ANTI-ALDOSTÉRONES ET INSUFFISANCE CARDIAQUE par A. CASTAIGNE* RÉSUMÉ Les insuffisances cardiaques chroniques induisent une série d’adaptations qui ont pour buts de maintenir la pression artérielle et de préserver la perfusion des organes dits nobles (cerveau et myocarde). Ces adaptations sont délétères à long terme. Parmi ces adaptations, l’élévation chronique des concentrations d’aldostérone est certainement l’une des plus délétères. Elle participe à l’entretien de la rétention hydrosodée accompagnée d’une perte de potassium et à l’aggravation progressive de la dysfonction ventriculaire gauche et des anomalies de la vasomotricité. Deux essais thérapeutiques ont montré que des anti-aldostérones peuvent allonger la vie de patients ayant une dysfonction ventriculaire gauche. Un essai est en cours pour étudier la même question chez des patients ayant une insuffisance cardiaque par trouble de la fonction de remplissage du ventricule gauche. L’introduction systématique des anti-aldostérones dans le traitement de l’insuffisance ventriculaire gauche sévère se heurte à des problèmes de tolérance liés à la dangerosité potentielle de l’association de deux produits bloquant le système rénine angiotensine aldostérone. Enfin l’utilité d’un traitement précoce par les anti-aldostérones dans les dysfonctions ventriculaires gauches asymptomatiques n’a pas été évaluée au plan clinique ; il s’agit pourtant d’une voie séduisante dans la mesure où un produit prévenant la fibrose ventriculaire gauche pourrait prévenir la dysfonction diastolique du ventricule gauche. INTRODUCTION Les troubles de la fonction ventriculaire gauche peuvent aboutir à une diminution du débit cardiaque qui induit des adaptations ayant pour buts de maintenir la pression artérielle la plus proche possible de son niveau habituel et de préserver * Cardiologie, Hôpital Henri Mondor, Créteil. FLAMMARION MÉDECINE-SCIENCES — ACTUALITÉS NÉPHROLOGIQUES 2005 (www.medecine.flammarion.com) 192 A. CASTAIGNE la perfusion de certains organes (cerveau, myocarde, diaphragme) au dépens des autres (reins, peau, muscles squelettiques). Cette nouvelle répartition du débit cardiaque est médiée par les catécholamines et leur action sur le récepteur alpha adrénergique. C’est Claude Perret de Lausanne qui a eu, le premier, l’intuition de traiter les patients ayant une insuffisance cardiaque aiguë par la phentolamine un alphabloquant puissant utilisé jusque là pour juguler les crises d’HTA paroxystiques. Il avait observé que ce traitement permettait à la fois de diminuer les pressions de remplissage du ventricule gauche et d’augmenter l’index cardiaque sans diminuer de façon considérable la pression artérielle [1]. Cette observation princeps a eu pour mérite d’attirer l’attention sur le fait que les adaptations hormonales observées au cours de l’insuffisance cardiaque ne sont pas obligatoirement bénéfiques et d’ouvrir deux voies thérapeutiques : celle du traitement de l’insuffisance cardiaque par les vasodilatateurs et celle du traitement de l’insuffisance cardiaque par les inhibiteurs hormonaux. ACTIVATIONS HORMONALES AU COURS DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE Leur connaissance a précédé de longtemps l’utilisation des inhibiteurs hormonaux en thérapeutique. Ces activations sont de deux natures : vasoconstrictrice et antinatriurétique d’une part, vasodilatatrice et natriurétique d’autre part. • L’activation du système nerveux noradrénergique a été particulièrement étudiée par Bristow et son équipe. Ils avaient montré à la fois l’importance de cette activation et son inefficacité liée à une diminution de la densité des bêtarécepteurs [2]. Nous avons depuis avec Pascal Merlet étudié ce phénomène par des moyens isotopiques qui montrent la forte relation entre la diminution de la densité des bêtarécepteurs et le pronostic de l’insuffisance cardiaque [3]. • L’activation du système rénine angiotensine aldostérone au cours de l’insuffisance cardiaque a été reconnue dès que les techniques de dosages de ces hormones ont été disponibles [4]. L’étude systématique de cette activation par l’équipe de GS Francis a permis la mise en route des études utilisant les médicaments ayant une action antihormonale [5]. • Simultanément a été découvert le rôle de l’arginine vasopressine dans le maintien de la pression artérielle et dans la survenue des hyponatrémies observées aux stades tardifs de l’insuffisance cardiaque [6]. • L’activation des systèmes vasodilatateurs natriurétiques a été découverte à la même période ; l’attention s’est focalisée pendant des années sur le facteur natriurétique d’origine auriculaire (ANF) [7], avant qu’on ne découvre l’importance première du Brain Natriuretic Peptide d’origine ventriculaire [8]. La concentration de ces deux peptides est d’autant plus importante que l’insuffisance cardiaque est plus évoluée. L’élévation de la concentration de ces peptides a modifié les stratégies diagnostiques en cas de suspicion d’insuffisance cardiaque. L’emploi de ces peptides comme agents thérapeutiques n’est pas sortie des stades très précoces de l’évaluation. • L’activation des prostaglandines vasodilatatrices est également importante ; elle est d’autant plus nette que les systèmes vasosonctricteurs sont plus activés [9]. Elles ont un rôle de protection de la perfusion rénale. L’inhibition de ces systèmes par la prescription d’anti-inflammatoires provoque des poussées d’insuffisance cardiaque. ANTI-ALDOSTÉRONES ET INSUFFISANCE CARDIAQUE 193 • L’importance de ces activations n’est devenue claire qu’après qu’ait été mise en évidence la relation entre la concentration de ces différentes hormones et le pronostic de l’insuffisance cardiaque. Jay Cohn a, le premier, attiré l’attention sur la signification pronostique de l’élévation des catécholamines au cours de l’insuffisance cardiaque [10]. Mais les données les plus importantes sont issues de deux essais thérapeutiques majeurs : l’étude CONSENSUS [11] et l’étude SAVE [12]. Dans ces deux études, il a été montré que, l’adjonction au traitement de base de l’insuffisance cardiaque d’un IEC, permettait de diminuer la mortalité et le risque d’hospitalisation pour poussée d’insuffisance cardiaque. Ces deux études ont été complétées par des études explicatives dans lesquelles l’influence des concentrations hormonales, à l’inclusion dans l’essai, a été évaluée dans le groupe placebo et dans le groupe traité. L’étude hormonale de l’essai CONSENSUS a montré que le risque de décès dans le groupe placebo était significativement plus élevé si la concentration d’aldostérone, d’angiotensine II, de noradrénaline ou de facteur natriurétique auriculaire était au-dessus de la moyenne du groupe par comparaison avec les patients ayant des concentrations hormonales inférieures à celles de la moyenne du groupe [13]. Une autre manière d’objectiver le même phénomène était de comparer la concentration d’aldostérone à l’entrée suivant le destin des patients : vivants ou morts à 6 mois (fig. 1). De même, l’étude hormonale de l’étude SAVE a montré Résultats de l’essai CONSENSUS p < 0,001 2 000 1 650 1 500 Niveau de base de la concentration d’aldostérone 1 000 (pmol/l) 1 050 500 0 Décédés (n = 51) Survivants (n = 68) À six mois FIG. 1. — Les concentrations d’aldostérone à l’inclusion dans le groupe placebo de l’étude CONSENSUS sont très élevées mais significativement plus chez les sujets qui décèdent dans les six mois suivant l’inclusion que chez les patients qui survivent (D’après Swedberg K et al. Hormones regulating cardiovascular function in patients with severe congestive heart failure and their relation to mortality. Circulation, 1990 ; 82 : 1730-1736). 194 A. CASTAIGNE que les concentrations de noradrénaline, d’aldostérone, de facteur natriurétique auriculaire et de vasopressine étaient significativement associées au risque de décès [14]. Ces constatations biologiques et épidémiologiques ont fait des activations hormonales des témoins et des acteurs potentiels de la gravité de l’insuffisance cardiaque. Pour démontrer la relation de cause à effet entre activations hormonales et progression de l’insuffisance cardiaque, il fallait qu’on soit à même d’une part de démontrer que le fait d’inhiber la production ou l’action de ces hormones améliorait le pronostic de l’insuffisance cardiaque et d’autre part qu’on ait des hypothèses biologiques permettant d’expliquer le rôle délétère de l’activation hormonale. Nous limiterons la suite de cet article à l’exemple particulier de l’hyperaldostéronisme secondaire de l’insuffisance cardiaque, de ses conséquences biologiques et des effets de sa prévention par les médicaments anti-aldostérone. TOXICITÉ DE L’HYPERALDOSTÉRONISME CHRONIQUE AU COURS DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE Le fonctionnement correct du rein dépend de la constance du débit sanguin rénal qui détermine à la fois la filtration glomérulaire et la réabsorption d’eau et de sodium en fonction du degré d’hydratation de l’organisme et des apports en sodium et en potassium. L’aldostérone joue un rôle majeur en régulant la quantité de sodium et d’eau réabsorbée par le néphron. Les deux stimuli principaux de sa sécrétion sont le degré d’hydratation et la quantité de potassium absorbée ou produite. Une privation d’eau et de sel entraîne une élévation des concentrations d’aldostérone. De même, une augmentation de l’absorption de potassium ou de sa production (au cours d’un effort musculaire) provoque une élévation de la production d’aldostérone. Dans ces deux situations, l’aldostérone provoque un retour vers l’équilibre. Ces effets sont médiés par une action sur la cellule tubulaire distale du néphron ; à ce niveau l’aldostérone provoque une augmentation de l’absorption du sodium et de l’excrétion du potassium. Ce rôle physiologique a longtemps été le seul connu. Dès 1942, il avait été montré que le rein produisait une substance provoquant une rétention de sodium au cours de l’insuffisance cardiaque [15]. Cette substance a été ensuite identifiée comme étant l’aldostérone. Au cours de l’insuffisance cardiaque, la production d’aldostérone est augmentée et sa destruction est diminuée. La principale cause de l’augmentation de la production est l’activation du système rénine angiotensine. L’angiotensine II est, en effet, un puissant stimulant de la production d’aldostérone. L’aldostérone est métabolisée par le foie. Chez le sujet normal, la métabolisation hépatique est complète et les concentrations d’aldostérone sont très faibles dans les veines sus-hépatiques. Chez l’insuffisant cardiaque, la métabolisation hépatique est diminuée. On peut ainsi obtenir des concentrations d’aldostérone plasmatique fortement supérieure aux valeurs normales (plus de dix fois dans les insuffisances cardiaques évoluées). La conjonction d’une élévation forte des concentrations d’angiotensine II et d’aldostérone est à l’origine d’un état de rétention chronique d’eau et de sel et d’une déplétion de potassium. Ces deux phénomènes sont à l’origine de certains des principaux symptômes de l’insuffisance cardiaque : les œdèmes et les hypokaliémies. ANTI-ALDOSTÉRONES ET INSUFFISANCE CARDIAQUE 195 Les œdèmes sont localisés dans les zones soumises à une élévation des pressions capillaires : œdèmes pulmonaires en cas d’élévation de la pression capillaire pulmonaire, œdèmes périphériques en cas d’élévation des pressions capillaires systémiques. Les hypokaliémies sont responsables de troubles du rythme ventriculaires et jouent un rôle probablement important dans la genèse des morts subites de l’insuffisance cardiaque. L’attention a longtemps été focalisée sur l’action de l’aldostérone sur le tubule rénal. Trois découvertes biologiques pratiquement simultanées ont puissamment contribué à faire évoluer notre compréhension de l’action de l’aldostérone sur le cœur et les vaisseaux. La première de ces découvertes est le caractère très diffus du récepteur à l’aldostérone. Cette découverte de l’équipe de M. Lombes et J.P. Bonvalet a ouvert un champ d’interrogations sur les rôles multiples de l’imprégnation chronique en aldostérone [16]. Cette équipe a démontré que le récepteur au minéralo-corticoïde comme l’aldostérone est très diffus et il est protégé de l’action des glucocorticoïdes. La présence de récepteur à l’aldostérone au niveau des vaisseaux et du myocarde a fait naître des interrogations quant à leur rôle et quant aux conséquences de leur activation chronique en cas d’hyperaldostéronisme. Simultanément, les travaux de K. Weber et Ch. Brilla ont montré qu’une hypertension avec hyperaldostéronisme et alimentation riche en sel provoque l’apparition de fibrose dans le myocarde ventriculaire droit et gauche. Cette fibrose n’est pas observée au cours des hypertensions sans élévation des concentrations d’aldostérone (banding infra-aortique par exemple). La fibrose peut être prévenue par l’administration de spironolactone même à des doses qui ne préviennent pas l’hypertension artérielle [17]. Enfin, il a été montré que le cœur et les vaisseaux possèdent l’équipement enzymatique nécessaire pour produire de l’aldostérone. Cette production locale est fortement augmentée chez les rats spontanément hypertendus avant même que l’hypertension n’apparaisse. Ce phénomène pourrait avoir une importance considérable dans l’apparition de la fibrose vasculaire et myocardique observée chez ces animaux [18, 19]. L’aldostérone apparaît donc comme un hormone plus complexe que ce qui avait été envisagé initialement. Outre son rôle dans l’équilibre hydro-électrolytique, elle joue un rôle dans les processus de réparation et dans la genèse de fibrose. Ce rôle est joué par la mobilisation des cellules de l’inflammation : cette mobilisation peut être purement locale grâce aux systèmes rénines locaux. EFFET DES MÉDICAMENTS ANTI-ALDOSTÉRONES SUR LE PRONOSTIC DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE L’exploration de ces médicaments a été rendue difficile par la chronologie des découvertes thérapeutiques. En effet, la découverte de la spironolactone est bien antérieure à celle des inhibiteurs de l’enzyme de conversion, mais l’époque n’était pas aux essais randomisés permettant d’évaluer l’effet des médicaments sur le pronostic des maladies. Ainsi, la spironolactone a obtenu en France une indication dans le traitement de l’hypertension artérielle et dans le traitement des œdèmes, en particulier ceux de l’insuffisance cardiaque, sans que ce produit soit évalué dans un essai de morbi-mortalité. 196 A. CASTAIGNE En revanche, la découverte de l’efficacité des IEC dans l’insuffisance cardiaque et dans la dysfonction ventriculaire gauche après l’infarctus a été faite grâce à des essais qui ont montré l’efficacité de ces produits sur la mortalité et sur la fréquence des hospitalisations pour poussée d’insuffisance cardiaque [11, 12, 20]. De même, la démonstration de l’efficacité des bêtabloquants chez les malades insuffisants cardiaques a été faite dans des essais de morbi-mortalité [21, 22]. De plus, l’idée prévalait que l’inhibition de la production d’aldostérone liée à l’inhibition de la production d’angiotensine II était suffisante sans qu’il soit nécessaire de recourir à un médicament ayant une action anti-aldostérone spécifique. La démonstration d’un échappement de la production d’aldostérone lors d’un traitement chronique par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion avait cependant été apportée dès le début de l’évaluation de ces produits [23]. L’évaluation des médicaments anti-aldostérones a donc été conduite chez des patients recevant le traitement optimal au moment où les essais ont été conduits. La principale difficulté était l’administration simultanée d’un anti-aldostérone et d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion, cette association étant connue pour provoquer des hyperkaliémies potentiellement mortelles. La première étude de morbi-mortalité a donc été précédée d’une étude de recherche de la dose efficace et non dangereuse de spironolactone en association à un inhibiteur de l’enzyme de conversion. Cette étude a permis de choisir la dose de 25 mg par jour pour réaliser l’étude de morbi-mortalité [24]. Étude RALES (Randomized Aldactone Evaluation Study) [25, 26] L’objectif de cette étude était de déterminer l’effet de l’adjonction de spironolactone à un traitement par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion sur la mortalité des insuffisants cardiaques. Le modèle choisi était l’insuffisance cardiaque par dysfonction systolique du ventricule gauche. Il avait été décidé de n’inclure que des malades ayant eu une poussée récente d’insuffisance cardiaque au stade IV (nécessitant une hospitalisation) et restant très limités à l’effort (stade III) malgré un traitement adapté. Il s’agissait donc, pour reprendre l’analogie avec la cancérologie, de malades en échappement thérapeutique. Les malades avaient une moyenne d’âge de 65 ans, une fraction d’éjection moyenne à 25 p. 100 ; la cause de l’insuffisance cardiaque était une pathologie coronaire dans 56 p. 100 des cas. La créatinine moyenne était de 1,2 mg/dl et les malades ayant une créatinine supérieure à 2,5 mg/dl étaient exclus de l’étude. De même une kaliémie supérieure à 5 mmol/l était une contre-indication à l’entrée dans l’étude. Une surveillance de la créatinine et de la kaliémie était obligatoire toutes les 4 semaines pendant les 3 premiers mois, puis tous les 3 mois pendant la première année et ensuite tous les 6 mois. La dose initiale de spironolactone était de 25 mg par jour et pouvait être augmentée à 50 mg si les symptômes le justifiaient et si la kaliémie et la créatinine ne s’élevaient pas de façon préoccupante sous 25 mg. À l’inverse, si la kaliémie dépassait 5,5 mmol/l, la dose pouvait être diminuée à 25 mg un jour sur deux. Enfin le traitement pouvait être définitivement arrêté si la créatinine dépassait 4 mg/dl ou si la kaliémie dépassait 6 mmol/l. Au total, 1 663 patients ont été inclus, dont un quart en France (une fois n’est pas coutume). Le Data Safety Monitoring Board a arrêté l’étude après que l’analyse de la mortalité ait montré une différence significative en faveur du groupe traité (fig. 2). La figure montre que la sélection des patients avait atteint son objectif : ANTI-ALDOSTÉRONES ET INSUFFISANCE CARDIAQUE 1,00 197 Réduction du risque 30 p. 100 95 p. 100 Cl (18 p. 100-40 p. 100) p < 0,001 0,95 0,90 0,85 0,80 Probabilité de survie 0,75 Spironolactone + traitement standard 0,70 0,65 Traitement standard Inhibiteur de l’ECA + diurétique de l’anse ± digoxine 0,60 0,55 0,50 0,45 0 3 6 9 12 15 18 21 24 27 30 33 36 Mois FIG. 2. — Courbes de survie dans les groupes spironolactone et placebo de l’étude RALES (D’après Pitt B. et al. The effect of spironolactone on morbidity and mortality in patients with severe heart failure. Randomized Aldactone Evaluation Study Investigators. N Engl J Med, 1999 ; 341 : 709-717). sélectionner des patients très sévères : en effet, la mortalité était de plus de 20 p. 100 par an dans le groupe placebo soit plus que dans l’étude COPERNICUS [22] qui était consacrée à l’insuffisance cardiaque au stade IV. Seule l’étude CONSENSUS [11] avait inclus des malades plus sévères. Le nombre de décès au cours des deux ans de suivi a été de 386 dans le groupe placebo et de 284 dans le groupe spironolactone ; la réduction relative du risque est de 30 p. 100 avec un intervalle de confiance à 95 p. 100 allant de 18 à 40 p. 100. La réduction absolue de risque est de 9 p. 100 : ce qui veut dire qu’il faut traiter 11 patients pendant deux ans par la spironolactone en plus des IEC pour éviter un décès. La réduction du risque de décès est majoritairement due à une réduction du risque de décès cardiovasculaire (314 vs 226) ; les décès par progression de l’insuffisance cardiaque et les morts subites ont été réduits dans les mêmes proportions. La fréquence des hospitalisations a également été étudiée ; toutes les hospitalisations ont été validées par un comité extérieur : 336 patients ont été hospitalisés au moins une fois pour une cause cardiaque et ont totalisé 753 hospitalisations dans le groupe placebo ; dans le groupe spironolactone les chiffres sont 260 et 515. Cette réduction de 250 hospitalisations sur une période de 2 ans représente une diminution notable de la charge financière représentée par ces malades. La réduction ne porte que sur les hospitalisations pour poussée d’insuffisance cardiaque. 198 A. CASTAIGNE Les analyses en sous-groupes montrent une cohérence interne des résultats très satisfaisantes sans sous-groupe ne bénéficiant pas du traitement. On peut noter que le petit sous-groupe recevant des bêtabloquants (11 p. 100 des patients) a eu une réduction de 60 p. 100 de la mortalité dans le groupe spironolactone par rapport au groupe placebo. Ce sous-groupe est trop petit pour permettre des conclusions définitives, mais ne suggèrent pas qu’il existe une compétition d’effet entre antialdostérone et bêtabloquants. Les effets indésirables montrent la survenue d’une gynécomastie ou de douleurs mammaires chez 61 patients du groupe spironolactone contre 9 dans le groupe placebo. En revanche, les hyperkaliémies sévères n’ont pas été plus fréquentes dans le groupe spironolactone (14 cas) que dans le groupe placebo (10 cas) mais il faut insister sur la vigilance du suivi de la kaliémie, la faible dose utilisée et la contreindication chez les insuffisants rénaux sévères. L’état fonctionnel des patients traités a été significativement amélioré par rapport aux patients du groupe placebo même si on limite l’analyse aux patients survivants. La dose de diurétiques de l’anse nécessaire a été plus basse dans le groupe spironolactone que dans le groupe placebo. La conclusion de cette étude est donc que les insuffisants cardiaques sévères restant symptomatiques malgré un traitement optimal par IEC et diurétiques doivent recevoir 25 mg de spironolactone à condition que la fonction rénale le permette et qu’une surveillance rapprochée de la fonction rénale et de la kaliémie soit mise en place. Étude de l’éplérénone chez les patients ayant eu un infarctus du myocarde avec dysfonction ventriculaire gauche sévère [27, 28] Outre les problèmes de dyskaliémies sur lesquels nous reviendrons plus loin, l’inconvénient majeur de la spironolactone est la fréquence des gynécomasties chez l’homme qui en font un produit difficile à recommander pour des affections bénignes comme l’hypertension artérielle ou les insuffisances cardiaques peu sévères. La mise au point d’un anti-aldostérone dépourvu de cet effet indésirable permet d’ouvrir plus largement la voie de l’utilisation des anti-aldostérones en clinique humaine. L’éplérénone répond à cette attente. Cependant, les résultats de l’étude RALES ne permettaient pas de réaliser une étude versus placebo chez des malades comparables à ceux inclus dans l’étude RALES. Le choix s’est donc porté sur le modèle de la dysfonction ventriculaire gauche après infarctus du myocarde. Ce modèle a été étudié dans de nombreuses études faites avec les IEC ou les bêtabloquants. Ces produits sont actifs et réduisent la mortalité et la fréquence des hospitalisations pour insuffisance cardiaque. L’objectif principal de l’étude EPHESUS était donc d’étudier l’effet de l’adjonction d’éplérénone à un traitement par les IEC et les bêtabloquants chez des patients ayant eu un infarctus du myocarde récent et ayant une dysfonction systolique du ventricule gauche clinique et échographique. Les patients étaient inclus 3 à 14 jours après un infarctus du myocarde, s’ils avaient une fraction d’éjection inférieure à 40 p. 100 et des signes cliniques d’insuffisance ventriculaire gauche. Les patients ayant une kaliémie supérieure à 5 mmol/l ou une créatininémie supérieure à 2,5 mg/dl ne pouvaient pas être inclus dans l’étude. Les deux critères de jugement principaux étaient la mortalité totale et un critère combiné associant mortalité cardiovasculaire et hospitalisation pour ANTI-ALDOSTÉRONES ET INSUFFISANCE CARDIAQUE 199 événement cardiovasculaire quel que soit l’événement survenant en premier. La surveillance de la kaliémie était du même type que celle utilisée dans l’étude RALES avec la particularité de l’adjonction d’un dosage de la kaliémie une semaine après chaque changement de dose d’éplérénone. La dose initiale d’éplérénone était 25 mg et pouvait être augmentée à 50 mg au bout de 4 semaines en cas de nécessité : la dose moyenne reçue pendant l’étude a été de 42 mg/j. Au total 6 642 patients ont été inclus, ils avaient 64 ans d’âge moyen, une fraction d’éjection moyenne à 33 p. 100 ; 45 p. 100 d’entre eux avaient eu une revascularisation en phase aiguë de l’infarctus ; la créatinine moyenne était de 1,1 mg/dl ; 32 p. 100 étaient diabétiques ; 86 p. 100 recevaient un traitement par un IEC ou un AT1 bloqueur, 75 p. 100 des bêtabloquants, 60 p. 100 des diurétiques, 90 p. 100 de l’aspirine et 47 p. 100 des statines. Les deux critères de jugement principaux ont été significativement moins fréquents dans le groupe éplérénone que dans le groupe placebo : 478 vs 554 décès (RRR 15 p. 100 ; IC à 95 p. 100 4 à 25 p. 100) ; p = 0,008. Les patients ayant eu une hospitalisation pour évènement cardiovasculaire ou un décès cardiovasculaire ont été 885 dans le groupe éplérénone et 993 dans le groupe placebo (RRR 13 p. 100 ; IC à 95 p. 100 5 à 21 p. 100) ; p = 0,002. Les deux événements significativement diminués ont été la mortalité cardiovasculaire et les hospitalisations pour poussée d’insuffisance cardiaque. Le nombre total d’hospitalisations pour poussée d’insuffisance cardiaque a été de 477 dans le groupe éplérénone contre 618 dans le groupe placebo. Les effets indésirables endocriniens n’ont pas été différents entre les deux groupes de traitement : 12 cas de gynécomastie dans le groupe éplérénone versus 14 dans le groupe placebo, 21 cas d’impuissance versus 20. Les malades du groupe éplérénone ont eu moins d’épisodes de dyspnée que les malades du groupe placebo. Les épisodes d’hyperkaliémie et d’hypokaliémie ont été analysés en tenant compte de l’avis de l’investigateur ou des données du laboratoire central d’analyses. Les investigateurs ont rapporté 113 hyperkaliémies (3,4 p. 100) dans le groupe éplérénone contre 66 (2 p. 100) dans le groupe placebo et 15 épisodes d’hypokaliémie (0,5 p. 100) dans le groupe éplérénone contre 49 (1,5 p. 100) dans le groupe placebo ; ces deux différences sont très significatives. Les données du laboratoire central confirment ces données ; une hyperkaliémie supérieure à 6 mmol/l a été notée dans 180 cas du groupe éplérénone et 126 du groupe placebo ; à l’inverse, une hypokaliémie inférieure à 3,5 mmol/l a été notée dans 273 cas du groupe éplérénone et 424 cas du groupe placebo. On notera que les investigateurs rapportent moins fréquemment les hypokaliémies que les hyperkaliémies. De nombreuses analyses en sous-groupes ont été faites. Malgré la prudence qu’il faut avoir avec ce type d’analyse, on observera que la taille d’effet est significativement plus grande pour les patients ayant à l’inclusion une kaliémie inférieure à 4 mmol/l. Par ailleurs la taille d’effet est numériquement plus grande lorsque le malade reçoit un traitement « idéal » comportant des IEC ou des AT1 bloqueurs et des bêtabloquants. Les commentaires qu’on peut faire au vu des résultats de l’étude EPHESUS sont que des patients nettement moins sévèrement atteints (mortalité à deux ans du groupe placebo deux fois inférieure à celle observée dans RALES) bénéficient d’un traitement par l’éplérénone. À nouveau l’essentiel du bénéfice est une réduction de mortalité cardiovasculaire et une réduction du risque d’hospitalisation pour poussée d’insuffisance cardiaque. Là encore on observera que le risque était beau- 200 A. CASTAIGNE 22 20 18 16 14 Placebo Éplérénone 12 Incidence cumulée 10 8 RR = 0,85 (95 p. 100 Cl, 0,75-0,96) p < 0,008 6 4 2 0 0 3 6 9 12 15 18 21 24 27 30 33 36 Mois depuis la randomisation Placebo 3313 3064 2983 2830 2418 1801 1213 709 323 99 2 0 0 Éplérénone 3319 3125 3044 2896 2463 1857 1260 728 336 110 0 0 0 FIG. 3. — Courbes de mortalité dans les groupes éplérénone et placebo de l’étude EPHESUS. D’après Pitt B et al. Eplerenone, a selective aldosterone blocker, in patients with left ventricular dysfunction after myocardial infarction. N Engl J Med, 2003, 348, 1309-1321. coup plus faible puisque, dans RALES on a dénombré dans le groupe placebo 753 hospitalisations de cause cardiaque pour 841 malades inclus, alors que les chiffres sont de 618 pour 3 313 malades inclus dans le groupe placebo de l’étude EPHESUS. Par ailleurs l’étude EPHESUS confirme l’absence d’effet hormonal de l’éplérénone et le fait que son effet sur la morbi-mortalité cardiovasculaire est additif à celui des autres médicaments indiqués chez ce type de patients (fig. 3). Propositions d’explications concernant le bénéfice des anti-aldostérones chez les patients ayant une dysfonction systolique du ventricule gauche Les résultats que nous venons de détailler suggèrent plusieurs mécanismes possibles par lesquels les anti-aldostérones pourraient être efficaces. L’aide au contrôle de la rétention hydrosodée est certainement en partie en cause dans la prévention des hospitalisations pour poussée d’insuffisance cardiaque. La prévention des hypokaliémies a un rôle probable dans la prévention des arythmies ven- ANTI-ALDOSTÉRONES ET INSUFFISANCE CARDIAQUE 201 triculaires. Enfin les anti-aldostérones pourraient avoir un effet de prévention du remodelage négatif du ventricule gauche. Dans une étude ancillaire de l’étude RALES, F. Zannad [29] a montré que l’activation de la fibrose est corrélée avec le pronostic des patients et limitée par la prescription de spironolactone. Cette démonstration in vivo chez l’homme de l’effet antifibrosant des anti-aldostérones est une des raisons de penser que ces médicaments pourraient avoir un champ d’indication beaucoup plus large que celui qui est le leur actuellement. QUESTION DU RISQUE D’HYPERKALIÉMIE EN PRATIQUE COURANTE Nous avons vu que dans les essais thérapeutiques, la fréquence de l’hyperkaliémie est faible : elle atteint 5,5 p. 100 des patients dans le groupe éplérénone contre 3,9 p. 100 dans le groupe placebo. Cette vision optimiste des choses a été remise en cause par la publication d’un article canadien faisant état d’une épidémie d’hospitalisations et de décès par hyperkaliémie survenue dans les mois qui ont suivi la publication de l’étude RALES [30]. Cette publication a un intérêt majeur et des faiblesses incontestables. L’intérêt majeur est d’attirer l’attention des médecins sur le fait que ce qui a été démontré dans un essai thérapeutique peut être loin de ce qui se passe dans la vraie vie. En particulier, les bénéfices et les risques observés dans un essai ne peuvent être reproduits que dans la mesure où les malades inclus et les procédures de surveillance sont les mêmes que celles utilisées dans l’essai thérapeutique. La faiblesse principale de l’étude canadienne est qu’il s’agit d’une publication de données administratives issues d’une cohorte « captive » d’un système de soins gratuits pour sujets âgés. Les malades atteints d’une insuffisance cardiaque inclus dans cette cohorte ont une moyenne d’âge de 78 ans, alors que celle des malades inclus dans RALES était de 65 ans. De plus l’étude canadienne ne dispose pas d’une évaluation de la fonction rénale des patients. Le diagnostic d’hospitalisation pour hyperkaliémie était fait à partir des données administratives d’entrée : il y avait 16 possibilités diagnostiques par patient ; il apparaît donc que l’hyperkaliémie n’était pas toujours le motif principal d’hospitalisation pour ces patients. La seule conclusion possible concernant cette étude est que les résultats de l’étude RALES ne peuvent pas être transposés à une population d’insuffisants cardiaques âgés et qu’il est probable que le rapport bénéfice/risque de la spironolactone doit être évalué au cas par cas en fonction de la kaliémie initiale (plus elle est basse, plus l’hyperaldostéronisme est important et plus le produit a de chance d’être efficace) et de la créatinine de base (plus elle est basse et plus le risque d’hyperkaliémie est faible). Malgré les défauts de cette étude, elle a le mérite de souligner que la combinaison de plusieurs médicaments agissant sur le système rénine angiotensine aldostérone fait courir un risque d’hyperkaliémie. Dans l’étude CHARM added [31], au cours de laquelle les malades recevaient par tirage au sort soit un IEC seul soit un IEC et du candésartan, la fréquence des arrêts de traitement pour hyperkaliémie passe de 0,7 p. 100 dans le groupe IEC à 3,4 p. 100 dans le groupe IEC + candésartan. La tendance est la même dans l’étude VALIANT [32] dans laquelle les réductions de doses pour problèmes rénaux ou hyperkaliémies concernent 6 p. 100 202 A. CASTAIGNE des patients du groupe valsartan + captopril et 3,9 p. 100 des malades du groupe captopril seul. La physiopathologie des hyperkaliémies observées sous IEC, bloqueurs du récepteur AT1 de l’angiotensine ou anti-aldostérone a été revue par B.F. Palmer [33]. Cet article insiste sur les facteurs de risque de survenue et sur les moyens d’éviter les hyperkaliémies préoccupantes et leurs conséquences potentiellement fatales. Les conseils tiennent en neuf lignes : – estimer la filtration glomérulaire ; – supprimer les médicaments qui interfèrent avec la sécrétion de potassium et en particulier les AINS ; – prescrire un régime pauvre en potassium ; – prescrire du bicarbonate de sodium aux insuffisants rénaux ayant une acidose ; – commencer le médicament agissant sur le système rénine angiotensine aldostérone à faible dose ; – mesurer le potassium une semaine après l’introduction et une semaine après chaque changement de dose ; – si la kaliémie s’élève diminuer les doses ; – si la kaliémie dépasse 5,5 mmol/l arrêter le ou les médicaments ; – respecter les contre-indications et, en particulier pour les anti-aldostérones ne pas les utiliser si la clairance de la créatinine est inférieure à 30 ml/min. CONCLUSION Les médicaments anti-aldostérones sont une avancée importante dans le traitement de l’insuffisance cardiaque par dysfonction systolique du ventricule gauche. L’exploration des autres formes de l’insuffisance cardiaque : insuffisances cardiaques diastoliques (essai en cours financé en partie par le NHLBI) et insuffisances cardiaques systoliques aux stades plus précoces (essai planifié) permettront de savoir si leur champ d’application peut être étendu. Le risque majeur demeure la survenue d’une hyperkaliémie qui peut être prévenue ou dont les conséquences peuvent être limitées par l’observation stricte des indications, contre-indications et précautions d’emploi de ces produits. BIBLIOGRAPHIE 1. PERRET C, GARDAZ JP, REYNAERT M et al. Phentolamine for vasodilator therapy in left ventricular failure complicating acute myocardial infarction. Haemodynamic study Br Heart J, 1975, 37, 640646. 2. BRISTOW MR, GINSBURG R, MINOBE W et al. 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