MÉMOIRE Ann. Kinésithér., 1985, t. 12, n° 7-8, pp. 371-379 © Masson, Paris, 1985 Reprogrammation neuromotrice basée sur l'excitation des récepteurs de la kinésthésie E. VIEL Kinésithérapeute. Docteur ès Sciences. Directeur École de Cadres «Bois-Larris Introduction Plutôt que de parler d'une rééducation «à base de proprioception », nous préférons identifier les récepteurs qui sont mis en jeu au cours du mouvement normal, ceux-la même que le rééducateur se propose d'exciter afin d'obtenir par la périphérie les contractions musculaires ou les réactions posturales qu'il souhaite dans l'intérêt de son patient. Il s'agit des récepteurs de la kinesthésie, ceux qui nous renseignent sur la position du corps dans l'espace, sur l'attitude différentielle des membres et des segments de membres l'un par rapport à l'autre, sur les contraintes ressenties par les articulations (traction ou compression), enfin sur le degré de tension musculaire dans les différents groupes des membres et du tronc. La kinesthésie constitue donc la base anatomique et physiologique sur laquelle s'appuie le concept un peu nébuleux de la «prise de conscience» que nous interprétons comme la capacité individuelle à percevoir et analyser les signaux qui ont pour origine le soma de l'être organisé qui se livre à l'analyse. Ces renseignements kinesthésiques permettent la rééducation de la manière suivante: a) la sensation de l'attitude dans l'espace, ou « invariant postural » (30) est basée sur l'idée que nous nous faisons d'une attitude verticale stable. Si nous nous déstabilisons, nous déclenchons la réaction puissante des muscles chargés du contrôle antigravitique; 1 ~ 1 Tirés à part: ~------ E. VIEL, à l'adresse ci-dessus. », B.P. 12, F60260 Lamorlaye. b) la sensation de la position articulaire nous est transmise par des récepteurs détaillés plus bas, qui nous renseignent sur l'attitude des deux os en présence, et sur leur vitesse de déplacement réciproque; toute «déstabilisation» de leur position d'équilibre entraîne des activités musculaires dont l'intensité s'accroît à mesure que s'accroît la rapidité du déplacement; c) la sensation des contraintes - en compression ou en traction - appliquées à une articulation fait réagir la musculature chargée de protéger l'intégrité articulaire; le simple fait d'être debout augmente la tension intramusculaire dans le corps entier, d'où l'avantage évident de faire travailler le patient en position verticale (assis, puis debout) le plus tôt possible, et d'éviter l'attitude couché sur le dos qui rappelle davantage la table de dissection que le fonctionnement d'un être humain; d) la sensation du degré de tension intramusculaire : si cette sensation ne paraît pas contribuer au sens de la position il est capital dans d'autres situations, en particulier lorsqu'on doit prérégler la tension des muscles qui doivent recevoir, amortir et retenir un ballon alourdi du type «medecine-ball» dont les propriétés « proprioceptives » sont évidentes. La mise en pratique est plus simple qu'on ne voudrait nous le faire croire : supprimez le « couché dorsal » et introduisez quelques gestes de la vie courante dans votre arsenal thérapeutique, et vous êtes déjà en train d'exciter les récepteurs kinesthésiques. Si vous utilisez la planche dés équilibrante de Freeman telle qu'elle est popularisée en France par Castaing et ses collaborateurs (6) le sujet est debout en charge, •.. 372 Ann. Kinésithér., 1985, t. 12, n° 7-8 il est soumis à des déséquilibres de tout le corps, son attention a été attirée sur la position relative des articulations du membre inférieur qui travaille, il ressent la charge sur la cheville, le genou et la hanche, il a réglé préalablement la tension de ses muscles et répond à chaque sollicitation par une contraction musculaire intense. Qu'y a-t-il de plus démonstratif? Contribution des récepteurs périphériques à la connaissance du corps Afin de faire percevoir concrètement les phénomènes pathologiques dus à une relative absence d'activité des récepteurs de la kinesthésie, nous prendrons un exemple courant : le rééducateur vient d'enlever un plâtre à son patient - un plâtre qui immobilisait le coude, par exemple -. Il observe aussitût le comportement suivant : a) le sujet se frotte vigoureusement la peau; il explique que la perception de cette peau est diminuée, qu'il a l'impression d'un épaississement, ou d'un engourdissement, ou d'avoir du carton sous la peau - en fait, la concentration des mécanorécepteurs contenus dans la peau, le tissu sous-cutané et le muscle a diminué du fait de l'immobilisation; b) le sujet exécute de manière répétée des flexions-extensions de l'articulation (dans une amplitude réduite s'il existe une gêne ou une douleur); il explique qu'il ne perçoit pas de manière précise la position articulaire - en fait, la concentration des mécanorécepteurs dans la capsule et les ligaments a diminué du fait de l'immobilisation. Toutes ces impulsions afférentes nous permettent d'initier, de contrôler et de corriger l'activité motrice (24) ; une anesthésie même partielle de l'un de ces groupes de récepteurs perturbe considérablement le mouvement, comme le savent ceux d'entre nous qui ont parfois « des fourmis dans les jambes », c'est-à-dire reçoivent de la part des membres inférieurs des signaux afférents aberrants. La gêne résultant d'une imprécision des sensations émanant de la région articulaire considérée est plus importante s'il y a eu dégats des tissus mous, ou inflammation chronique (43), (26). Cette influence des récepteurs cutanés sur le sens de la position et la perception du mouvement est bien connue (35), (7). Quant à l'influence des mécanorécepteurs articulaires, elle est de plus en plus mise en évidence (34), (14), (11). Les messages afférents les plus influents au regard de la régulation de tension intramusculaire sont sans doute les récepteurs d'origine cutanée et articulaire, car il semblerait que les afférences musculaires aient pour but de nous renseigner sur le « sens de l'effort » et non sur la position du segment dans l'espace. L'importance des messages d'origine articulaire est soulignée par le fait qu'une compression de la capsule a pour résultat immédiat une décharge d'activité dans les muscles qui protègent l'articulation: un serrage soudain déclenche une réaction brève, une compression progressive a pour corollaire une augmentation progressive de la tension musculaire (12). Ceci nous explique la « sensation sécurisante » ressentie par l'athlète qui s'est bandé une articulation légèrement instable (par exemple une cheville après entorse, lors de la reprise d'activité) : la compression permanente de la capsule maintient les afférents en activité, et de cette manière la tension musculaire autour de l'articulation reste élevée, ce qui en retour fournit une sensation de mise en garde préalable. Les afférences articulaires et cutanées sont intégrées par le système gamma afférent (1), (38), et si l'intensité du flux afférent baisse, l'imprécision de la connaissance kinesthésique gêne considérablement le mouvement. Bien entendu, comme pour tous les afférents, le contrôle exercé par les projections descendantes de la réticulée permet d'ajuster l'importance - ou « biais » - attachée aux afférences d'un membre, le privilégiant (19) par rapport aux autres. Ainsi le tireur d'élite qui place avec précision le canon du fusil dans l'alignement de la cible « oublie» temporairement les messages afférents des -membres inférieurs. A l'inverse, le sauteur en longueur ouvre un «biais» en faveur des récepteurs articulaires du membre inférieur. Le sauteur à la perche, qui ne peut négliger ni les uns ni les autres, est un homme Ann. Kinésithér., TABLEAU 1985, t. 12, nO 7-8 373 1 Ligaments desLocalisation articulations surtout moyen inadaptables petit diamètre diamètre myélinisé myélinisé (6-9) (9-12) bas, adaptation très récepteur diamètre, deN.lamyélinisé douleur; non myélinisé seuil élevé, Capsules articulaires surtoutlesarticul. statorécepteurs gros (2-5) mécanorécepteurs diamètre mécanorécepteurs dynamiques, (13-17) seuil dynamiques seuilrapide bas, adaptation lente Capsule;articulaire paquets graisseux Type Type depetit fibre de médiation TypeCapsule élevé, adaptation très lente qui possède une extraordinaire capacité de (nerf articulaire de la hanche) se jette dans le kinesthésie - l'analyse instantanée de signaux en tronc du nerf obturateur, responsable de l'innervation motrice des muscles adducteurs : en provenance de toutes les régions du corps. La complexité des opérations d'analyse, l'im- pathologie, nous connaissons la contracture des portance plus ou moins grande que l'on peut adducteurs secondaires aux affections traumatiaffecter à certaines régions du corps par « fil- ques ou chroniques de la hanche. Il est trage» des messages des autres, la nécessité intéressant de noter que Policard en 1936 d'une connaissance parfaite des mouvements signalait déjà l'augmentation de tonus mussegmentaires au centième de seconde, expliquent culaire résultant d'une stimulation articulaire, pourquoi «des patients qui ont récupéré une et le fait qu'il existe autour de l'articulation un intégrité structurale à la suite d'un traumatisme mécanisme protecteur (32). Ceci a été studieusearticulaire sont gênés malgré tout par des ment oublié dans les cours de kinésithérapie anomalies persistantes des activités posturales jusqu'à ce que Gardner, puis Freeman et Wyke et motrices réflexes de la part des muscles qui reparlent de la même chose avec l'impact accru meuvent l'articulation intéressée» (10), (42). d'une origine anglo-saxonne. Il existe quatre variétés de récepteurs articulaires (Adapté d'après Wyke R) (tableau 1). Influence de la position de la tête Toutes ces afférences réflexogènes sont poly- sur le comportement général de l'être humain synaptiques : les récepteurs de type 1 et II utilisent les voies de la boucle fusimotrice L'un des facteurs essentiels de la kinesthésie (myotatique), tandis que les types III et IV se projettent sur les moto neurones alpha par reste l'influence primordiale que joue la position l'intermédiaire d'un interneurone. De plus, les de la tête sur l'organisation générale de la récepteurs du type 1 contribuent à la perception motricité. Le simple conseil « Suivez vos mains de l'invariant postural et au sens kinesthésique des yeux » donné au patient lors des exercices par des projections transthalamiques qui se de reprogrammation neuromotrice permet de terminent sur la région paracentrale et sur le s'assurer que le sujet travaille dans des condicortex pariétal (44). tions qui ressemblent au comportement normal: -Le système de protection articulaire par les on regarde une bûche que l'on fend, on regarde muscles, à partir des afférences articulaires, peut une planche que l'on scie, on regarde un clou être résumé de manière simple : l'innervation que l'on enfonce. L'être humain est habitué à sensitive appartient au même tronc que l'inner- manipuler les objets et à produire des efforts vation motrice des muscles qui protègent la importants dans l'espace binoculaire antérieur capsule. L'exemple le plus démonstratif en est qui constitue son « espace de travail» (23). Si l'innervation de la hanche, où l'innervation la tête ne peut se déplacer normalement - suite sensitive de la partie inférieure de la capsule à une douleur' ou un enraidissement de la région 374 Ann. Kinésithér., 1985, t. 12, n° 7-8 cervicale - la répercussion motrice est beaucoup plus grave que l'on ne se douterait en théorie. L'étude de l'influence de la position de la tête sur celle du corps n'est pas récente. Nous nous limiterons à ce qui a été fait sur l'adulte, pour citer tout d'abord le «Korperstellung» de Magnus et « Kopfualtung und Muskeltonus » de Simons, tous deux traduits et repris par Brunnstrom avec les implications pour la kinésithérapie (4), (5). Partant de cette information de base, Partridge a montré que, si la tête du sujet est tournée du côté du poignet qui travaille pendant une série d'exercices en dorsiflexion contre résistance maximale, les résultats sont supérieurs à ce que l'on peut obtenir si la tête est tournée en sens inverse (21) - il s'agissait de sujets ne présentant pas de pathologie cervicale. Holt et ses collaborateurs ont vérifié cette influence facilitatrice de la position de la tête sur la capacité de travail (22). En l'absence de vision, la précision du contrôle des activités du membre supérieur est fortement influencée par l'attitude de la tête vers la gauche ou vers la droite (48). En pathologie, on peut postuler que la gêne d'un cou douloureux sera répercutée aux étages inférieurs; expérimentalement, mais dans le domaine précis de la kinésithérapie, l'influence du placement de la tête sur la puissance maximale isométrique des fléchisseurs et extenseurs de l'avant-bras a été mise en évidence (31). Revenons à l'influence du contrôle cervical sur l'attitude général du corps et sur la fonction d'ambulation : cliniquement, il suffit d'enrouler une serviette épaisse autour du cou d'un sujet sain pour observer un comportement moteur anormal, qui provient de la perturbation sensitive induite au niveau du cou. La projection sur le cortex pariétal des afférences articulaires du type 1 (25), (15), permettent à l'individu de percevoir et d'utiliser les sensations kinesthésiques fournies par les récepteurs articulaires d'origine cervicale, et leurs projections intraspinales permettent de contribuer au contrôle de l'attitude et des mouvements du corps. Ces afférences se combinent avec celles venant de l'oreille interne pour contrôler l'activité musculaire antigravitique (45). En cas de pathologie, ou simplement de sénilité (47), les perturbations des afférences entraînent des désordres de l'équilibre. Nous insistons sur ce fait pour faire comprendre que toute pathologie vertébrale, mais plus spécialement une pathologie au niveau cervical (46) aura des répercussions énormes sur le comportement moteur. C'est en gardant à l'esprit deux influences: celle des afférences cervicales et celle des signaux de l'oreille interne, que Vaast, qui suit Zador (49), a pu mettre au point une méthodologie d'utilisation de la table basculante en rééducation. Il s'agit de déséquilibres du corps entier qui ont pour but, soit le réentraînement du tronc, soit celui d'un membre ou d'une articulation (36). Signaux d'origine articulaire et leur utilisation La spécialisation des récepteurs articulaires, et le fait que tous ont tendance à dégénérer au cours d'une immobilisation prolongée, permettent de comprendre les anomalies de signaux reçus par nos patients, et de prendre les mesures nécessaires pour remédier à un défaut de kinesthésie. RÉCEPTEURS DU TYPE 1 De seuil bas, peu adaptables, ces récepteurs possèdent un versant statique qui permet de percevoir les contraintes statiques appliquées à une articulation immobilisée (ainsi le sujet placé sur une « escarpolette » et qui a verrouillé son genou, sait que l'articulation est fortement comprimée par la pesanteur et les contractions musculaires statiques). Par leur versant dynamique ils signalent les déplacements les plus infimes, et puisqu'ils envoient de 10 à 20 impulsions par seconde, nous sommes renseignés sur la position relative des deux os joints par l'articulation. Ces récepteurs jouent également un rôle de barorécepteurs : la pression intra-articulaire est normalement de 5 à 10 mm Hg en dessous de la pression atmosphérique, et la montée ou la descente de la pression barométrique est ressentie par le sujet - avec les effets que connaissent ceux d'entre nous spécialisés en rhumatologie. Ann. Kinésithér., · RÉCEPTEURS DU TYPE II Dynamiques, à seuil bas mais à adaptation rapide, ces récepteurs nous renseignent sur les accélérations et décélérations au sein de l'accélération. Ils sont plus nombreux dans les articulations distales (cheville, genou) que dans la hanche par exemple. Ils sont inactifs lorsque l'articulation est au repos. Leur pathologie signe un état paradoxal et énervant pour les rééducateurs : un athlète qui a recouvré l'intégrité d'amplitude articulaire et la puissance musculaire revient nous voir en disant « Je ne peux pas courir» ; il essaye de démarrer, s'arrête en se tenant le genou. En effet, il « ne sent pas » son genou de manière normale, simplement parce qu'il ne perçoit pas, à très grande vitesse, tous les renseignements indispensables quant à la position relative des pièces squelettiques. Ne le forcez pas à reprendre son activité sportive, il convient d'attendre qu'il ait récupéré sa population de mécanorécepteurs. LA RÉACTION DE RACCOURCISSEMENT Les mécanorécepteurs déclenchent des activités musculaires en réponse aux mouvements actifs, mais également en réponse à la mobilisation passive. Westphal a décrit cette «Paradoxer Muskel Reaction» (41) en 1877 : si l'on étend soudainement le genou, le quadriceps se contracte - c'est-à-dire l'agoniste du mouvement. Si l'on exécute une dorsiflexion de la cheville, le jambier antérieur se contracte (2), (3). Cette activation de l'agoniste fait partie du contrôle du geste, et en corollaire la mobilisation passive contribue à recréer les populations de capteurs décimées par l'inactivité: n'hésitez pas à faire de la mobilisation pàssive après immobilisation plâtrée par exemple. RÉCEPTEURS DU TYPE III Ceux-ci se trouvent dans les ligaments qui entourent les articulations; ils paraissent être les homologues articulaires des organes de Golgi placés dans les tendons des muscles. Ils sont actifs en amplitude extrême, et peu adaptables même si la contrainte est maintenue longtemps. •..=-~...::::-_--- 1985, t. 12, nO 7-8 375 LA NOTION DE VIGILANCE En dépit de la rapidité avec laquelle les récepteurs peuvent signaler le danger et appeler la musculature à l'aide, nous savons maintenant (33) que, si le genou est soumis à une contrainte subite, les muscles se contractent trop tard pour la protéger; il convient donc que les muscles soient en contraction avant l'application de la contrainte, dans la situation par exemple du skieur qui descend une pente. Si par contre le sujet, même sportif, se laisse « surprendre » par une anfractuosité inattendue du terrain, la pathologie articulaire se produira inévitablement. Nous pouvons dire inévitablement, car la mise en contraction des muscles de la patte d'oie augmente de 108 % la raideur effective du ligament latéral interne, et la contraction préalable du quadriceps augmente cette raideur effective de 164 %. Nous avons ici un des aspects les plus clairs de la reprogrammation neuromotrice : point ne sert d'avoir un quadriceps puissant, encore faut-il avoir recouvré la rapidité et la coordination qui permettent de le mettre en état de vigilance avant que le danger ne se présente. Un ébranlement important du membre inférieur provoque la contrainte dangereuse dans le 19t L/I. après 39 millisec., la contraction musculaire n'arrive qu'au terme de 215 millisec. - et ceci pour un skieur qui descend à 13 km/ho RÉCEPTEURS DU TYPE IV Il s'agit d'une résille de fibres de très petit calibre distribuée dans les coussinets graisseux articulaires, dans les capsules et dans la tunique des vaisseaux sanguins. Eux aussi déclenchent des contractions musculaires importantes, le plus souvent à type de contracture. L'exemple le plus évident est celui de l'attitude spontanément adoptée par la victime d'un épanchement de synovie: la tension du liquide dans l'articulation fait souffrir la capsule, et celle-ci organise la contracture des muscles de la cuisse de manière à obtenir environ 20° de flexion, ce qui ouvre au maximum les culs-de-sac synoviaux et soulage un peu la pression interne. A partir de cette attitude il n'est plus possible d'allonger le genou, ni de le fléchir : les algorécepteurs du type IV sont· maîtres de la situation . 376 Ann. Kin ésithér., 1985, t. 12, n° 7-8 ACTION FACILITATRICE DE LA POSITION ARTICULAIRE PRÉALABLE suivis d'un freinage brusque, sont mieux calibrés que les mouvements lents à freinage progressif (40) : en effet, le rééducateur a encore trop Il semble que même les capteurs statiques tendance à travailler à vitesse lente (précautionsoient en mesure d'influer fortement sur la neuse) même chez des personnes présentant des rapidité de réponses du muscle, car nous avons troubles musculaires avec intégrité du squelette. trouvé (27) que le simple fait de placer le sujet Les vertus de la « force explosive» ne doivent en position debout permet un temps de réaction pas être négligées. de 147 millisec., alors que si les sujets sont assis, La tension intramusculaire est, d'une part, le temps de réaction est de 153 millisec. Puisqu'il fonction de l'effort que l'on demande (donc s'agit d'un muscle biarticulaire, extension de réglée par la sensation périphérique de résistance hanche avec extension du genou équivaut à de l'objet), et d'autre part fonction d'une flexion de hanche avec flexion du genou en ce précalibration de la «raideur active». Le qui concerne la longueur totale du muscle, et muscle possède une certaine raideur élastique ce n'est donc pas dans le système myotatique qui se modifie au cours de la contraction; musculaire qu'il faut chercher la source de cette l'organe possède également la capacité de régler « facilitation ». Notons que l'athlète se place l'impédance mécanique, ou raideur visqueuse dans des positions articulaires «formelles» , qui ralentit le glissement de l'actine sur la sans doute celles qui lui permettent de fonction- myosine. Ce « réglage » préalable de la raideur ner au niveau le plus élevé. Toute anomalie de active du muscle est contrôlé par le système position (attitude antalgique par exemple) aura central (17). Pour comprendre ce mécanisme, pour effet de faire baisser le niveau de la suivons les étapes du comportement d'un jeune performance musculaire. ' enfant qui s'entraîne à saisir un ballon: une fois calibré l'écartement des membres supérieurs, les mains entrent en contact avec le ballon, mais TENSION MUSCULAIRE ET SENS DE L'EFFORT le laissent échapper parce que le poids multiplié La base de cette perception est bien entendu par la vélocité donne un objet plus difficile à le fuseau neuromoteur (FNM) (20), (18) car ces arrêter et saisir qu'il ne paraît; au terme de organes sont ébranlés par toutes les situations quelques essais, l'enfant règle à l'avance la dans lesquelles se trouve le muscle. Ils consti- « raideur active» des muscles chargés de la tuent l'un des moyens par lesquels nous contrô- réception. Il est possible de se livrer à la même lons notre activité motrice. Il faut donc considé- expérience avec des adultes à qui l'on lance des rer le muscle comme un organe sensitif autant sacs de sable de poids croissant : il arrive un moment où la précalibration n'est pas suffisante qu'un organe moteur. Rappelons que les récepteurs fusoriaux sont et le sujet laisse échapper le sac; certaines équipés de capteurs statiques et de capteurs personnes règlent mal la raideur active et sont dynamiques: du repos total au freinage à grande notoirement incapables de saisir au vol un vitesse en passant par l'accélération et le travail « medecine-ball » par exemple. Pendant des épisodes de ce genre, les fuseaux continu statique, rien n'échappe à la vigilance neuromoteurs définissent le niveau de raideur de ces organes. Ils ne peuvent seuls donner le sens parfait de la position articulaire (30), il est active nécessaire à l'accomplissement du geste, et donc probable qu'ils travaillent constamment en jouent sur la propriété « tension-longueur» du couplage avec les récepteurs articulaires : les muscle (le lutteur « se ramasse» sur lui-même deux systèmes sont éminemment complémen- devant l'assaut de l'adversaire). Ces compensataires, c'est pourquoi la reprograrrimation neuro- tions de charge s'effectuent graduellement et font motrice tire parti des deux mécanismes : partie de l'apprentissage moteur (37). Toutes ces positions articulaires et mise en tension composantes de servo-activités sont prises en considération dans la reprogrammation neuromusculaire. Il est important pour le rééducateur de savoir motrice, y compris la requête de mise en tension que les mouvements exécutés à grande vitesse, musculaire préalable à l'exercice. Ann. Kinésith ér., 1985, t. 12, n° 7-8 CONTRÔLE VESTIBULAIRE DE L'ÉQUILIBRE Ces mécanismes que nous avons décortiqués fonctionnent bien entendu de concert, et toute l'information kinesthésique des afférences articulaires et musculaires se combine aux afférences vestibulaires. La perception de rotation dans les chevilles est particulièrement importante dans le contrôle de l'équilibre - les mécanorécepteurs articulaires fusionnent avec les signaux vestibulaires, c'est par exemple notre réaction très rapide au freinage subit lorsque nous sommes debout dans un autobus ou dans un train (29). Cette addition d'informations venant des chevilles et du vestibule est indispensable à l'équilibre humain normal, le travail sur la planche de reprogrammation est précisément l'exploitation de cette constatation de laboratoire. La latence de contrôle exercée par les afférences articulaires est de l'ordre de 600 millisec., mais les informations vestibulaires atteignent les centres moteurs après seulement 300 millisec. Le réflexe postural est donc déclenché par l'ébranlement des afférences vestibulaires, le contrôle subséquent dévolu aux informations qui parviennent « en continu » des mécanorécepteurs articulaires de la cheville. De ceci nous avons exclu l'information visuelle. Or, si le sujet debout sur une plateforme immobile peut se passer d'afférences vestibulaires et visuelles (28) dès que la surface d'appui est mobile, la vision et les signaux vestibulaires sont indispensables. Mais nous laisserons de côté l'influence de la vue qui nous prendrait trop de temps. LE MOUVEMENT EST-IL POSSIBLE SANS PROPRIOCEPTION? La question mérite d'être posée. Certains de nos patients sont privés d'une partie de leurs messages kinesthésiques : après prothèse totale de hanche la capsule articulaire est enlevée le plus souvent. Nous savons maintenant que d'autres circuits peuvent se substituer aux mécanorécepteurs, et en particulier la sensation de tension de la peau, de tension dans les muscles peuvent être réintégrées au niveau sous-cortical pour aider au contrôle du geste. Ceci déconcerte le kinésithérapeute à qui l'on ir----- 377 confie les prothèses de hanche : à la période précoce après intervention, il rend au sujet une mobilité articulaire suffisante, une puissance musculaire suffisante, et le sujet continue à boiter; privé des afférences habituelles, le patient ne peut tirer parti de la rééducation. Il arrive souvent que l'on permette au sujet de rentrer chez lui une fois les fils retirés, et lors d'une visite de contrôle on se rend compte qu'il a fait des progrès considérables. Ceci n'est en rien surprenant, et la seule erreur commise consiste à envoyer le patient trop tôt en rééducation, au lieu d'attendre qu'il ait réintégré une kinesthésie paranormale. La seconde erreur - celle du kinésithérapeute - est de s'intéresser uniquement aux déficits mécaniques (amplitude articulaire, puissance des muscles) et de délaisser les déficits sensitifs du système afférent. La reprogrammation neuromotrice se propose de remplir ce créneau en ajoutant quelque chose au programme thérapeutique, sans remplacer ce qui existe déjà. EXERCICE ET SANTÉ DE L'ARTICULATION, EXERCICE ET SANTÉ DU MOTONEURONE Nous reviendrons sur l'idée du début pour insister sur le fait que les mécanorécepteurs articulaires, structures délicates, sont entretenus par le mouvement articulaire; une immobilisation prolongée, même chez un sujet sain, a pour résultat un appauvrissement de la population de récepteurs, avec pour résultat une perte d'acuité kinesthésique. Le mouvement articulaire (passif ou actif) recrée un nombre habituel de récepteurs. D'autre part, une étude capitale nous indique que la santé du motoneurone dépend de l'activité du muscle qu'il innerve, les impulsions stimulantes, dans ce cas, se déplaçant de manière rétrograde (antidromique) le long de l'axone (8). Bien souvent, la musculature du patient est affaiblie au point que le mouvement à déclenchement volontaire n'est pas possible. Il arrive que le sujet «ne trouve pas la commande », et pendant cette absence de contraction musculaire le motoneurolle se détériore. Le déclenchement de contractions automatiques ou évoquées en reprogrammation neuromotrice permet d'obtenir des contractions non volontaires qui enverront cet effet rétrograde sur le motoneurone qui les innerve. 378 Ann. Kin ésithér., 1985, t. 12, n° 7-8 Conclusion Le kinésithérapeute ne doit pas sous-estimer son rôle d'agitateur de récepteurs; à la sortie d'une immobilisation, les frictions sur la peau recréent les sensations kinesthésiques cutanées. Les mobilisations passives recréent les sensations kinesthésiques articulaires. Le travail actif recrée la sensation de tension, et de plus l'activité musculaire entretient l'intégrité du neurone moteur par effet antidromique. Ce dernier effet - dont on ne peut trop souligner l'importance - justifie bien entendu les contractions sous plâtres, mais de préférence les contractions obtenues par irradiation comme cela a été décrit pour le cou (13), (9), pour les membres (16), pour le reste du tronc (39). Le volet le plus récent de cette « éducation holistique » - qui prend en compte la kinesthésie du corps dans son entier - est la gymnastique du type «stretching», basée sur les mêmes principes. Par ses deux expressions, stretching « postural» et analytique dynamique, l'abord du corps se conforme à la théorie neurophysiologique. La reprogrammation neuromotrice strictement « rééducative » trouve ainsi son prolongement dans un corpus d'exercices raisonnés basés sur la perception. Références 1. ANDREW B.L. - J. Physiol. (London), 1961, 155, 59. 2. BATHIEN N., TOMA S., RONDoT P. - Composante articulaire de la «Réaction de Raccourcissement» évoquée par la mobilisation passive chez l'homme. 3. BATHIEN N., VIEL E., SALAIRE M., DUPoNTREuE .tyL - Influence of a peri-articu1ar b10ck at the Ankle joint on muscle tone, Am. J. Phys. Med., (à paraître). 4. BRUNNSTROM S. - Haltun - CH. III of 'Korperstellung by Rudolph Magnus, Phys. Ther. Rev., 1953, 33, 6, 281-290. 5. BRUNNSTROM S. - Head posture and muscle tone - clinical observations by A. Simons, Phys. Ther. Rev., 1953, 33, 409-419. 6. 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