CONTACT Alain Paquet, économiste et professeur-chercheur au Centre de recherche sur l’emploi et les fluctuations économiques, à l’Université du Québec à Montréal. ? QUELLE INFLATION Ronald McKenzie • Photo : Sonia Jam Le marché obligataire américain est le plus grand et le plus liquide des marchés financiers au monde. Chaque jour, on y transige pour plus de 350 milliards $ en titres. Ce baromètre essentiel de l’économie américaine aide les gestionnaires à analyser les tendances du marché et les conseillers à faire des recommandations à leurs clients. OBJECTIF CONSEILLER 14 Performance relative des obligations américaines Depuis février 2000, la courbe de rendement des obligations US à 30 ans est devenue négative. Plusieurs commentateurs y voient le signal d’un ralentissement économique. Pourtant, l’économie américaine roule encore à plein gaz. n février dernier, la courbe de rendement des obligations à 30 ans est devenue «négative» (voir graphique ci-dessus). Au moment de mettre sous presse, le rendement des obligations à 30 ans était de 6,14 %, celui des bons du Trésor à 1 an, de 6,15 %. Normalement, l’écart entre les deux devrait être plus grand. Ce phénomène, jumelé aux hésitations du marché boursier depuis le début de l’année, inquiète plusieurs observateurs. Que se passe-t-il chez nos voisins du Sud? Et au Canada? Nous avons demandé à Alain Paquet, économiste et professeur-chercheur au Centre de recherche sur l’emploi et les fluctuations économiques, à l’Université du Québec à Montréal, de nous éclairer à ce sujet. E Objectif Conseiller Quand la courbe de rendement des obligations de 30 ans devient négative et qu’elle tombe sous celle des obligations à court terme, on dit que cela présage un ralentissement économique. Qu’en pensez-vous? Par le passé, on a effectivement observé qu’une période de ralentissement économique, voire de récession, accompagnait le renversement de la courbe de rendement. C’est ce qui s’est passé dans les années 70, et c’est ce qui inquiète aujourd’hui certains observateurs. Cependant, cette corrélation n’est pas automatique. Par exemple, au milieu des années 90, la courbe de rendement s’est aplanie, et elle est même devenue légèrement négative, sans qu’aucun ralentissement notable de l’économie ne se manifeste. Alain Paquet OC Comment expliquez-vous alors la réaction du marché? Les taux à long terme baissent lorsque la prime de risque associée aux obligations à long terme diminue, mais cette explication est peu plausible dans le contexte AP AVRIL 2000 15 OC Malgré la hausse du prix des obligations, les inves- tisseurs américains sont quand même friands des titres obligataires. « AP En effet. Avec la volatilité du marché boursier, les investisseurs délaissent les actions au profit des obligations, ce qui en fait hausser le prix et, par conséquent, diminuer le rendement. Notez toutefois que ce sont surtout les obligations à court terme qu’on convoite ainsi. Cela pourrait réduire l’écart entre les taux à court terme et ceux à long terme. D’ailleurs, je trouve que cet écart n’est pas si important. Lorsque la politique monétaire est sous contrôle, l’économie peut croître presque sans inflation. Profil » • ALAIN PAQUET, PH. D. • Professeur à l’École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal • Chercheur actuel. En revanche, je crois que les investisseurs anticipent des taux à court terme, qui, dans l’avenir, seront inférieurs à ceux qu’ils trouvent présentement. Peut-être estiment-ils que les pressions inflationnistes sont plus élevées maintenant qu’elles le seront plus tard. OC Le Trésor américain s’apprêterait à racheter pour 2 milliards $ d’obligations. Ce geste risque-t-il de provoquer une pénurie de titres? AP Non. Même si le gouvernement américain enregistre des surplus, la dette des États-Unis demeure substantielle. Il y a donc encore un volume considérable d’obligations gouvernementales sur le marché, à plus forte raison sur le marché secondaire. Du reste, les investisseurs qui ne trouvent pas les obligations gouvernementales qui leur conviennent vont se tourner vers les obligations privées. OC Des commentateurs parlent de surchauffe de l’économie américaine et de la résurgence éventuelle de l’inflation. Partagez-vous ce point de vue? AP Non. Il existe une croyance populaire selon laquelle toute croissance économique rapide s’accompagne d’une inflation importante. Cela est vrai quand la politique monétaire fait preuve de laxisme, comme cela s’est produit dans les années 70. Or, l’expérience récente montre que lorsque la politique monétaire est sous contrôle, comme c’est le cas aux États-Unis et au Canada, l’économie peut croître presque sans inflation. Par politique monétaire sous contrôle, on entend une politique qui ne cherche pas à amplifier la croissance économique. Quand cette dernière s’appuie sur des facteurs réels, comme des gains de productivité, l’adoption de nouvelles technologies et l’augmentation de la richesse, les poussées inflationnistes sont limitées, pour ne pas dire absentes. OC Mais le quasi plein-emploi chez nos voisins du Sud et l’augmentation du prix du pétrole, par exemple, ne créent-ils pas une pression à la hausse sur les prix? On sait qu’Alan Greenspan, le président de la Réserve fédérale, réagit très rapidement à toute velléité d’inflation. Voilà pourquoi la Fed a augmenté les taux d’intérêt au cours de la dernière année. Or, elle l’a fait de manière graduelle, car les signes inflationnistes ne sont pas clairs. Certes, le chômage est faible aux États-Unis, mais il ne semble pas y avoir de pression très forte sur les salaires. En ce qui a trait à l’augmentation du prix du pétrole, l’impact se fera certainement sentir au cours de l’année, mais «une fois pour toutes» seulement. On ne devrait pas assister à une hausse continue du prix des biens et des services, à moins qu’une autre vague de flambée des prix ne survienne. AP OBJECTIF CONSEILLER 16 OC Qu’est-ce qui pourrait plonger l’économie américaine dans la récession? Une hausse radicale des taux d’intérêt par la réserve fédérale, notamment, ou encore un choc pétrolier d’envergure. Mais je ne vois actuellement aucun signe indiquant que l’un ou l’autre de ces scénarios se produira. AP chuterait alors jusqu’au point où il deviendrait égal à celui des obligations américaines. La même recherche d’équilibre se produirait si c’était le taux des obligations américaines qui était plus élevé que celui des obligations canadiennes. OC Pourtant, le taux des obligations canadiennes a déjà été différent de celui qu’on trouvait aux États-Unis. OC Il y a quelques années, Alan Greenspan a mis les investisseurs en garde contre l’exubérance du marché boursier. La politique monétaire américaine est-elle forgée sur l’évolution du cours des actions? C’est un élément parmi d’autres. Alan Greenspan examine minutieusement tous les indicateurs économiques, y compris évidemment les indices boursiers. Lorsqu’il a fait sa fameuse déclaration, le marché boursier avait produit des rendements inhabituellement élevés. On assistait alors à l’arrivée en scène de nouvelles entreprises de haute technologie œuvrant dans Internet ou l’informatique. Et ces entreprises connaissaient du succès en Bourse. Or, si ces firmes offrent un potentiel de rendement élevé, il est difficile d’en mesurer le risque, comme c’est le cas avec les titres traditionnels, les mines, par exemple. C’est donc dans ce contexte qu’Alan Greenspan a parlé d’exubérance. Cela dit, il n’y a pas de consensus, aux États-Unis, en ce qui a trait à l’irrationalité actuelle des cours boursiers. Une partie du rendement est certainement due à l’exubérance de certains investisseurs, mais l’autre partie s’appuie sur du solide. AP OC Historiquement, le Canada a toujours aligné sa politique monétaire sur celle des États-Unis. Cette tendance a-t-elle changé? Non. En fait, le Canada pourrait bien avoir une politique monétaire complètement indépendante de celle des États-Unis, mais elle fonctionnerait difficilement en raison du mouvement des capitaux et de la recherche de l’équilibre dans les marchés. À titre d’exemple, imaginons des obligations gouvernementales canadiennes et américaines parfaitement comparables en matière d’échéance, de taux de change et de rendement ajusté à l’inflation. Si le gouvernement canadien décidait d’offrir des taux plus élevés que ceux des titres américains, que se passerait-il? Les investisseurs se rueraient sur les obligations canadiennes et en pousseraient le prix à la hausse. Le rendement des titres canadiens AP AP Oui, mais à une période précise seulement. Comparativement aux États-Unis, le Canada est une très petite économie. Par conséquent, il doit payer une prime de risque lorsqu’il emprunte sur les marchés financiers. Or, cette prime était substantielle en 1995, 1996 et 1997, car la dette semblait hors de contrôle. Mais depuis 1998, cette prime a considérablement diminué, de sorte que l’écart entre les taux canadiens et américains est maintenant de moins de un point de pourcentage. Dans certains cas, il n’y en a pas du tout. OC Doit-on s’attendre, comme aux États-Unis, à une hausse graduelle des taux d’intérêt pour juguler l’inflation ? AP Oui. De part et d’autre de la frontière, les objectifs officiels (et officieux) sont les mêmes en matière de lutte à l’inflation. La Banque du Canada veut maintenir l’inflation entre 1 % et 3 %. Au moindre signe de résurgence, elle interviendra. OC On l’a vu, le taux des obligations à long terme diminue. Assistera-t-on à une baisse du loyer de l’argent au Canada? AP C’est fort possible. Lorsque les taux à long terme sont inférieurs aux taux à court terme, c’est que le marché anticipe que, dans l’avenir, les taux à court terme vont baisser. OC Quel sera l’impact sur les taux hypothécaires? En théorie, ils devraient baisser eux aussi. De combien? Difficile à dire. Il n’y a pas de relation automatique très claire entre le taux des obligations à long terme et les taux hypothécaires. L’équilibre entre ces deux types d’obligations peut être plus difficile à atteindre du fait que les titres hypothécaires sont un peu plus risqués que les obligations gouvernementales. AP AVRIL 2000 17