TROIS GRANDES FAMILLES n° 33 .septembre 2008 ■ 1 € Judaïsme La Bible dit que la croyance en un seul dieu est le fruit d’une Alliance proposée par Dieu à Abraham et son peuple les Hébreux. L’Alliance est une très vieille coutume du monde sémitique ancien, une sorte d’adoption qui permettait de lier ses intérêts avec ceux d’un autre. En islam, Ibrahim (Abraham) est le guide premier des musulmans, ceux qui sont au sens premier sont soumis à Dieu. Une fois sorti de Mésopotamie, le Coran n’évoque pas Canaan, il installe Abraham d’emblée à La Mecque lieu de refondation du monothéisme. L’islam, en dépit de sa grande unité, présente aussi plusieurs facettes et se subdivise, pour des raisons qui sont à l’origine autant politiques que religieuses, en trois grandes familles. Après la mort du Prophète Muhammad, la désignation de ses successeurs fait l’objet de compromis fragiles qui ne résistent pas à l’arbitrage de 661 entre les prétendants à la succession. La grande rupture, fitna, donne naissance au sunnisme, au chiisme et au kharijisme. Dans les premiers siècles, la pensée de l’islam est multiforme et pluridisciplinaire. Chacune des trois grandes familles de l’islam conserve de ce foisonnement des différences dans l’interprétation des prescriptions du Coran dans les écoles juridiques du sunnisme (hanafisme, malékisme, chafiisme, hanbalisme) et celles du chiisme et du kharijisme. De nos jours, se manifestent les tenants d’une interprétation littérale caricaturale alliée à une pensée politique intransigeante. christianisme islam Directeur de la publication : Dominque Baudis Directeur de la rédaction : Mokhtar Taleb-Bendiab Directeur général-adjoint : François Baudet Directeur général-adjoint : Badr-Eddin Arodaky Fresque de la synagogue de Doura Europos, IIIe s., musée de Damas, Syrie © G. Degeorge Coordination éditoriale et textes : Radhia Dziri Iconographie : R. Nouzeilles Conception : Didier Chapelot Maquette : P•C• Impression : Relais graphique Crédits photographiques : Photographes et agences cités. Ce numéro 33 IMA/exposition a été réalisé par la Direction des Actions culturelles Mohamed Métalsi Actions éducatives Ouardia Oussedik © Institut du Monde Arabe Exposition réalisée avec le soutien de l’ACSÈ, du Ministère de la Culture et de la Communication Basilique de saint Siméon Styllite, IVe s. © Ministère du tourisme de Syrie EXPOSITIONS ITINÉRANTES DISPONIBLES Le judaïsme actuel est né après le retour d’exil de Babylone (-539) et s’est constitué durant les premiers siècles de notre ère, quand s’est élaboré le Talmud. C’est pourquoi il est appelé judaïsme talmudique ou rabbinique. Le trait fondamental du judaïsme rabbinique est sa culture du débat. Le texte de la Torah est absolu, mais, il est recommandé d’interpréter la parole sacrée. Aucune autorité humaine n’étant habilitée à imposer une interprétation unique ; sur un solide socle commun, cette religion a développé diverses facettes. Depuis l’époque moderne, des courants sont influencés dans leur interprétation par les Lumières. À l’heure actuelle, un très grand nombre de mouvements orthodoxes sont attachés à une interprétation et à une pratique très stricte de chacun des commandements et des interdits divins. Les premiers siècles de l’Église en Palestine et à Rome puis au fur et à mesure de son expansion sont marqués par une grande effervescence. Le dogme s’élabore lentement marqué par de grandes crises qui sont résolues à l’occasion de conciles successifs. Le christianisme devenu religion officielle de l’Empire romain en 380, le paganisme interdit en 391, la rivalité se cristallise entre Rome et Constantinople, entre culture latine et grecque. Les questions de primauté entre le pape et le patriarche enveniment leurs relations. La rupture définitive a lieu en 1054 sur un point de doctrine. Deux Églises se font face : catholique (universelle) et orthodoxe (conforme au dogme). Elles demeurent séparées en dépit de la réconciliation de 1964. L’Église orthodoxe et orientale, ou plus justement les nombreuses Églises orthodoxes et orientales, ont toutes un caractère national. Elles dépendent chacune d’un patriarche, on dit qu’elles sont autocéphales. L’Église catholique donne un rôle central au pape chef spirituel et chef d’État. À la Renaissance, sa prééminence sont parmi les raisons à l’origine du mouvement de la Réforme et de la montée du protestantisme. L’Église protestante qui en appelle essentiellement à l’autorité des Écritures par-delà celle de la hiérarchie ecclésiastique se développe en plusieurs courants distincts. Comores © IMA/A. Puig-Rosado Le maguène, bouclier ou étoile de David est le symbole le plus connu du judaïsme et du peuple juif. Cette étoile à six branches est une forme géométrique ancienne très répandue. Elle apparaît dans un ouvrage cabalistique au XIVe siècle associé à l’expression maguène de David. Depuis, en Europe, ce motif est utilisé comme protection contre le mal, il prolifère sur les objets du culte et les écrits. Il est choisi en 1897 comme emblème du premier congrès sioniste. Sa transformation par les nazis en un signe stigmatisant lui a conféré par un nouveau retournement un caractère plus fort. La croix symbolise la mort de Jésus mais surtout sa résurrection. Elle est pour les chrétiens un signe de dévotion et de reconnaissance de leur Seigneur. C’est à partir du Ve siècle que Jésus est représenté sur la croix, et c’est au XIVe siècle que ce symbole exprime la souffrance du Christ. Actuellement elle exprime à la fois la passion et l’histoire du salut. Selon les Églises, il en existe plusieurs formes avec deux, quatre ou huit branches. Le croissant de lune est devenu le symbole de l’Empire ottoman après la prise de Constantinople en 1453. Progressivement a été lié à l’islam. Depuis, il orne le faîte des coupoles et des minarets et aujourd’hui le drapeau de nombreux pays musulmans. Par association la vision du croissant pour déterminer le début du mois lunaire y est peut-être pour quelque chose. Quelques repères Livres : Bottero, Jean, Ouaknin, Marc-Alain, Moingt Joseph ; La plus belle histoire de dieu ; Points, Éditions du Seuil, 1997 Grand Rabbin René-Samuel Sirat, Mgr Olivier de Berranger, Yousef Siddik ; Juifs Chrétiens, Musulmans, Lectures qui rassemblent, lectures qui séparent ; Bayard, 2007 Dieu. Les monothéismes et le désenchantement du monde. Rencontres d’Averroès, n° 11 ; Éditions parenthèses, 2005 20 clés pour comprendre le judaïsme, Le Monde des Religions, Hors-série, n° 2, s. d. 20 clés pour comprendre le christianisme, Le Monde des Religions, Hors-série, n° 3, s. d. 20 clés pour comprendre l’islam, Le Monde des Religions, Hors-série, n° 4, s. d. Amir-Moezzi, Mohammad, Ali, Lory, Pierre ; Petite histoire de l’islam ; Librio 844, E. J. L., 2007 Attias, Jean-Christophe, Benbassa, Esther ; Petite histoire du judaïsme ; Librio 843, E. J. L., 2007 Baubérot, Jean ; Petite histoire du christianisme ; Librio 856, E. J. L., 2008 Lagaillardie, André ; Le christianisme, Petit guide 124, Aedis éditions, 2004 Lagaillardie, André ; Le judaïsme, petit guide 123, Aedis éditions 2004 Lagaillardie, André ; L’islam, Petit guide 103, Aedis éditions, 2007 Denis, Jean-Pierre ; Le Christianisme, Savoirs fondamentaux religions, Éditions Eska, s. d. Samadi, Nicolle ; L’islam ; Savoirs fondamentaux religions, Éditions Eska, s. d. Samadi, Nicolle ; Le judaïsme ; Savoirs fondamentaux religions, Éditions Eska, s. d. Drage Hale, Rosemary ; Christianisme ; Comprendre les religions, Gründ 2004 Ouakin, Marc-Alain, Hamani, Laziz (photographe) ; Symboles du Judaïsme, Éditions Assouline, 1995 Chebel, Malek ; Les symboles de l’islam, Éditions Assouline, 1999 Dieu, Yaweh, Allah les grandes questions sur les trois religions, Bayard jeunesse, 2004 Films : Les Dix Commandements, Cecil B. DeMille, 1956, DVD Paramount Pictures 2001 Jésus de Nazareth, Franco Zeffirelli, 1977, DVD Swift, 2002 Le Message, Moustapha Akkad, 1976, DVD Aaa International, 2003 Disques : Chantre du Shabbat, Albert Bouhadana © JBM, 1995 Hazanout, chants liturgiques juifs © Maison des Cultures du Monde, 1988 Sourates Al-Fatiha et Al-Baqara, Cheikh Abdulbasset Abdessamad © Hidaya, 2007 Musique sacrée byzantine, Ensemble Théodore Vassilikos,Grèce © Ocora, 2002 Stabat Mater, Pergolèse, Vivaldi, Scarlatti, Haydn, Schubert, 4 CDs, Erato disques c Warner Music, 2001 Canto gregoriano, Les Moines de Silos © EMI Classics, s. d. Muezzins d’Alep. Les chants religieux de l’islam, Syrie © Ocora, 1992 Sites : Institut européen en sciences religieuses : www. iesr.ephe.sorbonne.fr Centre civique du fait religieux : www.ccefr.org ■ Institut du Monde Arabe ■ Une introduction à l'histoire des pays arabes ■ Le Maghreb : l'Occident arabe ■ L'Orient arabe, de la vallée du Nil à la Mésopotamie ■ La Péninsule arabique et le Golfe ■ Les pays arabes de l'Afrique de l'Est et les Comores ■ Les sciences arabes ■ L'islam ■ Les croisades ■ La Méditerranée, périples d’une civilisation ■ La calligraphie ■ L'art de l'enluminure au Maghreb XIIe- XXe siècles ■ La musique arabe dans tous ses éclats ■ La Palestine des créateurs ■ Beyrouth forum des arts, 1950-1975 ■ Al-Andalus ■ Le Maroc, une créativité millénaire ■ L’Algérie, histoire et culture ■ La littérature arabe ■ Tunisie, la rive verte ■ Images et paysages du monde arabe ■ Les arts traditionnels ■ Palestine, histoire d’un peuple ■ L’immigration arabe en France ■Cités arabes d’hier et d’aujourd’hui ■ La bande dessinée dans le monde arabe ■ L’Orient merveilleux ■ L’Irak, de Babylone à Bagdad ■ Les illustrateurs arabes de livres pour enfants ■ Égypte, terre de civilisations ■ Imazighen Berbères ■ Le blé et l’olivier, agriculture et alimentation en Méditerranée ■ Les voix de la langue française dans le monde arabe ■ Le soufisme « cœur de l’islam » ■ Les Ottomans, l’empire des trois mers et des trois continents ■ Arabica, la culture arabe en Europe ■ L’or bleu dans le monde arabe www.imarabe.org proches...lointains Le judaïsme, le christianisme et l’islam ont en commun la croyance en un dieu unique et se réclament, chacun à sa manière, de la foi d’Abraham. Par la force des choses, ces trois religions nées dans le même espace géographique au Proche-Orient, ont des parentés et des cousinages. Au cœur de chacune d’entre elles demeure le commandement d’honorer Dieu et son prochain, le souci de l’éthique, de la bonté, de la justice, de la liberté même si les mots pour le dire ne sont pas les mêmes. Il s’agit pourtant bien de trois religions différentes. L’histoire de ces trois religions est à la fois commune et dissemblable. Le temps écoulé a creusé le fossé entre trois cultures, trois religions, trois discours sur dieu, trois approches de la révélation, trois façons de lire les textes sacrés, trois manières de voir la présence de dieu. Cependant, elles ont des proximités : leurs textes fondateurs sont proches, la Bible hébraïque influence le nouveau Testament chrétien, tandis que les deux Testaments inspirent bien des sourates du Coran. Les méthodes d’interprétation sont connexes : la Bible expliquant la Bible, et le Coran expliquant le Coran, un verset difficile peut être éclairé par un ou plusieurs autres versets. Dans les trois religions, l’exégèse a été très développée et les gloses nombreuses. L’exposition présentera chacune des religions et donnera à voir ce qui les rassemble et ce qui les éloigne. © M. Levit/Shutterstock © L. Rogers/Shutterstock © Tian Kian Khoon/Shutterstock LE SENS DES MOTS Dieu est un principe d’explication de l’existence du monde selon des modalités particulières et en fonction des croyances et des religions. Torah, Bible, Coran, les trois textes sacrés ont fait l’objet de compilation et de rédaction sur une longue période. Les cinq livres de la Bible dont il a existé plusieurs versions depuis le IXe siècle av. J.-C. Elle aurait été mise par écrit à partir du VIe siècle av. J.-C. On lit la Bible dans l’ordre où ses compilateurs l’ont constituée. Dix siècles et demi ont été nécessaires à sa rédaction. Le canon a été fixé au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne. La Bible hébraïque est en trois partie et appelée TaNaKH qui sont les initiales de : Torah, Pentateuque (les cinq livres de Moïse), Névim, Prophètes, Kétouvim, Écrits. Pour les juifs, l’ensemble des lettres est le modèle même de monde. Ajouter ou retrancher une lettre, c’est détruire le monde. Le mot dieu vient du latin deus, lui-même issu de la racine indo-européenne « dei wo », lumière du ciel, du jour, de la base « dei- », luire, briller. Le monothéisme qui semble aller de soi n’a pas été la religion première des hommes au MoyenOrient où il est né. Il ne s’est pas imposé en un jour avant d’être adopté puis embrassé par de nombreuses populations dans le monde et donner naissance au judaïsme, au christianisme, à l’islam. L’Ancien Testament est écrit en hébreu, le Nouveau Testament en grec, la langue culturelle de l’époque. La liste ou canon des « Écritures » est fixé par consensus graduel à partir du IVe siècle au plus tard, si on excepte les variantes apportées par la Réforme, elle est commune à tous les chrétiens : catholiques, orthodoxes, protestants. Ces derniers, pour l’Ancien testament, reviennent aux textes considérés comme les textes d’origine. La Bible est traduite à partir de l’hébreu et du grec en latin par Jérôme au IVe siècle. Adoptée à l’exclusion de tout autre version par le concile de Trente au XVIe siècle, elle est communément appelée Vulgate. Depuis la Bible a été traduite dans de nombreuses langues et régulièrement de nouvelles traductions sont proposées. Le polythéisme était alors partout la règle. Dans cette croyance, les dieux honorés sont des êtres supérieurs, totalement ou en partie anthropomorphes. Ils ont un pouvoir sur les hommes et des attributs particuliers, le principal étant l’immortalité. Dans l’histoire ancienne, on a relevé que les hommes ont pu s’attacher à un dieu et lui rendre un culte particulier. Cet attachement ne constitue pas les prémices du monothéisme, il ne s’agit pas de croire en un seul dieu, mais de hiérarchiser les divinités. Par exemple, dans la seconde moitié du deuxième millénaire, en Mésopotamie le dieu Mardouk est considéré comme « cinquante fois plus dieu que tous les autres » ou encore en Égypte, le dieu Soleil est celui que le pharaon Akhenaton exalte plus et mieux que d’autres. Le Nouveau Testament est composé des quatre Évangiles. Ils rapportent la vie de Jésus, sa mission et sa résurrection. Les trois Évangiles de Matthieu, Marc, Luc sont appelés synoptiques à cause de leurs ressemblances et de leurs convergences. L’évangile de Marc est le plus ancien, il a été rédigé dix ans après la mort de Jésus. Dans leur version définitive, ils datent tous les trois de 70-80. Le quatrième évangile, celui de Jean, est daté de l’an 100. Les Écrits canoniques complètent les Évangiles. L’enseignement du dieu unique tel que nous le rapporte la Bible s’appuie sur les figures emblématiques d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de Moïse surtout. C’est ce dernier qui enseigne au peuple d’Israël, et à lui seul, la nécessité de ne pas avoir d’autre dieu que Yahvé, de s’attacher et de ne vouer de culte qu’à Lui seul. Il rejette tout anthropomorphisme. Certains historiens pensent que l’expression d’un monothéisme authentique s’est forgée d’abord auprès les élites puis, au cours des décennies ou des siècles qui ont suivis, dans le peuple. Il se serait imposé au IVe siècle avant notre ère. Près d’un millier d’années après, comme une évidence, l’enseignement islamique affirme que la croyance en un Dieu unique existe de toute éternité. Les prophètes successifs n’ont fait que transmettre et rappeler à l’humanité ce culte inscrit dans la nature de l’homme dès sa naissance. L'islam est centré autour du Coran qui est au cœur de la foi. Qur'ân, c'est-à-dire : « récitation à voix haute », c’est la parole même de Dieu révélée mot à mot. Il n'est pas considéré comme l'œuvre d'un homme. Il est issu du Livre céleste qui préexiste aux révélations faites aux hommes. Le Coran manifesté est fait de signes de Dieu, âyât Allâh, articulés en langue arabe qui se trouvera sacralisée par la suite. Il est tenu pour inimitable dans sa forme et ses contenus. La Révélation a duré vingt ans environ (610-632). Ce n’est qu’après la mort du Prophète que sont rassemblés les versets pour les uns mémorisés par ses premiers compagnons, pour les autres mis par écrit. Un long travail a été nécessaire pour rassembler les versets et les valider. À la fin du VIIe siècle, le texte est homogénéisé sur le plan orthographique pour donner naissance à une version officielle. Il existe sept lectures canoniques du texte. Les textes sacrés des trois religions monothéistes ne sont pas d’un accès facile. La lecture littérale ne donne pas toutes les clefs. Pour comprendre le message transmis de génération en génération, des méthodes d’interprétation ont été mises en place. Les sources à notre disposition sont un reflet de la vérité, elles divergent par le point de vue adopté. Les exégètes et les historiens expliquent dans quel contexte historique la foi est née. La Torah, les Évangiles et le Coran sont le produit de l’histoire, ce qui n’empêche pas les croyants de les tenir pour inspirés par Dieu. Pour les sages du Talmud, sept noms de dieu peuvent être écrits à la condition qu’ils ne soient pas effacés. El, Elohim, ehyeh acher ehyeh (Je suis qui Je suis), Adonaï, le tétragramme YHWH, Tesevaot et Chaddaï. Les Byzantins le nomment Théos. Les chrétiens arabes retiennent le nom d’Allah et lui ajoutent volontiers celui de Rabb, Seigneur, que l’on retrouve aussi chez les mystiques musulmans. Dans le christianisme occidental, le terme Dieu prévaut, celui de Seigneur, Maître de l’univers lui sont associés. On ne retrouve pas chez les chrétiens l’interdiction d’écrire ou de prononcer le nom de Yahvé. L’islam insiste sur un dieu unique et transcendant, créateur et ordonnateur du monde. Pour nommer Dieu, on dit Allâh, simplement le mot dieu en arabe. LES CIRCONSTANCES HISTORIQUES La doctrine d’un Dieu unique en trois personnes fait la singularité du christianisme. La Trinité s’écarte de la règle de l’unité. Expliquer que Dieu peut être à la fois Père, Fils, Esprit a été l’occasion, pendant quatre siècles, de vifs débats, de schismes entre les Églises. L’idée d’unicité dans la pluralité rend l’essence de Dieu mystérieuse, transcendante et inaccessible. Les chrétiens invoquent Dieu, le père Tout-Puissant, Jésus-Christ, son Fils unique, le Seigneur et l’Esprit Saint. Il est de règle de réciter les textes sacrés des trois religions monothéistes d’une voix audible en faisant appel à quelque chose qui va du parler au chanté sans verser dans la parole courante, et sans rejoindre la technique du chant. On désigne ce procédé par une série de termes : cantillation, récitation, psalmodie, lecture (qirâ’a dans l’islam), et embellissement de la voix. Le résultat est ou bien austère : c’est la récitation recto-tono, sur une ou deux notes de musique ou bien, il s’amplifie grâce à l gamme et se rapproche du chant. Dans cet état d’esprit va émerger à travers le temps l’art du hazzanût (judaïsme), du grégorien (christianisme occidental), chant byzantin (christianisme oriental), du tajwîd ou récitation coranique. Les traces archéologiques et épigraphiques de l’histoire du peuple hébreu sont assez modestes et ne corroborent pas toujours ce qu’en dit la Bible. Selon la Genèse, pour obéir à un décret divin, Abraham quitte la Mésopotamie où il est né pour se rendre à Canaan. Son fils Isaac hérite du pays et conçoit Jacob qui, après avoir lutté avec l’Ange envoyé par Dieu, s’appellera Israël. Il aura une nombreuse descendance : douze tribus. Exilées en Égypte, elles sont réduites en esclavage. Moïse ayant reçu la Révélation du buisson ardent sur le mont Sinaï, guide son peuple hors de ce pays. Il retourne sur le Sinaï où il reçoit la Torah, la Loi. Après une errance de quarante années dans le désert, les tribus atteignent Canaan où elles sont gouvernées par des juges. Saül, de la tribu de Judas, puis David sont à l’origine du premier État unifié jusqu’à la destruction du Temple (–586). L’Exil à Babylone constitue une rupture fondamentale dans l’histoire des « Fils d’Israël », prêtres et scribes enseignent l’espérance messianique. En –539, ils sont autorisés à regagner Jérusalem. Selon la tradition, Muhammad ibn Abd Allâh naît à La Mecque en 570-571. Il est membre d'une branche mineure de la puissante tribu des Qouraïch. Il s'intéresse au judaïsme et au christianisme et se retire souvent sur le mont Hira pour méditer. Vers quarante ans, il reçoit la révélation. Prophète, il se met à prêcher. L'hostilité des notables de La Mecque le pousse à s'exiler. Entouré de quelques fidèles, il émigre au nord dans l'oasis de Yathrib. Ce refuge deviendra Médine, qui signifie « la ville », et par extension la Cité du Prophète. Cette migration, l'hégire, marque le début d’une ère nouvelle. Elle est rendue possible par l’alliance nouée non pas avec la famille, le clan ou la tribu mais avec des étrangers appartenant à une tout autre lignée. Cette alliance est fondée sur l’islam comme religion et une organisation de la société basée sur la communauté des croyants, ’umma. Aux débuts de la révélation, le Prophète espère convertir les juifs et les chrétiens qui sont selon le Coran « les gens du Livre ». L’islam met l’accent sur la communauté de foi entre les croyants de la nouvelle révélation et les possesseurs des anciennes Écritures. Muhammad vient « rappeler » la révélation et rectifier les traditions falsifiées. Il est dit aussi qu’il n’y a pas d’autre messager entre Jésus et Muhammad qui est considéré comme le « sceau des prophètes », il n’y en aura pas d’autre après lui. Au cours de la prédication à Médine, l’islam se rattache directement à Abraham, qui est considéré comme le premier monothéiste, hanîf, pour revenir à une religion globale affranchie des autres monothéismes. Les musulmans considèrent qu’en suivant le chemin du Coran, ils sont d’authentiques croyants. Les juifs et les chrétiens refusant d’être guidé par le Coran, la rupture est consommée. L’organisation de l’espace du Temple de Jérusalem a, en partie, influencé l’organisation des lieux de culte de chacune des trois religions. L’église est un lieu consacré, tandis que dans le judaïsme et en islam, tout lieu est propre à la prière. JERUSALEM, VILLE TROIS FOIS SAINTE Depuis trois millénaires, sur l’esplanade qui domine Jérusalem, mont du Temple ou al-harâm al-Sharif, noble sanctuaire, se succèdent constructions et destructions, reconstructions et réhabilitations. Les pouvoirs temporels et religieux effacent l’empreinte de leurs prédécesseurs. Cette ville, au lieu de rassembler les trois monothéismes, cristallise leurs différences. Le Temple de Jérusalem a pris au cours de l’histoire une importance majeure. L’histoire de l’ancien Israël se partage en deux grandes période, celle du Premier Temple (-960 à –587) et celle du Second Temple (-515 à 70). Celui-ci rénové par Hérode est le mieux connu. L’esplanade du Temple est accessible à tous, mais sa partie centrale est interdite aux non-juifs. Elle comporte le parvis des prêtres avec l’autel des sacrifices, le temple lui-même où le grand prêtre pénètre uniquement à Yom Kippour. La partie la plus sacrée est le Saint des Saints qui renferme l’Arche d’Alliance. Le Temple est détruit à la suite de la révolte des juifs contre les Romains et malgré diverses tentatives, il ne sera plus jamais reconstruit. La communauté dispersée s’est reconstituée autour de la Torah et de son commentaire. À l’heure actuelle pour la majorité des juifs religieux, l’esplanade du Temple ne peut être foulée car l’emplacement exact du Saint des Saints est incertain. La tradition a choisi une partie du mur de soutènement hérodien, le mur occidental, comme lieu de rassemblement, de souvenir et de prière. Il est communément appelé Mur des Lamentations. Les musulmans vouent aussi à la ville de Jérusalem, al-Qods, « la sainte » ou « la sanctifiée », un grand attachement. À la fin des temps, comme elle l’était au début de l’islam, elle redeviendra la direction de prière unique de toute l'humanité, désormais musulmane : soumise à Dieu. Jérusalem est le théâtre du « voyage nocturne », que le Prophète a accompli en compagnie de l'ange Jibril (Gabriel). Puis, après avoir accompli une prière, toujours accompagné de Jibril, il effectue une ascension, al-mi'râj, à travers les sept cieux jusqu'à l'ultime présence divine. Ce récit a non seulement marqué la piété populaire mais aussi la pensée mystique. Jérusalem est tenue pour la porte du ciel. De nombreuses sources éclairent la vie de Jésus. En l’an 5, 6 ou 7 avant notre ère, il serait né à Bethléem, où ses parents, qui seraient de la maison de David, seraient venus de Galilée se faire recenser. Selon la tradition, vers l’âge de trente ans, il reçoit le baptême dans l’eau du Jourdain de son cousin Jean, dit le baptiste. Il commence alors à enseigner à des disciples, bientôt au nombre de douze. Il se présente aussi comme le fils de Dieu. Dans un milieu sémite, cela signifie l’envoyé, le Messie de Dieu et non son fils au sens qu’il a pris par la suite. Il vient non pour libérer Israël, mais pour annoncer la bonne nouvelle à chaque homme. Les miracles qu’il opère lui attirent des partisans. Il heurte de front les intérêts du clergé et, à la veille de Pâque, il est arrêté et condamné par les Romains, probablement en l’an 30. Sa prédication aura duré environ trois ans. Supplicié, il est enseveli. Deux jours plus tard, ses disciples découvrent le tombeau vide. Ils se trouvent face à un homme qui a la figure de Jésus et qui s’adresse à eux. Ce n’est ni un cadavre, ni un corps matériel, on parle d’un « corps spirituel ». À la lecture des textes, on s’aperçoit que la perception du ressuscité ne s’impose pas de suite chez ses disciples. Puis, peu à peu, ils en diffusent la croyance au sein de la communauté juive. Les premières communautés chrétiennes sont persécutées par le judaïsme officiel. Saül de Tarse fait partie des plus intransigeants jusqu’au jour où, sur le chemin de Damas, il se convertit soudainement. Désormais, il est connu chez les chrétiens sous le nom de Paul de Tarse et met tout son zèle à défendre l’enseignement de Jésus. Il prône la diffusion du message à toute l’humanité. Avec Paul, le christianisme affirme sa vocation universelle et se détache du judaïsme. Généralement, il est considéré comme le véritable fondateur de cette religion. À l’origine, la chrétienté attache moinsd’importance à la ville sainte de Jérusalem que ne le fait le judaïsme. Elle est confrontée à la dualité de la Jérusalem céleste et de la Jérusalem terrestre. Pour les chrétiens, elle est certes le lieu de la passion, de la résurrection et de l’ascension de Jésus, mais la primauté de la Jérusalem céleste s’impose car tout lieu où est vécue une vie chrétienne parfaite est la Jérusalem terrestre. Au IVe siècle, à l’époque byzantine, l’impératrice Hélène annonce la découverte de la vraie croix, du Golgotha et du tombeau de Jésus et fait ériger l’église du Saint-Sépulcre. À sa suite, les chrétiens identifient en Palestine d’autres sites mentionnés dans le Nouveau Testament en relation avec la vie de Jésus et de ses disciples et où sont édifiées des églises.