Centre d’études chinoises 14, rue d’Assas 75006 Paris La pensée économique chinoise Résumé de la conférence donnée par Michel Cartier le 10 janvier 2009 dans le cadre de « Chine Plurielle » au Centre Sèvres à Paris. Les années 1980, plus particulièrement au lendemain du lancement des réformes de Deng Xiaoping, ont été marquée par un regain d’intérêt pour les théories économiques chinoises anciennes. C’est alors qu’on a vu apparaître plusieurs histoires de la pensée économique chinoise ainsi que des rééditions de textes et des recueils spécialisés. Il va sans dire que ces travaux étaient très divers, certains auteurs s’attachant à montrer que les ouvrages anciens anticipaient de nombreux siècles la pensée économique occidentale, le plus souvent dans sa version marxistes, tandis que d’autres cherchaient à en retrouver la spécificité. Il n’est pas inutile de rappeler que les ouvrages traitant de l’économie, en particulier le Guanzi n’avaient pas reçu le statut de classiques, qu’ils étaient peu accessibles et qu’ils n’ont été réintroduits que récemment par l’intermédiaire des Japonais. Pourtant, comme on va le montrer, ils ont toujours exercé une influence sur les pratiques des gouvernements impériaux. Leur « redécouverte » dans les années 1980 peut être interprétée comme un retour à la culture classique et dans une certaine mesure à la recherche d’une alternative à l’orthodoxie marxiste dont on constatait alors l’échec. Il ne faut pas oublier que la Chine a utilisé depuis l’antiquité des signes monétaires (cauris, puis monnaies de bronze telles que les « bêches » et les « couteaux ») et que le commerce y a été florissant. Des considérations sur l’économie ne sont pas absentes dans les textes du confucianisme ancien, même si, pour reprendre une formule célèbre du Lunyu (Analectes) « le Maître parle peu du profit ». Son disciple Mencius a néanmoins consacré plusieurs passages à des questions économiques, en particulier la discussion entre Mencius et Xu Hang, qu’on peut considérer comme l’ébauche de la hiérarchie des classes sociales en fonction de leur participation à des activités productives (gouvernants, paysans, artisans et marchands). Les gouvernants, paysans et artisans sont supposés échanger des « surplus ». Les différences de prix correspondent la « valeur », assimilée à une hiérarchie sociale (les objets destinés à la classe supérieure sont plus « chers » que les autres). Il serait cependant excessif d’y voir une théorie économique. Une évolution à l’égard du « profit » est perceptible au cours de la dernière période des Royaumes combattants. Les Mohistes établissent une distinction entre le profit commun et le profit égoïste. Ils prônent un partage égalitaire des biens et condamnent le gaspillage. Le profit est réhabilité par les penseurs postérieurs qui substituent la notion de qing (subjectivisme) à celle, plus éthique, de xing (nature humaine). La recherche du profit répond à l’insatiabilité des désirs. Les considérations sur l’économie ont été regroupées après coup dans la Guanzi, un ouvrage composite attribué à Guan Zhong (+654 av. J.-C.), un chancelier du royaume de Qi qui en aurait fondé la prospérité, et dans divers textes de l’école légiste, en particulier le Shangjun shu, de Shang Yang (+338 av. J.-C.), dont le slogan était « enrichir le pays et renforcer l’armée ». La principale contribution du Guanzi est d’avoir formulé la première théorie du marché, assimilé à une pesée. Il convient de rappeler qu’à la différence de la balance romaine qui 14, rue d’Assas - 75006 – PARIS – Tel : + 33 (1) 44 39 48 75 www.institutricci.org – [email protected] Centre d’études chinoises 14, rue d’Assas 75006 Paris établit un équilibre entre des objets placés sur un plateau en déplaçant un curseur, la balance chinoise est constituée par une règle graduée soutenue au centre mais dont les plateaux peuvent coulisser. Selon l’expression courante, ils peuvent chacun « s’alourdir » en s’éloignant de l’axe, ou « s’alléger », en s’en rapprochant. D’où le titre d’une section du livre ; « Chapitres du lourd et du léger », dans laquelle il est montré comment jouer avec le marché. Pour résumer, on « allège » l’un des termes en augmentant sa quantité, tandis qu’on l’ « alourdit » en réduisant la quantité. La seconde contribution est l’assimilation de la monnaie à une marchandise (huo) et non à un étalon. Les manipulations du marché peuvent être utilisées pour corriger des crises internes ou mener des opérations guerrières. La pensée du Guanzi rejoint les considérations des légistes pour qui le développement économique (agriculture) peut être une manière de conduire des hostilités. En pratique, les partisans du Guanzi ont préconisé l’accaparement par l’Etat de la production et du commerce du sel et du fer, produits indispensables dans la vie des sujets. Sous la dynastie des Han une controverse opposa en 81 avant notre ère les tenants de ces théories aux confucéens sous l’arbitrage du pouvoir impérial. Les confucéens gagnèrent en démontrant que cette théorie était « immorale » parce qu’elle amenait à nier la valeur des marchandises. A partir de cette date les idées défendues par les tenants du Guanzi et les légistes furent considérées comme hétérodoxes. Le Guanzi ne fut jamais considéré comme un Classique digne d’être étudié. C’est pour cette raison que son texte ne fut pas établi et que la version actuelle a été empruntée au Japon. En revanche, il demeurait une référence dans la pratique des politiciens. On peut le constater dans deux domaines : la gestion des émissions monétaires et la réglementation du marché. Dans ces deux cas, les usages « agressifs » de la théorie sont remplacés par le maintien des équilibres. Le premier exemple est celui de la régulation du commerce des céréales par des greniers. Les céréales acquises au titre de l’impôt sont stockées dans des greniers. Elles sont mises sur le marché pour combattre la hausse des prix. De la même manière, les autorités régulaient la situation monétaire en mettant en circulation des quantités de monnaie. Plus ou moins importantes. La mise en pratique des théories de Guanzi supposait une connaissance précise de la conjoncture économique. Les autorités surveillaient les fluctuations des prix des denrées et des taux de change interne entre les différents signes monétaires, en particulier, à partir des Ming, le change entre les sapèques (pièces de bronze constituant la monnaie officielle) et les métaux précieux (argent et or) qui n’avaient que le statut de marchandises. On note cependant qu’en dehors de ces domaines précis l’Etat intervenait peu dans la vie économique et que la législation ne concernait que les relations entre les sujets et l’Etat. Les opérations économiques concernant la propriété, les associations, le prêt étaient du domaine privé et relevaient de la « coutume ». La pensée économique chinoise fut reprise et développée au Japon à partir du XVIIe siècle par des « confucéens » japonais, en particulier Kumazawa Banzan qui dans ses « Commentaires sur La Grande étude (Daxue) », l’ouvrage de Confucius devenu depuis les Ming la principale référence en matière d’économie, ébauche une théorie de l’investissement agricole, et Ogyû Sorai, qui géra la crise monétaire du début du XVIIIe siècle. 14, rue d’Assas - 75006 – PARIS – Tel : + 33 (1) 44 39 48 75 www.institutricci.org – [email protected]