Avant-propos Les changements climatiques représentent aujourd’hui un défi majeur pour nos sociétés. Rapport après rapport, le Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC), créé en 1988, a posé le diagnostic des changements climatiques à l’échelle internationale et peu à peu réduit la marge d’incertitude initiale. Rendu en 2007, son quatrième et dernier rapport est le plus alarmiste. Il confirme que « le réchauffement du système climatique est sans équivoque ». Il ajoute que « l’essentiel de l’élévation de la température moyenne du globe observée depuis le milieu du XXe siècle est très probablement attribuable à la hausse des concentrations de GES anthropiques ». L’incidence des activités humaines va au-delà de l’élévation de la température moyenne ; elle entraîne également une élévation du niveau de la mer, des changements de la configuration des vents, de trajectoire des tempêtes extratropicales, des risques de vagues de chaleur accrus, une progression de la sécheresse, la fréquence des épisodes de fortes précipitations, etc. Le GIEC ajoute qu’il est « très probable » que les changements seront plus importants au XXIe siècle que ceux observés pendant le XXe siècle. En outre, « même si les concentrations de gaz à effet de serre étaient stabilisées, le réchauffement anthropique et l’élévation du niveau de la mer se poursuivraient pendant des siècles en raison des échelles de temps propres aux processus et aux rétroactions climatiques ». Selon les conclusions du GIEC, tout retard dans la réduction des émissions réduit sensiblement les possibilités de parvenir à stabiliser les émissions à des niveaux inférieurs et accroît le risque d’incidences plus graves des changements climatiques. Le dernier rapport d’évaluation du GIEC publié en septembre 2013 vient confirmer l’acuité et la gravité de cet enjeu pour nos sociétés (1). Même si les politiques de lutte contre les changements climatiques s’inscrivent dans ce que les politistes nomment une gouvernance « transcalaire » ou multilevel mettant l’accent sur les négociations internationales, mais aussi sur les multiples acteurs impliqués, publics et privés (ONG, entreprises, organisations professionnelles), globaux, régionaux, nationaux, locaux, et sur une diversité de processus à l’œuvre à diffé (1) GIEC, « Climate Change 2013 – The Physical Science Basis », Working Group I contribution to the IPCC fifth assessment report, Final draft underlying scientific-Technical Assessment, 30 September 2013, 32 p. bruylant VIII secteurs d’activités et diplomatie climatique rentes échelles, du local au global et du global au local, le régime international du climat joue, en raison de la globalité même des enjeux, un rôle central et décisif. Ce rôle est d’abord structurant : il s’agit d’assurer la cohérence horizontalement entre les différentes politiques menées à l’échelle internationale (commerce, développement, investissement, finance, etc.), mais aussi verticalement en permettant l’emboîtement des différentes échelles d’action là encore du local au global et du global au local. Le régime international du climat devrait aussi, au-delà, jouer un rôle dynamisant, celui d’une locomotive, faisant avancer les positions des uns et des autres dans une dynamique de négociation, permettant de construire un consensus international et de promouvoir des politiques climatiques de plus en plus ambitieuses. Lancées à Bali en 2008, les négociations d’un régime international ambitieux et inclusif, destiné à prendre le relai des engagements très limités pris en 1997 dans le Protocole de Kyoto, sont très difficiles. Elles n’ont pu aboutir à Copenhague, en 2009. Le processus a timidement été relancé à Durban, en 2011 ; il devrait aboutir en 2015, à Paris, à la conclusion d’un nouvel accord lequel pourrait ainsi être en vigueur à compter de 2020… Mais nombreuses sont les incertitudes planant sur le processus. En particulier, si l’accord est obtenu, sera-t-il suffisamment ambitieux au regard des préconisations des scientifiques ? Beaucoup ont perdu confiance dans la capacité de la diplomatie onusienne à créer une réelle dynamique en la matière. La réflexion sur les approches sectorielles que développe ici JeanChristophe Burkel prend tout son sens. Lancée à Bali, comme un élément de la feuille de route des négociateurs, la négociation sur les approches sectorielles faisait naître alors beaucoup d’espoirs. Il faut souligner ici le rôle moteur des entreprises dans cette nouvelle forme de coopération internationale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. En la matière, elles avaient précédé les États. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Et comment articuler ces approches avec le régime international du climat ? Derrière ce concept d’approches sectorielles, se cachent des formes multiples d’instruments allant des réglementations internationales sectorielles (transport aérien ou maritime), à des initiatives sectorielles purement volontaires visant à simplement échanger des bonnes pratiques, en passant par une coopération technologique entre pays, ou encore des accords sectoriels transnationaux impliquant des entreprises opérant dans les pays industrialisés et dans les pays en développement, ou même des politiques domestiques sectorielles couplées avec des instruments incitatifs (No Lose Target/mécanisme de crediting sectoriel). S’attachant à des initiatives nombreuses et disparates, Jean-Chris- bruylant a v a n t - p r o p o s IX tophe Burkel met en évidence ce qui réunit ces approches : le fait qu’elles partagent la même finalité soit la recherche de solutions pragmatiques, secteur par secteur, quelles que soient les différences fondamentales des secteurs concernés. L’auteur a du ici véritablement construire son objet de recherche et c’est un des grands mérites de son ouvrage que de contribuer à clarifier la notion d’approches sectorielles, dont les différentes formes sont catégorisées et classées de manière très convaincante. Jean-Christophe Burkel distingue ainsi les approches sectorielles dans le Protocole de Kyoto, les approches sectorielles volontaires, les possibilités de concertation sectorielle institutionnalisée et les mécanismes sectoriels fondés sur le marché. Il est rapidement apparu que les approches sectorielles ne pourraient se substituer à un accord international, pour des raisons à la fois politiques mais également de nécessité de garantir la cohérence entre les politiques publiques. Par ailleurs, il est largement reconnu qu’une approche sectorielle exige un cadre clair tant sur le plan juridique qu’institutionnel. Enfin, au-delà des questions liées aux fuites de carbone et du maintien de la compétitivité, on doit s’interroger, secteur par secteur, sur la pertinence de ce type d’instruments pour inciter à une transition vers des modes de production faiblement carbonés. Reste la « cerise sur le gâteau » du juriste qui est la question de savoir comment construire ce type d’approches dans le futur accord international sur le climat. Doit-on se contenter d’une forme d’habilitation des acteurs sectoriels pour la mise en œuvre et d’une reconnaissance des résultats pour démontrer la conformité aux engagements pris par les États ? Faut-il – et peut-on – aller au-delà, voire jusqu’à négocier l’ensemble des modalités de mise en œuvre, à l’instar de ce qui a été fait pour le MDP ? Quel peut être le rôle de la coopération bilatérale ou régionale comme outil de mise en œuvre du droit international ? Et quel peut être celui des droits nationaux ? Clair et pédagogique en dépit de la technicité du sujet, ce bel ouvrage montre que le régime international est perméable aux idées nouvelles, mais aussi qu’il oppose à leur développement de vives réticences. En dépit de leur intérêt, la mise en œuvre effective des approches sectorielles pose problème. Les pays en développement résistent à leur développement qui, dès lors, a été relativement limité jusqu’à présent. La réflexion de Jean-Christophe Burkel sur l’articulation de ces approches sectorielles avec le régime international du climat, celle du soft et du hard, du volontaire et du contraignant, est particulièrement stimulante. La question posée en termes de contribution – au moins potentielle – de ces approches à une meilleure effectivité des politiques environnementales revêt un intérêt majeur, qui dépasse largement le bruylant X secteurs d’activités et diplomatie climatique sujet du climat. De même, cet ouvrage illustre remarquablement la crise du multilatéralisme, plus générale, identifiable par exemple aussi bien dans le domaine climatique que dans celui du commerce international. La distorsion entre le besoin, l’intérêt de ces approches sectorielles et la faiblesse des résultats en témoigne si besoin en était. On promeut une approche sectorielle et… c’est l’État qu’on trouve bien souvent. Les fondamentaux de la société internationale sont peu ou prou les mêmes aujourd’hui qu’il y a un siècle. Et elle est bien mal outillée pour faire face aux enjeux forts du monde d’aujourd’hui. Sandrine M aljean -D ubois Directrice de recherche au CNRS Centre d’Études et de Recherches Internationales et Communautaires (CERIC) Université d’Aix-Marseille bruylant