N F D G Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 29-48 La « troglobitude » : adaptations à la vie souterraine Michel Dethier(1) & Jean-Marie Hubart(2) (1) Unité d’Entomologie fonctionnelle et évolutive, Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux, B-5030 Gembloux et Laboratoire de Biologie souterraine « Les Chercheurs de la Wallonie » B-4400 Flémalle. [email protected] (2) Laboratoire de Biologie souterraine « Les Chercheurs de la Wallonie » B-4400 Flémalle. [email protected] Cet article constitue une ébauche de revue bibliographique sur la faune cavernicole, principalement d’Europe occidentale. Il s’attache plus particulièrement à cerner les adaptations des espèces troglobies, c’est-à-dire strictement liées au milieu souterrain. Les principales théories explicatives des origines possibles de cette faune sont également passées en revue. Mots-clefs : milieu souterrain, faune troglobie, adaptations, évolution. This paper is an outline of a bibliographical review on the cave fauna, mainly that of Western Europe. In particular, it attempts to determine the adaptations of troglobitic species, i.e. species strictly related to underground environment. The principal explanatory theories of the possible origins of this fauna are also reviewed. Keywords: underground environment, troglobitic fauna, evolution. 1. INTRODUCTION Pour le visiteur non averti, le milieu souterrain présente un aspect essentiellement minéral, parfois d’ailleurs tout à fait extraordinaire. Tout au plus connaît-il les chauves-souris, qu’il considère souvent comme les plus typiques et seuls habitants des grottes. Pourtant, ce monde à l’apparence parfois quelque peu rébarbative abrite une faune riche et variée. Nos lointains ancêtres du Paléolithique s’en sont même aperçus, puisqu’ils ont gravé, sur un os de bison, la silhouette très reconnaissable d’un Troglophilus, un Orthoptère cavernicole. Le premier animal véritablement troglobie découvert en Europe fut le Protée (Proteus anguinus) décrit au XVIIIème siècle par Laurenti des grottes de Slovénie. Au siècle précédant, ce curieux Urodèle était encore considéré comme un jeune dragon. Il fallut ensuite attendre le XIXème siècle pour que soient jetées les bases de la Biospéologie. Schiner, dès 1854, puis surtout Racovitza, au début du XXème siècle, ont mis en évidence les particularités du monde souterrain, les relations plus ou moins étroites que les animaux pouvaient entretenir avec lui et les adaptations que certaines espèces avaient développées pour y vivre en permanence. 2. RELATIONS ENTRE LA FAUNE ET LE MILIEU SOUTERRAIN On a, depuis longtemps, relevé les caractéristiques du milieu souterrain : absence totale de lumière (et, de ce fait, du cycle nycthéméral), température basse et humidité élevée mais constante, rareté des ressources trophiques,… C’est un milieu pauvre, difficile, mais par contre très stable. Loin d’être uniforme, il offre au contraire une grande variété d’habitats. Dès 1907, Racovitza a montré que les animaux que l’on y rencontrait n’entretenaient pas tous avec ce milieu des relations identiques. Affinant la classification de Schiner, il a proposé de distinguer : • Les trogloxènes, qui ne passent dans les grottes qu’une partie de leur vie et ne s’y reproduisent pas. Ils ne présentent donc aucune des adaptations classiques (dépigmentation, anophthalmie,… : v. plus loin) à ce type de milieu. Ils viennent simplement y chercher un abri pour l’hiver ou, au contraire, un peu de fraîcheur et d’humidité en été ; certains y effectuent leur diapause. Scoliopteryx libatrix (L.) est un papillon de la famille des Noctuidae dont les chenilles vivent sur les saules et les peupliers. A la fin de l’été (parfois même plus tôt), les adultes entrent dans les grottes pour hiberner (ils sont alors totalement engourdis) et n’en ressortent qu’en mars. Il semble qu’en réalité, ils subissent une véritable diapause hivernale (Dethier & Depasse, 2004). • Les troglophiles sont des hôtes électifs constants des cavités souterraines. Ils y passent toute leur vie (ou dans des lieux comparables) et peuvent parfaitement s’y reproduire. S’ils ne présentent 30 Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 29-48 encore guère d’adaptations morphologiques à ce mode de vie, leur métabolisme et leur comportement montrent déjà certaines prédispositions. C’est ainsi que l’Araignée Meta menardi Latr. a un quotient respiratoire plus bas que ses cousines épigées et qu’elle tisse ses toiles parallèlement aux parois, afin de capturer des proies qui se déplacent à leur surface. M. Dethier & J.-M. Hubart une famille (Nerillidae) qui compte beaucoup de représentants dans la faune interstitielle marine. Marifugia (découvert en Herzégovine en 1913) est une autre Annélide Polychète, sédentaire cette fois (famille des Serpulidae), dépigmentée, translucide et anophthalme, dont les tubes calcifiés peuvent s’observer parfois par millions sur les parois des grottes inondées. Pendant l’été, ces colonies sont parfois exondées et les vers sont alors capables d’entrer dans une phase de vie ralentie. Ces deux espèces sont des relictes marines anciennes. Figure 2 : Cylindrochaeta, Orthoptère endogé d’Australie (tiré de Vandel, 1964, d’après Chopard) Figure 1 : Niphargus, Amphipode troglobie (photo F. Delhez). • Les troglobies enfin, sont les véritables cavernicoles. Ce sont les hôtes exclusifs du monde souterrain et leurs profondes modifications, tant physiologiques que morphologiques cette fois, les ont en quelque sorte rendus prisonniers des parties profondes des grottes. Nous avons déjà signalé l’existence du Protée (seul Vertébré troglobie d’Europe). Parmi les Invertébrés, un exemple classique est celui des Niphargidae (figure 1), Crustacés Amphipodes voisins des Gammares. Dépigmentées et anophthalmes, ces « crevettes » cavernicoles présentent en outre des adaptations physiologiques remarquables à leur environnement : métabolisme très lent (durée de vie plus longue et grande capacité de jeûne), taux de reproduction plus faible (œufs moins nombreux mais plus gros),… Dans la suite de cet article, il sera essentiellement question des espèces troglobies. On rencontre ces dernières dans de nombreux embranchements du règne animal. Citons, à titre d’exemple : - Oryctopus (Inde) et Cylindrochaeta (Australie, figure 2) sont des Orthoptères de la famille des Stenopelmatidae profondément modifiés par leur mode de vie souterrain. En réalité, ce sont plutôt des endogés, vivant dans les sols profonds, que des cavernicoles au sens strict et, dans ce sens, ils peuvent être rapprochés de nos courtilières. - Troglochaetus (découvert en Suisse en 1919) est une très petite Annélide Polychète appartenant à - Siettitia est un Coléoptère Dytiscidae récolté pour la première fois en 1904 dans un puits du Var. Il vit dans les nappes phréatiques, est décoloré et couvert de longues soies sur tout le corps. Si les ocelles sont absents, les yeux sont néanmoins présents mais ils ne sont pas pigmentés. Les Aphaenops sont des Carabidae troglobies typiques, bien connus des biospéologues dans le bassin méditerranéen et les Pyrénées. - Charonothrombium (figure 3) est un Acarien des nappes phréatiques au corps très allongé, translucide et complètement anophthalme. Figure 3 : Charonothrombium, Acarien des nappes souterraines (tiré de Vandel, 1964, d’après Motas & Tanasachi). - Parmi les Vertébrés, outre le Protée, on connaît d’assez nombreuses espèces de Poissons cavernicoles, comme par exemple Caecobarbus d’Afrique. - Dans les grottes, on trouve donc de nombreux Insectes (en particulier des Coléoptères) et des Araignées (surtout des Linyphiidae), de très nombreux Crustacés (certaines familles, comme par exemple les Niphargidae et les Stenasellidae, n’étant connues que par des espèces cavernicoles), mais encore des Mollusques (chez nous, deux espèces de Gastéropodes sont cavernicoles), des Plathelminthes (deux espèces de Dendrocoelum sont stygobies en Belgique) et même, semble-t-il, des Protistes. A notre connaissance, dans les La troglobitude « grands » embranchements, il n’y a guère que les Porifères, les Cnidaires et les Echinodermes qui n’ont pas de représentants vraiment cavernicoles. Il faut cependant noter que certaines espèces d’Hydres habitent le milieu interstitiel. En Belgique, la faune cavernicole a été d’abord étudiée par Leruth (1939). Quelques auteurs s’y sont également intéressés par la suite et, en 1999, Hubart & Dethier ont proposé un bilan de la faune troglobie de notre pays : elle comptait alors 41 espèces. Mais des observations et des travaux ultérieurs (Bareth, 1999, 2000, Ducarme, 2003, Ducarme et al., 2003,…) ont déjà permis de porter cette liste à une cinquantaine d’espèces. On y trouve des Vers (Annélides, Triclades, Nématodes), des Araignées, des Acariens, des Crustacés (Copépodes, Ostracodes, Amphipodes, Isopodes), des Mollusques, des Diploures, des Collemboles et un Coléoptère Pselaphidae, Tychobythinus belgicus (Jeannel) (figure 4). Ce dernier, cependant, est un troglobie récent, comme le montre la présence d’yeux (bien que réduits), son cycle reproducteur et le comportement de sa larve (Hubart, 2000). Cette relative pauvreté, par rapport aux faunes cavernicoles du sud de l’Europe par exemple, s’explique sans doute par le fait que notre pays est situé à la limite atteinte par les glaciers et que la (re)colonisation de nos grottes est probablement toujours en cours. De ce qui précède, on pourrait conclure un peu vite que la « troglobitude » est un état clairement défini et que sa reconnaissance chez une espèce ne pose aucun problème. Ce n’est en réalité pas aussi simple que cela et, dans la suite, nous allons donner un échantillon des problèmes qui se posent souvent aux biospéologues. D’ailleurs, dans les exemples évoqués ci-dessus, certaines questions se posaient déjà : différences et ressemblances entre troglobies et endogés, distinction entre troglobies récents et anciens, … Outre les références citées dans le texte, le lecteur intéressé par ces questions pourra aussi consulter des ouvrages consacrés à la biospéologie, comme par exemple ceux de Vandel (1964), de Ginet & Decou (1977) ou de Wilkens, Culver & Humphreys (2000). Il consultera aussi avec profit les trois tomes parus de l’Encyclopaedia Biospeologica (environ 2000 pp.), éditée par Ch. Juberthie & V. Decu et publiée par la Société Internationale de Biospéologie (SIBIOS). 3. ASPECTS DE LA TROGLOBITUDE Aspects morphologiques 1. La dépigmentation Si ce caractère est souvent considéré comme « fondamental » des troglobies et, de fait, peut être 31 observé chez l’immense majorité de ceux-ci, il n’en est pas pour autant le strict apanage : bien des espèces endogées, humicoles, myrmécophiles,… sont également dépigmentées. D’autre part, des espèces vivant toujours sous terre peuvent être normalement pigmentées (l’Opilion Ischyropsalis pyrenaea Simon, par exemple) et dépigmentation n’est pas synonyme d’albinisme : des insectes parfaitement troglobies comme les Aphaenops ne sont pas blancs mais présentent la couleur ocrée de la chitine. Des pigments peuvent en effet être trouvés chez des espèces troglobies, comme par exemple des caroténoïdes provenant de l’alimentation (Stenasellus), des ptérines (chez certains Coléoptères), etc. Figure 4 : Tychobythinus belgicus (Jeannel), Coléoptère Pselaphidae cavernicole de Belgique (photo J.-M. Hubart). Dans le cas des espèces troglobies, il serait plus juste de parler de disparition des pigments tégumentaires (mélanines et ommochromes) entraînant la photophobie (ou photopathie) et la recherche des milieux obscurs. En effet, si un excès de lumière peut à la longue se révéler nocif pour des animaux épigés comme les Gammares, par exemple, il peut très vite être mortel pour des espèces troglobies, comme certaines Planaires et les Niphargidae. Si l’œil complètement régressé des troglobies anciens n’est plus sensible à la lumière, ces animaux, en particulier les espèces aquatiques, conservent néanmoins des photorécepteurs : le diencéphale et la peau (sens dermatoptique) restent sensibles aux faibles intensités lumineuses. Wilkens (1973) a étudié le degré de dépigmentation de plusieurs poissons et écrevisses cavernicoles du Yucatan et montré que le phénomène était extrême chez les espèces d’origine marine, nul chez les dulçaquicoles primaires, tandis que chez les dulçaquicoles secondaires, on observait un état intermédiaire. Plutôt que d’évoquer des différences de vitesse d’évolution, cet auteur (et d’autres avec lui) préfère envisager une différence d’ancienneté 32 Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 29-48 phylogénétique : les espèces les plus avancées dans ce processus seraient entrées dans le milieu souterrain longtemps avant les autres. Il distingue donc des troglobies anciens et récents et explique ces invasions successives par la géologie et la paléoclimatologie de la région, lesquelles auraient joué le même rôle que les glaciations chez nous. On a souvent considéré la dépigmentation (ou, plus exactement, la perte des pigments mélaniques tégumentaires) comme un caractère dégénératif des espèces troglobies. Ginet (1973) s’est demandé si, au contraire, ce facteur n’avait pas favorisé la conservation des lignées sénescentes en déclenchant un comportement photophobe qui les a conduites à chercher refuge dans le domaine souterrain. Là, en effet, l’aspect négatif des autres caractères dégénératifs des troglobies (perte des structures oculaires, métabolisme réduit,…) est atténué. Dans cette optique, la perte des pigments tégumentaires pourrait être considérée comme un facteur d’évolution plutôt positif, puisqu’elle a permis la survie de lignées entières. Il faut vraisemblablement attribuer la perte de ces pigments au métabolisme réduit des troglobies. En effet, mélanines et ommochromes représentent le plus souvent des résidus métaboliques, en particulier chez les Arthropodes. Si le métabolisme se réduit, ces substances sont évidemment produites en moins grandes quantités, voire pas du tout. La pigmentation des animaux épigés est stable, permanente : des Asellus aquaticus (L.) soustraites à la lumière pendant des mois ne perdent pas leurs couleurs et leur descendance est normalement colorée (mais nous avons observé, dans la grotte de Hotton, des Gammarus dépigmentés !). A l’opposé, des troglobies anciens ont perdu leurs pigments mélaniques tégumentaires de manière définitive et les exposer à la lumière, même de façon prudente et progressive, ne leur a jamais rendu des couleurs. Mais entre ces deux extrêmes, il existe un bon nombre de cas où l’on constate un état d’instabilité de la pigmentation : le Protée, normalement d’un rose très clair, prend une teinte violette à noirâtre lorsqu’il est exposé (prudemment !) à la lumière. Nous avons nous-mêmes souvent observé des populations épigées de l’Isopode Androniscus dentiger Verhoeff d’une belle teinte orangée, tandis que les individus de la grotte voisine étaient blancs. 2. L’anophthalmie Ce caractère est aussi couramment considéré comme typique de la faune cavernicole. Si, statistiquement, il est plus fréquent chez les animaux des grottes, ces derniers n’en ont pas pour autant l’exclusivité. Comme la dépigmentation, on le rencontre chez beaucoup de représentants de la pédofaune M. Dethier & J.-M. Hubart (Symphyles, Géophiles, Palpigrades, Cryptops,…), ainsi que chez les espèces abyssales, tant marines que lacustres. Mais ici encore, il faut constater que le parallélisme entre l’anophthalmie et l’obscurité est loin d’être absolu. Ce phénomène semble aussi propre à certaines lignées phylétiques : c’est ainsi que seulement 1% des crabes abyssaux sont anophthalmes, tandis que plus de 10% des Mysidacés sont dépourvus d’yeux. La régression et la disparition des structures oculaires est d’autant plus poussée qu’elle est phylétiquement plus ancienne et elle peut également affecter des espèces épigées, qui adoptent alors des comportements nocturnes, comme l’a montré Wilkens (1973), en parallèle avec la dépigmentation. Les modalités de la régression oculaire dépendent de plusieurs facteurs : - La complexité de l’œil : elle se déroule plus vite chez les Planaires que chez les Arthropodes. - L’âge phylogénétique : elle est plus complète chez les troglobies anciens que chez les troglobies récents (cf. supra). Cette constatation semble être une règle assez générale dans l’évolution des espèces troglobies. La régression se déroule le plus souvent selon le schéma suivant : - Disparition préliminaire des structures périphériques, c'est-à-dire de l’appareil dioptrique (facettes cornéennes, cônes réfringents). - Régression et disparition subséquentes des parties profondes, sensorielles et nerveuses (cellules rétiniennes, nerf optique), apparemment plus stables. Strauss (1909), étudiant les Amphipodes marins abyssaux, a établi une série régressive, dont il a nommé les stades à partir de noms de genres caractéristiques (Liljeborgia, Tryphosa, Harpinia, Andaniexis). Turquin (1973) a tenté d’établir des corrélations entre la série régressive de Strauss et les observations faites sur les Niphargidae, mais la disparité des techniques histologiques, les difficultés systématiques et les malentendus entre auteurs rendent la tâche malaisée. Il est néanmoins évident que tous les Niphargus (s.l.) ne sont pas au même stade de régression oculaire. Il convient aussi de noter que le schéma esquissé cidessus ne s’applique pas aux Insectes. Chez ces derniers, on observe un arrêt du développement des structures oculaires au stade d’ébauches, alors que chez d’autres animaux, le développement est d’abord normal (bien que souvent ralenti), puis suivi d’une La troglobitude 33 suivies ensuite par les structures nerveuses profondes. Dans le cas des premières, tous les stades intermédiaires peuvent être observés. Ainsi, dans le genre Schaefferia, on connaît des espèces possédant 6+6 cornéules et d’autres parfois plus aucune (comme, par exemple, S. coeca). En Belgique, S. willemi (Bonet) est considéré comme troglobie (Leruth, 1939 ; Hubart & Dethier, 1999). Il possède encore néanmoins quatre cornéules, d’un diamètre de 13 microns, alors que chez S. coeca, s’il présente encore des cornéules, leur diamètre n’est plus que de 2.5 microns. dégénérescence, comme par exemple chez le Protée et les poissons cavernicoles. La réduction et la disparition des structures oculaires ont fait l’objet de nombreuses études. Nous ne citerons ici que quelques exemples : • Les Collemboles ont été étudiés par Thibaud (1967), Thibaud & Massoud (1973), Barra (1973), Christiansen (1985), … De ces travaux, il ressort que : - La régression oculaire ne se produit pas avec la même fréquence et la même intensité dans toutes les familles. Les Sminthuridae sont très peu affectés par ce phénomène, les Entomobryidae présentent quelques cas particulièrement démonstratifs (en particulier dans le genre Pseudosinella), tandis que les Neelidae et les Onychiuridae montrent les résultats d’une évolution régressive souvent extrême. - Si la réduction oculaire et la dépigmentation s’observent aussi bien chez les espèces cavernicoles que chez les espèces endogées, il n’en va pas de même pour d’autres caractères. La furca, par exemple, ne régresse que chez les espèces des sols profonds. • Chez les Opilions, Juberthie & Munoz-Cuevas (1973) ont bien mis en évidence la réduction successive du cristallin, du corps vitré, puis des cellules rétiniennes, pour aboutir finalement à un massif de cellules indifférenciées (figure 5). Bien que la plupart des Opilions cavernicoles soient des troglophiles ou, au mieux, des troglobies récents dans l’hémisphère nord (sauf les Travuniidae des Pyrénées et de Dalmatie, dont les yeux peuvent être totalement absents), on observe déjà une réduction des yeux chez les Trogulidae (muscicoles) et les Sironidae. • Meyer-Rochow et al. (2001) ont montré que, chez le Décapode Atyidae cavernicole Troglocaris anophthalmus, on trouvait encore du tissu nerveux dans les pédoncules oculaires mais qu’il n’y avait plus aucune trace d’ommatidies, ni de sensibilité à la lumière. Ils signalent néanmoins que, dans une grotte de Géorgie, sur 24 individus, un possédait encore des cellules rétiniennes rudimentaires. • La perte de la vision entraîne des phénomènes de compensation. Figure 5 : Régression oculaire chez diverses espèces d’Opilions : Odiellus (épigé, a), Ischyropsalis (espèce muscicole, b), Ischyropsalis (deux espèces cavernicoles, c et d) (d’après Juberthie & Munoz-Cuevas, 1973). - Conformément à la « règle générale » (cf. supra), les structures externes régressent en premier, - Turquin (1973) a montré que l’allongement des antennes chez les individus hypogés de Gammarus minus Say se révélait efficace dans la recherche de la nourriture et Corbière-Tichané (1973) a émis l’hypothèse que l’« organe en lamelle », particulièrement bien développé chez les Coléoptères troglobies (chez les espèces du genre Speophyes) pourrait avoir une sensibilité aux rayons infrarouges. - Chez les Poissons, Schemmel (1973) a montré que, chez les espèces cavernicoles du genre Anoptichthys, les pores gustatifs étaient bien plus développés et plus largement répandus que chez les espèces épigées du genre voisin Astyanax (on les rassemble même parfois sous ce dernier nom de genre) (figure 6a et b). Chez une espèce possédant à la fois des populations cavernicoles et épigées (dans et à proximité d’une même grotte), Peters (1973) a montré que, chez les individus 34 Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 29-48 M. Dethier & J.-M. Hubart cavernicoles, on assistait à une régression de l’œil, de la pigmentation, des papilles des écailles des nageoires et de l’agressivité et, parallèlement, à un développement des pores gustatifs et du bourrelet génital de la femelle. Mais on constatait aussi une augmentation significative de la variabilité, de l’instabilité chez ces populations, y compris entre les sexes. Mais Thinès & Durand (1973) ont relevé que, si le développement de la ligne latérale chez certains Téléostéens cavernicoles pouvait être considéré comme une compensation de la perte de la sensibilité visuelle, cette hypothèse ne semblait pas pouvoir être étendue à d’autres Vertébrés souterrains. Ces auteurs soulignent que l’hyperdéveloppement ou le faible développement de cet appareil sont plutôt des caractères propres à certaines familles. complètement dépourvu d’yeux, avec un pronotum rétréci, des téguments minces et souples, des appendices (pattes et antennes) très allongés et dérivant d’espèces nivicoles (figure 7a et b). L’allongement du corps ou de certaines de ses parties s’observe aussi chez les Stenasellidae, où il semble en relation avec le milieu habité, eau libre ou interstitielle (Magniez, 1985). Hubart (1982) a fait des observations similaires sur les Proasellus troglobies de Belgique. Chez les Pseudoscorpions cavernicoles, comme par exemple Neobisium tuzeti Vachon (figure 8), dépigmenté et anophthalme, on assiste à un allongement parfois extraordinaire des appendices, en particulier des pédipalpes, qui deviennent d’une extrême gracilité. Figure 6 : Yeux et pores gustatifs chez deux espèces d’Astyanax (Poissons Characidae), l’une épigée (a), l’autre cavernicole (b) (d’après Schemmel, 1973). Figure 7 : Deux Carabes cavernicoles : type anophthalme (Geotrechus, a) et type aphénopsien (Aphaenops, b) (tiré de Vandel, 1964, d’après Jeannel). Encore une fois, l’anophthalmie n’est pas l’apanage des espèces cavernicoles. L’œil des espèces épigées est une structure très stable, dont le développement et le maintien n’est pas soumis à la lumière. A l’opposé, chez les troglobies anciens, la disparition des structures oculaires est toujours définitive, tant chez les jeunes que chez les adultes. Elle représente un nouvel état stable. Entre les deux, on observe ici aussi, un état d’instabilité, vraisemblablement d’origine hormonale, la production des hormones étant en effet stimulée par la lumière. Chez les insectes troglobies, on constate souvent une réduction, voire la disparition complète des ailes. Chez les Coléoptères, seules les ailes postérieures sont affectées par ce phénomène, les élytres ne sont jamais atrophiés par rapport aux formes épigées. Ils sont même parfois soudés l’un à l’autre, comme chez Aphaenops ou Leptodirus. Mais, une fois encore, l’aptérisme n’est pas propre aux espèces cavernicoles, il relève d’une régression phylétique indépendante des conditions de vie. 3. L’allongement du corps et des appendices, l’aptérisme et la physogastrie. Dans ses travaux sur la systématique et l’évolution des Coléoptères Trechinae, Jeannel (1926, 1943) montrait que l’évolution souterraine de ces insectes s’était faite selon deux voies différentes et il distinguait un type « anophthalme », comme dans les genres Geotrechus et Duvalius, par exemple, dépigmenté, à yeux réduits, aptère et dérivant de formes endogées et un type « aphénopsien », également dépigmenté et aptère, mais en outre La physogastrie est un développement remarquable de l’abdomen, induit en particulier par le développement des ovaires. Ce phénomène s’observe notamment chez les reines de certains insectes sociaux. Il est par contre rare chez les cavernicoles, chez lesquels on observe plutôt une fausse ou pseudophysogastrie. Cette dernière consiste en un renflement des élytres qui confère à la partie postérieure du corps de l’insecte un aspect bombé, voire globuleux, particulièrement remarquable chez les Leptodirus (figure 9), Carabidae troglobies d’Europe centrale. Néanmoins, chez eux, l’abdomen lui-même est normal mais le bombement des élytres ménage une La troglobitude poche d’air entre l’abdomen proprement dit et les ailes antérieures, soudées entre elles. 35 l’abdomen présente une véritable physogastrie. Si cette espèce peut être considérée comme un des rares Diptères troglobies d’Europe, son origine ne fait cependant guère de doute : on a trouvé, dans l’humus des grandes forêts humides d’Algérie, de Madagascar et même de Transylvanie, des formes très comparables, du genre Peyerimhoffa, par exemple). L’aptérisme est donc un état antérieur à la pénétration dans les grottes. En Belgique, le Diptère le plus cavernicole de notre faune est aussi un petit Nématocère de la famille des Mycetophilidae, Speolepta leptogaster Winnertz. Aucun des deux sexes ne présente les réductions drastiques d’ailes ou d’yeux observées chez Allopnyxia, mais cette espèce peut néanmoins développer des populations effectuant tout leur cycle sous terre et doit, de ce fait, être considérée comme troglophile. En outre, la larve présente des adaptations physiologiques et comportementales favorisant ce mode de vie. Figure 8 : Neobisium tuzeti Vachon, Pseudoscorpion troglobie aux appendices très allongés (tiré de Vandel, 1964, extrait de Grassé). Figure 9 : Leptodirus, Coléoptère troglobie montrant un phénomène de pseudophysogastrie (tiré de Vandel, 1964, d’après Jeannel). Une espèce d’Allopnyxia (Diptères Sciaridae) trouvée dans une grotte profonde des environs de Rome (Freeman, 1952) est remarquable par son dimorphisme sexuel très prononcé (figure 10a et b). Le mâle a des ailes réduites, des yeux comptant seulement 8 ommatidies dépigmentées, mais il possède encore des ocelles. La femelle, beaucoup plus grande, est complètement aptère (même les balanciers ont disparus), ses yeux ne comptent plus que 4 ou 5 ommatidies et les ocelles sont absents. De plus, Figure 10 : Allopnyxia, Diptère troglobie, mâle (a) et femelle (b) (tiré de Vandel, 1964, extrait de Séguy). Aspects physiologiques et comportementaux 1. Respiration, évaporation et perméabilité des téguments. Les animaux cavernicoles sont généralement considérés comme des sténothermes froids et, de plus, souvent qualifiés de « relictes glaciaires » (mais il y a aussi, dans les grottes, des « relictes thermophiles », v. plus loin). Cela provient en partie du fait que, dans nos grottes, la température moyenne est basse et les variations thermiques de faible amplitude. Elles 36 Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 29-48 dépendent néanmoins de facteurs divers (région, altitude, forme et profondeur de la grotte). De plus, des espèces troglobies peuvent avoir des optima écologiques très différents : Pholeuon glaciale (Jeannel) est un Coléoptère Bathysciinae qui opère tout son cycle dans des grottes de Transylvanie à des températures oscillant entre 0.1 et 0.8°C, tandis que Thermosbaena mirabilis Monod (le plus primitif des Crustacés Péracarides) vit dans des sources à 47°C et meurt si la température descend à 30°C. Enfin, des expériences en laboratoire ont montré que les Niphargidae, par exemple, pouvaient supporter des écarts de température assez importants mais étaient moins aptes que les Gammares à adapter leur métabolisme à des températures élevées (Ginet, 1960). Les troglobies seraient donc plutôt des sténothermes froids relatifs. Le métabolisme respiratoire des cavernicoles, mesuré par l’intensité respiratoire (volume d’O2 absorbé ou de CO2 rejeté par heure et rapporté au poids de l’animal) ou par le quotient respiratoire (rapport CO2/O2), est régulièrement plus faible que celui des organismes épigés. A 10°C, l’intensité respiratoire de Gammarus pulex (L.) est 10 à 15 fois plus élevée que celle de Niphargus virei Chevreux. Il en va de même pour les espèces épigées et troglobies du genre Proasellus (Isopodes). Les quelques exemples suivants vont dans le même sens : - Vannier & Verdier (1981) ont étudié deux espèces de Collemboles du genre Tomocerus, encore assez proches morphologiquement, mais l’une trouvée seulement dans les grottes et l’autre vivant dans la litière. Ils ont constaté que l’intensité respiratoire de l’espèce cavernicole était toujours plus faible que celle de l’espèce épigée, à toutes les températures d’élevage et qu’en outre, l’espèce cavernicole, surtout aux stades juvéniles, supportait beaucoup moins bien que sa congénère de la surface les élévations de température. De plus, l’évaporation corporelle était significativement plus élevée chez l’espèce hypogée car, d’une manière générale, les téguments des cavernicoles sont plus minces. Ces observations sont à mettre en relation avec celles de Petersen (1980) qui, étudiant les Collemboles d’une hêtraie danoise, avait remarqué que les espèces du sol profond présentaient un métabolisme respiratoire plus faible que celles habitant la litière. - Hüppop (1985) a comparé trois espèces du genre Procambarus (« écrevisses » d’Amérique du Nord), dont une épigée et deux cavernicoles. Ici aussi, elle a noté une consommation de l’oxygène par les branchies nettement plus faible chez les espèces souterraines que chez l’espèce épigée. M. Dethier & J.-M. Hubart - Hervant et al. (1999) ont étudié le métabolisme respiratoire, la locomotion et la survie de deux populations de Gammarus minus Say, l’une épigée, l’autre vivant sous terre : ils n’ont constaté aucune différence sensible entre ces deux populations. 2. Alimentation et aptitude au jeûne. Les animaux cavernicoles sont-ils affamés ? C’est ce qu’on a pensé pendant assez longtemps. En effet, dans le monde souterrain, l’absence de lumière rend la photosynthèse impossible. Il n’y a donc pas de producteurs dans les grottes, ce qui constitue évidemment une lacune énorme dans les ressources trophiques de l’écosystème. Les consommateurs primaires (phytophages) en sont absents (ou alors, ce ne sont que des accidentels ou des trogloxènes) et les consommateurs d’ordres supérieurs doivent se satisfaire des apports extérieurs… ou se manger entre eux. La nourriture serait-elle le principal facteur limitant dans le monde souterrain ? Ce tableau assez sombre est heureusement plus nuancé qu’il n’y paraît : - Beaucoup de troglobies présentent une résistance au jeûne très développée : en élevage, Niphargus virei Chevreux a survécu pendant deux ans avec, pour seule nourriture, un seul de ses… congénères (Ginet, 1960) ! Des Protées ont été (apparemment) privés de nourriture pendant trois ans, voire peut-être même huit ans. Notons cependant que la résistance au jeûne est fréquente chez les poïkilothermes, et pas seulement chez les espèces cavernicoles. - Les ressources alimentaires dans les grottes sont en réalité beaucoup plus diversifiées et abondantes que prévues. Les sources exogènes, par exemple, sont loin d’être négligeables : aériennes (en particulier, le « plancton » aérien composé de pollen, de spores, de Bactéries et autres microorganismes amenés par l’air circulant dans les grottes), aquatiques (feuilles mortes, bois et cadavres charriés par les rivières souterraines, mais aussi substances organiques et microorganismes amenés par le lessivage de l’humus) et enfin biologiques (champignons sur matières mortes, guano de chauve-souris, sans compter les « apports » des spéléologues !). - On assiste parfois à des changements de régime assez spectaculaires lors de l’entrée sous terre. C’est ainsi que le Gastéropode Zonitidae Oxychilus cellarius (Müller), dont les cousins épigés se nourrissent normalement de végétaux, s’attaque, lui, à des cadavres d’insectes et même à des individus vivants, comme par exemple le La troglobitude papillon Scoliopteryx libatrix (L.), alors que celuici est complètement engourdi (un individu représente environ 3000 joules). Tercafs & Jeuniaux (1961) ont montré que, chez cette espèce d’escargot, la quantité de chitinase produite par le système digestif était beaucoup plus élevée que chez des espèces épigées et autorisait ainsi ce régime particulier. On peut parler ici de préadaptation à la vie souterraine. De plus, il faut encore relever que la polyphagie est de règle sous terre, où les espèces à régime alimentaire très spécialisé sont rares. Il serait intéressant de comparer ces observations à celles faites dans des pelouses alpines, milieux pourtant très différents (Dethier, 1984). - Enfin, Hervant et al. (2000) ont soumis à un jeûne prolongé deux espèces de Niphargus et une espèce de Gammarus. Si, chez cette dernière espèce, on assistait à une diminution immédiate et linéaire des réserves énergétiques, il n’en allait pas de même chez les Amphipodes troglobies. Les Niphargus réagissent au manque de nourriture en trois phases successives, au cours desquelles les protéines et surtout les lipides sont davantage sollicités que les glucides. De plus, ils présentent une assimilation plus rapide et plus efficace de la nourriture après le jeûne. Les deux exemples qui suivent illustrent également ce propos et mettent en lumière un aspect très important, bien que toujours négligé, de la Biospéologie. • • Christiansen (1970) et Thibaud (1981), ainsi que d’autres auteurs, ont testé la résistance au jeûne de diverses espèces de Collemboles, épigés et cavernicoles, élevés (sur argile) avec ou sans apports de nourriture. Ils ont constaté que les espèces cavernicoles survivent jusqu’à trois fois plus longtemps sans nourriture que les espèces épigées. Mais ils ont également trouvé, dans le tube digestif des individus élevés sur argile pure (mais non stérilisée), sans aucun apport volontaire de nourriture, d’innombrables Bactéries, et cela après même 37 semaines de jeûne. Bruschi et al. (1999) ont montré, qu’en élevage sur argile, l’Isopode troglobie Stenasellus racovitzai Razzauti choisissait ses souches bactériennes, Aeromonas et Streptococcus étant ses préférées. D’autres souches, en effet, produisent, au cours de leur catabolisme, de l’acide acétique lequel, en élevage du moins, s’est révélé répulsif pour l’Isopode. On touche donc ici à un aspect de la vie souterraine sans doute capital mais encore très mal connu : la microflore des cavités souterraines ou 37 « Spéléobactériologie ». Il est en effet de plus en plus évident que les argiles et les limons de grottes jouent un rôle primordial dans la vie des troglobies, tant terrestres qu’aquatiques. Nombre d’entre elles sont, au moins partiellement, géophages et ingèrent des quantités parfois considérables de substrat. Or, argiles et limons des grottes contiennent, outre des matières organiques, une microfaune (Protistes Amoebiens et Thécamoebiens,…) et une microflore abondantes et diversifiées. On y a trouvé, en particulier, des Bactéries autotrophes (Nitro-, Thioet Ferrobactéries), complètement indépendantes de l’énergie solaire pour leur survie. Ces microorganismes constituent certainement un apport alimentaire très important pour beaucoup de cavernicoles (un Protée ayant seulement de l’argile à sa disposition a néanmoins triplé de taille en un an !). Enfin, de nombreuses espèces creusent l’argile pour s’y abriter ou s’y construisent des logettes pour s’y métamorphoser. Ce faisant, elles ingèrent sans doute une certaine quantité de substrat et la nourriture qu’il contient, mais en outre, ce comportement est indispensable à la réalisation de leur cycle reproducteur. Il ne peut se faire que dans de l’argile « vierge », non compactée (Hubart, 2001). 3. Reproduction et cycles La « règle » générale veut que, chez les cavernicoles, les œufs soient beaucoup moins nombreux que chez les épigés, mais qu’ils soient aussi plus gros et plus riches en vitellus. On dit aussi souvent que, sous terre, les rythmes, en particulier reproducteurs, sont abolis et que l’immense majorité des espèces sont ovipares, mais que les espèces incubantes sont plus fréquentes qu’en surface, comme, par exemple, les Poissons Amblyopsidae (incubateurs branchiaux) et tous les Malacostracés Péracarides (Mysidacés, Amphipodes, Isopodes,…), qui possèdent un marsupium. Comme souvent, ces affirmations sont partiellement vraies, et renferment quelques inexactitudes. • Le tableau 1 (Juberthie, 1961) présente la comparaison de la taille des œufs et du nombre de pontes de deux Opilions, l’un épigé et muscicole, l’autre cavernicole. On voit très bien les différences de taille et de productivité entre les deux espèces. Ginet (1960) a montré que, chez les Niphargidae, si les petites espèces avaient à peu près le même nombre d’œufs par ponte que les espèces de même taille du genre Gammarus, les grandes espèces pondaient deux fois moins d’œufs que les grands Gammarus mais que le volume des oeufs était double. En d’autres termes, chez ces Amphipodes, le volume de substance ovulaire est grosso modo le même, mais sa répartition est très différente chez les épigés et chez les cavernicoles. 38 Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 29-48 La réduction du nombre d’œufs s’observe déjà chez les formes actuelles, marines et interstitielles, descendant d’un ancêtre commun avec les Niphargidae. Wächtler (1929) a étudié le Gastéropode Pulmoné endogé Cecilioides acicula (Müller), qui présente toutes les caractéristiques morphologiques des troglobies (cf. supra). Il a constaté que cette espèce n’avait qu’un seul œuf, énorme par rapport à la taille de l’animal : 0,75 mm pour 4 à 5 mm. Il en va de même pour les espèces du genre Bathynella (Malacostracé Syncaride proche des formes marines primitives du Carbonifère). Chez ces Crustacés d’à peine un millimètre (figure 11), une espèce possède encore deux ovaires et pond deux œufs, tandis que chez une autre, l’allongement du corps a entraîné une asymétrie ovarienne, un des ovaires a disparu et il n’y a plus qu’un seul œuf (cette asymétrie ovarienne, très fréquente chez les espèces du milieu interstitiel, s’observe aussi chez les serpents). I. luteipes I. pyrenaea Statut muscicole cavernicole Taille des œufs 0.8-0.9 mm 1.30-1.45 mm Nombre moyen/ponte 16 10 Nombre de pontes 8 à 15 3à6 Nombre total/femelle 130 à 240 30 à 60 Tableau 1 : Oeufs et pontes chez deux espèces d’Opilions Ischyropsalis (tiré de Juberthie, 1961). • Ginet (1960) a observé qu’en élevage, dans des bacs régulièrement nettoyés et pourvus en nourriture, Niphargus virei Chevreux ne présentait aucune périodicité reproductrice : il y avait des femelles ovigères toute l’année, grosso modo, toujours dans les mêmes proportions. Par contre, dans la nature, cette espèce montrait une périodicité saisonnière assez comparable à celle des Amphipodes épigés. En 1969, ce même auteur, sur base de quatre ans d’observations de deux populations de Niphargus longicaudatus Schellenberg, l’une vivant dans une grotte naturelle du Jura, l’autre dans une cavité artificielle de l’agglomération lyonnaise, a montré que les femelles ovigères étaient chaque année nettement plus nombreuses en hiver qu’en automne. Il attribue ce phénomène à des variations saisonnières de la composition chimique des eaux souterraines (apports de substances nutritives et d’oligo-éléments par les pluies automnales, phénomène connu aujourd’hui sous le nom de « flood factor » : Barr, 1968). • La croissance des espèces cavernicoles est beaucoup plus lente que celle des espèces de la M. Dethier & J.-M. Hubart Figure 11 : Bathynella, Crustacé Syncaride des nappes phréatiques et du milieu interstitiel (tiré de Vandel, 1964, d’après Chappuis). surface. Parfois, le nombre de stades larvaires (ou juvéniles) est considérablement plus élevé. C’est le cas chez les Diplopodes (mais le contraire chez les Speonomus, v. plus loin !), où une espèce humicole, plus ou moins troglophile, compte neuf stades larvaires, tandis qu’une autre espèce de la même famille, mais troglobie cette fois, en compte 14. Les nombres maxima de segments augmentent de la même manière : respectivement 59 et 98 (Vandel, 1964, d’après des résultats de Brölemann). Chez Gammarus, l’incubation dure au maximum trois semaines, tandis que chez Niphargus, elle peut prendre jusqu’à 10 mois. On peut encore donner de nombreux autres exemples : le développement des Araignées épigées prend au maximum 10 mois, celui de l’espèce troglophile Meta menardi Latr. 18 mois au moins, tandis que certaines espèces troglobies de Leptoneta mettent jusqu’à trois ans pour arriver à l’état adulte ! • La longévité des cavernicoles est quasi légendaire. Des Gammares vivent tout au plus deux ans, tandis que des Niphargus peuvent subsister jusqu’à huit ans. Chez des Poissons d’une même famille, les Chologaster (épigés) sont adultes à un an et meurent six mois plus tard, tandis que les Amblyopsis (cavernicoles) ne sont adultes qu’à trois ans, mais vivent plus de cinq ans (Poulson & White, 1969). Le Protée, enfin, peut probablement vivre plus de 30 ans. Cette longévité est le prolongement de la lenteur caractérisant le développement des cavernicoles, en particulier anciens. Elle est sans doute à mettre en relation avec le ralentissement général du métabolisme (cf. supra) et de l’activité endocrinienne, cette dernière agissant sur la reproduction et la croissance. Divers travaux ont montré que la thyroïde, entre autres glandes, était fortement réduite, voire quasi inactive, chez des troglobies anciens. La troglobitude • Deleurance-Glaçon a longtemps étudié la reproduction et les cycles de nombreux Coléoptères cavernicoles. On trouvera une liste détaillée de ses travaux dans Vandel (1964) et Ginet & Decou (1977). Nous rappellerons simplement les différences mises en lumière entre deux espèces de Coléoptères Bathysciinae, Bathysciola schiödtei Kiesenwetter, muscicole et troglophile, et Speonomus longicornis Saulcy, troglobie spécialisé. - La première pond un ou deux petits œufs par jour, pendant plusieurs semaines, et cela périodiquement. Il y a trois stades larvaires, tous actifs, le dernier construisant une logette pour se métamorphoser. Chez les larves, les organes sensoriels et masticateurs sont bien développés, car elles se nourrissent. - La seconde ne pond qu’un seul œuf, volumineux, à intervalles irréguliers. Il n’y a qu’un seul stade larvaire et la larve est inactive (contrairement à ce qui se passe chez les Diplopodes, cf. supra). Elle se contente de construire sa logette, sans se nourrir. Ses organes sensoriels et masticateurs sont d’ailleurs très réduits. Il s’agit donc bien ici d’une stratégie adaptée à un milieu où la nourriture est quand même plus rare et éparse que dans les entrées de grottes et qui consiste à réduire le nombre de stades larvaires afin d’éviter la perte d’énergie nécessaire à la recherche de la nourriture. 4. ANCIENNETE ET ORIGINES DES TROGLOBIES. THEORIES EXPLICATIVES. Ancienneté des troglobies Dans ce qui précède, à plusieurs reprises, nous avons utilisé les expressions « troglobies anciens » et « troglobies récents » pour qualifier des espèces qui, de toute évidence, n’étaient pas au même stade de « troglobitude ». C’est qu’en effet, le peuplement du monde souterrain ne s’est pas fait en une fois et qu’il se poursuit encore de nos jours. Des périodes de profonds bouleversements climatiques tendent encore à accentuer le mouvement. Déjà en 1964, Vandel distinguait des cavernicoles récents, dont le métabolisme n’était pas très différent de celui des espèces épigées et dont on connaissait des formes intermédiaires avec ces dernières, et des cavernicoles anciens, présentant des adaptations morphologiques et un métabolisme réduit, dont les espèces sont isolées dans le monde actuel. Cet auteur, pensant que l’évolution des cavernicoles était extrêmement lente, considérait ces derniers 39 comme des relictes « rélictes » dans le texte), c'est-àdire des formes dont l’évolution s’est arrêtée ou du moins très ralentie et qui ont conservé, de ce fait, un faciès ancestral (les « fossiles vivants » de Darwin). Ces espèces relictes occupent des territoires très limités et sont isolées les unes des autres ; elles sont soumises à une microévolution, ce qui entraîne un fort endémisme, dont Vandel voyait beaucoup d’exemples dans la faune souterraine. Aujourd’hui, cet endémisme cavernicole doit être, en partie au moins, revu à la baisse, car de nouvelles recherches et une meilleure connaissance de cette faune ont montré que des espèces, longtemps considérées comme endémiques d’une cavité, étaient en réalité bien plus répandues qu’il n’y paraissait. C’est le cas, par exemple, de Microniphargus leruthi Schellenberg. Découverte par Leruth dans les années ’30 dans la grotte Lyell près d’Engis (province de Liège), cette espèce est à présent connue de plusieurs stations, en Allemagne et au Grand Duché de Luxembourg. A la notion de relicte, Vandel associait celle de refuge. Pour les formes animales chassées de la surface par des changements climatiques, les grottes constituaient des refuges, permettant à ces espèces de subsister jusqu’à l’époque actuelle. Les abysses marins constituaient aussi, à ses yeux, un refuge pour des formes tels que les Pogonophores et Neopilina. Il distinguait plusieurs types de relictes, d’âges différents : - Relictes thermophiles : durant la première moitié du Tertiaire régnait un climat tropical ou subtropical sur l’Europe et l’Amérique du Nord (encore réunies à cette époque). Une majorité de cavernicoles terrestres sont des relictes de cette époque chaude et comptent donc parmi les plus anciens, comme, par exemple, la minuscule araignée Telema tenella, ou encore certains Orthoptères des genres Dolichopoda ou Troglophilus. - Relictes glaciaires : au Quaternaire, les faunes nivicoles vivaient à beaucoup plus basse altitude, la limite des neiges éternelles se situant vers 1000 à 1200 m. Quand les glaciers se sont retirés (et aussi durant les périodes interglaciaires), certaines formes se sont réfugiées sous terre. Ce fut, par exemple, le cas des Isopodes du genre Scotoniscus ou des Coléoptères du genre Aphaenops, dont les ancêtres étaient nivicoles durant les périodes glaciaires, ce que confirme leur distribution actuelle, qui reflète encore le front des anciens glaciers pyrénéens. - Relictes hygrophiles : durant les glaciations, en plaine, la pluviosité était élevée et une faune hygrophile prospérait dans les zones humides et 40 Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 29-48 froides de basse altitude. Au moment du retrait des glaciers, ces zones se sont asséchées et certains de leurs habitants se sont réfugiés dans les cavernes, comme, par exemple, les Isopodes du genre Trichoniscoides ou les Coléoptères du genre Speonomus. Ainsi, selon Jeannel (1943), la répartition géographique de S. pyrenaeus Dieck fournit la preuve de l’âge postglaciaire de leur peuplement. - Relictes marines : (ou stygobies) dérivent de formes marines ancestrales. A la suite d’un lent retrait de la mer, ces espèces se seraient progressivement adaptées à l’eau saumâtre, puis à l’eau douce, pour finalement se réfugier dans les eaux souterraines. On trouve peut-être ici les plus anciens troglobies, comme les Bathynella, dont on connaît des formes marines ancestrales remontant au Carbonifère. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les Isopodes Cironalidae ont, à la fois, des représentants cavernicoles (Cirolana, Sphaeromides) et abyssaux (parmi lesquels on rencontre des formes géantes de plus de 20 cm), tandis que les Amphipodes du genre Ingolfiella (figure 12), à l’origine représenté par des espèces interstitielles marines, sont quasi cosmopolites : on les trouve aussi bien dans les abysses, dans les grottes que dans leur milieu d’origine. Figure 12 : Ingolfiella, Crustacé Amphipode primitif cosmopolite (tiré de Vandel, 1964, d’après Russo). Nous voudrions attirer ici l’attention sur le fait que la terminologie de Vandel peut prêter à confusion entre relictes glaciaires et hygrophiles. Ces deux catégories devraient en effet être regroupées sous le terme de « relictes glaciaires », car bien des espèces sont entrées sous terre pour cause générale de fin de glaciation ou de période interglaciaire, mais parfois pour des raisons différentes. Il serait plus exact de parler de relictes glaciaires nivicoles et de relictes glaciaires hygrophiles. Deux derniers exemples illustreront encore les différences d’âge pouvant exister entre certains troglobies : • En 1986, on découvrit, dans le sud est de la Roumanie, la grotte de Movile (Sarbu et al. 1995, M. Dethier & J.-M. Hubart Sarbu, in Wilkens et al., 2000). C’est une cavité de taille modeste (à peine 200 m de galeries et 25 m de profondeur) mais elle abrite un écosystème tout à fait remarquable. Elle est en effet complètement isolée du reste du monde depuis la fin du Miocène, c'est-à-dire 5 à 6 millions d’années (on n’y a trouvé, par exemple, aucune trace du césium 137 provenant de l’explosion de Tchernobyl). L’atmosphère de la cavité, irrespirable pour l’homme, ne contient que 10% de O2, mais jusqu’à 5% de H2S et l’eau du lac présente de très fortes concentrations en diverses substances (248 mg/l de Cl, 190 mg/l de Na,…). Des bactéries chimiosynthétiques oxydent l’hydrogène sulfuré et constituent la base d’un écosystème complètement indépendant de la lumière du jour. A la surface du lac flotte un voile mycélien de deux centimètres d’épaisseur, qui est brouté par des consommateurs primaires, lesquels sont à leur tour dévorés par des consommateurs secondaires, etc. Dans ce réseau trophique, on a décrit plusieurs dizaines d’espèces nouvelles, dont, en particulier, une nèpe troglobie, Nepa anophthalma Decu et al., 1994. Il est curieux de noter que la classique nèpe cendrée (Nepa cinerea L.) a été trouvée dans une grotte italienne présentant certaines ressemblances avec celle de Movile, mais celle-ci non isolée du monde extérieur (Latella et al., 1999). • Les grottes de lave (« lava tubes ») se rencontrent évidemment dans les régions volcaniques. La roche en fusion, très fluide dans certains types d’éruption, s’écoule et se refroidit plus vite en surface, tandis que le centre de la coulée continue à progresser. Il en résulte des sortes de tunnels, longs parfois de plusieurs kilomètres. Leurs parois sont poreuses et les plus anciens (environ 500.000 ans) sont en relation avec l’extérieur par de nombreuses fissures, tandis que les plus récents (quelques milliers d’années au plus) ne présentent pas ces communications. Dans tous les cas cependant, la végétation se développe rapidement au-dessus et le système radiculaire traverse aisément les parois peu épaisses et poreuses de ces « lava tubes ». On a découvert, dans ces curieuses grottes (à Hawaii en particulier), parfois très récentes, une faune remarquable, comprenant plusieurs espèces troglobies : des Coléoptères Curculionidae, des Homoptères Cixiidae, des Lépidoptères Noctuidae du genre Schrankia dont la base de l’alimentation des chenilles semble bien être les radicelles des plantes de la surface (Howarth, 1987). Aux îles Canaries, dans des grottes du même type, on a décrit plusieurs espèces de Reduviidae du genre Collartida (figure 13), complètement anophthalmes et dépigmentées, et La troglobitude dont les appendices sont extrêmement allongés (Ribes et al., 1998). Néanmoins, ces espèces ont encore des parents proches dans la faune épigée. Figure 13 : Collartida tanausu Ribes et al., 1998, Hétéroptère Reduviidae des tubes de lave des Iles Canaries, aux appendices très allongés (tiré de Ribes et al., 1998). Origines des troglobies Nous avons également parlé, ci-dessus, d’espèces humicoles ou nivicoles, laissant entendre qu’elles pouvaient être à l’origine de certains troglobies. Il ne fait en effet guère de doute que des milieux épigés constituent de véritables « centres de préparation » à la vie cavernicole. Les espèces troglobies, on s’en doute, n’apparaissent pas spontanément mais découlent d’une évolution plus ou moins longue, ainsi qu’on vient de le voir. Cette évolution se déroule en trois phases : une phase de préparation, une phase d’instabilité et une phase de stabilisation. La première prend place dans des milieux écologiquement et topographiquement proches du monde souterrain et qui abritent une faune présentant déjà certains traits de cavernicoles en puissance. Parmi les éléments de cette faune, il n’y a pas, par exemple, de phytophages stricts, mais essentiellement des détritivores, des mycétophages, des guanobies et des carnivores. Beaucoup d’espèces sont polyphages. Elles sont aussi souvent dépigmentées et ont des téguments plus minces ; elles recherchent donc volontiers des endroits sombres et humides. Les principaux « centres de préparation » à la vie souterraine sont, pour la faune terrestre, le sol et certaines de ses annexes. Les espèces endogées, vivant dans les sols profonds, présentent déjà certaines ressemblances avec les espèces cavernicoles et la classification écologique des Collemboles de 41 Cassagnau n’est pas sans rappeler celle de Racovitza pour les cavernicoles (cf. supra). Néanmoins, des différences entre les deux milieux entraînent des adaptations différentes chez les endogés d’une part et les cavernicoles d’autre part (à ce propos, nous avons évoqué plus haut les travaux de Thibaud et d’autres auteurs sur les Collemboles, ainsi que celui de Ducarme sur les Acariens). Villani et al. (1999) ont rappelé que, pour certaines espèces, le sol constituait un refuge contre les perturbations abiotiques et biotiques, ainsi qu’une zone de transit pour les futurs cavernicoles. Certaines parties du sol, certains horizons, sont, plus que d’autres, favorables à cette évolution : - Le milieu souterrain superficiel (MSS, Juberthie et al., 1980, 1981, que les auteurs anglo-saxons appellent aujourd’hui SUC : Superficial Underground Compartment) est la partie profonde du sol directement en contact avec la roche-mère en place et dont les éléments non compacts (éboulis, blocs, cailloux,…) présentent une granulométrie permettant à la fois la circulation de la faune et l’apport de ressources trophiques (figure 14). - L’humus, constitué d’amas de feuilles mortes, est particulièrement intéressant dans les grandes forêts froides de montagne. En Transylvanie, on a observé qu’une même espèce de Duvalius (Coléoptère Carabidae) vivait quasiment en surface vers 1200 m (car on y rencontre un climat semblable à celui des époques glaciaires), s’enfouissait dans l’humus dès 1000 m et devenait troglobie à partir de 500 m, car à cette altitude, les forêts ont disparu par assèchement. Dans les montagnes d’Afrique tropicale, entre 2000 et 2500 m, l’humus est le refuge d’une faune de climat froid et humide plus ou moins constant. - Les mousses et les abords des névés, les terriers et même les nids de fourmis abritent aussi, en raison de certaines conditions microclimatiques qu’ils offrent, une faune riche en espèces présentant des troglomorphoses. Pour ce qui concerne les espèces aquatiques, les milieux interstitiels, phréatobies et hyporhéiques, imprégnés d’eau et à granulométrie souvent fine, abritent de nombreuses formes allongées et souvent aplaties (thigmotactisme positif très net), anophthalmes et dépigmentées, comme, par exemple, les Microcerberus, que l’on retrouve aussi dans les eaux des grottes. En 1962, Mestrov a mis en évidence l’existence du milieu hypotelminorhéique et de sa faune particulière. Il s’agit d’écoulements lents et proches de la surface, à flanc de montagne, sur des sols riches en matières organiques (racines,…). Cette 42 Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 29-48 couche de sol imbibée d’eau abrite de nombreuses espèces, représentatives tant des sources (Pisidium, Bythinella, larves d’Insectes) que du milieu souterrain (Pelodrilus, Niphargus, Stenasellus, planaires obscuricoles,…). Il y règne en effet une obscurité presque totale et la température y est basse et pratiquement constante. M. Dethier & J.-M. Hubart Vandel (1964) considère que l’origine de l’évolution doit être recherchée au sein des organismes euxmêmes, et non à l’extérieur. Il pense que, dans toute lignée, l’évolution se fait en trois phases : - Une phase juvénile ou de préparation, dont nous avons déjà parlé à propos des « centres » de préparation. Elle voit apparaître un nouveau type d’organisme, les espèces sont peu nombreuses et peu spécialisées, souvent de petite taille. - Une phase de maturité (d’épanouissement, de diversification), au cours de laquelle on assiste à une diversification rapide et à l’apparition d’espèces de plus en plus spécialisées. - Une phase de déclin ou de sénescence, enfin, caractérisée par des espèces très spécialisées et souvent de grande taille. Figure 14 : Représentation schématique du milieu souterrain superficiel (tiré de Hubart, 2001). Théories explicatives Les mécanismes évolutifs présidant à la formation des espèces troglobies ont bien sûr fait l’objet de nombreuses recherches et discussions et des laboratoires souterrains ont été créés dans divers pays. Malheureusement, souvent par manque de crédits, certains ont dû restreindre leurs activités, voire même les cesser complètement. En dépit de tous ces efforts, il reste encore bien des problèmes à résoudre et des questions sans réponses. La première théorie explicative de l’existence des troglobies découle du Néo-lamarckisme, qui prône l’action directe du milieu sur les organismes. Cope et Packard, deux pionniers de la Biospéologie américaine, pensaient que les cavernicoles étaient modelés par le milieu souterrain. La découverte des gènes et des mutations a rendu caduque cette thèse. A la fin du XIXème siècle, Lankester a proposé l’hypothèse de l’accident : un animal normalement oculé égaré dans une grotte ou dans les abysses sera attiré par la lumière et s’échappera de ce milieu. Mais s’il est porteur d’une anomalie oculaire, il y restera et deviendra cavernicole (ou abyssal). Cette idée simpliste a pourtant été reprise par les généticiens, qui ont vu dans l’existence de mutants albinos et/ou anophthalmes l’origine des cavernicoles. Mais, ainsi qu’il a été dit plus haut, la régression oculaire est centripète chez les troglobies, tandis qu’elle est centrifuge chez les mutants. Cet auteur reprend les idées de Cuénot (1914) sur la préadaptation. Une période d’instabilité apparaîtrait chez des lignées vieillissantes, en dehors des grottes, entraînant une diminution du pouvoir autorégulateur et confinant ainsi ces espèces dans des milieux précis, dont elles deviennent peu à peu prisonnières. Certaines de ces espèces présenteraient des caractères susceptibles de les orienter vers un mode vie souterrain (ou les écarter d’un mode de vie épigé !) : réduction des yeux, dépigmentation, comportement fouisseur, amincissement de la cuticule,… Elles trouveraient d’abord dans l’humus, le sol et ses annexes des milieux favorables à leur survie. S’il survenait ensuite un changement climatique important et qu’il y ait des grottes dans le sous-sol, elles poursuivraient leur migration en profondeur et deviendraient troglobies, entrant ainsi dans une période de stabilisation, au cours de laquelle leurs caractères seraient définitivement fixés et où elles ne connaîtraient plus qu’une microévolution, responsable de l’endémisme souterrain (selon Vandel, cf. supra). Pour Vandel donc, l’évolution régressive ne fait aucun doute et ceux qui la contestent sont obsédés par l’idée que l’anophthalmie et la dépigmentation sont des « adaptations » à la vie cavernicole (comme si le catarrhe et la presbytie étaient des adaptations à la vieillesse, pour reprendre la comparaison de Vandel). C’est l’interprétation de cette évolution régressive qui pose en fait problème : elle n’est pas la conséquence de la vie souterraine mais du vieillissement de certaines lignées et s’observe aussi bien chez des animaux épigés que chez des cavernicoles. On peut aussi se demander si l’évolution progressive est désormais absente chez les troglobies. Divers auteurs ont fait remarquer que, chez ces animaux, on observait, parallèlement à la disparition des yeux, le développement de certains organes et ont considéré ce La troglobitude phénomène comme une compensation à la perte de la vue. Nous avons déjà rappelé que Schemmel (1973) avait montré que, chez des Poissons cavernicoles et aveugles, les pores gustatifs étaient bien plus nombreux et plus largement répandus que chez des espèces voisines épigées. Chez les Niphargus et les espèces troglobies de Proasellus, les soies sensorielles sont plus longues et plus nombreuses que chez les Gammares et les Asellotes épigés. Par contre, on observe une réduction de ces mêmes soies chez les Androniscus cavernicoles par rapport aux espèces épigées et certains auteurs se demandent si la présence de longues soies chez des Coléoptères cavernicoles et anophthalmes est une compensation évolutive ou un caractère primitif (mais est-il toujours formellement prouvé que l’allongement de certains appendices « compense » la perte des yeux ? N’observe-t-on pas, chez les troglobies, des phénomènes d’hyperthélie ?). On le voit, le débat n’est pas prêt de s’éteindre. A nos yeux, le terme « adaptation » est à manier avec une certaine prudence, dans la mesure où toutes les espèces sont nécessairement adaptées à leur milieu, autrement elles ne pourraient y vivre. Ensuite, un modeste Staphylin troglophile de nos régions, Ochthephilus aureus (Fauvel), semble se débrouiller aussi bien sous terre que les Aphaenops troglobies des grottes pyrénéennes. Une adaptation très poussée finit d’ailleurs par constituer un cul-de-sac évolutif et une menace pour la survie de l’espèce. Ne serait-il pas plus sage de dire, qu’en raison de leur sénescence, les troglobies sont simplement incapables de survivre ailleurs que dans les grottes ? D’autre part, les termes de « préadaptation » et d’« évolution régressive » ne font pas toujours l’unanimité parmi les biospéologues. Gnaspini & Hoenen (1999) proposent de remplacer préadaptation par exaptation. Ils rappellent qu’une adaptation concerne un caractère construit, réalisé par sélection naturelle pour remplir le rôle qu’il a en ce moment et qu’une préadaptation est une adaptation utilisée dans un environnement différent, mais avec la même fonction, tandis qu’une exaptation est un caractère qui assume une fonction pour laquelle il n’a pas été sélectionné, ou une adaptation utilisée pour un nouvel usage, ou encore un caractère ne pouvant être attribué à l’action directe de la sélection (non adaptation), mais cependant utilisé pour un usage courant. De son côté, Romero (1985) propose d’éliminer l’expression « évolution régressive » car, d’un point de vue sémantique, une régression est un retour en arrière (or, le terme sert ici à désigner la perte d’une structure complexe comme les yeux, par exemple) et, d’un point de vue historique, l’évolution est généralement perçue comme progressive. Il propose 43 de parler d’ « évolution convergente », dans le sens d’acquisitions indépendantes de structures comparables par des organismes non apparentés mais vivant dans des environnements similaires. Cela supprime en effet toute notion de régression : la taupe et la courtilière, deux exemples classiques d’évolution convergente, ne nous paraissent pas particulièrement « régressées ». Ces querelles linguistiques, si elles ne sont pas totalement dépourvues d’intérêt, n’apportent pas, à notre avis, de nouveaux éclairages sur le problème. D’autres chercheurs ont essayé de résoudre la question posée par l’évolution régressive en faisant appel à la thermodynamique et pensent qu’elle traduit une simplification des phénomènes d’adaptation au milieu par augmentation de l’entropie. Des animaux en fin de race (les lignées sénescentes évoquées plus haut) ne disposeraient plus d’assez d’énergie pour envoyer les messages nécessaires à la formation de certaines structures très élaborées, comme les yeux, par exemple. Dans le milieu souterrain, la pression sélective serait beaucoup plus faible qu’en surface et de tels animaux y trouveraient un refuge providentiel. Si certains biospéologues, comme Chappuis, pensent en effet que la sélection naturelle est réduite, voire nulle, dans les grottes, d’autres, comme Jeannel, estiment au contraire que la compétition y est acharnée. La concurrence, en particulier alimentaire entre individus d’une même espèce ou d’espèces voisines, y est sans doute forte, mais les troglobies y seraient plus à l’abri des prédateurs qu’en surface. Pourtant, il y a beaucoup de prédateurs dans les grottes et ils ne semblent pas régulièrement sousalimentés. Le fait que deux sommités de la Biospéologie comme Chappuis et Jeannel aient des avis quasi diamétralement opposés sur une question apparemment simple mais fondamentale, à savoir si la sélection naturelle agit ou non dans les grottes, montre bien que le problème est loin d’être résolu. Pour Peters & Peters (1973), les différences génétiques entre un cavernicole et son « ancêtre » épigé tiendraient au remplacement, dans un certain nombre de loci, d’un allèle normal par un allèle moins actif ou inactif. L’augmentation des allèles dégénérés chez les troglobies serait due, soit à l’isolement d’un petit nombre d’individus dans une grotte, par rapport à l’importance de la population épigée, ce qui entraînerait une augmentation de la fréquence relative des gènes dégénératifs, soit à des mutations nouvelles exerçant une action dégénérative sur des caractères désormais dénués de signification biologique. Plus récemment, Sket (1985) et Poulson (1985) ont comparé deux hypothèses récentes et antagonistes tentant d’expliquer l’évolution régressive : 44 Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 29-48 - L’hypothèse des mutations neutres (ou de la pression de mutation) suppose une très haute fréquence de mutations dans un nombre limité de loci, ce qui entraînerait des vitesses d’évolution égales chez des animaux génétiquement (et structurellement) proches et, par conséquent, une grande ressemblance phénotypique, surtout après un temps assez long. - L’hypothèse de la sélection directe (ou de l’économie d’énergie) suppose, au contraire, un petit nombre de mutations, mais très différentes les unes des autres. Comme la sélection favorise chacune, pour autant qu’elle soit économique, le caractère concerné (la réduction des yeux, par exemple) peut suivre des voies différentes dans différentes populations et ici, l’influence égalisatrice des mutations neutres est éliminée. Ces deux auteurs s’opposent sur ce point, le premier présentant des arguments en faveur de la seconde hypothèse, tandis que le second penche plutôt pour la première. Ici encore, nous ne prendrons pas position de façon tranchée, car nous ne sommes que deux biospéologues de base et nous n’avons pas les compétences en Génétique des auteurs susmentionnés. Il nous semble pourtant, qu’au vu de ce qui précède, la perte de l’œil, par exemple, ne se produit pas d’un coup, mais se déroule progressivement. C’est sans doute globalement une économie d’énergie pour un organisme vieillissant, mais nous ne comprenons pas bien pourquoi la première mutation, sans doute minime, aurait été sélectionnée car devant mener à une économie future. Pour en terminer avec ce chapitre, il faut encore signaler que Howarth (1980), suivi par DesutterGrandcolas (1993), a proposé une alternative à la théorie de la relicte climatique de Vandel. Etudiant les faunes de grottes tropicales, en particulier des tubes de lave (cf. supra), ils voient, dans la présence de troglobies dans ces cavités récentes, la capacité des animaux à coloniser rapidement de nouvelles niches disponibles par simple opportunisme. Dans cette optique, les grottes ne seraient plus un refuge mais une conquête. Peck & Finston (1993) font justement remarquer que les deux thèses ne sont pas exclusives, mais pourraient être applicables dans des régions différentes ou à des taxa différents d’une même région. 5. CONCLUSIONS PROVISOIRES Dans cet article, nous nous sommes efforcés de présenter les multiples facettes et de mettre en relief la complexité d’un phénomène sur lequel nous disposons certes d’une certaine quantité de données mais néanmoins encore souvent insuffisantes. De M. Dethier & J.-M. Hubart plus, ces données découlent de diverses disciplines (Zoologie, Génétique, Phylogénie, Géologie, Pédologie, Paléontologie, Biogéographie,…) dont les spécialistes ne se sont pas toujours donnés la peine d’accorder le vocabulaire. Enfin, les recherches ont porté sur des espèces non seulement cavernicoles, mais aussi épigées, endogées, hypogées, interstitielles et même abyssales. Il en résulte un certain désordre, chacun cultivant son jardin personnel, sans trop se soucier des autres. C’est pourquoi, dans le but de recentrer et de délimiter ce problème vaste et complexe, nous proposons ici le terme de « troglobitude » qui devrait englober, dans notre esprit, cette accumulation de concepts. Certes, le terme n’est sans doute pas tout à fait heureux et il sera probablement critiqué, ainsi que l’ont été ceux de préadaptation et d’évolution régressive. Il a cependant le mérite de mettre en relation à la fois une tendance et son aboutissement, l’état de troglobie, en englobant les stades intermédiaires, parfois mal définis (troglophiles avancés, troglobies récents et anciens, cavernicoles, etc.). Le concept de « troglobitude » n’a cependant pas la prétention d’apporter la moindre solution au problème car, comme nous l’avons vu, il reste bien des points en suspens et des questions sans réponses. Il n’est qu’une facilité de langage, que nous espérons provisoire, qui ne doit en aucun cas nous dispenser de chercher à affiner le vocabulaire sur la base de nouvelles observations. La classification proposée par Racovitza, exposée en début d’article, reste, à notre point de vue, un outil indispensable pour clarifier le discours. Elle souffre cependant de faiblesses qui tiennent essentiellement au fait que la caractérisation de certaines catégories et les limites entre elles sont encore imprécises. A diverses reprises, on a essayé de les affiner. Christiansen (1962) a proposé quatre catégories basées uniquement sur des critères morphologiques. Il conserve les trogloxènes, à ses yeux facilement reconnaissables, et les définit comme des hôtes accidentels ou temporaires des grottes ne présentant aucune modification. Il tente ensuite de contourner le problème des troglophiles, plus difficile à cerner, en distinguant les épigiomorphes, qui vivent et se reproduisent dans les grottes, mais sans présenter de modifications morphologiques, et les ambimorphes, qui montrent quelques modifications, mais conservent néanmoins la plupart des traits des espèces épigées. La majorité des représentants de cette catégorie sont cavernicoles mais quelques-uns se rencontrent aussi en dehors des grottes, dans des habitats particuliers. Enfin, il nomme troglomorphes les animaux dont tout le corps est profondément modifié. La troglobitude Pavan (1950) a été encore plus loin en subdivisant les habitants des grottes en sept catégories. Rien que pour les trogloxènes, il distingue ceux qui subissent le milieu avec difficulté, certains s’y reproduisant, d’autres pas, de ceux qui supportent le milieu sans difficulté, avec, à nouveau, des espèces qui s’y reproduisent ou non. Nous suivrons Vandel pour dire, qu’en raison de la pénurie de nos connaissances sur la reproduction des cavernicoles, cette classification est extrêmement théorique et d’application difficile. Gnaspini & Hoenen (1999) conservent, eux, les trois catégories de Racovitza, en y introduisant des critères biologiques : • Les trogloxènes doivent obligatoirement quitter, tous et périodiquement, l’environnement souterrain, car leurs caractéristiques biologiques ne leur permettent pas d’y vivre tout le temps. Selon les espèces, ces « migrations » s’effectuent en fonction des saisons (comme c’est le cas chez Scoliopteryx, par exemple, cf. supra), ou plusieurs fois en quelques jours, ainsi qu’on l’a observé chez l’Opilion Goniosoma (ces auteurs parlent alors de trogloxènes « stricts »). • Les troglophiles peuvent effectuer leur cycle complet dans ou en dehors de l’environnement souterrain. Si une espèce se nourrit et se reproduit indifféremment dans les deux milieux, on parle de troglophiles « indifférents ». Si, au contraire, une espèce ne se rencontre que dans le milieu souterrain, mais qu’on l’observe dans diverses cavités disjointes (non reliées entre elles), cela implique l’existence d’individus fréquentant le milieu épigé, au moins le temps nécessaire pour passer d’une grotte à l’autre. On parle alors de troglophiles « stricts ». Quelles que soient les modifications subies par les troglophiles, elles ne compromettent jamais leur survie dans le milieu épigé. A nos yeux, il reste ici à démontrer le passage d’une grotte à l’autre par le biais du milieu épigé, dans lequel, le plus souvent, on n’a pas encore observé ces espèces. S’agirait-il du milieu souterrain superficiel ? Mais dans ce cas, les grottes en question sont-elles réellement disjointes et ne rejoint-on pas alors le cas des troglobies ? • Les troglobies se rencontrent uniquement dans le milieu souterrain. Chez les troglobies anciens, on observe de nombreuses troglomorphoses, mais il n’y a pas de caractères biologiques (morphologiques, physiologiques,…) typiques de cette catégorie, certaines manifestations étant ici statistiquement plus fréquentes que chez les épigés. Chez les troglobies récents, on observe une mosaïque de caractères, découlant de la 45 pression écologique subie par chaque espèce et de son bagage génétique. Les troglobies ne se rencontrent que dans une seule grotte ou dans des cavités interconnectées (au moins par le biais du milieu souterrain superficiel), car ils ont perdu la faculté de survivre dans le milieu épigé. Nous signalions plus haut que des recherches plus fréquentes et des récoltes plus abondantes mettaient de plus en plus souvent à mal la notion « d’endémisme cavernicole ». Il y a peut-être là les premiers indices d’exceptions à la définition ci-dessus. D’autres pistes pourraient encore être explorées. Reygrobellet (1974) a étudié les caryotypes de plusieurs espèces de Niphargus, particulièrement délicates à séparer à l’aide des critères morphologiques classiques. Il a malheureusement dû constater que ces animaux présentaient une grande homogénéité caryologique (2n = 50) et qu’il en était de même chez les Proasellus cavernicoles du groupe cavaticus. Par contre, il y a des différences caryologiques nettes entre les espèces d’Aselles épigées, ainsi qu’entre les espèces de Gammaridae. Buzila & Marec (2000) ont fait la même constatation en étudiant la garniture chromosomique de Coléoptères troglobies de Roumanie, appartenant aux genres Pholeuon et Drimeotus : à l’instar d’espèces pyrénéennes des genres Speonomus et Troglocharinus, toutes présentent le même caryotype. Des analyses d’ADN permettraient-elles de faire progresser la recherche et de « mesurer » l’ancienneté des troglobies les uns par rapport aux autres ? A ce jour, nous n’avons trouvé aucune référence de ce genre de travaux. Remerciements Madame Danièle Uytterhaegen, bibliothécaire à la Maison de la Spéléologie, nous a très efficacement aidés dans la recherche de la documentation. Bibliographie Bareth C. (1999). Une nouvelle espèce de Litocampa découverte dans une grotte de Belgique (Diploures Campodeidae). Bulletin des Chercheurs de la Wallonie 39, p. 9-13. - (2000). 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