Une guérison spontanée qui ouvre des voies

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par Neijma Lechevallier
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Une guérison spontanée
qui ouvre des voies
La guérison apparente de deux hommes infectés par le VIH, qui résulterait d’un
phénomène naturel, ouvre des perspectives intéressantes, selon des travaux publiés
le 4 novembre dernier 1.
S
elon des chercheurs, deux patients auraient guéri
du VIH grâce à un mécanisme naturel, qui permet à l’organisme de neutraliser le virus intégré
dans l’ADN. « C’est un constat très intéressant et une
première démonstration avec le VIH d’un phénomène
que la nature a su faire avec d’autres virus au cours de
l’évolution », commente le Pr Yves Levy, de l’Inserm et
coauteur de l’étude. « Le génome de tous les vertébrés
comporte entre 2 % et 30 % de séquences de rétrovirus,
renchérit le Pr Didier Raoult, de la faculté de médecine
de Marseille et de la fondation Méditerranée infection.
Ce mécanisme fondamental et ancien de résistance aux
infections virales, qui consiste en l’intégration et la neutralisation dans le génome des gènes d’agents infectieux,
a été mis au jour voici une dizaine d’années. »
Dégradation majeure du virus. Les patients identifiés,
deux hommes âgés de 57 ans et de 23 ans, ont été
infectés respectivement trente ans et trois ans auparavant.
Dans le sang de ces hommes naïfs de traitements, le virus
ne s’est pas répliqué. Le scénario probable est celui d’une
contamination avec pénétration du VIH dans l’organisme
et dans les lymphocytes. Des traces génétiques relevées
dans ces cellules prouvent que l’infection a bien eu lieu.
« Chez ces personnes, l’ADN viral était présent en de si
faibles quantités et tellement dégradé que les techniques
standard de mesure n’étaient pas positives, explique le
Pr Raoult. Nous avons eu toutes les peines du monde à
amplifier leur matériel génétique viral, mais les progrès
technologiques des dernières années nous ont permis
d’y arriver. » Les deux patients n’ont pas de facteurs de
résistance connus, telle une mutation de la serrure CCR5
– qui empêche le VIH d’infecter les cellules –, ni un profil
de contrôleurs – chez lesquels une production de virus
peut être induite.
Les chercheurs ont observé une dégradation majeure du
virus, « toujours sur le même site, qui est normalement
codant pour l’acide aminé tryptophane, transformé en
codon-stop ». Un codon-stop (ou codon de terminaison)
marque la fin de la traduction d’un gène en protéine.
Le gène viral ainsi modifié est de fait un gène inactivé.
« Chaque fois qu’un nouveau virus est sécrété à partir de
ce matériel génétique muté en codon-stop, il existe des
formes abortives, de plus en plus dégradées, ce qui aurait
au final pour effet de neutraliser le virus par élimination
des formes infectantes, explique le Pr Raoult. Cette activité ressemble à celle du gène humain et de sa protéine
Apobec, observée dans d’autres situations. Mais à ce
stade ce n’est qu’une hypothèse, et nous ne savons pas
expliquer pour quelle raison ce gène serait plus actif chez
ces patients. » En général, chez les autres, ce mécanisme
de défense est inhibé par une protéine virale appelée Vif.
Un modèle naturel semblable a été décrit chez l’animal.
Un équivalent du VIH chez le koala, le Korv (koala rétrovirus), qui provient des babouins et serait apparu dans
les années 1920, s’est répandu au sein de l’espèce, la
menaçant d’extinction. Dans un zoo de San Diego (ÉtatsUnis), des koalas devenus naturellement résistants au
virus ont été observés : ils ne développent jamais ni cancers ni leucémies et transmettent cette résistance à leur
descendance. « Le phénomène complet, de neutralisation
et de transmission, s’appelle l’endogénéisation 2 », précise
le Pr Raoult.
« Sur le long terme, sous réserve d’autres recherches, on
pourrait imaginer mettre au jour des facteurs génétiques
prédictifs, permettant à certains de ne pas être mis sous
traitement, et la mise au point de traitements stimulant
ce mécanisme de défense », avance le Pr Raoult. Pour le
Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l’ANRS, « il s’agit
d’une hypothèse originale qui ouvre des perspectives très
intéressantes afin d’essayer de contrôler le virus. Mais
c’est un travail de recherche fondamentale qui doit être
confirmé ».
Journal Clinical Microbiology and Infection.
Tarlington RE et al., « Retroviral invasion of the koala genome »,
Nature, 2006.
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janvier/ février 2015
n° 76
Transversal
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