La participation des habitants dans la Politique de la Ville

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Master II Professionnel
« Expertise sociologique de l’action publique dans l’espace euro-méditerranéen »
2009-2010
La participation des habitants dans la Politique de la Ville :
entre outil démocratique et instrument stratégique.
Analyse des enjeux et pratiques de l’injonction participative dans les quartiers
prioritaires, à travers l’exemple de la réalisation d’un diagnostic social d’une
résidence HLM et de pré-diagnostics de situation partenariale de Gestion Urbaine
de Proximité dans les Bouches-du-Rhône.
Caroline COIGNARD
Sous la direction de Mustapha EL-MIRI
Sous le tutorat d’Anelise TALBOURDEAU
2
***
Cette année universitaire a été d’une importance particulière pour moi. Elle vient clôturer
un parcours d’études de huit années et pour cela particulièrement, je tiens à remercier toutes
les personnes qui ont interagi de près ou de loin avec cette formation universitaire, les
missions de stage et la rédaction de ce mémoire.
Mes remerciements se tournent en premier lieu vers le bureau d’études ChOrus pour son
accueil. À Anelise Talbourdeau pour toutes les connaissances théoriques et conceptuelles
qu’elle m’a apportées, pour son implication et sa disponibilité dans ce travail de mémoire,
et pour m’avoir donnée l’opportunité d’exercer mes compétences dans le champ
professionnel. À Catherine Baldomar et Fabien Wickenburg pour leur patience, leurs
apports empiriques, leurs capacités de compréhension, leurs enseignements, et pour avoir
su entendre mes doutes et questionnements. A toute l’équipe pour sa convivialité et sa
gentillesse.
Je tiens également à remercier toute l’équipe du Master 2 qui a su nous préparer aux
conditions de l’intégration professionnelle à travers un enseignement riche et critique, et en
particulier Mustapha El-Miri pour ses conseils avisés et le suivi de ce travail.
Toute ma sympathie va naturellement à mes acolytes du Master
pour leur soutien et leur gaité.
Enfin, je souhaite exprimer toute ma reconnaissance à mon comité de relecture pour sa
disponibilité et sa mobilisation.
***
3
SOMMAIRE
INTRODUCTION_________________________________________________________ 7
PREMIERE PARTIE :
L’injonction à la « participation des habitants » dans les dispositifs de la politique de la
Ville : une notion consensuelle aux enjeux stratégiques. _________________________ 20
I.
Qu’est-ce que la « participation des habitants » dans la politique de la ville ? ____ 23
1.1.
ESSAIS DE DEFINITION ___________________________________________________
1.1.1. Un processus dynamique __________________________________________________
1.1.2. La théorie des échelons ___________________________________________________
1.1.3. Information, consultation, concertation, participation : quatre dimensions ____________
1.2.
HISTORIQUE D’UNE INJONCTION CONSENSUELLE__________________________
1.2.1. A l’origine : la Commission Dubedout _______________________________________
1.2.2. Décentralisation et territorialisation __________________________________________
1.2.3. Conception française versus américaine ______________________________________
II.
23
23
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27
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27
29
Comment est-elle prévue ? Encadrement, réglementation et interprétation ______ 31
2.1.
ENTRE INSCRIPTION SYSTEMATIQUE ET VIDE JURIDIQUE __________________
2.1.1. L’affirmation de la nécessaire participation____________________________________
2.1.2. Une notion soumise à interprétation _________________________________________
2.2.
LES AMBIGUITES DE LA PARTICIPATION : ADAPTATION ET
CONTEXTUALISATION __________________________________________________________
2.2.1. Partenariat et proximité au cœur de la GUP ___________________________________
2.2.2. Le diagnostic social : consultation et participation, même combat ? _________________
31
31
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36
36
39
III. Pourquoi cette volonté participative ? Les enjeux d’une injonction systématisée _ 42
3.1.
LA PARTICIPATION COMME DISPOSITIF COMPENSATOIRE __________________
3.1.1. Une intention citoyenne ? _________________________________________________
3.1.2. Une inscription territoriale spécifique… ______________________________________
3.1.3. … et une certaine représentation des destinataires ______________________________
3.2.
DES ENJEUX STRATEGIQUES ET POLITIQUES ______________________________
3.2.1. Participation et paix sociale ________________________________________________
3.2.2. Une pratique électoraliste _________________________________________________
3.2.3. Un instrument de légitimation de l’action publique______________________________
3.3.
LES PRE-DIAGNOSTICS DE GUP : ENTRE GESTION CONCERTEE ET SOUCI DE
VISIBILITE _____________________________________________________________________
3.3.1. La participation comme garante de la proximité… ______________________________
3.3.2. … et de la visibilité des institutions __________________________________________
3.4.
LE DIAGNOSTIC SOCIAL : ENTRE CONSULTATION ET LEGITIMATION ________
3.4.1. Une connaissance des habitants et usagers ____________________________________
3.4.2. Un outil stratégique et politique_____________________________________________
42
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CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE _________________________________ 54
4
DEUXIEME PARTIE :
La participation des habitants : des pratiques controversées. _____________________ 56
IV. Comment s’applique la participation ? Un aveu d’impuissance des opérateurs ___ 59
4.1.
LES DIFFICULTES RENCONTREES _________________________________________
4.1.1. Des connaissances de terrain parfois insuffisantes ______________________________
4.1.2. Des délais limités ________________________________________________________
4.1.3. Une formation insuffisante ________________________________________________
4.2.
ET UN MANQUE DE VOLONTE ____________________________________________
4.2.1. Une pertinence remise en cause _____________________________________________
4.2.2. Huis-clos institutionnel et opacité ___________________________________________
4.2.3. Une question de priorité___________________________________________________
4.2.4. Un constat admis et accepté ________________________________________________
V.
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61
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63
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65
Qui participe ? Le recours aux intermédiaires et « personnes ressources » ______ 67
5.1.
LE DEVELOPPEMENT DE LA MEDIATION __________________________________
5.1.1. La professionnalisation de la relation aux habitants. _____________________________
5.1.2. Un relais d’informations __________________________________________________
5.1.3. Secteur privé et médiation _________________________________________________
5.2.
LES ASSOCIATIONS : QUI SONT-ELLES ? ___________________________________
5.2.1. Les associations de locataires : une posture adversative __________________________
5.2.2. Les associations socio-culturelles : une posture ambigüe _________________________
69
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70
73
73
75
VI. A qui profite la participation ? Interactions et stratégies d’acteurs dans le processus
participatif ____________________________________________________________ 77
6.1.
Les associations : des représentants de la société civile ?____________________________
6.1.1. La question de leur légitimité ______________________________________________
6.1.2. Des porte-parole de l’intérêt général ? ________________________________________
6.2.
UNE RELATION D’INTERDEPENDANCE ____________________________________
6.2.1. L’organisation de la participation : une posture stratégique _______________________
6.2.2. Institutions et externalisation : entre négociation et instrumentalisation ______________
77
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80
81
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE_________________________________ 83
TROISIEME PARTIE :
Les préconisations pour une démarche participative effective _____________________ 85
VII. Les obstacles et limites à la participation ________________________________ 88
7.1.
7.2.
7.3.
7.4.
7.5.
DES MOYENS INSUFFISANTS _____________________________________________
DES DIFFÉRENCES DE PERCEPTION _______________________________________
UN DÉFAUT DE CONFIANCE PARTAGÉ ____________________________________
UN MANQUE DE LISIBILITÉ POUR LES HABITANTS _________________________
UNE COMPLEXITÉ GÉNÉRATRICE D’UN SENTIMENT D’INCAPACITÉ _________
88
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95
VIII.Les préalables à une démarche participative ______________________________ 96
8.1.
8.2.
8.3.
ASSOCIER LES USAGERS ET PERSONNELS DE TERRAIN _____________________ 96
RENFORCER ET VALORISER LES ÉTUDES DE TERRAIN ______________________ 98
ADAPTER LA PEDAGOGIE DE LA PARTICIPATION __________________________ 99
5
8.4.
8.5.
8.6.
ENCOURAGER UNE CONFIANCE PARTAGEE DES ACTEURS __________________100
ACCEPTER LA TRANSPARENCE ___________________________________________101
INSCRIRE LA DEMARCHE DANS UNE TEMPORALITE APPRECIABLE __________102
IX. La mise en place d’actions spécifiques _________________________________ 103
9.1.
9.2.
9.3.
9.4.
9.5.
UNE INFORMATION TRANSPARENTE, ADAPTEE ET PARTAGEE ______________104
LA FORMATION ET LA SENSIBILISATION DES ACTEURS ____________________105
LE SOUTIEN AUX INITIATIVES ASCENDANTES _____________________________107
LA PROMOTION ET L’ORGANISATION DU PARTAGE D’EXPERIENCES ________109
LA PARTICIPATION PAR LA CONTRAINTE ? ________________________________110
CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE _______________________________ 111
CONCLUSION GENERALE _____________________________________________ 113
BIBLIOGRAPHIE ______________________________________________________ 122
LEXIQUE _____________________________________________________________ 129
ANNEXES_____________________________________________________________ 130
6
INTRODUCTION
“Pourquoi la règle qui est applicable à un homme ne le
serait-elle pas également à tous les autres?”
Alexis de Tocqueville.
Dans le contexte politique actuel de renforcement sécuritaire, les quartiers dits
« sensibles » et leurs habitants sont l’objet d’une forte attention. Bénéficiaires de dispositifs
ciblés et spécifiques à travers la Politique de la Ville, cette différenciation tend à renforcer
l’image d’exclusion qui leur est généralement attribuée.
Cette politique désigne les actions mises en place par les pouvoirs publics afin de
revaloriser les zones urbaines en difficultés et réduire les inégalités entre les territoires1. Elle a
été initiée en France alors que le « problème des banlieues » émergeait. Dès les années 1970,
les pouvoirs publics prennent conscience des difficultés liées aux « grands ensembles »
d’habitat social. S’ensuivent une série de mesures, souvent formulées en réponse à des crises
urbaines ou sociales ponctuelles et parfois violentes. Elles sont inscrites dans la perspective de
compenser des handicaps sociaux et territoriaux. Quarante ans après, la désignation du
« problème des banlieues » perdure dans les discours politique et médiatique, et ceci malgré
les multiples dispositifs mis en œuvre dans le cadre de la Politique de la Ville.
Les nombreux clichés véhiculés par les médias sur les quartiers d’habitat social,
désignés comme de prétendues « zones de non-droit », où violence et deals en tous genres
feraient la loi et où même la police n’oserait plus intervenir, ont contribué à la stigmatisation
de ces territoires et de ses habitants2.
Nous avons souhaité nous intéresser à ces personnes résidant sur les territoires de la
Politique de la Ville: comment se définit cette catégorie d’ « habitants des banlieues » ?
Comment est-elle traitée dans les dispositifs de l’action publique? Dans quelle mesure est-elle
intégrée aux dispositifs et prise en compte ?
1
Sa mise en place remonte à 1977 et au dispositif HVS (Habitat et Vie Sociale).
2
Nous faisons en particulier référence à la figure du « jeune des banlieues ».
7
Le stage de 4 mois3 effectué au bureau d’études ChOrus nous a permis d’explorer et
d’analyser les pratiques et dispositifs relatifs à cette population (désignée par sa résidence)
dans ce champ de l’action publique qu’est la Politique de la Ville (et plus particulièrement
dans sa dimension « habitat et cadre de vie »).
Le stage : missions au sein ChOrus4, un cabinet d’études en ingénierie urbaine et sociale :
ChOrus est un cabinet d’études spécialisé dans l’ingénierie sociale 5 et urbaine. Ses missions
s’inscrivent principalement dans le champ de la Politique de la Ville, à travers la réalisation
de diagnostics, de coordinations, de suivis opérationnels, d’évaluations, de méthodologies
de projet et d’expertises. Le cabinet propose ses services aux élus, collectivités territoriales
et maîtres d’ouvrage.
Au cours de ce stage, prolongé par la suite par un contrat salarié de 4 mois, j’ai
participé simultanément à la réalisation de deux missions dans les Bouches du Rhône
entrant dans le cadre de la Politique de la Ville : réalisation d’un diagnostic social et de 12
pré-diagnostics de situation de Gestion Urbaine de proximité (GUP).
La première de ces missions consiste en un diagnostic social d’une résidence HLM de
la ZUS6 d’une commune de 44 000 habitants des Bouches-du-Rhône. Il entre dans le cadre
d’une étude pré-opérationnelle de définition d’une opération ANRU7 isolée, commandée
par la commune sur laquelle se situe cette résidence. Ce diagnostic social doit
s’accompagner parallèlement d’une étude urbaine et technique du bâtiment, réalisée par
deux autres cabinets privés (spécialisés en architecture et en thermicité). L’ensemble des
conclusions de ces trois diagnostics doit permettre aux cabinets partenaires d’élaborer des
propositions d’actions via la présentation de scenarii préférentiels.
3
4
De janvier à mai 2010.
http://www.chorus-ingenierie.com/
5
L’ingénierie sociale assure « une fonction d’ « assemblier » qui aide à trouver des solutions partagées
(projets) dans un champ sociétal où les pouvoirs, les compétences et les expertises sont répartis entre des
acteurs multiples » in Rapport : La fonction d’ingénierie sociale, Annick Morel pour l’IGAS.
6
Zone Urbaine Sensible.
7
Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine.
8
Ainsi, l’objet de la mission est :
« d’établir un diagnostic urbain et social précis de la situation actuelle, d’étudier
les alternatives de restructuration urbaine (espace et bâti), en préconisant un
scénario préférentiel, d’arrêter le périmètre pertinent au regard de l’opération
ANRU, et de préciser les conditions de faisabilité (contraintes techniques et
juridiques, relogements, concertations, budgets prévisionnels, démarches préopérationnelles, phasage) »8.
La méthode employée par ChOrus pour le diagnostic social s’est présentée en deux
temps. Rencontres et entretiens avec les représentants de la commune, du bailleur social,
des professionnels de terrain, et des associations du quartier ont constitué une première
phase. Cette première étape a permis de recueillir des informations et données quantitatives
et qualitatives (études antérieures réalisées par d’autres cabinets d’études, données sociodémographiques des locataires, services présents sur le secteur, appréciations des
travailleurs de terrain, etc) sur le quartier, et plus particulièrement sur la résidence
concernée.
La deuxième phase du diagnostic social, plus longue, consistait en une étude de terrain
par entretiens directifs avec les 195 ménages locataires de la résidence. Après élaboration
d’un questionnaire9 (autant quantitatif que qualitatif), nous sommes allés à la rencontre des
résidents de cette cité. Ce travail d’enquête de terrain nous a permis de recueillir des
données et informations sur leur situation familiale, leurs ressources financières, l’état et
l’appréciation de leur logement, de la résidence, et du quartier, leurs modes d’habiter, leurs
pratiques urbaines, leurs besoins, leurs souhaits et leurs attentes.
Le délai imparti pour l’intégralité de la mission (rendu final d’un rapport synthétique
des observations et préconisations des trois cabinets d’études) était de 4 mois. Le cahier des
charges prévoyait 2 mois à la réalisation des enquêtes et études de terrain, et 2 mois pour
l’élaboration du diagnostic et d’un rapport commun. Le démarrage de cette mission prévue
8
Relevé dans le mémoire technique des bureaux d’étude, en réponse à l’appel d’offre lancé par la commune,
août 2008.
9
En accord avec les dispositions mentionnées dans le cahier des charges et la réponse à l’appel d’offre des
cabinets d’études.
9
à l’automne 2009 a été retardé10. Par conséquent, l’étude dans sa globalité s’est déroulée de
décembre 2009 à avril 2010. Nous avons ainsi pu participer à l’ensemble des phases de la
mission : sa préparation (rencontres, construction du questionnaire), l’étude de terrain
(enquêtes auprès des ménages), et le rapport final présentant les résultats et propositions de
scénarii.
La seconde mission à laquelle nous avons participé lors de notre stage s’inscrit dans le
cadre de la dynamique Espoir Banlieues, initiée par la secrétaire d’Etat Fadéla Amara en
2008. Cette commande correspond à la réalisation de pré-diagnostics de situation de
Gestion Urbaine de Proximité (GUP)11 sur l’ensemble des territoires CUCS12 prioritaires de
la Politique de la Ville dans les Bouches-du-Rhône13.
Le graphique ci-dessous14 présente quelques éléments socio-démographiques de la
population de ces territoires :
10
Les raisons de ce retard seront présentées ultérieurement dans le mémoire.
11
Par la méthode du diagnostic partagé, ou « diagnostic en marchant ».
12
Contrat Urbain de Cohésion Sociale.
13
3 phases programmatives sont prévues, de 2009 à 2011 et correspondent au total à 50 territoires dans le
département. Les Bouches-duRhône se composent de 48 territoires CUCS, dont 10 à Marseille, et sur un
ensemble de 15 communes. Précisons que ces territoires sont déterminés par des critères fondés sur des
indicateurs statistiques et des caractéristiques urbaines.
14
http://www.sig-ville.gouv.fr
10
Pour la première programmation de ces pré-diagnostics, 18 territoires15 (dont 12 à
Marseille) étaient concernés. Seuls 17 pré-diagnostics ont pu être réalisés16, et nous avons
participé à 12 d’entre eux (9 à Marseille, et 3 dans d’autres communes des Bouches-duRhône).
Cette mission est une commande de l’Acsé17 sur tout le territoire français Politique de
la Ville. Dans son cahier des charges, elle mandate des bureaux d’études dans chaque
département pour « permettre aux Préfets de dresser un diagnostic partenarial de la situation
de GUP dans les quartiers de la Politique de la Ville ». Par cette commande, l’Acsé
souhaite disposer d’un état des lieux des « quartiers prioritaires », à travers le constat de
leurs dysfonctionnements, manques et atouts18.
Ce marché est d’une durée d’un an et peut être reconduit 2 fois par l’Acsé. La
première année de programmation comporte 17 territoires dans les Bouches-du-Rhône et
l’ensemble doit concerner, à l’issue des trois ans, 50 secteurs. Au niveau national, l’Acsé
souhaite pouvoir évaluer 215 quartiers prioritaires au titre de la dynamique Espoir Banlieue
fin 2011.
15
Liste annexée p.131.
16
Nous expliciterons ce point ultérieurement dans le mémoire.
17
Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l’Egalité des Chances. « L’Agence nationale pour la cohésion
sociale et l’égalité des chances est l’opérateur des programmes sociaux en faveur des habitants des quartiers
sensibles. Créée par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, l’Agence nationale pour la cohésion
sociale et l’égalité des chances a été créée en remplacement du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration
et la lutte contre les discriminations (Fasild) pour mettre en œuvre à la fois la politique d’intégration et les
actions de développement social de la politique de la ville, antérieurement développées par la Délégation
interministérielle à la ville. Les préfets de département sont les délégués territoriaux de l’agence. Elle est
placée sous la tutelle administrative du Secrétariat général à la Ville. » www.ville.gouv.fr
18
Par la circulaire du 21 janvier 2009 et du 19 mars 2009, M. le Délégué Interministériel à la Ville a fait part
de l’attention apportée par le Comité Interministériel des Villes (CIV) du 20 juin 2008, sur la mise en place
d’actions spécifiques en matière de gestion urbaine de proximité dans les quartiers sensibles. Par conséquent,
le CIV a décidé de consacrer des crédits, de 2009 à 2011, destinés à soutenir l’amélioration de la GUP.
11
L’objet de cette mission pour le prestataire consiste, dans un premier temps, à
organiser et animer une « visite en marchant »
19
sur chaque secteur avec l’ensemble des
partenaires concernés par la question de la gestion urbaine, de synthétiser les observations
des participants et de proposer des pistes d’action partenariale pour une amélioration de la
gestion. Dans un deuxième temps, et 6 mois après la restitution de cette première visite, une
seconde est organisée et doit permettre d’identifier les points de blocage, les
dysfonctionnements, ou les partenariats réussis. Le déroulement de la première phase de la
mission se découpe en trois temps : la phase préparatoire, la visite de terrain, et la
restitution.
La préparation s’effectue lors d’une réunion préalable avec, le plus souvent, le chef de
projet CUCS du secteur, le Délégué du Préfet, et parfois un représentant du bailleur social
du secteur. Cette rencontre permet aux équipes opérationnelles de présenter au prestataire le
quartier et de lui fournir une documentation complète sur ses caractéristiques et les projets
en cours ou à venir20, d’identifier un parcours et un tracé pour la visite, les partenaires à
convier, et les thématiques d’observations principales sur lesquelles ils souhaitent mettre
l’accent21.
La deuxième étape du pré-diagnostic consiste en une « visite en marchant »22 : les
participants (préalablement conviés par la Préfecture selon la liste élaborée lors de la
réunion préparatoire) sont invités, accompagnés d’un plan du quartier, à remplir un tableau
19
Cette approche s’apparente à la méthode des parcours commentés, formalisée par le sociologue et urbaniste
Jean-Paul Thibaut, chercheur au CRESSON, Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’environnement
urbain, à Grenoble. Il s’agit d’organiser un itinéraire pour dire et/ou lire l’espace vécu, perçu, imaginé,
représenté. L’objectif est de susciter une expression spontanée des représentations, des perceptions et des
usages sur l’espace urbain et favoriser l’expression collective sur cet espace.
20
Projet de rénovation urbaine par exemple.
21
Une note de cadrage proposée par la DIV (Délégation Interministérielle à la Ville) en 1999 précise les
objectifs et périmètre d’intervention de la GUP :
« La GUP est l’ensemble des actes qui contribuent au bon fonctionnement d’un quartier. (…) [Elle] traitera
essentiellement les actes de gestion liés à l’habitat tels que :
- organisation des espaces publics et privés,
- stationnement, circulation,
- propreté, entretien, maintenance des immeubles et des espaces extérieurs et traitement paysager…
- présence, accueil, gardiennage et surveillance, médiation, tranquillité publique…
- travail social de proximité, accompagnement social lié au logement
- services urbains : ordures ménagères et tri sélectif, économies d’énergie… »
22
La méthode du « diagnostic en marchant » s’est répandue en France depuis 2001, lancée par l’Assemblée
Mondiale des Citoyens. Il s’agit d’une méthode d’observation sous la forme d’une visite collective des
quartiers pendant laquelle sont recensés et discutés les problèmes et points de satisfaction.
12
d’observations de ses atouts et dysfonctionnements23. A l’issue de cette visite, un temps de
partage de ces éléments permet aux partenaires d’en discuter grâce à l’apport et aux
compétences de chacun.
Le bureau d’études réalise ensuite, à l’aide des fiches d’observations recueillies après
la visite et des documents fournis par l’équipe opérationnelle, une synthèse hiérarchisée des
principaux points (forts ou à améliorer) relevés, et propose des pistes d’actions
partenariales. Ce document est transmis à l’ensemble des partenaires invités au diagnostic
en marchant et fait l’objet d’une restitution. Au cours de cette présentation, les partenaires
sont invités à ordonner les problématiques à traiter en priorité, à débattre sur les potentielles
actions à envisager et à proposer des groupes de travail inter-acteurs. Ces groupes seront
l’objet d’une évaluation de suivi lors de la deuxième phase du pré-diagnostic 6 mois après.
Enfin, l’équipe opérationnelle (CUCS et délégué du Préfet) remplit une fiche de synthèse
récapitulative
(en
2
pages)
du
déroulement
du
diagnostic,
des
principaux
dysfonctionnements repérés et des actions partenariales initiées, qui sera transmise par le
bureau d’étude à l’Acsé. Chacune des deux phases de réalisation du pré-diagnostic est
prévue par le cahier des charges par une durée de 3 jours.
La première phase de diagnostic de la première programmation dans les Bouches du
Rhône a débuté fin février 2010. Dans le cadre de notre stage, nous avons pu participer aux
réunions préparatoires et visites en marchant de 12 quartiers. Notre stage s’étant prolongé
avec un contrat salarié de 4 mois, nous avons aussi réalisé les synthèses de ces visites et
restitutions. Toutefois, précisons que cette étude se limitera à l’utilisation des données
recueillies pendant la période de stage, comme prévu par l’engagement contractuel entre
l’Université de Provence, le cabinet ChOrus et l’étudiant-stagiaire.
Définition et contours de l’objet d’étude :
La définition de notre sujet d’étude pour ce mémoire est le fruit des nombreux
questionnements qui se sont posés en phase initiale du stage. En effet, l’étudiant en
sociologie découvre les pratiques professionnelles, souvent éloignées de celles portées par
son imaginaire profane. A cet étonnement s’ensuit une découverte, parfois critique, des
23
Voir exemple de fiche d’observation en annexe p.132.
13
mécanismes qui régissent les rapports économiques et sociaux dans le champ professionnel.
L’introduction dans une dimension opérationnelle du champ de l’action publique permet à
l’apprenti sociologue un recul critique quant aux limites et aux enjeux des missions qu’il
doit remplir. Les jeux d’acteurs, les rapports et interactions stratégiques, les enjeux, les
méthodologies, sont autant d’objets auxquels nous nous sommes intéressés.
Concernant plus particulièrement les deux missions décrites précédemment, la
question de la place de l’ « habitant » a retenu notre attention. En effet, il y est toujours fait
référence comme sujet et objet premiers des dispositifs. Son bien-être est recherché comme
finalité première. Or, une première observation des pratiques et discours nous a semblé
contredire cette perspective.
En effet, alors que les cahiers des charges insistaient sur une dimension
compréhensive et participative des habitants, nos observations en révélaient plusieurs
limites.
Aussi, le délai imparti à la mission de diagnostic social, de 4 mois, dont 2 dévolus au
travail de terrain et à l’analyse des entretiens, permet-il une prise en compte approfondie
des besoins et attentes des habitants ? Par conséquent, la volonté des commanditaires de
connaitre et d’impliquer les habitants est-elle effective ? Comment peut-on expliquer les
discours de découragement et le sentiment d’abandon évoqués par les locataires ?
De même, les contraintes du calendrier de la mission de pré-diagnostic de GUP
permettent-elles une participation effective des habitants ? Dans quelle mesure ces acteurs
ont-ils été impliqués dans la démarche ? L’objectif affiché d’amélioration du cadre de vie
des habitants peut-il être rempli dans ces conditions ? Y a-t-il une réelle volonté politique
locale et institutionnelle ?
Nous nous sommes interrogés sur cette volonté affichée dans les deux missions d’agir
AVEC et POUR les habitants et sur le caractère participatif de ces dispositifs, en tant que
norme de l’action publique spécifique à ces territoires.
Démocratie participative, participation citoyenne, appel à la société civile,
consultation, concertation… ces notions sont devenues courantes dans les discours ou
programmes de la Politique de la Ville. Toutefois, l’utilisation confuse de ces différents
termes renvoie à une définition de la participation tout aussi floue. En effet, le terme de «
14
participation » apparaît très consensuel et recouvre, en réalité, des situations et des formes
organisationnelles multiples.
Thème majeur et transversal24 des réponses de la Politique de la Ville aux « problèmes des
banlieues » en France, la participation repose sur une confusion entre un modèle politique
de démocratie, un modèle d’intervention sociale pour favoriser les liens de proximité et une
ambition philosophique de restaurer la cohésion de la société et de la nation (Bresson,
2007). Nous entendons dans ce travail la notion de participation au sens que lui donne la
science politique, à savoir comme l’ensemble des différents moyens grâce auxquels les
citoyens peuvent contribuer directement aux décisions publiques et politiques.
Son inscription n’est pas nouvelle et l’idée de participation a été introduite dès 1983
dans la Politique de la Ville. Depuis, ce champ de l’action publique place la « participation
des habitants » au cœur de ses dispositifs. Les destinataires sont inscrits comme sujets et
objets de ces politiques, et il s’agit de les intégrer au processus délibératif et décisionnel.
Cette prérogative s’oppose au principe d’égalité républicain de traitement des citoyens
par la spécificité de son inscription territoriale. Cette disposition, proche des politiques
d’affirmative action25 américaines, pose la question de sa légitimité dans une démocratie
représentative égalitariste et républicaine : dans quelle mesure ce type de politique trouve-til une inscription réglementaire en France ? Comment cette discrimination positive est-elle
justifiée ? A quels publics s’adresse-t-elle et pourquoi ? Quels types d’enjeux concourent à
son affirmation ?
Dans quelle mesure ce concept de « participation des habitants », présenté comme une
extension de la démocratie, peut-il aussi être un outil instrumental et stratégique ?
Nous traiterons la question de la participation des habitants en tant qu’injonction
normative et réglementaire de la Politique de la Ville. Notre attention se portera plus
24
Il s’applique à tous les domaines de la Politique de la Ville : emploi, formation, insertion, éducation, santé,
habitat et cadre de vie.
25
Politiques de discrimination positive établies aux Etats-Unis dans le but de contre-carrer les discriminations
ethniques et raciales.
15
particulièrement sur le terrain des Bouches-du-Rhône. Par conséquent, et dans le cadre de
cet exercice universitaire à vocation professionnalisant, nous ne nous interrogerons pas sur
la pertinence de ce concept et de son inscription. Nous chercherons à analyser les acteurs et
enjeux qu’il implique mais aussi à proposer des pistes d’amélioration à prétention
opérationnelle.
Description méthodologique :
Pour mener à bien notre travail, nous avons dû opérer à des choix méthodologiques.
Notre investigation s’est construite autour des données empiriques et d’observations
recueillies dans le cadre de notre stage, ainsi que par l’analyse des documents officiels
(règlements, circulaires) et cahiers des charges relatifs à nos missions. Notre travail suit une
méthode inductive. Nous avons conduit notre investigation à un niveau micro-sociologique
et utilisons ces analyses de terrain à l’aube d’une pratique plus globale. La participation à
deux missions, aux objets et enjeux différents, constitue un matériau d’une grande richesse
pour notre étude.
Nous avons choisi d’opérer sur le terrain à travers l’observation participante à couvert.
La méthodologie de l’entretien a été écartée. En effet, « la situation d’entretien est (…) une
situation sociale, dans laquelle l’enquêté cherche à se valoriser aux yeux de l’enquêteur »
(Fijalkow, 2002 : 101) et à laquelle les professionnels rencontrés sont des habitués. Nous
avons jugé que leur maîtrise discursive aurait constitué un biais trop important pour notre
travail et qu’étant donnés les enjeux relatifs à notre objet d’étude, peu d’informations
pertinentes auraient pu en émerger. Toutefois, l’observation à couvert nous a permis de
recueillir des remarques de leur part présentant un intérêt notoire et que nous n’aurions
certainement pu obtenir dans le cadre d’un entretien. Ces données orales seront donc l’objet
de retranscriptions ponctuelles et d’analyses au sein de notre mémoire.
De plus, par des questionnements spécifiques sur « la participation », auprès des
personnes enquêtées (locataires notamment, dans le cadre du diagnostic social) mais aussi
des professionnels et institutionnels, nous aurions encouru un double-risque : le premier
étant de devoir mettre à jour notre investigation et risquer par conséquent de ne plus avoir
accès à certaines informations ; le second renvoyant à notre rattachement, en tant que
16
stagiaire, au bureau d’études, et au fait que notre posture éthique personnelle ne nous
autorisait pas à impliquer la structure d’accueil26.
Précisons que l’engagement
contractuel entre le cabinet d’études et
ses
commanditaires nous contraint à une certaine confidentialité27. Par conséquent, nous ne
désignerons pas nominativement les secteurs, communes ou professionnels.
Ainsi, nous nous sommes attachés à recueillir des informations grâce à
l’observation participante et à notre introduction et investissement dans la réalisation
des missions du cabinet d’études. Grâce à notre présence sur le terrain, nous avons
aussi pu prendre acte des interactions entre les différents acteurs et des rapports qui
les lient. L’analyse des dispositions réglementaires et législatives, des documents et
rapports officiels et des cahiers des charges des missions ont constitué un matériau
d’enquête d’une grande pertinence. Enfin, nous nous sommes appuyés sur des auteurs
et ouvrages investis dans le champ de la sociologie urbaine, politique et des
organisations, de l’analyse des politiques publiques et en particulier de l’action
sociale, et de la science politique.
Nous souhaitons aussi, par souci d’honnêteté scientifique, présenter un possible
biais de notre travail. En effet, cette étude se situe dans le cadre de la formation
professionnelle de Master 2 de sociologie. Nous avons, par conséquent, conduit notre
enquête en tant qu’étudiante en sociologie, intégrée dans le stage professionnalisant
que la formation prévoit. Cependant, à l’issue de cette période de stage, nous avons été
embauchée en tant que salariée-consultante du bureau d’études. L’ambivalence de
cette double posture (étudiante en sociologie et consultante dans le lieu du stage) a pu
interagir avec la conduite de ce mémoire. Nous avons tenté, avec le plus de
discernement possible, de différencier ces deux périodes et statuts. Cette doublecasquette a ajouté à la difficulté de mise à distance critique nécessaire à l’apprenti
chercheur. Malgré tous nos efforts, notre activité professionnelle a pu interagir avec
notre travail universitaire. Nous espérons que ce biais est limité mais il nous semble
indispensable de l’énoncer au lecteur préalablement.
26
Rappelons que notre identité d’investigation n’était pas connue des acteurs rencontrés.
27
Malgré la grande liberté autorisée par le cabinet à notre égard, consciente de l’intérêt de la recherche et
encourageant une analyse critique.
17
Présentation du plan de l’étude :
Le travail d’analyse sociologique et d’études de cas qui va suivre s’attachera à répondre aux
quatre questions suivantes:
Comment l’injonction à la participation des habitants se présente-telle dans les
dispositifs de la Politique de la Ville ? Quels sont les enjeux sous-tendus par cette
prérogative affichée ? Dans quelle mesure est-elle appliquée ? Comment l’améliorer ?
Dans un premier temps de cette étude nous présenterons l’inscription de la participation
comme pratique systématique dans la Politique de la Ville. Depuis le rapport « Ensemble
refaire la ville » de la Commission Dubedout en 1983, cette notion est en effet affichée
dans la quasi-totalité des dispositifs de ce champ de l’action publique. Sa signification reste
néanmoins soumise à interprétation et à confusion. Nous en présenterons une définition.
Une attention particulière sur son encadrement réglementaire et législatif permettra de
relever ses contours et les modalités prévues pour son application. Enfin, nous désignerons
les enjeux de la « participation des habitants », dans son inscription, mais aussi pour les
deux missions du stage. Nous analyserons les objectifs clairs et affichés de cette attribution,
et également enjeux sous-tendus. Cette première partie de notre étude s’articulera donc
autour de trois questions : qu’est-ce que la participation ? Comment est-elle prévue ?
Pourquoi cette volonté participative ?
Nous analyserons ensuite l’établissement pratique de la participation des habitants. À
travers l’étude de son application, nous présenterons les difficultés rencontrées par les
opérateurs. Nous questionnerons leur volonté effective d’instaurer une démarche
participative. Le recours à des intermédiaires et « personnes-ressources » du quartier
semble systématique dans les pratiques opérationnelles. Nous examinerons les figures et
métiers auxquels les institutionnels se réfèrent en matière d’implication des habitants. Pour
ce faire, nous développerons une analyse des fonctions de régulation sociale dans les
quartiers « sensibles » et porterons une attention particulière sur le recours au secteur privé
et associatif. Enfin, nous dévoilerons les stratégies d’acteurs et les interactions qui entrent
dans le processus de la participation. Ainsi, dans cette seconde partie nous répondrons aux
questions suivantes : comment la participation est-elle appliquée ? Qui est invité à
participer ? A qui profite cette injonction ?
18
Enfin, nous porterons notre attention sur les conditions d’amélioration de la démarche
participative : quels sont les obstacles et préalables à son développement ? Que peut-on
préconiser pour accroitre son effectivité ? Nous présenterons donc une analyse des
contraintes et limites en matière de « participation des habitants », ce qui nous permettra de
distinguer les conditions et préalables à l’instauration d’une telle démarche. Enfin, nous
proposerons des pistes d’actions opérationnelles autour de cinq préconisations.
19
PREMIERE PARTIE :
L’injonction à la « participation des
habitants » dans les dispositifs de la politique
de la Ville : une notion consensuelle aux enjeux
stratégiques.
20
« Dans le domaine de l’action sociale, la nécessité de faire participer devient le
support et la garantie de réalisation du développement social territorial, qui est partout
dans les discours, dans les schémas directeurs d’action sociale et dans les interventions. »
(Bresson, 2004 : 103). Ainsi, comme nous l’avons présenté précédemment, l’injonction à la
participation des habitants dans les dispositifs de la politique de la Ville, initiée depuis la
fin des années 1970 en France, est devenue l’un des principaux piliers affichés de cette
politique. Ce changement paradigmatique est, dès lors, devenu un principe fondamental et
transversal, rappelé dans tous les textes attenant à la politique de la Ville. Aucun dispositif
n’échappe à cette notion autour de laquelle un consensus semble s’être établi. Elle
représente la condition sine qua non, en tout cas affichée, à la réussite d’un projet ou d’une
action dans les quartiers dits « sensibles », comme l’illustre une déclaration de Lionel
Jospin en 1998, alors qu’il est Premier Ministre de la République : « la participation des
habitants (…) est au cœur de la politique de la ville. Cette plus forte implication
conditionne la réussite des contrats ». Cette modalité est affirmée en tant qu’exigence
démocratique et pratique du quotidien et constitue à ce jour une notion consensuelle
intégrée. Elle apparait désormais comme une norme sociale de l’action publique
territorialisée, son inscription réglementaire étant systématique et sa légitimée intériorisée
dans les cadres cognitifs actuels.
Par conséquent, dès lors que les notions de « transparence », « gouvernance »,
« délibération », « démocratie participative », « appel à la société civile », sont utilisées
dans les projets urbains et sociaux des quartiers d’habitat social, elles confèrent à ces
derniers un ingrédient indispensable à leur légitimité et leur réussite. Ce mouvement de
démocratisation de l’action publique s’observe en particulier au niveau local, et ce
notamment suite à la décentralisation initiée dès 1982.
La démocratie participative est devenue un nouveau paradigme de l’action publique en
France. Elle fait suite, en effet, au mouvement de décentralisation et de territorialisation des
politiques publiques, initié dès les années 1980 et ne semble pas avoir été, depuis,
structurellement remise en cause. L’idée est que, contre l’organisation bureaucratique qui
régissait l’action publique auparavant, un projet de territoire doit intégrer une dimension
démocratique, transversale et partenariale.
Néanmoins, loin des annonces et contraintes réglementaires, la participation des
habitants tend à constituer une notion floue, voire « fourre-tout ». Qu’est-ce que la
21
« participation des habitants » telle qu’elle est affichée dans la politique de la ville ?
Comment s’est construit ce concept auquel plus aucune politique territoriale n’échappe ?
Quels sont les enjeux d’une telle démarche ?
Nous présenterons donc dans une première partie l’origine de la participation dans les
dispositifs publics, expliciterons sa définition mais aussi ce qu’elle sous-tend via le prisme
de la tradition sociopolitique française. Nous analyserons ensuite son cadre réglementaire
afin d’explorer les modalités prévues de son application, ainsi que son inscription dans les
missions auxquelles nous avons participé pendant le stage à ChOrus. Enfin, nous nous
interrogerons sur les raisons qui poussent les pouvoirs publics à afficher cette volonté
participative des citoyens à la conception des projets : quels sont les enjeux à faire
participer les « habitants » de certains territoires ? Dans quelle mesure le recours affiché
aux citoyens comme partenaires de l’action publique sert-il les intérêts d’autres acteurs ?
Nous nous questionnerons ici plus particulièrement sur les enjeux de la participation prévue
des habitants comme partenaires des pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-du-Rhône
ainsi que sur la consultation des locataires de la cité HLM sur laquelle le bureau d’études a
réalisé un diagnostic social.
22
I.
Qu’est-ce que la « participation des habitants » dans la
politique de la Ville ?
« La participation des habitants », quoi qu’étant désormais une notion commune du
discours public, nécessite un éclairage et une explicitation. Nous présenterons donc ici la
définition générique de cette expression dans le champ de la politique de la Ville, ainsi que
l’historique de son apparition sur la scène politique, et enfin la conception particulière à
laquelle elle renvoie en France, en comparaison par exemple de sa signification aux EtatsUnis.
1.1. ESSAIS DE DEFINITION
1.1.1. Un processus dynamique
La participation dans les dispositifs de la politique de la Ville s’entend comme :
«l’implication des habitants d’un territoire comme acteurs du processus, et pas seulement
comme bénéficiaires des résultats attendus (voire comme des personnes qui « subissent »
les changements, sans les comprendre, sans les intérioriser, ni en percevoir les plusvalues) »28. Une autre définition de la participation est donnée par Michel Monbeig (2007 :
31) : « (…) la participation est un ensemble d’activités ou d’actions visant à permettre aux
habitants des quartiers d’habitat social, éligibles dans le cadre du contrat de ville, de
prendre part effectivement à la construction et à la mise en œuvre de l’action publique ».
Ces deux définitions renvoient à l’inscription territoriale de la notion de participation, mais
aussi à sa dimension active pour les publics auxquels elle se réfère : elle est un processus,
une action.
28
Note méthodologique sur la démarche participative – Bureau d’études ChOrus.
23
1.1.2. La théorie des échelons
La participation peut intégrer plusieurs dimensions effectives selon différents degrés
d’implication des habitants. L’une des théories fondatrices, et qui constitue à l’heure
actuelle la référence dans la typologie des niveaux possibles d’implication d’une population
à la prise de décision, est l’échelle de participation formalisée par la sociologue Sherry
Arnstein en 196929. Les formes de la participation sont définies selon le degré
d’implication. Deux facteurs rendent ces formes variables : la définition qui est faite de la
société civile et les rôles qui lui sont attribués. Sept niveaux sont ainsi présentés (dans
l’ordre croissant du degré d’implication du public) : la sensibilisation du public,
l’information, la consultation, la concertation, la co-construction (ou aussi co-production),
la gestion participative, et l’auto-gestion. Pour accéder au niveau le plus élevé, deux
conditions doivent être réunies : le public doit avoir accès au processus de décision et
disposer du savoir-faire pour pouvoir influencer ce processus. Si ces deux facteurs sont
réunis, les citoyens peuvent alors devenir des stakeholders30 des projets et politiques. Cette
théorie de la participation a fortement influencé la politique américaine et y a fait émerger
la notion d’empowerment: « La notion d’empowerment va ainsi servir à décrire le
processus par lequel chacun devient partie prenante de son destin individuel et de celui de
la communauté dans la ville » (Donzelot, 2003 : 184).
En France, le Comité d’Evaluation et de Suivi de l’ANRU (mars 2006) utilise cette
typologie de participation citoyenne. Les huit échelons présentés prennent en considération
la mesure du pouvoir du citoyen et sa propension à déterminer la production finale :
29
« A Ladder Citizen Participation in the USA », Journal of American Institute of Planners, n°35, p.216-224.
30
= parties-prenantes.
24
8. Contrôle citoyen
7. Délégation de pouvoir
Pouvoir effectif des citoyens
6. Partenariat
5. Réassurance (Placation)
4. Consultation
Coopération symbolique
3. Information
2. Thérapie
Non participation
1. Manipulation
Ces huit échelons sont intégrés à trois catégories qui établissent si la participation est
effective ou si elle constitue un leurre pour les citoyens. Nous nous référerons à cette
typologie dans cette étude afin de caractériser les formes d’intégration et d’implication des
habitants dans les situations que nous analyserons. En effet, et comme nous le verrons plus
loin, les conceptions française et américaine concernant la « participation des habitants »
sont grandement différentes. Notre étude se situant dans le cadre français (et plus
particulièrement sur l’un de ses départements, à savoir les Bouches-du-Rhône, à travers les
exemples que nous analyserons), nous prendrons comme cadre référentiel l’échelle utilisée
par les instances évaluatives de ce pays. Néanmoins, la présentation du cadre et de la
conception de la participation des habitants aux Etats-Unis trouvera toute sa pertinence
dans une perspective comparative afin de mieux comprendre la conception française et ses
enjeux.
1.1.3. Information, consultation, concertation, participation : quatre dimensions
Dans la pratique, comme le souligne Michel Monbeig (2007 : 32) « (…) l’association
effective des habitants s’organise à partir de quatre dimensions : l’information, la
consultation, l’implication, l’évaluation ». Ces dimensions représentent l’agencement
normal opérationnel relevé dans les logiques de projet. Chacune de ces dimensions
25
correspond à une phase du projet : l’information et la consultation se situent en amont du
projet, l’implication et la négociation dans la construction du projet, et enfin l’évaluation,
c’est-à-dire le contrôle de l’exécution et du résultat se fait in fine. La participation effective
des habitants suppose leur implication à ces différentes étapes du projet afin de permettre à
tous les habitants-usagers qui le désirent de s’impliquer aux différents stades d’élaboration
d’un projet et suppose donc par conséquent la concertation, la consultation et l’information.
Certaines confusions étant régulièrement faites entre ces différents termes, il convient
de préciser le sens de chacun. Ainsi, « l’information vise à communiquer et à informer les
habitants concernés des modalités pratiques de la politique qui sera menée. Cette
information est un préalable à la connaissance indispensable à toutes actions publiques ;
les modalités concrètes peuvent prendre là différentes formes : bulletin municipal, réunion
publique, courriers… » (Monbeig, 2007 : 32). « La consultation est la deuxième dimension
visant à prendre en compte par des moyens appropriés l’avis des habitants concernés sur
une question, un problème, une suggestion ou une décision que souhaiteraient prendre les
autorités, et à intégrer ces opinions dans la décision terminale ; les modalités là sont plus
réduites, elles peuvent aller de l’enquête d’opinion à des forums citoyens en passant par les
enquêtes d’utilité publique » (Monbeig, 2007 : 32). Enfin, la concertation « consiste pour
les collectivités à consulter des citoyens élus et/ou choisis pour orienter le cours des
décisions » (Fijalkow, 2002 : 85). C’est à ce niveau seulement que les citoyens peuvent
commencer à exercer une certaine influence directe, bien que, par certains aspects, la
participation reste symbolique.
Ajoutons enfin que la mise en place, effective ou non, ainsi que les modalités d’application
de ces processus dépendent des systèmes et relèvent de choix de nature politique, comme
nous allons le démontrer par la suite.
Cependant, il convient dans un premier temps de comprendre d’où vient cette idée
qu’il « faut faire participer les habitants » dans les quartiers d’habitat social, et pour ce
faire, il nous faut revenir aux origines de la politique de la Ville en France.
26
1.2. HISTORIQUE D’UNE INJONCTION CONSENSUELLE
1.2.1. A l’origine : la Commission Dubedout
Les prémices à l’idée de participation des habitants dans la politique de la Ville peuvent
être définis avec le rapport de la Commission Dubedout31, en 1983 « Ensemble, refaire la
ville ». Le Président de la République François Mitterrand demande, en 1982, la mise en
place d’une Commission afin d’élaborer des préconisations pour pallier les difficultés que
connaissent certains quartiers de grands ensembles d’habitat social, et notamment suite aux
émeutes qu’ont connu les banlieues lyonnaises peu de temps auparavant. Le rapport met en
avant deux problèmes majeurs : celui de la bureaucratie et celui de l’inorganisation des
habitants. Pour traiter les problèmes inhérents aux cités, la Commission Dubedout
préconise d’orienter les actions vers les habitants de ces quartiers plutôt que vers les
territoires directement. Naît alors le concept de « développement social des quartiers »
(DSQ) avec l’idée sous-jacente de valoriser le collectif comme moyen de résolution des
problèmes. Deux solutions majeures sont proposées : étendre le rôle des élus politiques et
développer le pouvoir des habitants en déployant l’offre de participation (à travers la
création de financements spécifiques). Ce rapport présente les prémices d’une notion
devenue depuis consensuelle et dont l’inscription deviendra quasi-systématique dans les
dispositifs de la politique de la Ville en France.
1.2.2. Décentralisation et territorialisation
Parallèlement, le mouvement de décentralisation fait émerger dans les années 1980
l’idée d’une réoganisation des rapports entre les différents acteurs d’un territoire : élus,
institutionnels, bailleurs, associations, habitants. Les politiques publiques se territorialisent
et l’échelon local se trouve privilégié dans les politiques destinées aux quartiers dits
« sensibles », malgré une volonté de recentralisation de l’action publique de l’Etat pour la
politique de la Ville. La démarche participative et l’idée d’une démocratisation de l’action
publique à l’échelle locale se développent, de même que le nombre d’associations et
l’importance de ce secteur ces territoires. Ce mouvement de démocratisation est rendu
31
Ancien maire de Grenoble, et connu pour son engagement pour la promotion de la société civile dans la
démocratie locale.
27
possible par le phénomène de territorialisation. En effet, l’implication de l’ensemble des
citoyens à la décision va en décroissant au fur et à mesure que l’on s’éloigne du niveau
local pour aller vers le régional ou le national.
Durant les trois décennies qui suivirent, la participation des habitants, comme
préalable au règlement de la « question des banlieues », se renforce jusqu’à faire l’objet
d’un consensus politique et d’une inscription systématique dans la politique de la Ville.
Trois lois ont, en particulier, ancré durablement l’injonction participative dans ce champ de
l’action publique : la Loi d’Orientation pour la Ville (LOV) en 1991, le Pacte de Relance de
la politique de la ville en 1996, et enfin, la Loi relative à la Solidarité et au Renouvellement
Urbain (SRU) en 2000. Depuis, d’autres s’y sont ajoutées, entérinant le caractère normatif
et systématique de cette injonction.
Ajoutons que la territorialisation des politiques publiques, le phénomène de
fragmentation du gouvernement et des services urbains depuis les années 1990 ont permis
l’émergence d’un recours à la société civile comme acteur des procédures locales. La
réforme institutionnelle et constitutionnelle de la décentralisation, initiée en 1982, s’est
traduite par l’émergence des villes comme acteur à part entière. Ce déplacement de
l’échelon étatique central vers une gouvernance plus locale a engendré le développement du
secteur associatif comme partenaire de ces politiques. De plus, avec la décentralisation et la
création ces dernières années de communautés d’agglomération, les niveaux intermédiaires
de pouvoir se sont « empilés », ce qui a conduit à éloigner paradoxalement les habitants et
leurs représentants les plus directs pour un grand nombre de projets, notamment
d’urbanisme et d’équipement.
Ce bref rappel historique permet de comprendre que la volonté et l’affirmation selon
laquelle les habitants doivent être considérés comme des acteurs des programmes de la
politique de la Ville remontent à près de 30 ans. La rhétorique relative à cette idée et plus
largement à celle d’une démocratisation de l’action publique a trouvé une place dans la
plupart des pays occidentaux, et notamment dans le domaine des quartiers d’habitat social,
qualifié parfois de « problème des banlieues ».
28
1.2.3. Conception française versus américaine
Néanmoins, afin de mieux comprendre les conceptions et enjeux relatifs à cette
injonction participative, il convient d’en présenter une analyse comparative entre les EtatsUnis et la France. Pour ce faire, nous nous appuierons sur l’ouvrage Faire société. La
politique de la ville aux Etats-Unis et en France de Jacques Donzelot (2003), dont l’analyse
nous semble complète et pertinente.
L’auteur propose d’établir une comparaison, en ce qui concerne la participation, entre
l’idée de participation « communautaire » aux Etats-Unis (comme construction d’un
pouvoir venant des habitants, soit une politique bottom-up, d’où l’impulsion vient « d’enbas ») et celle d’une participation « citoyenne » en France (comme accomplissement d’un
devoir, soit une politique top-down, d’où l’impulsion vient « d’en-haut »). Plus qu’une
comparaison, Jacques Donzelot démontre l’opposition réelle qui existe entre ces deux
formes de participation et les conceptions qu’elles sous-tendent.
En effet, alors qu’aux Etats-Unis l’objectif de cette démarche consiste en la
constitution d’un véritable pouvoir PAR les habitants (l’empowerment) afin qu’ils puissent
agir comme groupes de pressions envers les administrations, en France la participation ne
relève pas de la construction d’un pouvoir « d’en-bas » mais plutôt comme la possibilité
pour les habitants d’être représentés (par le secteur associatif notamment) et de pouvoir
s’exprimer sur des projets. Derrière cette conception française de la participation se trouve
l’idée selon laquelle une action ne peut être réussie sans le consentement des habitants du
territoire sur lequel elle se trouve. Cependant, elle ne prévoit pas réellement la coconstruction du projet AVEC les habitants. De plus, il convient de préciser que la
participation, telle qu’elle est prévue en France, s’adresse en particulier aux habitants des
quartiers bénéficiaires de la politique de la Ville. Cette injonction participative s’applique
en effet, quasi-exclusivement à des territoires particuliers, et, par conséquent, à une
population déterminée. Nous tenterons de comprendre plus loin dans cette étude les raisons
de cette différenciation de traitement.
L’attachement français à raisonner principalement en termes de « territoires » d’action
correspond à ce que l’auteur nomme l’option place. Ainsi, la politique de la Ville en France
se donne pour mission d’œuvrer sur les territoires urbains dégradés, de traiter et de restaurer
les lieux. Elle prend racine dans le principe d’égalité inscrit dans la Constitution. Aux Etats29
Unis, l’option people régit les politiques publiques agissant sur les quartiers d’habitat
social, ce qui signifie qu’elles sont orientées vers la volonté de donner aux gens les
capacités pour agir et franchir les obstacles. Cette opposition entre les deux options place et
people détermine les conceptions et modalités d’application de la participation.
À ceci s’ajoutent les différences de traditions politiques fondatrices de ces deux
nations. Pour comprendre la conception américaine de la participation, telle que définie
précédemment, il faut s’intéresser à la tradition politique de ce pays et à sa construction.
Ainsi, la démocratie aux Etats-Unis trouve ses fondements dans une philosophie politique
différente de celle que nous connaissons en France. Comme l’a décrit Alexis de
Tocqueville32, les Etats-Unis ont, dès leur création, présenté un modèle démocratique fondé
sur l’auto-détermination des citoyens, et laissant un pouvoir réel aux « institutions libres »
(Eglises, associations, assemblées locales, etc.). À l’inverse, le modèle de démocratie
représentative fondé en France, dans un Etat centralisé, ne prévoit pas de place pour un
pouvoir exercé par des corps intermédiaires : le peuple délègue sa souveraineté à des
représentants qu’il a élus. Par conséquent, la participation ne trouve sa place qu’en ce
qu’elle constitue un régulateur consensuel de l’action publique.
Ce rappel historique sur les conceptions et philosophies aux fondements de ces deux
Etats démocratiques n’est donc pas sans intérêt pour comprendre ce qui est entendu et
attendu dans chacun d’eux derrière la notion de « participation des habitants ». Idéal
politique, philosophique, notion consensuelle et systématique, cette injonction participative
dans les quartiers « sensibles » est désormais ancrée dans tous les textes et discours relatifs
à la politique de la Ville. Cependant, outre son caractère normatif et omniprésent, nous
pouvons nous interroger sur ce qu’elle vise véritablement : qui sont ces « habitants »
auxquels elle se réfère ? Comment cette volonté participative est-elle prévue ? Mais surtout,
la question centrale que nous pouvons nous poser est : pourquoi souhaite-t-on faire
« participer » dans les quartiers prioritaires plus qu’ailleurs ? Quels sont les enjeux réels de
cet idéal affiché ?
32
De la démocratie en Amérique (1835).
30
II. Comment est-elle prévue ? Encadrement, réglementation et
interprétation
La participation des habitants, comme nous l’avons énoncé précédemment, représente
un des principes fondamentaux de constitution de la politique de la Ville en France. Nous
allons voir ici dans quelle mesure la réglementation et la législation fixent le cadre de cette
démarche, quelles sont les modalités d’application de la « participation », qui sont les
« habitants » qu’elle désigne, et enfin montrerons à travers l’exemple des pré-diagnostics de
GUP dans les Bouches-du-Rhône et du diagnostic social d’un ensemble HLM du même
département, que l’idée de « participation » peut revêtir des formes très différentes.
2.1.
ENTRE INSCRIPTION SYSTEMATIQUE ET VIDE JURIDIQUE
La participation des habitants est partie constituante de la politique de la Ville depuis
environ trente ans. Afin de définir plus précisément ce que cette démarche recouvre, il
convient de faire un état des lieux et une analyse réglementaire et législative des modalités
d’application de celle-ci. Pour ce faire, nous présenterons les lois édictées durant la dernière
décennie et procéderons à une analyse de ce qu’elles recouvrent et prévoient.
2.1.1. L’affirmation de la nécessaire participation
Au début des années 2000, quatre lois majeures sont votées qui définissent, parmi
leurs prérogatives, l’implication, le plus en amont possible, des habitants et associations
dans l’élaboration des projets qui concernent leur cadre de vie. Aux principes instaurés par
la loi de 1992 pour l’Administration Territoriale de la République, à savoir le devoir
d’information et de consultation de la population, s’ajoute dès 1999 la référence à des
nécessités de concertation, voire de participation.
La loi Voynet d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du
Territoire (LOADDT) du 26 juin 1999 prévoit en effet la participation de la société civile
en instaurant la mise en place des « conseils de développement ». Ces conseils sont des
31
instances regroupant des membres de la société civile s’organisant librement et devant être
consultées sur toute question relative à l’Agglomération et au Pays. La loi Solidarité et
Renouvellement Urbain (SRU) du 13 décembre 2000 oblige les collectivités locales à
associer la société civile (via les conseils de quartier) à l’élaboration des SCOT33 et du
PLU34. S’ensuit la loi relative à la démocratie de proximité du 27 février 2002 : la
Commission Nationale du Débat Public (CNDP) devient une autorité administrative
indépendante et pour chaque ville de plus de 80000 habitants doivent être créés des conseils
de quartier ayant un rôle consultatif et de proposition auprès du Maire.
Enfin, la loi dite « Borloo » d’Orientation et de Programmation pour la Ville et la
rénovation Urbaine du 1er août 2003, prévoit la création de l’ANRU35 et la participation des
habitants des territoires concernés par un projet de rénovation pour toute convention passée
avec celle-ci. Elle précise les principes et modalités de cette démarche à travers : le libre
accès des habitants à l’information, la mise en place d’un calendrier de consultation, la
concertation a priori et a posteriori, l’affectation de moyens à la participation, la
représentativité des publics concernés, le caractère délibératif de la participation et enfin
son évaluation. Nous retrouvons dans cette loi les quatre dimensions essentielles de la
démarche participative énoncées par Michel Monbeig (2007): information, consultation,
implication et évaluation. Cependant, un rapport du Comité d’Evaluation et de Suivi de
l’ANRU de juin 2006 note le manque effectif de participation, notamment du fait des
difficultés d’application liées à l’absence de précisions quant à sa mise en œuvre :
« Le récent courrier adressé par la Direction Générale de l’ANRU aux Préfets,
qui rappelle la législation en vigueur en matière de concertation, atteste la prise
de conscience de l’enjeu de la participation pour l’Agence. Toutefois, en
33
Schéma de Cohérence Territoriale. « Le SCOT est un document d’urbanisme qui fixe, à l’échelle de
plusieurs communes ou groupements de communes, les orientations fondamentales de l’organisation du
territoire et de l’évolution des zones urbaines, afin de préserver un équilibre entre zones urbaines, industrielles,
touristiques, agricoles et naturelles. (…) il fixe les objectifs des diverses politiques publiques en matière
d’habitat, de développement économique, de déplacements ». Wikipédia.
34
Plan Local d’Urbanisme. « Le PLU est le principal document de planification de l’urbanisme au niveau
communal ou éventuellement intercommunal » Wikipédia.
35
Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine. « L’ANRU est un établissement public industriel et
commercial créé par l’article 10 de la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation
urbaine du 1er août 2003, afin d’assurer la mise en œuvre et le financement du programme national de
rénovation urbaine (PNRU). Elle est placée sous la tutelle du ministre chargé de la politique de la ville qui fixe
les orientations générales de son action ». Wikipédia.
32
l’absence de prescriptions formelles, d’exigences procédurales ou même de
propositions de dispositifs institutionnels ad hoc au-delà du rappel du cadre
législatif existant, ce courrier reste de l’ordre de la déclaration d’intentions. A
aucun moment la concertation ne fait l’objet d’une définition ».
Cette déclaration est significative des difficultés à mettre en application le principe de
participation. Il relève, comme cela est clairement indiqué, dans la majorité des cas, de
l’ordre de la coopération symbolique plus que de la co-construction de projet du fait de
l’absence de définition et de prérogatives précises.
L’injonction participative ainsi que son affirmation comme principe structurel de la
politique de la Ville, sont aussi inscrites dans les CUCS36, (forme contractuelle ayant
remplacés les contrats de ville depuis 2007). Dans l’appel à projet 2010 des CUCS de
Marseille37, « la participation des habitants et des associations» constitue l’un des quatre
objectifs mis en avant et conditionnant l’attribution de subventions (les trois autres étant :
l’appui à la vie associative, l’accès aux droits sociaux et la lutte contre les discriminations).
Concernant la participation des habitants et associations, l’appel à projet précise cet objectif
par trois éléments :
« - en facilitant leur expression et leur participation à la vie locale,
- en améliorant la communication,
- les secteurs où une réflexion autour d’une requalification urbaine est en cours
seront plus particulièrement soutenus ».
De même, la participation était prévue dans les contrats de ville par les
modalités suivantes (DIV) : « la participation des habitants (…) pourra
emprunter différentes formes :
- l’information sur les projets à l’étude,
- la consultation des habitants sur des projets déterminés,
- l’implication à la prise de décision ».
36
Contrat Urbain de Cohésion Sociale. « Le CUCS est un dispositif de la politique de la ville. Les contrats de
ville version 2001-2006 sont arrivés à échéance le 31 décembre 2006. Le gouvernement français a alors décidé
de mettre en place un nouveau cadre contractuel de la politique de la ville en faveur des quartiers en
difficultés, les CUCS, dont le cadre général et les orientations ont été définis par le Comité Interministériel des
Villes et du développement urbain (CIV) du 9 mars 2006. Ces contrats, d’une durée de 3 ans reconductibles,
sont proposés aux villes et aux établissements publics de coopération intercommunale compétents en la
matière. Ils sont entrés en vigueur au début de l’année 2007 ». Wikipédia.
37
Document en annexe p.135.
33
2.1.2. Une notion soumise à interprétation
Les dispositifs contractuels mais aussi les textes législatifs de la politique de la Ville
affirment et inscrivent la démarche participative dans leurs fondements. Cependant, nous
pouvons remarquer un certain flou et une évidente confusion quant aux formes de la
participation : consultation ? concertation ? information ? Ces termes sont tous employés
pour désigner la participation mais sans distinction réelle et sans précision concernant les
modalités d’application sur les territoires de ces préconisations. Un certain « flou
juridique » (voire conceptuel et définitionnel) semble peser sur la participation des
habitants, pourtant affirmée et prévue depuis presque trente ans.
A l’origine (avec le rapport Dubedout), la participation des citoyens était une condition
nécessaire pour obtenir un financement. Par la suite, la logique de projet l’a emportée et les
financements n’étaient plus conditionnés à la mise en œuvre de la participation, celle-ci
devait néanmoins apparaître dans le projet. Ainsi, la logique de projet a petit à petit pris le
pas sur la démarche participative comme fondement de tout bon programme de la politique
de la Ville. En effet, le vide juridique quant aux modalités d’application de cette démarche
l’a rendue difficile à mettre en œuvre et par conséquent peu effective.
Un point d’arrêt semble nécessaire par ailleurs afin de préciser ce qui est entendu
derrière le terme d’ « habitants ». En effet, tout comme celui de « participation », ce terme
utilisé dans tous les textes et discours relatifs à la démarche participative ne constitue pas
une entité précise définie, laissant un flou que chaque acteur peut alors interpréter à sa
guise.
Les appels à la « société civile » se sont multipliés dans tous les champs de l’action
publique depuis les années 1990. La politique de la Ville n’échappe pas à cette règle et l’on
peut alors supposer qu’à la notion d’ « habitants » correspond celle de « société civile ». Le
Livre Blanc de la gouvernance de l’Union Européenne (2001) en donne une définition :
« La société civile regroupe notamment les organisations syndicales et patronales (les
« partenaires sociaux »), les organisations non gouvernementales (ONG), les associations
professionnelles, les organisations caritatives, les organisations de base, les organisations
qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale, avec une contribution
spécifique des Eglises et communautés religieuses ».
34
Néanmoins, comme le souligne Richard Raymond (2009), cette définition prête à
confusion entre le caractère collectif de la société civile, comme ensemble de citoyens d’un
territoire, et son acception représentative, comme groupe d’organisations censées
représenter les citoyens. « Cette confusion pose problème lorsque certaines de ces
organisations prétendent incarner l’ensemble des citoyens et s’attribuent ainsi la légitimité
de représenter la « société civile » en général » (Raymond, 2009 : 17). Ce questionnement
n’est pas sans intérêt quant à la pratique de la participation et nous ne manquerons pas d’y
revenir ultérieurement.
L’habitant est conçu dans le cadre de la politique de la Ville et de l’injonction
participative comme un sujet collectif. Il est à la fois un usager (d’un service, d’un espace,
etc.), un occupant (ou locataire d’un logement), mais aussi la cible et le bénéficiaire d’une
action ou d’un projet. Chacune de ces dimensions de la figure de l’habitant est utilisée tour
à tour dans les discours, textes et saisines, relativement au statut et fonctions nécessaires et
à intégrer, mais aussi au contexte de la démarche et aux finalités du projet ou de l’action.
Ainsi, le terme d’ « habitant » tel qu’il est désigné dans le cadre de la politique de la Ville
peut revêtir diverses attributions et le flou persiste quant au public ciblé par cette injonction.
Le terme d’habitant inclut donc celui de citoyen, d’usager, ou encore de locataire. Jacques
Donzelot (2003 :101) en donne une définition générique dans la politique de la Ville
puisque, selon son analyse, elle ne désigne les gens « que par le statut d’habitant que leur
confère le territoire où ils vivent ». Par « habitant », il faut donc entendre « habitant d’un
territoire spécifique » lorsque ce terme rejoint celui de la participation dans les dispositifs
dont il est question.
Nous observons donc un manifeste manque de clarté autour des notions de
« participation » et d’ « habitants » telles qu’elles sont employées dans les textes de
référence de la politique de la Ville. Il est alors nécessaire d’adapter leur interprétation à
chaque dispositif, de tenter de comprendre par l’analyse des commandes et donc à travers
les cahiers des charges, ce qui est entendu et prévu pour la « participation des habitants ».
Par conséquent, nous allons procéder à cette analyse pour les deux missions confiées au
bureau d’études ChOrus dont nous avons été les acteurs pendant la période de stage.
35
2.2. LES
AMBIGUITES
DE
LA
PARTICIPATION :
ADAPTATION
ET
CONTEXTUALISATION
Dans chacune de ces missions, la participation était présentée comme devant faire
partie de la démarche. Cependant, sa signification était fondamentalement différente pour
chacune : participation des « personnes-ressources » dans le cadre des pré-diagnostics de
GUP ou consultation des locataires dans le cadre du diagnostic social de l’ensemble
d’habitat social.
2.2.1. Partenariat et proximité au cœur de la GUP
En ce qui concerne la mission commandée par l’Acsé au bureau d’études, à savoir la
réalisation de pré-diagnostics de GUP sur les territoires prioritaires de la politique de la
Ville dans les Bouches-du-Rhône, les notions de « proximité » et de « partenariat »
apparaissent comme centrales. Un des objectifs de cette commande est d’instaurer (ou de
relancer) des relations partenariales entre les différents types d’acteurs d’un territoire dans
le but d’en améliorer la gestion quotidienne. La note d’ « éléments de cadrage sur la gestion
urbaine de proximité » adressée par l’Acsé aux bureaux d’études ayant en charge
l’animation de cette mission sur l’ensemble du territoire national concerné précise
l’importance de l’aspect partenarial du dispositif :
« La GUP est une démarche fondamentalement partenariale, qui ne peut
fonctionner sans une mobilisation soutenue de l’ensemble des acteurs impliqués
dans la gestion du quartier. »
A ce stade, rien n’est clairement précisé concernant la qualité des acteurs à impliquer. La
note méthodologique accompagnant la circulaire de la DIV38 du 21 janvier 2009 ajoute,
quant à elle :
« (…) certains partenaires doivent impérativement participer à la visite de
terrain et à la réunion de restitution :
38
Le préfet de département ou son représentant et/ou le délégué du préfet,
Délégation Interministérielle à la Ville.
36
-
Les services de l’Etat (équipement, sécurité publique…),
-
Les représentants des collectivités locales,
-
Les services des collectivités locales et/ou de l’EPCI en charge du CUCS, du
PRU et de la GUP,
-
La direction régionale de l’Acsé,
-
Les bailleurs,
-
Le cas échéant, les syndics de copropriété et syndicats de copropriétaires,
-
Les habitants et usagers (amicales de locataires, conseils de quartiers,
associations…) ».
En regard de cette précision du commanditaire, nous pouvons en déduire que le terme
d’« habitants » renvoie ici à des collectifs organisés agissant sur le territoire donné, et ne
concerne pas la figure de l’habitant ou usager non-investi dans une structure de ce type.
La notion de « proximité », au cœur de la GUP, désigne la nécessité de saisir et de
réunir les acteurs de terrain afin de coller au plus près des difficultés, attentes et demandes
des habitants de ces quartiers. Ainsi, suite à l’analyse des termes du cahier des charges (et
notes méthodologiques et de cadrage), les organisations de locataires ainsi que les
associations du quartier sont définies comme légitimes dans ce rôle d’expertise d’usage et
de porte-parole de l’ensemble des habitants d’un territoire.
Néanmoins, cet encadrement des habitants structurés comme partenaires à associer à la
démarche n’est plus aussi évident dans les fiches de synthèse que le prestataire doit
remettre à l’Acsé à la suite de la première étape du diagnostic39. En effet, le bureau d’études
doit renseigner le « nombre d’habitants » (du secteur concerné) et quelques lignes plus loin
une case « saisine des habitants [lors du premier diagnostic]» (à laquelle il faut répondre par
oui ou non). Etant données les contraintes de limitation du nombre de personnes invitées à
participer au diagnostic en marchant, nous pouvons de toute évidence affirmer que dans ces
deux rubriques l’emploi du terme d’ « habitants » ne désigne absolument pas les mêmes
acteurs. L’utilisation du même terme pour désigner deux entités différentes mène à la
confusion. Nous postulons l’hypothèse que cette confusion, loin d’être volontaire, reflète
39
Dans cette fiche de 2 pages, plusieurs rubriques sont à renseigner à l’issue du premier puis du second
diagnostic. Elle permet à l’Acsé d’avoir un retour (par un bref récapitulatif) sur le déroulement et les résultats
mais aussi de participer à une évaluation des situations de ces territoires ainsi que du travail du bureau d’études
pour cette mission.
37
l’ambiguïté entretenue au sein des instances commanditaires et de l’Etat autour de la notion
d’ « habitant ».
Un autre élément important quant à la démarche participative qui nous intéresse dans
cette étude concerne la forme que doit prendre la « participation ». Nous n’avons repéré
dans les documents officiels de la commande que très peu d’indications quant aux
modalités de sa mise en œuvre. Pourtant, cette injonction est clairement affirmée et se place
même comme un des objectifs principaux de ces pré-diagnostics :
« - Quelles sont les principales finalités de la GUP ?
- Le principal but de la GUP consiste à améliorer le cadre de vie des habitants
dans les quartiers de la politique de la ville. Il s’agit également de développer la
qualité des services rendus aux habitants. De ce fait, l’implication et la
participation des habitants dans le processus de décision liés à l’évolution et à
la transformation des quartiers sont fortement recherchés. Pour cela, il est
important de mieux coordonner et adapter l’ensemble des démarches des acteurs
par une gestion concertée ».
La participation est donc « fortement recherchée » et pour cela le moyen invoqué est la
« gestion concertée ». Aucune information n’apparait sur les modalités permettant
d’atteindre ce but. Pourtant, la fiche de synthèse de rendu à l’Acsé comporte une rubrique
« Mise en place de dispositifs de concertation » à renseigner (par la mention « oui » ou
« non » ainsi que « détails »).
La participation des habitants telle qu’elle est énoncée pour la réalisation des prédiagnostics de GUP peut donc s’apparenter à l’instauration de partenariats entre les
différents acteurs structurés du quartier. A priori, la notion d’ « habitants » désigne les
organisations structurées ainsi que les associations du quartier (excluant alors les habitants,
résidents et usagers non organisés) et celle de « participation », la coordination et la gestion
partenariale. Ainsi, la participation des habitants dans cette démarche s’apparenterait à la
concertation telle qu’elle est définie par Jodelle Zetlaoui-Léger (2005 : 5) : « La
concertation consiste à constituer des groupes de travail avec les habitants-usagers. Ces
derniers sont choisis pour leur « représentativité », (…), selon des procédés plus ou moins
aléatoires ». Néanmoins, des confusions persistent quant à ce qui est véritablement attendu
38
de cette démarche et un certain vide demeure sur sa mise en œuvre. Par ailleurs, la
démarche de concertation pose une autre interrogation, à laquelle nous tenterons de
répondre dans la suite de cette étude, et formulée par Jodelle Zetlaoui-Léger (2005 : 5) :
« mais reste souvent incertaine, la question de la prise en compte de leur travail tout au
long et dans l’élaboration du projet ».
2.2.2. Le diagnostic social : consultation et participation, même combat ?
Concernant le diagnostic social réalisé par ChOrus dans le cadre d’une étude préopérationnelle de définition pour une opération ANRU isolée commandée par la commune
sur laquelle se situe la résidence HLM en question, le cahier des charges comporte une
partie (dans la rubrique « méthode » : 13) intitulée « Modalités relatives à la participation
des habitants ». Elle prévoit :
« Le Bureau d’Etudes devra présenter les méthodes utilisées pour l’information,
et la concertation des habitants tout le long de l’étude et la gestion de l’interface
entre habitants et institutions ».
Ainsi, les clauses de la mission comportent un volet participatif mais restreint aux
notions d’ « information » et de « concertation ». Le commanditaire précise aussi que les
éléments à recueillir par le prestataire et qui constitueront la base du diagnostic à fournir se
feront par la méthode de l’enquête auprès des locataires de la résidence. Aucune autre
disposition n’est prévue pour la « participation » ou même la concertation. Au niveau de
l’information auprès des habitants, celle-ci a été réalisée en deux temps : un premier lors
d’une réunion avec les « acteurs de terrain » (à savoir l’équipe opérationnelle du CUCS, un
représentant du bailleur social gestionnaire de la résidence, des personnels du centre social
du quartier et des principales associations) et le second lors de l’enquête en face à face avec
les résidents. Notons que la réunion préalable au démarrage de l’enquête a pour but
d’informer les acteurs de terrain (dont la liste avait été fournie par la Ville) afin qu’ils se
fassent le relai auprès des habitants de la réalisation de cette étude et du passage prochain
du bureau d’études dans les logements afin de procéder aux enquêtes.
39
Au niveau de la « concertation » prévue par le cahier des charges, le bureau d’études a
souhaité, dans sa réponse, mettre une précision quant à la pertinence et la faisabilité de cette
démarche. Ainsi, la réponse comprend un rappel des conditions de la concertation et de sa
mise en place et ajoute qu’un tel type de démarche ne peut être réalisée en phase d’étude.
Seules l’information, la communication et la consultation peuvent être effectives à ce stade
d’autant que le délai imparti à la mission (4 mois au total dont 2 pour le diagnostic social)
ne permet pas une véritable concertation avec les habitants. En effet, la note
méthodologique sur la participation des habitants annexée à la réponse du bureau d’études
précise:
« Le délai imparti à la mission comme les jours prévus pour entrer dans un
budget correspondant aux attentes de la commune laissent peu de place à cette
dernière démarche qui pourra être envisagée, en revanche, dans la phase
opérationnelle. (…) Les habitants pourront alors une nouvelle fois réagir,
sachant que les domaines de changements possibles seront décrits comme le
seront les contraintes incontournables, pour que le discours soit clair et les
marges de manœuvre bien comprises, mais qu’ils n’aient pas l’impression de se
trouver face à un projet entièrement ficelé qui leur échappe complètement ou ne
reflète en rien leurs attentes ou conception ».
Par conséquent, la notion de « concertation », bien qu’utilisée par le commanditaire, ne
correspond pas aux possibles et l’analyse des demandes de celui-ci ainsi que la réalisation
de la mission renvoient plutôt à celui de « consultation ». Une confusion semble donc
s’être introduite dans la signification de ces notions par la commune. En effet, le cahier des
charges prévoit, outre le recueil d’éléments auprès du bailleur, « une enquête auprès de la
population logée ». Cette étude entre donc dans le cadre d’une démarche informative et
consultative, telle qu’elle est définie par Jodelle Zetlaoui-Léger (2005 : 5) : « Dans un
dispositif d’information et de consultation, les habitants ne sont pas associés directement à
la réalisation : ils sont informés par différents médias de l’évolution du projet. Ils sont
invités à donner leur avis lors de réunions publiques ou par la procédure de l’enquête
publique par exemple, sans pour autant que les élus, la maîtrise d’ouvrage soit dans
l’obligation de suivre ces avis ».
40
Cependant, la réalité comprise dans la notion d’ « habitants » est, pour cette mission,
clairement identifiée : il s’agit là des locataires et occupants de la résidence pour laquelle
l’étude est commandée.
A l’issue de cette présentation des textes mentionnant la participation des habitants,
nous avons relevé une multitude de confusions à tous les niveaux dans les significations et
par conséquent les modalités prévues pour cette démarche. Plusieurs termes (concertation /
consultation / participation) sont utilisés parfois pour un même dispositif et les contours de
ces derniers ainsi que les publics visés semblent souvent flous. Par l’analyse des documents
de référence et cahiers des charges, nous avons pu établir une relative explicitation de ce
que la « participation des habitants » signifie dans les dispositifs observés lors du stage.
Ainsi, les pré-diagnostics de GUP tendent plutôt à impliquer des acteurs de terrain ou
habitants structurés (Amicales de locataires, associations, conseils de quartier) dans une
démarche d’amélioration de la gestion d’un territoire, alors qu’en ce qui concerne le
diagnostic social, ce sont les habitants de la résidence (locataires et occupants) qui sont
désignés et pour lesquels l’information et la consultation seront de mise.
Ces écarts témoignent bien du flou réglementaire et conceptuel qui règne dans le
champ de la politique de la ville quant à l’encadrement et aux modalités de « la
participation des habitants », concept pourtant transversal, consensuel et systématique des
dispositifs.
Mais alors pourquoi, étant donné le flou qui régit cette injonction et les difficultés
d’application qui en découlent, la participation des habitants est-elle sans cesse réaffirmée
et constitue-t-elle un des principes centraux de ce champ de l’action publique ? Quels sont
les enjeux relatifs à la participation des habitants dans la politique de la Ville ?
41
III. Pourquoi cette volonté participative ? Les enjeux d’une
injonction systématisée
Comme nous l’avons décrit précédemment, la territorialisation de l’action publique
ainsi que le désengagement de l’Etat des dispositifs urbains locaux a engendré un contexte
de multiplication des acteurs privés et publics et une redéfinition des modalités
d’interaction entre les autorités publiques locales et les groupes d’intérêt. Le
développement de cette gouvernance urbaine a placé le public au centre des dispositifs.
L’impératif délibératif et la nécessité de mettre en œuvre des actions « de proximité » se
sont imposés.
3.1. LA PARTICIPATION COMME DISPOSITIF COMPENSATOIRE
Cependant, la participation des habitants est une injonction spécifique de la politique
de la Ville. Par conséquent, son inscription dépend d’une appartenance territoriale : cette
volonté d’implication des habitants n’est recherchée et prévue que pour les quartiers classés
en politique de la Ville, et donc pour une partie seulement de la population française. Il
convient de s’interroger sur cette dérogation au principe républicain d’égalité de traitement
entre les citoyens.
42
3.1.1. Une intention citoyenne ?
Pour certains politistes et sociologues, la « crise du politique » et la remise en cause
des formes traditionnelles de gouvernement seraient à l’origine de la volonté d’impliquer la
société civile au plus près des décisions. L’objectif est de remobiliser les citoyens pour la
chose politique. La perte de confiance de la population dans les institutions et le système
politique, manifestée par la montée de l’abstention en particulier dans les quartiers
socialement défavorisés, pourrait être palliée par l’implication des citoyens aux décisions
locales, aux projets proches de leur quotidien. Ainsi, pour certains, la crise du politique
s’apparenterait à une crise de la représentation. Le développement de démarches plus
participatives permettrait alors d’impliquer et d’intéresser les citoyens au politique et à la
chose publique, notamment dans les territoires où le taux d’abstention est le plus élevé.
Cette analyse de la crise de la démocratie représentative apporte des éléments quant
aux enjeux qui guident le développement d’une politique plus participative dans les
quartiers d’habitat social. Cependant, la seule volonté des gouvernants d’organiser
autrement leurs relations à la société civile afin de « séduire » à nouveau des personnes
marginalisées de la vie politique locale afin de « séduire » à nouveau des personnes
marginalisées de la vie politique locale ne semble pas exhaustive. Nous estimons que
d’autres raisons et enjeux commandent cette injonction participative dans les territoires de
la politique de la Ville.
3.1.2. Une inscription territoriale spécifique…
Comme indiqué précédemment, l’idéal selon lequel il faut impliquer les citoyens dans
le processus décisionnel local trouve son affirmation dans le cadre de la politique de la
Ville, excluant ainsi une grande partie du territoire national. Cet encadrement législatif et
réglementaire est donc implicitement basé sur l’idée de différenciation et de particularisme
dans le traitement de ces territoires. Nous pouvons supposer que l’enjeu de l’injonction
participative se situe au niveau de cette inégalité de traitement entre les territoires, au
travers de cette discrimination positive et de ce qu’elle révèle quant aux représentations de
ces quartiers et de leurs habitants.
43
Le problème de la « crise des banlieues » et la visibilité médiatique des émeutes
urbaines dans certains quartiers, notamment en 2005, a contribué à faire émerger une
certaine représentation des habitants de ces territoires. Considérés à la fois comme des
victimes de la société, à l’écart du fait de leur condition sociale et de leur appartenance
territoriale, et parallèlement comme potentiellement enclin à produire des réactions
violentes et négatives, leur participation a été conçue comme une compensation de leur
condition mais aussi comme un rempart au mécontentement. La nécessité de leur attribuer
un traitement particulier provient de ce double mouvement de victimisation mais aussi de
stigmatisation.
L’institutionnalisation de l’injonction participative comme dispositif compensatoire en
est un révélateur, tout comme les diverses mesures de discrimination positive que comporte
la politique de la Ville. Elle se justifie par les difficultés que présentent les publics
défavorisés mais aussi comme contrepartie (implicite) à l’effort que fait la nation à leur
intention.
3.1.3. … et une certaine représentation des destinataires
Comme le décrit Jacques Donzelot (2003) la conception française de la participation
renvoie à celle de « citoyenneté », entendue comme un ensemble de droits et de devoirs
auquel l’individu doit répondre. Ce recours à la référence à la « citoyenneté » républicaine
(et aux devoirs des citoyens) a été accentué avec le retour de la question de l’insécurité au
début des années 2000 dans l’actualité. Encore une fois, ce sont certains quartiers, et par
conséquent certains citoyens, qui sont spécifiquement visés par l’injonction à une plus
grande « citoyenneté ». « Cette notion aux contours flous correspond à un devoir-être
(participer, voter, sortir du registre de la plainte) plus souvent demandé aux couches
dominées (jeunes, immigrés, chômeurs, habitants des cités) qu’aux autres membres de la
société » (Fijalkow, 2002 : 87).
Contre ce phénomène d’exclusion de certains membres de la société et dans le but de
pallier les mécontentements dans les territoires qualifiés de « sensibles » ou défavorisés,
l’idée d’augmenter la proximité (des services publics notamment) s’est développée. Elle
visait à restaurer la confiance politique (rapprocher les élus des citoyens), rétablir du lien
social (rapprocher les institutions des usagers et les usagers entre eux) et reconstruire
44
l’efficacité publique (coller à la demande sociale afin de produire les réponses appropriées).
« La justification implicite (…) est que le renforcement des liens de proximité,
l’organisation de petites actions communautaires par en bas, vont empêcher l’individu de
basculer dans l’exclusion, et le quartier de se dégrader complètement et de devenir une
zone de relégation » (Bresson, 2007 : 124).
45
3.2. DES ENJEUX STRATEGIQUES ET POLITIQUES
3.2.1. Participation et paix sociale
L’injonction à la participation des habitants s’est construite comme une nécessité pour
restaurer la citoyenneté dans certains territoires où elle apparaissait comme défaillante ainsi
que pour contrebalancer leurs « handicaps ». L’enjeu pour les pouvoirs publics est
d’impliquer les habitants de ces territoires afin de bénéficier de leur expertise d’usage du
quartier et donc de coller au mieux à leurs attentes et besoins mais aussi d’empêcher les
conflits qui pourraient naître.
Faire que les habitants prennent part aux décisions implique qu’ils ne pourront les critiquer
par la suite et que d’autres mesures pourront être envisagées sous le couvert de cette
participation. Ainsi cette implication renvoie aussi à un « objectif de prévention de la
résistance aux décisions qui seront prises ultérieurement sans participation des citoyens »
(Raymond, 2009 : 12). Un des enjeux de la participation des habitants dans les quartiers de
la politique de la Ville est donc aussi cette volonté d’acquérir une certaine paix sociale.
L’écoute de ces voix permet aux gouvernants de recenser les difficultés du quotidien et
de prendre la mesure du degré d’adhésion des habitants aux politiques et différentes actions
en
projet,
facilitant
par
conséquent
l’anticipation
des
potentiels
conflits
ou
mécontentements à venir et permettant de construire un discours et des réponses qui
tiennent compte de ces aspects.
3.2.2. Une pratique électoraliste
L’intégration du citoyen peut ainsi être comprise comme une manœuvre stratégique et
opportuniste de la part des gouvernants et notamment des élus pour qui elle peut
s’apparenter à une pratique clientéliste et de séduction d’un électorat catégoriel et par
conséquent constituer avant tout un processus conduisant à un gain électoral.
La référence à l’habitant dans les projets donne l’impression que l’action publique est
ainsi naturellement légitimée et le processus participatif abonde dans le sens d’une
régulation consensuelle de façade. Elle peut se présenter comme un instrument électoraliste
46
et de marketing public (ou politique, entendu au sens de « publicité » sur les actions
menées) pour les élus locaux.
3.2.3. Un instrument de légitimation de l’action publique
A l’échelon national, « faire participer » les habitants constitue aussi un outil de
légitimation et de restauration de la crédibilité de l’action publique. Ce point représente
même un des trois objectifs clairement affichés de la DIV quant à la participation des
habitants. En effet, elle permet de donner une cohérence et une justification à certaines
mesures, invoquant leur légitimité « d’en bas ». Ainsi, croire ou faire croire à la population
que les décisions prises viennent d’elles et de leurs avis participe à une œuvre de
justification et de persuasion ex-post de l’action publique.
La participation des habitants peut donc constituer une manœuvre stratégique
électoraliste au profit des élus et des institutionnels mais aussi un instrument d’apaisement
social des quartiers « sensibles ».
47
3.3. LES PRE-DIAGNOSTICS DE GUP : ENTRE GESTION CONCERTEE ET
SOUCI DE VISIBILITE
3.3.1. La participation comme garante de la proximité…
Dans le cadre de la mission de pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-du-Rhône,
l’enjeu affiché de la participation des habitants à cette démarche se situe dans son
renforcement potentiel de la proximité (dans les services et la gestion du quartier). Comme
l’a souligné Jacques Donzelot (2003), l’idéologie française promeut cette conception de la
« proximité » dans les quartiers d’habitat social. En effet, par le rapprochement entre les
services publics et la population, elle permettrait de créer du lien social sur ces territoires.
Ce rapprochement et cette volonté d’adéquation des services publics dans les quartiers
constituent un des objectifs premiers de la GUP, comme le stipule le cahier des charges de
l’Acsé : « Il s’agit également de développer la qualité des services rendus aux habitants ».
Par conséquent, afin de rendre la gestion de proximité la plus efficiente possible, la
commande prévoit la mise en place d’un partenariat dans lequel les habitants sont des
acteurs à part entière. L’intégration de ces derniers dans la démarche est requise de toute
évidence afin de recueillir leurs expériences pratiques et leur expertise d’usage du quartier.
Ils sont amenés à fournir aux autres participants leurs connaissances du quartier en tant
qu’observateurs de première ligne et « experts » des pratiques du territoire. Le but de ces
pré-diagnostics étant de produire un « diagnostic partagé » du périmètre observé par
l’ensemble des acteurs concernés, leur participation est nécessaire. Néanmoins, leur avis
n’est pas clairement requis en ce qui concerne leurs attentes et besoins.
3.3.2. … et de la visibilité des institutions
A cet enjeu affiché de produire un diagnostic partagé et d’apporter des connaissances
d’usages du quartier en question aux autres acteurs participants à ces pré-diagnostics,
d’autres enjeux de l’implication des « habitants » dans cette démarche peuvent être
analysés. En effet, rappelons-le, cette commande a été engagée par l’Acsé dans le cadre du
plan Espoir Banlieues, initié en 2008 par la secrétaire d’Etat Fadéla Amara et concernant
48
les 215 quartiers classés « prioritaires » dans ce dispositif. Ce plan (appelé aussi parfois
« dynamique ») consacre, parmi ses objectifs, de restaurer la place de l’Etat dans la
politique de la Ville et la volonté de le rendre plus visible dans les banlieues. Ainsi, la
création des postes de Délégués des Préfets en charge de la cohésion sociale et de l’égalité
des chances en 2009, en tant qu’agents référents dans les quartiers politiques de la Ville,
illustre ce propos. La circulaire de la DIV du 30 juillet 2008 précise :
« Leur mission : renforcer la présence de l’Etat dans les quartiers les plus
prioritaires, en vue de faire remonter les dysfonctionnements et les réussites, et
d’être les interlocuteurs de proximité de l’ensemble des intervenants locaux
présents sur le terrain. (…) Ces derniers sont des vecteurs de connaissance des
quartiers, reconnus par les préfectures et les services déconcentrés de l’État, des
correspondants de proximité des élus, des chefs de projet et des associations
œuvrant sur les quartiers. ».
Le délégué du Préfet d’un secteur CUCS de la ville de Marseille résume bien cette
volonté : « C’est l’Etat qui finance une grande partie de la politique de la ville et on
l’oublie trop souvent. Donc moi je suis là pour ça, pour montrer que l’Etat est là, qu’il agit
dans les quartiers et que c’est lui qui paie ».
L’un des objectifs des pré-diagnostics de GUP est donc de réaffirmer la présence de
l’Etat dans les quartiers prioritaires. La méthode du « diagnostic en marchant » par la
visibilité physique qu’elle offre, est un instrument de mise à vue. La visite de quartier
(d’une demi-journée), la présence de participants de la plupart des institutions et
administrations, mais aussi de la société civile (nous préciserons la composition de cette
« société civile » ultérieurement) permet, via le relai que constitue le délégué du Préfet, de
souligner le rôle de l’Etat (notamment financier) dans la politique de la Ville auprès des
institutions locales et collectivités, mais aussi auprès du secteur associatif et des habitants.
De plus, la visite en elle-même, de par sa forme (une vingtaine de participants parcourent le
quartier avec des fiches d’observation) provoque la curiosité des personnes présentes et par
conséquent, permet la démonstration de la présence « sur le terrain » de ces institutions et
leur volonté d’action auprès de la population. Le fait d’associer à cette démarche des
« habitants », ou tout au moins des personnes du monde associatif agissant sur le quartier,
49
constitue une voix de transmission de la démarche auprès d’autres personnes vivant sur le
territoire.
L’exemple de cette commande montre bien que la « participation des habitants » est
recherchée dans la politique de la Ville en tant qu’elle permet, outre une meilleure
connaissance du « terrain » et par conséquent une meilleure adaptation et un ajustement
plus efficace des dispositifs aux réalités empiriques, le développement d’un marketing
public, au profit ici de l’Etat central.
50
3.4. LE DIAGNOSTIC SOCIAL : ENTRE CONSULTATION ET LEGITIMATION
3.4.1. Une connaissance des habitants et usagers
Concernant la mission de diagnostic social d’une cité HLM des Bouches-du-Rhône, la
participation des habitants se limite à leur information et consultation quant à leurs souhaits
et attentes. L’enjeu est bien ici de recueillir des données auprès de la population occupante
afin de définir leurs caractéristiques (économiques et socio-démographiques) ainsi que leurs
pratiques, usages et besoins. La consultation doit donc alimenter les connaissances quant à
la maîtrise d’usage, qui serviront par la suite dans la définition d’un projet (démolitionreconstruction). Elles permettront une adéquation et une adaptation des programmes aux
usages, et par conséquent participeront de la pertinence et de l’efficacité du projet. Mais pas
seulement.
3.4.2. Un outil stratégique et politique
Cette étude pré-opérationnelle intervient dans le but de bénéficier d’une opération
ANRU isolée. Or, l‘enquête publique et la consultation des locataires dans la phase amont
du projet est une des conditions pour pouvoir prétendre au financement de cette Agence.
Olivier Thomas (2003 : 153) définit ce type de « participation » comme une
« consultation de principe », permettant par la suite aux gouvernants (à la commune ici en
l’occurrence) de légitimer les décisions prises, par le fait qu’elles correspondent aux
besoins exprimés par les habitants (besoins identifiés par l’enquête réalisée par le bureau
d’études). L’enjeu sous-tendu est que « le projet (…) a à être construit comme « désirable »
et que c’est là, probablement, que la communication (de projet) a un rôle important à jouer
ainsi que les différentes formes de concertation mobilisables » (Noyer et Raoul, 2008 : 7).
Le préalable consultatif constitue donc un instrument de légitimation des actions qui seront
engagées, mais aussi un outil permettant le ralliement d’une partie des enquêtés au projet.
Nous nous rapprochons donc ici de l’enjeu de légitimation de l’action publique mais aussi
de paix sociale énoncés précédemment dans la démarche participative.
51
Précisons aussi que dans le cadre de cette mission, le commanditaire (la commune) et
le bailleur social dont relève le patrimoine locatif présentent des intérêts communs très
forts. En effet, le maire de cette commune est aussi le vice-président de l’Office HLM en
question. Les enjeux de l’opération à venir se trouvent donc mêlés sur différents niveaux.
La connaissance de caractéristiques et toute autre information sur les habitants de cette cité
sont inévitablement un enjeu politique et électoral fort pour le maire, mais aussi d’ordre
professionnel pour ce même maire en tant que vice-président de l’office HLM. En témoigne
le fait que le courrier d’information concernant l’étude et le passage des enquêteurs a pris 3
mois de retard d’envoi car des questions de communication politique était en jeu pour cette
personne aux multiples casquettes professionnelles. Finalement, le courrier a été signé avec
les deux statuts (de maire et de vice-président du bailleur social), alors que l’appel d’offre
et le financement de l’étude relèvent de la commune uniquement. Ajoutons à cela qu’une
pression forte a été mise par la commune afin de disposer des résultats de l’enquête deux
semaines avant la fin du délai de la mission. Une visite sur la cité nous a permis de
comprendre les raisons de cette pression. En effet, de nombreuses affiches placardées dans
la cité annonçaient la visite prochaine du maire sur ce secteur, visite prévue avant la date de
rendu de l’étude par le prestataire. Nous pouvons supposer que le maire aurait certainement
souhaité avoir connaissance des résultats avant sa visite de terrain, dans une perspective
communicationnelle et électoraliste.
L’exemple de cette commande illustre bien l’utilisation, voire l’instrumentalisation, de
l’implication des habitants (par l’information et la consultation) à des fins politiques, mais
aussi dans le but d’obtenir une enveloppe financière pour la réalisation d’une opération de
restructuration urbaine. Rien cependant n’indique que les résultats de l’étude de
consultation seront suivis et que la « parole » des habitants sera prise en compte. Comme
l’a souligné un locataire enquêté : « On nous entend mais on nous écoute pas ».
Ces deux missions, par les exemples qu’elles fournissent, mettent en lumière
différentes formes de la participation que peut prendre cette injonction dans le champ de la
politique de la Ville, mais aussi les différents enjeux qu’elle implique.
Certains d’entre eux sont clairement affichés et relèvent de la volonté pour les institutions
et politiques d’accroitre leurs connaissances du terrain ainsi que de bénéficier de l’expertise
d’usage des habitants. D’autres relèvent plutôt de stratégies et manœuvres politiques et
52
institutionnelles visant à transmettre un message ou une image, à améliorer une
communication, voire à utiliser cette implication à des fins instrumentales. Dans le cas des
pré-diagnostics de GUP, l’enjeu sous-tendu principal renvoie à l’affirmation de la présence
de l’Etat dans les banlieues. Concernant le diagnostic social, le but est de mener une
opération de restructuration urbaine en évitant les potentiels conflits futurs en affichant une
écoute des habitants et en anticipant de possibles contestations.
53
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
« L’objet de la concertation se décline (…) en forme d’accréditation de la communication
de projet bien plus qu’en prise de risque démocratique ».40
Cette première partie nous a permis un recadrage tant au niveau historique que
réglementaire de l’injonction à la participation des habitants dans les dispositifs de la
politique de la Ville. Nous avons ainsi pu analyser et comprendre les origines, la
signification mais aussi les enjeux de cette prérogative.
Ainsi, il nous semble important de rappeler le caractère systématique de l’injonction
participative depuis les années 1980 en France dans la politique de la Ville, mais aussi sa
dimension territoriale spécifique. Les contours de cette notion restent cependant flous, tant
au niveau réglementaire et législatif qu’au regard des modalités d’application qui sont
prévues. La mise en pratique de cette prérogative semble souffrir de ces confusions.
L’observation et l’analyse des textes, documents et discours qui y sont relatifs révèlent
le caractère discriminatoire de cette injonction à travers une certaine représentation des
publics auxquels elle s’adresse. De plus, aux enjeux affichés de co-construction des projets
afin de satisfaire au mieux les attentes et besoins de ces populations, s’ajoutent d’autres
enjeux dont la finalité vise moins à l’amélioration du bien-être des « habitants ». En effet,
comme nous l’avons décrit, la participation des habitants constitue aussi un outil
d’instrumentalisation au service du politique. « (…) la notion de concertation, prise à la
fois dans des temporalités complexes, dans des stratégies de restructuration de territoires
et leurs implications symboliques, dans les enjeux politiques locaux et leurs ramifications
nationales… ouvre, de par son flou définitionnel, sur un jeu duquel les acteurs qui la
promeuvent tirent parti pour signifier volonté d’écoute, d’attention, de prise en compte et
faire valoir l’image d’une institutionnalisation consensuelle de la concertation. » (Noyer et
Raoul, 2008 : 10-11)
40
Noyer et Raoul, 2008 : 11.
54
L’étude de terrain que nous avons menée lors du stage au sein du bureau d’études nous
a permis d’observer deux exemples particuliers de missions dans lesquelles la participation
des habitants était prévue. L’analyse des cahiers des charges de ces commandes a d’une
part confirmé le caractère confus de cadrage de la notion de « participation » mais aussi de
celle d’ « habitants » et d’autre part révélé une dimension parfois politique et de nombreux
enjeux en cours derrière cette injonction.
À présent, il semble intéressant d’étudier dans quelle mesure cette prérogative est
appliquée sur le terrain. Comment, malgré le flou juridique, conceptuel et réglementaire, la
« participation des habitants » est-elle mise en place ? À l’aide des données empiriques
recueillies sur le terrain, nous allons procéder à l’analyse de la mise en œuvre de
l’injonction à la participation, de ses difficultés ainsi que des interactions et jeux de pouvoir
qu’elle produit.
55
DEUXIEME PARTIE :
La participation des habitants : des pratiques
controversées.
56
Nous avons décrit précédemment les origines de l’affirmation de la participation des
habitants comme prérogative indissociable des dispositifs de la politique de la Ville. Ainsi,
systématiquement prévue, elle souffre néanmoins d’un manque de définition quant à ce
qu’elle désigne mais aussi aux modalités de son application. Nous pouvons donc supposer
que sa mise en place est soumise aux interprétations des professionnels et équipes
opérationnelles en charge de la mise en œuvre des dispositifs territoriaux. En effet, parmi
les pré-diagnostics de GUP auxquels nous avons participé, nous n’avons pu relever qu’un
seul territoire sur lequel l’implication des « habitants » (selon la conception française, à
savoir de citoyens organisés) est apparue effective et participant de la construction des
actions et projets à venir. La faiblesse de cette proportion est significative des conséquences
du flou décrit précédemment mais aussi peut-être d’autres facteurs inhérents aux outils
mobilisables et au système d’acteurs impliqués.
Nous pouvons donc nous interroger sur les difficultés relatives à la mise en œuvre de
la participation des habitants. Dans quelle mesure cette injonction est-elle applicable ?
Quelles sont les difficultés rencontrées par les acteurs institutionnels ? Qui sont les
« habitants » invités à participer ?
Nous travaillerons dans cette seconde partie sur l’aspect opérationnel de la
participation des habitants. Nous nous interrogerons sur l’établissement de cette prérogative
dans les faits, sur le terrain. L’étude des données empiriques relevées au travers de notre
observation participante constituera ici le point de départ de notre analyse sur les réalités de
l’ application de l’injonction participative. Les données utilisées relèveront en majorité de
la mission de réalisation de pré-diagnostics de GUP. En effet, la mission de diagnostic
social se situant dans le cadre d’une étude pré-opérationnelle de définition, la décision
d’engager un projet ou une réhabilitation n’a pas encore été prise par la commune et dépend
des résultats de l’étude41. Il n’est donc pas possible de voir les suites qui y seront apportées
ni comment sera utilisée l’enquête : quelles seront les décisions prises, et dans quelle
mesure les habitants seront informés, associés, concertés, à la suite du projet s’il y en a une.
41
Notons que le rapport du bureau d’études a été rendu au début du mois de juin 2010 à la commune
commanditaire et qu’à ce jour (septembre 2010), aucune réunion relative aux conclusions de cette étude ainsi
qu’aux suites à y apporter n’est programmée. Dans l’hypothèse où cette réunion n’aurait pas lieu avant la fin
2010, un nouveau diagnostic social devrait être réalisé car les données recueillies début 2010 nécessiteraient
alors une mise à jour. Dans ce cas, la deuxième phase serait alors repoussée d’encore quelques mois.
57
Cette seconde partie s’articulera autour de trois questions sur la réalité de la mise en
place de la participation des habitants dans la politique de la ville, à travers l’exemple des
deux missions réalisées dans le cadre du stage au bureau d’études ChOrus :
Comment fait-on participer ? Qui participe effectivement ? Quelles sont les conséquences
et enjeux de cet ajustement ?
Ainsi, dans un premier temps nous analyserons les moyens entrepris par les équipes
opérationnelles42 pour mettre en place la participation mais aussi, et surtout, les difficultés
auxquels ils se confrontent.
Dans un deuxième temps, nous nous attacherons à décrire les acteurs réels de la
participation, et en particulier les intermédiaires et « personnes ressources » auxquels les
institutions et collectivités ont recours dans le processus participatif.
Enfin, nous nous interrogerons sur la représentativité de ces acteurs ainsi que sur les
interactions régissant leurs rapports avec les institutions et administrations.
42
Du CUCS ainsi que des délégués du Préfet dans le cadre des pré-diagnostics de GUP.
58
IV. Comment s’applique la participation ? Un aveu
d’impuissance des opérateurs
« Il serait important d’impliquer les habitants dans cette démarche, mais bon, on sait
que c’est compliqué et que la plupart du temps on n’y arrive pas. Par expérience, on sait
que c’est rarement le cas ». Ce constat a été énoncé lors de la réunion préparatoire au
lancement des pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-du-Rhône, en Préfecture, par un
membre de l’Union Sociale pour l’habitat. Elle reflète une réalité constatée mais aussi le
discours majoritaire relevé lors de nos observations auprès des équipes opérationnelles des
CUCS et délégués du préfet.
En effet, lors des quatre mois de stage, force a été de constater l’aveu d’impuissance
quasi-généralisé des opérateurs de terrain quant à la démarche participative, lorsque celle-ci
était évoquée. Parmi les 17 quartiers programmés dans la 1ère phase de pré-diagnostics dans
les Bouches-du-Rhône, nous avons pu participer à 12 d’entre eux et avons relevé un quasiéchec de l’implication des habitants à cette démarche. Ainsi, parmi les 12, 3 secteurs n’ont
fait l’objet d’aucune tentative de recours aux habitants ou associations implantées sur le
quartier dans la démarche partenariale requise, 8 ont intégré des partenaires associatifs ou
sociaux de terrain, et 1 seul a bénéficié d’une véritable volonté d’impliquer de façon la plus
exhaustive possible les acteurs représentatifs des habitants du territoire et dont une majorité
d’entre eux réside effectivement dans le quartier en question.
Ce constat apparait plutôt négatif en rapport à la prérogative qui était donnée
d’impliquer les « habitants » dans cette démarche. Il est important de souligner aussi que
pour le secteur faisant exception par sa réussite en matière de participation, les membres de
l’équipe opérationnelle ont avoué que cette mise en œuvre s’avérait très difficile et
demandait beaucoup d’énergie et une très forte volonté.
59
4.1. LES DIFFICULTES RENCONTREES
4.1.1. Des connaissances de terrain parfois insuffisantes
La raison principale de cet « échec » de la participation semble renvoyer aux
difficultés instrumentales et pratiques mais aussi à un manque de formation des personnels
sur les moyens à engager pour mener à bien ce processus.
Dans les 8 quartiers où une tentative a été faite d’intégrer des « habitants »43, nous
avons pu noter une relative volonté de la part des équipes opérationnelles de remplir cette
prérogative. Pourtant dans la moitié des cas, leur aveu d’impuissance quant aux moyens de
faire participer les a contraints à réduire cette démarche a minima en invitant uniquement
les représentants d’associations avec lesquelles elles avaient déjà eu des contacts,
concernant d’autres questions. Dans les 4 autres cas, la réunion préalable à la « visite en
marchant » permettait aux équipes opérationnelles de s’interroger sur l’existence et la
nature des associations présentes sur le secteur, et de questionner le bailleur, lorsque celuici y était associé, sur la présence et le contact d’éventuelles « personnes-ressources » du
quartier. Ce manque de connaissances des acteurs de terrain s’explique, pour ces 4 secteurs,
par le fait que les chefs de projet, venaient d’intégrer ce poste de façon assez récente (dans
les 6 mois précédents). Cette situation représente un tiers des secteurs étudiés, et d’autres
changements de poste sont intervenus ultérieurement à notre période de stage. Il existe, en
effet, un fort turn over au sein de ce secteur professionnel, notamment à Marseille. Cette
situation a pour conséquence de ralentir l’avancée des actions en cours, mais aussi, pour le
sujet qui nous intéresse ici, d’accroitre les difficultés de mise en œuvre d’une participation
des habitants. Par manque de connaissances du quartier, des professionnels de terrain, des
associations de locataires, et des habitants, le chef de projet n’a pas encore créé de relation
de confiance avec des « relais de terrain » ou « personnes ressources ».
43
Nous mettons ce terme entre guillemets afin de souligner le fait que ce ne sont souvent pas des habitants du
secteur qui ont été saisis mais plutôt des acteurs de terrain, mais que ces acteurs représentent les habitants aux
yeux des opérateurs. Nous reviendrons plus loin sur ce point.
60
L’invitation de participants « habitants » à la visite en marchant est ainsi limitée : soit
aucun « habitant » n’est associé à la démarche, soit ne le sont que des personnes
spécifiquement identifiées (et se pose alors la question de leur représentativité).
4.1.2. Des délais limités
Une contrainte à la participation des habitants aux pré-diagnostics de GUP ayant été
évoquée par les chefs de projet et délégués du préfet faisait référence au temps imparti à la
préparation de la mission. En effet, du fait du retard pris par la Préfecture pour le lancement
de la première phase de programmation des pré-diagnostics dans les Bouches-du-Rhône, les
délais impartis à la mission s’en sont trouvés réduits. Par conséquent, dans les secteurs où
les opérateurs n’avaient que peu de connaissances du terrain ou d’interlocuteurs
« habitants » de terrain, le temps leur a manqué pour mener à bien une investigation leur
permettant d’identifier des « personnes-ressources » avant la date de la visite en marchant.
Par ailleurs, le cahier des charges prévoyant 3 jours de mission par quartier, il est clair
qu’elle ne permet pas la mise en œuvre, à elle seule, d’une démarche participative sur un
temps si restreint. Rappelons aussi que dans le cadre de la mission de diagnostic social
d’une résidence HLM, la question du temps, trop court, prévu par la commande, a constitué
un frein majeur à l’instauration d’une démarche participative, qui demande un
investissement dans la durée et des actions pérennes. Cette question des délais et de leur
adéquation constitue un obstacle de taille à la participation des habitants. Une autre
dimension contraignante a été soulevée à lors d’un Atelier Régional de la Ville relatif à la
participation (CRPV – PACA, 2007 : 22) : « Comment concilie-t-on la question du temps
(temps du projet ou du mandat) et le temps de la démarche participative (que l’on nous a
présenté comme chronophage) ? ».
4.1.3. Une formation insuffisante
Un grand vide juridique et un flou certain sur les modalités d’application de la
participation règnent, comme nous l’avons décrit précédemment. Par conséquent, il est
parfois difficile pour les équipes opérationnelles de savoir comment la mettre en œuvre.
61
Plusieurs d’entre elles ont avoué leur impuissance un niveau des moyens à saisir et à
mettre en place pour une démarche participative. A l’heure actuelle, ces professionnels ne
sont pas formés à l’instauration de cette démarche et sont souvent enfermés dans
une logique et des pratiques bureaucratiques. Ils préfèrent, le plus souvent, s’en remettre à
des acteurs externes (bureaux d’études, associations) pour les appuyer, voire pour leur
confier des missions relatives à la compétence participative. Le corps institutionnel manque
donc cruellement de formation et d’informations quant à l’application d’une démarche
participative, malgré son inscription systématique dans les dispositifs qu’il doit mettre en
place.
Cet aveu d’incapacité se traduit par une externalisation de cette injonction mais aussi
par la demande pour certains de bénéficier de formation leur permettant de répondre euxmêmes à cette prérogative. « La demande de bonnes pratiques, de méthodologie, de
formation, d’information, de la part des techniciens, d’agents territoriaux ou simplement de
personnes civiles engagée dans des processus participatifs s’est faite entendre » (CRPV –
PACA, 2007 : 28)
62
4.2. ET UN MANQUE DE VOLONTE
4.2.1. Une pertinence remise en cause
En ce qui concerne les trois secteurs pour lesquels l’équipe opérationnelle n’a pas jugé
utile de faire participer des « habitants », deux cas se sont différenciés.
Dans le premier cas (1 territoire), l’équipe avait une bonne connaissance des
associations œuvrant sur le quartier mais jugeait qu’elles n’étaient pas représentatives des
habitants (et justifiait cette idée par le fait qu’elles étaient très peu fréquentées par les
personnes résidant sur le quartier). N’ayant pas d’interlocuteurs « habitants » et invoquant
la restriction à 20 personnes pour la visite en marchant, l’équipe a décidé de ne pas
convoquer d’habitants mais s’est engagée à reproduire la démarche du pré-diagnostic en
marchant ultérieurement avec des habitants du quartier, dans la perspective d’élaborer une
charte de GUP à plus long terme44.
Dans le deuxième cas de figure (2 territoires) où aucun « habitant » n’a été invité à
participer à la visite en marchant, les raisons étaient différentes. En effet, le chef de projet
(qui est le même sur ces deux quartiers) a estimé qu’il n’était ni nécessaire ni pertinent
d’associer des « habitants » à la démarche. Deux raisons semblent avoir déterminé ce choix.
La première concerne la volonté de ne pas divulguer d’informations, notamment quant aux
projets en cours afin de ne pas susciter de crainte ou de « rumeurs » parmi la population. La
deuxième raison est directement liée puisqu’elle renvoie à un aveu d’appréhension très fort
de la part de ce chef de projet par rapport aux « habitants ». Il a, à plusieurs reprises,
exprimé sa « peur » des habitants, de leurs réactions, de leurs critiques et a ainsi souhaité
que tout se déroule dans la confidentialité la plus totale. De ce fait, il a aussi imposé que les
visites en marchant sur ces deux secteurs se déroulent le matin « car il y a moins de monde
dehors ». De plus, par de nombreuses questions posées, il s’est assuré auprès du bureau
44
Ce quartier venait d’engager un chargé de mission GUP afin de mettre en place une charte sur le quartier
dans un délai d’un an. Ce poste étant nouvellement mis en place, le pré-diagnostic réalisé avec le bureau
d’études devait permettre d’initier une démarche plus longue, et donc de répéter l’exercice de la visite en
marchant avec différents partenaires et à plusieurs reprises. Le chargé de mission devait alors dans les mois à
venir engager une investigation afin de repérer des « personnes-ressources » à associer ultérieurement à ces
démarches.
63
d’études que ce dernier se « chargerait » des éventuelles interpellations d’habitants au cours
de la visite en marchant.
4.2.2. Huis-clos institutionnel et opacité
La crainte des habitants et de leurs réactions, mais aussi la volonté de ne pas dévoiler
certaines informations ont été observées de façon récurrente et constituent deux facteurs
désincitatifs à l’implication des habitants par les équipes opérationnelles. Par conséquent,
peu de chefs de projet jouent la carte de la transparence vis-à-vis des acteurs noninstitutionnels, ce qui explique que certains ne mettent rien en œuvre pour impliquer les
habitants dans le pré-diagnostic de GUP. Pour la même raison, quelques uns insistent lors
des réunions préparatoires sur le caractère confidentiel de certaines informations sur les
projets en cours ou à venir et prévoient un discours commun auquel toutes les personnes
informées doivent se tenir.
L’exemple est significatif de la crainte des opérateurs de voir divulguées des
informations sur les projets en cours et les conséquences possibles : réactions négatives des
habitants, propagation de rumeurs sur le projet, etc. La 1ère phase de programmation des
pré-diagnostics de GUP devait concerner 18 quartiers des Bouches-du-Rhône mais
seulement 17 ont pu être réalisés. En effet, un des pré-diagnostics a dû être reporté à la
demande du bailleur social en charge du patrimoine sur ce quartier car il craignait que cette
démarche révèle les projets qu’il avait entrepris. Le Président de l’office HLM a téléphoné
à l’équipe opérationnelle du CUCS du secteur afin de demander l’annulation ou le report du
pré-diagnostic par peur que des éléments d’information soient communiqués lors de cette
démarche pour laquelle avaient été invitées des associations de locataires. L’organisme a
menacé de ne pas participer au pré-diagnostic (remettant ainsi en cause l’efficacité de la
mission). Craignant de détériorer ses rapports avec le bailleur, l’équipe opérationnelle a
demandé à la Préfecture de reporter le pré-diagnostic (et de le déplacer à la 2ème phase de
programmation), demande qui lui a été accordée. Cet exemple illustre bien les pratiques
opaques qui peuvent avoir lieu et notamment les stratégies de communication établies
envers les habitants. Nous avons, à travers ce cas particulier, un exemple d’obstacle à la
participation des habitants, et postulons l’hypothèse que ces pratiques ne sont pas isolées.
Soulignons aussi le fait qu’en acceptant de décaler le pré-diagnostic, la Préfecture, au nom
64
de l’Acsé, accepte ce type de pratiques et par conséquent la cautionne, en même temps
qu’elle se doit d’être le garant des modalités d’application de ces pré-diagnostics parmi
lesquelles la participation des habitants est une composante forte.
4.2.3. Une question de priorité
Lors des réunions préparatoires et donc de la définition des participants à inviter en
tant que partenaires des pré-diagnostics, la liste était établie par les équipes opérationnelles
selon un ordre identique dans la quasi-totalité des cas auxquels nous avons pu assister.
Les institutionnels à associer étaient désignés en premier lieu, et généralement, selon
un ordre hiérarchique. S’ensuivaient la liste des techniciens de la CUMPM45 ou de la Ville,
puis celle des professionnels de terrain (des centres sociaux, gardiens des bailleurs,
médiateurs du CUCS, etc). Tous ces acteurs constituaient a priori pour les opérateurs
CUCS et délégués du préfet les incontournables partenaires à inviter, soit que leur action
sur le terrain soit directement liée à la GUP, soit que, pour des raisons économiques ou
politiques, le fait de ne pas les convier aurait constitué une faute. À ce stade d’élaboration
de la liste, le nombre de participants était déjà souvent très conséquent (entre 15 et 20
personnes) et il ne restait donc que peu de place (voire aucune) pour les « habitants ». Le
« sacrifice » de partenaires intervenait alors au détriment de la catégorie des « habitants »,
considérés par conséquent comme moins incontournables que les autres, selon les priorités
des opérateurs. Ces choix étaient parfois justifiés par le doute qui était alors émis sur la
pertinence d’associer les habitants à cette démarche « trop technique pour eux ».
4.2.4. Un constat admis et accepté
Les difficultés des institutions publiques dans à la mise en place de la participation des
habitants aux dispositifs sont nombreuses. L’exemple de ces obstacles dans la démarche de
pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-du-Rhône confirme ce constat.
45
CUMPM : Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole.
65
Cet aveu d’impuissance des équipes opérationnelles semble admis, voire accepté,
comme le prouve le comportement de la Préfecture, garante du bon fonctionnement de cette
mission. En effet, la Préfecture doit veiller au respect des modalités prévues dans le cahier
des charges. Pourtant, elle-même semble fermer les yeux sur le déficit de participation des
habitants aux pré-diagnostics.
Consciente de cette lacune (rappelons que la Préfecture valide la liste des participants
associés à la visite en marchant et leur envoie les invitations), elle n’a néanmoins à aucun
moment (même dans les secteurs où aucun «habitant », usager ou acteur associatif de
terrain n’avait été convié) émis le moindre désaccord. De plus, comme nous l’avons décrit,
elle a accepté le report d’un pré-diagnostic sur demande du bailleur social qui ne souhaitait
pas qu’une quelconque information quant aux projets à venir ne soit divulguée aux
habitants.
Un sentiment consensuel de renoncement semble donc peser sur la prérogative
participative et la connaissance et l’acceptation des difficultés liées à sa mise en œuvre ne
paraissent pas remises en cause. En effet, « la participation prend du temps, requiert de la
pédagogie, de la transparence » (CRPV- PACA, 2007 : 16) et ces conditions ne sont que
trop rarement réunies.
66
V. Qui participe ? Le recours aux intermédiaires et « personnes
ressources »
La définition de la notion d’ « habitants » dans le dispositif participatif présente des
contours flous, comme nous l’avons précisé précédemment. Par conséquent, ce qu’elle
relève est soumis à interprétation de la part des opérateurs qui doivent ainsi composer avec
les textes et les possibilités mises à leur disposition. Face à ces difficultés, le recours à des
intermédiaires ou « personnes-ressources » censées représenter l’ensemble des habitants et
fournir des informations sur leurs attentes et besoins est quasi-systématique.
Nous allons ici analyser comment, dans la pratique, est comprise cette catégorie
d’ « habitants », et qui, dans les dispositifs opérationnels, est appelé à participer. Nous
décrirons, par conséquent, tous les acteurs qui interviennent dans les processus participatifs,
leurs rôles et leurs apports auprès des institutions.
Nous nous attacherons à présenter dans quelle mesure les habitants (au sens de
« résidents du quartier ») sont impliqués, et plus particulièrement qui est cette minorité qui
participe. Cette précision nous permettra de mieux comprendre et appréhender la pratique
opérationnelle.
Ensuite, nous porterons notre attention sur les professionnels de la médiation et tenterons de
comprendre en quoi ils sont devenus des acteurs incontournables de la participation.
Enfin, nous présenterons le secteur associatif en tant qu’intermédiaire et « relai de terrain »
pour les opérateurs.
Lors de la mission de pré-diagnostics de GUP nous avons pu constater que très rares
étaient les habitants (au sens de « résidents du quartier ») non impliqués dans une
quelconque structure (association de locataires, association socio-culturelle, autre structure
du quartier) parmi les personnes invitées en tant qu’ « habitants ». En effet, le plus souvent,
les opérateurs requéraient, pour cette catégorie, des membres de structures (associations,
amicales, collectifs), résidents ou non du quartier.
Peu d’habitants-résidents sont identifiés par les institutionnels en tant que « personneressource » du quartier. Pour être plus précis, parmi les 12 quartiers pour lesquels nous
avons réalisé les pré-diagnostics de GUP dans le cadre du stage, le recours à ce type
67
d’habitant-résident n’appartenant à aucune organisation du quartier n’est intervenu que
dans un seul cas. Dans les autres situations, (excepté les 3 secteurs où aucun intervenant
« habitant » n’a été convié), les habitants-résidents conviés à la visite en marchant étaient
impliqués dans une organisation ou structure du quartier (ce qui justifiait le fait qu’ils soient
connus et identifiés par les opérateurs).
Pour ce cas unique si la personne-ressource ne relevait pas d’une structure du secteur, elle
en faisait néanmoins partie auparavant. Ainsi, son identification par l’équipe opérationnelle
était antérieure à sa désaffiliation et c’est en effet par son rattachement passé à une
organisation qu’elle avait été amenée à remplir la fonction officieuse de personne-ressource
du quartier. Son inscription en tant que partenaire au pré-diagnostic se justifiait donc en ce
que son passé l’avait fait connaitre auprès des institutions et qu’elle avait conservé depuis
une relation d’intermédiaire entre celles-ci et la population. Cet exemple indique bien le
caractère exceptionnel, voire relatif, du recours à l’habitant-non-structuré en tant que
personne-ressource.
Cette démonstration illustre le recours, dans l’interprétation française admise de « la
participation », à des personnes « structurées » dans le quartier. Le terme de « personneressource » qui intervient en tant qu’informateur des pouvoirs publics et référent en matière
de connaissance du terrain, renvoie à une inscription dans une organisation, soit regroupant
des personnes résidant sur le quartier, soit faisant appel à des personnes extérieures mais
agissant sur ce même territoire. « Le chef de projet s’emploie ainsi à détecter les initiatives
locales émergentes qui favoriseraient les objectifs des conventions territoriales
opérationnelles et les programmes thématiques des contrats de ville » (Donzelot, 2003 :
208).
Le recours à des intermédiaires dans le cadre de la démarche participative et en tant
que représentants des habitants (aux yeux des institutions) est récurrent dans la politique de
la ville, voire institutionnalisé. Nous distinguerons deux pratiques des opérateurs dans le
recours aux intermédiaires et l’externalisation de la participation (qui mériteront d’être à
leur tour décomposées selon les particularités inhérentes à ces acteurs) : la médiation
comme nouvelle forme de la participation, et les associations comme relai incontournable.
Nous procéderons par conséquent à une identification des acteurs qui entrent en jeu auprès
des institutions en tant que relais de terrain : les bureaux d’études, les travailleurs sociaux,
68
les organisations de locataires et les associations (à vocation éducative, culturelle, socioculturelle, sportive, etc) intervenant sur le quartier.
5.1. LE DEVELOPPEMENT DE LA MEDIATION
La médiation est emblématique des changements survenus dans le champ de l’action
publique, et en particulier de l’action sociale, depuis les lois de décentralisation de 19821983. Ainsi, en accroissant la responsabilité à l’échelon local, la décentralisation a mené à
une recomposition complète de la répartition des compétences et des pouvoirs et à la mise
en place d’une nouvelle configuration de l’intervention publique avec l’externalisation de
certaines politiques sociales et le recours au secteur privé. De nouveaux niveaux
intermédiaires sont alors apparus, notamment dans les quartiers dits « sensibles ». La
médiation fait partie de ces nouveaux métiers de la régulation qui se sont largement
développés dès les années 1990. Ainsi, elle répond à deux dimensions de l’action publique :
sa nécessaire régulation, et la triangulation dans les rapports sociaux (dans le but de recréer
du lien social).
5.1.1. La professionnalisation de la relation aux habitants.
Ces deux fonctions justifient leur présence dans le champ de la politique de la ville, et
plus particulièrement dans les relations entre institutions et habitants. La médiation se situe
comme échelon intermédiaire entre ces deux types d’acteurs. Béatrice Muller (2005)
caractérise les fonctions de ce nouveau corps d’action. Ainsi, elle précise que les agents
chargés de la médiation sont considérés comme des révélateurs de la réalité sociale. Ils ont
pour caractéristique la professionnalisation de la relation avec la population. Ces métiers
ont émergé et se sont territorialisés, notamment à travers les emplois-jeunes dans les cités.
La fonction de médiation a été reprise par tous les types de structures agissant ou présentant
des intérêts sur le quartier : collectivités locales, bailleurs sociaux, transporteurs et
associations. Ce développement rapide et transversal des fonctions de médiation a fait
apparaitre ce que Maryse Bresson nomme la figure du « médiacteur » : « il est (doit être) un
stratège capable d’analyser les situations locales, d’établir des diagnostics issus de son
69
analyse, de construire des propositions de traitement (…) pour qu’elles soient soumises à
la réflexion et au débat de tous les partenaires. » (2004 : 107).
5.1.2. Un relais d’informations
La description des fonctions de la médiation nous apporte un éclairage sur les raisons
qui poussent les institutions à faire appel à ces « professionnels de la relation aux
habitants » (Muller, 2005 : 165) comme intermédiaires et personnes-ressources. Parfois, un
secteur CUCS dispose de son propre médiateur, qui devient alors pour le chef de projet le
principal informateur. Les « médiacteurs » permettent donc d’avoir des « remontées de
terrain ».
Précisons qu’en plus de cette fonction de relai des connaissances de terrain envers les
institutions, ces professionnels (pouvant être issus de structures diverses comme nous
l’avons évoqué précédemment), sont aussi des relais des informations provenant des
institutions envers les habitants. Ils se situent au centre de relations triangulaires, comme
passeurs d’informations, mais aussi régulateurs des potentiels conflits que ces informations
peuvent engendrer. Cette relation intermédiaire particulière leur confère un positionnement
central, que nous ne manquerons d’analyser ultérieurement.
5.1.3. Secteur privé et médiation
Les bureaux d’études remplissent eux aussi des fonctions de l’ordre de la médiation,
tout comme certaines associations, au sens où ils se situent comme échelon intermédiaire
entre les institutions (collectivités, bailleurs sociaux, Etat) et les habitants. Leur
financement (par « commande » ou au travers des subventions pour les associations), les
place dans une relation marchande avec ces institutions pour lesquelles ils doivent assurer
certaines fonctions. Faire transiter l’information et la communication du commanditaire (le
« discours commun » construit en amont), rassurer les habitants, prévenir et résoudre les
conflits et faire remonter les données de terrain constituent une large part de ces fonctions.
En cela, le bureau d’étude peut être considéré comme un intermédiaire auquel ont recours
les institutions comme personnes-ressources.
70
À travers les informations fournies par le prestataire dans le cadre de ses missions
(suite aux diagnostics, évaluations, etc.), et selon la conception française de la participation
des habitants telle que nous l’avons explicitée, le recours au bureau d’études peut être
assimilé à un instrument d’implication des habitants. Cette implication doit être comprise
au sens où elle confère des outils de connaissance du terrain, tel que le précise Pascal
Nicolas-Le Strat (2003 : 128) : « La consultance, en s’appuyant sur un travail d’évaluation
et de diagnostic, est susceptible d’apporter de nouveaux éclairages, une meilleure visibilité
de l’action, une plus grande pertinence d’argumentation ». En interrogeant les habitants sur
leurs pratiques et leurs besoins, en réalisant des études quant à leurs usages et modes
d’habiter, mais aussi en diffusant de l’information, le bureau d’étude « fait participer » les
habitants46. La note de cadrage sur la participation de ChOrus atteste de cette mission du
cabinet d’études (12):
« Pour être un bon « relais de l’information », il doit être un analyste des
expressions des différents acteurs, un traducteur et un « facilitateur » (…) »
(p.5), « (…) la démarche participative est récente, du moins dans une conception
réorientée et implique un changement dans les cultures aussi bien des habitants
que des institutionnels. Les deux pôles d’acteurs sont donc aussi déterminants et
le travail de consultation, de médiation et de catalyseur des bureaux d’étude,
ONG, … doit porter simultanément sur ces deux pôles ».
Ainsi, lors des pré-diagnostics de GUP, les cabinets d’études en charge de missions
sur le quartier concerné (MOS47, MOUS48, OPAH49, RHI50, etc.) étaient convoqués,
notamment en qualité de « porte-parole » des habitants, au même titre que les associations.
Néanmoins, il nous semble important de souligner à nouveau la relation
commerciale qui unit institutions (bailleurs sociaux, collectivités locales et territoriales) et
cabinets privés. Dans cette relation, les institutions lorsqu’elles sont commanditaires,
46
Rappelons que cette conception de la participation correspond à sa signification française telle que décrite
dans la première partie de ce travail.
47
Maîtrise d’Oeuvre Sociale.
48
Maîtrise d’Oeuvre Urbaine et Sociale.
49
Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat.
50
Résorption de l’Habitat Insalubre.
71
s’apparentent à des « clients » des bureaux d’études. Cette interaction peut agir comme un
biais dans la représentativité présumée de ces professionnels du secteur privé. Il s’avère
parfois difficile pour ces derniers d’éviter des négociations et compromis avec les
institutions. Soulignons que le positionnement déontologique propre à chaque cabinet
d’études joue ici un rôle déterminant. L’enjeu (et la complexité) tient à satisfaire le
commanditaire et la population sans se compromettre ni être instrumentalisé.
72
5.2. LES ASSOCIATIONS : QUI SONT-ELLES ?
Au sein des 9 territoires sur lesquels un pré-diagnostic de GUP a été réalisé avec une
implication des habitants (tentée ou effective), les équipes opérationnelles ont à chaque fois
invité des représentants d’associations présentes sur le quartier. Au même titre que le
bureau d’études, ces associations sont convoquées en tant que « représentants de la parole
des habitants » et « experts » du terrain auprès des institutions. Leur rôle est donc
primordial, bien que controversé. Leur diversité (d’actions, de financeurs, de personnels,
etc.) permet de les différencier selon deux types : les associations ou organisations de
locataires, souvent revendicatrices et en position adversative face aux institutions, et les
associations à vocation culturelle, sportive ou sociale, qui entretiennent souvent des
rapports partenariaux et des relations positives avec les administrations. Ainsi, l’une se
compose d’habitants-locataires du quartier, unis pour défendre leurs intérêts, et l’autre de
professionnels d’activités à vocation socio-culturelle51, externalisée de l’action publique et
dans une relation de dépendance vis-à-vis des institutions, notamment du fait des
subventions qu’elles lui accordent.
5.2.1. Les associations de locataires : une posture adversative
Le premier type d’associations identifié correspond donc aux organisations de
locataires et s’apparente à « un groupe d’intérêts à vocation identitaire » (Braud, 2001 :
51).
Ces organisations sont constituées d’habitants-résidents, regroupés dans le but de
faire-valoir leurs droits (notamment auprès du bailleur social et des institutions) quant à
l’habitat et au cadre de vie. Ils se positionnent comme des acteurs revendicateurs, voire
contestataires. Le fonctionnement de l’organisation est assuré par les cotisations de ses
adhérents et un local lui est parfois (dans le meilleur des cas) prêté par le bailleur social. Le
profil de ses membres peut être décrit par un bon niveau de connaissances du
fonctionnement locatif et administratif et par des compétences techniques, notamment en
matière de législation relative à l’habitat et aux droits civiques. Nous avons pu observer que
51
L’acception « professionnel » renvoie ici à la spécialisation des membres et à la salarisation de leur activité.
73
ces personnes sont souvent à la retraite, donc relativement âgées, et consacrent une part
importante de leur temps à l’association dont ils font partie.
La question de leur représentativité se pose donc, malgré l’intérêt général des
locataires qu’ils semblent défendre. Bien que leur légitimité représentative soit couramment
remise en cause par les autres acteurs de terrain, ils constituent, aux yeux des
institutionnels, des partenaires incontournables à associer aux projets. Du fait de leur
influence (et de leur connaissance des institutions et des moyens de pression), les
opérateurs ne peuvent se permettre de les écarter.
Dans le cadre des pré-diagnostics de GUP, nous avons pu observer que bon nombre de
chefs de projet réfutaient leur pertinence et leur représentativité. Beaucoup ne souhaitaient
pas véritablement les inviter à la visite en marchant, du fait de leur caractère protestataire,
mais évoquaient la nécessité de les associer malgré tout afin d’éviter d’envenimer des
relations parfois déjà conflictuelles.
Malgré leur invitation à participer, nous avons pu remarquer que leur parole n’était pas
prise en considération et qu’aucun crédit n’était accordé à leurs requêtes lors du prédiagnostic. Le fait de les impliquer comme partenaires s’apparente plus à une démarche
habile qu’à une volonté d’écoute des informations qu’ils peuvent fournir. Consigne a même
été faite au bureau d’études par un chef de projet et un délégué du préfet de contenir la
parole du Président de l’association de locataires lors de la visite en marchant afin « qu’il
ne nous ennuie pas avec des préoccupations qui ne concernent que lui ». Précisons que le
président en question apostrophe de façon régulière la presse locale pour dénoncer les
conditions de vie et d’habitat de la cité dans laquelle il vit, raison pour laquelle l’équipe
opérationnelle n’a pas pris le risque de l’évincer de la démarche de pré-diagnostic,
craignant des conséquences médiatiques. Il a néanmoins saisi tous les médias locaux et
rédigé une lettre à la secrétaire d’Etat Fadéla Amara à la suite de la visite en marchant,
s’insurgeant contre le fait que les logements n’aient pas fait l’objet d’observation52.
Cet exemple illustre la figure de l’ « habitant-protestataire » (Noyer et Raoul, 2008 : 85) à
laquelle les institutions ne portent aucun crédit quant à la représentativité ni aux
informations qu’elle transmet, mais qui constitue un acteur incontournable lorsque l’on
parle de « participation des habitants ».
52
Rappelons que les pré-diagnostics de GUP ont pour objet l’observation des espaces extérieurs et du cadre de
vie mais ne prévoient pas l’intégration de l’intérieur des logements à cette observation.
74
5.2.2. Les associations socio-culturelles : une posture ambigüe
Le second type d’associations identifié correspond aux associations à vocation
sociale53, sportive, cultuelle, humanitaire, éducative ou culturelle, et dont le financement,
voire la création, relèvent des institutions (collectivités locales ou Etat…). Elles ont pris le
relais des actions auparavant assurées par les pouvoirs publics et qui tendent de plus en plus
à être externalisées et reléguées au secteur associatif. Elles sont considérées comme des
« groupes d’intérêts supports d’une cause » (Braud, 2001 : 52).
Ces organisations sont constituées de professionnels des activités proposées et parfois
de bénévoles, ne résidant que rarement sur le quartier où se situent leurs activités. En effet,
certaines d’entre elles ont installé leurs locaux dans les quartiers prioritaires de la politique
de la ville car cela leur permet de prétendre à plus de subventions de la part des pouvoirs
publics et ont, de ce fait, adapté leur activité au public de ces territoires. Leur existence et
leur pérennité sont soumises aux subventions et financements publics. Elles se situent par
conséquent dans une relation de dépendance vis-à-vis des institutions et doivent justifier et
légitimer chaque année leur présence et leur action. Cette dépendance constitue une
contrainte par rapport à leur projet et oblige à un encadrement de leur action.
Par exemple, dans le cadre des CUCS elles doivent répondre à un appel à projet et être
choisies pour pouvoir bénéficier de fonds publics. Ainsi, elles doivent correspondre au
mieux aux prérogatives et thématiques annoncées par le CUCS et se retrouvent en
concurrence entre elles pour l’obtention des financements. En 2010 par exemple, le thème
de la « citoyenneté » était à l’honneur dans l’appel à projet des CUCS de Marseille :
« L’axe citoyenneté est par nature transversal à l’ensemble des priorités du Contrat Urbain
de Cohésion Sociale, et peut donc être considéré comme devant être pris en compte par
tous les programmes territoriaux et chaque acteur social »54. Face à une concurrence de
plus en plus grande, les associations doivent tenter de « coller » au mieux aux prérogatives
annoncées. L’appel à projet précise que les objectifs du CUCS seront pour 2010 : l’appui à
la vie associative, l’accès aux droits sociaux, la lutte contre toutes les discriminations, et la
participation des habitants et associations.
53
54
Nous incluons dans cette catégorie les centres sociaux.
Extrait de l’appel à projet du CUCS de Marseille 2010, p.1.
75
Dans une logique de dépendance, ces structures doivent en permanence défendre et
justifier leur action. Pour cela, la victimisation des habitants (et donc la nécessité d’agir
POUR eux) et leur positionnement en tant que « porte-parole » de ces derniers et relais des
informations de terrain constituent deux facteurs sur lesquels elles s’appuient et qui leur
confèrent une légitimité sur le territoire.
En effet, ces acteurs locaux doivent justifier et négocier leur présence et leurs
compétences : « (…) la coordination entre les secteurs privé, public et civique (associatif et
humanitaire), (…), repose la question des différences de normes et de valeurs entre les
acteurs ainsi que celle de la légitimité de leur présence dans le champ d’action considéré »
(Fijalkow, 2002 : 81). Par conséquent, ces acteurs locaux s’auto-proclament représentatifs
des habitants et se positionnent comme des acteurs de la démocratie. Ils agissent aussi
comme des gestionnaires de la participation des habitants en revendiquant des actions pour
le développement de la citoyenneté (pour lequel leur financement est conditionné), de
l’intérêt et de la compétence des citoyens pour la chose publique.
Ainsi, « les centres sociaux revendiquent de façon plus générale de faire émerger la
citoyenneté en œuvrant dans la proximité pour intéresser les citoyens aux enjeux
politiques » (Bresson, 2004 : 100). Elles constituent donc un interlocuteur privilégié pour
les pouvoirs publics dont elles dépendent. Cependant, « le professionnel de la participation
propose un service organisé, qui ne laisse qu’une très faible part d’initiative aux citoyens
ordinaires (…) » (Bresson, 2004 : 109). Nous affirmons que ces structures sont des acteurs
de la démocratie représentative mais que leur revendication participative est plus
controversée par le fait qu’elles se posent comme relais entre citoyens et institutions
(position qu’elles entretiennent, notamment pour des raisons économiques) et se saisissent
de toute initiative d’ « en bas ».
Le recours généralement fait aux intermédiaires et personnes-ressources en lieu et
place de la participation des habitants soulève la question de la représentativité de ces
acteurs et de leur présence comme groupe de pression. Elle interroge aussi sur ce qu’induit
la « participation », qui, a priori, ne signifie pas « représentation ». De plus, la pratique
externalisée, via la médiation et le recours aux associations, semble contrainte par la
relation marchande qui unit le cabinet d’études et son commanditaire et la dépendance
économique qui lie le secteur associatif aux institutions.
76
VI. A qui profite la participation ? Interactions et stratégies
d’acteurs dans le processus participatif
« Dans la pratique, les citoyens d’un territoire n’agissent pas individuellement mais
ils prennent part à l’action publique dans un cadre associatif » (Raymond, 2009 : 17). Les
structures intermédiaires remplissent en effet un rôle de capteur des initiatives citoyennes et
constituent, comme nous l’avons signalé auparavant, un relais entre les citoyens et les
institutions. Par conséquent, elles peuvent être considérées comme un instrument au service
de la participation des habitants.
Cependant, plusieurs questions se posent quant à leur représentativité et à la notion
d’intérêt général dont elles revendiquent le monopole, ainsi qu’aux relations qu’elles
entretiennent avec les institutions. Soumises aux subventions publiques pour leur
fonctionnement, elles développent des relations de connivence avec les institutions
desquelles elles sont économiquement dépendantes et justifient leur existence notamment
par les liens qu’elles entretiennent avec la population.
Elles doivent, d’un côté, affirmer leur caractère de représentant du terrain afin de
légitimer
les
subventions
qu’elles
perçoivent,
et,
de
l’autre,
négocier
leur
instrumentalisation par les pouvoirs publics.
6.1. LES ASSOCIATIONS : DES REPRESENTANTS DE LA SOCIETE CIVILE ?
Nombreuses sont les connivences qui existent entre les institutions et les associations
financées par les pouvoirs publics et les cabinets d’étude. La relation de dépendance
économique et commerciale impose un biais de taille, et leur marge de manœuvre, s’en
trouve contrainte. Les missions confiées aux cabinets d’étude exigent le plus souvent
(notamment dans le cadre des diagnostics) de rencontrer tous les locataires du secteur
concerné. Par conséquent, le prestataire est à même de porter la voix de la population de
façon quasi-exhaustive sur le sujet pour lequel il l’a interrogée.
77
6.1.1. La question de leur légitimité
Les structures associatives (nous parlerons ici uniquement du deuxième type
d’associations décrit précédemment, et exclurons donc les associations de locataires) ne
rencontrent que les habitants qui viennent participer à leurs activités. Elles n’ont de relation
qu’avec les personnes qui s’investissent et par conséquent ne connaissent pas les opinions
des autres. Certains habitants isolés ou ne participant pas aux actions organisées dans le
quartier ne se verront donc pas représentées par les associations auprès des institutions. Le
fait que ces structures n’est affaire qu’à une partie de la population d’un territoire constitue
un biais important dans la question de leur représentativité.
6.1.2. Des porte-parole de l’intérêt général ?
Les intérêts qu’elles prétendent ainsi porter n’ont pas un caractère exhaustif et ne
peuvent être assimilés à l’intérêt général des habitants du territoire. Elles sont les
représentantes d’intérêts particuliers : les leurs d’abord, mais aussi ceux des publics qu’elles
accueillent. Pourtant, les institutions leur confèrent un caractère représentatif exhaustif
puisque, comme nous l’avons démontré, elles associées par les opérateurs à ce titre. Ainsi,
comme le note ….. « (…) une association est toujours constituée autour d’une perception
particulière des questions de société. Elle n’est donc pas nécessairement représentative de
la société dans son ensemble » (Raymond, 2009 : 17). La perception des opérateurs du
quotidien de vie des habitants des quartiers dont ils sont en charge est guidée par les intérêts
particuliers relayés par ces groupes.
Ces organisations se présentent comme des représentants légitimes de la société civile
et des garantes de l’expression démocratique. Cependant, elles sont avant tout porteuses
d’intérêts particuliers liés à leur activité, et ne peuvent être considérées comme
représentantes de l’intérêt général. « L’observation des faits montre que la démocratie n’est
pas, au quotidien, le triomphe de la loi du plus grand nombre mais, bien davantage, une
culture de négociation avec les représentants de revendications minoritaires » (Braud,
2001 : 54). En ce sens, elles peuvent être définies surtout comme des groupes d’intérêt,
78
agissant pour leur propre cause et celle de la portion des habitants (et usagers) qu’elles
représentent.
Ces associations considérées par les pouvoirs publics comme représentatives des
habitants, représentent et défendent des intérêts propres. Ce constat pose la question de la
construction de ces collectifs comme représentants de la société civile mais aussi de
l’influence qu’elles exercent et des conséquences qui en découlent. En effet, « les décisions
prises favorisent les parties actives (les présents) au détriment des parties non-actives (les
absents) » (Raymond, 2009 : 24). Qu’en est-il en effet des habitants qui ne fréquentent pas
ces structures et dont les intérêts divergent des leurs ? Comment sont-ils représentés ? Dans
quelle mesure sont-ils, par conséquent, exclus de la participation ?
Comme nous l’avons signalé, la liste des personnes-ressources confiée au bureau
d’études par les opérateurs et leur implication dans les dispositifs (pré-diagnostics de GUP
et diagnostic social) a valeur de « participation des habitants ». Néanmoins, ajouté à la
question de la validité de cette démarche comme participative, cette pratique interroge sur
la représentativité des personnes ainsi identifiées, leur stabilité et leur constance dans le
temps, impose un cadre biaisé. En effet, puisque ce sont les institutions qui désignent les
personnes et structures à impliquer, ne peut-on pas s’interroger sur les rapports qui les
lient ?
Quelles relations entretiennent ces deux pôles d’acteurs ? Quels sont les intérêts de chacun
dans le rapport qui les lient ? Quels bénéfices tirent-ils de cette collaboration ? Quelles
stratégies développent-ils pour promouvoir leurs intérêts ?
79
6.2. UNE RELATION D’INTERDEPENDANCE
6.2.1.
L’organisation de la participation : une posture stratégique
Les associations se situent à l’interface entre les institutions et les citoyens d’un
quartier qu’elles côtoient. Coincées entre la nécessité de répondre aux prérogatives des
institutions (pour des raisons économiques) et la volonté de porter au mieux les attentes des
habitants (pour lesquels elles rendent un service), elles développent des stratégies à double
entrée.
Elles ont un intérêt stratégique à jouer le jeu de la démocratie participative, tel qu’il
leur est demandé par les pouvoirs publics. Elles sont désignées comme acteur de ce
processus, mais aussi gestionnaires de la participation des habitants. Leur financement est
conditionné à la réalisation d’actions pour le développement de la citoyenneté, comme
indiqué précédemment, et « (…) sont amenés à gérer la participation comme une
commande publique » (Bresson, 2004 : 105).
En se revendiquant comme les interlocuteurs des pouvoirs publics, professionnels de la
relation aux habitants, elles se placent dans une position d’acteur incontournable de la
participation des habitants.
Ce statut leur confère un monopole qui garantit leur financement et par conséquent la
pérennisation de leur existence. Il leur octroie aussi une position avantageuse vis-à-vis des
institutions qui bénéficient de leurs connaissances de terrain, leur délègue la mise en place
de la participation sur le terrain55, et leur demande de jouer le rôle d’intermédiaire entre
elles et les habitants. Pour toutes ces raisons, les associations tirent profit de leur
positionnement à l’interface entre institutions et habitants56. Ainsi, elles peuvent exercer un
pouvoir d’influence (somme toute relatif) sur les décisions, et accéder à certaines de leurs
demandes. Lors de la restitution d’un pré-diagnostic de GUP sur un quartier du centre ville
55
Entendue au sens de la consultation, voire de la concertation.
56
Précisons que l’objet ici n’est, bien évidemment, pas de porter une accusation sur les pratiques de ces
associations qui agissent ainsi pour leur survie. Il s’agit de présenter un système de relations inter-acteurs et
ses conséquences pour la question qui nous intéresse ici, à savoir la participation des habitants dans les
quartiers de la politique de la ville.
80
de Marseille, plusieurs associations57 qui y avaient été associées à la démarche ont profité
de cette occasion pour plaider en faveur de leurs intérêts.
L’une en particulier a présenté un comportement illustrant bien ce que nous venons de
démontrer. En effet, cette association a pour activité la retranscription de « paroles
d’habitants » recueillies sur le terrain, par l’édition de petits livrets et via une émission de
radio hebdomadaire sur une antenne locale. Lors de la visite en marchant, elle a affirmé à
plusieurs reprises son positionnement en tant que porte-parole des habitants du quartier,
dont elle avait le monopole parmi les personnes présentes. Elle revendiquait clairement sa
connaissance des besoins et difficultés des résidents du territoire et se plaçait ainsi aux yeux
des opérateurs comme une personne-ressource importante du fait des informations qu’elle
leur fournissait. A l’occasion de la restitution du pré-diagnostic en marchant, cette personne
en a profité pour interpeller l’équipe opérationnelle sur le financement de son association
pour l’année à venir58, invoquant à nouveau son rôle de relais de la parole habitante et
prenant pour argument son intervention dans le cadre du pré-diagnostic de GUP59.
6.2.2. Institutions et externalisation : entre négociation et instrumentalisation
Cependant, au profit qu’elles tirent de leur statut d’interlocuteur privilégié des
institutions concernant la participation des habitants, est associée une contre-partie non
négligeable. Les enjeux de pouvoir se situent dans les deux pôles. Comme nous l’avons
présenté, ces structures sont dépendantes des financements publics et répondent donc à une
commande publique. Cette situation les oblige à entretenir des rapports clientélistes avec
leurs financeurs. Par conséquent, leur marge de manœuvre, d’autonomie et de liberté en est
contrainte et les institutions peuvent exercer un contrôle sur elles. Ainsi, elles doivent
composer avec le politique et sont parfois instrumentalisées. Elles doivent servir les
institutions en tant que relais de la communication des institutions auprès de la population.
De plus, leur dépendance économique les empêche de se constituer en contre-pouvoir et
57
Associations financées par le CUCS et qui, précisons-le, étaient les seules « représentants des habitants »
invités à participer à la démarche.
58
Cette restitution se situait en plein durant la période de redéfinition des CUCS et des subventions destinées
au secteur associatif.
59
Le financement de son association a depuis été reconduit.
81
donc parfois de soutenir et d’aider les habitants dans leurs initiatives. Ces salariés « (…)
sont devenus des médiateurs assez habiles pour rendre acceptable un projet aux habitants
d’une part, aux administrations décideurs d’autre part (…) » (Bresson, 2004 : 110).
La participation des habitants, via le recours à des structures externes, se trouve biaisée
par les rapports de force (économique, de pouvoir et d’influence) qu’entretiennent les
différents acteurs. Chacun des deux pôles (associations d’un côté, institutions de l’autre)
développe une stratégie lui permettant de servir au mieux ses intérêts propres et de défendre
la pertinence de son existence. Chacun négocie ses bénéfices et instrumentalise l’autre : les
associations revendiquent et façonnent leur position de représentant des habitants afin de
négocier leurs relations avec les institutions, et ces institutions, par le contrôle qu’elles
exercent sur ces associations, se servent de leur intermède pour diffuser un certain discours.
Une certaine relation de connivence, entre négociation et instrumentalisation les unit. Dans
ce contexte, la finalité n’est pas l’implication directe des habitants dans les processus de
décision, ni même la représentation de tous, puisque, comme nous l’avons souligné, ces
associations défendent des intérêts particuliers.
Institutions
et
associations
sont
contraintes
dans
une
relation
clientéliste
et
d’interdépendance60. La participation, à travers le recours aux intermédiaires, est donc
fortement biaisée.
60
Ce fonctionnement peut conduire à des dérives de détournement de fonds ou de pratiques clientélistes
illégales. A l’heure où nous écrivons ce mémoire, une affaire de ce type éclabousse Michel Vauzelle,
président socialiste de la Région PACA.
82
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
« L’action publique se construit ainsi, sous le signe d’une exception
généralisée, (…), dans la mesure où elle s’appuie sur des dynamiques
coopératives et interactives pour garantir sa réussite (eu égard à sa
puissance d’intervention, sa démultiplication) tout en les récusant dans le
même temps (en regard de son pouvoir de contrôle, sa souveraineté) ».61
Cette seconde partie de notre travail a mis en avant les difficultés évoquées par les
opérateurs pour la mise en place d’une démarche participative. En effet, « L’ambition trop
grande et plurielle de cette politique peut contribuer à expliquer sa difficulté à être à la fois
évaluée, à être perçue comme légitime et à éclairer les difficultés rencontrées par les
acteurs, notamment associatifs, qui veulent promouvoir des actions de proximité »
(Bresson, 2007 : 127).
L’analyse du déroulement des pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-du-Rhône a
confirmé ce constat d’impuissance des opérateurs d’impliquer les habitants dans la
démarche. Le manque de formation des acteurs à la participation des habitants, leur crainte
des conséquences de cette implication, leur doute sur sa pertinence, ainsi que leurs
difficultés à identifier les personnes correspondantes, contribuent au déficit de participation
que nous pu observer.
Les pratiques révèlent qu’à défaut de recourir à des démarches participatives directes,
les opérateurs s’adressent à des intermédiaires, professionnels de la médiation et de la
relation aux habitants. Ainsi, la participation s’opère via les acteurs de la médiation, mais
aussi les associations présentes sur le quartier. Ces acteurs de terrain sont considérés pour
les institutions comme des personnes-ressources, des informateurs de la vie sociale. Ils se
positionnent à l’interface entre institutions et habitants et jouent le rôle de transmetteur et
de tampon entre ces deux pôles. Pour cette dernière raison, ils constituent un instrument de
la participation par les « remontées de terrain » qu’ils transmettent.
61
Nicolas-Le Strat, 2003 : 88.
83
Les associations et structures financées par les pouvoirs publics ont une place
particulière auprès des institutions. Considérées comme des représentantes des habitants par
ces dernières, elles sont invitées (par la contrainte financière) à encourager et développer
les outils permettant une plus grande participation des habitants (entendue au sens d’un
accroissement de la citoyenneté). A la fois référents des institutions pour les connaissances
de terrain et à l’écoute des attentes des citoyens qui les fréquentent, elles disposent d’une
double reconnaissance. Néanmoins, pour maintenir et pérenniser cette position et leur
double légitimité, elles doivent se plier aux contraintes et au contrôle qui leur sont imposés
au travers du conditionnement de leur subvention. Prises dans une logique clientéliste, elles
disposent d’une marge d’action restreinte et d’un devoir de service aux institutions.
L’injonction à la participation des habitants se décline, en pratique, comme un recours
des institutions à des professionnels intermédiaires, désignés comme représentants, leur
permettant un va et vient avec le terrain et ses habitants. Nous sommes loin de la
conception idéologique visant l’implication directe des publics et la co-production des
décisions. Les pratiques correspondent plus à l’idée qu’ « (…) il s’agit de représenter la
société civile et de construire au fond un mode alternatif de démocratie représentative
chargé de formaliser le débat avec les groupes d’intérêt locaux » (Faure et Négrier, 2007 :
105).
Ces pratiques font courir le risque que les dispositifs participatifs échappent à
l’initiative des habitants et les en éloignent du fait de l’existence et du recours aux
intermédiaires et professionnels de la médiation. « Dorénavant, il est bien difficile pour les
citoyens de s’adresser au responsable légitime ou plus exactement au responsable légitimé
par le système » (CRPV – PACA, 2007 : 8).
84
TROISIEME PARTIE :
Les préconisations pour une démarche
participative effective
85
« Dès lors, si la gouvernance semble une politique sans sujet, ne peut-on craindre
que la participation devienne une politique sans objet ? »62
La participation des habitants constitue une prérogative quasi-systématique des
dispositifs de la politique de la ville. L’analyse de sa mise en application nous a permis
d’identifier les pratiques et les acteurs qui y sont associés, leurs relations et leurs stratégies.
À partir de ce travail, nous avons constaté des lacunes opérationnelles de la part des
institutions en ce qui concerne l’instauration d’une telle démarche, mais aussi un recours à
des acteurs intermédiaires et groupes d’intérêt désignés comme représentants des habitants.
Ces relations et pratiques renvoient à un processus plus proche de la représentation que de
la participation. De plus, ce système présente le risque d’éloigner les citoyens d’une
pratique directe de leur possible implication.
Dans quelle mesure la participation des habitants dans la politique de la ville peut-elle être
rendue plus efficiente et plus effective ? Quels sont les préalables au développement de ce
processus ? Quelles actions peuvent-être envisagées afin d’en améliorer la pratique ?
La participation des habitants telle qu’elle est actuellement pratiquée a besoin
d’ajustements pour devenir pleine et effective. Afin de définir des facteurs et actions qui
permettraient d’améliorer cette pratique, nous nous attacherons dans un premier temps à
analyser tous les obstacles qui s’y posent à l’heure actuelle. En effet, diverses contraintes
(de temps, de moyens, d’habitudes professionnelles, etc) réduisent les possibilités et
l’application de véritables démarches participatives. Nous identifierons et détaillerons ces
difficultés.
De plus, la participation requiert un contexte favorable à sa mise en place. Différents
préalables sont nécessaires pour permettre l’instauration d’une dynamique participative et
la mobilisation des acteurs (institutions, habitants). Nous présenterons donc ces conditions
indispensables au démarrage et au fonctionnement d’une démarche dans laquelle tous les
acteurs sont parties-prenantes.
62
Fijalkow, 2002 : 89.
86
Enfin, dans une dernière partie nous proposerons plusieurs préconisations pour pallier
les difficultés préalablement identifiées et différentes pistes d’actions.
Avant de développer plus particulièrement ces trois points, nous souhaitons préciser
que l’objet de ce travail n’est pas d’interroger sur la légitimité ou la pertinence de
l’injonction participative, ni même sur son inscription spécifique dans les territoires
de la politique de la ville. Cette prérogative existe et est, comme nous l’avons
démontré, sans cesse réaffirmée, tant sur le plan législatif que réglementaire ou
discursif. Par conséquent, les propositions d’actions qui suivront se situent dans le
cadre existant et sont destinées à être applicables. Cette dernière partie de notre étude
renvoie à l’objectif opérationnel qui est celui d’un mémoire professionnel. L’enjeu qui
est le nôtre ici est donc de réfléchir dans le champ des possibles et non dans la
déconstruction de la pertinence de l’existant.
87
VII. Les obstacles et limites à la participation
"Les gens ne se sentent pas partie prenante de la société. Ils ont le sentiment de ne
pas avoir d'existence politique. C'est une tendance longue, qui accompagne le
mouvement de ghettoïsation", Didier Lapeyronnie.
Afin de déterminer d’éventuelles solutions aux difficultés qui se posent pour organiser
la participation des habitants, il convient d’en présenter d’abord les principaux obstacles
récurrents. Plusieurs facteurs limitent les possibilités de mener à bien une démarche
participative sur les territoires de la politique de la ville. Sont majoritairement en cause les
contraintes administratives, financières ou politiques émanant des institutions elles-mêmes.
S’ajoutent des contraintes dues à la complexité technique et de langage relatives aux projets
sociaux-urbains. Enfin, la question de la compétence et du sentiment d’incapacité ressentie
par certains habitants rendent difficiles leur mobilisation.
7.1. DES MOYENS INSUFFISANTS
Parmi les principaux obstacles à la mise en place d’une démarche participative, les
modalités prévues pour son application ainsi que les outils mis à disposition des
professionnels sont en cause.
En effet, la participation demande, pour être effective, du temps et des moyens
adaptés. Elle exige que des outils soient déployés. Néanmoins, comme nous l’avons
observé, dans la majorité des missions confiées à des prestataires externes et pour lesquelles
la démarche participative est inscrite, le temps imparti est très court et ne permet pas de
l’initier. De plus, il est rare qu’un poste soit particulièrement attribué au sein des
institutions à cette mission. Présentée comme transversale, la participation relève de tous
les opérateurs… et de personne à la fois. Par conséquent, et sans stratégie d’action globale
pour un territoire, elle est souvent très limitée.
La démarche participative requiert aussi une inscription dans la durée et d’être sans
cesse réactivée. L’intervention de prestataires externes qui, dans la mesure de leurs moyens
88
et possibilités, participent de cette démarche (à travers la consultation, la concertation ou la
mise en place d’ateliers), est ponctuelle. L’action entreprise est soumise à la durée prévue
par le cahier des charges de la commande et ne peut donc être pérenne sans un soutien et un
pilotage institutionnel ou politique fort et durable. Dans les Bouches-du-Rhône, nous avons
signalé un taux de rotation important des opérateurs institutionnels qui ne permet pas
toujours de garantir la pérennité des démarches entreprises par leurs prédécesseurs.
Enfin, les lacunes au niveau de la formation des acteurs institutionnels, voire
associatifs, à développer et encourager une démarche participative, constitue un obstacle
pour sa mise en œuvre.
Il convient de souligner que la participation des habitants, au sens de leur implication
dans les décisions, est limitée. En effet, elle n’est possible que là où se situent des marges
de manœuvre dans un projet. Les contraintes d’ordre technique, financier ou temporel
encadrent et limitent les marges du possible. C’est ce que rappelle la note de cadrage sur la
participation de ChOrus : « Les habitants pourront réagir, sachant que les domaines de
changements possibles seront décrits comme le seront les contraintes incontournables,
pour que le discours soit clair et les marges de manœuvre bien comprises (…). (…) Dans la
phase opérationnelle ou de suivi du projet, les « outils » décrits précédemment participent
de la mise en œuvre de la « participation des habitants » : tables rondes, focus groups, …
Ils sont cadrés et réalistes et n’interviennent que sur les zones du projet où existe une
marge de manœuvre ». Il apparait donc nécessaire de prendre en compte la réalité de cette
contrainte lorsque l’on parle de participation.
Le sociologue Michel Monbeig décrit une autre limite provenant des institutions et
conditionnant la participation des habitants. « (…) nous disons que l’analyse faite par les
groupes dominants aux habitants s’apparente à un octroi ; elle est proche d’un registre que
nous qualifierons d’enrôlement ; la participation de l’habitant est possible mais à condition
qu’elle soit sous contrainte (maîtrise de la structure de l’échange instable et incertaine) et
correspondant au modèle proposé par le groupe dominant » (2007 : 44). Les normes et
conditions définies sont celles des institutions et opérateurs. Par conséquent, cela les place
en position de groupe dominant et contraint la participation à cet encadrement. La
répartition des pouvoirs se fait alors de façon asymétrique. Cette situation représente une
89
contrainte forte et une logique de « participatif contrôlé » (Avenel, 2007) : les institutions
ont tendance à vouloir encadrer, voire contrôler, les formes de la mobilisation.
Enfin, la question du politique peut poser des difficultés dans la mise en place d’une
dynamique participative. En effet, son instrumentalisation ou son utilisation à des fins
électorales ou clientélistes influe sur la démarche en elle-même et l’éloigne de ce qu’elle
devrait être.
« (…) lorsque l’intervention est réalisée par un tiers, on retrouve une certaine liberté de
ton, mais cette intervention est limitée dans le temps. A contrario, lorsqu’on fait confiance
à l’interne, on fait les frais de l’hégémonie du politique : on perd en liberté de parole »
(CRPV – PACA, 2007 : 22). La participation des habitants est une démarche, en l’état,
limitée et contrainte.
90
7.2. DES DIFFÉRENCES DE PERCEPTION
La perception de l’avancement de projets ou de la progression de la gestion d’un
territoire, sont ressenties différemment pour les acteurs professionnels et les habitants.
Ainsi, une remarque très souvent entendue lors des visites en marchant dans le cadre des
pré-diagnostics de GUP résume cette situation : « le temps des habitants n’est pas celui des
institutions ». Les temporalités sont vécues de façon différente selon que l’on vit sur un
territoire ou que l’on travaille à son amélioration. Lors des enquêtes que nous avons
effectuées pour le diagnostic social, les résidents interrogés évoquaient régulièrement cette
question du temps. Leurs discours révélaient souvent une impatience : leur impression était
que cela faisait des années que des programmes étaient annoncés, des études effectuées, et
que « rien ne se passait ». Leur sentiment était que les institutions cherchaient à les leurrer,
à les faire patienter, mais que rien n’allait se faire « sinon ils l’auraient déjà fait avant ».
Les opérateurs ont un rapport aux temps et aux délais radicalement différent. Ils ont
conscience que la mise en place et la réalisation d’un projet nécessite plusieurs années. Ce
temps long apparait d’autant plus long pour les personnes résidentes et qui sont en attente
d’une amélioration de leurs conditions de vie et d’habitat. Incompréhension et impatience
se mêlent ainsi, suivies d’un découragement. Les locataires rencontrés n’ont pas forcément
conscience des contraintes et délais nécessaires à la réalisation d’action. L’un d’entre eux
nous dit par exemple : « tracer des lignes au sol pour délimiter des places de parking, ça
prend une journée et ça coûte pas cher, alors vous allez pas me dire qu’ils peuvent pas le
faire ? Non, ils le font pas parce qu’ils s’en foutent de nous ! Eux ils sont bien, ils vivent
bien, et nous tout le monde s’en fout ». Ces conditions sont peu propices à l’établissement
d’une confiance entre institutions (bailleur, collectivités, mairies) et habitants.
Peu de communication est faite autour de la question des contraintes et démarches (et
par conséquent de la temporalité et des délais) pour effectuer des travaux ou lancer un
programme d’actions. Il en est de même au niveau des coûts de réalisation, souvent
minimisés par les non-professionnels.
Le manque d’information auprès des locataires, les temps d’attente perçus comme très
longs, les contraintes de gestion des institutions, provoquent chez certains habitants un
91
sentiment d’abandon. Dans un climat de suspicion, d’impuissance et de découragement, les
possibilités d’impliquer des habitants déçus et « qui n’y croient plus » est difficile.
De plus, il s’avère difficile de mobiliser des habitants sur des projets de grande
ampleur et nécessitant une inscription dans la durée. Ces grands programmes peuvent
paraitre abstraits du fait de leur ampleur et de leur étendue, mais aussi par leur technicité.
Les premiers changements pouvant intervenir seulement plusieurs mois ou années après
l’annonce du lancement du projet, cela constitue un obstacle dans l’appropriation par les
habitants et leur volonté d’implication. De plus, le faible taux de participation électorale
dans les quartiers d’habitat social montre un désengagement pour le politique et la chose
publique, notamment pour les raisons évoquées précédemment. Face à cette réalité de
démobilisation des habitants, les faire participer n’est pas chose facile. La question que
pose Maryse Bresson (2004) est de savoir : comment demander à quelqu’un qui se sent
exclu de participer au fonctionnement d’une société qui semble le rejeter ?
92
7.3. UN DÉFAUT DE CONFIANCE PARTAGÉ
Comme nous l’avons évoqué précédemment, les habitants n’ont pas confiance dans les
institutions car ils ont le sentiment (justifié ou non) que, in fine, leur avis n’est pas pris en
compte. Dans ce contexte, ils ne perçoivent pas d’intérêt à s’impliquer. Dans la balance des
coûts (en temps, énergie, etc.) investis et des bénéfices possibles, ils choisissent
rationnellement de ne pas s’engager.
A l’inverse, les institutions n’ont pas confiance dans les habitants. Certains opérateurs
remettent en cause la pertinence de les intégrer aux processus décisionnels. Ils évoquent
leur manque de compétences en la matière et leur méconnaissance des diverses contraintes
relatives à un programme (que nous avons décrites précédemment).
93
7.4. UN MANQUE DE LISIBILITÉ POUR LES HABITANTS
La politique de la ville se caractérise par une multiplicité de dispositifs et leur
empilement. L’actualité et l’exhaustivité de connaissance de tout ce qu’elle implique est
vaste et dense pour les professionnels du secteur, mais plus encore pour des habitants
« novices » et pas toujours informés. Cette complexité cognitive constitue un obstacle à la
participation des citoyens. Identifier les acteurs compétents, les politiques et leurs enjeux,
s’avère parfois complexe. Ce manque de lisibilité peut provoquer un sentiment d’incapacité
chez les citoyens et par conséquent contraindre la participation.
Le fouillis institutionnel (Avenel, 2007) et l’opacité ressentie quant au partage des
compétences et la multiplicité des interventions des institutions participent de la résignation
et du manque de mobilisation des habitants. En effet, la politique de la ville souffre d’une
logique d’empilement des divers dispositifs et d’un manque de clarté. L’opacité de ces
actions provient aussi d’un problème d’huis-clos institutionnel.
L’utilisation d’un vocabulaire technique, d’un langage expert est un autre facteur de
cette mise à distance entre profanes et professionnels. Ainsi, « pour participer à la cité, il
faut savoir et posséder quelques qualités pratiques qui permettent de se mouvoir dans le
monde proposé » (Monbeig, 2007 : 38).
Soulignons aussi le fait que la langue peut parfois constituer une barrière à la
participation. Lors du diagnostic social, nous avons été confrontés à 5 ménages63 (soit
environ 2,6% de l’ensemble) ne parlant pas suffisamment la langue française pour échanger
des opinions. Le bureau d’études a fait appel à un traducteur arabe pour 4 de ces ménages.
Le cinquième parlant uniquement une langue d’Asie, il ne nous a pas été possible d’obtenir
une quelconque information de sa part car le coût et le manque de temps ne permettaient
pas de faire appel à un traducteur dans ce cas. Par conséquent, les personnes de ce ménage
ont été « exclues » de la consultation.
63
Parmi les 195 ménages locataires de la résidence.
94
7.5. UNE COMPLEXITÉ GÉNÉRATRICE D’UN SENTIMENT D’INCAPACITÉ
La complexité à laquelle doit se confronter l’habitant « moyen » d’un territoire désigné
comme prioritaire est génératrice d’un sentiment d’incapacité. Il devient alors rationnel
pour lui de se désintéresser de ces projets.
Afin de participer et d’être considéré comme compétent et légitime, le citoyen doit
user des outils et instruments des institutions. Il doit intérioriser les normes dominantes et
les maîtriser. Pour cela, ils doivent a minima adopter les pratiques langagières, techniques
et expertes des opérateurs. Ces raisons conduisent parfois certains citoyens à s’autocensurer par intériorisation de leurs lacunes et difficultés à se sentir légitimes face aux
professionnels.
La participation suppose donc que les citoyens soient attentifs à la politique et aient les
outils pour la déchiffrer et l’interpréter. Seuls les agents socialement et culturellement
favorisés disposent des instruments pour participer. Ce problème révèle une tension entre
démocratie et expertise, entre citoyens-habitants et professionnels-opérateurs, et un malaise
certain.
Combler les lacunes en informations et technicité suffit-il à mobiliser et à rendre
compétents ? « (…) promouvoir la diffusion de l’information est voué à ne favoriser que la
participation de ceux qui disposent ex ante des aptitudes à assimiler cette information, et
non pas à combler les inégalités cognitives » (Thomas, 2003 : 149). Ce constat de
disqualification du public est accentué par l’apparition des professionnels de la participation
qui justifient la nécessité de leur activité par cette « incompétence » des habitants.
Ainsi, le problème de la gouvernance urbaine peut prendre l’allure d’une organisation
de la résignation (Thomas, 2003 : 150). « (…) l’habitant doit à la fois être un citoyen
pleinement investi de sa grandeur au point de saisir les contraintes techniques qui sont
intégrées au problème à traiter, altruiste au point d’abandonner ses égoïsmes pour
refonder le lien social » (Monbeig, 2007 : 39). Ce système favorise le développement d’un
paradoxe de la participation « sans participants ».
95
VIII. Les préalables à une démarche participative
La participation des habitants nécessite plusieurs conditions indispensables pour sa
mise en place. Prendre en considération les usagers et habitants à travers leur expertise
d’usage, informer et sensibiliser la population quant aux bénéfices d’une implication,
adapter les formes et la pédagogie de la participation aux acteurs concernés, disposer d’une
volonté et d’un soutien politique forts, et inscrire la démarche dans la continuité constituent
les préalables indispensables pour instaurer et favoriser la participation des citoyens.
8.1. ASSOCIER LES USAGERS ET PERSONNELS DE TERRAIN
La participation nécessite en premier lieu une considération envers l’expertise d’usage
des habitants, certes, mais aussi des usagers et personnels de terrain (commerçants,
gardiens, employés municipaux, travailleurs sociaux, etc). En effet, nous postulons que la
notion d’ « habitants » telle qu’elle est utilisée dans l’injonction participative englobe toutes
les personnes qui vivent ou agissent sur le terrain en question. Comme nous l’avons
observé, certains usagers d’un territoire sont fortement consultés au titre de représentants
des habitants. Néanmoins, la maîtrise d’usage, pour être exhaustive, nécessite la prise en
compte de tous : résidents et usagers. Leurs connaissances et pratiques du quartier, loin
d’être similaires, sont avant tout complémentaires et aucune ne doit être négligée.
Le processus participatif doit aussi permettre une plus grande compréhension et
communication entre les acteurs pour constituer une démarche constructive. Connaitre les
contraintes des personnels de terrain, mais aussi de tous les autres acteurs professionnels est
un préalable à des propositions constructives. Lors du diagnostic social mené, beaucoup de
locataires se sont plaints du fait que le ménage dans leur cage d’escalier n’était pas fait
correctement ni régulièrement. Tous imputaient ce désagrément à l’agent de nettoyage et
plusieurs souhaitaient qu’il soit remplacé. Un dialogue avec cette personne mettait en avant
les contraintes imposées par son employeur et la lourdeur de la tâche en rapport avec le peu
de temps qui lui était imparti pour l’effectuer. Cet exemple illustre la diversité des points de
vue, et la nécessité pour chacun de comprendre ceux des autres.
96
Usagers et habitants sont compris, aux yeux des institutions, comme une même entité
lorsqu’il s’agit de participation, comme nous l’avons démontré dans cette étude. Aussi, il
est nécessaire que ces deux pôles d’acteurs échangent et communiquent afin qu’aucune
voix ne soit privilégiée par rapport à une autre (et en particulier que celle des professionnels
ne surplombe pas celle des habitants comme c’est actuellement souvent le cas).
97
8.2. RENFORCER ET VALORISER LES ÉTUDES DE TERRAIN
La consultation des habitants est un préalable à une démarche participative. Elle en
constitue une étape indispensable. Ainsi, l’expertise et la maîtrise d’usage sont nécessaires
pour une meilleure connaissance des usages et pratiques des « habitants » du quartier.
Les institutions font appel, lorsqu’elles désirent disposer de ce type d’observations, à
des prestataires externes (cabinets d’étude, associations spécialisées, etc). Ces commandes
donnent lieu à des études à caractère socio-ethnographique, souvent très riches en
informations et établies sur la base d’une méthodologie empruntée aux sciences sociales, et
en particulier à la sociologie. Dans le cadre de nos missions, nous avons constaté que ces
rapports sont nombreux sur chacun des territoires rencontrés. Malheureusement, ces études
sur les modes d’habiter, les pratiques et usages des habitants sont insuffisamment prises en
compte. Ainsi parfois émergent et se construisent des projets inadaptés au territoire. De
plus, les moyens (financiers et de temps) alloués à ce type de commande sont trop souvent
insuffisants pour permettre au prestataire de mener à bien une investigation approfondie.
Les temps impartis à ces missions sont en général courts en regard de ce qu’elles
impliquent : 2 mois par exemple pour interroger 95 ménages et établir un diagnostic des
modes d’habiter, usages et besoins d’une résidence HLM. Le chercheur en sociologie
appréciera particulièrement cette difficulté.
Ainsi, nous souhaitons attirer l’attention sur le fait qu’une démarche participative doit
s’accompagner d’une attention particulière à la maîtrise d’usage. Il s’agira notamment de
renforcer ses moyens et de valoriser les enquêtes ethnographiques et analyses sociologiques
de terrain.
98
8.3. ADAPTER LA PEDAGOGIE DE LA PARTICIPATION
La mobilisation des habitants dans l’objectif de leur participation nécessite de les
élever au rang d’ « acteur » à part entière. Pour cela, une adaptation de la pédagogie
spécifique à ce groupe, comme aux autres, est indispensable.
En effet, l’aspect inhibant, évoqué précédemment, de la non-possession d’un langage
particulier (expert et technique) les met dans une position d’infériorité. L’information
divulguée par les opérateurs relève d’un vocabulaire formel et institutionnel. Le format
n’est, par conséquent, pas toujours adapté à l’insertion des citoyens dans le débat
démocratique. La méthodologie de la participation doit être spécifique aux acteurs
concernés, mais aussi adaptée au terrain d’intervention. Par ailleurs, « les rencontres, les
débats ne sont jamais dégagées des formes initiales de domination qui constituent l’espace
social. (…) Si quelque chose est possible dans la démocratisation de l’action publique (…),
c’est forcément sur une forme initiale négociée qui doit permettre la transaction »
(Monbeig, 2007 : 46).
Les formes de la participation sont déterminantes dans l’implication des citoyens au
processus. Elles doivent être attractives, mais aussi clarifiées et accessibles. Les formes de
réunion et d’animation ainsi que la transparence et la simplification des informations
concourent de la nécessaire pédagogie que la démarche réclame.
99
8.4. ENCOURAGER UNE CONFIANCE PARTAGEE DES ACTEURS
La négociation sur les formes de la participation et la démonstration d’une volonté
politique forte et soutenue sont des conditions à l’instauration d’une confiance entre
habitants et décideurs. Cette confiance est nécessaire si l’on souhaite que les citoyens
s’impliquent. Jacques Donzelot (2003) décrit la participation « à la française » comme une
dynamique produisant le consentement des habitants envers les décideurs. Il propose de
s’inspirer de la conception américaine dans laquelle la confiance constitue le moyen d’une
implication des habitants. Pour que cette confiance s’installe, les habitants doivent avoir la
possibilité de se placer comme un véritable groupe de pression, intégré aux démarches et
pris en compte comme tel.
La conception et les pratiques ayant cours en France, et que nous avons analysées
dans ce travail, tendent à considérer l’habitant comme bénéficiaire ou demandeur d’une
politique, plus que comme partie-prenante et co-décideur de celle-ci. Placer la population
au cœur des projets, la soutenir dans ses initiatives et organiser la concertation sont des
préalables indispensables à la construction d’une dynamique participative. Dans un premier
temps, le recours à des professionnels expérimentés dans la mise en place de ce type de
démarche, en soutien et conseil aux habitants s’avère nécessaire. L’efficacité d’un tel projet
est également soumise à une maîtrise d’ouvrage forte et une volonté politique effective. Les
initiatives et organisations ascendantes doivent être encouragées, soutenues et prises en
compte tout comme les conditions de faisabilité (incluant les contraintes et marges de
manœuvre possibles) clairement énoncées et explicitées dans une perspective de confiance
et de compréhension partagées.
100
8.5. ACCEPTER LA TRANSPARENCE
Une pratique courante des institutions consiste à élaborer un discours commun en
amont du démarrage d’une mission (lors du Comité de Pilotage précédant le lancement du
diagnostic social par exemple). Une des raisons de ce plan de communication réside dans la
crainte des opérateurs des possibles réactions des habitants.
Par l’élaboration d’un discours et d’une information maîtrisés, il s’agit de ne pas
inquiéter les habitants et de pallier de possibles rumeurs. De plus, certains opérateurs jugent
parfois que la divulgation d’informations doit être échelonnée dans le temps et
correspondre à un phasage stratégiquement calculé. Ce manque de transparence et le plan
de communication qui y est associé participent d’une stratégie politique, électoraliste ou
d’anticipation de potentielles contestations. Institutions, collectivités et prestataires
détiennent des ressources qu’ils protègent. Jacques Donzelot (2003) désigne cette pratique
du partenariat entre institutions unies par le secret par le concept de « magistrature
sociale ». En instaurant ce type de relations asymétriques, les institutions tendent à
dévaloriser et infantiliser les habitants. Dans un rapport dominé et manipulé, ces derniers ne
sont pas en mesure d’agir comme des acteurs à part entière, au même titre que les autres.
Toutefois, une démarche partagée, délibérative et associant les habitants ne peut
trouver sa pleine satisfaction dans un contexte d’opacité et de rétention d’information. Pour
qu’une action commune soit possible, les institutions doivent accepter de s’ouvrir aux
habitants. Ils doivent pouvoir accéder aux informations jusqu’alors gardées « secrètes »,
mais aussi aux mécanismes et stratégies (inter-acteurs, inter-institutions) qui entrent en jeu
dans les délibérations et la prise de décision.
La transparence est une condition sine qua non à la participation des habitants dans la
construction d’un projet.
101
8.6. INSCRIRE LA DEMARCHE DANS UNE TEMPORALITE APPRECIABLE
Enfin, la question du temps et de la continuité d’une démarche participative est
primordiale.
Elle doit être inscrite dans un temps long et, pour ce faire, être sans cesse réactivée et
réorganisée. De plus, il est important pour les habitants d’apprécier assez rapidement et
concrètement les effets et l’intérêt de leur implication dans un projet. Par conséquent, cette
contrainte implique que la démarche concerne tout autant des projets de grande ampleur
que des micro-projets pour lesquels la réalisation est plus rapide. Les habitants perçoivent
ainsi les bénéfices de leur participation dans le court terme.
La démarche participative n’est pas une dynamique spontanée. Elle nécessité des
conditions préalables à sa mise en œuvre. La transparence, la démonstration d’une volonté
politique et institutionnelle, une pédagogie adaptée et la perception des bénéfices de leur
investissement sont primordiaux pour qu’une relation de confiance partagée s’instaure.
102
IX. La mise en place d’actions spécifiques
La participation des habitants, dans son acception pleine et effective, requiert un
minimum de conditions au préalable. La dynamique pouvant être engagée dans un contexte
favorable, la mise en place d’actions spécifiques est nécessaire pour rendre la démarche
opérationnelle.
Cette dernière partie de notre travail présente le type d’actions à développer pour
encourager une participation et une implication des citoyens. Précisons toutefois que ces
préconisations se veulent extrapolables à l’ensemble du territoire de la politique de la ville
mais demandent un ajustement et parfois un complément pour chaque quartier concerné.
Les préconisations que nous proposons ici n’ont pas valeur à être exhaustives et nous
attirons l’attention sur le fait que chaque territoire est spécifique et que la prise en compte
de ses particularités est nécessaire. Les sciences sociales, et en particulier la sociologie et
l’anthropologie dans le cadre qui nous concerne, démontrent l’importance d’adapter la
réflexion et les dispositifs opérationnels à la singularité d’un territoire, de sa population, de
leurs usages et pratiques.
Nous n’avons pas la prétention de présenter ici des « solutions miracles » à la
question, très complexe, de la participation des habitants, ni même de proposer des pistes
d’actions à caractère exhaustif et universel. Les préconisations ci-dessous sont des pistes,
elles doivent donc être réinterrogées dans chaque cas, mais nous affirmons cependant
qu’elles comportent un intérêt certain pour le lancement d’une dynamique participative.
L’objectif n’est pas de promouvoir des bonnes pratiques mais de livrer des appuis
opérationnels.
Ces pistes proviennent d’analyses de chercheurs en sociologie et en urbanisme, mais
aussi de rencontres et d’ateliers avec des professionnels, et enfin de notre réflexion propre.
Aussi, nous proposons la diffusion d’une information transparente, adaptée et
partagée, la formation et la sensibilisation des acteurs à la démarche participative, le soutien
aux initiatives ascendantes, l’organisation d’ateliers urbains participatifs, la promotion et le
partage d’expériences, et enfin un encadrement contraignant.
103
9.1. UNE INFORMATION TRANSPARENTE, ADAPTEE ET PARTAGEE
Une information transparente constitue un préalable incontournable à la mise en place
d’une dynamique participative. Cette information peut prendre plusieurs formes et doit
tendre à une diffusion large et optimale. Divers supports peuvent servir cet objectif, tels que
des journaux de quartier, plaquettes d’informations, réunions publiques, panneaux
d’affichages, etc. De plus, l’allocation d’un espace de proximité destiné à accueillir ces
outils d’informations, des ressources documentaires et des échanges entre les différents
acteurs parait pertinente. L’information des habitants peut également être transmise par une
équipe de professionnels spécialisés, dans la mesure où la transparence est de rigueur. Les
supports écrits sont à encourager, tout comme l’oral et la possibilité du débat. La
communication doit être renforcée et inscrite dans la durée et la continuité.
Quelque soient les outils utilisés et mis à disposition, ils doivent être le plus attractifs,
transparents et clairs possibles. Rappelons que tous les acteurs ne sont pas des experts ou
des techniciens des questions sociales et urbaines et pour cette raison, et pour éviter un
rapport de pouvoir asymétrique et l’inhibition des habitants, l’utilisation d’un langage et
d’un vocabulaire partagés est nécessaire.
Dans cette même perspective, un apprentissage des savoirs et compétences, ainsi que la
connaissance des enjeux et des contraintes en présence semblent indispensables (Thomas,
2003 : 158). Le rôle d’une information simple et clarifiée, attractive et de proximité, mais
aussi de professionnels s’assurant de la compréhension par tous est nécessaire.
L’installation d’un local destiné à la population, la diffusion de supports d’information
écrits, les rencontres entre acteurs et la possibilité de débats, l’accompagnement par des
professionnels spécialisés, et l’adoption d’un langage et de savoirs communs doivent être
encouragés.
104
9.2. LA FORMATION ET LA SENSIBILISATION DES ACTEURS
Une étude commandée par la DIV64 sur cette thématique de la participation des
habitants, recommande la formation des personnels à ce type de démarche. Comme nous
avons pu l’observer, certains opérateurs se trouvent dépourvus et impuissants face à cette
injonction dont ils ne savent comment la saisir. A l’inverse, nous avons démontré que les
habitants ne sont pas toujours mobilisés et ne perçoivent pas les bénéfices d’un tel
engagement.
Aussi, une sensibilisation des tous les acteurs concernés aux enjeux et résultats d’une
démarche participative s’avère nécessaire. De même, une formation aux pratiques et
instruments, ainsi qu’à la mise en œuvre opérationnelle de la participation sont essentiels.
Pour les habitants, il s’agit de les sensibiliser aux apports que peut représenter une
telle démarche. Parfois déçus ou désabusés, beaucoup ne croient pas en la prise en compte
de leur voix et ne veulent pas s’engager. De plus, ils peuvent se sentir dépassés par la
densité et la multitude d’informations et de savoirs à acquérir pour disposer d’un outillage
suffisant et crédible. L’apprentissage de l’outillage technique et intellectuel et des
compétences spécifiques peut être l’objet d’une action collective, soutenue par les pouvoirs
publics. L’expérience bien connue du budget participatif de Porto Alegre (Brésil) constitue
une illustration d’une démarche collective constructive et réussie65. Lorsqu’une
mobilisation habitante, quelqu’en soit l’échelle, est soutenue et entendue, elle permet un
retour positif sur les coûts engagés (en temps, en énergie). L’habitant rationnel prenant acte
des bénéfices de son engagement sera plus à même de réitérer cette expérience et de
convaincre ses pairs d’en faire de même.
Au niveau des opérateurs, il est indispensable de mettre en marche une campagne de
sensibilisation et de formation à la participation. Beaucoup d’entre eux ne perçoivent pas
l’intérêt et la pertinence d’une telle démarche, mais aussi et surtout n’ont pas les outils ou
moyens pour la soutenir. L’apprentissage des méthodes de concertation, et à terme de
64
Faraldi Luc, FLFRE, « La participation des habitants et la démocratie locale », pour la DIV, novembre 2005.
65
« Chaque année, les assemblées générales de chaque arrondissement lancent le processus. Ensuite, au cours
du premier mois, lors d’assemblées « intermédiaires » qui se tiennent dans les quartiers et
microarrondissements, les habitants définissent les priorités d’investissement au niveau du quartier. Les
délégués au Forum régional du Budget participatif sont élus à la fois dans les grandes assemblées
d’arrondissement et dans les assemblées intermédiaires. Après celles-ci, ces délégués se réunissent, parfois
pendant plusieurs jours, pour négocier et rendre compatibles les priorités définies dans les quartiers sur une
longue liste organisée par secteurs au niveau de l’arrondissement » (Abers, 1998 : 45-46).
105
participation, peut se faire dans un cadre imposé, via des journées de rencontres et de
formation. De tels ateliers existent (le CRPV PACA en organise régulièrement par
exemple) et ont pour but l’aide et l’accompagnement des personnels institutionnels par des
professionnels de la participation (citons par exemple dans le cadre marseillais l’association
Arènes66). Cependant, ces rencontres demandent de pouvoir y consacrer du temps, temps
dont manquent souvent cruellement ces professionnels. Instaurer des journées
spécifiquement dédiées à la formation de ces acteurs et prévues de façon obligatoire et
contraignante constitueraient un bénéfice méthodologie et instrumental certain pour les
opérateurs. La mise en place de moyens spécifiques à la démarche participative
contribuerait à renforcer son importance symbolique et son effectivité. Dégager une ligne
budgétaire spécifique67 à la participation des habitants permettrait de financer des postes
d’agents spécialisés dans cette fonction et de développer l’ensemble des outils et supports
nécessaires.
La participation demande que chacun prenne conscience des enjeux et bénéfices d’une
telle démarche, mais aussi dispose des moyens et outils nécessaires à son efficacité et sa
pérennité.
66
Arènes est une association créée en 1999 à Marseille dans le but de développer la démocratie locale dans le
développement et l’aménagement des territoires et la protection de l’environnement. Elle intervient
principalement en appui aux acteurs locaux pour la conception, la préparation, l’animation et l’évaluation de
processus participatifs et de concertation. Parmi l’ensemble de ses actions, Arènes propose et assure des
missions de formation dans le cadre de formations universitaires ou professionnelles et auprès des agents de la
fonction publique territoriale.
67
Comme cela est prévu dans les dispositifs aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne où au moins 5%
d’investissement du coût de financement total des opérations de rénovation urbaine doit être consacré à l’offre
de participation et à la formation des habitants à la parole publique, au management mutuel et à l’organisation
de partenariats.
106
9.3. LE SOUTIEN AUX INITIATIVES ASCENDANTES
« Le projet doit être remontant et pas descendant (…) on a fait trop d’erreurs par le
passé en ne prenant pas assez en compte les habitants ». Cette remarque émane d’un chef
de projet CUCS d’un territoire marseillais lors d’une réunion préparatoire à la visite en
marchant d’un pré-diagnostic de GUP. Elle illustre bien la nécessité de soutenir
l’émergence de projets et initiatives venant du « terrain », des habitants. Malheureusement,
à ce jour, trop rares sont les professionnels convaincus de ces bienfaits et associant les
démarches habitantes à leurs projets et actions.
La politique promue ici s’apparente à celle du bottom-up décrite par Donzelot (2003)
concernant la participation des habitants aux Etats-Unis. A travers les Community
Development Corporations68 (CDC), les habitants construisent un pouvoir et une force de
lobbying leur permettant d’avoir une réelle influence sur les décisions prises par les
pouvoirs publics. Le processus ne se cantonne pas à l’expression de souhaits ou d’attentes
mais les CDC participent véritablement à la construction des projets. Leurs financements
sont subordonnés à leur capacité à mettre d’accord les habitants sur les opérations. A
l’inverse des dispositifs français où la participation doit être inscrite mais ne détermine pas
les financements, l’action des CDC est conditionnée à l’implication des habitants.
En France dans les quartiers d’habitat social, les initiatives soutenues financièrement
sont celles qui correspondent à la ligne thématique définie dans les CUCS. Cette
priorisation tend à privilégier les associations structurées implantées sur le territoire
concerné, mais réduit les possibilités de développement et d’expression d’initiatives
uniquement habitantes et non professionnelles, d’autant plus si elles ne collent pas aux
exigences de l’appel à projet du CUCS.
Par exemple, un soutien financier et organisationnel pourrait être instauré pour la
construction et la diffusion de moyens de communication et d’échanges de proximité PAR
les habitants du quartier. Aussi, l’établissement d’une « offre de participation » avec une
ligne de crédits spécifiques, encouragerait les habitants à former des groupements et
associations.
68
Les CDC sont des entreprises privées à but non lucratif qui agissent sur les questions d’urbanisme et de
logement. Elles sont sous le contrôle d’un conseil d’administration où dominent statutairement les habitants du
quartier (51% au minimum des membres du conseil).
107
Enfin, remettre aux mains de la population une partie des prérogatives assurées à ce
jour par les institutions (la communication de projet par exemple, en partenariat avec des
professionnels) permettrait certainement de toucher et de sensibiliser une proportion plus
importante d’entre eux. Les relations de voisinage, le bouche-à-oreille, les discussions à la
sortie des écoles, etc. sont autant de moyens de diffusion de l’information mais aussi de
sensibilisation à la mobilisation et de promotion du volontarisme citoyen. Dans cette
perspective, des ateliers participatifs urbains pourraient être organisés qui auraient pour but
la diffusion d’informations régulières, la mise au point d’un « vocabulaire partagé »,
l’organisation de rencontres entre les mouvements « ascendants » et « descendants », de
débats, etc.
108
9.4. LA PROMOTION ET L’ORGANISATION DU PARTAGE D’EXPERIENCES
Partager les expériences mises en œuvre sur d’autres territoires, tant au niveau national
que transnational, mais aussi dans les autres champs de l’action publique s’avèrerait
bénéfique et constructif. En effet, une démarche comparative permet des échanges riches et
un retour sur les dispositifs en cours. Elle développe la critique de l’existant tout en
permettant de s’inspirer des dispositifs ou expérimentations en cours sur d’autres secteurs.
L’exemple cité précédemment de la mise en œuvre participative aux Etats-Unis illustre
cette idée et sensibilise au fait que d’autres fonctionnements sont possibles. Les expériences
des pays anglo-saxons au sujet de la participation des habitants des quartiers d’habitat
social constituent un enseignement riche pour les opérateurs français. De même, une
présentation des tentatives de démocratie participative dans d’autres champs d’action,
comme par exemple dans le champ de l’environnement, s’avère constructive. Nous avons,
dans cette étude, cité à plusieurs reprises des remarques et constats effectués dans le cadre
de l’Atelier Régional de la Ville organisé par le CRPV PACA le 5 octobre 2007. Le
compte-rendu de cette journée d’échange renseigne sur la participation des habitants en
France et en Europe, à travers la présentation de pratiques expérimentales éprouvées sur des
territoires particuliers.
La diffusion de ce type d’échanges permet une attitude de transposition souvent
fructueuse et stimulante. Nous ne prétendons pas ici faire la promotion de « bonnes
pratiques » universelles et intemporelles qui auraient valeur de modèle à suivre et attirons
l’attention sur le fait que les pratiques participatives ne doivent pas être standardisées. La
prise en compte et l’adaptation à un territoire et à sa population sont déterminantes.
Néanmoins, il est intéressant de porter un regard attentif sur les pratiques et
expériences existantes, leurs réussites et leurs limites, afin de s’en inspirer et de pallier les
difficultés posées par l’injonction participative. Le partage des savoir-faire et d’expériences
innovantes en matière de participation devrait ainsi être encouragé, promu et organisé par
les instances décisionnaires centrales.
109
9.5. LA PARTICIPATION PAR LA CONTRAINTE ?
Le Comité d’Evaluation et de Suivi de l’ANRU préconise, dans une note sur la
participation des habitants (2006), de conditionner ses crédits à une participation effective
des habitants. Cette préconisation contraignante pourrait être étendue à tous les crédits
relatifs aux dispositifs de la politique de la ville pour lesquels la participation est inscrite.
Le rapport prévoit plusieurs principes devant être respectés pour garantir la participation
effective des habitants, principes pouvant être repris et transposés. Ainsi, il prévoit :
« 1. L’accès libre des habitants à l’information relative aux projets de
renouvellement urbain (…).
2. Le calendrier de la concertation avant l’envoi du dossier au Préfet (…).
3. La concertation a priori (…) et a posteriori (…).
4. L’affectation de moyens à la participation (…).
5. La représentativité des publics concernés (…).
6. Le caractère délibératif de la participation (…).
7. L’évaluation de la participation (…). ».
Contre les effets d’annonce non suivis de mesures, et dans l’hypothèse où les moyens
nécessaires seraient mis à la disposition des opérateurs, l’imposition par la contrainte
financière du respect de la prérogative participative pourrait s’avérer efficace. Une
inscription réglementaire contraignante et soumise au contrôle encouragerait certainement
une meilleure application des dispositions participatives.
Le contrôle de la mise en place de tous les éléments nécessaires à la participation des
habitants pourrait s’effectuer dans le cadre d’une évaluation. L’encadrement des modalités
de l’évaluation doit garantir son indépendance et sa transparence. Une analyse pertinente
des lacunes et difficultés du territoire évalué en matière de participation doit conduire à son
amélioration.
Imposer un cadre réglementaire, législatif ou financier contraignant et dont le respect sera
contrôlé par une évaluation régulière des actions mises en place, peut constituer une piste
pour l’amélioration de la mise en œuvre de la démarche participative sur les territoires de la
politique de la ville.
110
CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE
L’étude de la pratique de la mise en place de la participation des habitants, en tant
qu’injonction systématique de la politique de la ville a permis de relever de nombreuses
difficultés. Le travail empirique d’observation que nous avons mené montre combien les
moyens nécessaires à une démarche participative sont à ce jour encore insuffisants.
Nous avons dans une première partie décrit et analysé les contraintes qui se posent
pour une participation effective. Ainsi, les opérateurs doivent s’adapter à des délais de
missions et d’élaboration de projets parfois trop restreints pour permettre l’implication
d’une démarche participative. Les moyens temporels, ainsi que d’ordre financier et humain
n’encouragent pas toujours la possibilité de mettre en œuvre un tel dispositif. De plus, les
perceptions des contraintes et enjeux relatifs à une opération ou un dispositif sont souvent
vécues différemment par les habitants et les opérateurs. Par méconnaissance du
fonctionnement institutionnel et administratif, les habitants peuvent avoir l’impression que
si rien ne se passe c’est parce que personne ne s’y intéresse.
Le sentiment d’abandon, tout comme celui de rejet et de découragement participent de
la non-mobilisation des habitants. Habitués à n’être écoutés que lorsque des enjeux
politiques ou électoraux sont en cause, et parfois déçus, ils ne croient plus aux
conséquences bénéfiques d’une quelconque mobilisation de leur part. Un climat de
méfiance règne à l’égard des institutions. A ces facteurs de non-investissement s’ajoute le
problème de la complexité technique et langagière. En effet, le caractère complexe et peu
lisible des projets pour les habitants se présente comme une barrière, un frein à leur
engagement et leur volonté de participer.
Afin de contre-carrer les obstacles à la participation, quelques préalables sont
nécessaires. Porter une attention particulière à l’expertise d’usage des habitants mais aussi
des usagers et personnels de terrain s’avère indispensable. Pour une connaissance fine et
approfondie du terrain, une meilleure prise en compte des études et analyses sociologiques
et ethnographiques réalisées par des opérateurs externes doit contribuer à cette
111
connaissance. De plus, les conditions d’une confiance partagée entre tous les acteurs et
garantie par l’accès à tous à une information claire et transparente doivent être réunies.
Des actions spécifiques peuvent être engagées dans l’objectif d’optimiser la
participation des habitants. Pour permettre une plus grande mobilisation de leur part,
l’ « offre de participation » doit être repensée pour être plus effective, notamment à travers
le soutien (financier et d’accompagnement) à leurs initiatives, une adaptation de la
pédagogie, des formes et des outils de la participation, et la possibilité d’apprécier les effets
à court terme de leur mobilisation. Au niveau des opérateurs et institutionnels, les actions
doivent être orientées vers la sensibilisation et la formation de ces acteurs aux processus
participatifs. En effet, nous avons remarqué que souvent ils pêchent par ignorance.
Organiser des journées de rencontres, d’échanges et de formation pourrait leur donner des
instruments pour améliorer leur offre de participation. Enfin, dans la mesure où cette
injonction à la participation se veut être obligatoire, un dispositif d’évaluation contraignant
permettrait d’accroitre la motivation de certains à dynamiser l’offre participative et à
inclure les habitants dans les processus opérationnels.
112
CONCLUSION GENERALE
113
« (…) la participation sans redistribution du pouvoir est un
processus vide de sens (…). Il permet à ceux qui ont le pouvoir de
prétendre que toutes les parties ont été prises en compte, mais à
seulement quelques unes d’en tirer profit»69
La thématique de la participation des habitants dans la politique de la Ville soulève
de nombreuses interrogations. La question de son inscription territoriale spécifique sur les
quartiers prioritaires va à l’encontre du principe républicain d’égalité de traitement de tous
les citoyens. Cette discrimination positive à l’encontre d’une population ciblée par son
inscription territoriale révèle une représentation sous-jacente de ces publics en tant que
victimes pour lesquels l’Etat met en place une politique compensatoire.
Notre étude s’est attachée à comprendre, dans un premier temps, ce positionnement
institutionnel et par conséquent normatif, qui instaure un principe de participation à des
publics territorialement (et souvent socialement) stigmatisés et électoralement démobilisés.
Une analyse de la signification du concept de « participation des habitants » dans les textes
et discours nous a permis d’identifier et de tracer les contours de la conception française de
cette injonction. Un retour historique à l’origine de l’introduction de cette notion dans la
politique de la ville révèle un changement paradigmatique. Suite au rapport de la
Commission Dubedout en 1983 et au processus de décentralisation et de territorialisation de
l’action publique, cette notion devient systématiquement inscrite dans les dispositifs de ce
champ de l’action sociale. La volonté est alors de s’appuyer sur les habitants des cités,
« faisant pour le coup de ceux-ci la cible principale de l’action » (Donzelot, 2003 :108).
Depuis, l’injonction participative n’a pas été remise en cause et présente même un caractère
consensuel durable. Présentée comme un idéal démocratique à atteindre, elle suscite peu de
controverses au sein des institutions étatiques et décisionnaires.
Une attention particulière sur les contours de cette notion révèle toutefois une
ambigüité, tant dans les textes que dans son interprétation. Une grande confusion semble
régner quant aux formes qu’elle peut revêtir : information, consultation, concertation,
69
Comité d’Evaluation et de Suivi de l’ANRU, 2006 :1.
114
délibération, co-production. Le flou juridique et réglementaire qui l’entoure contribue à son
interprétation par les acteurs sensés la promouvoir et la mettre en place.
Loin d’être anodin, ce vide juridique témoigne d’une volonté relative et limitée des
institutions de faire participer les habitants, alors que son inscription systématique et
revendiquée révèle des enjeux politiques et stratégiques.
Conçue comme un outil d’accès à la citoyenneté et de renforcement du lien social
dans les quartiers dits « sensibles », la participation renvoie à une certaine représentation
des habitants de ces territoires. Victimisés et infantilisés d’une part, ils représentent aussi un
vivier de contestations et d’émeutes urbaines aux yeux des institutions. Un des enjeux de la
participation consiste à contenir ces potentielles réactions et à acquérir une certaine paix
sociale dans ces quartiers. De plus, cette pratique (ou tout au moins son affichage) peut être
utilisée comme argument démocratique et servir à des fins électoraliste et politique. Enfin,
impliquer les habitants ou tout au moins les consulter, permet de crédibiliser les décisions
prises et de légitimer l’action publique sur le territoire concerné, ainsi que de prévenir
d’éventuels conflits à venir. Revendiquée, mais pas nécessairement appliquée, la
participation des habitants constitue un instrument stratégique au service du politique.
Les deux missions auxquelles nous avons participé dans le cadre du stage au cabinet
d’études ChOrus, ont révélé la diversité des formes que peut revêtir cette injonction et par
conséquent ont démontré son caractère interprétable. A travers l’analyse de la commande
via le cahier des charges, nous avons pu, pour chacune, déterminer les enjeux affichés mais
aussi sous-tendus de la demande de « participation des habitants » dans ces démarches.
Dans le cadre de la mission de pré-diagnostic de GUP dans les Bouches-du-Rhône,
la participation des habitants était affichée en tant que garante de la proximité avec le
terrain et dans l’objectif de mener une gestion concertée. Une analyse plus approfondie des
enjeux révèle l’intention sous-jacente d’accentuer la visibilité des institutions dans ces
quartiers, et en particulier celle de l’Etat70.
La commande de réalisation d’un diagnostic social sur une commune des Bouchesdu-Rhône dans le cadre d’une étude pré-opérationnelle de définition d’une opération
ANRU isolée démontrait les confusions existantes autour de la notion de « participation ».
La réponse du cabinet d’études recadrait la définition des attentes du commanditaire (à
70
Prévue dans le cadre de la dynamique « Espoir banlieues ».
115
savoir une consultation des habitants via des enquêtes en face à face avec les locataires) et
nuançait les véritables possibilités participatives dans le cadre de cette mission. L’enjeu
premier de ce diagnostic social pour la commune, commanditaire de cette mission,
consistait à disposer d’une connaissance plus approfondie des caractéristiques sociodémographiques de la population résidente, ainsi que de ses usages, modes d’habiter et
attentes. L’objectif poursuivi est de posséder un maximum d’informations permettant de
définir les contours d’une possible opération future. Toutefois, cette consultation relève
d’enjeux politiques et stratégiques, notamment du fait des interactions et conflits d’intérêt
entre les fonctions politiques et gestionnaires du maire de la commune, aussi vice-président
de l’office HLM dont relève le patrimoine locatif concerné. Les données fournies dans le
cadre du diagnostic peuvent ainsi devenir des outils au service de manœuvres électoralistes
et instrumentales de légitimation des décisions futures.
Systématiquement inscrite, l’injonction à la participation des habitants dans les
dispositifs de la politique de la ville renvoie à une conception particulière de la
citoyenneté ainsi que des destinataires auxquels elle s’applique. Juridiquement et
réglementairement confuse, cette notion est soumise à interprétation et parfois
instrumentalisation par les institutions chargées de sa mise en place.
L’analyse des pratiques de la participation révèle les nombreuses difficultés
auxquelles elle se heurte, ainsi que les enjeux de pouvoir et stratégies d’acteurs qu’elle
produit.
Notre observation et participation aux missions décrites précédemment ont révélé
des pratiques si ce n’est inefficaces, tout au moins controversées en ce qui concerne
l’implication des habitants dans les dispositifs.
Les opérateurs doivent faire face à de nombreuses difficultés pour intégrer cette
injonction. Leurs connaissances parfois insuffisantes du terrain, les délais impartis souvent
trop courts ainsi qu’un défaut de formation et d’outils mis à leur disposition restreignent
leurs capacités à développer et encourager la participation des habitants. Toutefois, les
obstacles cognitifs et instrumentaux ne sont pas les seuls en cause. En effet, des difficultés
relatives à leurs orientations et choix pratiques interviennent aussi. Nous avons pu constater
à plusieurs reprises un manque de volonté de leur part. Les raisons invoquées renvoient à la
fois à une remise en cause de la pertinence de cette injonction, au refus de s’ouvrir à la
116
transparence, à la priorisation d’autres actions sur celle-ci, et enfin à une acceptation quasigénéralisée et admise de la réalité de non-participation.
L’aveu d’impuissance et les pratiques timides des opérateurs quant à la participation
renforcent la tradition de recours aux intermédiaires et « personnes ressources » comme
représentants légitimés des habitants.
Le
développement
des
activités
de
médiation
a
institutionnalisé
la
professionnalisation de la relation à la population et la triangulation des rapports sociaux
dans les territoires où elle s’est installée. Les fonctions de la médiation la situent à
l’interface entre les institutions et les habitants. Les professionnels de ce secteur se
présentent alors comme des intermédiaires entre ces deux pôles d’acteurs et adoptent un
rôle de transmetteur et de relais des informations des deux parties. Pour cette raison, ils sont
désignés par les opérateurs comme des représentants de la parole des habitants par les
remontées de terrain qu’ils sont à même de communiquer. Soulignons que leur activité
relève le plus souvent du secteur privé auquel elle a été externalisée. Par conséquent, ils se
trouvent dans une relation commerciale avec les institutions. Cette dépendance économique
peut jouer comme un biais dans leur représentativité présumée et toute la difficulté de ces
professionnels de la médiation consiste à déjouer toute tentative de compromission ou
d’instrumentalisation par les institutions comme par la population.
Dans le cadre de l’injonction à la participation des habitants, les institutions
associent également le secteur associatif présent sur le territoire. Deux cas de figure sont à
distinguer parmi ces structures, désignées par les instituions comme les représentantes de la
population. En effet, un premier type d’association ou de structure se voit impliqué, souvent
plus par nécessité diplomatique que par réelle volonté des institutionnels. Il s’agit des
groupements de locataires, dont l’action se situe dans la revendication de droits. Dans une
posture le plus souvent adversative vis-à-vis des bailleurs et institutions, ces derniers se
voient contraints de les associer afin d’éviter un surcroit de contestation. Néanmoins,
l’observation a mis en avant le peu d’écoute et de crédibilité qui leur était apporté.
Un deuxième type d’association se trouve associé par les opérateurs en tant que
représentants des habitants et de leur parole. Nous désignons ici les associations à vocation
socio-culturelle agissant sur le territoire concerné. Leurs revendications se limitent en
général à la défense de leur activité plus qu’à celle d’une amélioration des conditions de vie
de la population, conditions légitimant leur présence sur le quartier. La question de leur
représentativité pose question, étant donné qu’elles s’adressent à des publics spécifiques et
117
n’ont pas vocation à accueillir l’ensemble des habitants d’un secteur. Par conséquent, elles
sont susceptibles de défendre des intérêts particuliers plutôt que l’intérêt général.
Ces dernières doivent leur existence aux subventions publiques (des collectivités
territoriales et du CUCS en particulier) dont elles bénéficient. Cette posture de dépendance
vis-à-vis des institutions interroge sur leur légitimité à intervenir en tant que représentants
des habitants. Ces financements sont soumis à des thématiques d’intervention définies ainsi
qu’à leur délégation de l’offre de participation. Par conséquent, elles sont contraintes par
ces prérogatives et doivent justifier leur existence par les connaissances de terrain qu’elles
peuvent apporter aux opérateurs. Elles se situent dans un système de doublereconnaissance : à la fois désignées comme interlocuteur privilégié auprès des habitants,
elles sont aussi des « personnes ressources » pour les opérateurs. Leur existence trouve sa
légitimité dans cette posture centrale et duale. Cependant, dans une relation
d’interdépendance avec les institutions, elles doivent se contraindre à un contrôle de leur
activité et de leurs orientations.
Les pratiques restreintes de la participation des habitants par les opérateurs
bénéficient au secteur privé, associatifs ou cabinets d’étude. En délégant cette mission
à la médiation et aux associations, les institutions affichent une implication des
habitants par le recours à des « représentants » (dont la légitimité peut être discutée),
et les structures privées justifient une partie de leur activité et de leur financement à
travers l’offre de participation qu’elles développent. Néanmoins, nous pouvons nous
interroger sur l’effectivité de la participation : ces pratiques négociées ne révèlentelles pas des obstacles à sa mise en place pleine et efficace, telle qu’elle est prescrite
dans sa conception initiale ?
Avant de présenter les pistes d’actions que nous avons proposées afin
d’améliorer la démarche participative, rappelons le cadre de ce travail. Cette étude
correspond à l’aboutissement d’une année de Master 2 professionnel de sociologie. Ce
mémoire intègre les exigences et contraintes de la spécificité professionnelle et
opérationnelle de cette formation. Les préconisations que nous avons présentées
renvoient à cet encadrement et se veulent donc applicables dans le champ étudié. Nous
ne questionnons pas ici la pertinence et la légitimité de l’injonction participative,
notamment sur des territoires spécifiques mais intériorisons cette prérogative comme
un acquis. Par conséquent, l’objet de cette dernière phase de notre étude tend à
118
prendre en compte les contraintes et réglementations existantes pour proposer des
pistes opérationnelles.
La dernière partie de notre étude s’attache à développer des préconisations et pistes
d’action pour une possible démarche participative effective.
Nous y démontrons qu’au-delà des pratiques précédemment décrites, certaines
contraintes empêchent la mise en place d’une réelle offre de participation. Les institutions
décisionnaires, pourtant initiatrices et garantes de cette démarche, sont en partie
responsables de ces limites. Ainsi, malgré certaines bonnes volontés, des carences en
moyens disponibles pour mettre en place une démarche participative freinent son
effectivité. Les différences de perception de la temporalité, de l’efficacité et des contraintes
en jeu par les divers acteurs provoquent une incompréhension et une méfiance des uns
envers les autres. Sans confiance ni informations partagées, une relation asymétrique et de
pouvoir du groupe dominant s’instaure et se pose en obstacle à l’implication des habitants.
De plus, le manque de lisibilité et d’accessibilité des informations et enjeux, ainsi que la
complexité technique et experte des opérations constituent une barrière invisible pour les
citoyens profanes.
Par conséquent, la mise en place d’une démarche participative nécessite des
conditions préalables afin de surmonter ces difficultés. L’association des usagers et
personnels de terrain au processus parait indispensable dans un souci de représentativité et
de confiance partagée. Les études sociologiques et ethnographiques réalisées par des
professionnels des sciences sociales apportent une analyse à la fois pertinente et critique et
contribuent à une première étape de compréhension des enjeux en cours pour chaque
groupe d’acteurs. Elles donnent des éléments de compréhension des réalités et mécanismes
d’un territoire et d’une population. Or, dans la logique opérationnelle et réactive immédiate,
peu d’attention leur est portée. Dans ce but compréhensif et analytique permettant une
adaptation de la participation à un territoire, un contexte, un public, l’importance de ces
études devrait être valorisée et renforcée. La participation nécessite aussi au préalable une
confiance et une transparence des acteurs. Enfin, la mobilisation des habitants étant
conditionnée aux effets qu’ils en perçoivent, la démarche nécessite une inscription dans une
temporalité appréciable par tous.
119
Plusieurs actions pourraient être envisagées afin d’améliorer de façon opérationnelle
la pratique de la participation des habitants dans les dispositifs et sur les territoires de la
politique de la ville. L’élaboration d’une information transparente, mais aussi adaptée et
accessible à tous les acteurs constitue un axe de travail nécessaire. De même, la formation
et la sensibilisation des acteurs, et en particulier des professionnels, s’avère une démarche
fondamentale pour développer les outils et instruments indispensables à la mise en place
d’une offre de participation. Un soutien particulier (par le déblocage d’une ligne budgétaire
spécifique par exemple) aux initiatives ascendantes permettant aux citoyens de se constituer
en groupe d’intérêts reconnu, pourrait être envisagé. Nous insistons aussi sur l’intérêt et la
pertinence de promouvoir le partage d’expériences. En effet, la comparaison et la
présentation d’expériences dans d’autres territoires ou domaines, par la transposition
qu’elle peut induire, est souvent riche d’enseignement pour les professionnels. Enfin,
réaffirmer le caractère normatif et réglementaire de l’injonction, par le contrôle et
l’évaluation des pratiques peut présenter des bénéfices et encourager une plus grande
mobilisation des institutions.
Les pistes d’actions présentées ici n’ont pas valeur à être exhaustives. Un
travail de recherche-action sur un temps plus long serait nécessaire pour balayer les
champs du possible, et présenterait un intérêt indéniable dans la perspective du
développement de la participation dans le champ de la politique de la ville.
Dans la réalité du terrain, la participation des habitants s’apparente le plus
souvent dans le meilleur des cas à une coopération symbolique, et dans le pire à un
instrument de manipulation. Ce constat renvoie à une interrogation plus profonde sur
la volonté effective des institutions d’organiser cette injonction mais aussi sur sa
pertinence.
Le sociologue Cyprien Avenel affirme dans un article publié par la CNAF : « la
politique de la ville encourage une démocratie participative à laquelle elle ne croit pas »
(2007 : 148). Nous partageons ce point de vue et souhaitons aller plus loin. Ainsi, nous
nous interrogeons sur la légitimité et la pertinence de la volonté participative dans un
système démocratique représentatif ? A travers cette question, nous posons celle de la
politique compensatoire mise en place spécifiquement sur les quartiers d’habitat
social, et émettons l’hypothèse qu’elle participe d’une plus grande stigmatisation de sa
120
population et produit des effets pervers et contradictoires. Ce questionnement dépasse
les limites et le cadre de notre travail, cependant, il mériterait une attention
particulière et ouvre la réflexion vers d’autres perspectives de recherche.
« Le savant n’est pas l’homme qui fournit les vraies réponses ; c’est celui qui pose les vraies questions »
Claude Lévi-Strauss
121
BIBLIOGRAPHIE
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http://www.ville.gouv.fr
128
LEXIQUE
ACSé
Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l’Egalité des Chances
ANRU
Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine
CIV
Comité Interministériel des Villes
CUCS
Contrat Urbain de Cohésion Sociale
DIV
Délégation Interministérielle à la Ville
GUP
Gestion Urbaine de Proximité
HLM
Habitation à Loyer Modéré
LOADDT
Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du
Territoire
LOV
Loi d’Orientation pour la Ville
MOS
Maîtrise d’œuvre Sociale
MOUS
Maîtrise d’Œuvre Urbaine et Sociale
OPAH
Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat
PRU
Programme de Renouvellement Urbain
RHI
Résorption de l’Habitat Insalubre
SRU
loi de Solidarité et de Renouvellement Urbain
ZUS
Zone Urbaine Sensible
129
ANNEXES
-
Liste des territoires concernés par les pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-duRhône pour la première phase de programmation…………………………………….131
-
Exemple de fiches d’observations de la « visite en marchant »………………………132
-
Appel à projet des CUCS de Marseille 2010………………………………………….135
130
Liste des quartiers concernés par le pré-diagnostic de GUP pour la première phase de
programmation dans les Bouches-du-Rhône :
Quartiers
concernés
Projet de
Rénovation
Urbaine
Nombre
logements
sociaux (et
copros)
Bailleurs
La Lèque- Aigues
douces
non
703
13 Habitat
Les Comtes
non
604
Logirem
Florida
oui
Parc la Chaume
oui
Port Saint Louis
Vauban
non
370
La Ciotat
les Abeilles
oui
966
Marseille 1er
Panier/ République/
Belsunce
oui
348
Vilette/Strasbourg/
Caire Hoche
oui
333
Saint Mauront
oui
Commune
Port de Bouc
Marignane
Marseille 3°
Marseille 9°
La Cravache/
Copro SEVIGNE Triolet
Marseille 11°
Néreides – Bosquet
Marseille 14è 15è ( St
Barthélémy, Delorme,
Canet)
Marseille 15° (ND
limite)
Marseille 15è 16è
(Nord littoral, Plan
d'aou, Bricarde,
Castellane)
13 Habitat et Sud Habitat
13 Habitat et
Famille&Provence
Erilia et Phocéenne
d'habitation
Domicil, Habitat Marseille
Provence, 13 Habitat,
Logirem, Marseille Habitat,
Nouveau Logis Provençal,
Sud Habitat, Régional de
l'Habitat et Phocéenne
d'habitation
Domicil, Erilia HMP, 13
Habitat ICF, Logirem
Marseille Habitat NLP, pact
13, Sogima, Sud Habitat
587
Copropriété SAGEC
non
698
13 Habitat
St Barth 3, picon,
Busserine, Mail/ 1
oui
946
Logirem, HMP, 3 copros
St Barth 3, Picon,
Busserine, Mail/ 2
oui
1100
Logirem, HMP, 3 copros
Bassens 2
non
800
Phocéenne d'habitation
La Solidarité
oui
765
Nouvelle d'HLM, 13 Habitat,
Phocéenne,
Plan D'Aou
oui
La Viste
oui
600
ERILIA
Ruisseau Mirabeau
non
92
NLP
Erilia, logirem,
131
133
134
Appel à projets 2010
Citoyenneté
CADRE GÉNÉRAL
Le Contrat Urbain de Cohésion Sociale de Marseille (2007-2009), quatrième
génération de contrat de développement social et urbain, a concrétisé l’engagement
de l’État, de la Ville de Marseille, de la Région, de la Communauté Urbaine Marseille
Provence
Métropole, de la Caisse d’Allocations Familiales et de l’ARO-HLM, sur un projet
urbain de cohésion sociale.
Les principes fondateurs de la Politique de la Ville y sont réaffirmés :
- identification des territoires prioritaires,
- définition de programmes d’actions structurantes, innovantes sur les champs
prioritaires,
- mobilisation des politiques de droit commun en appui des programmes
contractuels,
- contractualisation d’engagements financiers pour la durée du Contrat,
- mise en place d’un pilotage partenarial, renseigné par une nouvelle procédure de
suivi, d’observation et d’évaluation.
Le projet urbain de cohésion sociale arrêté sur ces bases a engagé les partenaires
sur une période de trois ans afin de permettre la mise en cohérence des
programmations des services publics et celles développées avec le monde
associatif.
Afin de permettre la mise en œuvre d’une évaluation complète du CUCS et la prise
en compte de ces résultats dans l’élaboration du prochain contrat, l’Etat a proposé
de proroger les actuels CUCS pour l’année 2010.
Le bilan de ces quatre exercices, appuyé par le dispositif d’évaluation des actions
financières, et de suivi des quartiers, permettra de préciser les orientations et les
moyens à engager pour la poursuite de la Politique de la Ville sur Marseille.
Le programme proposé pour cette année supplémentaire est décliné par grands
territoires de projets (Littoral Nord, Nord - Est, Grand Centre Ville et Grand Sud –
Huveaune) et par axes thématiques stratégiques (Habitat et Cadre de vie, Emploi –
Insertion – Formation, Réussite éducative, Prévention de la délinquance et Politique
judiciaire de la ville, Citoyenneté et Accès aux droits, Santé, Culture). Il traduit l’effort
conjugué de mise en cohérence entre les enjeux de développement des territoires
prioritaires, les objectifs de développement et de rattrapage de ces quartiers.
CITOYENNETÉ
APPEL A PROJETS 2010
L’axe citoyenneté est par nature transversal à l’ensemble des priorités du Contrat
Urbain de Cohésion Sociale, et peut donc être considéré comme devant être pris en
compte par tous les programmes territoriaux et chaque acteur social.
Pour l’année 2010, les partenaires du CUCS de Marseille souhaitent donner une
priorité aux projets permettant de mettre en place des actions destinées à améliorer
l’égalité hommes-femmes et/ou à lutter contre les violences faites aux femmes
Dans cette optique, il sera accordé une attention particulière aux projets comportant
les éléments suivants :
- éléments statistiques sexués en rapport avec le projet
- définition d’objectifs quantitatifs et qualitatifs répondant aux inégalités repérées
entre les femmes et les hommes et/ou prenant en compte les besoins ou difficultés
spécifiques à chaque sexe
- projets faisant appel à une expertise lorsque les compétences nécessaires ne se
trouvent pas déjà au sein de la structure porteuse
Il est demandé de mettre l’accent sur les actions suivantes :
- actions permettant d’accéder à une première étape de développement personnel
et/ou de retrouver une estime personnelle lorsque celle-ci a été amoindrie par toute
forme de violence
- actions proposant un travail sur les comportements intégrés et automatismes
d’auto-dévalorisation au quotidien
En 2010, les objectifs poursuivis seront également :
 L’appui à la vie associative :
sous réserve de la qualité des projets et de leur évaluation
en veillant à la mutualisation et à la complémentarité des moyens et des
compétences présentes sur la ville, sur l’objet des projets
 L’accès aux droits sociaux :
soutien aux plates-formes de services publics
soutien aux dispositifs d’accès aux droits des étrangers
amélioration de l’accueil pour l’accès aux droits, et notamment aux systèmes de
recours si nécessaire
 La lutte contre toutes les discriminations :
en favorisant l’expression des victimes
en sensibilisant les relais professionnels
136
en soutenant les actions auprès de populations en difficulté plus forte de lien
social:
- personnes âgées
- populations très fragiles socialement
- femmes peu autonomes
Les projets se proposant d’agir contre une discrimination spécifique (notamment
emploi et éducation) seront traités sur les pôles ou dispositifs ad hoc.
 La participation des habitants et des associations :
en facilitant leur expression et leur participation à la vie locale
en améliorant la communication
les secteurs où une réflexion autour d’une requalification urbaine est en cours
seront plus particulièrement soutenus.
Une attention particulière sera portée au financement d’associations plus
structurantes dans les quartiers, reconnues comme équipements de proximité de
type centre social, accueillant du public dans le cadre des missions de services
publics prioritaires pour le C.U.C.S. : emploi, éducation, actions familiales,
permanences sociales, informations générales, etc…
137
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