lire VERSETS DOULOUREUX Introspection sur les textes sacrés, parfois porteurs de violences “Nos religions sont malades” L ◗ Les Versets douloureux e rabbin David Meyer est l’inspirateur du livre “Les Versets douloureux”. Rencontre. David Meyer, Yves Simoens, Soheib Bencheikh David Meyer rabbin, enseignant, écrivain. Le problème fondamental créé par les dérives d’une certaine pratique des religions n’est-il pas lié à la distance que les fidèles prennent ou non avec le sens littéral des textes sacrés ? Il me semble que notre approche commune de nos textes “sacrés” est réellement de “triturer” le texte, les mots, le contexte historico-social. Mais nous ne prétendons jamais détenir la “Vérité” de ces textes. C’est là une différence très importante avec les lectures et les lecteurs fanatiques du texte. Je sais, car je dois l’admettre, que l’interprétation tolérante et respectueuse que je cherche à faire passer n’est pas la seule et unique lecture des versets possible. Je sais que d’autres peuvent mettre en avant le sens littéral, même si celui-ci est violent et haineux. Mais mon combat, c’est d’essayer d’être plus convaincant que les autres. Lorsque l’on prêche le respect et la tolérance, il faut aussi savoir le vivre vis-à-vis de ceux qui ne sont pas du même bord que soi. C’est un exercice bien délicat. Il semble que cette question de la “distance” soit effectivement l’une des clés de compréhension des problèmes de violence dans les religions que nous connaissons actuellement. Le texte “sacré” peut en fait être un texte non seulement porteur d’inspiration, d’éthique et de valeurs morales mais parfois aussi un texte violent, belliqueux, haineux et manquant totalement de respect pour l’Autre. Face à ce dilemme d’un texte à “deux facettes”, il faut toujours garder à l’esprit que le sens littéral ne doit pas devenir le sens unique de la lecture et de la compréhension. La “distance” par rapport au texte, c’est avant tout dans ma capacité à garder mon libre arbitre et mon sens moral que je parviens à l’exprimer. Cela veut dire que je ne dois jamais abandonner mon sens des responsabilités sous prétexte que le texte me dit ceci ou cela. Il est triste de constater que c’est cette “distance” qui fait le plus souvent défaut dans la pratique de la religion et de l’étude religieuse de nos jours. Nous pourrions dire que la “distance” dans la relation au texte est justement ce qui doit nous séparer de la tentation de la “foi aveugle” et donc, comme toujours lorsque l’on évoque ce terme, de la violence au nom de la religion. “Tout le judaïsme se situe dans le domaine de l’enseignement, de l’indépendance d’esprit et du devoir de réflexion et de décision”, écrivez-vous. Pensez-vous que l’on peut classer les religions à l’aune de leur aptitude à l’autocritique ? La “maladie” des religions réside-telle dans ce défaut de travail d’interprétation ? Je crois en effet que parler de “maladie” pour nos religions aujourd’hui est quelque chose qui s’impose. Nos religions sont malades et il faut le dire. L’une des facettes de cette maladie, c’est la perte de l’audace interprétative sans laquelle nous prenons corps avec le sens littéral du verset et risquons donc de sombrer dans le fanatisme et la violence. Il y a de très nombreux religieux qui étudient, D.R. Copie destinée à [email protected] Lessius, collection “L’Autre et les autres”, 202 pp., env. 22 € loureux” pour les présenter sous un angle plus conforme à votre vision, disons progressiste, de la religion ? Et dès lors, en quoi votre interprétation serait-elle plus pertinente qu’une vision plus conservatrice des textes ? mais la question que l’on doit se poser, c’est de savoir s’ils étudient comme il faudrait ? Ma remarque est sans doute un peu prétentieuse, mais l’étude qui crée la “distance” ne peut pas être une sorte de “lecture adoration” qui se contente de savourer la beauté du texte. La véritable interprétation doit, au contraire, prendre le texte à bras-le-corps, le travailler, le rendre malléable afin d’en faire germer un sens qui se veut être respectueux de l’autre. Ce véritable “travail” d’interprétation manque cruellement de nos jours. N’avez-vous pas le sentiment d’“avoir trituré” ces “versets dou- Une grande et belle leçon d’humilité L e rabbin David Meyer, le jésuite Yves Simoens et le grand mufti de Marseille Soheib Bencheikh : ils sont trois à avoir relevé le défi de passer au crible les “versets douloureux” des livres sacrés, bible, évangile et coran, de leur religion respective. “Le problème le plus important qui m’est apparu dans le dialogue interreligieux que j’ai mené depuis une quinzaine d’années, a été de prendre conscience, explique David Meyer, que, trop souvent, les partenaires d’un tel dialogue “se jettent des fleurs” afin de créer les conditions d’une certaine cordialité nécessaire à l’écoute réciproque”. Or, “il y a, à l’intérieur du dialogue, un besoin pressant d’une VIII VENDREDI 7 MARS 2008 lecture critique de sa propre tradition qui est l’élément principal permettant de faire une place à l’autre”. Le constat dressé, c’est une rencontre avec Soheib Bencheikh, lors d’une “conférence des imams et des rabbins pour la paix” à Séville qui va être le catalyseur du projet, auquel se joindra Yves Simoens. Résultat, au terme d’un travail lancé en octobre 2006, cet ouvrage, “Les versets douloureux, Bible, Evangile et Coran entre conflit et dialogue”, qui regroupe trois contributions : les versets douloureux de la tradition juive, de la tradition islamique et l’Evangile selon Jean et les juifs. L’exercice se révèle passion- nant, même si certains passages du livre sont un peu hermétiques au non-initié. Et les réflexions qui en découlent réconcilieront avec la pratique religieuse ceux qu’effrayent les diktats imposés au nom de “La Vérité” qu’inspire leur religion à certains extrémistes. Car, comme l’écrit le rabbin Meyer, “n’est-ce pas là finalement la preuve d’une grande religion que d’avoir le courage et l’audace de se regarder en face collectivement et de se demander où se trouvent les sources religieuses, sociales et historiques de notre propre extrémisme ?”. En effet, “comment une parole révélée par un Dieu d’amour et de miséricorde peutelle être douloureuse et violente ?”. G.P. La “classification” des religions est une notion très complexe et problématique. Cependant, je continue à croire que pour ce qui est du judaïsme, l’enseignement de base de la Torah se rapporte en effet à cette capacité d’autocritique et d’indépendance d’esprit. La difficulté majeure serait donc de “juger” de l’état des autres religions à la lumière de la compréhension de sa propre tradition. Prenons un exemple. Lorsque l’on me dit que le mot “islam” signifie “soumission”, cela pourrait me poser une difficulté très réelle car cela va à l’encontre de ma perception de l’essence du judaïsme où l’acte de “soumission” n’a pas véritablement lieu d’être. Je pourrais donc être tenté de classer et de hiérarchiser les religions. Mais dans quel but ? Certainement pas pour établir un jugement de valeur et pour se positionner “audessus” des autres. Nous savons où cela mène. Ainsi, avant de juger et de “classer” encore me faut-il prendre véritablement le temps de comprendre ce que la religion de l’autre enseigne et assimiler ce que les mots et les concepts utilisés veulent réellement dire. Comment le musulman comprend-il sa notion de “soumission” et où cela le mène-t-il dans sa relation à moi ? Voila la véritable question. En ce qui me concerne, si j’insiste tant sur la notion d’autocritique et d’indépendance c’est parce que pour un esprit juif, seule l’autocritique permet de regarder l’autre avec compréhension et surtout avec la “distance” nécessaire au respect et à la tolérance. C’est parce que l’autocritique mène à la tolérance que je suis tenté tout de même de juger les religions à cette lumière. A ce titre, avec Nostra Aetate et Vatican II, l’Eglise nous a donné à tous une leçon magistrale de courage, d’audace et d’intelligence. Gérald Papy LA LIBRE BELGIQUE © S.A. IPM 2008. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.