TÂCHE COMPLEXE Un paysage ancien : Salins-les-Bains au Mésozoïque (période du Trias) La présence de certaines roches dans le sous-sol peut permettre de reconstituer le milieu dans lequel celles-ci se sont formées, il y a souvent des millions d’années. En effet, les roches portent suffisamment d’indices pour que l’on puisse imaginer dans quelles conditions elles se sont formées et ainsi nous renseigner sur les climats et paysages anciens, les conditions de vie de l’époque… La ville de Salins-les-Bains, dans le Jura (France), doit son nom et sa réputation à la présence de sel fossile dans son sous-sol. Ce sel fossile est en fait une roche sédimentaire, dite «!évaporite!» ou encore «!sel gemme!», dont la présence n’est pas le fruit du hasard. Comment reconstituer le paysage et l’environnement de la ville de Salins-les-Bains au Trias à partir de l’étude des conditions actuelles de formation de cette roche!? Doc. 1!: Produire du sel aujourd’hui, par l’action de l’Homme À Aigues-Mortes (sud de la France), de vastes étendues d’eau salée de faible profondeur et séparées de la mer (appelées «!marais salants!»), sont aménagées et exploitées pour récolter le sel de mer. Là-bas, les conditions sont donc requises pour produire du sel. Doc. 2!: Produire du sel en classe de façon très simple à partir d’eau salée Verser de l’eau salée (eau de mer ou saumure en provenance de Salins-les-Bains) dans une coupelle. Placer cette coupelle sur une source d’eau chaude jusqu’à évaporation de l’eau. Observer le contenu de la coupelle. Doc. 3!: Produire du sel aujourd’hui, dans un milieu naturel sans l’Homme Sur Terre, de nombreux endroits sont connus pour présenter des dépôts de sel considérables, comme la mer Morte au Porche-Orient, la mer d’Aral en Asie centrale ou bien le Grand Lac Salé à l’Ouest des Etats-Unis (cf. photographie ci-dessous). Ces sites remarquables ont le point commun de ne pas communiquer avec l’océan (étendues d’eau dites «!fermées!») et de se trouver à des latitudes favorables. Consigne En utilisant les trois documents et vos connaissances, reconstituez le paysage et les conditions climatiques de la ville de Salins-lesBains au Trias, il y a environ 210 millions d’années, au moment des dépôts de sels qui caractérisent son sous-sol. Notes pour l’enseignant Cette activité peut être utilisée en cinquième comme ressource dans le cadre de la partie C du programme!: «!Géologie externe!: évolution des paysages!». Quelques clés pour comprendre!: La géologie d’une région s’explique par son histoire qui, d’une manière générale, peut suivre la chronologie suivante!: - Une phase de sédimentation, au cours de laquelle se forment et s’empilent les strates. Si la roche est de nature magmatique, cette phase n’a pas lieu d’être, elle est remplacée par une phase de genèse et d’évolution des magmas. Une phase liée à la géodynamique interne!: mouvements de compression, de divergence, jeu des failles, plissements… Une phase liée à la géodynamique externe!: érosion des structures mises en place lors de la première phase, en lien avec les possibilités offertes par la seconde phase. La région de Salins-les-Bains ne déroge pas à la règle et les couches de sel gemme puis de saumure trouvent bien leur origine dans ces trois phases. 1. La sédimentation L’essentiel de cette phase remonte au Trias supérieur (le Keuper, il y a environ 215 millions d’années). Le sel gemme est une roche sédimentaire de type évaporite, dont les conditions de formation sont très spécifiques et même rares naturellement. Par la méthode de l’actualisme, on peut, à partir d’un exemple actuel où l’on sait qu’il se forme du sel, comme les lagunes Maracaïdo au Venezuela, retrouver les conditions nécessaires à la formation de ce type de roches!: milieu marin riche en sels (NaCl, KCl, Ca, SO4…), milieu confiné, colonne d’eau peu profonde, températures assez chaudes… Ainsi, on peut reconstituer des éléments paléogéographiques qui nous permettent d’imaginer le paysage qui existait dans le Jura au Keuper!: il s’agissait d’un océan de type lagunaire, épicontinental, subissant une forte influence du continent en particulier au niveau de la nature des sédiments. À l’époque, La Pangée, supercontinent, était bordée à l’Est par la mer Téthys, et le Jura se trouvait à la jonction entre ces deux structures. La Pangée allait ensuite se fracturer et générer petit à petit la distribution actuelle des continents et océans grâce à un ensemble de mouvements tectoniques!: c’est la dérive des continents. V. Bichet, M. Campy, Montagnes du Jura – Géologie et paysages, Néo-Edition, 2008 Il s’est ainsi empilé au Trias supérieur quelques mille mètres de couches salifères dans la partie centrale du Jura, les courbes isopaques montrant une épaisseur plus proche de 500m dans le sous-sol salinois plus en périphérie. Ces couches de sel sont très rarement pures, elles alternent et/ou sont mélangées avec des marnes dont la nature et l’abondance dépendent de l’apport en sédiments continentaux drainés par les fleuves qui se jetaient dans l’océan lagunaire. Ces marnes, de nature argileuse, sont la signature d’une érosion des roches de la croûte continentale qui était donc très proche de l’océan à l’époque. L’empilement d’une telle épaisseur de sédiments a aussi été rendue possible par des phénomènes tectoniques de subsidence (distension du fond du bassin sédimentaire qui ainsi s’enfonce davantage sous le poids des couches sus-jacentes) permettant d’accumuler d’importantes couches de sédiments. On peut aussi pratiquer une analyse sédimentologique pour reconstituer l’histoire de la formation du sel dans la région. Des données paléontologiques viennent compléter d’autres données minéralogiques, pétrologiques et géostructurales. On a en effet retrouvé des ossements d’un grand reptile de type dinosaure, le Platéosaurus, et en particulier une griffe du côté du ravin de Boisset proche de Salins. La période et les conditions de vie de l’animal sont communément admises car connues dans d’autres sites!: elles confirment un milieu lagunaire, de bordure de continent, remontant au Trias supérieur. Des végétaux classés chez les Ptéridophytes (grandes fougères) viennent compléter les informations paléontologiques qui sont relativement pauvres, le milieu lagunaire étant relativement abiotique d’après ses caractéristiques physico-chimiques. 2. La géodynamique interne Le Jura s’inscrit dans une structure globale dont l’orientation (SW/NE), l’âge et la nature sont indissociables de la formation des Alpes (orogénèse alpine), liée au rapprochement des plaques européenne et africaine et donc à la fermeture de l’océan alpin. La chaîne de montagne est donc issue d’un mouvement tectonique de compression ou de convergence amorcé au Crétacé (fin de l’ère secondaire) et accéléré au début de l’ère tertiaire, il y a environ 70 millions d’années avec un paroxysme il y a 10 millions d’années (au Miocène). Dans ce type de mouvement, des failles inverses générées par la cassure des roches entraînent leur chevauchement ce qui va générer du relief. Lorsque les roches ne cassent pas trop, à l’échelle de l’affleurement, on obtient des plis de plus ou moins grande envergure et l’on retrouve dans les paysages des anticlinaux et synclinaux. Au moment de cette compression, les couches de sel ont joué un rôle considérable, se comportant comme du savon sur lequel d’autres couches ont pu se déplacer. Le sel est en effet une roche plastique dont le comportement a pu être à l’origine de gondolements, de plissements et de discordances comme celle qui a généré le Mont Poupet!: à cet endroit, du Jurassique moyen se retrouve sur du Jurassique supérieur. C’est un contact anormal. Les mouvements tectoniques expliquent donc les reliefs jurassiens et leur distribution actuelle. 3. La géodynamique externe Après une phase orogénique au cours de laquelle les couches sédimentaires sont émergées, fracturées et mises à nu, fait suite une phase d’érosion amorcée déjà pendant le soulèvement. L’eau, principal agent d’érosion, assure une action chimique et mécanique sur les roches. Par dissolution, elle arrache et puis transporte des particules aux roches qui rejoignent souvent le réseau hydrographique (ici la Furieuse). Cette action tend à niveler et façonner les reliefs néoformés!: des vallées se creusent comme à Salins, des strates disparaissent partiellement ou entièrement, de l’eau s’infiltre par les fissures et les diaclases, générant un réseau karstique important dans la région. D’autres éléments présents dans les paysages témoignent aussi d’une érosion intense, comme les argiles de décalcification présents au niveau de nombreux affleurements calcaires qui jalonnent la vallée salinoise ainsi que les écroulements rocheux qui peuvent leur être associés. Les eaux météoriques ont aussi pu, par une lente infiltration, rejoindre les couches salifères du Trias et créer ainsi de la saumure exploitée par l’Homme à Salins. Les mouvement tectoniques et l’érosion expliquent donc que des couches âgées de 200 millions d’années puissent affleurer ou être proches de la surface actuelle.