Anxiété-Dépression : données épidémiologiques et cliniques

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Anxiété-Dépression : données épidémiologiques et cliniques
J. TIGNOL(1)
NOSOGRAPHIE
Les troubles anxieux et les troubles dépressifs sont
deux entités bien individualisées dans les classifications
internationales (1, 3). Mais on peut aussi y trouver la
catégorie trouble anxieux et dépressif mixte.
Le DSM-IV (1) classe dans les troubles anxieux : le
trouble panique (sans et avec agoraphobie), l’agoraphobie (sans antécédent de trouble panique), la phobie
spécifique, la phobie sociale (trouble anxiété sociale), les
troubles obsessionnels compulsifs, l’état de stress posttraumatique, l’état de stress aigu, le trouble anxiété généralisée, le trouble anxieux du à une affection médicale
générale, le trouble anxieux induit par une substance
et les troubles anxieux non spécifiés. Il classe dans les
troubles dépressifs : l’épisode dépressif majeur (avec
épisode isolé ou récurrent), les troubles dysthymiques, le
trouble dépressif non spécifié et les troubles bipolaires.
La catégorie intermédiaire se trouve dans l’annexe
B du DSM-IV (1), sous la nomination de « trouble mixte
anxiété-dépression » et dans les autres troubles anxieux
de la CIM-10 (3) avec comme appellation « trouble anxieux
et dépressif ». Mais ce trouble existe-t-il vraiment ?
Sinon de quelle forme de comorbidité s’agit-il ?
EXISTENCE D’UN TROUBLE MIXTE
ANXIÉTÉ-DÉPRESSION ?
Ce trouble est défini par l’existence de symptômes anxieux et dépressifs sur une courte durée, d’au moins un
mois, alors que pour le diagnostic d’anxiété généralisée,
une durée d’au moins 6 mois est requise. En outre, ce
trouble doit être « sous le seuil » : le sujet ne doit ni présenter ni avoir dans ses antécédents, un trouble anxieux
caractérisé ou un trouble dépressif caractérisé. Enfin ce
trouble ne doit pas résulter d’un autre trouble mental et ne
doit pas être en rapport avec un trouble de l’adaptation.
L’existence de ce trouble a été démontrée lors d’une
étude « DSM-IV field trial » (13). Il s’agissait d’une étude
prospective chez 700 patients pour vérifier la pertinence de ce trouble sur le terrain. Les auteurs rapportent
l’existence de patients avec anxiété et dépression sous
le seuil diagnostique, à peu près aussi nombreux que
les troubles comorbides, c’est-à-dire que les troubles
associant anxiété caractérisée et dépression caractérisée. D’où la décision d’inclure le trouble mixte anxieuxdépressif dans l’appendice du DSM-IV.
Deux autres auteurs principaux ont confirmé l’existence de ce trouble. Le premier est Roy-Byrne en 1994
(7). Mais ici, les patients avaient en fait très souvent des
antécédents de trouble anxieux ou de trouble dépressif
et avaient reçu des traitements psychiatriques en rapport : on ne peut donc pas parler de trouble mixte. Le
deuxième auteur ayant soutenu l’existence de cette entité est Stein, en 1995 (8), qui rapporte 12,8 % de sujets
avec trouble mixte, dans une étude prospective chez 78
patients vus en médecine générale. Mais cette étude
a mélangé des critères diagnostiques de la CIM-10 et
des critères personnels, et d’autres auteurs n’ont pas
confirmé ces résultats.
On peut retenir quatre études qui vont à l’encontre de
l’existence de ce trouble. La première réalisée par Wittchen en 1993 (11), la Munich Follow-Up Study, retrouve
seulement 1 % de trouble mixte anxieux-dépressif selon
les critères de la CIM-10. Une revue des données épidémiologiques par ce même auteur en 2001 (12), selon les
critères du DSM-IV, conclut que ce trouble est rare, non
homogène et que son existence doit être discutée.
(1) CH Charles Perrens, 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux cedex.
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J. Tignol
La deuxième étude de suivi sur un an, a été réalisée
par Barkow en 2004 (2). Il a comparé quatre groupes de
patients souffrant de trouble mixte anxiété dépression
(85), dépressifs (496), troubles anxieux (296) et comorbidité anxio-dépressive (306). Le groupe trouble mixte
anxieux-dépressif est le seul à avoir un diagnostic instable à un an.
La troisième étude a été menée par Weisberg (9), à
partir des critères diagnostiques du DSM-IV sur 1 634
patients de médecine générale, suivis sur 6 et 12 mois.
Il rapporte 2 % de sujets avec trouble mixte anxieuxdépressif et ce petit nombre de patients a une rémission
dans 80 % des cas au bout d’un an.
La quatrième étude a été menée par Means-Christensen en 2006 (5), chez 65 patients de médecine générale présentant des symptômes anxieux et des symptômes dépressifs : 37 patients n’avaient aucun handicap
en rapport avec ce trouble. Or c’est l’existence d’un
handicap qui permet de déterminer la gravité, voire la
réalité, d’une maladie.
Le trouble anxieux-dépressif mixte est donc rare,
sinon inexistant. Les critères sont surtout des critères
d’exclusion : les symptômes sous le seuil sont soit des
prodromes de dépression ou trouble anxieux, soit plus
probablement des signes résiduels (d’une dépression
ou d’un trouble anxieux) qui peuvent être à l’origine de
complications et récidives ultérieures. À ce titre, le trouble mixte anxieux-dépressif doit être considéré comme
prodrome ou résidu d’une maladie qu’il faut traiter à
part entière.
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xieux préexistant. L’argument selon lequel les troubles
anxieux précèderaient la plupart du temps les troubles
dépressifs n’est pas suffisant pour en faire un facteur
causal. La principale conclusion qu’on puisse retenir
de cette étude américaine est que les troubles dits actifs (contrairement aux troubles en rémission) sont des
facteurs de risques d’une comorbidité dépressive.
Deux études prospectives (6, 10) ont rapporté que
les troubles anxieux étaient d’autant plus fréquents
que la dépression était persistante. Ils soulignent que,
dans 60 % des cas, la dépression est secondairement
associée à un trouble anxieux et que dans 30 % des
cas les troubles anxieux sont ensuite associés à une
dépression. L’étude de Wittchen, en 2003, (10) rapporte des éléments en faveur d’un lien de causalité entre
ces deux troubles. De jeunes patients âgés de 14 à
17 ans ont été suivis sur 5 ans ; à terme, les troubles
anxieux se sont accompagnés de troubles dépressifs
beaucoup plus souvent que les troubles anxieux ne
sont restés purs ; l’anxiété serait un facteur de risque
de dépression.
On peut retenir que les troubles anxieux augmentent le risque de persistance de la dépression, mais
l’inverse n’est pas vrai. Le trouble anxieux, (surtout
le trouble panique et le PTSD) augmente la sévérité
de la dépression et le risque de suicide, alors que la
dépression secondairement associée à un trouble anxieux augmente le handicap du trouble, surtout pour
le trouble anxieux généralisé et la phobie sociale. Il
faut donc retenir que la comorbidité aggrave le pronostic.
COMORBIDITÉ TROUBLES ANXIEUX / TROUBLES
DÉPRESSIFS
CONCLUSION
Il y a débat à propos de la coexistence trouble anxieux caractérisé et trouble dépressif caractérisé. Il y
a ceux qui pensent que ces deux pathologies peuvent
faire partie d’une seule entité et ceux qui les considèrent comme deux catégories indépendantes. Les
études sur cette comorbidité sont nombreuses : soit
en population clinique mais trop peu précises, avec
des biais de recrutement, soit en population générale,
transversales, et n’apportant pas d’information claire.
Cette comorbidité, et en particulier la succession
de ces deux troubles, a été abordée par une grande
étude américaine (National Comorbidity Survey) publiée par Kessler en 1994, répliquée en 2000 et republiée par le même auteur en 2003 (4). Cet auteur en
utilisant la notion de time lag (durée séparant l’apparition du 1er trouble de celle du trouble comorbide) rapporte que lorsqu’une dépression précède l’émergence
d’un trouble anxieux comorbide, ce dernier survient 3
à 6 ans après le début de la dépression ; par contre, la
dépression survient après 3 à 13 ans d’un trouble an-
Le trouble mixte anxiété-dépression n’existe probablement pas. Les symptômes sont à traiter comme un
trouble anxieux ou un trouble dépressif, ou les deux à la
fois, caractérisés, remplissant tous les critères diagnostiques, en sachant que le pronostic de cette association n’est pas très favorable. La dépression anxieuse de
l’école française est à rediscuter. Il s’agit plus sûrement
d’une dépression comorbide d’un trouble panique ou
d’un trouble anxieux généralisé, dont le risque suicidaire est élevé. La prise en charge ne doit pas se fixer
seulement sur la dépression mais aussi sur le trouble
anxieux.
La dépression complique souvent les troubles anxieux, d’autant plus qu’ils sont anciens et c’est souvent
à l’occasion d’une consultation pour dépression que
l’on peut faire le diagnostic de trouble anxieux. La prévention des troubles anxieux par une prise en charge
précoce, par exemple des enfants ayant un trouble
anxieux, en particulier une phobie sociale, permettrait
d’éviter un trouble dépressif secondaire.
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Anxiété-Dépression : données épidémiologiques et cliniques
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 681-683, cahier 3
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