifier un espace déconcentré de mise en œuvre de l'action inscrit dans une ligne hiérarchique étroite. Il est également affecté par l'inscription de plus en plus étroite du travail social dans lcdévcloppementetla mise en œuvre des politiques sociales nationales qui s'appuie pour la plupart sur des découpages territonaux hétérogènes; il en va ainsi aussi bien du RMl que de la loi Besson sur le droit au logement des ménages défavorisés. Les territoires se spécifient ainsi non en fonction de diagnostics éprouvés ou d'identités reconnues mais en fonction de procédures. La territorialisation de l'action administrative d'une façon plus générale a contribué également à déstabiliser les pratiques. Les espaces d'action supra ou infra communaux semultiplicntrendant la synthèse difficile ct aléatoire. Du coup, chaque opérateur dans le champ du trava1l social est tenté de redéfinir les modalités de son ancrage territorial en fonction de ses propres logiques. La cohérence de l'action sc détériore au fur et à mesure que l'espace sc balkanise et d'autant plusqucpeud'opérateurspcuvcntseprévaloir 16 RECHERCHES ET PREVISIONS n" 44- 1996 d'une lég1t1mité suff1samment reconnue pour assurer une effective coordination. Le système de valeurs a perdu de sa cohérence Quant au systèmederéférenceslui-même, il a incontestablementperdudesacohérence,avcc le retour à des logiques assistancielles, sous le nouveau vocable de «solidarité>>, la réapparition de tensions partisanes, des exclusivismes ctdcsclientélismcs(au niveau des communes par exemple). La logique du besoin est concurrencée par celle du mérite (les «bons>> et les «mauvais>> pauvres, les méritants qui méntent d'être aidés et les autres). La valorisation de l'individu et de sa volonté minimise la prise en compte du poids des déterminations sociales et économiques. Le souci d'économie ct de la gestion des coûts affecte de plus en plus la recherche de la solution optimale. Le registre des valeurs se trouve ainsi traversé pas des changements qui affectent plus globalement la société. Cc n'est pas le lieu de les analyser ici. Mais il suffit de mentionner la montée des différentes formes d'individualisme ou de «tribalisme>> et, parallèlement, les difficultés que rencontre l'engagement militant quel que soit le type de militance, associatif, politique, syndical, religieux, la valorisation de l'éphémère et du court terme -les «coups>>- et la difficulté à mobiliser sur des solutions lentes maisdurables(en matière de formation professionnelle par exemple) l'hypertrophie du sentiment et l'exclusif de l'affectif pour comprendre que le système de valcursetdenormcsdu travail social se trouve aujourd'hui quelque peu en porte-à-faux. Le travail social sc trouve ainsi au coeur de tensions qui le rendent de plus en plus problématique : entre le sectoriel et le territorial, le central et le local, l'analyse exogène des besoins et le soutien aux initiatives locales, le normatif et l'innovation, l'assistance et l'autonomisation, l'individuel et le communautauc, les cibles insti tu ttOnnelles et les situations de fait, l'urgence ct l'insertion ... Depuis le milieu des années 60, le système d'acteurs au sein duquel se concevait et sc mctta1t en oeuvre le trava1l sooal s'éta1t globalement stab1hsé sous l'ég1dc de l'Etat au mvcau natwnal ct des Directions départementales de l'action samta1re ct sooale au mvcau départemental. li assooa1tsurdesbascs partenarialcs plus ou moins négociées, égalitaires ct volontaires, des acteurs, les ca1sses d'Allocations fam1halcs (CAF) entre autres, qui du fait de leur partiCipation à la con~t1tut1on ct à la coproduction du modèle d'action, mettment en oeuvre des prat1qucs sans avmr le sentiment d'être par trop contramts ou dépendants. Un système d'acteurs bouleversé Cc système a été profondément bouleversé non seulement du fait de la décentralisa hon ct de la recomposihon du système d'acteurs qu'ellca indUite avec la prééminence du droit dans un prcm1cr temps, du droit ct de fait dans un second, du conseil général, la montée des v11lcscn charge de la régulation sociale sur leur territoire, la redéfmition du rôle de l'Etat, mais aussi du fait des transformations qui affectent chacun des partenaires. Les institutions qui assurent la maîtrise d'ouvrage et la maîtnsed'ocuvredu trava1l social (CAF,ca1ssc primaire d'Assurance maladie, Caisse régionale d'Assurance maladie, Mutuahté sociale agricole ... ) sont elles auss1 affectées par l'évolution de leur personnel, le renouvellement des générations de cadres ct d'acteurs de tcrram, les transformations de leurs procédures ct de leurs outils (avec l'informa tique notamment), les modifications du management ct des modes de gestion. Les assoCiations qUI pourraient scrv1r de relais ct d'appui au travail social sont elles aussi confrontées à des problèmes d'adaptation consécutivement aux viciss1tudcsdu militantisme, aux ambiguïtés de la profcssionnalisatiOn, aux contraintes de la contractualisation avec les maîtres d'ouvrage. Aucundcsactcursncparaîtavoiraujourd'hui réellement trouvé «ses marques». Certes les conseils généraux ont fini par «digérer l'héritage» ct prendre des attitudes plus conquérantes, sc doter de personnels compétents ct d'ou his de gestion ct d'animahon plus efficaces. Ils se sont forgé aussi une doctrine, mais celle-ci, variable d'un départe- ment à l'autre même si des constantes sc dégagent, n'a pas la clairvoyance qui pouvait être celle d'un acteur umquc et central. Les villes sont engagées dans une dynam1quc qm les conduit parfois à déborder le strict cadre des compétences dévolues par la 101 pour embrasser l'ensemble des pohtlques ct des procédurcsayantpourcadrcdcmlsecnocuvrc l'espace urbam, ct ainsi le travail social, sans toujours maîtriser les retombées d'un tel volontansmc ct respecter l'autonomie des acteurs. L'Etat lm-même ne sepréscntcpasau mvcau local comme un acteur homogène, ayant une 1dcntité - bien constituée ct bien claire. La déconcentration de ses services, effectuée parallèlement à la décentralisation, a contribué à complexifier le jeu des acteurs dans la mesure où chacun d'entre eux, en fonctiOn des compétences dévolues et des moyens affectés certes, ma1s aussi de son h1st01rc ct de sa culture, s'est positiOnné d1 ffércmmcn t. Un partenariat plus complexe, plus politique Plus généralement, c'est l'économie du partenariat qui sc trouve transformée. La modification des modes opératoires, c'est-àdire le développement de dispositifs transversaux sur des bases terntoriales ou thématiques, induit une intensification des mtcrrela ti ons entre les acteurs en même temps qu'elle met à mal le système de relations traditionnel propre aux professionnels du champ qui reposait sur l'interconnaissancc,le partage des mêmes valeurs, l'expérimentation des mêmes pratiques, le suivi des mêmes formations. Lepartcnariatdcvient ams1plus complexeet plus pohtique, parce que les légitimités des acteurs sont de nature différente ct que, tout au moms au début, la compétence technique et la compétence formelle ne se recouvrent pas. Il devient plus formel et plus instrumentahsé. Par peur du politique peut-être, la négociation s'opère sur la base des règles que chacun entend faJre respecter. Cette formalisation débouche sur la contractualisation ct va s'instrumentaliser autour de projets écnts, d'objectifs assignés, de protocoles d'exécution de procédures d'évalua ti on. 17 RECHERCHES ET PREVISIONS n• 44- 1996 Parallèlement, Je partenariat dev1ent plus institutionnalisé ct plus procédurier. C'est un partenariat «par le haub•. D'où la multiplication des groupes de pilotage, des comités techniques, des commissions de coordination, des observatoires ... Il apparaît aussi plus concurrentiel sinon plus conflictuel. D'où la nécessité des partenaires d'affirmer des identités fortcs,d'offrirunc 1magc nette et la volonté de labelliscr leur action, de promouvoir une politique de l'offre au détriment parfois d'un ajustement à la demande. Enfin, le partenariat devient plus néccssair<.:> sinon plus exigeant. Ne pas s'y in sen re risqùc de marginaliser. Mais la place dans le partenariat est à conquérir. Ce qui est mal appréhendé, c'est en définitive le passage d'une logique ct d'une légitimité administrative et technique reposant sur des procédures, des découpages, des techniques, des savoirs, à une logique ct une légitimité pohtique et instituée reposant sur Je suffrage des électeurs et les compétences dévolues par la loi. Cc changement de logique bouleverse profondément les rapports au sein du système d'acteurs, non seulement parce que de nouvelles relations de pouvoir et d'autorité s'instaurent, que des alliances nouvelles se développent, mais parce que les références se transfonnent, que les temporalités divergent, celle d'un élu rythmée par l'élection n'est pas Jamêmequecelled'uncadredeservicesocial, que J'intercession de l'élu est d'une autre nature quand il est décideur et quand il est simple intcnnédiaire, que la proximité du terrain modifie le rapport entre J'autorité ct ses services chargés de la mise en oeuvre de l'action. Un repositionnement encore incertain du travail social Traditionnellement, ct par-delà l'évolution qu'ils ont connue, l'action sociale et le travail soaal éta1ent situés du côté de la sphère du «hors travail »ou du côté de la reproduction de la force de travail. Ils avaient pour objet d'assurer une partie des conditions domestiques, matéricllcsetculturellesde la produchon ct de la reproduction de la force de travail. C'est si vrai que l'action sociale se développe avec l'Etat-providence qui peut s'analyser 18 RECHERCHES ET PREVISIONS n" 44 -1996 comme la substitution de J'Etat à l'entreprise pour gérer les problèmes généraux de la reproduction de la forcedetravail (formation, santé, logement, retraite, loisirs ... ). Le champ du travail social était ainsi assez bien circonscrit. Il s'inscnvait dans les creux laissés ouverts par les différentes institutions, l'école, les organismes de logement social, les systèmes d'indemnisation du chômage, les systèmes de sécurité soCiale. Or, avec J'approfondissement de la crise, les frontières entre le travail et le hors travail apparaisscntdcpluscn plus perméables et les -~· questions traitées par les institutions ad hoc ,_;-en vicrmcntdeplusen plus à être traitées dans l'optique du travail social. Il en va ainsi par exemple du logement dans Je cadre de la l01 Besson ou de l'accès au droit dans le cadre du RMI, de l'insertion urbaine. Le concept d'insertion sociale et professionnelle, en raison du flou de la réalité qu'il appréhende, constitue une de ces médiations qui pennettent lepassaged'unchampà l'autre. Le travail social se voit ainsi sollicité pour faciliter l'insertion professionnelle en essayant de mobiliser les moyens (formation, aides diverses, mise en relation ... ) nécessaires pour faciliter l'accès à l'emploi. Il est également sollicité dans lecadrede la lutte contre l'échec scolaire en même temps que dans celui de la lutte contre la délinquance ou pour faciliter l'intégration urbame et l'insertion par le logement. La frontière entre l'économique et le social s'estompe comme s'était déjà assouplie la frontière entre le social et le culturel. Le travail social s'inscrit de plus en plus dans des dispositifs transversaux qui transgressent les frontières habituelles deschamps. La politique de la ville constitue un de ces espaces où les champs se télescopent. Le travail social y gagne sans doute en efficacité et en diversité, mais il perd en autonomie et en visibilité. La spécificité des pratiques s'édulcore au contact d'au trescatégoriesde professionnels engagés dans ces dispositifs et leur structure de coordination (commission locale d'insertion, commission départementale pour la mise en oeuvre du plan départemental pour le logement des défavorisés ... ). Le travail social devient plus procédurier, plus incertain et plus déstabilisant, s'mscrivantà l'articulation du champ traditionnel ct de champsdJVcrsou à cheval surplusicursch.1mps. La concurrence s'a vive en trc profcssionnclssansqu' on pUisse dire que dans celle-ci les travailleurs sociaux smcntcn positiOn dommantc. Le travail sooal sc découple de plus en plus de l'actiOn sociale pour entrer de plus en plus dans une Iog1quc d'assistance ou dans la sphère de la gestion des pres ta t10ns léga les, soit pour en améhorcr l'accès ct l'cfhcaoté, soit pour régler les problèmes de précontcnllcux. La difficulté des travailleurs sociaux à élargir leur champ d'action Il serait faCJic de dire que les travailleurs soc1aux sont perpétuellement en crise, qu'Il est d.1ns la nature même des travailleurs soCJaux d'être mal à l'dise dans leur fonction comme si le choix de celle-ci résultait d'une difficulté d'adaptation ou de maîtrise de son propre projet donc d'un problème d'identité ou comme si le travail social, par nature et encore plus aujourd'hui où il est traversé par un ccrtam nombre de tensions qui le déstructurent, gént'rait le mdlaisc existentiel de ceux qui s'y adonnent. Deces deux cxphcationsdu malaise, la seconde est sans doute la plus vraisemblable. Les ambigUités du travail social que l'on a mises en év1dcncc précédemment peuvent rendre compte des difficultés que rencontrent les travailleurs sociaux à sc s1tucr vis-à-vis de leur travail. On ne rcvJCndra pas sur les répercussions de la transformation de l'objet du travail soc1al sur les travalllcurs sociaux si œ n'est pour souhgncr que ces dermers ct, notamment, les ass1stants sociaux (c'est moins vrai des animateurs) réussissent mal à élargir leur champ d'action. Ils ont incontestablement rencontré des difficultés à se posillonner s.l!r l'mscrllon ~oc1alc par l'économique, su·r ·la· poht1quc des v1llcs ct l'ingénienc des: d1spositJfs d'act10n concertée. L'objet du trava1l socidllcllJue le conçoivent la majorité des travailleurs sociaux reste le cas indiViduel à étudier pour lUI trouver une solution en faisant JOuer la palette des ressources mstltut10nncllespossibles. D'où l'importance de la fonction d'intermédiaire, de médiation ctdeportc-parolequi mélange l'artdu dossier, celUI du soutien personnalisé ct de I'mtcrccssion. De cc fait, 1ls sc sont quelque peu marginalisés ct leur étoile a pu pâlir face à cc que C. Bachmann appelle les «missionnaires des banlieues» qui <<errent au sein d'un millefeuille organisationnel, perdus dans les partenariats aléatoires ct les montages financiers acrobatiques». En fa1t le malaise paraît résulter de trois causes de nature d1ffércnte :uncdéficiencedel'expertisc ,donc des moyens, une remise en cause de l'éth1que; ct une transformatiOn du processus de profcss10nnal1satlon. L'expertise: base de toute profession L'expertise est une notion difficile à défimr. d'expertise qui comporte une triple dimension: -une d1mension technique qui rcnvo1c aux règles de l'art du métier : la gestion des prestations, la constitution de dossiers d'ouverture de droits, l'analyse des besoins, les ratios d'équilibrage du budget domestique ... ; -une dimension sociale qui renvoie à la maîtrise du système de relations sociales au sein duquel s'exerce l'activité, la capaCité à entrer et à maîtriser une relation partenarialc ou à s'inscrire dans des procédures d'action concertée par exemple ; -une dimension gestionnaire, la capacité à articuler besoin et demande, moyens ct ressources, le souhaitable et le possible. Chacune de ces dimensions fait appel à des savoirs de nature différente que l'on peut classer en: - savoirs théonques, la psychologie des mdividus, la sociologie des modes de vie des familles qui vous renseignent sur le réel ; -savoirs procéduraux qui permettent de décliner les règles à respecter pour pouvoir conduire l'action: comment réaliser un · entrctieÏ1' ~li nique, comment construire un projet, comment engager et conduire une procédure d'évaluation ... ; -savoirs pratiques qui déterminent la capacité à tenir compte d'une conjoncture spécifique, de l'effet d'un rapport de force favorable ou défavorable sur la perception d'une situation parexemple,oudel'effetcombméd'uncumul de handicaps, et qui résulte essentiellement de l'expérience de la réalité; 19 RECHERCHES ET PREVISIONS n" 44. 1996 - Silvotr-ft~irc en fm qui s'apparente à cc que l'on peut appeler les <<trucs du métier>>, les «mots pour le dire>>, l'art d'écrire, l'art de contourner les difficultés, l'art de plaider un dossier. de développement local ou de projet d'action concertée dans le cadre de la lutte contre l'exclusion, soit encore en positwn de spécialiste thématique patenté en tel ou tel domaine, l'accueil de l'enfance, l'insertion sociale ou professwnnellc, l'économie domestique. Le malaise est d'autant plus ressenti que le déficit d'expertise fait le lit de professiOns ou de professionnels concurrents et que, sur nombre de domaines (politique de la vtllc, la lutte contre l'exclusion), les travatllcurs sociaux n'ont pas toujours réussi à s'imposer. Or, on peut sc demander si l'expertise des travaillcurssociauxs'cstrcnouveléesuffisammcnt, tant au niveau des savoirs théoriques que des savoirs procéduraux : -au mveau des savoirs théoriques concernant par exemple l'évolution de la famille, la thématiqucdudévcloppemcntde l'enfant, les processus ct les effets de l'exclusion ou de-la· ., • ~ • • , ") ~ r 4{ - ~ '~ 1 ségrégation, de la violence; - En faH; ..àpparaît de plus en plus nettement -au nivcaudessavoirsprocédurauxenmatièrc · l'image d~un •travail soctal à deux vitesses, l'un de terrain confronté aux victssitudcs du de cdndmtc de projet, de diagnostic local, de quotidien, s'épuisant à faire face à l'urgence, modahtés de contractualisation; -la nécessité d'approfondir ce «savoir en cherchant à trouver des solutions rapides ct usage» affecte aussi bien la dimension développant un actif travatl de soutien personnalisé; l'autre, situé en deçà du terrain technique de l'expertise telle qu'elle est dans des fonctionsdediagnosttc,d 'orienta tion, solhcitée par exemple pour constituer ou instruire un contrat d'insertion dans le cadre d'accompagnement de projet ct d'évaluation, du RMI, participer à l'élaboration d'un plan prend le recul nécessaire détaché de la locdl d'insertion ou mener une action contingence et renvoie sur le premier la gestion d'accompagnement social dans le cadre du des cas. Fonds de solidanté logement (FSL) ... que la dtmcnston sociale ou gestionnaire. Ll connaissance des règles du fonctionnement institué et les modifications du système d'acteurs, avec leurs incidences sur les types ct modes de légitimité dont on a déjà parlé telles qu'essaie de les inventorierla sociologie des organisa ti ons par exemple, apparaît ainsi une condition du développement d'une expertise sociale renouvelée. De même le développement d'une expertise gestionnaire conditionne l'efficacité du travailleur social non seulement quand on lui demande de statuer sur l'économie de ses projets mais plus intimement pour faire face à la surchargedc travail à laquelle il estconfronté. Un travail social à deux vitesses Il s'ensuit que le travail social peut sc sentir marginalisé par de nouveaux professionnels qui sc sttucnt soit en position d'expert de la pro.cédurc sur tel ou tel domaine (la planification, ct la programmation des structures d'accueil de l'enfance par exemple, soit en position de spécialiste de l'ingémcricdc projet 20 RECHERCHES ET PREVISIONS n" 44. 1996 L'éthique du travailleur social remise en cause L'éthique désigne le système de valeurs et de références qui encadrent la mise en oeuvre de la pratique. Elle définit l'univers moral de la profession en même temps que son identité. L'éthique du travailleur social s'inscrit dans le registre du système de références du travail social tel qu'on l'a analysé plus haut, autour de valeurs C<?mmc le développement de l'autonomie, la participation démocratique, le refus des discriminations, le désintéressement, l'a priori favorable vis-à-VIs de la demande, le respect de l'intimitédes individus ct des groupes ... Or, cette éthique se trouve aujourd'hui pour une part en porte-à-faux par rapport aux modalités de la pratique et aux logiques de l'action sociale développées ces dernières années. Il y a plustcurs raisons à cette situation: -la déccntraltsation a renforcé les identités institutionnelles dans un milieu où les traditions ct la culture étaient davantage de l'ordre du professionnel, c'est-à-dire transcendaient les lieux ct les institutions de mise en oeuvre de l'expertise. On était travailleur social plus que membre salarié de la CAF, de la DDASS ou detelle ou tcllcassociation.C'cst d'ailleurs sur cette communauté de culture ct de valeurs que s'est opéré, dans un premier temps, le rapprochement entre travailleurs sociaux de différentes institutions, ce qui a permis dans de nombreux cas d'éviter le blocage résultant des logiques partisanes qui avaient pu fleurirdanslecadrede la décentralisation. En même temps, on sait que les institutions qui salancnt des travailleurs sociaux sc plaignent fréquemment de leur faiblcallégcanceinstitutionnelle.Néanmoins, au furet à mesure que s'approfondit la décentralisatiOn, les log1ques institutionnelles tendent à s'affirmer ct prennent le pas sur les logiques professionnelles; référerpourdévclopperleuraction, paraissent aujourd'hui entourés d'un halo ct d'un brouillard qui obligent à un pilotage à vue incertain ct insécurisant. Et ce d'autant plus que ceux-là mêmes qui réclament une transformation de valeurs et une allégeance plus grande aux objectifs de l'institution sont le plus souvent dans l'incapacité de produire un nouveau référentiel d'action satisfaisant sur le plan éthique et mobilisateur sur le plan pratique. Un nouveau processus de professionnalisation Traditionnellement, les travailleurs sociaux ne faisaient pas carrière et n'avaient donc pas en tant que telle de véritable trajectoire professionnelle. Les institutions qui lescmployaient n'avaient pas organisé leur carrière. Entre le -cet effet de la décentralisation est renforcé responsable du service et le travailleur social par les nouvelles formes de management et le de base il n'y avait guère d'mtennédiaires. Le développement des prdtlqucs qm gravitent miheu était peu hiérarchisé et fonctionnait autour de cc que l'on appelle habituellement selon un modèle quasi libéral, reconnaissant la culture d'entreprise. Or celle-ci privilégie . '.·une grifnâe'autonomie au travailleur social et les valeurs de l'institution au détriment-des exigeant" somme toute peu de comptes en valeurs professionnelles. On enjoint aux retour. Les travailleurs sociaux se situaient travaiiicurssociauxdes'approprierlcsvaleurs plus sur des logiques vocationnelles que de leurs mstitutions, l'assistance immédiate professionnelles. pourévitcrl'exacerbationdestroublessociaux locaux ou au contraire la promotion des valeurs Or, cette situation a changé. Les services familiales «authentiques)) pour éviter de sociaux sc sont structurés et hiérarchisés. Les sombrer dans des logiques de l'assistance par classifications ont été introduites dans la exemple. On leur demande, en outre, d'être profession. On assiste de plus en plus à un toujours et partout, notamment dans les allongement de la chaîne hiérarchique : instances de coordination, de pilotage ou responsable d'équipe, éducateur-chef, assisd'évaluation, les porte-parole de leur tante sociale-chef, responsable de circonsinstitution et de ses orientations. cription ... Les possibilités d'accéder à des postcsd'cncadrementsesontainsimultipliées. On conçoit que de telles exigences heurtent uncéthiqueorientéeessentiellementsurl'aide L'idée de carrière articulée sur la promotion désintéressée aux personnes dans le besoin et interne est d'ailleurs en cohérence avec les sur la satisfaction de l'intérêt général ou du sollicitations du nouveau management à bien public. s'inscrire sur les logiques de l'institution et à manifester un loyalisme incontestable vis-à-en outre, les caractéristiques du contexte vis d'elle. économique ct social, la nécessité de faire face à l'urgence, rendent difficile une volonté Mais en même temps, on peut sc demander si d'au tonomisation ct de rcsponsabilisation de l'institution le reconnaît et rétribue cet effort même qu'une problématique de la particide loyalisme. Nombre de travailleurs sociaux pation démocratique et Citoyenne, ainsi que ont ainsi le sentiment d'être «laissés tombés)) des logiques de conscientisation ct de par leur employeur qui les braderai ten quelque développement local à long terme. sorte aux nouveaux maîtres du jeu. De là, les Il en résulte que les repères des travailleurs conflits et les difficultés de l'insertion et du sociaux, les balisesauxquclles ils pouvaient sc transfert des travailleurs sociaux de la 21 RECHERCHES ET PREVISIONS n• 44 -1996 DDASS- Etat au conseil général. De là aussi, dans un certain nombre de cas, les difficultés du déconvcnhonncment de la pol yvalcnce de scctcursdcsCAFou des caisses de la Mutualité sociale agncolc. Les travailleurs sociaux eux-mêmes sc sont inscnts dans des logiques de carrière. L'éthique du métier qui trouvait son principe d'cfficacitédansla satisfaction que l'on retirait de la réussite individuclledcsonaction,deses démarches ou de ses «coups» tend à laisser place à une logique de la réussite de la vic profcsswnncllc centrée sur la reconnaissance socit~lc ct la promotion. La polyvalence des tâches qu'induisait l'activité professionnelle ne suffit plus à satisfaire les travailleurs sociaux formés au mihcuou à la findcsannécs70etau début des années 80. Le choix du métier n'est plus tant un choix de vie qu'une modalité d'insertion professionnelle, même si la carrière reste pour 1'essen ti cl, circonscrite à l' m térieu r du champ social. Le sentiment d'une déqualification Le côté «anhhiérarchiquc» etcritiqucqui s'était épanoui dans les années 68 s'est fortement édulcoré sans que pour autant une vision claire de l'avenirparaisscsedégagcrvraiment. La formation des travailleurs sociaux, formation continue ou formation supérieure dispensée par l'université, destinée à développer les compétences de l'encadrement du travail social comme le diplôme supérieur en travatl social (1978) ou le certificat d'aptitude à la fonction de directeur d'établissement social (1985), ainsi que l'ouverture de nombre de DESS aux travailleurs sociaux, ont contribué à élever le mveau d'aspiration professionnelle sinon à élargir les perspectives d'emploi. La perte du monopole des travailleurs sociaux sur un ccrtam nombre de segments du champ, et l'appantion puis la confirmation de 22 RECHERCHES ET PREVISIONS n· 44 -1996 nouveaux professionnels ont de plus inctté à élargir l'horizon des possibles en même temps qu'ils renforçaient le sentiment d'un enfermement dans un rôle et dans un statut sécurisants mais peu motivantsetqu'tl faisaitdoutcrdc la légitimité du corps professionnel. Les travatlleurssooauxontamsi fréquemment ressenti le sentiment d'une déquahfication quand les nouveaux recrutements s'opèrent sur la base de moniteur-éducateur, d'aide méd1co-psychologtquc ... ou quand on confirme les ass1stants sociaux dans des rôles de plus en plus administratifs sans pour autant leur ouvrir des perspectives de carrières, la hiérarchie du travail social restant encore souvent recrutée en dehors de la profession. En fa1t, le mala1sc résulte sans doute pour une large part du souhait de s'inscnre sur des trajectoires profcssionncllesaxées sur l'accroissement de la d1versité des fonctions et l'augmentation de la responsab1hté et du scntimentintérioriséd'unesorted'illégitim1té à s'engager dans un tel processus d'une part, de l'absence de reconnaissance sociale d'autre part, malaise qui caractérise parfaitement cc que dans la théorie du champ on nomme la position de dominé. Les tentatives et l'échec relatifpourlesurmonter,malgrédesalliances avec l'université, ont peut-être renforcé encore cc sentiment. Sans doute en a-t-il toujours été un peu ainsi. Mais l'évolution du recrutement, le mouvement de professionnalisation, le développement de la formation ont exacerbé les contradictions de salariés dont le capital culturel s'est fortement accru alors que le capital social, c'est-à-dire l'étendue et la diversité du réseau de relations et par là le niveau de reconnaissance social vis-à-vis des tiers, a eu tendance à se détériorer du fait d'une prolétarisation du recrutement, que le capital économique ne s'est guère revalorisé (la décentralisation a même pu être l'occasion de le réduire), que le capital symbolique enfin s'est dévalué face à la montée des nouveaux professionnels.