CONSULTATION DE COULOIR L’artérite à cellules géantes et la cécité subite : Un angle nouveau Par Janine L. Johnston, M.D., FRCPC Les essais cliniques comparatifs, à répartition aléatoire et à double insu n’ont pas apporté de réponse définitive à toutes les questions d’importance clinique. Le JSCR vous propose une nouvelle rubrique intitulée « Consultation de couloir », dans laquelle d’éminents rhumatologues répondront à vos questions complexes en vue d’établir un consensus. Veuillez faire parvenir vos questions pour les numéros futurs à : [email protected]. Présentation du cas : Un homme de 65 ans consulte pour baisse de vision dans un oeil. Il présente par ailleurs diabète, hypertension et hyperlipidémie, pour lesquels il reçoit les médicaments appropriés. Question 1 : Quelle est la cause de la baisse de vision? Peuton déduire des symptômes qu’il s’agit d’une artérite à cellules géantes avant même de connaître les résultats des examens sanguins? Sur le plan neuro-ophtalmologique, il est capital de préciser le mode d’apparition de la baisse de vision. Un début brutal peut indiquer une neuropathie optique ischémique, provenant ou non d’une artérite. Une thrombose ou une embolie de l’artère centrale de la rétine sont également possibles. Il faut également penser aux causes purement locales de baisse de vision, comme un décollement de rétine ou un glaucome à angle aigu. Une baisse de vision progressive et insidieuse correspond davantage aux neuropathies optiques par compression ou par infiltration, à la dégénérescence maculaire, au glaucome ou aux cataractes. La présence de symptômes associés contribue à préciser la cause de la baisse de vision. La présence ou l’absence de douleur sont significatives. La plupart des causes vasculaires de baisse de vision sont indolores. Pour qu’une ischémie totale du globe oculaire se produise, il faut qu’il y ait occlusion des systèmes carotidiens internes et externes, ce qui cause une douleur intense (oculopathie ischémique). La douleur à la tempe ou l’association de céphalée et de claudication de la mâchoire, quoique classiques, ne sont pas toujours présentes dans l’artérite à cellules géantes (ACG), mais constituent des indices importants quand elles le sont. L’ACG peut s’accompagner de diplopie, mais douleur oculaire et diplopie peuvent également être associées à des masses orbitaires. Question 2 : Quels éléments de l’examen conduisent à soupçonner une ACG comme cause de la baisse de vision? Il faut tout d’abord vérifier si la baisse de vision est corrigeable. On demande au patient de regarder à travers un trou sténopéique (de la taille d’un trou d’aiguille), sans verres correcteurs. Si la vision s’améliore, il s’agit d’un problème de 20 JSCR 2007 • Volume 17, Numéro 3 réfraction, peut-être causé par des cataractes. Si la vision ne s’améliore pas, il faut trouver où se situe le problème. L’atteinte du nerf optique se vérifie en recherchant un déficit relatif de l’arc pupillaire afférent, mis en évidence par la présence d’une pupille de Marcus Gunn. Il s’agit d’un test très simple à réaliser : lorsqu’on passe une source de lumière devant les yeux, la pupille de l’œil sain se contracte tandis que celle de l’œil atteint se dilate. Cela signifie que le nerf optique est très probablement atteint. Ensuite, l’examen du fundus à l’aide d’un ophtalmoscope pourra montrer une anomalie du nerf optique. Dans la neuropathie optique ischémique, le nerf optique atteint peut paraître normal ou oedémateux. Si l’ischémie est située en postérieur sur le trajet du nerf optique (neuropathie optique ischémique postérieure), la papille optique paraîtra normale (1a). Si l’ischémie touche l’insertion du nerf optique (neuropathie optique ischémique antérieure; NOIA), la papille paraîtra partiellement ou totalement œdémateuse (1b). Il ne s’agit pas d’œdème papillaire, où l’on retrouve un œdème de la papille et des vaisseaux ainsi que des d’hémorragies (1c). Ici, la papille est pâle et les vaisseaux sont de très petit diamètre. Pour finir, la palpation des artères temporale et faciale devrait être douloureuse et révéler des pouls absents ou diminués. Bien que le diagnostic de NOIA puisse se faire avec un certain degré de certitude, le diagnostic définitif d’ACG repose sur la biopsie temporale. La NOIA artéritique ne peut être distinguée de la NOIA non artéritique chez les patients de plus de 55 ans, particulièrement lorsque le taux de sédimentation et la protéine C-réactive ne sont pas typiques de l’artérite. L’angiographie à la fluorescéine peut démontrer un retard de remplissage choroïdien, indiquant une occlusion des artères ciliaires postérieures. Ce phénomène, qui ne se produit pas dans la NIOA non artéritique, indique presque toujours une NIOA d’origine artéritique. Figure 1a. Papille optique normale Figure 1b. Papille atteinte d’ischémie Évolution : Ce patient décrivait une baisse subite et indolore de la vision de l’œil gauche, accompagnée de claudication de la mâchoire. Son taux de sédimentation était de 35 mm/h et son niveau de protéine C-réactive était légèrement élevé. On lui a prescrit de la prednisone à raison de 60 mg/jour. La biopsie de l’artère temporale s’étant révélée normale, la prednisone a été interrompue. Dans les 24 heures suivantes, la baisse de vision s’aggravait à l’œil gauche, les mouvements de l’œil devenaient douloureux, et il apparaissait une diplopie et une élévation de la pression intraoculaire. Le patient ayant alors reçu de la méthylprednisolone intraveineuse à raison de 1 000 mg/jour durant 5 jours, la vision de l’œil gauche s’est améliorée, atteignant 20/30. Toutefois, l’utilisation prolongée de corticoïdes à fortes doses a provoqué chez ce patient une aggravation des cataractes, une difficulté à maîtriser la glycémie et la tension artérielle et, finalement, une nécrose avasculaire de la hanche gauche. Figure 1c. Papille et vaisseaux œdémateux Lorsque la baisse de vision est importante ou qu’il existe des signes d’ischémie du globe oculaire (p. ex., apparition subite de cataracte et de glaucome en plus de la NIOA), la méthylprednisolone est indiquée. La baisse de vision n’est pas irréversible et le fait de poser les gestes appropriés, devant un diagnostic possible d’ACG, peut apporter une amélioration remarquable de la vision. Même en l’absence de biopsie positive ou d’élévation du taux de sédimentation ou de protéine C-réactive, l’association de NIOA et de claudication de la mâchoire justifie l’utilisation de fortes doses de prednisone par voie orale. Cinquante pourcent des patients atteints d’ACG présentent des symptômes visuels. Du point de vue neuro-ophtalmologique, les avantages du traitement à la prednisone chez les patients atteints de NIOA artéritique sont toujours supérieurs aux risques encourus, même en présence de diabète et d’hypertension. En effet, l’atteinte de l’autre œil, dans la NIOA artéritique, peut se produire en une semaine ou deux, par opposition à deux ou trois ans dans la NIOA non artéritique. La Dre Janine L. Johnston est neuro-ophtalmologiste dans un cabinet privé pluridisciplinaire de Winnipeg. Elle est également professeure d’ophtalmologie, d’oto-rhino-laryngologie et de médecine à l’Univeristy of Manitoba. Élaboré grâce à une subvention sans restriction à visée éducative de Pfizer Canada. JSCR 2007 • Volume 17, Numéro 3 21