Richard III de William Shakespeare

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Richard III de William Shakespeare - le 17/11/2016
Comment affirmer aimer le théâtre si on n’a jamais assisté à une pièce du
dramaturge ultra-célèbre qu’est William Shakespeare ? D’ailleurs, la profusion
d’interprétations par des metteurs en scène de ses différents oeuvres théâtrales
illustre bien la place que tient ce dramaturge dans le monde du théâtre.
Ainsi, nous avons assisté le jeudi 17 novembre 2016 au Théâtre du Nord à la
représentation par La Piccola Familia de Richard III, oeuvre phare de Shakespeare. Le
metteur en scène est Thomas Jolly, jeune artiste très prometteur au vu du succès
qu’ont obtenu ses dernières réalisations, notamment Henry VI qui est aussi une pièce
de Shakespeare et qui est située chronologiquement après Richard III.
La pièce que nous sommes allés voir, qui a un ancrage historique - même si
William Shakespeare et Thomas Jolly ont forcément pris quelques libertés - et retrace
la très rapide ascension au pouvoir de Richard le duc de Gloucester. Celui-ci massacre
ses proches sans une once de pitié pour accéder à la couronne d’Angleterre, au XVe
siècle. Les personnages historiques et leurs liens de parenté sont respectés et leur
profusion participe à la confusion qui s’installe dans l’esprit du spectateur si celui-ci
n’a pas scrupuleusement étudié les arbres généalogiques au préalable. Dans Richard
III, deux grandes familles sont en rivalité constante pour détenir le pouvoir : les
Lancastre et les York. Le roi au début de la pièce, Henry VI, appartient aux
Lancastre.
Il n’est pas anodin qu’on emploie l’expression “la langue de Shakespeare”
pour désigner la langue anglo saxonne : le dramaturge manie parfaitement les
subtilités de la linguistique et ses dialogues le démontrent parfaitement. Thomas
Jolly a décidé de faire la part belle aux textes shakespeariens dans son spectacle et
ils sont très bien mis en valeur. La subtilité du travail du dramaturge est
parfaitement audible : les comédiens se livrent à des échanges exacerbés de
rhétorique pour arriver à leurs fins. Le texte est d’une très grande modernité, gage
des pièces de Shakespeare, et le phrasé est complexe mais parfaitement
compréhensible et très fluide dans la bouche des comédiens. D’ailleurs, cette
épopée d’un roi fou et sanguinaire capable des pires infamies pour s’emparer du
pouvoir est atemporelle : un spectateur avisé pourrait facilement être tenté de
rapprocher les perfides “techniques de persuasion” de Richard III aux rouages
intervenant dans l’échiquier contemporain du monde politique.
Le duc de Gloucester réussit à réaliser ses sombres plans avec une facilité
déconcertante, par le biais d’une rhétorique parfaitement maîtrisée. Le personnage
est si bon qu’il réussit, par exemple, à enjôler Lady Anne sur le cercueil même de
son mari défunt, mort sur les ordres du duc.
Comme lors du spectacle Dans le nom que nous avions vu en début
novembre, l’importance des mots prend tout son sens dans la pièce : quelques
mensonges ou rumeurs peuvent être fatals. Le rôle titre (Richard III après que le
duc se soit lui même couronné) est joué par Thomas Jolly en personne, qui
présente le personnage comme un affreux monstre manipulateur et mensonger presque l’incarnation du Mal - tuant jusqu’à ces petits neveux pour assouvir ses
pulsions de puissance. Cependant, Thomas Jolly réussit à incarner un personnage
bien plus complexe que cela, qui se rapproche des spectateurs assez régulièrement
par le biais d’apartés. C’est cette proximité avec le spectateur qui rend difficile le fait
de ne pas se laisser hypnotiser par celui-ci, tant le personnage fascine. De plus,
Richard III éveille la part de monstruosité qui sommeille en chacun d’entre nous.
Ainsi, même un spectateur parfaitement conscient de la folie du personnage a du
mal à le haïr. C’est là que se trouve tout l’intérêt du spectacle : présenter une
version de l’histoire qui n’est pas manichéenne, mais bien plus complexe - présenter
un tyran sanglant pour lequel on éprouve un étrange compassion - et ainsi explorer
une facette de la psychologie humaine. La présentation d’un tyran froid et distant
du spectateur serait à la fois inintéressante, mais aussi beaucoup trop vulgaire pour
le génie de Thomas Jolly.
Dans une pièce de Shakespeare, il est généralement très intéressant d’étudier
les déplacements des personnages, qui en disent long sur ce qui se déroule. Ainsi,
avant la prise de pouvoir du duc de Gloucester, ses arrivées se font uniquement sur
les côtés de la scène pour aller vers le centre, là où se concentrent le pouvoir et les
actions les plus décisives : il y a donc là tension spatiale. A contrario, une fois ses
sombres projets réalisés, Richard III ne se déplace plus que de l’arrière du plateau
vers l’avant (et inversement), comme dans un mouvement défensif pour conserver
ses acquis. Cette centralité spatiale reflète aussi une importance accrue et une
affirmation de Richard III depuis sa prise du pouvoir. Le personnage est aussi
fréquemment en hauteur, gage de sa domination.
Bien que la pièce soit principalement sérieuse, en partie à cause du sujet
grave, plusieurs parenthèses ravivent l’attention du spectateur et relancent le récit :
ces petits moments sont exagérés et peuvent tourner au burlesque. C’est
notamment le cas pile au milieu du spectacle, lorsqu’un concert de pop-musique où
Richard III est le chanteur se déroule pendant qu’un homme coiffé d’une tête de
sanglier et vêtu d’une simple toge autour du bassin danse de manière explicite,
montre ses fesses et quitte la scène en faisant des doigts d’honneur au public. Cette
petite excentricité est bien l’oeuvre d’un Thomas Jolly insolent, qui propose un
classique revisité de manière originale à son public. Celui-ci est d’ailleurs
régulièrement sollicité par la mise en scène, aussi bien pour être le complice de
Richard III lors de ses apartés, que pour clamer son nom lorsqu’il est couronné...
La tension qui est présente tout le long de la pièce rend les quatre heures
vingt du spectacle (avec un entracte) facilement accessibles pour les lycéens que
nous sommes. De plus, les personnages évoluent dans un climat d’angoisse
permanent et le spectateur est toujours en train de se demander quel sale coup est
en train de préparer Richard III, surtout lorsqu’il n’est plus présent sur le plateau.
L’éclairage joue un rôle très important dans le spectacle : des lumières
bleutées en contre jour, positionnées sur les côtés et l’arrière de la scène, assurent
l’éclairage permanent. Elles laissent systématiquement une part d’ombre et donc de
mystère sur le plateau. Cette obscurité est donc adaptée pour le personnage et le
sujet de la pièce. Cependant, d’autres éclairages interviennent : une poursuite met
en valeur Richard III lors de ses monologues ou apartés ; de petits projecteurs
mobiles à l’apparence de robots participent à l’action en ancrant la pièce dans notre
époque, mais aussi en matérialisant les espaces. Les faisceaux de lumière très nets
qui sont produits par ces petits projecteurs cernent les personnages en formant des
sortes de toiles d’araignées sur scène lors des rapports de force entre Richard III et
ses opposants : les rais enserrent progressivement un personnage si celui-ci perd
dans son argumentation face au nouveau roi ou, au contraire, le libèrent s’il réussit
à résister au tyran. Ils délimitent donc les zones et personnages que Richard III
entend conquérir. Ces lumières colorées sont aussi un choix esthétique lorsqu’elles
matérialisent les espaces : elles servent à tour de rôle à représenter des barreaux de
prison ou l’armature d’une tente. Finalement, ces spots de lumière peuvent avoir un
signification contemporaine : ne représentent-elles pas des caméras et donc la
surveillance généralisée ? L’usage de la vidéo est très restreint, mais est utilisé à un
moment pour projeter des images de caméras de surveillance. On ne doute pas
qu’un Richard III ou son équivalent à notre époque utiliserait avec plaisir et à
mauvais escient cette surveillance généralisée. D’ailleurs, lors d’une scène, Richard
III s’intéresse progressivement à cet outil et le “domestique”, signe de son
appropriation pour ses fins. Cela renvoie aussi au rapport à l’image qu’a le tyran.
Les fumigènes utilisés de manière régulière donnent une certaine opacité et
renforcent le côté ténébreux et énigmatique de la monstruosité humaine. Il donnent
un côté presque mystique à la pièce. Des bandes sonores rythmées et mystérieuses,
dignes des films d’horreur, sont fréquemment utilisées et participent à la tension
qui est présente. Ils comportent des crissement à certains moments, qui rappellent
des cris de personnes agonisantes. Cette musique angoissante place le spectateur
dans un état nerveux et attentif. En revanche, des sons chargés en basses
renforcent fréquemment l’impression qu’a le spectateur d’être un témoin passif et
donc un complice des atrocités commises par Richard III.
Le plateau est composé d’accessoires qui changent régulièrement : par
exemple, de grands échafaudages laissent place à un escalier central imposant, qui
amène à une estrade surplombant la scène. Ces accessoires qui ont tous le même
aspect métallique et qui reviennent à plusieurs reprises dans le spectacle, donnent
une unité à celui-ci. De plus, cet esthétisme ancre davantage encore la pièce dans
notre époque puisque ce sont des matériaux et finitions très prisés de nos jours,
preuve qu’avec une mise en scène adéquate, les pièces de Shakespeare sont
atemporelles.
Les costumes des comédiens sont modernes et très sombres, généralement
noirs, ce qui participe à la gravité de la pièce. Le spectateur a l’impression de se
trouver au milieu d’un immense enterrement, ce qui est le cas puisqu’une
hécatombe se déroule devant ses yeux.
Cependant, le costume de Richard III après son couronnement change : il
abandonne son ancien costume noir pour un costume pourpre, la couleur royale, et
blanc, normalement symbole de pureté, comme s’il était allé tellement loin dans la
monstruosité que le Mal n’avait plus aucune emprise sur lui. Son costume imite la
bosse, le bras atrophié et la jambe trop courte de Richard III. Ce corps disgracieux,
pure invention populaire puisque le vrai Richard III n’avait aucun de ces attributs,
rend tout de suite le personnage plus énigmatique aux yeux du spectateur. Nous
pouvons aussi faire l’hypothèse qu’à l’époque de Shakespeare, alors que ceux qui
naissaient malformés ou avec des problèmes mentaux étaient principalement
méprisés et rejetés, cette “monstruosité” physique devait participer à la
monstruosité psychologique du personnage, pour le spectateur.
Thomas Jolly est vêtu d’une sorte de châle constitué de grandes plumes et
recouvrant ses épaule ainsi que de nombreuses bagues en forme de griffes. Le
rendu final est frappant : Richard III ressemble à un rapace, prêt à se jeter sur une
proie.
Les pics de sa couronne ont l’apparence de pics de lance et rend le
personnage davantage effrayant. De plus, ces lames dirigées vers le ciel ne seraientelles pas une sorte de menace adressée aux dieux, après avoir décimé les hommes ?
Le sadisme et le manque de pitié de Richard III pourrait être en partie causés
par le rejet à cause de son physique dont il est victime, principalement au début de
la pièce : les autres personnages gardent systématiquement une certaine distance
avec lui et ne cachent pas leur répugnance pour le personnage (notamment lorsque
celui-ci doit embrasser un par un ses proches pour prouver ses bonnes intentions).
Quant aux autres comédiens, ils ont des visages peints de blanc, sans doute
un choix esthétique qui contraste avec la noirceur dans lequel est plongé le plateau.
La pièce se conclut avec la chute de Richard III : le tyran meurt une première
fois sur un champs de bataille, de la main du Compte Richmond. Mais alors que
l’on pense Richard III mort, celui-ci se relève et remet la couronne sur sa tête. Puis,
alors qu’il s’est à nouveau assis sur son trône, les fantômes des personnages qui ont
été assassinés par l’ancien duc lui tirent au pistolet dessus. Richard III et l’estrade
sur lequel il se trouve vacillent à chaque coup de révolver pour finalement
s’effondrer. Cette deuxième mort, bien plus symbolique, marque la dégringolade du
tyran fou et sa mort définitive.
En conclusion, Thomas Jolly a parfaitement réussi son pari osé de mettre en
scène une pièce culte comme un Shakespeare de manière originale. Sa mise en
scène révèle un Richard III bien plus complexe que ce à quoi on pourrait s’attendre
et propose un véritable travail sur la psychologie humaine. Le spectateur ne saurait
rester insensible face à cet homme qui le fascine et reste paralysé et donc complice
de l’hécatombe qui se déroule devant ses yeux. Son impuissance est accentuée par
des sons chargés en basses tandis que son attention est à vif, à cause de musiques
mystérieuses faisant régulièrement intervenir des sons stridents. Les lumières jouent
un rôle très important dans la mise en scène : elles installent une ambiance propice
à l’évolution de l’histoire funèbre et complexe qui se déroule, matérialisent
esthétiquement les espaces et rendent compte des manipulations de Richard III.
Finalement, la mise en scène exhibe dans la pièce de nombreux parallèles
avec notre époque et démontre l'intemporalité des oeuvres shakespeariennes,
adressé au spectateur par le biais d’un texte fluide et souple dans la bouche des
comédiens.
Ainsi, le Richard III que avons vu est la consécration du talent de Shakespeare mais
aussi de celui du metteur en scène/comédien audacieux et brillant qu’est Thomas
Jolly.
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