L`HETEROGENITE ISOTOPIQUE DU CHROME ET L`EVOLUTION

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L’HETEROGENITE ISOTOPIQUE DU CHROME ET L’EVOLUTION 53MN-53CR DU SYSTEME
SOLAIRE PRIMITIF. A. Trinquier, J. L. Birck et C. J. Allègre, Laboratoire de Géochimie et Cosmochimie,
Institut de Physique du Globe, 4 Place Jussieu, 75252 Paris Cedex 05 ([email protected]).
Introduction: La précision des instruments a
toujours été un facteur déterminant dans les progrès
de la planétologie. Ce travail en est encore un exemple dans le domaine de la spectrométrie de masse
appliquée à l’étude de la matière extraterrestre.
Avec une résolution de l’ordre du 1/10000, les anomalies isotopiques de Chrome 54 avaient été identifiées dans les inclusions réfractaires [1] ainsi qu’à
l’echelle des minéraux des météorites carbonées [2].
A part les chondrites carbonées le système solaire
semblait homogène pour cet isotope. De même les
anomalies de 53Cr qui sont toutefois mesurés avec
une précision sensiblement meilleure (un facteur 4)
et qui sont liées à la décroissance du 53Mn, avait
permis d’aborder les aspects chronologiques de la
formation planétaire avec une résolution de l’ordre
du Ma. L’introduction d’une nouvelle génération
d’instruments vers 2000 a apporté un progrès
d’environ un ordre de grandeur sur la précision des
mesures ce qui nous a permis de détecter les variations qui sont décrites ci-dessous.
La mesure isotopique de Cr: Cet élément est
mesuré sur un spectromètre de masse à thermoionisation (TIMS) comportant neuf cages de Faraday
en mode multi collection dynamique. Il a été démontré sur Sr et Nd que la précision de cet instrument était meilleure que 5 ppm. Pour Cr, le fractionnement de masse instrumental est corrigé en normalisant au rapport 52Cr/50Cr terrestre. La précision
obtenue est de 15 ppm pour 54Cr/52Cr et de 5ppm
pour 53Cr/52Cr.
54
Cr/52Cr: Des résultats inattendus ont été obtenus et sont représentés Figure 1. Des variations
isotopiques sont mises en évidence entre les gros
corps du système solaire : Terre, Mars, corps parent
achondrites basaltique. Les différentes composantes
de la famille des achondrites basaltiques (eucrites,
diogénites, pallasites et mésosidérites) ont une composition identique ce qui renforce l’hypothèse d’un
lien génétique entre elles. Cette composition est un
déficit par rapport à la composition terrestre. Les
grandes familles des chondrites ont chacune une
composition spécifique : un déficit pour les chondrites ordinaires, un excès pour les chondrites carbonées. Seules les chondrites à enstatite ont une composition identique à la Terre ce qui confirme le lien
génétique qui pourrait exister entre ce groupe et la
Terre. Ces variations ont une origine dans les différents réservoirs nucléosynthétiques qui ont contribué
à l’élaboration de la nébuleuse solaire. Elles peuvent
être rapprochées des anomalies des isotopes riches
en neutrons des éléments du groupe du fer et qui sont
trouvées dans les inclusions des chondrites carbo-
nées. Dans nos résultats, la contrainte la plus forte
sur la formation planétaire vient du fait que des objets différenciés comme les achondrites basaltiques
qui viennent à priori d’un gros objet (comme Vesta
4) ont une anomalie plus forte que des objets plus
primitifs comme les chondrites venant à priori
d’objets beaucoup plus petits et dont on attendrait
une dispersion isotopique plus importante. Cette
étude montre que chaque grande famille de météorite
et de corps planétaire a une composition spécifique.
Figure 1. Rapport isotopique 54Cr/5 2 Cr en écart
relatif en 1/10000 (unités ε) par rapport à la composition terrestre de différents composants connus du
système solaire. Corrélation des variations isotopiques de Cr avec les isotopes de l’oxygène.
Ceci peut être rapproché des observations faites
pour l’oxygène et le Cuivre [3-4]; la Figure 1 montre
les relations entre les propriétés isotopiques de
l’oxygène et du Chrome dans le système solaire.
Celle ci est surtout nette à l’intérieur du groupe des
météorites carbonées.
ISOTOPES DE Cr: A. Trinquier et al.
53
Cr/52Cr: Nous avons montré dans nos études
antérieures que les variations de ce rapport étaient
liées à la décroissance du 53Mn présent dans le système solaire primitif. [5]. Par le passé certains auteurs ont utilisé l’apparente homogénéité du rapport
54
Cr/52Cr pour renormaliser le rapport 53Cr/52Cr déjà
corrigé de la discrimination de masse instrumentale
au moyen de 52Cr/50Cr [6]. Ceci résulte aussi de
l’observation que dans certaines situations instrumentales les fluctuations des mesures de 54Cr et de
53
Cr étaient corrélées et que cette deuxième correction pouvait être faite afin d’obtenir une bien meilleure précision sur le rapport 53Cr/52Cr. Ceci repose
sur l’hypothèse que 54Cr/52Cr était homogène jusqu’à
des ordres de grandeur de 20 ppm dans le système
solaire. Il y a dix ans ceci pouvait être vérifié expérimentalement jusqu’à environ 50-100 ppm mais pas
en dessous. Les mesures présentées ici n’utilisent pas
cette correction et cette hypothèse est manifestement
fausse à la précision où les mesures sont faites
maintenant. Les isochrones 53Mn-53Cr nécessitent un
réajustement qui ne joue pas sur le rapport
53
Mn/ 55Mn obtenu mais sur la position du rapport
53
Cr/52Cr initial qui est la composition isotopique du
réservoir dont les roches sont issues. La Figure 2
montre l’effet de ces corrections sur les résultats des
achondrites basaltiques.
Figure 2. Diagramme isochrone résultant de la
décroissance de 53Mn dans les achondrites basaltiques. L’axe vertical est representé en ecart relatif en
1/10000 (unités ε) par rapport à la Terre. Les nouvelles données sont décalées en composition isotopique de Cr par rapport aux données antérieures.
Ces corrections sont aussi significatives pour les
résultats des chondrites. L’évolution isotopique du
chrome 53 dans la nébuleuse solaire et dans les corps
planétaires est revue et la composition moyenne du
système solaire de nos jours est de +0,2ε contre
+0,5ε auparavant. Conformément à la nature appauvrie en volatils des météorites différenciées, la
source des achondrites basaltiques a évoluée dans un
milieu où le rapport élémentaire Mn/Cr était plus bas
que dans la nébuleuse solaire. Il ressort aussi de cette
étude que les objets de rapport Mn/Cr distinct de la
valeur solaire ne sont apparu que plusieurs Ma après
les premiers condensats.
Conclusions et perspectives: Le système solaire
est isotopiquement hétérogène à toutes les échelles
pour le chrome ce qui est comparable aux isotopes
de l’oxygène et peut constituer un outil puissant pour
confirmer ou infirmer des liens génétiques entre les
familles d’objets. Néanmoins il faut observer que
tout ceci n’est apparent qu’à un très haut niveau de
précision et nécessite un investissement important en
mise au point et en temps de mesure. En perspective
il est probable que de telles variations isotopiques
sont aussi présentes pour les autres éléments du
groupe du fer qui va de Ca au Zn et qui ont des propriétés nucléosynthétiques très proches. Le problème
est de savoir à quel niveau de précision il faut effectuer les mesures pour les trouver. Seul un investissement conséquent dans les méthodes expérimentales apportera les réponses. Pour les autres groupes
d’éléments la contrainte nucléosynthétique est moins
directe et l’investigation expérimentale avec les
nouvelles méthodes performantes permettra d’y voir
plus clair dans les liens entre les effets isotopiques
parfois gigantesques trouvés dans les micro grains
contenus dans les météorites primitives et les effets
probablement infimes au niveau des roches totales.
Citations : [1] Birck J. L. et Allègre C.J., (1984)
Geophys.Res.Lett. 11, 943-946. [2] Rotaru M. et al
(1992) Nature 358, 465-470, 1992. [3] Clayton R.
N., Onuma N. et Mayeda T.K. Earth Planet. Sci.
Lett. 30, 10-18 [4] Luck J.M. et al. (2003) Geochim.
Cosmochim. Acta 67, 143-151 [5] Birck J. L. et
Allègre C.J., (1985) Geophys.Res.Lett. 12, 745-748.
[6] Lugmair G. W. et Shukolyukov A. (1998) Geochim. Cosmochim. Acta 62, 2863-2886.
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