TROISIEME PARTIE L'interaction ouverture économique - capital humain dans le processus de croissance 180 Cette partie s'intéresse à la possible complémentarité entre capital humain et ouverture économique. Plusieurs aspects de ces deux variables justifient une telle complémentarité. Comme l'a souligné Pissarides (1997), l'ouverture économique est certainement le cadre économique le plus à même de permettre une réallocation du capital humain vers les activités les plus productives. Ensuite, elle permet aux économies d'avoir accès aux nouvelles technologies produites à l'étranger, les autorisant ainsi à exercer leur capital humain et à connaître une plus forte croissance. On peut aussi ajouter à ces deux effets l'impact en terme de concurrence exercée par l'ouverture économique, incitant à une concentration du capital humain afin de faire face aux hausses de compétitivité nécessaires pour soutenir l'activité. Le chapitre I est consacré à la recherche systématique des caractéristiques de l'ouverture économique et du capital humain qui pourraient justifier l'existence d'une telle interaction. A cet effet, les différents canaux d'influence possibles de l'ouverture économique sur les performances économiques sont passés en revue et reliés aux caractéristiques en termes de capital humain des économies considérées. Plusieurs articles se sont déjà attelés à l'étude empirique de la complémentarité57, confirmant l'existence d'une interaction entre éducation et commerce positive pour la croissance. Cependant, ces études ne s'intéressent pas à différencier les différents canaux par lesquels une telle interaction pourrait affecter les performances économiques. Elles se contentent d'une représentation plus ou moins ad hoc du phénomène. Ce travail, et plus précisément le chapitre II, est donc consacré à la description et à l'estimation de différentes spécifications pertinentes pour l'étude de l'interaction capital humain - ouverture économique. Les modèles58 sont estimés sur une base de données de panel de long terme, couvrant une centaine d'années et dix pays de l'OCDE. Les résultats obtenus confirment l'existence d'une forte interaction entre éducation et commerce sur le long terme, cependant essentiellement pertinente pour expliquer le rattrapage technologique entre pays. Ce travail est ensuite complété par une étude de la stabilité des coefficients structurels en fonction de différents paramètres (chapitre III). Une telle étude répond au souci de prendre en compte les effets de seuil qui peuvent se manifester lorsqu'une complémentarité de facteurs est en jeu. Elle nous amène, finalement, à différencier l'impact de l'interaction éducation commerce en fonction du niveau de PIB par tête atteint par les pays et de l'accumulation de capital humain. 57 58 Voir, par exemple, Gould et Ruffin (1995), Levin et Raut (1997) et Berthélemy, Dessus et Varoudakis (1998) Empruntés à Feder (1983), Benhabib et Spiegel (1994), Levin et Raut (1997) et Dessus (1998) 181 182 Chapitre I: Justifications théoriques de la complémentarité entre capital humain et commerce Dans un article de 1998, Romain Wacziarg recensait et testait les différents canaux par lesquels le commerce était supposé affecter les performances économiques des pays. Il dénombrait cinq sources possibles de gains liés à l'ouverture économique: les économies d'échelle, les accroissements de productivité consécutifs à l’intensification de la concurrence, la diffusion technologique, les réallocations sectorielles efficientes, l’atténuation des distorsions économiques. L'objectif du développement qui suit est de reprendre ces différents aspects et de s'interroger sur les façons dont ils se conjuguent avec l'accumulation du capital humain pour influencer les chemins de croissance des économies. A. Les effets d’échelle: l'exemple du modèle de Romer (1990) Par définition, l'ouverture économique permet un agrandissement des marchés. En ce sens, elle est à l'origine d'une mise en commun des ressources, dont capital humain et connaissance font partie. Cette première piste trouve son illustration dans le modèle de Romer (1990) au sein duquel l’ouverture économique est assimilée à des flux d’intrants nécessaires à la production. L’intégration économique est alors vue comme une mise en commun de ressources productives susceptibles d’accroître le niveau de production. Dans ce qui suit, nous exposons le modèle de Romer (1990) et ses principales conclusions. L’ouverture économique étant insérée dans ce modèle de manière totalement ad hoc et ses effets peu approfondis, nous faisons ensuite appel aux modèles de Grossman et Helpman (1991) afin de déterminer les limites d’une telle représentation de l’économie. 1. Présentation succincte du modèle Le modèle de Romer (1990) présente une structure similaire à celui de Solow (1956) avec progrès technologique, mais il a pour qualité d’endogénéiser cette variable en prenant en compte un secteur de recherche-développement, sujet aux comportements de maximisation des agents. L’économie est caractérisée par trois secteurs. 183 Un secteur des biens intermédiaires utilisant les dessins produits par le secteur de la recherche pour produire les biens intermédiaires nécessaires à la production du bien final. Ces biens étant différenciés, ce secteur est régi par une concurrence monopolistique. Un secteur manufacturier dans lequel le bien final est produit à partir du travail, du capital humain et de biens intermédiaires dans un cadre de concurrence parfaite. Un secteur de recherche, dont les facteurs de production sont le capital humain et le stock de connaissance déjà existant et qui s’accumule au rythme suivant: ° A = δH A A (III.1) Où A représente le stock de connaissance et HA la quantité de capital humain employée dans le secteur de R&D. Romer (1990) boucle son modèle par la règle de Ramsey (1928), ce qui lui permet de déduire le taux de croissance de la consommation : ° C (r − ρ ) = C σ (III.2) où C représente la consommation, r, le rendement marginal du capital, ρ, le taux de préférence pour le présent et σ, l’élasticité de substitution de la fonction de consommation. Il déduit ensuite le taux de croissance de l’économie en supposant le cas où les taux de croissance des grandeurs sont constants. Ce faisant, il néglige la dynamique de transition au profit d’une perspective de long terme : ° ° ° ° C Y K A g= = = = = δH A C Y K A (III.3) HA étant une variable endogène, elle est déterminée par le modèle et peut être calculée en fonction des variables exogènes issues de la fonction de production et de l'utilité du consommateur, telle que: g= δH − λρ α , avecλ = σλ + 1 (1 − α − β )(α + β ) (III.4) Où α et β correspondent à la part du capital humain et du travail dans la fonction de production du bien final. Le taux de croissance est ainsi déterminé par le stock de capital humain présent dans 184 l’économie: une augmentation d’échelle, mesurée par un accroissement de H, entraîne automatiquement une accélération de la croissance. 2. Intégration économique, croissance et accumulation de capital humain Romer étudie cette question en comparant, de manière littéraire, la croissance obtenue par deux pays vivant en autarcie, et celle de ces mêmes économies après intégration. Le taux de croissance après intégration s’avère supérieur au précédent car le stock de recherche mondial se monte à 2H. En conséquence, il est toujours positif pour un pays, même fortement peuplé, de s’ouvrir au commerce international puisque c’est le niveau de capital humain qui détermine le dynamisme d’un pays. Ce résultat découle directement des hypothèses émises par Romer (1990): le taux de croissance étant dépendant d’une variable d’échelle, l’intégration économique, en tant qu’élargissement des frontières, aura toujours un impact positif sur le dynamisme du pays via l’augmentation du facteur clé (ici le capital humain, ou la quantité de connaissance disponible). Dans ce cadre, il existe une conjonction positive entre niveau de capital humain et ouverture économique puisque l’intégration économique est à l’origine d’un saut de sentier de croissance à un autre dont l’importance dépend de la quantité de capital humain accumulée par les économies en présence. Ce mode d’interaction a des propriétés particulières puisqu’il se présente comme un choc unique, générateur d’un saut de croissance. En effet, au moment de l’intégration économique, le taux de croissance se modifie de g(H) à g(2H), ce que l’on peut représenter par le schéma III.1. Schéma III.1 : effet de l’intégration en fonction du stock de capital humain g(2H) g(H) I* : date de l’intégration économique 185 La chaîne de causalité issue de l’interaction telle qu’elle a été mise à jour ici est la suivante: l’ouverture économique entraîne un accroissement en quantité du facteur accumulable générateur de croissance, qui, à son tour, est à l’origine d’un changement de sentier de croissance. Il n’y a donc pas de retour de la quantité de capital humain sur le niveau d’ouverture économique, ce qui invalide en partie le terme d’interaction. Il y a plus ici une conjonction d’effets qu’une réelle interaction entre les facteurs, ce résultat étant largement du au caractère unique et exogène de l’ouverture économique. Une dernière caractéristique de l’interaction entre ouverture économique et capital humain telle qu’elle découle du modèle de Romer (1990) concerne le processus de convergence qu’elle génère. En effet, dans ce cadre d’analyse, les pays ont non seulement toujours intérêt à s’ouvrir, mais ce sont les économies initialement les moins bien dotées en capital humain qui y gagneront le plus en termes de croissance. Les pays concernés par l’ouverture économique atteignent tous le même sentier de croissance, dont le niveau est déterminé par la somme des stocks de capital humain mis en commun quelles que soient les conditions initiales. 3. Limites et extensions possibles de cette approche Plusieurs hypothèses contraignantes limitent la portée du modèle de Romer (1990). D’abord, l’intégration est étudiée dans un cadre assez pauvre d’homogénéité parfaite des différentes économies considérées. L’harmonie qui découle du modèle de Romer (1990) n’est peut être finalement que le fruit de cette hypothèse de similitude des économies assez peu crédible si on la confronte à la réalité. Une telle hypothèse a, ainsi, pour caractéristique de gommer les conséquences de l’ouverture économique en terme de concurrence et de réallocations sectorielles. En ce sens, Romer (1990) envisage d'avantage le cas d’une économie qui du jour au lendemain aurait changé de taille que celui de deux pays préexistant se réunissant pour faire marché commun. De plus, Romer (1990) considère le phénomène d’ouverture économique comme un choc exogène qui n’entraîne pas de comportement stratégique de la part des agents. Et puis, surtout, il appréhende l’ouverture économique comme un phénomène dichotomique: les pays sont ouverts ou fermés, mais en aucun cas ne connaissent des degrés intermédiaires d’ouverture sur l’extérieur. Or il est certainement plus conforme à la réalité de supposer que les pays connaissent différents stades d’intégration. 186 Dans leur ouvrage de 1991, Grossman et Helpman tentent de généraliser les résultats mis à jour par Romer, ce qui leur permet de déterminer les conditions d’obtention d’une croissance économique soutenue par le taux d’innovation, ainsi que les hypothèses nécessaires à un impact positif du commerce extérieur. Reprenant le cadre conceptuel développé par Romer (1990), ils en font varier les hypothèses afin d’avoir une vision plus exhaustive de l’influence de l’ouverture économique. Ils en déduisent que le modèle de Romer (1990) met essentiellement en avant les gains d’échelle possibles lors de l’intégration économique, omettant l’impact en termes de concurrence et de restructuration que possède tout rapprochement d’économies hétérogènes. C’est précisément cet impact que Grossman et Helpman (1991) ont cherché à estimer en montrant qu’une ouverture économique ne se limitait pas à une liberté de flux de savoir, mais aussi à une recrudescence des flux de biens entre les pays. Or flux de biens signifie aussi pour l’économie intensification de la concurrence, transmissions technologiques et processus de spécialisation… Les travaux de Grossman et Helpman (1991) concernant les conditions d’un impact positif de l’ouverture économique sur la croissance nous ouvrent donc la voie à l’étude de modèles plus spécifiques se focalisant, soit sur l’aspect intensification de la concurrence, soit sur les échanges de technologies, ou encore, sur les réallocations sectorielles. B. Ouverture économique et concurrence entre les pays L’ouverture économique entraîne un accroissement de la concurrence pour les producteurs nationaux. Un tel effet ne doit pas manquer de générer des changements profonds au sein des économies afin que les entreprises puissent s’adapter et survivre sur le nouveau marché créé. Les modèles présentés ci-dessous étudient les restructurations qui ont lieu et les conditions dans lesquelles la concurrence s’avère être bénéfique pour l’économie. Selon le modèle de Feder (1983), la concurrence incite les entreprises nationales à accroître leur productivité, ce qui apparaît toujours positif en termes de croissance. Rajhi (1995) a une vision moins harmonieuse de ces effets puisqu’il conditionne l’impact de la concurrence au degré de compétitivité des pays qui s’ouvrent. Enfin, Krugman (1987) va plus loin dans cette relativisation des effets de la concurrence en montrant que dans certains cas la concurrence est trop forte pour être soutenue et mène à la fermeture des entreprises moteur de la croissance, handicapant de manière permanente le pays concerné. 187 1. Le modèle de Feder (1983): la concurrence internationale, une incitation à la hausse de productivité Comme déjà explicité lors de la première partie de ce travail, c'est par le biais d'une hausse de productivité que l'ouverture économique est influente sur le taux de croissance économique au sein du modèle de Feder (1983). a. Le modèle: L’économie est constituée de deux secteurs, un secteur produisant un bien exporté et un autre se concentrant uniquement sur le marché domestique. L’hypothèse fondamentale du modèle est que le secteur protégé bénéficie des améliorations de productivité permise par l’ouverture économique. Cette externalité positive est modélisée par le biais d'une technologie de production fonction du volume des exportations. N = F(Kn,Ln,X) (III.5) X = G(Kx,Lx) (III.6) Où N et X sont les deux biens produits - domestique et exporté -, K et L les facteurs de production - capital et travail. Le secteur du bien exporté est supposé être systématiquement plus productif que l’autre secteur, d’un coefficient constant δ: (Gk/Fk) = (GL/FL) = 1 + δ (III.7) Cette hypothèse correspond à l’idée que le secteur exportateur se trouve confronté à une concurrence plus intense que le secteur protégé, ce qui l’incite à rechercher les gains de productivité pour sans cesse abaisser les prix et gagner des parts de marché. La différenciation des équations technologiques (III.5) et (III.6) donne: ° ° ° N = Fk I n + FL L n + Fx X ° ° (III.8) X = Gk I x + GL L x 188 ° ° ° Or, Y = N + X , ce qui nous permet de déduire, en appelant I et L respectivement la somme du capital et du travail des deux secteurs: ° ° ° δ Y = Fk I + FL L+ ( + Fx ) * X 1+ δ (III.9) Si l’on suppose une relation linéaire entre productivité marginale du travail et quantité moyenne de production par travailleur et si l’on pose une productivité marginale du capital constante, on obtient finalement: ° ° ° Y I L X X δ =α + β + ( + Fx ) * * Y Y L 1+ δ X Y (III.10) Ainsi, le taux de croissance de l’économie dépend du différentiel de productivité entre le secteur d’exportation et le secteur protégé pondéré d’un indicateur d’ouverture économique et du facteur d’externalité technologique (Fx). b. Interaction capital humain, ouverture économique et extensions du modèle de Feder (1983): Le modèle de Feder (1983) suggère ainsi l'existence d'une interaction éducation - commerce qui peut nous aider à comprendre l'impact de l'ouverture économique sur la croissance. C’est d’ailleurs à partir d’une spécification similaire que Levin et Raut (1997) ont basé leurs tests d’une complémentarité entre part des exportations dans le PIB et éducation. Leur argument est le suivant: l’amélioration de la productivité nécessitée par l’ouverture économique ne peut avoir lieu que si l’économie est caractérisée par un certain niveau de capital humain, celui-ci étant la condition sine qua non pour pouvoir entreprendre les restructurations menant à une meilleure compétitivité. En définitive, plus les travailleurs du secteur exposé à la concurrence sont qualifiés, plus ils sont à même de faire face aux changements technologiques nécessaires au maintien d'une bonne compétitivité, et plus les gains de productivité enregistrés lors d'une augmentation du degré d'ouverture sont importants. Ainsi, Levin et Raut (1997) en viennent à définir la productivité globale des facteurs de la manière suivante: A = B [1 + η0 + η1 H (X/Y)] Xθ (III.11) Où H est le niveau de capital humain présent dans l'économie, X, les exportations et X/Y, la part des exportations dans le PIB. 189 Le modèle de Feder (1983) augmenté est intéressant pour étudier l’interaction entre l'ouverture économique et le capital humain car il remédie à certains défauts du modèle de Romer (1990). Il met notamment fin à la vision dichotomique d’un modèle qui ne conçoit qu’une autarcie complète ou une parfaite intégration des économies. Il suppose, en effet, une progressivité de l’ouverture économique: moins les secteurs exportateurs sont abrités, plus ils deviennent productifs et transmettent cette productivité au reste de l’économie. De plus, il s’intéresse à la fois à l’effet direct de l’ouverture économique sur le secteur exposé, mais aussi aux externalités positives qui en découlent pour les autres secteurs et aux réallocations sectorielles. Cependant, le cadre théorique de Feder (1983) est partiel, il laisse dans l’ombre les décisions des agents pour ne considérer que l’aspect macroéconomique de l’interaction entre ouverture économique et capital humain. Il ne s'intéresse pas non plus aux caractéristiques des pays qui s'ouvrent au commerce extérieur. Ce dernier apparaît positif pour les économies qui s'y adonnent quelque soient leur niveau de productivité initial. Enfin, le problème des entreprises qui ne sont pas assez compétitives pour survivre n'est pas du tout abordé. 2. Le modèle de Rajhi (1995): la concurrence entre pays à niveaux technologiques différents Rajhi (1995) construit son modèle par opposition aux modèles de croissance endogène et à leur hypothèse d’homogénéité des pays, tout en conservant en partie le cadre théorique du modèle de Romer (1990). Son idée est que lorsque les pays sont fortement hétérogènes notamment en termes de coûts marginaux des entreprises - l’intégration peut avoir des impacts différenciés selon les économies, et même être à l'origine d'effets négatifs. L'intérêt d'une telle approche réside dans le choix que fait Rajhi de considérer l’hétérogénéité sous l’angle de la technologie qu'il est possible, à son tour, de rapprocher du degré de qualification d’un pays et donc du dynamisme de son secteur de R&D ou de son stock de capital humain. Ainsi, suivant l’avancée technologique d’un pays, ses coûts de production seront plus ou moins élevés et le différencieront des autres pays. Au moment de l’intégration, les entreprises les moins compétitives du marché global disparaîtront, entraînant le pays à l’origine le moins dynamique sur un sentier de croissance plus élevé mais, en même temps, freinant le pays leader. 190 a. énoncé du modèle: Rajhi ajoute au modèle de Romer (1990) une hypothèse d’hétérogénéité des firmes au niveau national et international liée à des coûts marginaux distincts. Chaque firme détient une technologie de production plus ou moins performante: on suppose que leurs coûts marginaux sont répartis selon une loi uniforme sur [1 − δ ,1 + δ ]. Pour entrer sur le marché, les entreprises doivent avoir un profit positif. Sachant qu’elles ne connaissent pas leur coût marginal avant l’entrée effective sur le marché, c’est leur espérance de profit qu’elles prennent en compte: 1+ δ E (π ) = ∫ π (v ) f (v )dv ≥ 0 1− δ (III.12) Avec: - f(v), fonction de répartition du coût marginal et donc, f = 1/2δ - π(v) est le profit d’une entreprise monopolistique A l’équilibre, lorsque tous les ajustements sont faits, le taux d’intérêt vérifie l’équation de profit nulle, ce qui nous permet de déduire le niveau du taux d’intérêt: r* = c(α)f-αϕ(δ)α avec ϕ, fonction croissante de δ (III.13) Le modèle de Rahji entre dans le cadre défini par Ramsey (1928), le taux de croissance est donc spécifié de la manière suivante: g= c(α ) f −α ϕ (δ ) α − ρ σ (III.14) g est finalement défini comme une fonction croissante de δ : plus le degré d’hétérogénéité est important, plus le seuil de coût marginal à l’entrée sur le marché est bas - marché plus sélectif - et donc, plus il est difficile pour une entreprise d’être viable. Les entreprises qui parviennent à entrer sur le marché sont donc particulièrement efficaces, ce qui incite à une augmentation du taux de croissance. 191 b. Conséquences de l’ouverture économique dans ce cadre: L’intégration économique a pour conséquence de resserrer la contrainte technologique de l’économie la moins compétitive et de desserrer celle du pays le plus compétitif car le seuil d’efficience des entreprises, après intégration, se situe entre ceux des deux économies qui se partagent le marché global. Ainsi, le pays anciennement le plus compétitif perd en terme d’efficience - et donc en terme de croissance -, alors que le moins compétitif est obligé de relever son niveau de productivité. Parallèlement, alors que le pays le plus productif connaît de nombreuses créations d’entreprises en réponse à l’abaissement du seuil de productivité, le pays suiveur est le théâtre de faillites, et donc d’une augmentation du chômage. L'ouverture économique a finalement un impact sur la croissance qui dépend fortement du niveau technologique des pays qui s'ouvrent l'un à l'autre. Cet aspect est intéressant en ce qui nous concerne puisqu'il justifie l'existence d'une interaction entre ouverture économique et capital humain - si on relie niveau technologique et stock de capital humain - au cours du processus de croissance. Cette interaction est similaire à celle évoquée dans le cadre du modèle de Romer (1990), elle se présente sous la forme d'une hétérogénéité des conséquences de l'ouverture économique sur les performances des pays selon le niveau technologique atteint par ceux ci. Mais alors que chez Romer (1990) les deux pays bénéficiaient de l'intégration économique - bien que le pays initialement le moins bien doté en capital humain y gagnait plus -, le pays le plus avancé du point de vue de la technologie voit son taux de croissance freiné dans le cadre théorique de Rahji (1995). Réciproquement, le pays originellement le moins bien doté en technologie se voit, lors de l'intégration, tirer par le pays le plus développé. Malgré cette différence, les deux cadres d'analyse mènent à un processus de convergence entre les pays. Quelque soient les conditions initiales caractérisant les économies, l'intégration leur permet, après ajustements, de partager les mêmes taux de croissance. Ce processus se fait chez Romer (1990) par un saut des deux pays sur le même sentier de croissance, le pays le plus en retard initialement enregistrant un bond plus important que l'autre. Chez Rajhi (1995), le processus en cours relève de la mise à niveau des pays. 192 Schéma III. 2: comparaison des conséquences d’un choc d’ouverture économique selon le modèle considéré Pays A et B après intégration Pays A A et B après intégration Pays A Pays B Pays B I * Le saut sur un nouveau sentier de croissance (modèle de Romer, 1990) I* Nivellement des pays (modèle de Rajhi, 1995) Cependant, le modèle de Rahji (1995) est contraignant à deux niveaux. Reprenant le cadre théorique de Romer (1990), il en partage les inconvénients. Il suppose notamment des ajustements uniques dans l'histoire du pays puisque l'ouverture économique est vue comme un processus indivisible. Surtout, il suppose une concurrence absolue et parfaite: toutes les entreprises sont supposées s'ajuster au cadre institutionnel, disparaître si elles ne sont pas assez productives, perdurer sinon. Aucun frottement n'est envisagé: pas de résistance à la disparition des entreprises, pas de perte productive car l'intégration est parfaite et permet aux deux pays de créer un marché commun. En ce sens, il conserve une vision harmonieuse de l'ouverture économique, qui, de manière similaire au modèle de Romer (1990), est à l'origine d'un processus de convergence entre les pays. Il serait pourtant intéressant d'essayer d'atténuer l'aspect systématique d'un tel modèle en supposant un coût économique lié à la disparition des entreprises comme le fait Krugman (1987) dans son modèle de learning by doing. Cette hypothèse met fin, comme nous allons le voir, à la vision harmonieuse du processus d'intégration économique et donne une nouvelle profondeur à la notion d'interaction entre capital humain et ouverture extérieure. 193 3. Le modèle de disparités de Krugman (1987) La disparité entre pays entraînait, dans les modèles précédents une divergence de dynamique d'ajustement au processus d'ouverture économique, mais une similarité de destins entre les économies concernées. Les conséquences des disparités entre pays sont encore accentuées lorsque la connaissance n’est plus considérée comme un bien non rival et gratuit, mais comme un facteur spécifique. C’est ce que souligne Krugman dans un article de 1987 en supposant chaque entreprise caractérisée par un processus de learning by doing. a. énoncé du modèle: Le modèle repose sur une hypothèse d'accumulation du savoir par les entreprises, ce qui leur permet d’être de plus en plus productives au fur et à mesure du développement de leurs activités. Cette hypothèse a pour corollaire des avantages comparatifs variants dans le temps, contrairement à la théorie traditionnelle du commerce qui les considérait comme déterminés par les caractéristiques intrinsèques, stables de l’économie. Pour cela, Krugman (1987) suppose un monde composé de deux pays. Chaque pays produit n biens à l’aide du seul facteur travail selon une technologie de production à rendements constants. Au niveau agrégé, il existe, cependant, des rendements croissants dus à la propagation de la connaissance à la fois entre entreprises et par le biais du commerce. Xi(t) = Ai(t) Li(t) avec Ai(t) = Ki(t)ε et Ki(t) = ∫[Xi(z) + δxi(z)] dz (III.15) i = 1....n Xi étant la production nationale du produit i et xi celle du pays alternatif, Li , le travail, Ai la productivité globale des facteurs associée à la production du bien i et K, un indice de connaissance dépendant à la fois des quantités produites au niveau national et à l’étranger. Au fur et à mesure qu’elles produisent, les entreprises accumulent du savoir qu’elles partagent, sans le savoir, avec les autres entreprises – nationales et étrangères selon le taux δ. Cette externalité liée à la connaissance détermine ensuite leur productivité globale (par le biais de A). En conséquence, lors de l’ouverture économique, les deux pays peuvent être caractérisés par des entreprises aux niveaux de productivité très différents. Les moins compétitives - qui correspondent aux entreprises où le mécanisme d’apprentissage est prépondérant - disparaissent. Or, le progrès technique et la croissance reposent sur le savoir 194 faire accumulé dans ces entreprises, ce qui signifie que l’ouverture économique peut entraîner une chute de la croissance si elle s’opère lors de la phase d’apprentissage des entreprises. De plus, en l’absence d’un choc externe, la spécialisation d’un pays, une fois déterminée, reste inchangée. Elle se renforce elle-même par le biais des hausses de productivité qu’elle génère, ce qui permet à Krugman (1987) de conclure à un rôle essentiel de l'histoire dans la détermination des chemins d’expansion de long terme des économies. Dans ce cadre, une politique temporaire de protection pourrait être optimale car elle permettrait aux pays d’accumuler le savoir faire nécessaire à leur compétitivité. b. L'interaction capital humain - ouverture économique Ce qui est intéressant dans ce développement, et qui rejoint les modèles de Lucas (1988) et d’Azariadis-Drazen (1990), est qu’il montre que l’ouverture économique peut être à l’origine d’équilibres multiples liés aux niveaux de capital humain accumulés dans les entreprises au moment de l’intégration économique. Cette convergence de conclusion avec des modèles de structure tout à fait différente est fortement liée à la réintroduction - par rapport au modèle de Romer (1990) - d’une spécificité des rendements de la connaissance. Ainsi, un pays dont les entreprises n’auraient pas eu le temps d’accumuler suffisamment de savoir faire au moment de son ouverture au reste du monde se trouverait désinciter à prolonger les activités non suffisamment productives et aurait donc tendance à limiter son investissement en capital humain. Ce qui nous montre qu’une interaction fort liant capital humain (ou savoir-faire) et ouverture économique peut être très stimulante pour le pays alors que l’association faible capital humain / intégration économique peut le mener à un piège de pauvreté. Du point de vue qui nous intéresse, un tel résultat nous permet d'approfondir la notion d'interaction entre capital humain et ouverture économique telle qu'elle a été considérée jusqu'à présent. Que ce soit dans le cadre du modèle de Romer (1990) ou dans celui de Rajhi (1995), la conjonction de l'intégration économique et d'un certain niveau de capital humain déterminait le taux de croissance de l'économie de manière linéaire: plus les pays en présence s'avéraient éduqués, plus ils avaient de chance d'enregistrer un fort taux de croissance après ouverture. De même, les processus en vigueur menaient systématiquement à une convergence des taux de croissance entre les pays. La nouveauté issue du modèle de Krugman (1987) est d'introduire une non linéarité dans le processus d'intégration économique liée à la quantité de capital humain détenue par les pays. A différents niveaux de capital humain ne sont pas 195 seulement associés différents niveaux de croissance de manière proportionnelle, mais la possibilité d'entrer dans un cercle vertueux d'expansion ou un cycle de pauvreté. L'approche de Krugman (1987) reste, quoi qu'il en soit, partielle puisqu'elle néglige la réciprocité des échanges de savoir entre pays. Si, en effet, l'ouverture économique entraîne une perte de capital humain lié à l’interruption du processus de learning by doing, elle peut aussi favoriser l'apport de technologies étrangères, et donc permettre implicitement l'importation de capital humain. Il se pourrait alors que le capital humain importé compense la perte due au dépérissement de certaines activités et devienne un relais pour la croissance économique. C'est sur cet apport extérieur de technologie que ce sont focalisés les modèles de diffusion technologique exposés ci dessous. C. La diffusion technologique L’ouverture économique, dans sa dimension commerce, permet la transmission des technologies des pays les plus avancés aux PVD. En ce sens, le commerce est vecteur de convergence. Cependant, cet effet n’est effectif que si les pays demandeurs ont les ressources suffisantes pour parvenir à imiter ou adapter les technologies qui leur viennent de l’étranger. Une de ces ressources est certainement le capital humain comme nous le montre le modèle de Pissaridès (1997). Cependant, la relation capital humain, commerce de technologies, imitation et adaptation au système local n’est peut être pas directe ou linéaire. Dans cette optique, Pautrel (1997) émet l'hypothèse d'un seuil de capital humain en deçà duquel l’écart technologique avec le pays innovateur est trop important, ce qui constitue un facteur limitant à l’activité d’imitation. 1. Le modèle d'imitation de Pissaridès (1997) L’article de Pissaridès (1997) débute sur le constat d'un paradoxe du commerce international: contrairement à la théorie, l'ouverture économique entraîne un accroissement (et non un amenuisement) des inégalités salariales dans les PVD. Pourtant, la conception commune du commerce nord-sud voudrait que les pays industrialisés se spécialisent dans l'exportation des biens de qualité supérieure, alors que les pays du sud aurait la prééminence sur l'exportation 196 des matières premières, ou des biens à la technologie peu évoluée. Par conséquent, le commerce devrait être associé, pour les PVD, à une augmentation de la demande de main d'œuvre non qualifiée, entraînant un rapprochement entre les salaires des qualifiés et des non qualifiés. Le modèle de Pissaridès (1997) essaye, précisément, de discuter des canaux d'influence qui pourraient justifier l'existence du phénomène inverse. Une des explications possibles pourrait être que l'imitation est plus aisée lorsque les économies innovantes et imitatrices sont liées par le commerce. Le commerce serait alors vu, non plus seulement comme un catalyseur des spécialisations, mais aussi comme un média de technologies. a. Le modèle L'intuition du modèle Le progrès technologique résulte d'un secteur de R&D qui utilise une main d'œuvre qualifiée comme facteur de production - secteur que l'auteur interprète dans un sens large de manière à y inclure les activités d'imitation. Les industries du nord sont supposées produire à partir des méthodes les plus avancées et ne peuvent accroître leur productivité qu'en entretenant un secteur de R&D orienté vers la découverte de nouveaux processus de production. Par contre, les producteurs des PVD sont loin d'utiliser des technologies hautement évoluées. Pour eux, il est moins cher de copier les technologies déjà existantes que d'essayer d'innover. Leur secteur de R&D s'applique donc à imiter les nouveaux processus mis à jour dans le nord. Dans ce cadre, le commerce international accélère l'activité de recherche au sens large: d'une part, il favorise l'imitation en mettant à disposition du sud les technologies de pointe à copier, d'autre part, il intensifie la concurrence nord-sud, ce qui incite les pays du nord à innover. Hypothèses Pissaridès (1997) reprend au modèle de Grossman et Helpman (1991) l'idée que le niveau technologique dans les pays du nord s'apprécie au rythme de la recherche et que celui des pays du sud - beaucoup plus bas que le précédent - dépend d'une activité d'imitation bon marché. Pour simplifier le modèle, la technologie du nord est supposée être indépendante de celle du sud, ce qui permet de considérer le comportement du nord comme exogène. Le taux de croissance technologique du nord est notamment supposé croître au taux exogène g. La 197 technologie d'imitation dans le sud dépend du volume des innovations produites dans le nord, et qui n'ont pas encore été imitées selon l'équation d'accumulation suivante: ° B A = λφ ( ) H B B B (III.16) Avec φ une fonction homogène, croissante et concave, A, le nombre de variétés connues dans le nord et B, le nombre de variétés déjà copiées par le sud. HB représente le capital humain alloué à l'imitation. Cette spécification signifie que l'imitation ne dépend pas seulement du nombre d'innovations produites dans le nord et restant à imiter, mais aussi de la quantité de capital humain allouée à cette recherche et du nombre d'imitations ayant déjà eu lieu. Puisque le travail est un input fixe, le taux de croissance de la production est tiré par celui des imitations. Au steady state, B croit forcément au même taux que A, soit g. Ainsi, les économies du nord et du sud croissent au même taux. Mais, durant la période d'ajustement succédant à la libéralisation économique, ces taux peuvent diverger. Le modèle est constitué de deux autres secteurs: un secteur manufacturier et une entreprise monopolistique productrice d'un bien intermédiaire. A la suite de Rivera-Batiz et Romer (1991), la technologie de production qui caractérise le secteur manufacturier combine trois facteurs de production, le travail non qualifié (L), le capital humain (H) et les biens intermédiaires différenciés (x(i)) de la manière suivante: B Y = H Yα Lβ ∫ x(i )1−α − β di 0 (III.17) La production d'une variété i de bien intermédiaire ne peut être effectuée que par une seule entreprise monopolistique: celle qui est parvenue à imiter ce bien et détient un brevet sur sa fabrication. Ensuite, cette entreprise vend ce bien intermédiaire à l'entreprise manufacturière en fonction de la demande inverse (du prix) que celle-ci lui propose. Résolution L'étape clé de la résolution du modèle correspond à une allocation du capital humain entre les deux activités telle que les rendements s'égalisent. De cette condition, Pissaridès (1997) déduit 198 le capital humain nécessaire au secteur manufacturier: HY = αr (α + β )(1 − α − β )λφ ( A / B) (III.18) La seconde équation lui permettant de déterminer l'équilibre correspond à la fonction d'accumulation des technologies, c'est à dire à (III.16) prise au steady state et dans laquelle HB est remplacé par son complémentaire (H-HY): λ φ (A / B) (H - HY) – g = 0 (III.19) A/B SS T E HH HY Schéma III.3: détermination de l'équilibre dans le modèle de Pissarides (1997) SS correspond à la condition d'égalité des taux de croissance dans les deux économies, tandis que HH représente l'égalisation des rendements du capital humain dans les deux activités qui l'engagent. Ces deux équations déterminent un niveau unique de capital humain, ainsi qu'un ratio unique de technologies. b. L'impact du commerce extérieur, interaction avec la quantité de capital humain accumulée Le commerce intervient, dans ce modèle, par le biais d'un élargissement du nombre de technologies produites par le nord, et connues par le sud. Or, un accroissement de A (qui se concrétise sur le graphe par un saut en T), s'il a une influence sur le nombre B d'imitations 199 dans le sud, n'a aucun impact sur les taux de croissance d'équilibre: un pays qui commerce possède un niveau plus élevé de technologie, un rendement absolu du travail plus grand, mais le même taux de croissance et les mêmes rendements relatifs du travail qu'un pays fermé. Le mécanisme en action est le suivant: l'augmentation de A entraîne un accroissement des rendements de l'imitation et donc, une réallocation du capital humain du secteur manufacturier vers le secteur de R&D. Ces gains ne sont pourtant que temporaires. Quand une fraction suffisante de technologies est copiée, le rendement de la technologie chute et les ressources en capital humain rejoignent le secteur manufacturier. L'ouverture apparaît ici comme un choc qui, pour un temps, dynamise la croissance de l'économie imitatrice. Cet effet n'est, cependant, que temporaire puisque, une fois les technologies disponibles au Nord imitées et intégrées par le Sud, le taux de croissance de ce dernier retombe au niveau précédent. Il faut cependant remarquer que les activités d’imitation ne sont rendues possibles dans un tel modèle que par la présence d’un capital humain susceptible de les prendre en charge. A la limite, si le capital humain de l’économie en question est nul, aucune imitation n'est entreprise et le taux de croissance ne peut décoller de 0. Au contraire, plus un pays est caractérisé par des ressources abondantes en capital humain, plus cette main d’œuvre se mobilise pour les activités d’imitation. Finalement, si on part d’une situation dans laquelle A est nul - parce que les pays sont fermés et que, donc, le commerce ne peut pas jouer son rôle de média de technologies -, et que l’on suppose une ouverture extérieure sous la forme d’un accroissement de A, la hausse de croissance attendue dépend de la quantité de capital humain présente dans l’économie. Cependant, cette interaction capital humain – ouverture extérieure n’est que temporaire dans le sens où l’activité d’imitation ne génère de croissance que jusqu’à convergence du taux de croissance de l’économie imitatrice avec g. Ensuite, tout choc sur A entraîne une hausse momentanée du taux de croissance de l’économie imitatrice qui ne s’éloigne pourtant jamais durablement de g. Nous retrouvons donc une interaction entre capital humain et ouverture économique mais dont l'impact ne s'avère effectif que sur le court terme. Finalement, si de manière identique au modèle de Romer (1990), l’ouverture économique a un impact sur la croissance qui dépend du niveau de capital humain accumulé par l’économie, l’interaction liée au phénomène d’imitation diffère de celle générée par les effets d’échelle pour deux raisons. Contrairement à l’aspect permanent du gain lié à l’intégration économique dans le cas d’économies d’échelle, l’interaction capital humain - ouverture extérieure liée aux activités d’imitation n’affecte les performances économiques qu’à court terme. De plus, 200 l’interaction permise par le modèle de Pissaridès (1997) est réciproque, elle ne se limite pas à une conjonction de facteurs. Ainsi, si la quantité de capital humain présente dans le pays influence l’impact de l’ouverture économique sur le taux de croissance de court terme, l’intégration économique permet symétriquement une réallocation du capital humain vers les secteurs porteurs de croissance. Elle entraîne, de ce fait, une hausse temporaire de productivité du capital humain. Cependant, l’aspect systématique d’un rattrapage technologique par le biais des activités d’imitation a été largement remis en cause notamment par les défenseurs de la notion de technologie appropriée. Selon Basu et Weil (1996), en effet, il est certainement plus réaliste de supposer que les pays n'utilisent pas tous les mêmes technologies et que certaines technologies sont plus appropriées que d'autres à l'appareil de production local. Dans son modèle, Pautrel (1997) adopte une notion similaire qu'il relie à l'écart technologique entre pays. Il intègre ce concept de technologie appropriée à un modèle à la Romer (1990) pour en déduire les conséquences en termes d'ouverture économique. 2. Le modèle de Pautrel (1997) et les limites liés aux écarts technologiques Pautrel (1997) développe un modèle d'innovation endogène dans lequel l'accumulation de nouvelles variétés d'intrants est favorisée par le savoir incorporé dans les équipements utilisés dans la production finale. Ainsi, les équipements importés génèrent des externalités car ils permettent, simultanément, d'augmenter les capacités de production et de créer des connaissances utiles au développement technologique par le biais de leur utilisation. Pautrel se situe dans un cadre d'écart de productivité entre les variétés domestiques et étrangères, et en déduit un impact positif de l'ouverture extérieure. Pourtant, dès qu'il introduit une nécessité d'adaptation des technologies étrangères, cet impact peut devenir négatif si l'écart technologique est trop important et le capital humain, censé adapter les innovations, trop faible. Cette hypothèse permet de supposer que la structure et l'orientation des échanges jouent un rôle. La diffusion de la technologie n’apparaît plus alors comme un phénomène systématiquement positif, mais à conditionner au niveau technologique atteint par les pays et à la nature des technologies échangées. 201 a. Le modèle théorique d'une petite économie ouverte Hypothèses Pautrel (1997) reprend la structure du modèle de Romer (1990). Il se distingue de cette représentation en supposant que les activités de recherche reposent sur l'imbrication entre le secteur manufacturier et le secteur d'innovation. Ce sont les impératifs productifs qui dictent la création de nouvelles technologies, et ceci par le biais du savoir que l'utilisation de nouvelles variétés génère. Seules les variétés importées sont supposées être à l'origine des effets d'apprentissage. L'économie importe différentes variétés de biens d'équipement étrangers qui ont toutes la même productivité, elle exporte son bien final et les biens d'équipement qu'elle produit ne sont pas échangés (car ils sont moins performants que leurs homologues étrangers). Notons que dans ce cadre d'analyse, il n'y a pas de diffusion internationale immatérielle du savoir, c'est à dire non incorporée. Les connaissances générées dans la production sont spécifiques à l'économie productrice et le savoir incorporé dans les équipements ne se diffuse que par l'utilisation de ces biens. L'importation d'équipements et la technologie appropriée Pautrel (1997) suppose un cadre où l'écart technologique est néfaste pour l'adaptation des techniques. Il s'éloigne ainsi d'une conception dans laquelle l'économie en retard bénéficie toujours de la diffusion. Pour intégrer cette dimension néfaste de l'écart technologique à son modèle, il suppose que plus la différence de productivité entre équipements domestiques et équipements étrangers est importante, plus les ressources à mobiliser pour l'adaptation doivent être conséquentes. Ainsi, l'importation d'équipements productifs étrangers a deux effets opposés: un effet progrès technique lié au mécanisme d'apprentissage et un effet de substitution de ressources lié à la nécessité d'adapter les technologies importées. De manière à intégrer cette nouvelle dimension, Pautrel (1997) suppose un coût d'adaptation des équipements étrangers proportionnel à l'écart de productivité. Il intègre ce coût au coût d'importation. Conclusions du modèle Pautrel (1997) déduit un taux de croissance qui ne dépend pas forcément positivement de 202 l'écart technologique: si l'économie domestique possède un stock de capital humain suffisamment important, les réallocations de ressources en faveur de l'activité d'adaptation des technologies ne seront pas contraignantes pour la croissance économique. Par contre, si l'économie ne possède pas un stock de capital humain suffisamment important, la différence de productivité n'aura un impact positif sur la croissance que si cette différence est inférieure à un certain seuil. Ce seuil, au dessus duquel les effets réallocations dépassent les effets progrès technique dépend de la quantité de capital humain présente dans l'économie. b. L’interaction capital humain - ouverture extérieure L'interaction entre le capital humain et les importations de technologies apparaît de nouveau essentielle pour expliquer les performances économiques des pays, et ceci, pour deux raisons différentes. Comme précédemment, l'adaptation des ressources héritées de l'étranger ne peut se faire correctement si la capacité en capital humain de l'économie est trop faible. Mais, en plus de cet effet, le modèle de Pautrel (1997) introduit une hypothèse d'écart technologique contraignant: l'écart de technologie entre les pays, qui dépend du stock de capital humain accumulé par le pays, peut empêcher l'économie importatrice de profiter du savoir incorporé auquel elle a accès par le biais du commerce d'équipements. Les rendements de l'ouverture économique dépendent ici doublement du stock de capital humain accumulé par le pays: ce dernier détermine la capacité de l'économie à réallouer ses ressources en faveur de l'activité d'adaptation des technologies, il délimite aussi l'écart technologique maximal au delà duquel le différentiel de technologie entre les pays n'a plus d'effets entraînant, mais contraint la croissance. Ces conclusions rejoignent le message de Krugman (1987): l'idée que le commerce puisse intervenir de façon identique dans le chemin d'expansion de différents pays n'est pas crédible. La théorie économique se doit d’intégrer l'histoire comme un déterminant à part entière des choix économiques: les caractéristiques acquises des pays (comme le stock de capital humain accumulé) orientent non seulement directement l'évolution d'une économie, mais altèrent aussi l'influence des autres variables de contrôle (ici, l'ouverture économique). Il n'est, alors, plus possible de déduire directement l'impact de l'ouverture économique sur un pays sans connaître les fondamentaux de son économie. Suivant ces derniers, l'économie s'engagera sur des sentiers de croissance, si ce n'est divergents, en tous cas différents. 203 D. Les réallocations sectorielles Cet aspect de l’ouverture économique relève pleinement de la théorie du commerce international qui prévoit comme gains essentiels, statiques à l’échange la spécialisation des pays en fonction de leurs avantages comparatifs respectifs. Alors que Romer (1990) s’intéressait à des pays similaires que seule la taille pouvait départager, Grosman et Helpman (1991) s’attellent à la tâche de rechercher l’impact du commerce dans le cas où les pays sont dissemblables. Dans ce cas, les divergences entre pays vont faire que chacun va se spécialiser dans une activité différente. Afin de tester cet effet, Grossman et Helpman (1991) s’attachent à l’étude des conséquences d’un accroissement de ressources du niveau de dotation initial du pays jusqu’au niveau de dotation mondiale. L’intégration économique est alors assimilée à une variation des stocks de facteurs de production. Reprenant un cadre à la Romer (1990) dans lequel la R&D est moteur de la croissance, les auteurs en déduisent qu'une augmentation de l’offre du facteur utilisé le moins intensivement dans le secteur de R&D - cas lorsque le pays considéré entre en relation avec un partenaire mieux équipé dans ce facteur - peut mener à un ralentissement du taux d’innovation de long terme puisque ce sont les activités qui utilisent intensivement le facteur favorisé qui sont encouragées. Le secteur de R&D peut alors se rétrécir malgré les gains de productivité qui résultent des retombées internationales de la connaissance. Réciproquement, le pays possédant en abondance le facteur nécessaire à la production de la connaissance verra sa position de leader technologique se renforcer lors de l’intégration économique. Sans même faire appel à la notion d'avantage comparatif, déjà explicitée lors de l'exposé du modèle de krugman (1987), l'ouverture économique est à l'origine de chocs qui affectent largement l'allocation des facteurs entre les secteurs et peut, par conséquent, influencer le dynamisme des économies. Un tel effet peut être étudié via le modèle d’Eicher (1996). Dans ce cadre, en effet, l’ouverture économique entraîne des chocs technologiques générant une réallocation de capital humain entre les différents secteurs productifs. 1. Le modèle d'interaction capital humain / technologie d'Eicher (1996) L’article d’Eicher (1996) examine comment l'interaction entre capital humain et changement technologique affecte les salaires relatifs et la croissance économique. Eicher ne prend pas directement en compte l'ouverture économique, mais son étude des chocs technologiques 204 l'amène à s'intéresser à l'impact de l'élargissement du marché - des connaissances - sur les structures économiques. a. Les hypothèses fondatrices La technologie est considérée comme une externalité issue du secteur éducatif. Elle est donc générée dès lors qu'il existe des professeurs et des élèves. Le système éducatif est lui-même rendu nécessaire dans cette représentation de l'économie car il permet la formation d'une main d'œuvre qualifiée qui sera ensuite utilisée dans le secteur productif pour adapter les nouvelles technologies. Eicher (1996) suppose de plus l'existence de deux secteurs productifs aux besoins technologiques différents. Le secteur le plus avancé nécessite l'emploi de travailleurs qualifiés (ainsi que d'une main d'œuvre non qualifiée) pour adapter les innovations à la production. Le second secteur s'apparente à un secteur "suiveur" qui produit uniquement à partir d'une main d'œuvre non qualifiée et d'une technologie passée. Par conséquent, une hausse de la capacité technologique n'affecte pas les qualifiés et les non qualifiés de la même manière puisqu'elle nécessite un regain de capital humain pour l'exploiter, ce qui a des conséquences sur les salaires relatifs. Cette coexistence de secteurs à technologies différentes permet d'étudier les effets dissymétriques du progrès technique sur les deux types de travail. Chez Grossman et Helpman (1991) et Pissaridès (1997), au contraire, le progrès technique n'était pas biaisé: il affectait l'ensemble des travailleurs de façon similaire. Dans le secteur éducatif, les nouvelles technologies sont produites à partir des innovations passées par les professeurs et les étudiants selon l'équation d'accumulation suivante: vt+1 - vt = µ vt min (γPt, St) (III.20) Avec vt l'innovation à l'instant t, Pt le nombre de professeurs et St le nombre d'étudiants. Cette hypothèse de technologie générée gratuitement par le secteur éducatif en fait un bien libre dont les secteurs disposent gratuitement. La limite, cependant, de cette représentation de l'économie est qu'elle ne permet pas de prendre en compte les comportements stratégiques de choix de technologies, puisque l'innovation n'est ni voulue, ni maîtrisée par les agents. 205 Le secteur à forte technologie nécessite l'emploi d'une technologie de pointe, d'une main d'œuvre non qualifiée (UtH) et du capital humain (Et) pour produire le bien H: Ht = vt F(UtH , Et) (III.21) Bien que non rivale, la technologie générée par le secteur éducatif nécessite l'emploi de capital humain afin d'être adaptée et utilisable au sein du secteur productif. Ainsi, lors de boums technologiques, la main d'œuvre qualifiée est attirée vers le secteur productif aux dépends du secteur de la recherche, ce qui retarde les progrès technologiques futurs, et constitue un mécanisme de rappel qui empêche une croissance explosive des innovations. Une fois la technologie adaptée et utilisée, la production ne nécessite plus l'emploi d'une main d'œuvre qualifiée, elle peut être répliquée au sein d'un secteur moins performant à l'aide d'une main d'œuvre non qualifiée (UtL) et de la technologie passée: Lt = vt-1 δ UtL (III.22) Lorsque ce relais est effectué, les innovations âgées de deux périodes ne sont plus utiles à l'économie, et disparaissent. Ce modèle est donc à la fois un modèle à générations d'agents et à générations de produits. b. La résolution Une fois les profits maximisés et les conditions d’équilibre sur le marché du travail respectées - égalité des salaires des qualifiés et des professeurs ainsi que celle des salaires des non qualifiés au sein des 2 secteurs -, les deux équations qui déterminent l’équilibre sont les suivantes: δ g = wtUH 1 + µS t −1 θ St = E wt +1 γwtU wtE (III.23) 206 Où w représente le salaire des qualifiés (E) et des non qualifiés (U), g(.) est une fonction composée positive et décroissante issue de la fonction de production f(.), et θ, une constante correspondant à la propension marginale à épargner. Elles nous permettent de déterminer le stock d'étudiants d'équilibre: S# = θ δ 1 γ −1 g + * 1 + µS (III.24) Le modèle d'Eicher (1996) repose sur deux effets retour différents qui génèrent une dynamique oscillatoire. Ainsi, un boom technologique entraîne un niveau plus élevé de salaire qui draine les travailleurs qualifiés du secteur de la recherche vers le secteur à haute technologie. Parallèlement, le coût de revient relatif des études augmente, puisque les professeurs se faisant rares sont payés plus cher. Ainsi, le nombre d'étudiants chute, ce qui, associé au départ des professeurs, réduit la production de nouvelles technologies. Ce résultat est crucial dans la mesure où il constitue une remise en cause partielle des modèles de croissance endogène habituels qui ne voyaient dans les avancées technologiques qu'un coût en ressources pour le secteur manufacturier. Le modèle d'Eicher (1996) innove en liant coûts d'accumulation du capital humain et taux de progrès technologique. Il déduit de son modèle un ''effet d'absorption'' qui met l'accent sur le drainage des ressources hors du secteur éducatif et l'augmentation des coûts de l'éducation qui en découle. Les déterminants de la croissance de long terme Ce modèle génère une croissance endogène, dont le taux est une fonction linéaire du stock d'étudiants d'équilibre: ϕ = µ S# (III.25) A première vue, ce taux est identique à celui mis à jour par Romer (1990) dans un modèle où il supposait un stock de capital humain donné, une incitation privée à investir dans la R&D, une concurrence monopolistique. Cette similarité découle du fait que dans les deux modèles le taux de croissance est tiré par la production de nouvelles technologies. Mais, Romer (1990) 207 examine les conséquences d'une hausse exogène de main d'œuvre qualifiée, alors que dans le modèle d'Eicher (1996), celle-ci est endogène. 2. Les conséquences en termes d'ouverture économique Eicher (1996) ne se situe pas dans un cadre d'ouverture économique, il étudie seulement les conséquences, en termes de réallocations sectorielles et de croissance économique, de chocs exogènes technologiques. Il est, cependant, assez intéressant de prolonger ce modèle, en assimilant intégration économique et chocs technologiques. En vertu de la démonstration précédente, le boum technologique généré par l'ouverture économique entraîne une réallocation du capital humain vers le secteur productif, réallocation nécessaire afin d'assurer l'adaptation des nouvelles techniques importées au cadre local de production. Si ce choc est ponctuel, le drainage des étudiants potentiels vers le secteur à haute technologie entraîne à la période suivante une chute du nombre de professeurs. Cette baisse constitue un frein à la production de capital humain et de technologies induites, ce qui s'apparente à un mécanisme de rappel. En effet, la technologie produite ayant diminué à la période suivante, les salaires des qualifiés dans le secteur à haute technologie baissent, les nouvelles générations se dirigent de nouveau en nombre vers le professorat. La définition de l'équilibre de long terme ne change pas (les deux équations qui le déterminent ne sont pas affectées par un choc ponctuel sur v). La seule incidence d'un choc technologique ponctuel est donc une oscillation autour de l'équilibre, ce qui n'entraîne aucune conséquence sur le taux de croissance de long terme. Supposons, à présent, non plus un choc ponctuel mais répété qui prendrait la forme suivante: vt+1 – vt = µvtmin(γPt, St) + vt* (III.26) De cette manière, les innovations étrangères (vt*) s'ajouteraient de manière additive au stock d'innovations domestiques à chaque période. Dans ce cas là, l'innovation ne se ralentit pas et à terme, il y a rétrécissement significatif du secteur éducatif national. Le mécanisme menant à cette extrémité est le suivant: les chocs technologiques se répétant, la main d'œuvre qualifiée se dirige massivement vers le secteur 208 productif au détriment du secteur éducatif. Une telle situation entraîne une pénurie de professeurs et donc à la fois une chute de l'innovation nationale (suppléée cependant par l'importation de technologies étrangères) et du niveau de capital humain. Une analyse graphique permet une meilleure compréhension de ce phénomène. Des deux équations qui déterminent l'équilibre seule l'équation des salaires relatifs est affectée par la redéfinition de l'accumulation des innovations. Sur le long terme, elle se réécrit de la manière suivante: E t UH t w w δ = g * 1 + µS + v v (III.27) Sachant que le rapport de la technologie étrangère à la technologie domestique est positif ou nul et que g(.) est une courbe décroissante, la courbe G se décale donc vers la gauche au sein du graphe III.4. wE / wUH wtE S wtU H = G(S) E# Sf Si S Schéma III.4: équilibre et prise en compte de chocs technologiques dans le modèle d'Eicher (1996) Si v* /v tend vers l'infini, cela entraîne une croissance explosive de l'innovation domestique selon l'équation d'accumulation de la technologie: 209 v t +1 − v t v* v* = µS # + → →∞ v* →∞ vt v v v (III.28) Si ce rapport est nul i.e. dans le cas d'une absence de choc technologique (celui où il tend vers 0 n'est pas possible en vertu de la démonstration précédente et en supposant les deux pays en interaction symétriques), on retrouve les prédictions du modèle d'Eicher (1996). Le seul cas de figure crédible - autre que celui d'une absence de choc technologique - est donc celui où le ratio technologie étrangère / technologie domestique converge vers une constante. Dans ce cas, la courbe G se décale vers la gauche, entraînant un nouvel équilibre caractérisé par un nombre plus faible d'étudiants, un salaire relatif plus favorable aux qualifiés et une production nationale d'innovations plus faible. Le modèle d'Eicher (1996) prédit donc une chute des investissements éducatifs à la suite de chocs technologiques répétés. De ce point de vue, une économie déjà peu développée sur le plan technologique augmente sa dépendance technologique vis à vis de l'étranger et réduit son secteur éducatif en s'ouvrant sur l'extérieur. Ce que ne montre pas le modèle ainsi constitué, et pourrait représenter un cas intéressant de piège de pauvreté, c'est que la capacité à innover peut se perdre. En effet, d'après le modèle d'Eicher (1996), la courbe S est une asymptote. Elle présuppose donc qu'il ne peut jamais y avoir disparition du système éducatif - et donc de la production d'innovations - même si le nombre d'étudiants s'amenuise de plus en plus et atteint des valeurs minimes. Or, il est certainement plus crédible de penser qu'en deçà d'un certain nombre de personnes qualifiées ou d'innovations produites dans le cadre national, la capacité à innover de l'économie se perd. En introduisant de manière ad hoc un seuil dans la fonction de production de l'éducation, on peut introduire une rupture du processus innovatif tel qu'en dessous d'un certain niveau de S il y a destruction complète de la capacité domestique à innover. Un tel résultat peut s'obtenir de la manière suivante: Si S>S’, vt+1 – vt = µvtSt + vt* Si S<S', vt+1 – vt = vt* (III.29) Cette écriture nous permet de supprimer la qualité d'externalité des innovations en dessous d'un certain seuil éducatif selon l'idée que la recherche nécessite un certain nombre de moyens pour subsister. Dans ce cas, la dépendance technologique de l'économie vis à vis de l'étranger 210 devient totale. Les technologies utilisées dans le secteur productif proviennent toutes de l'étranger car le secteur éducatif intérieur est trop faible pour permettre l'activité de recherche. L'éducation reste cependant une activité utile et nécessaire puisqu'elle permet la formation des travailleurs qualifiés et des professeurs. Une écriture alternative serait: Si S>S’, vt+1 – vt = µvtSt + vt* Si S<S', S = 0 et donc à nouveau vt+1 – vt = vt* (III.30) Une telle représentation de l'économie peut se vérifier en présence de coûts fixes de l'éducation. Dans le cas, en effet, où les étudiants n'ont pas seulement à charge de payer le salaire des professeurs mais doivent aussi s'acquitter d'un coût fixe - qui pourrait correspondre à une participation pour l'entretien des bâtiments, par exemple -, les frais d'université peuvent s'avérer rédhibitoires et désinciter les individus à s'éduquer. Le mécanisme en action est le suivant: quelque soit le nombre d'étudiants présents dans l'économie, ils doivent à eux tous s'acquitter d'un coût fixe qui pèse d'autant plus sur leur budget qu'ils sont peu nombreux. Lorsque le nombre d'étudiants se réduit (ce qui est le cas lors de chocs technologiques répétés), le coût fixe augmente et affecte le secteur éducatif dans le sens d'une réduction supplémentaire d'étudiants, ce qui fait tendre S vers 0. Une hypothèse de marché des capitaux imparfait induit les mêmes conséquences. Une réduction du nombre des étudiants entraîne une augmentation des frais d'université par tête. Celle-ci signifie automatiquement, d'après l'équation d'équilibre du marché financier, une hausse du prêt à effectuer. Or, il est probable qu'il existe un seuil au dessus duquel les banques refusent d'accorder une avance aux étudiants potentiels. Par faute de moyens pour financer leurs études, les individus concernés se détournent alors de l'éducation. Dans ce cas alternatif, le secteur éducatif disparaît complètement, ce qui entraîne aussi la disparition du secteur de pointe pour cause de pénurie de main d'œuvre qualifiée. Le secteur productif se réduit alors au secteur "suiveur" qui contient l'ensemble des individus de l'économie (le choix de la qualification n'existant plus). Dans cette seconde hypothèse, l'ouverture économique entraîne non seulement la destruction du secteur éducatif (et donc de l'innovation nationale), mais aussi celle de toute activité requerrant une certaine qualification. L'économie est alors acculée à l'unique secteur ne nécessitant pas de qualifications et est entièrement dépendante du pays étranger à la fois pour la production des nouvelles innovations, mais aussi pour l'adaptation des technologies de pointe au cadre productif national. 211 L’existence d’une interaction capital humain - ouverture économique se fait fortement sentir dans le cas des réallocations sectorielles, dans le sens où les pays faiblement dotés en capital humain auront tendance à se spécialiser dans les activités à faible technologie. Réciproquement, un pays relativement fortement doté en capital humain, se verra, à la suite de l’intégration économique, encouragé dans ses activités d’innovations technologiques, ce qui le mènera sur un sentier de croissance plus élevé. En définitive, l’interaction qui nous intéresse semble justifier l’existence d’équilibres multiples en conduisant les économies dans un cercle vicieux ou vertueux de spécialisation selon les dotations initiales des pays en capital humain. Il faut, cependant, souligner l’aspect relatif des avantages comparatifs et donc l’ambiguïté du processus de spécialisation. En effet, si un pays peut paraître faiblement doté en capital humain par rapport à un autre pays, il peut, au contraire, posséder un avantage comparatif dans ce même facteur par rapport à un troisième pays. Dans ce cadre, quelle voie de spécialisation emprunteront les différentes économies considérées ? Il est probable que si le premier pays ne peut couvrir les besoins en capital humain des deux autres, le second participera, en partie à la production des biens correspondant. Au final, son secteur à forte technologie ne disparaîtra pas totalement puisque l’existence d’une troisième économie encore plus démunie le requiert. Cependant, cette troisième économie paraît bel et bien connaître le phénomène de cercle vicieux auquel l’interaction peut mener. E. La réduction des distorsions économiques Cet effet est le dernier que nous considérons au sein de cette étude. Il est aussi certainement le moins développé dans la littérature théorique bien qu’il ait été testé par Wacziarg (1998). Le modèle principal qui s’y réfère est celui de Berthélemy, Pissaridès et Varoudakis (1998). Ces auteurs s'attachent à l'examen d'un modèle d'imitation de la technologie proche de celui proposé par Rivera-Batiz et Romer (1991) dans lequel ils supposent que le capital humain peut être détourné de ses activités traditionnelles au profit d'une recherche de rente liée aux distorsions présentes dans l'économie. A partir de cette spécification, ils montrent que, contrairement aux résultats traditionnels, les pays caractérisés par plus de capital humain ne croissent pas forcément plus rapidement que les autres. 212 1. Le cadre d'analyse du modèle de Berthélemy, Pissaridès et Varoudakis (1998) Berthélemy, Pissaridès et Varoudakis (1998) développent un modèle dans lequel l'abondance de capital humain ne se traduit pas nécessairement par de meilleures performances économiques dans la mesure où le capital humain peut se trouver diverti des secteurs productifs au profit des activités de recherche de rente. L'activité de recherche de rente La recherche de rente se développe en réponse aux distorsions introduites par les politiques économiques - taxes, contrôle des prix, protectionnisme... - et a pour rôle de réduire le poids de ces distorsions sur les entrepreneurs, ces derniers étant prêts à payer pour ce service. Ainsi, la recherche de rente apparaît comme une activité utile socialement, dans la mesure où l'existence de distorsions la justifie. L'envers de la médaille est que cette activité entraîne des ponctions sur les ressources productives du pays et s'exerce donc au détriment de la croissance économique. Les hypothèses L'hypothèse de base des auteurs est que la recherche de rente est menée essentiellement par des travailleurs qualifiés - qui mettent leurs compétences au service de la recherche d'échappatoires aux règles imposées par l'Etat. Par opposition, le secteur productif dépend des deux facteurs de production travail qualifié et non qualifié. Les distorsions sont supposées réduire l'efficacité du processus productif à la façon d'un impôt sur la production au taux T. Leur effet est à son tour maîtrisé par le capital humain spécialement alloué à cette tâche selon la fonction: z (Hs)T. La quantité de capital humain affectée à ce secteur est endogène et choisie pour maximiser le profit. Les auteurs reprennent la représentation de l'économie développée par Rivera-Batiz (1991) et Pissaridès (1997). Ils en déduisent une quantité de capital humain employée par le secteur productif équivalente à (III.18): HY = αr (α + β )(1 − α − β )λφ ( A / B) (III.31) 213 L'équation d'accumulation des technologies prise au steady state à laquelle ils parviennent est légèrement différente des modèles précurseurs (représentés par l'équation III.19) puisqu'elle intègre en plus le capital humain alloué à l'activité de recherche de rente: g A = φ −1 B λ (H − H s − H Y ) (III.32) Cette équation (SS) représente la condition d'équilibre entre les différentes activités économiques. Un niveau plus élevé de A entraîne une croissance plus rapide parce qu'il offre à l'économie plus de variétés à imiter. Cela correspond aussi à plus de capital humain alloué à la production - au détriment du secteur d'imitation - afin d'éviter que l'économie ne dépasse le taux de croissance g. 2. Conséquences en terme d'interaction capital humain - ouverture économique a. Les conséquences des chocs sur les paramètres Une variation de la quantité des distorsions T Une variation de T est neutre sur (HH), mais affecte la relation (SS), car plus de capital humain est alloué à l'activité de recherche de rente. Ainsi, l'économie amorce un ajustement vers un nouvel équilibre, correspondant à un niveau plus élevé de A/B. En même temps, puisque moins de capital humain est affecté à la production, son rendement relatif s'élève. Par conséquent, plus de distorsions entraîne un rendement plus élevé du capital humain, mais une croissance économique plus faible. L'ouverture économique appréhendée sous sa composante accroissement de A Les auteurs font l'hypothèse - reprise à Pissaridès (1997) - qu'une libéralisation économique se concrétise par une hausse des variétés du nord auxquelles les pays du sud ont accès. Ainsi, comme au sein du modèle duquel ils s'inspirent, il n'y a aucune implication d'un tel choc sur le taux de croissance de l'économie sur le long terme. Par contre, il y a ajustement sur le court terme: lorsque A augmente, l'activité d'imitation est favorisée, ce qui entraîne, à la fois une 214 hausse de B et une baisse du capital humain dans les secteurs de production et de recherche de rente. Le taux de croissance des pays du sud a donc tendance à augmenter. Mais, au fur et à mesure que l'écart technologique se résorbe, les rendements du capital humain baissent donnant lieu à un retour des travailleurs qualifiés vers les autres secteurs de l'économie - et lorsque A/B est redevenu identique à précédemment, le taux de croissance est revenu à son niveau initial. Seuls le rendement absolu du capital humain et B sont plus élevés. b. La représentation de l'ouverture économique L'intérêt d'un tel modèle réside dans ce qu'il permet d'appréhender le phénomène d'ouverture économique sous deux aspects différents. L'ouverture économique permet la transmission des ressources et notamment des technologies, mises à disposition par les autres économies. En ce sens, le processus d'intégration peut être envisagé, dans le modèle, sous la forme d'un accroissement de A. Mais l'ouverture économique peut aussi être envisagée comme l'environnement institutionnel le plus à même de permettre la réduction des distorsions au sein d'une économie. En ce sens, l'intégration économique peut être étudiée sous le biais d'une baisse de T dans le modèle précédent. Or, dans un tel cadre d'analyse, l'ouverture économique entraînant une baisse des distorsions est à l'origine d'une réallocation du capital humain des activités de recherche de rente vers les activités productives. Elle génère donc un accroissement des rendements globaux du capital humain. L'interaction entre capital humain et ouverture économique se lit ici comme un enchaînement causal de l'ouverture économique vers les rendements de l'éducation. 215 conclusion Les premiers modèles de croissance endogène ont souligné l'apport en terme d'accroissement des ressources de l'ouverture économique. Ils n'ont, cependant, pas exploité les interactions possibles entre les facteurs, car ils se situaient dans une analyse purement de long terme dans laquelle tous les facteurs apparaissaient comme entièrement substituables. Les successeurs de Romer (1990) ont prolongé et affiné ces travaux. Ils ont notamment recensé les canaux de transmission qui nous ont permis d'appréhender plusieurs niveaux d'interaction possible entre ouverture économique et capital humain. La première interaction considérée est une complémentarité simple, linéaire dans le sens où elle correspond à un impact de l'ouverture économique proportionnel au stock de capital humain présent dans l'économie - nationale ou mondiale. Elle fait référence à quatre cas de figure rencontrés lors du développement précédent: la propagation de la compétitivité liée à un accroissement de la concurrence, les effets d’échelle, le rattrapage technologique et l’influence de l’ouverture économique sur les rendements de l’éducation via sa réallocation vers les activités productives. Dans le cas de l'accroissement de la concurrence, la logique est la suivante: suivant le niveau d’éducation atteint par les travailleurs, l’économie sera plus ou moins capable d’effectuer les changements structurels nécessaires au maintien de sa compétitivité. Plus elle est préalablement "qualifiée", plus elle connaîtra des gains de productivité importants qui lui permettront non seulement de rester compétitive, mais d’enregistrer des gains de croissance. Il s’agit ici d’une interaction capital humain - ouverture économique simple, de l’ordre de la conjonction de facteurs. Une telle interaction est aussi illustrée de manière particulièrement adéquate par les modèles à rendements d'échelle. Cependant, dans ce cas, les gains de croissance ne s’avèrent pas proportionnels au stock de capital humain accumulé par l’économie seule, mais par l’ensemble des pays qui entrent en interaction. Dans ce cas, l'ouverture correspond à une mise en commun de ressources, qui, lorsqu'elle consiste à accroître le stock du facteur porteur de croissance - le capital humain ici -, apparaît automatiquement bénéfique pour l'économie. Plus un pays s'ouvre à un environnement "qualifié", plus le bond de croissance qu'il enregistre lors de son ouverture économique est important. L'ouverture économique interagit ici avec l'écart 216 en capital humain qui caractérise le pays avec le reste des pays auxquels il s'ouvre pour justifier l'ampleur du taux de croissance après intégration. Cette interaction simple se retrouve aussi dans le modèle de distorsions développé par Berthélemy, Pissaridès et Varoudakis (1998). Mais si les résultats en terme de croissance sont similaires aux précédentes, le mécanisme en action est différent. L’impact de l’ouverture économique sur la croissance s’avère ici aussi proportionnel au stock de capital humain détenu par l’économie mais en vertu d’une causalité et non d’une conjonction d’effets: l’ouverture économique est à l’origine d’une réallocation du capital humain vers les activités économiques porteuses de croissance. Un dernier cas d’interaction linéaire se lit dans les modèles d’imitation. Cependant, au lieu d’affecter directement la croissance, cette interaction influence la vitesse de la convergence technologique. Ainsi, plus un pays accumule les deux facteurs éducation, ouverture extérieure simultanément, plus il enregistre un rattrapage technologique important. Le second niveau d'interaction possible découle de la remise en cause des hypothèses simplificatrices des effets d'échelle. Il apparaît peu satisfaisant que les pays aient intérêt à échanger avec les pays les plus éloignés d'eux en terme de développement du capital humain. Il serait certainement plus réaliste de supposer que l'écart "technologique" entre pays peut devenir contraignant s'il est trop important. Dans ce cadre, développé à la fois par Krugman (1987), Grossman et Helpman (1991) et Pautrel (1997) ce n'est pas seulement le degré d'influence de l'ouverture économique sur l'économie qui dépend du capital humain accumulé par l'économie, mais aussi l'existence pure et simple d'un tel effet. Ce cadre d'analyse justifie l'existence d'équilibres multiples: selon les caractéristiques initiales du pays - la quantité de capital humain déjà accumulée, par exemple -, l'ouverture économique le contraindra à emprunter un sentier de croissance élevé ou bas. Les mécanismes en action sont différents selon les modèles considérés. Chez Krugman (1987), lorsque l'ouverture économique coïncide avec un faible niveau technologique du pays, la concurrence internationale peut entraîner la disparition d'entreprises essentielles au dynamisme de l'économie, et amputer durablement les capacités productives du pays. Chez Pautrel (1997), alors même que l'ouverture économique peut permettre aux pays les moins avancés d'avoir accès au savoir mondial, un faible niveau de capital humain peut les empêcher de s'approprier les connaissances acquises à l'étranger et de les utiliser. 217 Chez Helpman et Grossman (1991) et l’extension d’Eicher (1996), la réallocation sectorielle consécutive à l’ouverture économique peut entraîner une baisse significative des investissements dans le secteur moteur ou même, à l'extrême, l’abandon d’activités essentielles pour l’économie. Ces différentes manifestations d’une interaction entre capital humain et ouverture économique dans le processus de croissance donnent lieu, dans la suite de ce développement, à des tests économétriques. La catégorisation sous forme de deux ensembles différents - interaction linéaire, équilibres multiples - justifie l’emploi de techniques différentes afin de rendre compte de tels phénomènes. Ainsi, le concept d’interaction simple devrait faire l’objet de tests empruntés à l’économétrie linéaire, alors que la mise à jour d’équilibres multiples relèverait plutôt d’étude de seuils. Cependant, parce que les bases de données à notre disposition ne nous permettent pas toujours d'effectuer les tests souhaités, nous nous sommes concentrés dans la suite de cette partie sur les tests des effets linéaires. En effet, l'étude des équilibres multiples nécessite la prise en compte de pays aux performances divergentes pour lesquels les données de long terme manquent. Au contraire, les économies pour lesquelles la couverture de données est relativement complète ont été caractérisées par des phénomènes de convergence similaires à ce que le processus d'interaction linéaire nous donne à voir. 218 Chapitre II: Les tests économétriques des modèles linéaires Plusieurs modèles possibles d’interaction entre capital humain et ouverture économique sont, à présent, estimés. Chacun d’eux se réfère à un modèle théorique exposé dans le premier chapitre de cette partie et met en valeur un aspect particulier de l’ouverture économique. Les spécifications alternatives sont estimées sur la base 1880-1980, base de données annuelle couvrant 10 pays aujourd'hui considérés comme développés59. Dans un premier temps, l’attention est portée sur le modèle de Feder (1983) et ses extensions (notamment Levin et Raut, 1997). Il s’agit de modéliser l’impact en termes de concurrence et de propagation de compétitivité de l’ouverture économique. L’existence d’une possible interaction entre le capital humain et l'ouverture économique (qui prend ici la forme d’une complémentarité éducation / exportations) est testée selon deux modèles différents: - le modèle classique de Feder (1983) repris et augmenté de manière à incorporer un nouveau déterminant de la productivité du secteur non exposé: l’éducation ; - le modèle de Levin et Raut (1997) auquel est ajoutée une variable interactive faisant appel à la fois au capital humain et aux exportations comme déterminants de la productivité globale des facteurs. Cependant, l'impact en termes concurrentiels n'est qu'une vision partielle des effets de l'ouverture économique. Parallèlement à l'aspect agressif pour certaines entreprises de l'ouverture commerciale, celle-ci donne aussi lieu à un rapprochement des économies sous forme d'une harmonisation des modes de production et des biens proposés. Dans un deuxième temps, cette étude se tourne donc vers un modèle de rattrapage technologique comme possible illustration d’une complémentarité entre les facteurs de croissance. L’interaction entre le capital humain et l'ouverture économique n’est plus considérée comme directement influente sur le taux de croissance - bien que cette hypothèse soit de nouveau testée -, mais comme un déterminant du rattrapage technologique entre les pays. Le modèle alors testé - et augmenté afin de prendre en compte cette interaction - est celui de Benhabib et Spiegel (1994). 59 Les caractéristiques de cette base sont étudiées en détails dans la première partie de cette thèse. Les pays qui la composent sont l'Allemagne, le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la France, l'Italie, le Japon, la Norvège, le Royaume-Uni, la Suède. 219 Enfin, le survey recense une troisième influence potentielle de l'ouverture économique sur les performances économiques, via la dynamique d’accumulation et l'efficacité des facteurs de production, ce que nous appréhendons par le biais d’une variation des rendements de l’éducation. La complémentarité entre capital humain et ouverture économique est, alors, considérée sous l'angle d'une causalité de l’ouverture commerciale vers l’efficacité du capital humain. Ce dernier test se réfère au modèle de Mankiw, Romer et Weil (1992) auquel est appliquée la méthode des coefficients variants d’Amemiya (1978). Cette dernière étape nous permet d'approfondir notre étude dans le sens d'une meilleure compréhension des effets en jeu. L'interaction entre l'éducation et le commerce n'est plus vue comme une simple conjonction d'effets, mais comme le résultat d'une relation de causalité. La question qui se pose alors est celle du choix entre une simultanéité des effets et une causalité, puis celle du sens de la causalité... Peut on, sur la base des données et des méthodes à notre disposition, faire le choix entre les différentes approches possibles ? A. Le modèle de Feder (1983) et les extensions de Levin et Raut (1997) Cette première section s'intéresse à l'extension d'un modèle dont le but originel était l'étude des effets de l'ouverture économique en termes de variations de productivité et de croissance. Essentiellement deux extensions sont proposées. Une première option, découlant directement des hypothèses initiales du modèle de Feder (1983), consiste à introduire la variable de capital humain dans la détermination de l'élasticité de production du bien non exportable par rapport aux exportations. Le second prolongement se réfère au développement de Levin et Raut (1997) et modifie le facteur technologique de la fonction de production. 1. Modèle de Feder (1983) augmenté Afin de tester l’existence d’un phénomène de complémentarité entre capital humain et ouverture économique, tel qu’il a été explicité dans le premier chapitre de cette partie, nous modifions la définition de Fx au sein du modèle de Feder (1983). Un tel procédé nous permet, non seulement d'introduire le capital humain comme déterminant conjoint de la croissance, 220 mais répond aussi à la critique émise à l'encontre du modèle de Feder (1983) d'une élasticité constante de la production des biens non exportables par rapport aux exportations. a. Les spécifications utilisées: deux alternatives simples au modèle de Feder (1983) • Une première voie consiste à endogénéiser l'élasticité de production du bien non échangeable (variable θ chez Feder) en la faisant dépendre linéairement de la quantité de capital humain accumulée par une économie. Une telle hypothèse entraîne: Fx = (a+bH)*(N/X) (III.33) Avec N, quantité de biens non exportables produite et X quantité de biens exportables produite telles que: N + X = Y et H, estimateur de capital humain. Cette technologie de production signifie que la productivité du secteur non exposé dépend positivement des exportations entreprises par le secteur ouvert, mais de manière conditionnelle à la quantité de capital humain présente dans l’économie. Fx étant une fonction positive du capital humain, plus les qualifications présentes dans l’économie sont importantes, plus les exportations sont sources de gains de productivité. Réciproquement, moins l’économie a accumulé de capital humain, moins elle sait profiter de son ouverture commerciale, i.e. moins les variations d'exportations affectent les niveaux de production. En remplaçant Fx dans la spécification de Feder, l’équation de base (III.10) devient: ° ° ° ° Y I L δ X X X =α + β + − (a + bH ) * * + (a + bH ) Y Y L 1 + δ X X Y (III.34) Soit: ° ° ° ° ° ° Y I L δ X X X X X X =α + β + − a * * − bH * * + a + bH Y Y L 1 + δ X Y X X X Y • (III.35) Une façon alternative de modéliser cette relation consiste à supposer une élasticité de production qui dépendrait du niveau d'exportations atteint par le pays: ε = a + b H * X/ N (III.36) 221 Dans ce second cas, le capital humain conserve son rôle charnière au sens où il constitue toujours la courroie de transmission des hausses de productivité du secteur exposé vers le secteur abrité. Cependant, ce rôle est lui-même conditionné par le degré d'ouverture de l'économie. Ainsi, alors que dans l'exemple de Feder (1983) l'élasticité de production des biens non exportables par rapport aux exportations était constante et qu'elle dépend uniquement de la quantité de capital humain d'après notre première hypothèse, nous supposons à présent une élasticité qui dépend simultanément des deux éléments. L'interaction entre le commerce et l'éducation est double: non seulement, le capital humain facilite la propagation des hausses de productivité introduites dans l'économie par le biais des exportations, mais la conjonction des deux facteurs - éducation et commerce - détermine aussi la vitesse de cette propagation. En remplaçant (III.36) dans (III.10): ° ° ° ° ° Y I L δ X X X X X =α + β + − a * * + bH * * + a Y Y L 1 + δ X Y X X Y (III.37) Les spécifications précédentes sont testées en utilisant comme indicateurs les variables ellesmêmes lorsque la disponibilité des données le permet (ce qui est le cas du taux de croissance de la production, de la part de l’investissement dans le PIB et de l’accroissement des exportations), ou des approximations dans le cas de la variation de main d’œuvre (remplacée par le taux de croissance démographique). Le cas du capital humain est un peu plus litigieux, comme nous l'avons souligné de manière extensive au sein de la première partie de ce travail. Cependant, ayant mis à jour une forte corrélation entre taux de scolarisation et stocks de capital humain sur les périodes de disponibilité des deux indicateurs, nous utilisons, dans ce qui suit, les taux de scolarisation comme proxies des stocks de capital humain. Nous les retardons, cependant, de 10 ans de manière à prendre en compte le laps de temps qui s'écoule entre la fin des études et la mise en pratique des connaissances au sein d'un travail. 222 b. Les résultats obtenus Les résultats des spécifications explicitées ci-dessus sont consignés au sein du tableau III.2. Ils sont divisés selon l’élasticité de production par rapport aux exportations retenue. La méthode d'estimation privilégiée est le modèle à effets fixes car celui-ci constitue l'estimateur le plus efficace lorsque T tend vers l'infini et n est fixé. Les variables insérées au sein du modèle sont toutes stationnaires, ce qui, malgré la longueur de notre base de données, nous évite de donner prise à la critique traditionnelle adressée aux études macro-économiques concernant la possibilité de spurious regressions. En effet, même si notre variable endogène est un taux de croissance, la présence de variables non stationnaires parmi les régresseurs pourrait entraîner l’existence de relations de cointégration telles que les résultats obtenus découleraient d’une communauté de trends entre les variables explicatives et non d’influences réelles. Nous consignons au sein du tableau III.1 les résultats d’un test de Dickey Fuller appliqué pays par pays, démontrant le rejet de l’hypothèse nulle d’existence d’une racine unitaire dans tous les cas sauf un. Tableau III.1: Test de Dickey Fuller appliqué aux régresseurs de la spécification (III.37), effectué pays par pays Xpib * Crx Allemagne Canada Danemark USA France Italie Japon Norvège Royaume-Uni Suède DF -3.81 -4.16 -4.42 -5.21 -3.56 -3.50 -5.17 -3.99 -5.54 -5.18 P-value .016 .005 .002 .000 .033 .040 .000 .009 .000 .000 Xpib * Crx * H Lag 2 2 2 2 2 2 2 3 2 2 DF -3.72 -4.22 -4.23 -4.94 -3.26 -3.15 -4.30 -4.43 -5.28 -4.95 P-value .021 .004 .004 .000 .073 .095 .003 .002 .000 .000 Lag 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 Crx * H DF -3.58 -3.93 -4.39 -4.97 -3.70 -2.76 -4.26 -4.56 -5.31 -5.09 P-value .031 .011 .002 .000 .022 .212 .003 .001 .000 .000 Lag 2 2 2 2 2 3 2 3 2 2 Avec Crx: croissance des exportations, Xpib: part des exportations dans le PIB, H: taux de scolarisation. DF: statistique de Dickey Fuller, P-value: probabilité de se tromper en rejetant H0 (existence d'une racine unitaire), Lag: nombre de retards pris en compte. Comme l’estimation de la fonction de Feder (1983) l'avait déjà montré en première partie de ce travail, la variable d'investissement n'apparaît pas significative au sein des spécifications présentées dans le tableau III.2. De même, la variable démographique conserve l'ordre de grandeur qu'elle atteignait précédemment, bien qu'elle ne soit, à présent, que faiblement significative. 223 Le premier modèle considéré - celui dans lequel Fx = (a+bH)*(N/X) - apparaît satisfaisant dans le sens où tous les signes exhibés sont probables. Crx*Xpib et H*Crx se devaient d'être positifs d'après l'équation (III.35) et ils le sont. H*Crx*Xpib est négatif comme prévu. Quant à Crx, le signe négatif de son coefficient structurel signifie que dans la définition de Fx, a est négatif, ce qui en soi reste de l'ordre du possible. En effet, sachant que b = 0.459 ou 2.187 (le premier de ces nombres étant le plus contraignant, c'est celui qui est utilisé dans les calculs suivants)), et a = -0.178, le seuil plancher au delà duquel Fx est toujours positif est atteint pour H = - a/b = 0.38, ce qui est toujours respecté sur 1880-1980 sauf pour quelques valeurs marginales enregistrées par le Japon au tout début de la période. Tableau III.2 : résultats de la spécification de Feder augmentée d’un indicateur de capital humain I /Y N Crx Crx * Xpib Crx * Xpib * h Crx * h Fx=(a+bH)*N/X FX= θ N/X+bH Modèle significatif .009 .288 -.178** 1.672* -2.187 .459** -.006 (.033) .297 (.193) .038 (.025) -.545 (.830) 2.152 (1.388) -.007 (.032) .294 (.191) -.131** (.048) .469** (.227) R² Hétéroscédasticité (p-value) Durbin Watson Fisher (p-value) Nombre d'observations (.032) (.191) (.061) (1.00) (1.77) (.119) .315 .261 2.16 .04 810 .366** (.092) .299 .217 2.12 .07 810 .314 .277 2.16 .05 810 Variable endogène: LnY+1 – LnY. Crx: croissance des exportations, Xpib: part des exportations dans le PIB, h: taux de scolarisation. Ecarts type entre parenthèses. Significativité à 5% (*), 10% (**). Dummies temporelles significatives, mais non reportées par souci de clarté. Fisher: test d'existence d'effets spécifiques. Cependant, ces résultats ne sont pas tout à fait convaincants puisqu'ils ne respectent pas les contraintes qui devraient exister sur les paramètres. Ainsi, le coefficient structurel lié à Crx * h devrait être égal à celui de Crx * xpib * h en valeur absolue, et pourtant, il lui est plus de quatre fois supérieur. Le second modèle est, cependant, encore moins satisfaisant que le premier. Il engendre un coefficient structurel négatif, bien que peu significatif pour Crx*Xpib, ce qui est peu probable étant donnés les ordres de grandeur attendus. De plus, aucun indicateur ne s'avère significatif au seuil usuel de 10% et, de nouveau, les contraintes sur les coefficients ne sont pas respectées. De tels résultats suggèrent qu'il existe une interaction entre l'éducation et le commerce qui permet d'expliquer les écarts de performances entre pays. En effet, les différentes 224 spécifications estimées accréditent la significativité des variables interactives du modèle. Cependant, les tableaux témoignent aussi de problèmes liés aux spécifications retenues. Celles-ci ne respectent vraisemblablement pas la forme que prend l’interaction entre capital humain et commerce puisque les coefficients mis à jour rejettent les contraintes imposées par nos modèles de référence. A ce propos, l'hypothèse d'une interaction simple entre éducation et commerce (testée par le biais du premier modèle) apparaît plus crédible au vu des résultats que l'hypothèse d'une interaction double (second modèle). Le capital humain viendrait donc compléter l'ouverture économique en permettant aux variations de productivité de se répandre dans l'économie, mais son impact ne serait pas lui-même influencé par le degré d'ouverture. Afin de trouver une forme technologique plus convaincante, nous nous tournons, dans la suite, vers la spécification de Levin et Raut (1997) dont le modèle correspond, sous certaines conditions, à celui de Feder (1983). 2. Le modèle de Levin et Raut (1997) Bien qu'étant très proche du modèle de Feder (1983) - et même identique sous certaines conditions -, le cadre conceptuel de Levin et Raut (1997) ne s'appuie pas sur la même détermination du processus productif. Alors que Feder (1983) supposait une économie à deux biens et faisait transiter les effets de l'ouverture économique par le biais d'une élasticité positive de la production du bien non exportable par rapport aux exportations et par celui d’un écart de productivité entre les deux secteurs, Levin et Raut (1997) se réfère à une fonction de production unique au sein de laquelle ils font varier la définition de la productivité globale des facteurs. a. Le modèle originel Le modèle sans interaction Levin et Raut (1997) adoptent la technologie de production suivante: Yit = Ait Litα Kitβ (III.38) Avec Ait = Bit [1 + η (X/Y)it] Xitθ Où Y, A, K, L et X représentent les symboles usuels de la production, de la productivité globale des facteurs, du capital, du travail et des exportations. 225 En prenant les log-différences des équations précédentes et en appliquant l’approximation ln(1+x) ≈ x quand x est petit à η(X/Y), ils dérivent la relation suivante: ∆ lnYit = α ∆ lnLit +β ∆ lnKit + θ ∆ lnXit + ∆ lnBit + η ∆ X/Yit + uit (III.39) Ils approximent ensuite le taux de croissance du capital physique par la part des investissements dans le PIB et l’évolution de la population active par le taux de croissance démographique. La dernière étape de cette transformation consiste à faire dépendre la variation du résidu technologique (Bit) d'une fonction quadratique du revenu initial par tête selon l’idée que la technologie dépend du niveau de développement des pays, mais pas forcément de manière linéaire. Levin et Raut (1997) aboutissent finalement à l’équation suivante: ∆ lnYit = a1 nit + a2 I/Y + a3 ∆ ln Xit + a4 ∆ X/Yit +a5 ln Y0it + a6 ln Y0it2 + uit (III.40) La spécification de Levin et Raut (1997) est estimée sur la base 1880-1980 à l'aide d'un modèle à effets fixes auquel sont ajoutées des dummies temporelles. Outre les avantages traditionnels d'un tel modèle sur le long terme, la longueur temporelle de la base de données a aussi pour propriété d'éliminer le biais lié au panel dynamique. Sur le long terme, en effet, la corrélation entre effets fixes et variable endogène retardée, qui dépend de T selon une relation inverse, disparaît. Tableau III.3: résultats de Levin et Raut (1997) et estimation de leur modèle sur 1880-1980 Constante n I /Y Lny Lny² ∆ lnX ∆X/Y Levin et Raut60 Base 1880-1980 -.409** .617** .122** .115** -.008** .134** .337** .305* .037 .276** -.019** .152** -1.21** (-2.06) (3.18) (3.97) (2.19) (-2.31) (3.41) (2.99) (.178) (.031) (.058) (.004) (.018) (.143) R² .725 .369 Durbin Watson 1.98 2.27 Hétéroscédasticité (p-value) .005 Fisher (p-value) .05 Nombre d'observations 810 Variable endogène : lnYit – lnYit-1. Dummies temporelles significatives mais non reportées. Entre parenthèses: t-stat chez Levin et Raut, écarts type sur la base 1880-1980. Niveaux de significativité: 5% (*), 10% (**). Fisher: test d'existence d'effets spécifiques. 60 Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Corée, Costa Rica, Côte d'Ivoire, Egypte, Equateur, Espagne, Grèce, Guatemala, Hong Kong, Inde, Israël, Kenya, Malaisie, Maroc, Mexique, Pakistan, Pérou, Philippines, Portugal, République Dominicaine, Sri Lanka, Syrie, Thaïlande, Tunisie, Turquie, Uruguay 226 Nos résultats divergent de ceux mis à jour par Levin et Raut (1997) sur le point essentiel de leur démonstration. Si les estimateurs de convergence et la croissance des exportations ont des impacts approximativement similaires sur les deux bases de données, la variation de la part des exportations dans le PIB apparaît comme un facteur significatif mais de mauvais signe sur la base 1880-1980, alors qu’elle était un élément positif clé pour expliquer la croissance chez Levin et Raut (1997). Il faut, cependant, rappeler ici que les deux échantillons considérés sont fortement hétérogènes. Alors que Levin et Raut (1997) travaillent sur une base de pays semiindustrialisés, nous effectuons nos tests sur la base des pays les plus développés. De même, Levin et Raut (1997) considèrent deux périodes: 1965-1974, 1975-1984 alors que nous utilisons des données annuelles sur 100 ans. Cependant, cet argument ne semblait pas jouer dans le cadre du modèle de Feder (1983). Nous avons même montré, au sein de la première partie, que les pays développés aujourd'hui avaient, au début du siècle, des caractéristiques comparables en terme de revenu par tête aux pays semi-industrialisés de la base de Feder (1983). Une seconde explication à la divergence de résultats tient aux mauvaises performances de la variable d'investissement. Il se pourrait que la mauvaise spécification du modèle entraîne une sous estimation du rôle de la variation de la part des exportations dans le PIB. Mais, il est peu convaincant que l'inadéquation de la variable d'investissement puisse justifier une inversion radicale de signe. Modèle d'interaction avec le capital humain Levin et Raut (1997) justifient l’existence d’une interaction entre éducation et exportations par une meilleure utilisation du capital humain au sein du secteur exportateur par rapport au reste de l'économie. En effet, les travailleurs éduqués leur paraissent plus à même de s'adapter aux nouvelles technologies et de réagir aux évolutions des techniques de production entraînées par la concurrence internationale. Dans ce cadre, l'écart de productivité associé au secteur exportateur dépend certainement de la quantité de capital humain présente dans l'économie. Leur nouvelle hypothèse fait donc dépendre la productivité globale des facteurs non seulement des exportations, mais aussi de la variable capital humain de la manière suivante: Ait = Bit [1 + η0 + η1 Hit (X/Y)it] Xitθ (III.41) 227 Remplacer le facteur technologique dans la fonction de production initiale par (III.41) et opérer les modifications décrites précédemment, mènent Levin et Raut à estimer la spécification suivante: ∆ lnYit = a1 I/Y + a2 nit + a3 lnY0it + a4 lnY0it2 + a5∆ln Xit + a6∆(X/Y)it + a7 Hit (X/Y)it + a8 Hit + uit (III.42) Tableau III.4: résultats de Levin et Raut (1997) augmenté et estimation de leur modèle sur 1880-1980. Constante n I /Y Ly Ly² CrX ∆X/Y H H*∆X/Y R² Durbin Watson Hétéroscédasticité (p-value) Fisher (p-value) Nombre d'observations Levin et Raut Base 1880-1980 -.644 (-2.87) .486 (2.27) .108 (2.99) .184 (3.09) -.012 (-3.19) .149 (3.75) -.196 (-.66) -.0004 (-2.2) .105 (1.98) .220 (.175) .028 (.032) .352** (.075) -.023** (.005) .254** (.022) -4.02** (.845) -.016 (.022) 2.96** (1.413) .755 2.35 .440 2.25 .114 .09 710 Variable endogène : lnYit – lnYit-1. T-stat chez Levin et Raut, Ecarts type sur 1880-1980. Significativité: 5% (**), 10% (*). Fisher: test d'existence d'effets spécifiques. Dummies temporelles significatives, mais non reportées. Les résultats obtenus sur 1880-1980 corroborent ceux de Levin et Raut (1997), sans toutefois leur correspondre totalement: la variation de la part des exportations dans le PIB, qui apparaissait de signe négatif mais non influente dans leur modèle s'avère significative dans le notre. Ils semblent, cependant, accréditer l'existence d'une interaction positive pour la croissance économique entre éducation et variation de la part du commerce dans le PIB (coefficient de H*∆X/Y significatif à 5%). Cependant, les estimateurs de capital humain utilisés lors des estimations diffèrent selon le modèle considéré. Les résultats précédents sont obtenus, sur la base 1880-1980, pour un taux de scolarisation dans le primaire et le secondaire retardé de 10 ans. Levin et Raut (1997), quant à eux, utilisent comme variable de capital humain le nombre moyen d’années d’éducation de la population dans la variable interactive H*∆X/Y et le taux de scolarisation dans le secondaire pour représenter H. Ce panachage d’indicateurs du capital humain au sein de la même régression n’est d’ailleurs pas sans poser de problème. Comment, en effet, justifier l’emploi de ces différentes variables au sein de la même spécification alors même que 228 le modèle de base suppose une homogénéité des indicateurs? De plus, comme nous allons le voir dans la section suivante, la spécification adoptée par Levin et Raut (1997) ne nous semble pas tout à fait correspondre à leur modèle de base. b. Test de la spécification précise qui découle des hypothèses de Levin et Raut (1997): Au regard des hypothèses posées précédemment, la spécification telle qu’elle a été testée par Levin et Raut (1997) ne semble pas parfaitement appropriée. Non seulement les auteurs semblent rassembler au sein d’une même spécification des estimateurs de capital humain hétérogènes sans que cela ne soit justifié, mais la résolution étape par étape de leur modèle mène à une équation de régression tout à fait différente de celle qu’ils testent eux mêmes. En remplaçant le facteur technologique par ses déterminants, on obtient: Yit = Bit [1 + η0 + η1 Hit (X/Y)it] Xitθ Litα Kitβ (III.43) En passant ensuite aux log-différences: ∆ lnYit = ∆ lnBit + θ ∆ ln Xit + α ∆ lnLit + β ∆ lnKit + ∆ ln(1 + η0 + η1 Hit (X/Y)it) (III.44) Si, maintenant, on suppose, à la suite de Levin et Raut (1997), que η0 et Hit (X/Y)it sont proches de 0, on en déduit: ln(1 + η0 + η1 Hit (X/Y)it) ≈ η0 + η1 Hit (X/Y)it (III.45) puis: ∆ lnYit = ∆ lnBit + θ ∆ ln Xit + α ∆ lnLit + β ∆ lnKit + η1 ∆ [Hit (X/Y)it] + uit (III.46) Si, de nouveau, la croissance du capital physique est approximée par la part de l’investissement dans le PIB et la variation de la population active par le taux de croissance démographique: ∆lnYit = ∆lnBit + α nit + β I/Yit-1 + θ ∆ ln Xit + η1 ∆ [Hit (X/Y)it ] + uit (III.47) Deux spécifications alternatives du résidu technologique (Bit) sont, à présent, envisageables. Il est possible de le définir comme spécifique à chaque pays, mais constant à travers le temps. Il 229 jouerait à ce moment le rôle d’effet fixe et disparaîtrait de la spécification en différence première. Une autre solution serait de le spécifier, à la suite de Levin et Raut (1997), comme dépendant directement du niveau de revenu initial selon une relation quadratique. Dans le premier cas, la spécification à tester a pour forme (III.48) et dans le second (III.49): ∆ lnYit = a1 (I/Y)it + a2 nit + a3 ∆ ln Xit + a4 ∆ [Hit (X/Y)it ] + uit ∆ lnYit = a1 (I/Y)it + a2 nit + a3 ln Y0it + a4 ln Y0it2 + a5 ∆ln Xit + a6 ∆[Hit (X/Y)it ] + uit (III.48) (III.49) Tableau III.5: Test d’une spécification précise de Levin et Raut sur 1880-1980. (III.48) I /Y n CrX LnYit-1 LnYit-12 ∆H(X/Y) Constante R² Durbin Watson Hétéroscédasticité (p-value) Fisher (p-value) .033 (.024) .290 (.160)** .177 (.018)** -1.953 (.241)** .028 (.012)** .351 2.19 .001 .68 (III.49) .040 .249 .151 .346 -.024 -1.793 (.034) (.185) (.019)** (.071)** (.004)** (.240)** .378 2.24 .245 .05 Variable endogène : lnYit – lnYit-1. Ecarts type entre parenthèses. Significativité à 5% (**) et 10% (*). Fisher: test d'existence d'effets spécifiques. Dummies temporelles significatives mais non reportées. Il ressort des estimations qu'une résolution adéquate des équations de Levin et Raut (1997) ne mène pas à des résultats très encourageants. Si la croissance des exportations semble avoir un impact positif significatif sur la croissance économique, l'interaction éducation / part des exportations dans le PIB s'avère négative pour les performances économiques. Une régression comprenant toutes les interactions aboutit cependant au rejet de la significativité de ∆H(X/Y) au profit de la variable ∆(X/Y). Cette dernière étant de manière récurrente un facteur négatif de croissance - d'après les tableaux III.3 et III.4 -, elle pèse sur le coefficient de ∆H(X/Y) qui, de ce fait, reflète certainement plus l'impact de la variation de la part des exportations dans le PIB que celui d'une interaction entre éducation et commerce. Au vu de ces nouveaux résultats, les conclusions positives obtenues lors du premier test de la spécification de Levin et Raut, apparaissent fortement dépendantes de la forme technologique utilisée alors. 230 Les différents tests menés précédemment semblent justifier l’existence d’un effet de propagation de la compétitivité lié à la fois à l’ouverture des pays sur l’extérieur - approximée par la part des exportations dans le PIB - et au montant de capital humain présent dans l’économie. Cet effet est, cependant, vérifié principalement par le modèle augmenté de Feder (1983), celui de Levin et Raut (1997) apparaissant douteux du point de vue de sa spécification. D’ailleurs, utilisant une fonction de production avec facteur technologique variant, leurs travaux se rapprochent sans doute plus du corpus théorique lié au rattrapage technologique qu’à une étude du type Feder (1983). Dans la suite de ce travail, nous reprenons la définition du système productif telle qu’elle est développée par Levin et Raut (1997) mais au sein d'un cadre mieux adapté de convergence technologique à la Benhabib et Spiegel (1994). Un tel cadre d’analyse nous permet d’évoluer d’une définition de l’interaction entre éducation et commerce comme facteur de hausses de productivité vers une explication en terme d’imitation et de rattrapage technologique. B. Un test à la Benhabib et Spiegel (1994) Cette deuxième partie est consacrée à un second aspect de l'ouverture économique: la diffusion technologique. Le modèle de référence est celui de Benhabib et Spiegel (1994) et se focalise autour de la notion de rattrapage technologique. La technologie de production adoptée est une fonction Cobb-Douglas dans laquelle le terme technologique dépend du stock de capital humain et de l'écart de développement du pays considéré avec celui du pays le plus avancé - approximé par une différence de PIB par tête. Cependant, Benhabib et Spiegel (1994) n'explicitent pas le biais par lequel le rattrapage économique opère. Dans leur spécification, le rattrapage économique est d'autant plus rapide que les pays possèdent un niveau de capital humain élevé. Or, comme souligné dans le premier chapitre de cette partie, il apparaît plus pertinent de nuancer cette idée et de relativiser l'influence du capital humain au degré d'ouverture économique d'un pays. Pour remédier à ce manque et prendre en compte l'interaction entre commerce et éducation, la spécification de Benhabib et Spiegel (1994) est pondérée par le degré d'ouverture de l'économie. Ainsi, contrairement à la partie A de ce travail dans laquelle un modèle d'ouverture économique était complété par un estimateur de capital humain, le modèle de référence ici a trait au capital humain et est modifié de manière à englober le commerce. 231 1. La spécification augmentée de Benhabib et Spiegel (1994) La spécification économétrique de Benhabib et Spiegel (1994) découle d'une fonction CobbDouglas dans laquelle le terme de productivité globale des facteurs est endogénéisé de manière à englober le processus de rattrapage technologique. La forme que revêt cette spécification est la suivante61: ∆ lnYit = c + d Hit-1 + e Hit-1 * (yt-1, max - yit-1)/yit-1 + α ∆ lnKit + β ∆ lnLit (III.50) Malgré des divergences liées au manque d’estimateurs pertinents sur long terme, les estimations de cette spécification sur une base annuelle mènent à des résultats relativement proches de ceux mis à jour par Benhabib et Spiegel (1994)62. L’interaction éducation, écart technologique se présente comme une variable déterminante des performances économiques des pays. Cependant, ce modèle ne nous a pas paru suffisant dans sa prise en compte du processus de rattrapage technologique, l'aspect ouverture commerciale lui faisant notamment défaut. a. La Modification du facteur technologique Afin de prendre en compte les canaux par lesquels l'interaction entre capital humain et ouverture économique agit sur la croissance, le terme technologique de la spécification de Benhabib et Spiegel (1994) est modifié dans deux directions différentes. D'une part, il est modifié de manière à dépendre directement d'une variable interactive combinant éducation et commerce. D'autre part, l'interaction capital humain, ouverture économique est supposée faciliter le processus de rattrapage technologique en interagissant avec la variable de distance économique au pays le plus développé. Le taux de changement technologique est ainsi défini comme une combinaison linéaire de trois facteurs: le capital humain, l'interaction capital humain - ouverture économique et une variable combinant capital humain, ouverture économique et distance technologique. ∆ lnAt,i = c + d Hit + e Hit * Ouvit + f Hit * (yt,max - yit)/yit * (g + h Ouvit) 61 62 (III.51) Pour une dérivation détaillée de cette spécification, voir première partie, chapitre III. Résultats obtenus au sein de la première partie de ce travail. 232 L'interaction entre l'éducation et l'ouverture économique affecte directement le changement technologique - et donc le taux de croissance - par le biais de la variable croisée Hit * Ouvit et indirectement par son impact sur la convergence technologique, via (yt,max-yit)/yit * Hit * Ouvit. Alors que l'effet direct est censé rendre compte de la hausse de productivité du capital humain consécutive à l'ouverture économique décrite par Berthélémy, Pissarides et Varoudakis (1998) dans leur modèle de recherche de rente et par Feder (1983) dans un cadre de concurrence accrue, l'effet indirect se réfère aux modèles d'imitation et représente le rattrapage technologique. b. La spécification augmentée de Benhabib et Spiegel (1994) En remplaçant dans (III.50) le taux de changement technologique par sa définition établie en (III.51), on obtient la spécification suivante: ∆lnYit = c + a∆lnKit + b∆lnLit + dHit + eHit*Xpibit + fHit*(ytmax - yit)/yit*(g+hXpibit) + uit (III.52) Ce qui donne, en redistribuant l’équation précédente: ∆lnYit = c + a∆lnKit + b∆lnLit + (d-fg)Hit + (e-fh) Hit*Xpibit + fg Hit*(ytmax/yit) + fh Hit*Xpibit*(ytmax/yit) + uit (III.53) D'après cette dernière équivalence, les signes des coefficients structurels affectés au capital humain et à l'interaction 'pure' capital humain - ouverture économique sont ambigus: selon que l'effet rattrapage technologique l'emporte ou non sur l'effet direct, l'impact global des variables croisées sera positif ou négatif. Les relations en présence sont estimées en utilisant le taux d'investissement comme proxy de la variation du capital physique, le taux de croissance démographique à la place de la variation du facteur travail, le taux d'exportations corrigé de la taille des pays comme indicateur de l'ouverture économique et le taux de scolarisation retardé de 10 ans comme variable de capital humain. 233 2. Les estimations du modèle de Benhabib et Spiegel (1994) Deux estimations différentes de ce modèle sont effectuées. Nous estimons, d’abord, un modèle global à effets fixes. Il permet de rendre compte du comportement moyen des pays sur un siècle puisque les coefficients structurels affectés aux variables explicatives sont contraints à être les mêmes quels que soient les économies et les périodes considérées. Ensuite, une régression SUR63 est mise en œuvre, qui permet de décomposer les effets par pays. Elle apporte ainsi un éclairage nouveau au modèle de Benhabib et Spiegel (1994) augmenté en permettant de juger plus précisément des comportements individuels au cours de la période. a. Le modèle à effets fixes Les résultats du modèle à effets fixes Les régressions économétriques ont confirmé la présence d'effets fixes, ainsi que l'influence des dummies temporelles (qui ne sont pas reportées dans le tableau de résultats par souci de clarté). Le tableau III.6 résume les résultats obtenus: la première colonne reproduit le modèle issu directement de la spécification (III.53), tandis que les trois dernières colonnes montrent que les résultats obtenus sont robustes à l'inclusion de variables supplémentaires comme le log du revenu initial par tête et la part des exportations dans le PIB et au retrait des Etats-Unis (pays leader sur la majeure partie de la période) de l'échantillon. Notons que ces résultats sont aussi robustes à une altération de la spécification dans le sens d'une prise en compte du taux de croissance par tête au lieu de la variation du niveau de PIB comme variable dépendante. L'utilisation d'un taux d'exportations non corrigé n'affecte pas non plus les résultats de manière significative. D’après les résultats obtenus, l'hypothèse de convergence conditionnelle - dans sa forme élémentaire revenu initial par tête (Lny) - est rejetée. Il y a bien un phénomène de convergence, mais celui-ci prend plutôt la forme décrite par Benhabib et Spiegel (1994): le rattrapage technologique. Cependant, là encore, ce n'est pas le rattrapage technologique à la Benhabib et Spiegel (1994), c'est à dire permis par l'éducation et représenté par H*(ymax /y), qui apparaît être la variable la plus pertinente pour justifier une accélération de la croissance, 63 Seemingly unrelated regression 234 mais celle associant écart technologique et interaction entre éducation et ouverture économique: H*Xpib*(ymax / y). Tableau III.6 : Estimation de (III.53) sur 1880-1980. Variable dépendante: LnYit+1 - LnYit (III.53) I /Y n H H*Xpib H*(y max /y) H*Xpib*(ymax /y) Lny Xpib R² ajusté Hétéroscédasticité (p-value) Durbin Watson Fisher (p-value) Nombre d'observations .095** .375* -.070** -.145** .018 .150** (.037) (.194) (.031) (.053) (.013) (.036) Robustesse / Lny .091** .366* -.079** -.149** .022 .150* .0007 .29 .621 2.08 .000 810 (.038) (.196) (.040) (.054) (.017) (.036) (.017) .30 .594 2.08 .000 810 Robustesse / Xpib .095** .375* -.069** -.146** .018 .150** (.037) (.195) (.034) (.073) (.014) (.040) .0003 (.045) .29 .621 2.08 .000 810 Robustesse au retrait des US .089** .339* -.048 -.140** .014 .138** (.040) (.193) (.033) (.053) (.013) (.036) .29 .517 2.06 .000 639 Dummies temporelles significatives. Ecarts type entre parenthèses. Niveaux designificativité: * (10%), ** (5%). Fisher: test d'existence d'effets spécifiques. Si l'interaction éducation - commerce semble accélérer la convergence entre pays, les résultats économétriques contredisent l'existence d'une influence directe de la variable interactive sur les performances économiques d'un pays. En effet, non seulement H*Xpib apparaît largement significative et négative, mais un test du Student confirme l'égalité de son coefficient (en valeur absolue) avec celui de H*Xpib*(ymax / y), ce qui signifie que l'effet direct de l'interaction pure entre éducation et commerce est nul64. Ainsi, si les régressions économétriques confirment l'idée selon laquelle l'interaction ouverture économique - capital humain accélère la convergence entre pays, elles n'apportent aucune confirmation d'une influence directe de cette complémentarité sur les taux de croissance. Une étude en terme de rattrapage technologique s’avère apparemment plus pertinente qu’une explication qui s’appuierait sur un effet direct, de long terme de l’interaction éducation, ouverture économique sur les performances économiques. Enfin, une fois contrôlés les effets de complémentarité et de convergence, le capital humain représente un coût pour l'économie, ce qui confirme ce que Benhabib et Spiegel (1994) avaient déjà mis à jour lors de leur régression, à savoir que l'effet d'accumulation domestique de technologies sur la croissance était négligeable à côté de l'effet de rattrapage 235 technologique. Le capital humain n’est donc pas directement influent sur la croissance. Son impact est médiatisé par celui du commerce extérieur et se comprend dans une logique de rattrapage économique. Le problème de la stationnarité des variables Une objection de taille au travail précédent, liée à la longueur temporelle de la base de données, consiste à remarquer l’existence probable de trends communs à certaines variables explicatives. Bien que la variable endogène de la régression soit un taux de croissance, c'est à dire une variable stationnaire, certaines des variables explicatives ne sont visiblement pas intégrées d'ordre 0. Plusieurs problèmes peuvent découler de cette spécification et notamment des phénomènes de colinéarité entre variables explicatives qui pourraient justifier leur significativité dans la régression sans nous permettre de déduire à leur influence sur le taux de croissance. Supposons, en effet, que H*Xpib et H*Xpib*(ymax / y) soient caractérisées par une relation de colinéarité. Dans ce cas, leur relation de long terme pourrait expliquer qu'elles entrent significativement dans l'équation de croissance alors même qu'elles n'exercent aucun effet sur la variation du niveau de revenu, leurs effets s'annulant entre eux. Dans la suite, nous proposons une réponse à cette critique en recherchant si effectivement les variables en question peuvent être caractérisées par une relation de colinéarité et si malgré tout, nos résultats peuvent être considérés comme robustes à ces effets. • Etude de la stationnarité des séries Tableau III.7: Test de Dickey-Fuller appliqué à H*(ymax / y), H*Xpib, et H*Xpib* (ymax / y) pays par pays Allem. Canada Danem. USA France Italie Japon Norvège UK Suède Convbs DF P-value Lags -3.47 .04 2 -2.12 .53 2 -3.60 .03 5 -1.81 -2.79 .70 .20 2 10 -2.49 .33 2 -1.68 .76 2 -1.99 .61 8 -3.46 -2.00 .60 .04 3 2 Compl DF P-value Lags -.72 .97 2 -3.41 .05 5 .78 1 2 -2.47 2.75 .34 1 2 10 3.73 1 2 -1.38 .87 2 3.06 1 6 -1.25 .11 .90 .99 4 4 Complbs DF -1.14 -3.76 -.09 -2.34 .63 2.06 -1.99 -.36 -3.61 .16 P-value .92 .99 .41 .99 1 .99 .61 .99 .02 .03 Lags 2 5 2 2 6 4 2 2 3 2 DF: statistique de Dickey Fuller, P-value: probabilité de rejeter l'hypothèse de racine unitaire à tort, Lags: retards 64 Si les coefficients structurels affectés à H * Xpib et (ymax/y) * H * Xpib sont égaux, alors e - fh = -fh dans 236 Nous effectuons une étude rapide - et assez sommaire - de la stationnarité des séries en nous référant au test de Dickey-Fuller que nous appliquons pays par pays. Ce test - dont les résultats sont reportés au sein du tableau III.7 - indique que, mis à part dans les cas soulignés, les trois variables H*(ymax / y), H*Xpib et H*Xpib*(ymax / y) exhibent visiblement une racine unitaire. Du moins, l'hypothèse nulle de non stationnarité des séries ne peut être refusée dans 24 cas sur 30. Par conséquent, nous pourrions être dans le cas d’une régression faussée par la présence d’une colinéarité entre les variables. Cependant, lorsque nous testons la robustesse de nos résultats en faisant varier la spécification estimée, les coefficients structurels obtenus précédemment sont confirmés. Nous retirons d'abord H*Xpib de la spécification de manière à vérifier la robustesse de H*Xpib*(ymax / y) lorsque sa variable complémentaire n'apparaît pas dans la régression. Nous estimons ensuite le modèle sans désagréger le processus technologique en ses deux composantes - H*Xpib et H*Xpib*(ymax / y). De cette manière, les deux variables ne peuvent pas se neutraliser lors de l'estimation. • Tests de robustesse de la spécification Tableau III.8: Estimations alternatives de (III.53) sur 1880-1980. Variable dépendante: LnYit+1 - LnYit Sans H*Xpib*(ymax/y) I /Y n H H*(y max /y) H*Xpib H*Xpib*(ymax /y) H*Xpib*(ymax -y/y) R² ajusté Hétéroscédasticité (p-value) Durbin Watson Fisher (p-value) Nombre d'observations .092** .303 -.060* .047** .048** (.037) (.196) (.031) (.011) (.025) Sans H*Xpib .106** .331* -.078** .040** (.037) (.195) (.031) (.010) Non désagrégé .094** .376* -.068** .017 (.036) (.194) (.030) (.011) .062** (.017) .152** (.033) .28 .482 2.09 .06 710 .29 .578 2.08 .00 710 .30 .615 2.08 .00 710 Dummies temporelles significatives, mais non reportées. Ecarts type entre parenthèses. Niveaux de significativité: * (10%), ** (5%). Fisher: test d'existence d'effets spécifiques. Les résultats consignés au sein du tableau III.8 suggèrent la robustesse de la variable de convergence technologique conditionnée par l’éducation et le commerce lorsque sa dimension (III.53) et donc e = 0 237 complémentaire est ôtée de la régression. Ils soulignent aussi la forte influence de la variable de rattrapage technologique non désagrégée. Ce dernier résultat établit la pertinence de notre spécification. Il souligne la justesse de la forme technologique adoptée, ainsi que la robustesse de l’effet obtenu (qui ne dépend pas d’une colinéarité entre les variables, puisqu'une combinaison linéaire de celles-ci, dictée par la logique du modèle, reste significative). En moyenne, il semble que les pays aient enregistré un phénomène de rattrapage technologique tout au long du XXème et que la vitesse de celui-ci ait été influencé par les niveaux d’éducation et de commerce accumulés par les économies. Possédant des séries temporelles particulièrement longues, puisque couvrant 100 ans, il nous a paru intéressant d’essayer de décomposer les effets mis à jour précédemment et de déterminer leur ampleur selon les pays présents dans la base de données. A cet effet, une régression SUR (Seemingly unrelated regressions) a été appliquée aux données annuelles. b. La régression SURE Cette méthode permet de conserver une équation par individu tout en maîtrisant l’hétéroscédasticité des résidus. De ce fait, elle autorise la spécificité des coefficients par pays. Cependant, si une telle règle était suivie à la lettre le nombre de degrés de liberté baisserait dangereusement: d’un nombre égal à celui des coefficients structurels laissés libres dans la régression. Nous avons donc choisi de ne pas insérer les dummies temporelles de manière à permettre l'estimation. La spécification testée est celle présentée précédemment. Toutefois, nous ne nous situons plus dans une transformation Within, l'effet spécifique étant directement pris en compte par l'introduction d'une constante par pays et par la variation des coefficients structurels au sein de la régression. Les résultats obtenus sont consignés au sein du tableau III.9. Une version alternative de ce modèle est reportée dans le tableau III.10. Elle réintroduit au sein de la spécification précédente les dummies temporelles regroupées en quatre grands ensembles: 1890-1913, 1920-1937, 1950-1973, 1974-1979. Nous tentons, de cette manière, de vérifier la robustesse de nos résultats sans perdre un nombre de degrés de liberté trop important. 238 Tableau III.9: estimation du modèle de Benhabib et Spiegel (1994) augmenté par la méthode SUR, 1880-1980. All. Canada Dan. USA France Italie Japon Norv. UK Suède c n I /Y H H*Xpib H * (Ymax/y) H*Xpib*(ymax /y) -.09 .05 .07 .13 -.44 .072 .26 -.23** .34** .44** .01 -.19* .12 .20** -.008 1.12 -.12 -.09 .15 .12* -.04 -.10 2.60 -.05 .15** -1.01** -.06 1.14** -.03 1.38 .07 -.02 -1.00** -.02 .94** -.07* .32 -.002 .38** -3.13** -.16** 2.02** .01 -4.55** .13 -.11 .08 .06** .05 .05 -.10 .03 .02 -.28 -.08 .23* .02 1.40 -.26** .04 -.24 .03 .14 .02 -.42 .17** -.03 -.29** -.04 .26** R² Durbin Watson Nb d'observations .16 1.83 71 .15 1.57 71 .09 2.14 71 .08 1.72 71 .20 2.19 71 .25 2.45 71 .27 2.21 71 .07 2.67 71 .04 2.01 71 .007 1.59 71 Tableau III.10: estimation SUR, spécification avec dummies temporelles, 1880-1980. All. Canada Dan. USA France Italie Japon Norv. UK Suède c n I /Y H H*Xpib H * (Ymax/y) H*Xpib*(ymax /y) -.08 3.18 .14 .18 -.70** .04 .43* .23 .33** .23 -10 -.66** -.25** .64** -.16** .08 -.29** .03 .32 .17 -.13 .12 2.93* -.07 -.06 -1.44** -.13 1.49** -.09 1.44 -.06 .03 -.98* .04 .90** .03 .40 .04 .34** -3.77** -.22 2.44** .08 -3.23 -.01 -.05 -.09 .001 .11 .23** 1.53 -.16 -.16 -.24 -.04 .20 -.06 -.85 -.37** .07 -.74** .15** .34* .15** -.97 -.20 -.18** -.12 -.003 .14 R² Durbin Watson Nb d'observations .18 1.87 71 .26 1.71 71 .16 2.07 71 .09 1.71 71 .24 2.28 71 .25 2.52 71 .32 2.35 71 .16 2.58 71 .12 1.76 71 .11 1.53 71 * et ** : coefficients significatifs à, respectivement, 10 et 5% La comparaison des deux tableaux précédents suggère la pertinence du modèle estimé principalement dans le cas du Canada, des Etats-Unis (sur la période d'avant la première guerre mondiale), de la France et de l'Italie. Ces quatre pays semblent effectivement avoir adopté - et ceci quelque soit la spécification estimée - le comportement décrit précédemment d'un rattrapage technologique conditionnel à la fois au niveau d'éducation et de commerce atteint par le pays. L'Allemagne, le Royaume-Uni et les pays Nordiques paraissent, eux aussi, pouvoir être classés dans cette même catégorie, bien qu'en ce qui les concerne les régressions apparaissent nettement moins robustes. En effet, un tableau sur deux présente des résultats non significatifs à leur sujet. Il semblerait relativement intuitif de justifier les résultats peu robustes qui caractérisent le Royaume-Uni par le rôle de leader assumé par ce pays avant la première guerre mondiale. Toutefois, les Etats-Unis ont dépassé le Royaume-Uni et constituent le leader incontesté en termes de PIB par tête depuis cette époque. Ils devraient donc eux aussi partager le manque de 239 robustesse mis à jour sur les données britannique. Ils se caractérisent, cependant, par un fort effet de rattrapage technologique conditionné par l'éducation et le commerce. Une explication à ce phénomène pourrait être que la domination britannique s'est fondée tout au long du XIXème siècle sur de forts échanges avec l'extérieur. Les Etats-Unis ont sans doute profité de cette croissance extravertie pour dynamiser leurs performances. En revanche, le ralentissement économique du Royaume-Uni s'est accompagné d'une fermeture économique des pays alentour, alors qu'eux-mêmes restaient relativement extravertis. De même, ce pays a mis relativement plus de temps que ses voisins à sortir de son repli sur soi. Son comportement, en décalage par rapport au climat international, peut certainement expliquer en partie le manque de robustesse de la spécification. Par opposition, le Japon semble être mieux défini par un modèle de convergence à la Benhabib et Spiegel (1994), c'est à dire conditionné uniquement par le niveau de capital humain atteint. Là encore, les résultats le caractérisant ne semblent pas très robustes puisque l'ajout de quatre dummies temporelles masque la significativité des coefficients. Néanmoins, on peut certainement conclure que dans le cas du Japon, l'ouverture économique n'a pas joué le rôle de catalyseur de convergence mis à jour dans le cas des pays d'Europe Occidentale et du Canada. Ce résultat souligne certainement le caractère régional prononcé de l'effet de rattrapage technologique. Si, en effet, le Canada est caractérisé par un fort rattrapage conditionné par le commerce et le capital humain, c'est, entre autres choses, qu'il a fortement bénéficié de ses relations de voisinage avec les Etats-Unis. De façon similaire, les pays européens ont sans doute su mettre à profit leur proximité réciproque pour établir des relais aux innovations américaines. Finalement, le Japon se présente comme la seule économie relativement loin en termes géographiques des leaders qui se sont succédés depuis le début du siècle. Il n'est donc pas étonnant que les relations commerciales y aient joué un rôle moins prononcé. En résumé, le rattrapage technologique permis à la fois par l'éducation et l'ouverture commerciale semble être un phénomène principalement pertinent pour expliquer les comportements des pays d'Europe "Occidentale" et d'Amérique du Nord. Il faut, cependant, nuancer ces résultats en soulignant la faible pertinence des estimations SUR, qui, certainement en raison de la petite taille des échantillons étudiés et des problèmes liés à la variable d'investissement, mènent à de nombreux signes ou coefficients aberrants. 240 Finalement, le modèle de Benhabib et Spiegel (1994) augmenté, estimé dans sa dimension panel, mène à la conclusion suivante: améliorer unilatéralement le niveau d'éducation ou le degré d'ouverture économique n'est pas suffisant pour permettre au pays de rattraper les économies les plus développées. Si les pays en retard souhaitent converger rapidement vers les économies aux technologies les plus avancées, ils doivent mettre en place, simultanément, une politique de promotion du commerce extérieur (moyen d'accéder à de nouvelles technologies) et développer leurs investissements éducatifs. Cependant, une telle représentation de l’économie est limitée dans le sens où elle ne s’intéresse pas aux mécanismes par lesquels éducation et commerce sont liés. Elle suppose qu’une conjonction de ces deux facteurs peut permettre aux pays d’améliorer leurs performances économiques mais ne prend pas en compte de relations plus dynamiques entre les deux variables. Dans ce qui suit, la possibilité de relations causales entre capital humain et ouverture économique est explorée. C. Un modèle à coefficients variants Une manière alternative d'interpréter l'interaction entre capital humain et ouverture économique est de supposer une causalité dans le processus. Au lieu de ne considérer qu'une conjonction d'effets - le capital humain associé à plus d'ouverture économique mène à plus de croissance sans que l'une ou l'autre de ces deux variables ne soit influencée par l'accumulation de l'autre -, il serait, en effet, pertinent de s'intéresser au cas où l'accumulation d'une des deux grandeurs a un impact sur la productivité de l'autre. Ainsi, ce serait via les variations de rendements de l'éducation ou du commerce en fonction des évolutions de la variable alternative que l'on pourrait attester d'une complémentarité des effets. Reprenons l'exemple du modèle de recherche de rente: dans ce cadre, l’ouverture économique génère une incitation à réallouer le capital humain vers les activités productives, ce qui entraîne une hausse de la productivité de ce capital humain. Un raisonnement identique pourrait être tenu dans le cas des modèles d'imitation: l'ouverture économique permet la circulation de technologies, qui par leur accumulation influencent la productivité du capital humain. En effet, plus un pays imite, plus il acquière de savoir faire imitatif. Réciproquement, plus une économie est fermée, moins elle accède aux technologies et moins elle se forme au processus d'imitation. Son capital humain est alors peu productif, ce qui se matérialise par une 241 plus faible capacité à imiter lorsque l'occasion se présente. Finalement, l'interaction entre éducation et commerce se lit ici comme un processus endogène, un cercle auto-entretenu d'influences. Par rapport aux modèles empiriques étudiés précédemment, la complémentarité des déterminants de la croissance n'agit plus comme amplificateur de la productivité globale de la fonction de production, mais influence directement les rendements des facteurs de production. Les modèles de Benhabib et Spiegel (1994) et de Levin et Raut (1997) n'apparaissent alors plus adaptés à ce cadre d’analyse, puisqu'ils conditionnent la productivité globale des facteurs à des chocs exogènes alors qu'ils gardent inchangée l'hypothèse néoclassique de constance des rendements des facteurs selon les pays. Nous nous tournons, à présent, vers des modèles qui supposent une endogénéité des rendements factoriels, ce qui est le cas des modèles à coefficients variants. Suivant en cela la méthodologie exposée par Dessus (1998), nous adoptons le cadre d'analyse développé par Mankiw, Romer et Weil (1992) dans lequel est introduite une hypothèse d'endogénéité des rendements du capital humain par rapport à l'ouverture économique. Nous essayons, de cette façon, de tester l'existence d'une causalité allant du commerce vers l'efficacité du capital humain. Nous reprenons ensuite le modèle de Feder (1983) afin d'estimer l'hypothèse alternative d'une détermination de l'effet de l'ouverture économique en fonction du niveau de capital humain accumulé. 1. Le modèle de Mankiw, Romer et Weil (1992) et les extensions de Dessus (1998) Comme il en a déjà été question dans la première partie de ce travail, le modèle de Mankiw, Romer et Weil (1992) est directement issu du cadre théorique de Solow (1956) et donne lieu à deux spécifications alternatives de convergence conditionnelle selon le degré d'explicitation du processus d'accumulation du capital humain: ∆ Lnyit = (1 - e-λt) [lnyit-1 + α /(1-α-β) lnI/Yti + β /(1-α-β) lnsHit – (α +β)/(1-α-β) ln(η+g+δ)] (III.54) ∆ lnyit = (1 - e-λt) [lnyit-1 + α / (1-α-β) (lnI/Y,it - ln(η+g+δ)) + β / (1-α-β) lnhit ] (III.55) Où y est la production par unité efficace de travail, sHti, l'investissement en capital humain, hti, le stock de capital humain et λ, la vitesse de convergence. 242 Ce modèle est traditionnellement estimé à l’aide de méthodes économétriques linéaires, contraignant les coefficients structurels à être constants. Cependant, les limites liées à ces estimations, et notamment la nécessité d’une homogénéité technologique - entre pays et en temporel - qu’elles impliquent ont incité les économistes à se tourner vers des méthodes de détermination des coefficients plus flexibles. a. Un modèle à coefficients variants à partir de Mankiw, Romer et Weil (1992) Afin de prendre en compte l’interaction entre éducation et commerce débattue précédemment, il est possible d’augmenter l'une des deux formes structurelles issues du modèle de Mankiw, Romer et Weil (1992) en supposant des rendements du capital humain non constants, mais variant selon le degré d'ouverture des économies. Dessus (1998) travaille ainsi sur le système d’équations suivant: Lnyit = (1 - β) lnyit-1 + α ln(I/Yit /nit+g+δ) + λ lnhit + uit (III.56) Avec λ = c + f(ouv) + εi Notre base de données ne possédant pas d’estimateur de stock de capital humain, mais un indicateur de taux de scolarisation, nous nous situons a priori dans le cas développé par Mankiw, Romer et Weil (1992). Cependant, la forte corrélation qui régit, en temporel, l’évolution du taux de scolarisation et celle du stock de capital humain nous autorise aussi à suivre la spécification adoptée par Dessus (1998). Afin de minimiser le nombre de contraintes imposées à la spécification, nous estimons le modèle suivant, dans lequel h peut aussi bien jouer le rôle du taux d’investissement en éducation que le stock déjà accumulé. ∆ Lnyit = β lnyit-1 + α ln (sKit) + λi ln (hit) + δ ln(ηit + g + δ) + uit (III.57) avec λi = c + f(Ouv) + εi Ce modèle est testé en utilisant le taux de scolarisation présent comme indicateur du capital humain et deux définitions alternatives de l'ouverture économique: le taux d'exportations corrigé de la taille des pays et une variable qualitative dichotomique extrapolée à partir de sachs et warner (1995) et Bairoch (1997)65. 243 b. Les résultats L’équation III.57 est estimée à l'aide de la méthode développée par Amemiya (1978)66. L'emploi de celle-ci évite la simplification à laquelle nous avons recouru auparavant en introduisant des variables croisées. Elle conserve la relation de causalité implicite dans l'expression précédente en déterminant d'abord les coefficients structurels relatifs au capital humain spécifiques à chaque pays, puis en en cherchant les déterminants. La superposition de deux relations stochastiques introduisant de l'hétéroscédasticité dans le modèle, l'estimation d'un tel système se fait normalement par le biais des moindres carrés généralisés. Cependant, étant données la taille particulièrement limitée de notre échantillon en cross-section dimension utilisée pour l'estimation des déterminants des coefficients relatifs au capital humain spécifiques à chaque pays -, ainsi que la difficulté technique à mettre en œuvre la correction par la matrice de variance-covariance, nous appliquons les MCO simples et non les MCG. Les résultats ne devraient, de toutes façons, pas varier de manière significative selon la méthode employée. Tableau III.11: modèle à coefficients variants issu de Dessus (1998) et résultats obtenus sur la base 1880-1980. Résultats de Dessus (1998) Base 1880-1980 (a) Lnyi,t-1 Ln(I/Y)i,t – Ln (n+δ) Ln (I/Y)i,t Ln (n + 0.5) Coeff. Variable: ln(h) Constante (M + X) / Y * Lee X /Y*Lee Dummy ouverture Nombre d'observations (b) -.055** (.012) -.595** (-4.94) .232** (4.49) .002 (.006) -.044** (.020) -.296** (2.28) .859** (3.29) 480 .022 (.040) -.123 (.085) 810 .002 (.033) -.083 (.074) 810 Variable endogène: Lnyit+1 - Lnyit. Entre parenthèses: t-stat chez Dessus (1998), écarts type sur 1880-1980. Significativité à: 5% (**), 10% (*) Nous effectuons les tests de cette spécification sur données annuelles, de manière à limiter le biais lié au panel dynamique sans avoir recours à la méthode des variables instrumentales 65 66 Variable explicitée en annexe de la première partie Voir annexe II.2. 244 pour le corriger. Ce choix explique la faiblesse du coefficient structurel associé à la variable de revenu initial. Contrairement aux résultats de Dessus (1998), l'ouverture économique, qu'elle soit approximée par le taux d'exportation ou une variable qualitative dichotomique de politique commerciale, ne semble pas affecter significativement les rendements de l'éducation sur la base 1880-1980. Il est, cependant, nécessaire d'émettre plusieurs remarques à ce propos. Les tests effectués sur les bases 1880-1980 diffèrent de la spécification de Dessus (1998) non seulement parce que les échantillons testés ne recouvrent ni les mêmes pays, ni la même période temporelle, mais aussi à cause des indicateurs utilisés. La variable d’ouverture commerciale - représentée par la somme des exportations et des importations divisée par le PIB chez Dessus (1998) - est approximée, dans notre étude, par le ratio exportations sur PIB. De même, alors que Dessus (1998) fait référence à des mesures de capital humain sous forme de stocks67, la spécification est testée ici en référence à des flux de scolarisation. Cependant, ces divergences d'indicateurs ne devraient pas masquer l'existence d'un lien entre efficacité du capital humain et commerce (d'autant que nos variables ont déjà prouvé leur validité). Ensuite, il nous faut souligner la faible robustesse de notre spécification. La méthode d'Amemiya (1978) permet de déterminer, dans un premier temps, un coefficient associé au capital humain par pays. Elle utilise la dimension temporelle pour effectuer cette régression d'où l'importance de la longueur de la base de données lors de cette première étape. Elle récupère ensuite les coefficients estimés dont le nombre est directement égal à celui des pays présents dans la base et effectue une régression de ceux-ci sur les variables expliquées choisies (en moyenne par pays). Cette seconde étape est donc d'autant plus robuste qu'il y a de pays dans l’échantillon. Or, cette seconde régression a été effectuée, dans notre cas, sur très peu de points (dix), ce qui la rend peu robuste et jette un doute sur la validité des prédictions effectuées. Enfin, une autre remarque peut découler de cette description méthodologique: l'impact de l'ouverture économique est déduit d'une estimation fondée sur des valeurs moyennes de commerce (calculées sur un siècle). Or, un siècle est une période longue, suffisamment étendue même pour que nous nous interrogions sur la validité d'un tel exercice. En effet, les valeurs moyennes ne renseignent en rien sur les évolutions connues. Deux pays à l'histoire 245 commerciale fortement dissemblable - l'un ayant connu, par exemple, des périodes d'ouverture et de fermeture successives, le second ayant enregistré une ouverture sur l'extérieur stable - peuvent très bien être caractérisés par des données moyennes identiques. Sur une période plus courte - telle que celle utilisée par Dessus (1998) -, l'homogénéité de comportement au sein de chaque économie a une probabilité plus importante d'être respectée. Sur longue période, l'occurrence de ruptures structurelles a de grandes chances de brouiller les résultats, d'autant que les graphes reportés en annexes de la partie I attestent d'une grande instabilité des courbes d'exportation sur le XXème siècle. Il faut signaler à ce sujet qu'une régression des coefficients de capital humain sur l'effort commercial entre le début et la fin du siècle approximé par la croissance du taux d'exportations de 1880 à 1980 restitue un coefficient significatif à la variable d'ouverture économique68. Un tel résultat suggère que le niveau moyen d'ouverture sur un siècle ne constitue pas un bon estimateur du comportement commercial des pays. Un indicateur prenant en compte l'évolution sur le siècle en reliant valeurs finale et initiale du taux d'exportations permet de mieux approximer la politique commerciale suivie. 2. Le modèle de Feder (1983) estimé par la méthode des coefficients variants Le modèle de Feder (1983) appelle naturellement une estimation selon la méthode des coefficients variants puisque le coefficient structurel associé à l'ouverture économique est supposé dépendre d'un facteur d'externalité technologique selon la spécification développée dans le chapitre I de cette partie et reproduite ici: ° ° ° Y I L δ X X =α + β + + Fx * * Y Y L 1 + δ X Y (III.58) Feder (1983) suppose implicitement une contrainte de causalité entre les facteurs qui déterminent l'intérieur de la parenthèse et l'effet de l'ouverture commerciale. Si nous reprenons l'hypothèse émise au début de cette section d'une relation directe entre Fx et le niveau de capital humain atteint par l'économie, nous nous situons dans le cas symétrique de celui rencontré chez Dessus (1998). Nous testons à présent l'hypothèse d'une relation directe entre croissance et ouverture économique et d'un impact du capital humain médiatisé par le coefficient structurel associé au commerce: 67 Nombre d'années de scolarisation de la population âgée de plus de 25 ans, source: Barro et Lee (1993). 246 ° ° ° Y I L X X =α + β + γ * * Y Y L X Y (III.59) Avec γ = a H + b Une telle spécification, estimée en référence aux indicateurs déjà utilisés pour le modèle de Feder (1983) augmenté, conduit aux résultats suivants: Tableau III.12: modèle de Feder (1983) estimé par la méthode des coefficients variants (III.59) I/Y N -.001 (.03) .316* (.186) Coeff variant Constante H -2.256** (.685) 5.922** (1.199) Variable endogène: LnY+1 – LnY. Ecarts type entre parenthèses. Significativité à 5% (*), 10% (**). Dummies temporelles significatives, mais non reportées par souci de clarté. Ce dernier résultat semble favoriser la thèse d'une causalité allant de l'accumulation de capital humain vers l'impact de l'ouverture économique. Plus précisément, il semble de nouveau confirmer l'existence d'un effet de propagation des hausses de productivité entraînées par l'ouverture sur l'extérieur conditionné par la quantité de capital humain présent dans l'économie. Cependant, il nous faut là encore être prudents quant à nos conclusions. Outre les limites avancées précédemment, nous obtenons, à présent des coefficients structurels très élevés et relativement peu crédibles. Conclusion Les différents modèles testés accréditent, chacun à leur niveau, l’existence d’une interaction entre capital humain et ouverture économique. L’extension du modèle de Feder (1983) confirme l’idée selon laquelle il existe une propagation des gains de compétitivité des secteurs exposés vers les secteurs protégés. 68 Coefficient structurel associé à ∆X/Y*Lee égal à .032 et significatif à 1%. 247 Cependant, les contraintes liées aux spécifications employées brouillent les conclusions et conduisent à penser que les résultats obtenus dépendent fortement des formes technologiques employées. Les régressions effectuées dans le cadre du modèle de Benhabib et Spiegel (1994) et de son extension confirment, elles aussi, l’existence d’une interaction entre capital humain et ouverture extérieure mais essentiellement pertinente pour expliquer la convergence entre pays. Une variable interactive insérée telle quelle dans le modèle ne paraît pas affecter le chemin d’expansion des pays. Elle s’avère cependant nettement significative lorsqu’elle est combinée avec une variable de rattrapage. La dernière étape de ce chapitre a consisté à approfondir la notion d'interaction entre éducation et commerce en tentant de déterminer si celle-ci était issue d'une causalité entre les deux facteurs ou si elle était seulement le fruit d'une conjonction d'effets. Les tests effectués ne nous permettent pas de déduire qu'il existe une relation causale allant de l'ouverture économique vers l'efficacité du capital humain. Ils semblent cependant confirmer l'existence d'une causalité au sein du modèle de Feder (1983) reliant niveau de capital humain accumulé et impact de l'ouverture commerciale sur la croissance. Cependant les limites techniques liées à la taille de notre base de données et au manque de crédibilité de certains estimateurs utilisés jettent un doute sur la validité de ce résultat. Il nous semble, notamment, que la prise en compte de moyennes sur un siècle peut induire des erreurs dans les estimations en entraînant un lissage excessif des effets. En un sens, ces dernières estimations soulignent les limites liées à la prise en compte d'une période aussi étendue qu'un siècle entier. Les facteurs auxquels nous nous intéressons, ainsi que le processus au centre même de notre analyse, ont été sujets au cours de cette période à des ruptures structurelles (nous y avons d'ailleurs consacré une section au sein de la première partie de ce travail). Une analyse linéaire telle que menée jusqu'à présent ne peut prendre en compte de tels effets de rupture. Elle se fonde sur des moyennes pour générer les résultats et ignore les changements de régime. De manière à prendre en compte l'hétérogénéité technologique qui ne devrait pas manquer de se manifester sur un siècle (et peut-être aussi entre pays, aussi similaires peuvent-ils paraître), ainsi que les possibles changements de structure que les chocs exogènes tels les guerres et les crises économiques mondiales ont du engendrer, nous nous tournons, à présent, vers des tests de détection de seuils. 248 Chapitre III: L’étude des seuils et des processus non linéaires liés à l'interaction entre le capital humain et l’ouverture économique Les tests menés sur 1880-1980 donnent des résultats plutôt satisfaisants en corroborant les hypothèses de convergence technologique de Benhabib et Spiegel (1994). Etant donnée l'étendue temporelle de la base de données utilisée pour mener à bien les estimations, il serait intéressant d'essayer de déterminer si les équations de croissance mises à jour valent pour toute la période et tous les pays considérés, ou si elles sont susceptibles de varier selon certains sous-échantillons considérés. Pour cela, il nous faut un test statistique qui nous permette de détecter l'existence d'une rupture d'un coefficient valide à la fois entre pays et en temporel. Un test purement temporel nous obligerait à mener une étude pays par pays, ce qui nous ferait perdre toute une dimension de l'étude ; tandis que les tests de cross-section, s'ils peuvent départager des groupes de pays, assimilent la dimension temporelle à la dimension individuelle en s'épargnant le recours aux données longitudinales. La première section de ce développement s'attache à l'exposé des méthodes traditionnellement utilisées pour tester l'existence de changements structurels. Elle souligne le peu de travaux réalisés sur données de panel dans le cas où la rupture considérée n'est pas simplement temporelle, mais générée par l'accumulation d'une variable tiers. La seconde section répond aux carences mises à jour par la première partie en proposant un test de changement structurel en panel. Ce test permet d'établir l'existence d'une rupture de coefficient structurel liée à l'accumulation d'une variable choisie comme variable seuil. Enfin, une application de ce test est présentée en troisième partie. Différentes variables susceptibles de générer des ruptures de comportement sont testées. La première variable seuil envisagée est le revenu selon l'idée que le processus de développement économique n'est pas forcément linéaire et peut se caractériser par différents régimes de croissance. Cependant, parce que la littérature souligne largement les possibilités d'équilibres multiples qui découlent de la prise en compte du capital humain comme facteur de croissance, l'éducation est considérée comme seconde variable seuil. 249 A. Quel test de changement structurel adopter ? La difficulté d'un tel choix tient à la spécificité de la base étudiée: les données de panel. En effet, alors qu'il existe plusieurs tests s'attachant à la mise à jour de changements structurels au sein de séries temporelles ou déterminant des groupes de pays au comportement similaire en coupe transversale, les analyses se penchant à la fois sur la dimension temporelle et crosssection des données apparaissent assez rares. 1. Les tests de stabilité déjà existants La littérature économique portant sur le sujet semble s'articuler essentiellement autour de deux séries de tests différents: les tests de stabilité temporelle des coefficients et les tests de clubs de convergence. a. Les tests de stabilité temporelle des coefficients Une première approche s'est attachée à la fin des années 1970 à tester la stabilité des coefficients au cours du temps. Elle s'est notamment donnée pour objectif de rendre endogène ce qui chez Chow (1960) ne l'était pas: la date d'apparition de la rupture. Les tests CUSUM et CUSUMSQ Une première contribution a été la mise au point des tests dits ''CUSUM'' et ''CUSUMSQ'', initiés notamment par Brown, Durbin et Evans (1975). L'idée de ces méthodes consiste à estimer le coefficient structurel susceptible de varier au cours du temps sur un premier ensemble d'observations et à déduire les résidus ''récursifs'' de l'estimation du même modèle appliqué à l'échantillon précédent augmenté d'une observation. Ce processus est mené jusqu'à épuisement du nombre d'observations. Le test est ensuite construit en s'appuyant sur l'intuition suivante: si aucun changement structurel ne se manifeste, les résidus de la régression économétrique devraient être caractérisés par une moyenne nulle tout au long de l'échantillon. En revanche, s'il y a rupture, cette moyenne tendra à croître (en valeur absolue) après le point de rupture. La statistique du test est donc établie comme la moyenne normalisée des résidus récursifs, le test consistant ensuite à vérifier que celle-ci ne varie pas significativement de 0. 250 En 1989, Han et Park ont entrepris de prolonger le test du CUSUM en élargissant le domaine d'étude aux données de panel. Le test proposé s'appuie toujours sur la moyenne des résidus récursifs. Il diffère du développement précédent dans la mesure où il ne s'agit plus d'ajouter à chaque régression une seule observation supplémentaire - correspondant à une donnée temporelle plus récente - mais tout un vecteur de données caractérisant l'ensemble des pays étudiés. Cependant, les limites contraignantes de ces tests - et notamment, l'impossibilité d'utiliser la variable endogène retardée comme variable explicative - ont mené Sen (1980) et Ploberger et Kramer (1989) à proposer des tests alternatifs dits ''tests de fluctuation''. Les tests de fluctuation Ces derniers ne se référaient plus à la notion de résidu récursif pour déterminer la statistique déterminante des seuils, mais comparaient les estimateurs des coefficients structurels obtenus sur la base de données totale à ceux dérivés de sous échantillons. Tant que la valeur de ces différents estimateurs ne se différentiaient que très peu les unes des autres, l'hypothèse de stabilité des coefficients structurels ne pouvait être rejetée. L'extension de ces tests à la prise en compte de la dimension inter-individuelle Les tests précédents se présentent comme des tests de changements purement temporels dans la mesure où ils s'appuient sur l'ajout de données de plus en plus récentes et sur la comparaison des résultats obtenus avec le passé du modèle. La question à se poser est donc: serait-il possible de généraliser ces tests temporels de manière à pouvoir les appliquer à la dimension inter-individuelle ? A priori, il ne devrait pas être difficile d'étendre la notion de résidu récursif et de les faire dériver de la prise en compte d'un pays supplémentaire et non plus d'une période supplémentaire. Cette généralisation aurait, cependant, pour limite d'imposer une loi de sélection de l'observation supplémentaire assez arbitraire. En effet, tant que la rupture étudiée n'était que temporelle, le classement des données se faisait naturellement par ordre chronologique. Mais si le point de rupture n'est plus considéré comme provenant de la déformation due au temps, mais de l'existence d'une disparité des effets selon les pays, comment classer ces pays pour justifier que l'ajout d'une observation supplémentaire induise une rupture de comportement ? 251 Une manière intuitive de remédier à ce problème serait de classer les pays par région et de calculer les résidus récursifs en ajoutant à chaque calcul une région différente. Cette approche a le défaut de faire reposer les ruptures de stabilité des coefficients - s'il y en a - sur une explication purement géographique. Une méthode alternative plus convaincante serait de choisir la variable qui pourrait être génératrice de seuils et de classer les pays de l'échantillon en fonction de cette variable. Le test consisterait ensuite à construire les résidus récursifs en ajoutant les observations selon l'ordre croissant - ou décroissant - de la variable choisie préalablement. C'est plus ou moins cette approche qui a été adoptée au sein de la seconde série de tests... b. Les tests de clubs de convergence La deuxième série de tests initiée par Durlauf et Johnson (1992) - eux mêmes par référence à Quandt (1958) - s'est orientée vers des tests de changement de coefficients structurels observables en cross-section. L'idée n'était plus de déterminer si les variables explicatives conservaient le même impact au cours du temps, mais si elles possédaient un impact similaire selon les pays considérés. La méthode Regression tree de Durlauf et Johnson (1992) La méthode de Durlauf et Johnson (1992) consiste à rechercher les possibles ruptures dans l'échantillon en minimisant la somme des carrés résiduels des régressions effectuées sur des sous-échantillons. Elle ne suppose a priori ni le nombre de ruptures ni leur point d'apparition. La rançon de cette absence de présupposés est la complexité de la méthode et la difficulté de sa mise en œuvre. Malgré cette complexité, cette étude a entraîné un regain d'intérêt pour ces questions de rupture d'influence des variables explicatives. Elle a notamment été suivie par une série de travaux empiriques dont l'objectif était de la rendre plus applicable. Les prolongements Deux directions ont essentiellement été adoptées. D'une part se sont développés des tests globaux de significativité - reposant pour la plupart sur la statistique de Fisher. D'autre part, certains auteurs se sont appuyés sur le coefficient structurel et ses variations de significativité pour déterminer la date du changement structurel. Les deux méthodes ont pour première étape 252 d'ordonner la base de données en fonction de la variable supposée être à l'origine d'un seuil. C'est dans la mise en place du test lui même que ces méthodes divergent. La méthode de berthélémy et Varoudakis (1996) consiste à mettre en œuvre des tests de Fisher sur des échantillons augmentés à chaque étape d'une observation et de supposer l'existence d'un changement de régime dès que le Fisher indique une différence significative du nouveau modèle testé par rapport au précédent. La méthode de Jean-pierre (1997) étudie les évolutions de la statistique du Student associée au terme de convergence au fur et à mesure de l'ajout d'une observation supplémentaire et infère l'existence d'un seuil lorsqu'une baisse de significativité se fait sentir. L'extension de ces tests à la prise en compte de la dimension temporelle Les tests de Berthélémy et Varoudakis (1996) et Jean-Pierre (1997) ont l'avantage d'offrir un cadre de réflexion qui s'applique au cross-section, mais leur extension à la dimension temporelle se heurte à la difficulté de prendre en compte les effets pays. Néanmoins, il apparaît possible de trier la base de données en faisant totalement abstraction du temps et du pays auxquels se réfèrent les observations. Le test peut ensuite être mis en place comme s'il s'agissait d'échantillons cross-section. Le problème est qu'en présence d'effets pays, les MCO appliqués aux données brutes donnent des estimateurs biaisés. Il n'est donc vraiment pertinent d'utiliser ce modèle que lorsque le test du Fisher indique une faible probabilité de présence d'effets pays. Dans le cas contraire, il serait plus pertinent de revenir à une régression MCO sur modèle avec dummies pays, ce qui contraint le nombre d'observations pour chaque souséchantillon testé à être élevé. Une solution alternative serait, peut être, de mener les tests sur les variables transformées par l'opérateur Within de manière à éliminer les effets fixes de la spécification. 2. Quelle optique adopter ? L'étude des tests présentés précédemment nous a permis d'orienter notre recherche et de mettre à jour un test de rupture de coefficient simple qui prend en compte à la fois la dimension temporelle de nos échantillons et leur aspect cross-section. Dans ce qui suit, nous 253 présentons l'intuition lié à ce test. Cependant, parce que la recherche avance rapidement sur le sujet, il est sorti en 1999 au sein du Journal of econométrics un article de Hansen proposant un test répondant à des préoccupations identiques à celles émises précédemment. Nous exposons le test d'Hansen (1999) en partie b. a. L'intuition du test pertinent Les deux séries de tests - les tests de changement structurel et les tests de clubs de convergence - ne différent pas de manière essentielle. Alors que l'une privilégie la dimension temporelle, l'autre s'attache à la dimension inter-individuelle. Excepté ce changement d'optique, les deux séries de tests se réfèrent aux mêmes grandeurs pour définir les seuils: - les résidus pour les approches globales (CUSUM, regression tree et test du Fisher) - le coefficient structurel lui même dans le cas du test de fluctuation et de celui du student La divergence entre les tests se lit plutôt dans une différence de conception de ce qu'est un club de convergence et en cette matière, le clivage transcende les deux séries de tests. Pour les tests "globaux", un club de convergence apparaît caractériser un ensemble de pays réunis par un même régime de croissance - une influence identique des facteurs économiques considérés (l'identité s'exprimant par des coefficients structurels identiques pour tout l'échantillon). Deux groupes de convergence différents seront donc différenciés par deux modèles économétriques différents. Les autres tests reposent sur une conception différente du changement structurel puisque un seul paramètre de la régression est étudié. Par exemple, Jean-Pierre (1997) se réfère à la vitesse de convergence pour déterminer le point d'occurrence de son seuil - même si dans un premier temps, il justifie l'existence de ruptures au sein de son échantillon par le biais d'un test de Fisher. Un club de convergence n'est donc plus considéré comme un ensemble de pays partageant le même modèle économétrique, mais comme l'ensemble des économies partageant la même vitesse de convergence. Ces deux définitions de ce que pourrait être un club de convergence se recoupent dans le sens où si le coefficient structurel du revenu initial par tête évolue trop fortement, le Fisher en sera tout aussi affecté que le Student. En même temps, la première définition apparaît plus contraignante que la seconde car dans cette première conception du club de convergence, les coefficients de toutes les variables explicatives présentes dans le modèle se doivent de rester à peu près constants. 254 Il serait peut être possible de faire appel à une troisième vision d'un club de convergence qui ne serait ni l'identité parfaite de comportement, ni le partage d'une même vitesse de convergence mais se rapporterait plutôt à une similarité de réaction face aux mêmes chocs. En effet, est ce que l'on peut vraiment supposer que deux pays appartiennent à deux clubs de convergence différents simplement parce que leur vitesse de convergence diffère ? Il se peut simplement qu'ils en soient à deux stades différents du même processus de convergence. Leur différence n'est donc pas irréductible, mais seulement temporelle. Réciproquement, des pays caractérisés par une identité de réaction face aux mêmes chocs sont forcément amenés à converger, même si leur vitesse de convergence aujourd'hui n'est pas la même. C'est donc plutôt dans ce sens que nous avons choisi d'orienter le test de changement structurel: chercher ce qui provoquait une rupture d'influence des variables susceptibles d'avoir un impact sur le phénomène de convergence. Dans cette optique, nous avons choisi d'étudier la significativité de la variable susceptible de connaître des ruptures de comportement: le rattrapage technologique permis par l'interaction entre éducation et commerce. Notre test s'apparente à celui de Jean-Pierre (1997) dans le sens où il repose sur la statistique du Student. Il en diffère, cependant, non seulement parce qu'il ne repose pas sur les mêmes propriétés du Student, mais aussi parce qu'il est appliqué à un panel de pays i.e. qu'il prend donc simultanément en compte la dimension temporelle et transversale de l'échantillon. b. La publication récente d'un test en panel: Hansen (1999) Hansen (1999) a proposé récemment un test de rupture de coefficient en panel qui, bien que ne s'appliquant pas au cas de modèles dynamiques représente le premier essai sérieux en la matière. Ce test repose sur une minimisation de la somme des carrés des résidus selon la procédure suivante. Soit l'équation caractérisée par une rupture de coefficient liée à l'accumulation de q: yit = µi + β1 xit I(qit ≤ γ) + β2 xit I(qit > γ) +eit (III.60) La variable explicative x exerce une influence sur y différenciée selon l'accumulation de q: quand q est inférieure au seuil γ, son impact sur y est donné par β1 alors que lorsque q est 255 supérieure à γ, x influe y à hauteur de β2. Le cas considéré ici est celui de deux régimes, mais le test de Hansen (1999) se généralise facilement à un nombre de ruptures supérieur à deux. Concrètement, l'auteur conseille l'approche suivante: dans un premier temps, il invite l'économètre à classer la base de données en fonction de la variable supposée génératrice de seuils. Une fois ôtées les observations extrêmes, toute valeur de cette variable est susceptible de jouer le rôle du seuil recherché. L'équation (III.60) est ensuite estimée par le biais d'un modèle à effets fixes pour chacun des seuils possibles, les résidus sont déduits de la régression et la somme de leur carré est comparée entre les différentes estimations. L'existence d'un seuil est inférée pour la valeur de q qui minimise la somme des carrés résiduels. C'est, en effet, lorsque le modèle de changement structurel minimise la somme des carrés des résidus qu'il est le plus approprié. La seconde étape du test de Hansen (1999) consiste ensuite à déterminer si le seuil mis à jour lors de la minimisation de la somme des carrés résiduels est statistiquement significatif. Hansen (1999) souligne à ce propos le caractère non standard des distributions des tests classiques dans le cadre de son test. Il en déduit la nécessité d’une procédure de bootstrap de manière à déterminer la variance des estimateurs et ainsi leur significativité. Cette procédure lui permet de déterminer une statistique du Fisher comparant le modèle avec rupture à l’hypothèse nulle d’absence d’égalité des coefficients structurels β1 et β2. Dans la suite de ce travail, nous exposons le test statistique simple que nous avons établi afin de traiter la possible existence de seuils au cours du processus de rattrapage technologique. Ce test diffère de celui de Hansen (1999) en ce qu'il utilise la statistique du Student comme variable de décision et non la somme des carrés résiduels. Il devrait, de ce fait, pouvoir s'appliquer aux modèles dynamiques aussi bien qu'au panel simple dans le cadre d'une base de données de long terme. En effet, dans ce cas les estimateurs liés au modèle dynamique convergent. Cependant, afin de tester la robustesse de nos résultats, nous utiliserons, conjointement à nos estimations, le test de Hansen (1999) et nous comparerons les seuils dérivés de cette méthode à ceux que nous aurons mis à jour. 256 B. Le test adopté Afin de prendre en compte l'existence d'une rupture d'influence d’une variable X en fonction du niveau d’une variable S, la méthode suivante est appliquée: X est segmentée en deux, une première composante prenant la valeur de X en dessous d'un certain seuil S* et 0 au dessus, une seconde étant l'exacte complémentaire de la première: Xinf t,i = Xt,i quelque soit St,i < S* Xsup t,i = Xt,i quelque soit St,i > S* (III.61) Un test de Student est ensuite mis en œuvre. Il consiste à estimer la significativité d'une des variables tronquées présentées ci-dessus lorsqu'elle est insérée dans un modèle où X est déjà présente: Yti = c + b0 Zti + b1 Xt,i + (b’1 - b1) Xinf t,i + ut,i (III.62) Avec H0 : b’1 = b1 => b’1 - b1 = 0 Si (b’1 – b1) est significatif, on rejette H0 et les deux coefficients sont considérés comme significativement différents. On infère, dans ce cas, la présence d'un seuil. Sinon, on ne peut refuser H0. On considère, alors, que l'impact de la variable interactive est la même en dessous et au dessus du seuil S*. On ne peut, dans ce second cas, établir l'existence d'un seuil. L'étape suivante de ce test est l'endogénéisation du seuil (S*). Dans la plupart des cas, rien ne permet de décider de manière ad hoc le niveau de la variable seuil qui influencera le coefficient structurel de X. Ainsi, au lieu de l'imposer arbitrairement, le test proposé passe en revue de manière exhaustive les ruptures possibles en supposant tour à tour que toutes les valeurs de S - disponibles dans la base de données - jouent le rôle de S*. Chaque valeur de S utilisée comme seuil potentiel permet de déterminer un T de Student associé à la dummy Xinft,i. Ces T de Student sont recensés au sein d'un graphe. La règle de décision est ensuite la suivante: l'existence d'un seuil est inférée lorsque le graphe obtenu fait apparaître des T de Student supérieurs en valeur absolue à 2 (ce qui correspond à un coefficient significatif à 5%). Lorsque tout un ensemble de T de Student dépasse la valeur critique, le seuil est choisi au point où cette statistique est maximale en valeur absolue. 257 L'existence d'un second seuil peut, à son tour, être inférée en ré-exécutant le test sur les souséchantillons mis à jour. Lorsque l’existence d’un seuil est inféré, ses conséquences en termes de spécification sont ensuite estimées par le biais d’une régression dans laquelle la variable X est remplacée par ses deux composantes Xinf et Xsup. Cette procédure nous permet de vérifier dans quel sens la rupture sévit, si elle entraîne une intensification du phénomène en rapport avec une plus forte accumulation de S - cas d’un coefficient plus fort pour Xsup que Xinf - ou si, au contraire l’influence de X diminue. C. Les résultats des tests de changement structurel Nous nous proposons, à présent, d'appliquer le test exposé précédemment et de tester l'hypothèse d'existence de seuils qui affecteraient le rattrapage technologique conditionné par l'interaction capital humain / ouverture économique. Déjà dans leur article, Benhabib et Spiegel (1994) avaient montré que l'impact du rattrapage technologique sur la croissance dépendait de la position relative des pays dans l'échelle du développement économique. Séparant leur base de données en trois sous-échantillons de même taille, et testant leur modèle initial sur chacune des sous-bases constituées, ils concluaient à un effet de rattrapage technologique principalement pertinent pour les pays les plus pauvres. Dans ce qui suit, nous nous attachons à vérifier de manière systématique l'existence d'un seuil lié à l'accumulation du revenu par tête selon le principe que le développement économique n'est pas un processus linéaire mais donne lieu à divers régimes de croissance. Puis, nous référant en cela aux modèles théoriques du premier chapitre et à leurs conclusions en terme d'équilibres multiples, nous nous tournons vers des tests prenant l'éducation comme variable de seuil. 1. Le revenu comme variable de seuil a. Les résultats des tests de rupture de coefficients Lorsque le test de rupture de coefficient est appliqué à la base 1880-1980, avec pour variable de seuil le revenu par tête et pour facteur susceptible d'enregistrer une rupture d'influence la 258 variable interactive combinant rattrapage technologique, éducation et commerce, nous obtenons le graphe des T-stat reporté ci-dessous (III.1). Ce graphe suggère l'occurrence d'un seuil pour un niveau de revenu par tête égal à 7.97, valeur atteinte par le Canada et les pays européens au moment de la première guerre mondiale. Les Etats Unis sont le seul pays à toujours avoir été au dessus de ce seuil. Un tel résultat mérite l'attention: il signifie que le rattrapage technologique ne s'effectue pas de la même manière lorsque les pays ont atteint un niveau de revenu par tête supérieur ou inférieur à 7.97. Cependant, il ne permet pas de différencier l'aspect inhérent à la variable de revenu d'une telle conclusion de sa composante purement historique. Dans notre cas, en effet, un revenu par tête de 7.97 correspond aux niveaux atteints aux environs de la première guerre mondiale. Il se peut donc qu'il reflète les changements structurels survenus à cette époque tels les évolutions en termes technologiques entraînées par la guerre - et non un effet du au niveau de développement atteint. Nous retrouverions, ainsi, au travers de la variable de revenu un changement structurel temporel et non un seuil lié à l'accumulation du PIB par tête. Graphe III.1: Graphe des T de Student associés à la variable tronquée H*Xpib*((Ymax-Y)/Y)inf, avec le revenu comme variable de seuil 6 5 4 3 2 1 9,7 9,55 9,45 9,36 9,28 9,19 9,1 8,98 8,88 8,79 8,65 8,54 8,46 8,42 8,35 8,27 8,2 8,14 8,06 8 7,94 7,87 7,79 7,67 7,49 7,37 -1 6,88 0 -2 -3 Seuil -4 Légende: ----- T de Student associé à la variable H*Xpib*((Ymax-Y)/Y) T de Student associé à la variable tronquée H*Xpib*((Ymax-Y)/Y)inf, Afin de vérifier la robustesse de nos résultats, nous comparons le seuil mis à jour au sein de notre test à celui que la procédure de Hansen (1999) permettrait de déterminer. Nous dérivons les sommes des carrés résiduels issues des estimations du modèle de Benhabib et Spiegel 259 (1994) avec seuil lorsque toutes les valeurs de revenu par tête sont tour à tour supposées être le point d’occurrence de la rupture. La règle de décision est ensuite de choisir la rupture au niveau de revenu qui minimise la somme des carrés résiduels. Ces statistiques sont insérées au sein du graphe III.2. Ce graphe témoigne d’un résultat identique à celui déjà mis à jour lors du test du Student puisqu’il situe l’occurrence d’un seuil à un niveau de revenu par tête (en log) de 7.97. Bien que nous n’ayons pas mis en place la procédure de bootstrap et que nous ne pouvons donc pas affirmer la significativité d’un tel seuil, le test de Hansen (1999) semble donc confirmer nos résultats, du moins en ce qui concerne le point d’occurrence du seuil. Graphe III.2 : Sommes des carrés résiduels issues du test de Hansen (1999) appliqué à la spécification de Benhabib et Spiegel (1994) augmentée, avec le PIB par tête comme variable de seuil 0,74 0,735 0,73 0,725 0,72 0,715 7, 00 7, 282 38 3 8 7, 797 48 1 9 7, 526 59 4 8 7, 921 71 1 2 7, 711 81 4 9 7, 170 86 3 2 3 7, 74 92 0 9 7, 317 96 1 5 2 8, 61 01 4 1 8, 486 06 4 9 8, 884 13 8 6 8, 031 17 8 6 8, 879 22 0 1 8, 479 27 7 2 8 8, 26 34 7 9 8, 377 39 6 7 5 8, 20 43 9 6 3 8, 517 49 7 8, 34 54 3 4 8, 443 61 0 7 8, 918 73 4 5 8 8, 71 84 3 3 8, 026 90 4 3 6 8, 17 97 4 7 9, 628 06 0 2 9, 970 15 9 8 9, 572 23 8 3 9, 295 28 5 9 9, 751 33 6 33 6 9, 57 40 8 9, 495 4 3 9, 793 55 5 80 3 68 3 0,71 b. Les conséquences en termes de spécification Une fois ce seuil mis à jour, les coefficients du modèle initial (agrégé, c'est à dire dans lequel H*Xpib*(ymax/y) et H*Xpib sont contraints à avoir le même coefficient en valeur absolue) sont redéfinis en remplaçant la variable de rattrapage technologique par les dummies qui la constituent. Ainsi, au lieu de conserver une seule variable de rattrapage technologique nous insérons deux indicateurs tronqués: un prenant les valeurs de la variable de rattrapage 260 technologique en dessous de la valeur seuil de revenu et le second correspondant à son complémentaire. Nous pouvons, de cette manière, comparer nos résultats à ceux mis à jour par benhabib et Spiegel (1994) et déterminer si le rattrapage technologique est un processus susceptible de générer des pièges de pauvreté, ou si, au contraire, il participe d'une logique de convergence. Cette nouvelle spécification - dont les résultats sont consignés au sein du tableau III.13 restaure la significativité de la convergence à la Benhabib et Spiegel (H*(Ymax/Y)). Un tel résultat peut certainement s'expliquer par une meilleure spécification du modèle. Cependant, bien que significatif, ce terme reste faiblement influent sur la croissance, puisque le coefficient structurel qui lui est associé n'est que de 0.037. H*Xpib*((Ymax-Y)/Y)inf et H*Xpib*((Ymax-Y)/Y)sup ont un impact nettement plus prononcé: leurs coefficients structurels atteignent respectivement 0.078 et 0.162, ce qui signifie que le rattrapage technologique, s'il est légèrement amplifié par l'éducation, est largement accéléré par la complémentarité entre éducation et commerce. Tableau III.13: reprise du modèle de benhabib et Spiegel (1994) augmenté avec prise en compte d'un seuil lié à la variable de revenu. Variable dépendante: LnYt+1-LnYt Benhabib et Spiegel (1994) augmenté avec effet seuil lié au revenu I N /Y .086** (.036) .376** (.192) H -.080** (.030) H * (Ymax / Y) H*Xpib*((Ymax-Y)/Y)inf H*Xpib*((Ymax-Y)/Y)sup .037** (.012) .078** (.038) .162** (.033) R² ajusté Hétéroscédasticité (p-value) Durbin Watson Fisher (p-value) Nombre d'observations .315 .540 2.09 .000 710 Dummies temporelles significatives, mais non reportées. Ecarts type entre parenthèses. Niveaux de significativité: * (10%), ** (5%). Fisher: test d'existence d'effets spécifiques. Le second résultat mis à jour grâce à cette estimation est la hausse du coefficient structurel associé à la variable de rattrapage technologique en fonction du revenu. Ainsi, le rattrapage technologique pondéré par éducation et commerce est plus faible pour un niveau de revenu par tête inférieur à 7.97 et plus élevé au dessus de cette valeur. Par conséquent, et 261 contrairement à ce que Benhabib et Spiegel (1994) avaient mis à jour, le phénomène de rattrapage technologique ne décroît pas avec le niveau de revenu. Il semble, au contraire, fonctionner comme un processus de 'learning by doing': plus un pays se développe, plus il paraît capable de profiter des technologies auxquelles il a accès via son commerce. Cette configuration est susceptible de générer des pièges de pauvreté puisque plus un pays se développe, plus il renforce son avantage en terme de capacité à converger avec les économies les plus développées. Cependant, il faut souligner que cette étude économétrique possède un caractère temporel que l'article de Benhabib et Spiegel (1994) ne contenait pas. Ainsi, si ces auteurs pouvaient déduire de leurs travaux qu'à période temporelle donnée les pays les plus riches connaissent un phénomène de rattrapage technologique moins prononcé que les pays pauvres, nous pouvons ajouter à ce résultat qu'en coupe temporelle, plus les pays ont été riches, plus ils ont enregistré une convergence technologique rapide. Pour en revenir à une possible explication historique, il semblerait que la première guerre mondiale ait représenté une zone de transition vers un rôle accru du rattrapage technologique. Ceci peut sans doute s'expliquer par les destructions massives et la nécessité d'une reconstruction générale entraînées par ce conflit, phénomènes qui ont peut être permis la mise en place de nouvelles technologies plus homogènes et donc susceptibles d'être imitées, échangées et de créer un phénomène de convergence technologique. 2. Le capital humain comme variable de seuil Cependant, au vu des modèles de Krugman (1987), Pautrel (1997) et Grosman et Helpman (1991), il paraîtrait plus justifié de considérer le capital humain, et non plus le revenu par tête comme variable de seuil. En effet, il semblerait, selon ces modèles, qu'en fonction du stock de capital humain déjà accumulé par les économies, les pays emprunteraient des chemins d'expansion différents. Dans ce qui suit, nous testons donc la possibilité d'un impact différencié de la variable interactive (Ymax–Y)/Y*H*Xpib sur la croissance en fonction de différents niveaux d'éducation. 262 Légende: -1 -2 -3 Graphe III.4 : Graphe des T de Student associés au test de rupture de coefficients, occurrence d’un second seuil lié à l’éducation -4 ----- T de Student associé à la variable H*Xpib*((Ymax-Y)/Y) T de Student associé à la variable tronquée H*Xpib*((Ymax-Y)/Y)inf, 263 0.89 0.83 0.8 0.78 0.75 0.74 0.71 0.7 0.69 0.68 0.68 0.67 0.67 0.66 0.65 0.64 0.63 0.62 0.61 0.61 0.6 0.59 0.58 0.57 0.57 0.56 0.56 0.55 0.54 0.53 0.53 0.52 0.52 0.51 0.51 0.51 0.49 0.49 0, 24 0 0, 15 30 94 32 0, 297 32 2 0, 26 36 8 0, 57 40 63 7 0, 80 41 96 53 0, 297 43 0, 36 45 59 3 0, 38 47 63 4 0, 54 48 59 3 0, 38 49 47 0 0, 93 50 89 7 0, 12 50 42 8 0, 43 51 86 4 0, 50 52 85 22 0, 905 52 0, 67 53 46 14 0, 008 55 0, 21 55 25 8 0, 40 56 44 5 0, 98 57 22 21 0, 58 539 6 0, 94 59 77 5 0, 96 61 71 0 0, 23 61 55 5 0, 29 62 97 9 0, 96 64 33 3 0, 06 65 46 6 0, 65 66 36 6 0, 89 67 38 31 0, 67 024 9 0, 93 69 34 0 0, 96 70 59 7 0, 49 73 94 1 0, 49 75 26 0 0, 15 78 94 4 0, 83 82 05 5 0, 61 89 77 76 64 8 a. Les taux de scolarisation susceptibles de générer des seuils 6 5 4 3 2 1 0 -1 -2 -3 -4 Graphe III.3: Graphe des T de Student associés au test de rupture de coefficients, avec l’éducation comme variable de seuil 6 5 4 3 2 1 0 Lorsque la variable de seuil considérée est le capital humain, il semble que le modèle de Benhabib et Spiegel augmenté donne lieu à deux ruptures du coefficient de la variable (YmaxY)/Y)*H*Xpib. Pour vérifier cette hypothèse, nous supposons l'existence d'un seuil à hauteur de 49% de la classe d’âge scolarisé - première rupture enregistrée par le graphe III.3 – et testons l'existence d'un second seuil en divisant la variable (Ymax-Y)/Y)*H*Xpibsup en deux nouvelles variables: (Ymax-Y)/Y)*H*Xpibmoy et (Ymax-Y)/Y)*H*Xpibssup. Le graphe III.4 confirme l'existence d’un second seuil lié à l'éducation à hauteur de 68% de scolarisés. Il faut noter que, de nouveau, le test de Hansen (1999) confirme les seuils obtenus par le biais de notre méthode (graphe III.5). Les deux seuils obtenus ne semblent pas correspondre à des ruptures temporelles évidentes. La région située avant les 49% de scolarisés contient à la fois certains pays en retard sur le plan de l’accumulation du capital humain en début de période - tels le Royaume Uni, le Japon, l’Italie et le Danemark - et des économies fortement déstabilisées au cours de l’entre deux guerres - Allemagne, France, Suède. Il n'y a, cependant, aucune observation concernant la période 1950-1980 au sein de cette première plage de valeurs. La zone où les valeurs de capital humain sont les plus élevées (taux de scolarisation supérieurs à 68%) contient uniquement des pays sur la période succédant à la seconde guerre mondiale. Néanmoins, elle ne concerne qu’un petit nombre d’économies puisque seuls le Canada, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont accumulé suffisamment de capital humain pour se situer constamment dans cet intervalle. Les autres pays de l’échantillon n’atteignent ces niveaux qu’en toute fin de période. Pour ce qui est de l’intervalle intermédiaire, il concerne à la fois les pays les plus avancés en termes d’accumulation de capital humain en début de période (France, Allemagne, Norvège), la plupart des pays sur l’entre deux guerres et les pays européens en fin de période. Cette absence de lien direct entre ruptures liées au capital humain et césures temporelles suggère que les seuils mis à jour par le test de changement structurel sont dus à des niveaux divers d’accumulation de capital humain, c’est à dire qu’ils ne sont pas uniquement dus à des déterminants historiques. 264 Graphe III.5: Sommes des carrés résiduels issues du test de Hansen (1999) appliqué à la spécification de Benhabib et Spiegel (1994) augmentée, avec l’éducation comme variable de seuil 0,74 0,735 0,73 0,725 0,72 0, 24 9 0, 89 30 56 5 0, 66 33 78 7 0, 69 38 05 0 0, 93 40 97 7 0, 93 42 67 7 0, 95 43 44 74 0, 45 872 61 0 0, 73 48 0, 13 48 9 0, 68 50 15 5 0, 67 50 11 83 0, 51 076 2 0, 87 52 74 0 0, 02 52 53 64 0, 53 646 11 0, 85 55 4 0, 21 56 25 0 0, 38 56 91 59 0, 57 822 3 0, 79 58 07 9 0, 04 59 39 7 0, 88 61 59 1 0, 81 61 43 83 0, 63 807 6 0, 22 64 01 8 0, 25 66 08 22 0, 66 353 7 0, 19 67 88 89 0, 68 346 7 0, 45 70 06 2 0, 62 72 46 4 0, 30 74 65 6 0, 12 78 81 4 0, 83 82 05 36 90 1 0,715 b. Les conséquences en termes de spécification Tableau III.14: modèle de benhabib et Spiegel (1994) augmenté avec prise en compte d'un seuil lié à la variable d'éducation. Variable dépendante: LnYt+1-LnYt BS (1994) augmenté avec effet seuil lié à l’éducation I n /Y .090** .423** (.036) (.193) H -.061* (.033) H * (Ymax / Y) .018** .209** .134** .218** (.011) (.058) (.034) (0.40) (Ymax-Y)/Y)*H*Xpibinf (Ymax-Y)/Y)*H*Xpibmoy (Ymax-Y)/Y)*H*Xpibsup R² ajusté Hétéroscédasticité (p-value) Durbin Watson F-test (p-value) Nombre d'observations 0.313 .613 2.111 .000 710 Dummies temporelles significatives, mais non reportées. Ecarts type entre parenthèses. Niveaux de significativité: * (10%), ** (5%). Fisher: test d'existence d'effets spécifiques 265 Les résultats de telles hypothèses suggèrent un impact de la variable de rattrapage technologique sous forme de U selon les valeurs de capital humain considérées: pour des niveaux faibles d'éducation, la variable interactive apparaît avoir une influence plutôt forte sur les performances économiques, pour des valeurs moyennes, cet impact décroît largement pour remonter ensuite lorsque les taux de scolarisation deviennent maximaux. L'interprétation économique de ce dernier résultat n'est pas évidente. Ce dernier reflète certainement, au même titre que le résultat précédent d'ailleurs, les limites liées à l'hypothèse d'homogénéité technologique sur une période aussi longue qu'un siècle. De 1880 à 1980, les techniques, ainsi que les inputs nécessaires à la production ont profondément évolué entraînant avec eux un changement radical des modalités de l'imitation et du rattrapage technologique. Notre variable interactive en est nécessairement affectée, ce qui justifie l'occurrence de ruptures dans la dynamique. Cependant, si les deux facteurs étudiés - niveau de revenu et capital humain - donnent tous deux naissance à des seuils au cours du processus de rattrapage technologique, nous privilégions les enseignements apportés par le premier d'entre eux. Celui-ci en particulier nous semble correspondre à la fois à une réalité économique et historique importante: la rupture de la première guerre mondiale. 266 Conclusion Cette troisième partie s'appuie sur un panel de dix pays et cent ans pour évaluer s'il existe une complémentarité entre le capital humain et l'ouverture économique dans le processus de croissance. Les régressions effectuées ont confirmé l'existence d'une interaction entre ces deux variables, mais essentiellement pertinente pour expliquer la convergence entre pays (par le biais des échanges de technologies et de la propagation des hausses de productivité). Les résultats de cette étude soulignent finalement l'importance d'une coordination des politiques éducatives et commerciales, coordination surtout essentielle pour les pays qui connaissent un retard technologique. Elles ne semblent, au contraire, pas accréditer l'hypothèse selon laquelle la complémentarité des facteurs permettrait aux pays de changer de sentier de croissance et de connaître sur le long terme des taux de croissance divergents. Enfin, un test de changement structurel nous a permis de mettre à jour l'existence d'un seuil de revenu au delà duquel le rattrapage technologique s'accélérait entre pays. Ce travail souligne ainsi l'occurrence de plusieurs phénomènes non linéaires liés au développement économique. La complémentarité des facteurs de la croissance en est un: le capital humain et l’ouverture économique ne semblent pas agir individuellement sur les performances économiques mais de manière complémentaire. Le fait que cette complémentarité agisse à travers un phénomène de rattrapage technologique dont la vitesse dépend du niveau de revenu en est une seconde. Ainsi, plus un pays connaît un retard technologique important par rapport aux autres, plus il bénéficie de l'interaction entre ouverture économique et capital humain. Mais, simultanément, plus les pays se développent, plus ils accroissent leur capacité à converger avec les autres. 267