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m Ie S M E
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La revue PRISME, fondée en 1990.
PRISME
no45
Comité éditorial :
Jean-François Bélair, Patricia Garel,
Louisiane Gauthier, Alain Lebel, Martin St-André
Secrétaire de rédaction :
Denise Marchand
Comité consultatif:
Pierre Asselin, Louise Baillargeon, Luc Blanchet, Marc-André Bouchard,
Rose-Marie Charest, Dominique Cousineau, Luce Des Aulniers, Yvon Gauthier,
Daniel Jacques, Gloria Jeliu, Ridha Joober, Michèle Lambin, Marc Laporta,
Marc-Yves Leclerc, Michel Lemay, Nicole Leroux, Jean-Pierre Pépin (rédacteur en chef
fondateur), Jean-François Saucier, Angeles Toharia
Correspondants:
J.A. Barriguete (Mexico), M. Elkaïm (Bruxelles), B. Golse (Paris), A. Guédeney (Paris),
J.Y. Hayez (Bruxelles), P. Huerre (Paris), M. Keren (Tel Aviv), D. Lauru (Paris),
F. Molénat (Montpellier)
Infographie : Madeleine Leduc
Conception de la page couverture : vertplatine
Révision et correction des épreuves : Denise Marchand
Responsable du site internet : Louis Luc Lecompte
Diffusion : Luc Bégin
Abonnements: Thérèse Savard
Comité administratif : Patricia Garel, Marc Girard, Gratien Roussel
Distribution en librairie : (Québec) Prologue Inc.
(Europe) CEDIF/Casteilla (France), Vander (Belgique), Servidis (Suisse)
La publication de PRISME est assurée par les Éditions de l’Hôpital Sainte-Justine.
Les articles de la revue sont répertoriés dans : Base Pascal de l'INIST – Repère de la SDM
La revue PRISME est membre de la SODEP.
PRISME bénéficie de l'appui financier des organismes suivants:
Eli Lilly Canada Inc.
Organon Canada Litée
© Hôpital Sainte-Justine 2004
ISBN: 2-89619-042-2
Dépôt légal :
Bibliothèque Nationale du Québec, 2005
Bibliothèque Nationale du Canada, 2005
no45
2005
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PRISME
sommaire
s o m m a i r eP R I S M E
no45
6 Introduction – Attention, passage pour adolescents!
8 Présentation – ‘Re-naître’ à l’âge adulte.
VOLET PSYCHIATRIQUE ±–
Repenser la continuité des troubles et l’articulation des soins
14 Psychose et intervention précoce : État de la nation. Luc Nicole, Claude Blondeau
30 L’émergence de la psychose chez l’adolescent et le jeune adulte : réflexions sur
l’intervention précoce et l’expérience australienne. Amal Abdel-Baki
46 Conceptualisation et identification de la schizotaxie. Vers une définition du syndrome
prédisposant à la schizophrénie. Ming T. Tsuang, William S. Stone, Elizabeth A. Olson
62 Regard sur le trouble bipolaire : ce que les données de recherche nous apprennent sur
la clinique. Andrée Daigneault
78 Entrevue avec François Maranda. P. Garel et M. St-André
88 Transférer un adolescent vers les services de psychiatrie adulte : de certains écueils et
voies de solution. Nagy Charles Bedwani
104 Trouble des conduites et comorbidités : vers une nouvelle typologie? Martin Gignac
114 Le diagnostic de pathologie borderline chez l’enfant. Utilité pour le diagnostic
différentiel et l’intervention précoce. Jaswant Guzder, Phyllis Zelkowitz
126 Continuité entre psychiatrie de l’adolescent et psychiatrie de l’adulte à Genève.
L’exemple des troubles des conduites alimentaires. Sandra Lopez et François Ladame
135 Les problèmes de comportement avant l’âge de deux ans, faut-il s’en préoccuper?
Raymond Baillargeon
140 Le trouble déficitaire de l’attention chez les jeunes adultes. Quand le TDAH persiste…
Angelo Fallu, Caroline Richard
)
au tournant
de l’âge adulte
Coordination :
Martin St-André, en collaboration avec Denise Marchand et Alain Lebel
s so ommmma ai ir re e
(
Intervenir
152 Point de vue - L’intervention au tournant de l’âge adulte. Et pourquoi pas
une continuité des soins? Claude Bergeron
VOLET PSYCHOSOCIAL - Ce difficile passage vers la vie adulte
160 Entrevue avec Claude Bilodeau, accompagné de Manon Fontaine.
Propos recueillis par D. Marchand et M. St-André
174
Être adolescente consommatrice de substances psycho-actives et devenir mère : un trajet
identitaire particulier. Pauline Morissette, Ève Bélanger
188 Intervention de groupe auprès d’enfants dont un des parents présente un trouble mental Ou
le nécessaire continuum des services psychiatriques. Dominique Boucher, Chantal Daumas
206 Trajectoires délinquantes. La réadaptation est possible… à certaines conditions.
Jacques Dionne, Louis-Georges Cournoyer
218 Le Projet Qualification des Jeunes. Préparation à la vie autonome et insertion
socioprofessionnelle des jeunes des centres jeunesse. Martin Goyette, Amélie Morin,
Etienne Lyrette
CHRONIQUES
232 Tribune - Plaidoyer pour une médecine humaniste. Réflexions sur l’eugénisme libéral.
Daniel Jacques
250 Livres lus – Angeles Toharia, Mounir Samy, Jean-François Saucier, Benoit Clotteau, Irène
Krymko-Bleton, Sylvaine De Plaen, Michel Doucet, Chantal Daumas
278
Vidéos – ‘Le jeu, c’est génial’. Réal Laperrière, Simon Laperrière
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PRISME
Introduction
PRISME
Attention, passage pour adolescents !
()
Entre l’enfant et l’adulte se définit l’adolescent. Ses limites sont
dessinées par l’éclairage que projette sur lui la société dans laquelle
il évolue. Selon les préoccupations dominantes, les tendances
culturelles, les événements historiques autour desquels elle se
découpe, l’adolescence est tour à tour qualifiée de période de tous
les possibles, ou au contraire de tous les dangers, voire pour certains
de phase pathologique inévitable. Qu’elle fascine ou qu’elle
inquiète, elle mobilise en tout cas les adultes attirés mais aussi
menacés par cette jeune génération en émergence qui les pousse
avec plus ou moins de ménagement au-delà de la maturité
confortable tout en leur assurant un prolongement.
Ce moment clé du développement humain suscite ainsi un intérêt qui
dépasse largement la santé mentale et se traduit par de nombreux
travaux dans toutes sortes de disciplines. De la sociologie à la
pédagogie en passant par la politique, l’adolescent semble au centre
des préoccupations d’une société occidentale inquiète de ses
comportements. La drogue, la violence et la criminalité, le suicide,
l’automutilation, la dépression, le décrochage scolaire, l’itinérance,
la sexualité sont des phénomènes régulièrement médiatisés,
publicisés, traités pour le grand public avec plus ou moins de bonheur
et de succès mais toujours alimentés par la curiosité générale.
L’adolescent devient un étranger dont il faudrait apprendre
à décoder le langage obscur et les messages contradictoires;
l’adolescence se détache comme un espace de turbulences
potentiellement fertiles en dehors du temps qui aurait perdu
momentanément son caractère inéluctable.
6
PRISME, 2005, n0 45, 6-7
Or l’adolescence est un passage qui mérite qu’on interroge
son entrée et sa sortie en lui restituant une certaine continuité.
Que se passe-t-il avant cette transformation corporelle, cognitive et
identitaire, quels sont les ingrédients qui vont permettre une
introduction sans fracas dans cette phase du développement?
Comment en sortir en négociant prudemment le tournant suggéré
dans le titre de ce volume, sans risquer la sortie de route et la
bascule au fond d’un précipice?
N’oublions pas que ce passage se déroule avec succès pour la
majorité des adolescents. Les plus vulnérables, ceux qui risquent la
chute ou le dérapage méritent d’être identifiés, accompagnés et
protégés par des filets de sécurité. Leur place dans le monde adulte
est précaire et doit être pensée différemment. Chaque époque a tenté
de répondre à ces difficultés selon ses convictions et ses moyens.
Nous sommes confrontés à des défis nouveaux liés entre autres à la
rapidité des changements sociaux et technologiques : nous devons
mettre à profit les ouvertures offertes par les progrès considérables
des neurosciences et de la génétique sans pour autant perdre la
richesse de notre héritage culturel et historique.
Ce thème essentiel fera l’objet d’un congrès international en 2007 à
Montréal qui permettra de poursuivre les réflexions et les réponses
amorcées dans ce numéro par les auteurs des textes variés qui
éclairent avec pertinence et créativité un sujet très actuel qui
concerne l’organisation de notre système de santé.
Patricia Garel
()
7
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PRISME
Présentation
PRISME
‘Re-naître’ à l’âge adulte
Tell me what’s going wrong in this society!
Simple Plan
Alors, plaisant jeune homme, tu n'as donc pas entendu dire que je suis
le fils d'une sage-femme [...] Mon art d'accoucher, à moi, c'est sur
l'enfantement de leur âme et non de leur corps que porte son examen.
Platon Théétète
()
8
Tout jeune adulte qui ‘vient au monde’ rencontre le vertige de sa
liberté. Dans chaque société, ce défi de s’inventer de nouvelles
formes de réciprocité avec sa famille et son environnement social se
pose aux jeunes hommes et aux jeunes femmes au tournant de l’âge
adulte, même si les exigences associées à ce passage diffèrent selon
la mentalité du temps et du milieu qui les a nourris. Baignés qu’ils
sont dans le discours hédoniste et consumériste ambiant qui les
exhorte à se distinguer de leurs pairs et à dépasser la génération
précédente, à s’affranchir de l’autorité parentale et à repousser leurs
limites, au risque même de leur intégrité parfois, il n’est pas
étonnant qu’un bon nombre de jeunes adultes ‘en voie de naissance’
vivent des secousses, voire des périodes de grande vulnérabilité.
Si cela est vrai des adolescents fragilisés dans leur parcours
développemental ou stigmatisés dans leur être social, ce l’est encore
bien davantage pour ceux qui sont porteurs d’un trouble ou d’une
condition déficitaire ou qui vivent une souffrance psychologique.
Du point de vue scientifique, ce dossier de PRISME s’intéressant au
passage vers l’âge adulte paraît à un moment particulièrement fertile
de l’évolution de nos disciplines alors que de nombreuses données
tant neurobiologiques, épidémiologiques que nosologiques jettent
PRISME, 2005, n0 45, 8-11
un éclairage nouveau sur cette étape de l’adolescence, sur la
spécificité des tâches sinon des écueils qui bordent le parcours et
risquent de grever l’avenir de certains jeunes. En 2000, Rutter et
Sroufe ont en effet écrit une revue des concepts clés en
psychopathologie en insistant sur la question des causalités et
des mécanismes développementaux, et sur ce phénomène de
continuité/discontinuité entre le normal et le pathologique.
Ouvert et fouillé comme jamais auparavant par les chercheurs, cet
agenda de recherche porte déjà ses fruits avec la parution très
remarquée d’études longitudinales majeures qui permettent de
mieux saisir les bifurcations et voies de traverse autant que de
résilience empruntées au fil du développement, et ce dans des
domaines aussi variés que le neurodéveloppement (Cicchetti et
Walker, 2003), le tempérament (Gottfried et al., 2003), le lien et
les styles d’attachement (Grossmann et al., 2005), l’agressivité
(Tremblay et al., 2005) ou encore le processus d’adaptation tel qu’il
se joue dans la construction de la personne depuis la naissance
jusqu’à l’âge adulte (Sroufe et al., 2005).
En planifiant ce dossier, nous avons par ailleurs cherché à ce que le
clinicien tire profit au maximum des travaux rassemblés sur diverses
populations d’adolescents et de jeunes adultes à risque avec les
formes de soutien à leur apporter. Par exemple, du point de vue de la
recherche nosographique, ce dossier donne la parole à plusieurs
auteurs qui examinent des sous-groupes diagnostiques d’enfants et
d’adolescents qui, malgré des conditions apparentées, auraient des
évolutions différentes, et ceci dans l’optique d’apporter des soins
mieux intégrés au tournant de l’âge adulte (voir Daigneault sur la
bipolarité, Gignac sur les troubles des conduites, Guzder et Zelkowitz
sur la détection du trouble borderline chez l’enfant, Baillargeon sur
les signes d’agressivité précoce, Morissette et Bélanger sur les
trajets potentiels associés à la maternité précoce et la toxicomanie
chez les adolescentes).
Du point de vue de l’intervention, cet ouvrage vise à mettre en
évidence les efforts déployés pour repérer précocement certaines
pathologies ou leurs signes précurseurs tout en étant attentif aux
périodes critiques dans l’intervention - et celle-ci aussi rapide que
soutenue, surtout dans le cas de troubles avérés - afin de contrer la
morbidité et favoriser le maintien des acquis thérapeutiques. On lira
ainsi avec profit Tsuang et coll. sur la schizotaxie, Nicole et Blondeau
de même que Abdel-Baki sur les premiers épisodes psychotiques,
()
9
()
10
Maranda sur la bipolarité, Fallu et Richard sur le TDAH, Dionne et
Cournoyer sur la réadaptation selon divers parcours délinquants.
L’autre grand axe dans l’élaboration de ce dossier fut celui de
l’organisation des soins et les correctifs face à l’articulation
fréquemment défaillante des services entre adopsychiatrie et
psychiatrie adulte, problématique qui est par ailleurs loin d’être
unique et propre au Québec (Jamieson et Romer, 2005). On
consultera à cet égard Nicole et Blondeau sur l’état des services
offerts aux jeunes psychotiques, Bedwani de même que Bergeron sur
leurs expériences et propositions en matière d’articulation des soins
avec la psychiatrie adulte, et Lopez et Ladame à propos d’une
expérience en Suisse d’intégration de soins adolescents-jeunes
adultes. Cette question de la continuité des services lors de
l’accession à la majorité de jeunes des milieux de réadaptation
est aussi l’occasion de présenter des initiatives originales et
prometteuses, dont celle de Boscoville 2000 relatée par Claude
Bilodeau et Manon Fontaine, et celle du programme de qualification
des jeunes au sortir des centres jeunesse discutée par Goyette et
coll. Enfin, la prévention secondaire est abordée par Boucher et
Daumas à propos de leur expérience de groupes d’enfants de
parents atteints de psychopathologies sévères.
Ainsi donc, devant le ‘vertige de l’intervention’ auquel la clinique le
confronte régulièrement, nous avons tâché d’ouvrir des pistes et
signaler des données qui aident le praticien à mieux repérer les
troubles précoces à l’adolescence – et même plus tôt -, en particulier
les traits développementaux ou psychopathologiques prédicteurs de
troubles sévères à l’adolescence et d’une évolution défavorable à
l’âge adulte. Au delà de ces analyses pourtant, et sachant combien le
doute, s’il n’est pas trop paralysant, peut porter l’attention, susciter,
soutenir l’ouverture et la créativité, l’invitation lancée finalement au
clinicien est précisément celle d’utiliser son ‘incertitude comme
tremplin de recherche’ (Knee, 2003), d’accepter de se laisser
surprendre par la singularité, les détours parfois inorthodoxes ou
imprévus de l’évolution de chaque patient, et ainsi travailler à faire
advenir chez le jeune adulte en devenir une véritable liberté d’agir et
de pensée.
Martin St-André
En collaboration avec Alain Lebel et Denise Marchand
Références
Cicchetti D, Walker EF. (eds) Neurodevelopmental mechanisms in psychopathology.
London : Cambridge University Press, 2003.
Gottfried AW, Oliver PH, Thomas GW. (eds) Temperament : Infancy through Adolescence.
Munich : Springer, 2003.
Grossmann KE, Grossmann K, Waters E. (eds) Attachment from infancy to adulthood. The
major longitudinal studies. New York : Guilford Press, 2005, 332 pages.
Jamieson KH, Romer D. A call to action in adolescent mental health. In : Evans DL, Foa E,
Gur R, Hendrin H, O'Brien C, Seligman M, Walsh BT. (eds) Treating and preventing
adolescent mental health disorders : What we know and what we don't know. New York :
Oxford University Press, The Annenberg Foundation Trust at Sunnylands, and the
Annenberg Public Policy Center of the University of Pennsylvania, 2005 : 617-623.
Knee P. La parole incertaine. Montaigne en dialogue. Québec : Presses de l’Université
Laval, 2003. Cité in Paré F. Note de lecture. Tangence 2004; 74 : 133-136.
Rutter M, Sroufe LA. Developmental Psychopathology : Concepts and Challenges.
Developmental Psychopathology 2000; 12 : 265-296.
Sroufe LA, Egeland B, Carlson EA, Collins WA. (eds) The Development of the Person. The
Minnesota Study of risk and adaptation from birth to adulthood. New York : Guilford
Press, 2005, 384 pages
Tremblay RE, Hartup WW, Archer J. (eds) Developmental Origins of Aggression. New York :
Guilford Press, 2005, 480 pages.
()
11
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Repenser la continuité
des troubles et
l’articulation des soins
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m Ie S M E
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PRISME
no45
Psychose et intervention précoce : État de la nation
Luc Nicole
Claude Blondeau
Dr Nicole est médecin
psychiatre et chef médical
de la Clinique Jeunes
Adultes affiliée à l’hôpital
Louis-H. Lafontaine.
Claude Blondeau est
médecin résident en
psychiatrie.
Adresse :
6070, Sherbrooke est
bureau 106
Montréal (Québec) H1N 1C1
Courriel :
[email protected]
()
14
Le caractère évolutif de la schizophrénie et l’ampleur des
répercussions de cette maladie au plan social sont des faits
généralement admis par l’ensemble des cliniciens. Dans les années
’80, des études de suivi longitudinal ont permis de décrire cette
évolution (Ciompi, 1980; Bleuler, 1978) et la pertinence d’une
démarche de réadaptation s’adressant à des patients ayant plusieurs
années d’évolution derrière eux (Harding, 1987b).
Plus récemment les études épidémiologiques se sont concentrées
sur des populations de patients qui en sont au début de la maladie :
les patients dits premier épisode (Geddes et al., 1994 ; Gupta et al.,
1997 ; Wiersma et al., 1998). Ces études ont amené à définir le
concept de période critique (Birchwood, 2000), soit une période de
cinq ans partant du début de la maladie où prévaut un risque élevé
de suicide et de rechutes, avec toutes les conséquences au plan
individuel, familial et social que cela peut entraîner. Le corollaire qui
s’impose est que notre action clinique doit s’intensifier durant cette
période.
Les lignes directrices formulées pour le traitement de la schizophrénie par l’American Psychiatric Association (2004) sont les
premières à être basées sur les données probantes. Elles concluent à
la nécessité d’intervenir rapidement au moment du premier épisode
et précisent la nature des interventions reconnues efficaces :
1. Intervention familiale
2. Traitement intensif dans la communauté
3. Emploi assisté
4. Thérapie cognitivo-comportementale
5. Entraînement aux habiletés sociales
Déjà, Hogarty et al. (1997) avaient souligné le fait que les modalités
thérapeutiques s’appuient sur une relation thérapeutique solide et
une approche spécifique au stade de la maladie (phase specific).
McGorry (2004) a repris l’ensemble de ces points et ajouté que ces
PRISME, 2005, n0 45, 14-29
RÉSUMÉ
Les auteurs dressent un portrait de la situation actuelle relativement
à l'intervention précoce auprès des personnes atteintes de
psychose. Ils présentent diverses données et caractéristiques
concernant les principaux programmes d’intervention retrouvés
dans plusieurs pays de même qu’au Canada anglais. Ils font ensuite
état des programmes existant au Québec et décrivent comment le
doyen d'entre eux, la Clinique Jeunes Adultes associée à l’hôpital
Louis-H. Lafontaine, a su intégrer les données probantes et
l'expérience clinique dans la mise en place de son programme
spécialisé de soins. Ils considèrent enfin les perspectives d’avenir et
les défis à relever, soulignant en particulier l’action de l’Association
Québécoise des Programmes pour Premiers Épisodes Psychotiques
et les objectifs visés pour le bénéfice de ces patients.
services devaient être dispensés par des professionnels spécialisés
au cours des premières années de la maladie et que, conséquemment, la plupart des patients ne devaient pas être transférés
vers des structures de soins de première ligne, dès l’amélioration des
symptômes aigus.
Si le bien-fondé d’une action précoce visant à limiter les
conséquences individuelles et sociales par des modalités thérapeutiques spécifiques et adaptées aux jeunes atteints de psychose est
bien établi, la pratique clinique habituelle comporte cependant des
délais importants dans l’intervention et elle dispose de moyens peu
distincts de ceux utilisés pour d’autres pathologies psychiatriques.
Un écart important existe entre ce qui est reconnu efficace dans la
littérature et ce qui est disponible en clinique.
Programmes spécialisés dans l'intervention précoce pour
les psychoses débutantes : Perspective internationale
Au cours des dix dernières années, différentes initiatives, de nature
et d'ampleur différentes, ont vu le jour. Les constituantes principales
de ces programmes intègrent le plus souvent les éléments
mentionnés ci-haut. Le tableau 1 propose un relevé des programmes
spécialisés existant au niveau international. En plus d'informations
qui permettent de situer le milieu, la clientèle et le mandat de
chacun de ces programmes, ce tableau indique la présence ou non
d'une démarche d'évaluation avec mesures répétées, intégrée au
programme en question.
()
15
À partir des similitudes et différences mises en évidence dans ce
tableau, quelques commentaires peuvent être formulés. Au niveau
des critères diagnostiques, certains programmes visent à la fois les
Premiers Épisodes Psychotiques (PEP) liés à une schizophrénie ou
une maladie affective (EPPIC en Australie, EIS en Grande-Bretagne),
alors que d'autres visent spécifiquement les PEP liés à un trouble de
la lignée schizophrénique (TIPS en Norvège, EPP à Calgary, PEPP à
London). Au niveau de l'âge de prise en charge, la tendance générale
est à une admission des patients à partir de l'âge de 16 ans avec
une limite d'âge supérieure plus variable, allant de 24 ans pour
le programme EPPIC à 65 ans pour le programme TIPS. La
détermination de ces limites d'âge doit prendre en considération
plusieurs facteurs, dont l'un des principaux est celui d’arriver à une
certaine homogénéité des caractéristiques populationnelles afin de
développer des modalités susceptibles de favoriser une alliance et
un sentiment d'appartenance chez ces patients. L'articulation avec
les services de pédopsychiatrie semble variable et pour la plupart de
ces programmes, elle n'était pas, à l'origine, bien définie. Le doyen
de ces programmes est ainsi récemment devenu partie intégrante
d'un service d'intervention en santé mentale (ORYGEN) oeuvrant
auprès des jeunes (15-24 ans) en Australie (voir l’article de A. AbdelBaki dans le présent dossier). Soulignons finalement que la quasitotalité de ces programmes comprend une démarche évaluative plus
ou moins élaborée.
Programmes spécialisés : Initiatives québécoises
()
16
Parallèlement à ces actions en Australie, en Norvège et au Canada
anglais (Ontario), plusieurs milieux cliniques québécois ont innové
en mettant sur pied des programmes spécialisés dans le traitement
des PEP. Tout comme le tableau 1 le faisait pour les programmes hors
Québec, le tableau 2 apporte des données sur les aspects de service
et de recherche compris dans les programmes québécois.
L'une des lacunes importantes de la situation actuelle relative au
traitement et à la réadaptation des patients présentant un PEP en sol
québécois concerne les patients âgés de moins de 18 ans. Une
réponse partielle à cette lacune a été, pour certains programmes,
d'abaisser à 14 ans l'âge limite d'admission (comme c'est le cas du
programme PEPP du CH Douglas). Une telle articulation est facilitée
par la double vocation (psychiatrie adulte et pédopsychiatrie) de ce
centre hospitalier. Depuis ses débuts, la Clinique Jeunes Adultes
PEP
Non affectifs
PEP
Non affectifs
PEP
Tr. lignée SCZ et
Tr. Aff et car.
Psychotique
non congruents
PEP
Diagnostic
16-50 ans
16-45 ans
16-30 ans
18-65 ans
15-24 ans
Age à
l’admission
2 ans
3 ans
3 ans
2 ans
1.5 an
Durée de
suivi
390,000
930,000
300,000
675,000
819,000
Population
du secteur
50
85
120
100
255
Nouveaux
Cas
Interne
externe
Externe
prodrome
Externe
Prodrome
Externe
Prodrome
Interne
Externe
Prodrome
Services
fournis
Évolution à 1 et 2 ans.
Évolution à 3, 6, 9, 12, 15,
18, 21, 24 mois et 3 ans.
Évolution à 1, 2 et 3 ans.
Évolution à 3 mois, 1, 2 et
5 ans; groupe-intervention
comparé à 2 groupes
sans intervention.
Processus
Impact
Évolution à 6,
12, 24 mois.
Évaluation
du programme
Traduit et adapté de: Jane Edwards, Patrick D Mc Gorry, Martin Dunitz (Eds) Implementing early intervention in psychosis. A guide to establishing early psychosis services. 2002, p.64-65
Canada, 1996
London, ON.
Canada, 1996
Calgary, Alta
Early psychosis
Prevention
(EPP)
Prevention and
early program for
psychosis (PEPP)
Grande-Bretagne,
1995
Early intervention
services (EIS)
Norvège, 1997
Australie, 1992
Melbourne
Early psychosis
Prevention and
Intervention center
(EPPIC)
Early treatment
and identification
psychosis
(TIPS)
Pays/début
Aperçu des principaux programmes spécialisés dans l’intervention précoce visant les psychoses débutantes :
Perspective internationale
Nom
Tableau 1
()
17
(CJA) privilégie l'intégration des jeunes atteints de psychose dont le
traitement (réalisé au CH Rivière-des-Prairies pour la plupart) a
débuté avant l’âge de 18 ans.
Une autre initiative plus récente a été de développer dans un milieu
pédopsychiatrique un programme spécifique pour cette clientèle.
Ainsi récemment, le programme Dépistage et Intervention Précoce de
la Psychose (DIPP) a vu le jour au département de pédopsychiatrie
du CHUQ. Les critères d'admission à ce programme sont les suivants :
1) psychose d’allure schizophrénique ou bipolaire ; 2) prodrome,
psychose atypique, bizarrerie, si histoire familiale de psychose ; 3) la
psychose toxique sera considérée en réunion d’équipe selon les
besoins et la vulnérabilité du patient. Les cas sont référés pour
opinion diagnostique, suivi conjoint ou prise en charge. Les services
dispensés sont comme suit : évaluation structurée, travail sur les
habiletés sociales, intervention familiale, travail cognitif et support
par la suite des intervenants du milieu d’origine.
Ce programme est en lien avec le programme adulte offert aux jeunes
avec premier épisode psychotique de la région (CNDV) et permet
donc une transition plus harmonieuse vers l'âge adulte. Tout
dernièrement, des initiatives ont vu le jour en région. Citons ici à titre
d’exemples les programmes de Rimouski et de Shawinigan.
Le cas d’une clinique : Évolution de la Clinique
Jeunes Adultes
Pour illustrer les changements qui sont apparus au cours des
dernières années dans le domaine de l’intervention auprès du jeune
patient atteint de psychose, l’expérience de la CJA s’avère l’une des
plus évocatrices. Rattachée à l’hôpital Louis-H. Lafontaine, la CJA est
située dans le secteur est de la ville de Montréal. Une grande partie
de ce secteur est reconnue comme étant très défavorisée au plan
économique. La population desservie est d'environ 340 000.
LA CLIENTÈLE….
()
18
Cette clinique qui a vu le jour en 1987 visait à l’origine une clientèle
dite de « jeunes adultes chroniques », expression qui, aujourd’hui,
peut faire bondir mais qui, à l’époque, traduisait une volonté d’agir et
des efforts cliniques auprès d’une clientèle jeune déjà engagée dans
un processus de chronicisation et souvent même d’institutionnalisation. Initialement, la CJA prenait le relais là où les équipes de
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