Études Marines n°10 : Marines d`ailleurs

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— Études marines —
marines d’ailleurs
No10 – Juin 2016
Centre d’études stratégiques de la Marine
— Études marines —
Les opinions émises dans les articles n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.
Directeur de la publication
Contre-amiral Thierry Rousseau
Rédacteurs en chef
Cyrille P. Coutansais
Capitaine de corvette Stéphanie Payraudeau
Avec la précieuse collaboration du Service prépresse de la Marine nationale
pour les infographies
Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM)
Case 08 – 1, place Joffre – 75700 Paris SP 07
01 44 42 82 13 – [email protected]
— Études marines —
Marines d’ailleurs
No10 – Juin 2016
Centre d’études stratégiques de la Marine
Sommaire
PRÉFACE
Contre-amiral Thierry Rousseau 6
L’IMPERATOR
12
Les États-Unis : les premiers, pour quoi faire ?
Pierre Royer
14
DES AspiraTIONS MONDIALES
22
Chine : vers une ambition mondiale ?
Édouard Pflimlin
24
Les ambitions navales de Vladimir Poutine
Isabelle Facon
32
S’AFFIRMER RÉGIONALEMENT
La politique maritime indienne : de nouvelles impulsions
mais pour quels objectifs ?
Isabelle Saint-Mézard
42
La stratégie maritime du Japon à l’épreuve de l’expansion chinoise
Céline Pajon
50
Brésil : une ambition maritime émergente
Jean-Jacques Kourliandsky
58
4 / Études marines
MARINES éMERGENTES
Naître ou renaître
Cyrille P. Coutansais
70
UNION EUROPÉENNE : SURSAUT OU DÉCLIN ?
L’Europe peine à maintenir sa puissance navale
Vincent Groizeleau
84
POSTFACE
Entretien avec l’amiral Bernard Rogel 98
Études marines / 5
Préface
Contre-amiral Thierry RousSeau
Directeur du Centre d’études stratégiques de la Marine
6 / Études marines
I
l y a quelques mois, je vous invitais à saisir l’ampleur, le rôle et l’importance
du domaine maritime de la France, à partir de ses outre-mer. Je vous propose de
prolonger cette réflexion avec cet aperçu des « marines d’ailleurs », celles justement
que nous côtoyons dans ces eaux proches ou lointaines.
Car la mer est un lieu qui permet la rencontre de tous ceux qui ont compris que
les océans ne sont pas seulement au cœur mais le cœur des enjeux géopolitiques et
économiques de demain et que pour atteindre leurs objectifs, ils devaient déployer
dans la durée et dans l’espace leurs ambitions navales. C’est bien dans cette visée que
notre marine – bien loin de se satisfaire d’une situation privilégiée en disposant de
points d’ancrage dans tous les océans du globe –, multiplie sa présence et sa visibilité
par des déploiements proches et lointains, courts ou longs, en usant de ce droit
fondamental des mers, la libre circulation sur presque tous les espaces maritimes.
En France, plus aucun acteur public ou privé ne nie l’importance de la mer pour
l’avenir de notre pays. « Maritimisation » est devenu un mot d’usage courant, mais
hélas trop souvent incompris, mal compris ou mal défini. Et les scies des « ressources
depuis la mer », de « l’émergence des puissances navales » en sont presque à provoquer
un rejet automatique tant elles ont été employées – à bon mais aussi à mauvais
escient.
Il est alors utile de regarder « ailleurs » pour percevoir une profonde évolution des
puissances navales mondiales, tant dans leur ordre de bataille que dans la construction
d’une politique maritime cohérente, se déclinant en stratégie, action diplomatique et
militaire, mise en œuvre de moyens dans le temps et la continuité.
Qu’y-a-t-il derrière cette notion de stratégie dans le domaine maritime ? Je vous propose
quelques clefs de lecture.
Une stratégie navale vise en premier lieu à satisfaire un besoin de protection de tout
ce qu’est un État et une nation : protection des personnes, des biens, mais aussi des
valeurs et de la souveraineté. Cette protection s’applique également à l’économie,
depuis l’exploitation des ressources marines jusqu’aux flux d’informations dont la
presque totalité transite sous l’eau.
Vient ensuite la nécessité d’exister sur le théâtre des relations internationales avec
la force et l’autonomie suffisantes pour être entendu, voire pour peser. La mer est
au XXIe siècle l’un des derniers espaces de manœuvre « libres », accessibles à qui s’en
donne les moyens. La panoplie des modes d’action possibles permet au responsable
Études marines / 7
politique de tester un adversaire potentiel avec un risque de dérapage limité, mais
aussi d’envisager l’affrontement le plus violent d’un point de vue militaire ou
politique.
Les stratégies navales suivent le plus souvent cette gradation appliquée à des zones
d’ampleur variable, du niveau local, régional au niveau mondial… Une telle dynamique
étend la protection des intérêts à leur renforcement, voire à leur accroissement depuis
les littoraux nationaux pour aller jusqu’aux côtes des autres pays. Un arrêt de cet
investissement, le plus souvent pour des raisons de court terme, a des conséquences
considérables tant les efforts pour revenir dans la course seront importants, d’autant
que l’ordre mondial pourra avoir défavorablement évolué.
Cette stratégie prend également en compte deux dimensions qui contribuent aux
différences entre marines :
- l’histoire (récente) ; ainsi, l’approche de la Chine ne s’appuie pas sur la même histoire
que celle de la Russie qui avait parfaitement compris, dès le début de la guerre froide,
l’importance du volet naval de sa stratégie militaire ;
- la situation actuelle ; la position des États-Unis ou, à un moindre niveau, celle de la
France, n’est pas comparable à celle de pays que l’on qualifie encore d’émergents…
Il ne faut cependant pas limiter cette étude à celle d’une course à l’armement naval :
porte-avions, sous-marins, frégates, etc. La qualité d’une marine repose tout autant
sur ses équipages, leur nombre, leur formation, leur entraînement à cette complexité
de la guerre navale dont la multiplicité des acteurs n’est qu’un des aspects particuliers.
Finalement, l’efficacité d’une marine océanique se déduit de sa capacité à se déployer,
loin et longtemps, en cohérence avec une stratégie clairement établie. Sous cet angle,
la présence des forces navales russes ou chinoises, ces dernières années, sur les théâtres
sensibles du monde est vraiment significative.
Au-delà des grandes puissances maritimes, il faut regarder les marines plus modestes,
à la mesure de moyens plus restreints, mais qui peuvent garder efficacité et cohérence
avec leurs objectifs. Elles peuvent avoir, localement, régionalement, un rôle et une
influence à respecter.
Selon ces critères, la position des marines de l’Union européenne reste hélas bien
timorée. Mais quelques signes positifs récents comme le dernier déploiement
opérationnel du groupe aéronaval peuvent laisser espérer une meilleure prise en
compte de notre héritage historique et de la nécessité de préparer une place aux
Européens dans le XXIe siècle : ce serait un beau défi rassembleur pour l’Europe.
8 / Études marines
Outils de puissance navale dans le monde (échéance 2025)
ÉTATS-UNIS
SNLE > 14
SNA > 58
PORTE-HÉLICOPTÈRES > 11
PORTE-AVIONS > 11
DESTROYERS > 22
FRÉGATES > 90
CHINE
SNA > 9
SNLE > 4
SOUS-MARINS CLASSIQUES > 61
PORTE-AVIONS > 2
FRÉGATES > 59
RUSSIE
SNLE > 17
SNA > 28
PORTE-AVIONS > 1
JAPON
DESTROYERS > 6
SOUS-MARINS CLASSIQUES > 26
FRÉGATES > 16
SOUS-MARINS CLASSIQUES > 21
PORTE-HÉLICOPTÈRES > 3
FRÉGATES > 43
ROYAUME-UNI
SNLE > 4
SNA > 7
PORTE-AVIONS > 2
FRÉGATES > 19
FRANCE
SNA > 6
SNLE > 4
PORTE-AVIONS > 1
PORTE-HÉLICOPTÈRES > 3
FRÉGATES > 15
INDE
SNLE > 1
SNA > 1
SOUS-MARINS CLASSIQUES > 11
PORTE-AVIONS > 2
FRÉGATES > 24
ITALIE
SOUS-MARINS CLASSIQUES > 4
PORTE-AVIONS > 1
PORTE-HÉLICOPTÈRES > 3
FRÉGATES > 14
Études marines / 9
Quant à la France, chacun complétera sa réflexion, aidé par la postface du chef
d’état-major de la marine qui clôt ce numéro d’Études marines. Dans un monde en
pleine restructuration, on peut être satisfait d’une Marine nationale qui tient sa place
avec une efficacité reconnue ‒ sans masquer les difficultés pour y parvenir. C’est
le résultat de l’optimisation d’une position géostratégique exceptionnelle et d’une
capacité entretenue à coopérer avec ces « marines d’ailleurs », permettant à certaines
de participer à l’équilibre du monde.
« Ailleurs », c’est aussi et enfin sur la méthode, en faisant appel à de nouveaux
contributeurs, professeurs et chercheurs en relations internationales qui savent intégrer
cette dimension maritime dans leurs réflexions. Merci à eux, pour les bouffées d’air
iodé qu’ils sont capables de nous insuffler.
Bonne lecture !
10 / Études marines
État des lieux des puissances navales en 2016
RUSSIE
ROYAUME-UNI
TURQUIE
ÉTATS-UNIS
CORÉE
DU SUD
Bosphore
FRANCE
CHINE
ESPAGNE
ITALIE
Panama
Gibraltar
Suez
JAPON
Ormuz
INDE
Bab-el-Mandeb
Malacca
BRÉSIL
THAÏLANDE
AUSTRALIE
SINGAPOUR
Bonne-Espérance
Horn
PUISSANCES NAVALES
ACTUELLES
FACILITÉS/BASES NAVALES
OUTRE-MER OU À L’ÉTRANGER
Marine de rang 1
FRANCE
Marine de rang 2
USA
Marine de rang 3
UK
Marine de rang 4
RUSSIE
Marine de rang 5
CHINE
Marine de rang 6/7
Mer source de tensions ou conflits
Points de passage obligés
Puissances dotées de porte-avions
Puissances dotées de porte-aéronefs
Puissances dotées de SNLE
En cours d’acquisition
Nota : Le classement par rang des marines mondiales est forcément subjectif. Néanmoins il s’appuie sur des critères discriminants
qui sont : le tonnage et l’âge moyen de la flotte, ses capacités de projection de puissance et de force (porte-aéronefs, sous-marins,
composante amphibie, aéronavale…), son aptitude océanique ou hauturière (frégates, ravitailleurs…), son niveau technologique
et son expérience opérationnelle (en incluant le niveau d’entraînement).
Études marines / 11
12 / Études marines
l’imperator
28 avril 2015, l’USS John C. Stennis (CVN 74) au large du Pacifique
avant un exercice de ravitaillement en mer. © US Navy.
Études marines / 13
États-Unis : les premiers,
pour quoi faire ?
Capitaine de corvette (H) Pierre ROYER
Agrégé d’histoire, lycée Claude Monet (Paris)
14 / Études marines
D
epuis bientôt un siècle, l’US Navy figure au premier rang des forces navales
du monde. Cette domination est issue de la seconde guerre mondiale qui
voit un tel effort de construction navale que la marine américaine représente
70 % de toutes les flottes mondiales en 1945. Depuis, aucune n’a pu la surpasser : son
tonnage est le triple de celui de chacune des deuxième et troisième flottes (la Chine
et la Russie). Aucune prévision à un horizon et selon des anticipations raisonnables
ne permet d’envisager qu’une autre puissance la détrône.
Une telle longévité peut surprendre à notre époque où les positions qui semblaient
les mieux assises se révèlent fragiles et éphémères. Elle traduit un élément fort de la
culture et de la géopolitique maritimes : l’inertie, c’est-à-dire à la fois la lenteur des
évolutions et la conservation prolongée des dynamiques initiales. Elle confirme aussi,
évidemment, une continuité politique, donc budgétaire. Mais faut-il y voir seulement
le réflexe conservateur de toute puissance parvenue au sommet, dont l’objectif
ne peut être que de s’y maintenir ? Voire seulement un phénomène corporatiste,
l’US Navy semblant plus habile à défendre ses budgets que les autres armées ? Plus
globalement, les États-Unis se contentent-ils d’adapter leurs outils à de nouveaux
défis ou ont-ils une nouvelle vision du monde, où la marine jouerait un rôle toujours
plus important ?
Le basculement vers le Pacifique : contraint ou logique ?
Le thème à la mode dans les analyses géopolitiques des États-Unis est celui du pivot 1,
c’est-à-dire du basculement, théorisé et annoncé sous l’administration Obama, du
centre de gravité de la stratégie américaine de l’Atlantique vers le Pacifique. En fait,
les démocrates n’ont fait qu’entériner un glissement déjà amorcé avant 2008 et qui
s’explique tout autant par la montée en puissance économique de l’Asie-Pacifique
que par l’émergence de nouvelles menaces ou puissances dans la région. Les indices
de la traduction militaire de ce basculement ne manquent pas : 60 % de la flotte
des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE), qui assurent l’essentiel de la
dissuasion nucléaire, sont désormais affectés à la base de Kitsap, dans le Puget Sound,
alors qu’ils n’étaient que 15 % dans les années 1980 ; tous les avions de combat
FA-18C/D Hornet de la base californienne de Leemore sont désormais remplacés par
les FA-18E/F Super Hornet, plus puissants et plus récents, alors qu’ils volent encore
dans l’Est. Plus décisives sans doute, les modifications géopolitiques : partenariat
militaire avec l’Inde, renforcement des effectifs du Marine Corps présents à Darwin,
1. En référence à la théorie développée par le britannique Harold Mackinder dans son article « The geographical pivot of history »,
The Geographical Journal, avril 1904.
Études marines / 15
en Australie et réactivation depuis 2012 de la base de Subic Bay, aux Philippines, un
site fermé vingt ans auparavant.
Comme nous le verrons, ces dispositions font sens dans un contexte régional de
plus en plus incertain et tendu. Peut-on dire pour autant que la stratégie américaine
privilégie nettement l’Asie ? Rien n’est moins sûr. Le poids pris par la zone dans le
dispositif militaire américain s’expliquait notamment par les deux engagements
simultanés, en Afghanistan et en Irak. L’allègement du dispositif dans ces deux
pays devrait rééquilibrer la situation, d’autant que ces derniers mois ont montré
qu’une épreuve de force avec la Russie n’était pas à exclure en Europe. La volonté de
Washington de pousser l’OTAN toujours plus à l’Est est un jeu dangereux à la fois
en vertu du principe de pivot stratégique (défier la Russie en Europe, c’est la pousser
à se rapprocher de la Chine au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai
– OCS) et parce qu’à terme, les Européens, déjà peu enclins aux efforts budgétaires
et aux affrontements, pourraient se laisser tenter, sinon par le neutralisme, du moins
par l’équidistance entre Moscou et Washington.
Ce serait évidemment une catastrophe pour les États-Unis, d’abord sur un plan
symbolique, car ce sont leurs plus anciens alliés et ceux avec lesquels ils partagent une
« civilisation », ce que l’on peut définir comme un ensemble de références historiques
et culturelles, de principes de gouvernance, publique et privée, et de représentations du
monde ; alors que les pays asiatiques, même alliés, restent profondément « étrangers »,
quand ils ne remettent pas en cause, comme la Chine, l’universalité du modèle des
droits de l’Homme interprété comme le fruit de l’histoire singulière de l’Occident.
Même économiquement, si les relations avec l’Asie sont plus importantes (ce qui n’a
rien d’étonnant vu le poids démographique de ce continent), elles sont aussi plus
déséquilibrées : en 2015, le déficit commercial cumulé avec les principales économies
d’Asie orientale (Chine, Japon, Corée du Sud) représentait les deux tiers du déficit
total (736 milliards de dollars) et le triple de celui avec l’Union européenne ; l’UE
est en effet le deuxième client des entreprises américaines, presque à égalité avec le
Canada et devant le Mexique, très loin devant la Chine. D’ailleurs, si les États-Unis
ont récemment signé un accord de libre-échange transpacifique, celui qu’ils négocient
avec l’Union européenne est encore plus ambitieux et l’ouverture de plus en plus large
aux économies émergentes de l’Ouest du Pacifique suscite critiques et réprobation de
l’opinion publique américaine.
Militairement enfin, les armées du vieux continent restent celles avec lesquelles
l’interopérabilité est la plus poussée et la plus assurée, acquise par plusieurs décennies
16 / Études marines
de mutualisation des matériels et des procédures, et de nombreux entraînements,
mais aussi épreuves du feu en commun. La remarquable complémentarité entre une
task force américaine et le groupe aéronaval français lors de l’opération Chammal l’an
dernier et cette année dans le Golfe l’a encore confirmé. Cet acquis est irremplaçable.
Flottes et bases militaires navales américaines dans le monde
OCÉAN GL ACIAL
ARCTIQUE
ISLANDE
(2017)
OCÉAN
ATL ANTIQUE
JAPON
Yokosuka (VII e)
VIIe flotte
Guam
PHILIPPINES
SINGAPOUR
VIIe flotte
ÉTATS-UNIS
Midway
Pearl Harbor (III e)
Norfolk (II e)
Mayport (IV e)
Guantanamo
e
ESPAGNE Gaëte (VI )
GRÈCE
IIe flotte
VIe flotte
IIIe flotte
IVe flotte
Samoa orientales
OCÉAN
OCÉAN
OCÉAN
PACIFIQUE
OTAN
L’US NAVY
Bases navales sur un territoire américain
Bases navales implantées sur un territoire étranger
DJIBOUTI Ve flotte
Diego
Garcia
AUSTRALIE
INDIEN
Manama (V e)
E.A.U.
INDIEN
DÉPLOIEMENT DES FLOTTES AMÉRICAINES
Flotte
Quartier général
DÉTROITS ET AUTRES
POINTS DE PASSAGE OBLIGÉS
Source : Pierre Royer, DicoAtlas des mers et océans, Éditions Belin, 2013.
Quel rôle pour l’instrument naval dans la lutte contre le terrorisme ou dans
la « nouvelle guerre froide » ?
Il n’en reste pas moins que les principales menaces, sinon contre les États-Unis, du
moins contre leurs alliés, voire contre la paix mondiale, se situent désormais plutôt
en Asie, dans un grand arc de crise joignant les deux Méditerranée que sont la mer de
Chine méridionale et la mer éponyme. Là se concentrent le risque d’une crise régionale
impliquant potentiellement trois voire quatre puissances nucléaires (Inde, Chine,
Corée du Nord, Pakistan), des tensions récurrentes liées aux délimitations maritimes,
l’affrontement entre diverses conceptions de l’islam, alimentant un terrorisme doué
Études marines / 17
d’ubiquité, les conséquences imprévisibles de phénomènes naturels violents et des
menaces majeures de blocage des flux maritimes mondiaux, en particulier pétroliers,
au niveau des goulets d’étranglement d’Ormuz, Suez, Bab-el-Mandeb ou Malacca.
Pour ne parler que des dangers les plus visibles et déjà actifs.
Face à ces menaces, l’outil naval a déjà fait la preuve de sa remarquable souplesse.
Il est évidemment irremplaçable pour tenter de résoudre les crises spécifiquement
maritimes : piraterie – comme dans l’océan Indien où l’action internationale (loin
d’être seulement américaine) a presque fait disparaître la menace, qui s’est cependant
déplacée ailleurs –, lutte contre le terrorisme, menaces de blocage des détroits
stratégiques, dont la surveillance incombe à la Ve flotte. Mais il s’est aussi avéré
utile pour les interventions au sol : les porte-avions, les frégates ou les sous-marins
nucléaires d’attaque peuvent atteindre l’essentiel des zones urbanisées de la planète
avec des raids aériens ou des missiles de croisière Tomahawk tout en se trouvant dans
les eaux internationales ou même dans les zones économiques exclusives (ZEE), où
il n’y a aucune restriction à l’activité des forces navales.
Inversement, les bases sur les territoires alliés posent de redoutables problèmes
politiques à court et, parfois, long terme – rappelons que c’est l’accueil de militaires
américains sur le sol sacré de l’Arabie, à l’occasion de l’intervention au Koweït, qui
révulsa Ben Laden au point d’en faire l’instigateur des attentats du 11 septembre
2001. La fiabilité de l’allié sollicité peut parfois être questionnée, comme on le
voit aujourd’hui avec la Turquie, alors que les navires opérant depuis le Golfe ou la
Méditerranée jouissent d’une plus grande liberté pour frapper en Syrie ou en Irak.
Le principal défi lancé actuellement à la puissance américaine est celui de la montée
en puissance de la marine chinoise, qui accompagne son affirmation stratégique dans
les mers de Chine. Depuis 2012 et la mise en service de son premier porte-avions, le
Liaoning, l’activité navale de Pékin n’a cessé d’augmenter, d’abord dans la zone des
îles Senkaku, disputées entre Japon, Chine et Taïwan, et depuis un an au centre de la
mer de Chine méridionale, dans le secteur des îles Spratleys. La Chine revendique la
totalité de cet archipel de quelques deux cents îlots, situé entre Vietnam, Philippines,
Malaisie et Indonésie, pour accroître sa mer territoriale et sa ZEE dans une zone riche
en hydrocarbures. L’été dernier, les Américains ont diffusé des images montrant les
Chinois en train d’aménager certains hauts-fonds ou récifs découvrants, ne donnant
juridiquement pas accès à une ZEE, pour en faire des implantations permanentes et
appuyer ainsi leurs revendications. On sait par ailleurs que les Chinois estiment avoir
atteint le premier objectif de leur stratégie navale : avoir la capacité de dénier l’accès
aux mers de Chine (situées à l’intérieur d’une première « ligne » d’îles du Japon aux
Philippines) à toute autre puissance navale – y compris l’US Navy.
18 / Études marines
On comprend que la VIIe flotte, dont le quartier général est à Yokosuka (près de
Tokyo), prenne cette menace très au sérieux et tienne à renforcer sa présence : les
facilités navales à Singapour, la réouverture de Subic Bay, à moins d’un jour de mer
des Spratleys, sont destinées à réaffirmer l’intérêt des États-Unis pour la région et à
rassurer leurs nombreux alliés (Japon, Taïwan, Corée du Sud, Singapour, Thaïlande,
Indonésie). Cette présence ne suffit cependant pas à dissuader les États riverains de
s’engager dans des programmes de réarmement naval conséquents, d’autant plus
quand ils sont directement confrontés à l’agressivité chinoise – comme les Philippines
ou même le Vietnam. Ce dernier, régulièrement victime d’interdictions maritimes
lors de ses missions d’exploration pétrolière ou ses campagnes de pêche, a multiplié
son budget militaire par huit en quelques années. L’acquisition de sous-marins
modernes auprès des Russes témoigne d’une dynamique qui s’enracine aussi dans le
souvenir des affrontements avec la marine chinoise des années 1970 pour le contrôle
des Paracels et des Spratleys.
Pourtant, la confrontation sino-américaine a toutes les chances d’en rester au stade
de la guerre froide : manœuvres d’intimidation, traques de sous-marins, viol de
l’espace aérien ou de la mer territoriale proclamée mais non reconnue… Les navires
tiendront une grande place dans ces gesticulations – sans exclure quelques accidents
locaux maîtrisés –, mais il est encore moins probable qu’on passe au stade d’hostilités
déclarées que lors de la guerre froide américano-soviétique. Du coup, la validité de la
stratégie chinoise des « lignes » sera difficile à démontrer : bien sûr, les déploiements
de la marine de l’armée de libération populaire s’étendent désormais sur toutes les
mers du globe et jusqu’aux environs de Guam, base arrière américaine très importante
et point de contrôle de faisceaux de câbles sous-marins tout à fait essentiels pour le
fonctionnement des réseaux de communication. Mais les performances des derniers
missiles DF-21, dits « tueurs de porte-avions », risquent fort de rester déclaratoires, et
leur confrontation avec les systèmes de défense antiaérienne de théâtre des task forces
américaines (missiles SM3, système Aegis) purement théorique.
Les outils sont-ils adaptés aux besoins ?
Les États-Unis auront-ils pour autant les moyens de maintenir leur avance quantitative
et technologique ? La Navy a déjà reconnu une erreur majeure : celle du super-destroyer
furtif Zumwalt, dont le coût prohibitif (une fourchette entre 1 et 3 milliards de
dollars pièce) a entraîné la limitation des commandes aux trois seuls exemplaires en
construction au lieu de la vingtaine envisagée. Fin 2015, le secrétaire à la Défense a
aussi demandé la réduction du nombre d’unités et la rationalisation du programme
Études marines / 19
LCS (Littoral Combat Ships), des navires à grande vitesse existant en deux versions
proposées par deux chantiers différents ; demande logique, le choix d’un seul modèle
permettant des économies d’échelle, y compris pour la maintenance, et parce que la
cinquantaine d’exemplaires envisagée se concevait dans un concept stratégique, le sea
basing, qui semble avoir lui-même du plomb dans l’aile.
L’idée était de fonder les interventions extérieures sur des plates-formes logistiques
mobiles, stationnées en pleine mer et autour desquelles les LCS rempliraient les
différentes fonctions défensives (lutte anti-sous-marine, anti-surface, contre les
mines…) et offensives (mise en œuvre de forces spéciales). Leur vitesse (plus de
40 nœuds) serait bien sûr un atout, à la fois pour le soutien des opérations au sol
et pour la lutte contre toutes les sortes de menaces, y compris les patrouilleurs ou
vedettes rapides constituant la défense côtière de nombreux États. Mais le nombre de
plates-formes a récemment été plafonné à deux (ce qui veut dire, le plus souvent, une
seule opérationnelle à la fois), ce qui laisse à penser que les Américains continueront
à agir depuis leurs bases actuelles, parfois éloignées du théâtre d’opération, ou qu’ils
solliciteront toujours davantage leurs alliés, ce qui laisse présager quelques difficultés,
notamment diplomatiques…
Les LCS seront quant à eux difficiles à recycler, car leur rayon d’action est insuffisant
pour qu’ils jouent leur rôle au sein d’une task force, sauf à sacrifier leur atout premier :
la vitesse. En effet, pour franchir la même distance qu’un destroyer classique, ils
devront transiter à une vitesse à peine égale à celle d’un navire de commerce. C’est
pourquoi l’inépuisable classe Arleigh Burke, entrée en service il y a 30 ans, a encore
de beaux jours devant elle, moyennant l’intégration évidemment des dernières
innovations pour l’armement, la détection ou la propulsion ; elle a déjà franchi le cap
des soixante-dix exemplaires, peut-être supplantera-t-elle les 74 canons français Sané
du XVIIIe comme classe de navires la plus prolifique de l’histoire ?
Même le programme emblématique des porte-avions nucléaires de la classe Gerald
Ford, dont trois sont déjà commandés, n’échappe pas au réexamen en raison de ses
coûts, qui atteignent désormais 14 milliards de dollars pièce en sortie de chantier,
montant doublé avec les frais de fonctionnement et de maintenance sur leur durée
de vie, prévue pour un demi-siècle. Le programme, dont le responsable annonce
déjà qu’il modèlera la Navy pour un siècle, entre l’entrée en service de la tête de série,
prévue pour l’an prochain, et le désarmement du dernier exemplaire, risque tout au
plus d’être encore un peu étalé, car il remplit deux fonctions essentielles : réaffirmer
symboliquement la maîtrise technologique des États-Unis, qui sont les seuls à produire
des catapultes pour porte-avions à pont plat (les nouvelles étant électromagnétiques
20 / Études marines
et non plus à vapeur, ce qui accroît les capacités journalières de lancement d’environ
un tiers) ; renouveler un outil opérationnel sans égal et plus souple que les sous-marins
d’attaque, dont la présence doit rester discrète et qui ne peuvent donc que frapper,
quand un groupe aéronaval a aussi une présence dissuasive – ce sont les « 100 000
tonnes de diplomatie » dont les Américains, en bons continuateurs de T. Roosevelt
et de son big stick, sont si fiers.
L’US Navy aura sans doute du mal à revenir aux trois cents unités qui étaient son
objectif affiché pour 2030 ou 2040, mais elle semble avoir encore une belle marge sur
ses concurrentes, surtout en comptant les flottes capables d’agir de concert avec elles
– en particulier ses trois alliés maritimes majeurs : Royaume-Uni, Japon et France,
voire Inde. Elle continuera donc sûrement à garantir la sécurité des mers et des liaisons
maritimes. Pour les interventions à terre, tout dépendra du pouvoir politique.
Études marines / 21
22 / Études marines
DES AspiraTIONS MONDIALES
Le destroyer chinois Qingdao fait escale à la base navale de San Diego,
en Californie, 18 septembre 2006. © US Navy.
Études marines / 23
Chine : vers une ambition
mondiale ?
édouard Pflimlin
Chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
24 / Études marines
L
es forces navales chinoises occupent aujourd’hui le deuxième rang mondial. Si
le porte-avions Liaoning attire les feux des projecteurs, il ne faut pas oublier les
21 destroyers, 52 frégates, 15 corvettes, 53 sous-marins d’attaque à propulsion
diesel-électrique, cinq sous-marins nucléaires d’attaque et les 86 patrouilleurs côtiers
lance-missiles qu’elle est en mesure d’aligner. L’Office of naval intelligence (ONI)
américain souligne d’ailleurs que la People Liberation Army Navy (PLAN) possède le
plus grand nombre de navires militaires récents en Asie. Composée des trois flottes de
la mer du Nord, de l’Est et du Sud-Est, elle compte 890 navires pour un déplacement
d’1,42 million de tonnes. Forte de 255 000 marins – dont 25 000 dans l’aéronautique
navale, 28 000 dans la défense côtière et 8 000 fusiliers-marins 1 – en 2011, elle a vu
ses effectifs diminuer pour atteindre environ 235 000 hommes en 2015.
Cette force est en pleine mutation. Rien qu’en 2014, « plus de soixante navires ont été
commandés, lancés ou mis en service, avec un nombre similaire prévu jusqu’à la fin de
2015 », souligne le rapport 2015 de l’ONI. La construction d’un deuxième porteavions à propulsion conventionnelle, annoncée par le gouvernement chinois fin
décembre 2015 est emblématique de ce développement. Doté d’avions de combat
J-15, de la même taille que l’actuel porte-avions Liaoning, il pourrait être lancé en
2016 et entrer en service en 2019.
Une marine modernisée, une stratégie renouvelée
La PLAN a entamé son effort de modernisation au début des années 1990 2. Les
opérations militaires américaines contre l’Irak en 1991 puis la crise de 1996 au cours
de laquelle les États-Unis ont déployé deux groupes de porte-avions – les USS Nimitz
et USS Independence – près de Taïwan en réponse à des essais de missiles chinois et des
exercices navals près de l’île ont joué le rôle d’un révélateur. Ces deux crises ont montré
en effet le retard considérable des capacités militaires chinoises en mer et l’inanité
d’une marine cantonnée à la défense de ses approches. La période 1990-2000 a vu
dès lors une réduction significative du nombre de navires côtiers tandis que celui des
grands bâtiments de combat de surface augmentait nettement. Ainsi, Pékin a admis
au service actif vingt destroyers depuis 1991 3.
Au tournant des années 2000, la Chine se lance également dans la modernisation
de sa capacité de projection, à l’exemple du programme de porte-avions et de ses
1. Bernard Prézelin, Flottes de combat 2012, Éditions Maritimes & d’Outre-Mer. édilarge SA, Rennes, 2012.
2. Ronald O’Rourke, « China Naval Modernization: Implications for U.S. Navy Capabilities », 21 décembre 2015, Congressional
Research Service, États-Unis.
3. « Des progrès navals dans tous les domaines », Défense & Sécurité internationale, no121, janvier-février 2016.
Études marines / 25
forces amphibies. Ces évolutions reflètent le changement de doctrine navale, passée
du combat littoral avec des essaims de navires à celle d’un combat hauturier au sein
de la « première chaîne d’îles », soit l’aire qui s’étend du Japon aux Philippines et
jusqu’au sud de la mer de Chine méridionale. Cette doctrine des « Mers proches » ou
de la « Défense offshore » (défense au-delà des côtes) a été résumée par l’ONI comme
une défense qui se concentre sur des objectifs régionaux – mer Jaune, mer de Chine
orientale et mer de Chine méridionale – et vise à dissuader un adversaire d’intervenir
dans un conflit localisé dans cette zone.
Dans ce cadre, la PLAN a rapidement mis au rebut les navires côtiers jugés obsolètes
et s’est procuré des navires de surface avancés, tels que frégates et destroyers,
essentiellement importés de l’étranger. La structure de ses forces indique aujourd’hui
une marine en transition vers des opérations de haute mer effectuées par un plus
petit nombre de bâtiments multimissions. Elle acquiert ainsi des savoir-faire utiles
à des déploiements longs et lointains comme en témoignent les deux gros navires
ravitailleurs en construction – dont le déplacement est estimé à près de 50 000
tonnes – destinés en priorité à l’appui d’un groupe aéronaval. Selon certains experts,
« il faudrait [toutefois] vingt ans pour rendre opérationnel un groupe aéronaval doté de
bâtiments et d’avions de qualité » 4.
Comme les Livres blancs de la défense – en particulier celui de 2015 – le montrent,
la Chine estime avoir de multiples raisons de moderniser ses forces de sécurité. Vues
de Pékin, les autres nations créent de nombreuses incertitudes stratégiques. Ainsi, la
Chine partage ses frontières avec quinze pays d’Asie, dont plusieurs, à ses yeux, sont
susceptibles de lui poser de graves problèmes de sécurité. Les querelles entre la Chine
et ses voisins sont nombreuses autour des îles ou îlots de la zone. Pékin considère
en effet que : « sur les questions concernant la souveraineté territoriale et les droits et
intérêts maritimes de la Chine, certains de ses voisins prennent des mesures provocatrices
et renforcent leur présence militaire sur les récifs et les îles chinois qu’ils ont illégalement
occupés » 5 et souligne que « tous ces facteurs ont un impact négatif sur la sécurité et la
stabilité le long de la périphérie de la Chine ». La présence américaine dans la région
est bien évidemment considérée comme un défi supplémentaire. Le fameux pivot
de Washington est régulièrement souligné par Pékin : « les États-Unis continuent leur
stratégie de «rééquilibrage» [en Asie] et renforcent leur présence militaire et leurs alliances
militaires dans cette région 6 ». Autre point de préoccupation : la sempiternelle question
taïwanaise, les États-Unis étant régulièrement pointés du doigt pour leurs ventes
4. Hugues Eudeline, « Les ambitions mesurées de la Marine chinoise », Marine & Océans, no243, avril-mai-juin 2014.
5. Ibid.
6. « China’s Military Strategy », The State Council Information Office of the People’s Republic of China, mai 2015, Pékin.
26 / Études marines
d’armes à Taipeh. Washington et Pékin s’opposent enfin sur la liberté de navigation.
La Chine considère en effet sa zone économique exclusive (ZEE) comme une zone
de souveraineté et dénonce régulièrement la présence de navires ou avions espions
à proximité de ses eaux territoriales. Depuis la collision en avril 2001 d’un avion de
Ambitions maritimes chinoises : de la ligne en neuf traits au collier de perles
RUSSIE
RUSSIE
MONGOLIE
KAZAKHSTAN
OCÉA N
CORÉE
DU NORD
JAPON
PACIFIQUE
Quingdao
CHINE
Ningbo
AFGHANISTAN
PAKISTAN
IRAN
NÉPAL
BIRMANIE
INDE
Me r d’ O m an
MALDIVES
CORÉE
DU SUD
Go l f e d u
B enga l e
VIETNAM
LAOS
Zhanjiang
TAÏWAN
THAÏLANDE
Mariannes du Nord
(État autonome
associé aux États-Unis)
VII e flotte américaine
CAMBODGE
PHILIPPINES
SRI LANKA
MALAISIE
BRUNEI
ÉTATS FÉDÉRÉS
DE MICRONÉSIE
CHINE
MALAISIE
PHILIPPINES
V e flotte américaine
VIETNAM
INDONÉSIE
O CÉ AN
I N DI E N
DOMAINES MARITIMES REVENDIQUÉS
CHINE
JAPON
Zones maritimes contestées
BRUNEI
AUSTRALIE
MALAISIE
Ligne en
neuf traits
PRÉSENCE MILITAIRE CHINOISE
Flotte militaire chinoise
Première chaîne d’îles
Deuxième chaîne d’îles
«Collier de perles» : bases ou facilités
militaires chinoises existantes ou en projet,
et accords avec des pays alliés
PRÉSENCE MILITAIRE AMÉRICAINE
Bases ou facilités militaires
Flottes militaires américaines
Source : W. Bert, The United States, China and Southeast Asian Sacurity: a changing of the guard?, Palgrave MacMillan, New York, 2003 ;
D. Ortolland et J.-P. Pirat, Atlas géopolitique des espaces maritimes, 2 e édition, Éditions Technip, 2010 ; United States Department of Defence ;
The Economist.
Études marines / 27
reconnaissance EP-3E Aries de l’US Navy avec un chasseur chinois au sud de l’île de
Hainan, des incidents ont périodiquement lieu dans cette zone stratégique, depuis
laquelle l’Empire du milieu déploie des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.
Par ailleurs, en tant que puissance économique mondiale, la sphère des intérêts
de la Chine couvre désormais la planète. Son ouverture croissante au commerce
international, ainsi que le recours accru aux produits importés, l’ont exposée à des
risques d’approvisionnement qui peuvent de plus en plus compromettre ses intérêts
à l’étranger et chez elle.
Au final, l’effort de modernisation reflète l’ensemble de ces préoccupations. Les
observateurs estiment ainsi qu’il est orienté vers le développement de capacités pour
faire face à une crise avec Taïwan, militairement si besoin, faire valoir ou défendre des
revendications territoriales en mer de Chine méridionale et mer de Chine orientale,
faire respecter la position de Pékin quant à son droit de réglementer les activités
militaires étrangères dans sa ZEE, défendre ses lignes de communication maritime,
déplacer l’influence des États-Unis dans le Pacifique occidental et enfin affirmer le
statut de la Chine comme grande puissance mondiale. Les missions assignées à la
marine chinoise recouvrent aussi l’exercice de la sécurité maritime – y compris les
opérations anti-piraterie, menées notamment au large de la Somalie –, la conduite
d’opérations en cas de catastrophe humanitaire ou de désastre naturel ou encore
l’évacuation des ressortissants chinois en provenance de pays étrangers – comme
ce fut par exemple le cas en Libye en 2011 –. L’importance de la diaspora chinoise
dans l’océan Indien et dans le Pacifique ouest peut notamment justifier de telles
interventions.
Sanctuariser la ligne en neuf traits
En juin 2014, la Chine a publié une nouvelle carte de ses revendications qui montre
des appétits territoriaux en termes beaucoup plus définitifs que par le passé. Elle inclut
Taïwan, affirme la souveraineté de Pékin sur les îles Spratleys et Paracels – les deux
principaux archipels de la mer de Chine méridionale –, et couvre de fait la plupart de
cette mer. Ces revendications ont une histoire complexe. La ligne de neuf traits – Ninedash line – a été officiellement établie en 1947 par le gouvernement nationaliste chinois
et endossée par les nouveaux dirigeants. Si certaines de ces revendications – comme en
mer de Chine méridionale – apparaissent dans des documents historiques, elles ne
sont pourtant pas fondées sur une présence ou une domination chinoise continue.
Elles sont donc fortement contestées par les États de la région, ce qui n’empêche pas
Pékin de poldériser de nombreux récifs et atolls pour les transformer en bases militaires
28 / Études marines
permanentes. Ainsi, sept récifs ont été artificiellement étendus et fortifiés en dix-huit
mois permettant de gagner huit km2 sur la mer, selon une déclaration du secrétaire
à la Défense américain, Ashton Carter, le 29 mai 2015 7.
Ces fortifications, outre leur caractère stratégique, ont pour but de légitimer
les revendications de Pékin au regard du droit international. L’article 121 de la
Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), ratifiée par la Chine,
indique en effet que « des récifs qui ne peuvent soutenir une occupation humaine ou
vie économique autonome n’ouvrent pas droit à une ZEE ou à un plateau continental ».
Transformer des récifs en îlots occupés de manière permanente est par conséquent
une manière pour Pékin de revendiquer des espaces maritimes étendus.
Cette stratégie pourrait se dérouler sans trop de heurts si ces poussières d’îles n’étaient
pas l’objet des prétentions d’autres États. La Malaisie, Brunei, Taïwan, le Vietnam ou
encore les Philippines ont tous à des degrés divers des visées sur la zone des Spratleys.
La CNUDM affirme aussi qu’aucun État ne peut revendiquer de souveraineté sur
un récif immergé, sauf s’il se situe à moins de 12 milles de ses côtes. Les Philippines,
en litige avec Pékin au sujet de plusieurs récifs, en particulier celui de Scarborough,
ont même demandé en 2013 l’arbitrage du tribunal de La Haye. Mais les différends
les plus sanglants – et les plus anciens – ont eu lieu avec Hanoï. En 1974, Pékin a
conquis dans l’archipel des Paracels les îlots du Crescent en y délogeant une flottille
sud-vietnamienne. Et le 14 mars 1988, des incidents dans l’archipel des Spratleys/
Nansha – la Chine avait décidé d’y établir une station météorologique sur l’îlot de
Fiery Cross –, ont entraîné la mort d’au moins 140 soldats vietnamiens.
Plus au nord, le Japon s’inquiète des incursions navales chinoises dans ses eaux
territoriales et des différends persistants notamment sur les îles Senkaku/Diaoyu,
en mer de Chine orientale. Les passages de navires de la PLAN à proximité des îles
japonaises pour se diriger vers la haute mer ne font rien pour atténuer ce sentiment à
l’image du premier exercice conjoint conduit par les trois flottes chinoises dans l’océan
Pacifique occidental en octobre 2013. À cette activité navale de plus en plus intense
s’ajoute celle des forces aériennes qui pénètrent parfois dans la zone d’identification
de défense aérienne (ADIZ) japonaise – créée en 1969 – au risque d’incidents dont
on peut craindre qu’ils ne dégénèrent un jour en conflit. En novembre 2013, Pékin
a établi, à son tour, une ADIZ en mer de Chine orientale, incluant les îles Senkaku,
et menaçant même de prendre « des mesures d’urgence défensive » si les pilotes d’autres
pays ne suivaient pas les règles de vol établies par son ministère de la Défense. Tokyo
7. Alexandre Sheldon-Duplaix, « Pékin change-t-il le statu quo en mer de Chine du Sud ? », Défense & Sécurité internationale, no118,
octobre 2015.
Études marines / 29
exige de Pékin qu’il abroge toutes les mesures qui pourraient porter atteinte à la liberté
de survol de la haute mer et s’inquiète de la remise en cause du statu quo en mer de
Chine orientale, porteuse de risques d’escalade dangereuse...
Le caractère expansionniste de la stratégie navale chinoise vise à contrôler différentes
chaînes d’îles. Décrite dès 1982 par l’ex-vice-président de la Commission militaire,
Liu Huaqing, elle comprendrait trois étapes. Dans la première, de 2000 à 2010, la
Chine devait établir un contrôle des eaux au sein de la première chaîne d’îles qui
relie la préfecture d’Okinawa, Taïwan, les Philippines et englobe les Spratleys. Les
récents développements s’inscrivent tout à fait dans cette perspective selon le Center for
Strategic and International Studies (CSIS) américain 8. Dans la deuxième étape, de 2010
à 2020, Pékin chercherait à établir un contrôle des eaux au sein de la deuxième chaîne
d’îles qui relie le Japon, Ogasawara (îles Bonin), Guam et l’Indonésie (Papouasie
occidentale). Dans la dernière étape enfin, de 2020 à 2040, la Chine devrait mettre
un terme à la domination américaine militaire dans les océans Pacifique et Indien,
en utilisant une stratégie fondée sur les porte-avions. Toutefois, la présence en océan
Indien est manifeste depuis 2008 à travers des opérations de lutte anti-piraterie.
Pékin déploie en outre, dans le cadre de la politique du « collier de perles » – nom
donné en 2005 par la société d’études américaine Booz Allen Hamilton à divers
accords conclus par la Chine avec plusieurs pays de la région (Birmanie, Sri Lanka,
Pakistan…) – une série de terminaux de conteneurs et d’implantations portuaires
qui constituent autant de points d’appui indispensables au soutien de ses bâtiments
de guerre et de ses flux marchands.
Un avenir incertain
La Chine a adopté des postures revendicatives qui peuvent apparaître comme
incompatibles avec le droit et l’ordre international existants. Cette attitude pourrait
avoir des conséquences dangereuses. Alors que le pays caractérise sa transformation
militaire comme étant de nature défensive, des crises pourraient contraindre ses
dirigeants à prendre des décisions qui changeraient la nature de cette modernisation
en prenant une tournure encore plus agressive. La Chine envisage souvent ses
actions comme des mesures nécessaires pour empêcher que les États-Unis et d’autres
puissances ne cherchent à limiter son émergence en tant que puissance régionale
et mondiale majeure. Mais, Pékin, dans son ascension vers le statut de grande
puissance navale océanique, doit aussi limiter les risques de conflit et façonner un
8. Anthony H. Cordesman and Steven Colley with the assistance of Michael Wang, Chinese Strategy and Military Modernization
in 2015: A Comparative Analysis, CSIS, 10 octobre 2015.
30 / Études marines
environnement international et régional stable et pacifique. Certains développements
récents ne vont pas en ce sens. Ainsi, les manœuvres navales de juillet 2015, avec plus
de cent bâtiments de guerre déployés en mer de Chine méridionale ont tourné à la
démonstration de force et à l’intimidation armée, notamment vis-à-vis des Américains,
avec le déploiement du missile balistique Dong Feng DF-21D anti-porte-avions.
Toutefois Pékin envoie aussi parfois des signes plus positifs. Elle a signé avec l’ASEAN
(Association des nations de l’Asie du Sud-Est) le 4 novembre 2002 une déclaration sur
un code de conduite où chaque partie consent à une résolution pacifique de conflits.
Adhésion réaffirmée en août 2015 au sommet de l’ASEAN. Comme le souligne
Alexandre Sheldon-Duplaix, Pékin renonce ainsi de facto à récupérer les autres récifs
et îles qu’elle réclame en mer de Chine méridionale, « une concession majeure de Pékin,
que beaucoup d’observateurs oublient de relever ».
Études marines / 31
Les ambitions navales
de Vladimir Poutine
Isabelle facon
Maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS)
32 / Études marines
D
ans l’après-guerre froide, les stratèges occidentaux se sont vite habitués à
« l’absence » de la marine de guerre russe (Voenno-Morskoï Flot, VMF) sur
les océans du globe. En effet, comme elle l’a toujours fait au cours de son
histoire dans les périodes de repli économique et géopolitique, la Russie, du début
des années 1990 au milieu des années 2000, a réduit considérablement les horizons
de ses ambitions navales.
Aujourd’hui, changement de cap : la marine américaine dit réévaluer sa posture globale
du fait de l’intensification tous azimuts de l’activité de son homologue russe 1. L’outil
naval occupe désormais une place grandissante dans la politique de défense et le projet
stratégique de la Russie de Vladimir Poutine, qui cherche à imposer l’idée que son pays
est une puissance de responsabilité globale. Dès le début des années 2000 d’ailleurs,
le chef de l’État russe mettait en avant son intérêt pour une relance de la présence
maritime et navale du pays à l’échelle internationale, mais les réalités économiques
dictant des ordres de priorité défavorables à la VMF, cette ambition est longtemps
restée circonscrite à l’énoncé d’un discours volontariste.
Depuis, les choses ont bien changé. La nouvelle doctrine maritime, adoptée en juillet
2015, exprime des ambitions largement plus vastes que la précédente et consacre
de longs développements à l’activité navale 2. La VMF a vu, ces dernières années,
l’arrivée plus rapide de nouveaux bâtiments – notamment des sous-marins – et la
mise au point de missiles de croisière de nouvelle génération. En septembre 2013,
près de 80 bâtiments russes étaient en opérations sur les mers 3, et début 2016, le
commandant en chef de la marine russe, l’amiral Korolev, a annoncé que plus de
50 bâtiments renforceront le potentiel de la VMF d’ici à 2018 (42 lui ayant déjà été
livrés entre 2013 et 2016) 4.
Ambitions : une marine russe plus visible dans « l’océan mondial »
Le regain d’intérêt – et de préoccupation – des marins américains pour la puissance
navale russe répond à des faits traduisant concrètement un renouveau. D’ailleurs,
l’adoption par Moscou d’une nouvelle doctrine maritime a été expliquée, entre autres,
par « la consolidation objective de la Russie comme grande puissance navale » 5. Depuis
1. Demetri Sevastopulo, « US Faces Renewed Challenge from Russian Navy », Financial Times, 1er novembre 2015.
2. Texte de la doctrine en russe : http://static.kremlin.ru/media/events/files/ru/uAFi5nvux2twaqjftS5yrIZUVTJan77L.pdf
3. Igor Delanoë, « Russian Naval Ambitions in the Mediterranean », Russia 2014. Insights of the French-Russian Observatory,
Le Cherche-Midi, 2014, pp. 362-363.
4. RT, 18 avril 2016 (anciennement Russia Today, RT est une chaîne de télévision dédiée à l’information internationale).
5. « Russia’s Naval Doctrine Emphasis Atlantic, Arctic Areas – Rogozin », Interfax, 27 juillet 2015.
Études marines / 33
plusieurs années, la marine russe est de nouveau présente dans différentes zones de
« l’océan mondial » – du golfe d’Aden à la Méditerranée en passant par la mer des
Caraïbes –, sorties à l’occasion desquelles s’illustrent régulièrement le porte-avions
Admiral Kouznetsov et le croiseur à propulsion nucléaire classe Kirov Pierre le Grand, le
navire amiral de la flotte du Nord – tous deux devant être modernisés. Selon la VMF,
les patrouilles de sous-marins russes ont connu en 2015 une augmentation de 50 %
par rapport à 2014, confirmant une tendance engagée depuis plusieurs années. Des
sous-marins russes ont été « surpris » à proximité de Norfolk, Kings Bay 6, Faslane 7,
en Méditerranée… Au printemps 2016, un sous-marin était détecté dans le golfe de
Gascogne.
Ces dernières années, la présence navale russe a pris des accents plus offensifs, en
lien direct avec la dégradation progressive des rapports entre Moscou et les pays
occidentaux, dramatisée par le conflit en Ukraine. Les Russes font régulièrement état de
leur perception que l’affirmation de leurs intérêts – dans le domaine naval comme dans
d’autres – se heurte à une forte résistance du monde occidental 8. La nouvelle doctrine
maritime évoque en particulier l’évolution très négative des relations avec l’OTAN,
qui expliquerait la priorité donnée aux zones Arctique et Atlantique. L’Atlantique,
dans lequel la Russie doit maintenir une « présence navale suffisante » (doctrine), est
valorisé « du fait de notre attention envers l’expansion de l’OTAN à l’est et de la création
d’infrastructures de l’OTAN à proximité de nos frontières », précisent les officiels russes 9.
La préoccupation pour l’Arctique – particulièrement saillante dans la doctrine militaire
et la Stratégie de sécurité nationale récemment renouvelées – associe la prise en
compte d’enjeux de sécurité (présence de la flotte nucléaire stratégique, liberté d’accès
à l’Atlantique et au Pacifique) et économiques jugés stratégiques et potentiellement
vulnérables aux pressions occidentales. La flotte du Nord, dont le rôle est « déterminant
[…] pour la défense du pays » (doctrine), est d’ailleurs la composante clef du nouveau
Commandement stratégique interarmées Nord créé fin 2014. La doctrine maritime
évoque également les besoins d’une modernisation, qui s’annonce coûteuse, des
infrastructures économiques, en particulier portuaires, dans le Grand Nord ainsi que
le renforcement de la flotte de brise-glaces nucléaires 10 parmi les conditions devant
guider la réponse de Moscou à l’importance croissante de la Route maritime du Nord
et de la valorisation des ressources dans l’Arctique.
6. Bill Gertz, « Silent Running », Washington Free Beacon, 14 août 2012.
7. Thomas Harding, « Russian Subs Stalk Trident in Echo of Cold War », Telegraph, 27 août 2010.
8. Ruslan Pukhov, « Russia’s Naval Doctrine: New Priorities and Benchmarks », Valdai Club, 17 août 2015.
9. Interfax, op. cit. note 5.
10. Trois brise-glaces à propulsion nucléaire (projet 22200) doivent rejoindre la flotte respectivement en 2017, 2019 et 2020 (Arktika,
Sibir, Ural). La doctrine maritime préconise que la Russie conserve son leadership mondial dans ce domaine.
34 / Études marines
Les ambitions navales renouvelées de la Russie n’ont pas motivé l’annexion de la
Crimée mais elles ont sans conteste renforcé la détermination du Kremlin à préserver
son accès à la péninsule, accès dont elle a jugé qu’il était potentiellement compromis
par le changement d’équipe dirigeante à Kiev en février 2014. Les moyens de la
flotte russe de la mer Noire, à 60 % concentrés à Sébastopol, ont été très mobilisés
pour le positionnement de la Russie en Méditerranée dans le contexte de la crise
en Syrie (présence navale accentuée – une dizaine de bâtiments en permanence
depuis fin 2012 – incarnant le soutien russe au régime de Bashar el-Assad). Ils ont
également beaucoup contribué au « retour » de la Russie sur la scène moyen-orientale,
incarné, entre autres, par le projet annoncé en 2013 par le ministre de la Défense
Sergeï Choïgou de doter la Russie d’une task force permanente en Méditerranée (une
dizaine de bâtiments, sous la responsabilité de la flotte de la mer Noire, avec pour
zone d’action le bassin méditerranéen, la mer Rouge et la corne de l’Afrique). Depuis
l’annexion, la Russie a réorganisé ses forces en Crimée et y a déployé de nombreux
équipements militaires afin de sanctuariser le nouveau statut « russe » de la péninsule
(non reconnu par la communauté internationale) et de rééquilibrer au plus vite à son
avantage le rapport de force militaire dans la mer Noire pour contrecarrer une fois pour
toutes le risque de voir cette dernière se transformer en « lac otanien ». Dans ce cadre,
l’effort porte cependant davantage sur le volet aérien que sur le volet naval, même si
les autorités russes cherchent à compenser les retards dans le déploiement annoncé
de certains bâtiments. Ainsi, fin 2015, deux corvettes lance-missiles (projet 21631
Buyan-M), initialement destinées à la flottille de la Caspienne, ont été affectées à la
flotte de la mer Noire (Serpoukhov et Zelenyï Dol), ce qui viserait à pallier les lenteurs
de la production des frégates lance-missiles (projet 1135.6 et 22350). La flotte de la
mer Noire a aussi déjà reçu deux sous-marins classe Kilo 636.3 (Novorossiïsk, Rostov sur
le Don) ; deux autres des six Kilo attendus au final (Staryï Oskol et Krasnodar) seraient,
au printemps 2016, en phase d’essais dans la flotte du Nord.
Les orientations de la nouvelle diplomatie russe, qui affiche un « détachement » résolu
à l’égard des Occidentaux, se traduisent aussi dans le domaine naval. Le volet « Océan
Pacifique » de la doctrine maritime souligne l’importance de l’ouverture de la Russie sur
la grande Asie voulue par Poutine. Le document valorise en particulier l’activité navale
dans le Pacifique comme élément de la politique de renforcement des liens amicaux
avec la Chine. La complicité grandissante avec Pékin s’est illustrée, depuis 2012, par
des exercices navals annuels. En 2015, ils ont eu lieu en Méditerranée et en mer du
Japon. Les exercices avec la marine indienne, bien antérieurs, continuent à se tenir
régulièrement. En outre, un certain nombre de pays sont clients des chantiers navals
russes, en particulier, ces dernières années, le Vietnam (sous-marins Kilo 636.3, frégates
Gepard 11661 et corvettes Tarantul V), l’Algérie (sous-marins Kilo), l’Inde (remise
Études marines / 35
en état du porte-avions Vikramaditya, location de sous-marin nucléaire d’attaque,
frégates Talwar de la classe Krivak IV)… En revanche, comme le précise la doctrine
maritime, l’effort de rééquipement de la VMF doit désormais s’inscrire dans le cadre
le plus national possible et privilégier l’indépendance technologique de la Russie – ce
qui reflète, là aussi, les inflexions de la diplomatie russe après l’annulation du contrat
sur la vente par la France de deux bâtiments de projection et de commandement
(BPC) de classe Mistral et la politique de sanctions occidentale depuis l’annexion de
la Crimée, instaurant, entre autres, des restrictions sur les transferts de technologies
militaires et duales (cf. infra).
Moyens : lenteurs et ruptures d’un nécessaire renouvellement de l’ordre de bataille
L’Office of naval intelligence américain évoque en substance le renouveau du secteur
de la construction navale russe, en soulignant que la Russie se dote de trois nouvelles
classes de sous-marins et de plusieurs nouveaux types de navires qui lui « fourniront une
plateforme souple […] lui permettant de démontrer une capacité offensive, de menacer ses
voisins, de projeter sa puissance à l’échelle régionale, et de promouvoir l’objectif déclaré de
Vladimir Poutine de rendre à la Russie un statut clair de grande puissance » 11. De fait,
la VMF a profité de l’accroissement de la dépense de défense russe depuis le milieu
des années 2000 – la construction navale bénéficiant d’environ 20 % de l’opulent
programme d’armement 2011-2020.
Cependant, d’autres sources aux motivations plus « détachées » proposent une
perspective plus nuancée, en soulignant l’âge moyen élevé des bâtiments de la marine
russe et les lenteurs de son rééquipement. Les autorités ont même un temps tenté de
mettre le secteur au pied du mur en manifestant un intérêt sérieux pour des productions
étrangères – l’acquisition du BPC français n’étant à cet égard que l’exemple le plus
emblématique. Or, les attentes sont grandes, ainsi que l’illustre le programme 20112020, d’emblée jugé financièrement irréaliste – en même temps qu’insuffisant à
prévenir l’attrition de la flotte de la VMF sur le moyen terme 12.
Il faut noter en effet que l’histoire récente de la construction navale en Russie est
faite de délais non tenus et de dépassements de coûts, y compris dans le domaine
stratégique, si bien que la majorité des bâtiments en service dans la flotte russe sont
des productions soviétiques ou, au mieux, du tout début des années 1990. En 2015,
11. ONI, The Russian Navy. A Historic Transition, décembre 2015, p. iii.
12. Alexandre Sheldon-Duplaix, « Russie : le programme naval 2011-2020 », Marines & Forces navales, n°132, avril-mai 2011,
pp. 51-63.
36 / Études marines
la VMF n’a reçu aucun nouveau navire hauturier. À la fin de cette même année était
annoncé le report à la fin de 2016 de l’entrée en service de la tête de série du projet
22350, la frégate Admiral Gorchkov, mise sur cale en 2006 ; il en va de même pour
le bâtiment de tête de la série de chasseurs de mines classe Alexandrit (projet 12700),
dont la mise en service est reportée à 2016 alors qu’il devait initialement rejoindre la
flotte en 2013 13. La première des six frégates 1135.6 (classe Krivak IV) destinées à la
flotte de la mer Noire a été livrée en mars 2016 – après une longue attente (mise sur
cale en 2010). L’acquisition des BPC visait en grande partie à pallier les faiblesses dans
la construction de grands bâtiments, la Russie escomptant retirer de la participation
d’équipes russes à la construction des bâtiments des effets d’apprentissage. Les horizons
de plus en plus lointains du programme de porte-avions de nouvelle génération et
de nouveaux destroyers lourds ont renforcé la motivation pour la modernisation des
Kirov (Admiral Nakhimov puis Pierre le Grand), qui ne fait pas l’unanimité en Russie.
La construction sous-marine se porte mieux que celle des navires de surface mais les
délais de mise en service des nouvelles générations ont également été considérables,
ce qu’omettent de souligner certains commentateurs occidentaux quand ils avancent
que « le rythme de construction [des sous-marins] commence à ressembler davantage aux
temps de la guerre froide qu’aux rythmes léthargiques de la construction navale en vigueur
depuis les années 1990 » 14. Ainsi, pour la composante stratégique, les aléas de la mise
au point du nouveau missile balistique Boulava ont contribué fortement au retard de
l’entrée en service de la nouvelle génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins
Borey (projet 955). Le premier exemplaire, mis sur cale en 1996, est finalement entré
en service en 2013 – obligeant la VMF à garder en service les Delta III/Kalmar (entrés
en service entre 1976 et 1982, flotte du Pacifique) et les Delta IV/Delfin (entrés en
service dans la période 1985-1991, déployés dans la flotte du Nord). La première unité
(Severodvinsk) du nouveau sous-marin d’attaque de quatrième génération, le Yasen
(projet 885M), qui doit remplacer les projets Oscar II (949A) et les projets Akula
(971), a été mise en service actif en 2010 après presque vingt ans de construction. Les
lenteurs du programme amènent donc la VMF à moderniser les Oscar et les Akula 15.
Enfin, le premier sous-marin conventionnel de quatrième génération Lada (projet
677), le Saint Pétersbourg, a aussi été admis au service actif en 2010 (mis sur cale en
1997), mais il n’a pas donné satisfaction – les second et troisième Lada ne seront pas
livrés avant 2019 et la VMF commande de nouveaux Kilo pour les flottes de la mer
Noire et du Pacifique (six chacune) 16.
13. « Soudostroiteli ob’iasnili perenos srokovsdatchinovykh boevykh korableï », Lenta.ru, 25 décembre 2015.
14. Christopher P. Cavas, « Will Russia’s Sub-Building Boom Matter », www.defensenews.com, 24 janvier 2015.
15. IISS, « Russia’s Naval Modernisation will Take Time », Strategic Comments, 30 novembre 2015.
16. Nikolai Novichkov, « Russia’s Lada-class Submarine Project Suffers Further Delays », Jane’s Defence Weekly, 20 janvier 2016.
Études marines / 37
Certes, l’observateur peut préférer le verre à moitié plein au verre à moitié vide. De
fait, les programmes finissent par aboutir malgré les difficultés. Le Boulava semble
avoir dépassé le stade du doute quant à sa fiabilité. Début 2016, trois Borey sont en
service (Yury Dolgorukiy, Aleksandr Nevsky, Vladimir Monomakh), et quatre autres
sont en construction (Kniaz Vladimir, Kniaz Oleg, Généralissime Souvorov, Empereur
Aleksandr III) ; le huitième Borey prévu aux termes du programme 2011-2020 sera
mis en chantier, selon Sevmach, en décembre 2016. Tous les Borey actuellement
en service relèvent du projet 955A (Borey-A), une évolution plus discrète et mieux
armée constituera la classe 955U. Quand certaines sources vantent les nouvelles
caractéristiques des sous-marins russes de nouvelle génération, en particulier leur
furtivité, d’autres se veulent néanmoins plus sceptiques 17. Quoi qu’il en soit, le secteur de la construction navale souffre indéniablement
de différents problèmes – insuffisante modernisation de l’appareil de conception
et de production 18, qualité du personnel (vieillissement des équipes, manque de
qualifications), déclin de la R&D dans le domaine naval, surcharge des entreprises
clefs, contrôle qualité… La crise économique mettra inévitablement en cause la cadence
de certains programmes. Les sanctions occidentales (compromettant la fourniture de
moteurs diesel, d’électronique navale, de capteurs, de pompes…) et la rupture des
liens avec l’Ukraine s’ajoutent à ces problèmes, notamment pour les frégates 11356
et 22350 19 (selon les autorités russes, il faudra trois ans pour substituer aux turbines
à gaz ukrainiennes des équivalents nationaux).
Conclusion
Le regain naval de la Russie est d’autant plus frappant qu’il intervient après une quasiabsence de ce pays sur la scène maritime mondiale durant près de quinze ans. Tout est,
cependant, affaire de perspective. La marine russe – avec son porte-avions âgé, ses six
croiseurs, ses dix-huit destroyers, ses dix frégates et moins de cinquante sous-marins
(hors SSBN) – ne tient pas la comparaison quantitative et/ou qualitative avec la marine
soviétique, pas plus qu’avec la marine américaine, qui a cependant de multiples raisons
de mettre en avant la « menace russe », et les marines des principaux alliés européens de
l’OTAN 20. Le choix de moderniser des bâtiments anciens, compte tenu de son coût,
17. Christopher P. Cavas, op. cit. note 14. Pour cet auteur, les sous-marins récents sont sans doute plus performants pour collecter
du renseignement et opérer des frappes surprises, mais ils ne seraient pas au niveau pour se mesurer pleinement, sur le plan qualitatif,
aux moyens des flottes américaines.
18. Dmitry Gorenburg, « Shipbuilding May Limit Russian Navy’s Future », The Maritime Executive, 27 novembre 2015.
19. « Turbines pour la marine russe : de ‘l’eau dans le gaz’ ? », www.rusnavyintelligence.com, 2 mars 2016.
20. Évaluation réalisée sur la base des données du Military Balance de l’IISS (IISS, Ibid.).
38 / Études marines
reflète autant les difficultés de la construction navale à sortir des navires de nouvelle
génération que des considérations purement économiques. Il est d’ailleurs sujet à
controverse au sein de l’institution militaire et de la communauté des experts militaires.
Cependant, même avec un ordre de bataille appelé à durablement demeurer
relativement modeste, la Russie est bien présente désormais, cherchant à pallier ses
faiblesses par tous les moyens. Elle cherchera ainsi à gêner l’accès des autres puissances
navales aux zones qu’elle juge stratégiques (comme elle le fait, d’ailleurs pas uniquement
ou principalement par les moyens navals, dans la mer Noire, la Baltique, l’Arctique).
Elle a en outre défrayé la chronique à l’automne 2015 en tirant à partir de trois
corvettes de type Buyan-M et de la frégate Daghestan (classe Gepard) positionnées dans
la Caspienne, 26 missiles de croisière Kalibr contre des cibles en Syrie, montrant une
capacité à réaliser des tirs dans la profondeur d’un territoire à partir de ses différentes
emprises navales – de même qu’une amélioration technologique des missiles. Différents
navires et sous-marins peuvent être équipés de ces systèmes (un autre tir à partir
du sous-marin Rostov sur le Don a d’ailleurs été effectué le 9 décembre depuis la
Méditerranée). Cela doit compenser les lenteurs du développement de la flotte de
navires de surface, qui, si la situation n’est pas corrigée, pourrait amoindrir la présence
russe sur les mers du globe. En fonction des évolutions, Moscou pourrait se montrer
plus ou moins active pour obtenir l’accès à d’autres bases auprès de pays étrangers
(cf. Tartous, Chypre).
Ainsi, au-delà des limites technologiques et matérielles, l’asymétrie et l’audace
opérationnelle seront les maîtres mots d’une activité navale russe dont on peut supposer
que, sous Poutine, Moscou cherchera à la maintenir au plus haut niveau possible pour
étayer son statut revendiqué de grande puissance. Reste à voir si elle pourra le faire tous
azimuts ou si elle sera contrainte de prioriser certains axes régionaux…
Études marines / 39
40 / Études marines
S’affirmer régionalement
Tir d’un missile anti-navires SS-N-27 Klub depuis une frégate
de type Shivalik de la marine indienne, mai 2011. © Indian navy.
Études marines / 41
La politique maritime indienne :
de nouvelles impulsions
mais pour quels objectifs ?
Isabelle SAINT-MéZARD
Maître de conférence à l’Institut français de géopolitique, Université Paris 8
42 / Études marines
L
a marine indienne a organisé en février 2016, à Visakhapatnam, la deuxième
revue navale internationale de son histoire 1. Quelques cinquante États – dont
la France, les États-Unis, la Chine et le Japon – ont participé à l’événement en
envoyant des bâtiments de guerre pour les représenter. Cet événement, qui témoigne
de la confiance et de l’ambition de l’Indian Navy, s’inscrit dans une dynamique plus
générale de sensibilisation grandissante de l’élite dirigeante indienne aux intérêts
maritimes du pays. En dépit d’une tradition stratégique très continentale, les autorités
indiennes s’ouvrent en effet progressivement aux problématiques océaniques.
Cette prise en compte des enjeux maritimes est particulièrement nette au sein de
l’actuel gouvernement dirigé par Narendra Modi. Depuis qu’ils sont arrivés au
pouvoir en juin 2014, le Premier ministre et son équipe se sont efforcés de donner
de nouvelles impulsions à la politique maritime indienne. Ces impulsions concernent
prioritairement la modernisation du secteur portuaire et des capacités navales. Elles
s’accompagnent par ailleurs d’une réflexion plus générale sur la capacité de l’Inde
à endosser un rôle de premier plan en matière de sécurité en océan Indien dans les
années à venir. Mais, en dépit de ces efforts et des avancées concrètes déjà réalisées
en ces domaines, l’Inde ne parvient pas à proposer une vision océanique en mesure
de concurrencer la campagne de la Chine autour de la « Nouvelle route maritime
de la soie ».
Revitaliser les infrastructures portuaires indiennes
Bien qu’elle dispose d’un littoral très étendu, de près de 7 500 km, et que son commerce
extérieur dépende à 90 % du transport par voie de mer, l’Inde peine à se faire une
place dans le monde de l’industrie maritime. C’est pour remédier à cette situation, et
notamment pour parer à la vétusté et au manque de compétitivité de la plupart des
ports indiens, que le gouvernement Modi a annoncé le grand projet Sagarmala en août
2014. Originellement conçu par le Premier ministre Atal Bihari Vajpayee en 2003,
puis mis au rebut par le gouvernement suivant de Manmohan Singh (2004-2014), le
projet Sagarmala porte dans sa nouvelle mouture la marque personnelle de Narendra
Modi 2. Ce dernier entend en effet déployer à l’échelle indienne les méthodes qu’il a
développé avec un certain succès au Gujarat lorsqu’il était chef de gouvernement de
cet État, avec notamment une forte incitation à la constitution de parcs industriels
autour des ports et au développement d’activités navales auxiliaires de maintenance
et de réparation, de construction et de démantèlement, de soutage et d’entreposage.
1. La première revue navale internationale s’était déroulée en 2001, à Mumbai.
2. Press information Bureau, Government of India, « Sagarmala: Concept and implementation towards Blue Revolution », 25 mars 2015.
Études marines / 43
Sur le papier, le projet Sagarmala vise des objectifs particulièrement ambitieux.
Il prévoit, en effet, d’augmenter la capacité des ports existants tout en en créant
de nouveaux, de sorte que les activités portuaires deviennent un moteur du
développement économique indien. Il entend aussi renforcer les infrastructures de
transports dans l’arrière-pays, pour faciliter l’acheminement des marchandises entre
les zones portuaires et les centres urbains. Il espère enfin stimuler l’activité industrielle
sur l’ensemble du littoral en identifiant une dizaine de « régions économiques
côtières ».
Pour atteindre ses objectifs, le gouvernement entend s’appuyer sur des partenariats
public-privé. De fait, certains grands conglomérats indiens sont d’ores et déjà partie
prenante du projet. C’est le cas notamment du groupe Adani, un acteur majeur dans
le secteur des infrastructures, qui est aujourd’hui à la tête de neuf ports en Inde, avec
des capacités installées de presque 400 millions de tonnes. Sa filiale, Adani Ports
and Special Economic Zone (APSEZ), s’est d’ailleurs imposée comme le premier
opérateur privé dans le domaine portuaire en Inde. L’un de ses grands projets est de
développer un centre de transbordement à Vizhinjam (Kerala), capable à terme de
concurrencer les ports de Colombo et de Singapour, par lesquels une majeure partie
du fret maritime indien doit passer avant d’atteindre sa destination finale 3. Ajoutons
enfin, que le projet Sagarmala a aussi l’ambition de donner une nouvelle vie aux
chantiers navals indiens. À ce titre, l’Inde a organisé en avril 2016 le premier sommet
maritime global. L’événement s’est déroulé à Mumbai, en partenariat avec la Corée
du Sud, un acteur majeur de la construction navale au plan mondial.
Renforcer les capacités des forces navales indiennes
L’Inde ne cache pas son ambition de devenir une puissance navale de premier plan.
En pratique néanmoins, cette ambition se heurte depuis plusieurs années à une réalité
moins glorieuse, conséquence de politiques d’acquisitions défaillantes et d’arsenaux
obsolètes. Conscient de ces difficultés, le gouvernement Modi a donné des signaux
encourageants, témoignant d’une volonté claire de changer les choses. De façon
significative, le Premier ministre Modi a effectué sa première visite hors de Delhi à
bord du porte-avions INS Vikramaditiya, en juin 2014. Son gouvernement a, par la
suite, évoqué d’importants projets de développement qui s’articulent autour de trois
grands pivots. Un groupe aéronaval centré autour des porte-avions INS Vikramaditya
3. « Adani ports eyes to complete Sagarmala dream plan », DNA, 7 décembre 2015. Le conglomérat contrôle cinq ports au Gujarat
(Mundra, Dahej, Hazira, Tuna Tekra et Kandla), en plus de Dhamra (Odisha), de Mormugao (Goa) et de Visakhapatnam (Andhra
Pradesh). Il construit par ailleurs le port d’Ennore, près de Chennai et serait en passe de prendre le contrôle de Kattupalli (Tamil Nadu).
44 / Études marines
et du futur INS Vikrant, avec une escorte de bâtiments modernes de construction
locale (classes Kolkata et Shivalik) ; une force sous-marine de vingt sous-marins
conventionnels (type 209/1500, Kilo 877E et Scorpène) et de trois sous-marins
nucléaires lanceurs d’engins et d’attaque type Advanced Technology Vessel dont l’INS
Arihant ; et enfin une aéronautique navale modernisée (programme le plus abouti)
avec une patrouille maritime moderne équipée de P-8I Poseidon – deuxième nation à
mettre en œuvre cet aéronef après les États-Unis –, d’intercepteurs embarqués MIG29K, de chasseurs Tejas et d’hélicoptères Seahawk.
Le porte-avions et le sous-marin-nucléaire, instruments de puissance et de prestige,
révèlent une réelle ambition de s’imposer comme un acteur incontournable en
océan Indien. L’Inde est en cela encouragée par les États-Unis. La Chine, et surtout
le Pakistan, sont en revanche beaucoup plus réservés. La rivalité avec le Pakistan se
traduit peu en mer tant le rapport de force est disproportionné. Les forces de surface
de l’Indian Navy étant bien plus conséquentes, le choix d’une guerre sous-marine
est la seule option possible, moyen de menacer aussi bien les forces navales que les
communications. La marine de surface pakistanaise, vieillissante ou dotée d’unités
de faible taille serait, quant à elle, cantonnée à un rôle de protection des approches
de Karachi, Gwadar (principal hub avec la Chine) ou de la nouvelle base navale de
sous-marins de Jinnah à Ormara.
Par ailleurs, le gouvernement Modi se montre encore plus désireux que ses
prédécesseurs de moderniser l’industrie militaire indienne. Il a de fait identifié
l’industrie de défense comme l’un des grands secteurs qui pourraient contribuer
au projet phare du « Make-in-India ». New Delhi incite fortement tous ses grands
partenaires – les États-Unis, la France, Singapour, le Japon – à suivre la voie tracée
par la Russie et Israël, deux pays qui à ce jour sont les plus engagés dans des activités
de co-développement de systèmes d’armes avec l’Inde. Le gouvernement Modi a aussi
montré un intérêt marqué pour l’exportation de matériel militaire de construction
indienne, y compris et surtout dans le domaine naval. L’Inde, qui a déjà engagé des
transferts d’équipements vers la Birmanie et le Vietnam, pourrait surtout vouloir
exporter le missile de croisière naval supersonique BrahMos 4 qu’elle a développé
avec la Russie et qui suscite, de fait, l’intérêt de nombreux pays en Asie du Sud-Est 5.
4. Cet engin, à vocation antinavire à l’origine, peut être lancé à partir d’un bâtiment de surface, d’un sous-marin, d’un avion
ou d’une station terrestre. Depuis 2008, une version hypervéloce – mach 7 – est à l’étude.
5. L’Inde a déjà fourni des systèmes sonars à la marine birmane et elle prévoit de transférer des patrouilleurs au Vietnam.
Études marines / 45
Inde : des ambitions maritimes régionales
IRAN
Canal de Suez
Détroit d’Ormuz
Me
ou
rR
ge
SOUDAN
PAKISTAN
BAHREIN
QATAR
Mumbaï
OMAN
BANGLADESH
INDE
Pordanbar
Détroit de
Bab-el-Mandeb
DJIBOUTI
New Dehli
BIRMANIE
Visakhapatnam
Karwar
Îles Andaman
CAMBODGE
Port Blair
Kochi
Îles Nicobar
MALDIVES
SEYCHELLES
SRI LANKA
Détroit de
Malacca
OC ÉAN
I NDI EN
SINGAPOUR
Diego Garcia
MOZAMBIQUE
MADAGASCAR
ÎLE MAURICE
Objectifs stratégiques de l’Inde
Points d’appui indiens
Accord de défense avec l’Inde
Canal du
Mozambique
Bases navales indiennes
Points d’appui chinois
Points d’appui américains
Source : Cyrille P.-Coutansais, Atlas des empires maritimes, CNRS Éditions, 2013.
Contribuer à la sécurité maritime par delà les seuls intérêts nationaux de l’Inde
L’Inde a réalisé de récentes avancées dans le domaine de la connaissance de la situation
maritime. Elle a inauguré en novembre 2014 un centre d’analyse et de gestion
de l’information (IMAC – Information Management and Analysis Centre), situé à
Gurgaon, près de Delhi. Conjointement opéré par la marine et les garde-côtes, ce
centre permet de surveiller en temps réel les mouvements des navires marchands et
d’évaluer les menaces en mer. Dans la vision indienne, ce centre est censé devenir la
plaque-tournante d’un projet plus vaste, visant à organiser un réseau de surveillance
de la situation maritime à l’échelle de l’océan Indien. L’Inde a d’ailleurs établi des
contacts en ce sens avec plusieurs États du pourtour de l’océan Indien.
46 / Études marines
Elle a négocié des accords avec les îles et archipels de la région – Sri Lanka, les
Maldives, Maurice et les Seychelles – pour installer des systèmes radars de surveillance
côtière, lesquels enverront leurs données au centre de Gurgaon. Elle se positionne ainsi
clairement comme un acteur incontournable dans la surveillance des mouvements
maritimes dans le centre et la partie sud-ouest de l’océan Indien. Plus à l’est, elle
a conclu des accords techniques respectivement avec Singapour (juillet 2015) et
avec l’Australie (octobre 2015) pour partager l’information en temps réel sur les
mouvements des navires marchands dans la région. Elle a par ailleurs signé en février
2016 un accord avec la Birmanie pour conduire des opérations régulières de patrouilles
conjointes en mer des Andamans, sur le modèle de ce qu’elle fait depuis plusieurs
années déjà avec les marines indonésienne et thaïlandaise 6.
Plus généralement, l’Indian Navy réfléchit aux conditions qui pourraient la porter à
endosser un rôle de « net security provider » et à assurer des missions d’intérêt général en
océan Indien, dépassant les seuls objectifs de sécurité nationaux. Ceci transparaît dans
ses dernières réflexions doctrinales et se trouve confirmé par les fréquentes références
du gouvernement Modi aux « global commons » 7. Les engagements de l’Inde à aider
Maurice et les Seychelles à renforcer leur sécurité maritime participent de cette nouvelle
approche de la sécurité. De même, les multiples opérations conduites par l’Indian
Navy au titre de l’assistance humanitaire et des secours d’urgence ou bien encore pour
assurer l’évacuation de ressortissants indiens et étrangers dans des pays en guerre. À
titre d’exemple, au plus fort de la crise au Yémen, en avril 2015, l’Indian Navy a évacué,
outre les citoyens indiens, plus d’un millier de ressortissants d’une vingtaine d’États.
Quelle vision pour l’océan Indien ?
Lors de sa tournée de mars 2015 en océan Indien – avec des étapes successives au Sri
Lanka, aux Seychelles et à Maurice –, le Premier ministre Modi a tenté de proposer
une vision indienne de l’avenir de ce grand espace maritime. Dénommé Sagar (Security
and Growth for All in the Region, sagaar signifiant par ailleurs océan en hindi), cette
vision a mis l’accent sur l’économie bleue, en invitant les États de la région à engager
des partenariats pour bénéficier du potentiel immense qu’offrait l’exploitation des
ressources halieutiques. Elle a aussi souligné la nécessité d’élargir les habitudes de
coopération entre États du littoral pour promouvoir la sécurité maritime, celle-ci
étant il est vrai assez peu développée.
6. Press information Bureau, Government of India, Indo-Myanmar Coordinated Patrol (IMCOR) and Signing of Standard Operating
Procedure (SOP), 18 février 2016.
7. Indian Navy, Ensuring secure Seas, Indian Maritime Security Strategy, 2015.
Études marines / 47
Pour le reste, la vision du Premier ministre est restée assez vague. Elle trahit de la
sorte la difficulté qu’éprouve l’Inde à définir son positionnement face à une Chine
qui depuis 2013 mène campagne autour du projet de Nouvelle route maritime de
la soie. Cette campagne, qui prévoit d’importants projets d’infrastructures en océan
Indien, préoccupe une bonne partie des cercles dirigeants indiens. Vu de New Delhi,
l’océan Indien est censé être une zone d’influence privilégiée de l’Inde, et non de la
Chine. Aussi, plutôt que de se joindre au projet, l’Inde a multiplié les propositions
alternatives, au point d’ailleurs de créer la confusion : projet Mausam (à vocation
culturelle et historique), route des épices, route du coton, Sagar, aucune de ces
propositions n’a pour l’instant vraiment semblé dépasser le stade du concept. Ainsi,
à l’heure où beaucoup de pays du pourtour de l’océan Indien se montrent intéressés
par les perspectives de développement qu’offre la Chine, New Delhi paraît bien en
peine d’offrir une vision alternative.
Mais, plus encore que la Nouvelle route maritime de la soie, ce sont les activités des
sous-marins chinois en océan Indien qui inquiètent les autorités indiennes. Face à
cela, l’Inde a choisi de s’engager plus avant dans la coopération multilatérale. En
l’espèce, l’Inde coopère aussi bien avec les États de la région, qu’avec les puissances
extrarégionales. Concernant les premiers, elle a mis sur pied un arrangement de
coopération pour la sécurité maritime avec le Sri Lanka et les Maldives en 2011. Les
Seychelles et Maurice pourraient bientôt s’y adjoindre. Concernant les seconds, elle
se montre de plus en plus ouverte aux formats multilatéraux avec les États-Unis et
leurs alliés. En octobre 2014, elle a conduit des exercices trilatéraux avec le Japon
et les États-Unis dans le golfe du Bengale, ce qu’elle n’avait pas voulu faire depuis
2007 8. Plus encore, elle a accepté que le Japon participe régulièrement à la série
d’exercices navals indo-américains Malabar. L’Indian Navy s’est par ailleurs rapprochée
de la marine australienne et a conduit avec elle de premiers exercices au large de
Vishakhapatnam en septembre 2015. Sans complètement s’aligner sur Washington,
l’Inde se montre de la sorte de plus en plus encline à travailler avec les États-Unis et
leurs alliés pour œuvrer au maintien de la sécurité et des grands équilibres stratégiques
en océan Indien.
8. De tels exercices se sont tenus épisodiquement après 2007, mais toujours sur la façade pacifique.
48 / Études marines
Études marines / 49
La stratégie maritime
du Japon à l’épreuve
de l’expansion chinoise
Céline Pajon
Chercheur au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (Ifri)
50 / Études marines
L
e Japon est confronté à un environnement géostratégique maritime de plus
en plus dangereux et instable. L’insécurité croît autour de l’archipel, alors
que les tensions liées aux différends territoriaux s’intensifient. Des stratégies
nationales plus affirmées, notamment l’expansion navale de la Chine, expliquent ce
phénomène. Pour se prémunir de ces risques, le Japon renforce ses lignes de défense
en mer de Chine orientale, approfondit son alliance avec les États-Unis et s’applique à
développer des partenariats stratégiques avec les pays asiatiques partageant les mêmes
valeurs ou également confrontés aux revendications chinoises. Sur ces trois dimensions,
sa marine, d’un tonnage équivalent à celui de la Royal Navy et considérée comme la
plus performante d’Asie, joue un rôle de premier plan.
Renforcer la surveillance maritime en mer de Chine orientale
Le différend qui oppose Tokyo à Pékin à propos de l’archipel des Senkaku/Diaoyu
(sous administration japonaise) s’est envenimé depuis septembre 2012 et le rachat par
le gouvernement nippon de certaines des îles contestées à leur propriétaire privé 1. Ce
geste a déclenché la fureur de Pékin, qui a autorisé des manifestations anti-japonaises
particulièrement violentes et mis en place une batterie de sanctions économiques
et diplomatiques. La Chine semble avoir réussi à transformer de fait la situation
autour des îlots : Pékin envoie désormais très régulièrement des navires de pêche et
des garde-côtes (créés en 2013) dans les eaux contiguës aux îlots, voire dans les eaux
territoriales japonaises. Pour Tokyo, Pékin cherche à affaiblir son contrôle sur ses
territoires maritimes, aériens, terrestres, non seulement pour menacer son intégrité
territoriale 2 – îles Senkaku/Diaoyu, délimitation unilatérale de la zone économique
exclusive (ZEE) en mer de Chine orientale –, mais aussi préempter l’exploitation des
ressources énergétiques et marines de la zone. Si aucune des parties ne souhaite aller
vers un conflit ouvert, le nombre important de navires sur ce théâtre accroît les risques
d’incidents, voire d’accidents.
Le Japon adapte donc sa posture de défense en réponse à ces « situations de zone grise »
– entre guerre et paix, elles font référence à des frictions récurrentes paramilitaires
autour d’enjeux de souveraineté. Il met en place une « défense dynamique et intégrée »
reposant sur une mobilisation constante des forces notamment pour des activités
de surveillance et renseignement (Intelligence, Surveillance and Reconnaissance – ISR)
1. Cette initiative visait à contrecarrer les projets d’acquisition des îlots par l’ultra-nationaliste maire de Tokyo, Shintaro Ishihara,
et donc à limiter les risques d’embrasement avec la Chine. Ce rachat n’a d’ailleurs pas conduit à un renforcement de la présence
logistique ou militaire nippone sur les îles.
2. En novembre 2013, Pékin annonce la mise en place unilatérale d’une zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) sur la mer
de Chine orientale. Tokyo avait pour sa part instauré une ADIZ dès 1969.
Études marines / 51
et un redéploiement de ses forces vers les îles du Sud-Ouest (Nansei), face à la Chine 3.
L’accent est porté sur la surveillance et la maîtrise du domaine maritime, ainsi que sur
les interventions dans les îles lointaines, mais aussi sur le maintien de la supériorité
aérienne et maritime pour imposer une véritable dissuasion à Pékin.
Au-delà du renforcement 4 des garde-côtes (Japanese Coast Guards – JCG), en première
ligne en mer de Chine orientale, le Japon perfectionne son arsenal de défense aéronavale
et se dotera d’ici 2018 de cinq nouveaux destroyers, autant de nouveaux sous-marins
(pour atteindre une flotte de vingt-deux), vingt-trois patrouilleurs aériens P-1 et
hélicoptères de lutte anti-sous-marine SH-60K, ainsi que quatre avions d’alerte avancée
E-2D (Airborne Early Warning and Control – AEW&C) 5, 28 chasseurs F-35A,
trois avions ravitailleurs ainsi que trois drones Global Hawks. Une force amphibie
(Amphibious Rapid Deployment Brigade) est mise en place. Elle pourra s’appuyer sur
les porte-hélicoptères d’assaut de type Osumi et sera équipée de 52 blindés lourds
amphibies AAV-7, 17 aéronefs MV-22 et des hélicoptères de transport CH-47JA.
Les efforts de renforcement des activités d’ISR se doublent d’un programme spatial
de surveillance maritime – Maritime Domain Awareness (MDA). Tokyo prévoit ainsi
de lancer plus de 45 satellites et sondes spatiales d’ici 2025 dont huit dédiés au recueil
d’informations (Information Gathering Satellite – IGS). En outre, Tokyo va installer
sept unités de géopositionnement de haute précision d’ici 2023 (Quasi-Zenith Satellite
System – QZSS).
La force maritime comme fer de lance de l’intégration avec les États-Unis
Parallèlement au renforcement de ses capacités propres, Tokyo a encore approfondi
sa relation de sécurité avec Washington, en s’appuyant sur ses forces d’autodéfense
maritimes. Elles ont en effet atteint, au fil des ans et des entraînements communs 6,
un bon degré d’interopérabilité avec l’US Navy. Face à la Chine, on assiste donc au
renforcement d’une coordination des capacités aériennes et maritimes entre les deux
alliés. Deux nouveaux destroyers japonais équipés du système Aegis de lutte antiaérienne et de missiles capables d’intercepter à la fois des engins balistiques de haute
altitude (SM-3) et des missiles anti-navires à vol rasant (ESSM) viendront renforcer
3. National Defense Program Guidelines (NDPG) 2010, Tokyo, décembre 2010 et NDPG 2013, décembre 2013. Voir également :
« Japan to deploy 500 GSDF troops on Ishigaki Island », The Japan Times, 25 novembre 2015.
4. Une unité dédiée à la surveillance permanente des Senkaku est actuellement mise en place, avec l’acquisition de six nouveaux
grands patrouilleurs (PL – Patrol vessel large de 1 250 tonnes et 92 m) et un renforcement des forces avec 435 marins supplémentaires.
5. Dernière version du Hawkeye, le Japon sera le deuxième utilisateur de cet appareil après l’US Navy. Ces avions viennent compléter
les quatre Boeing E-767 Awacs en service dans la Force aérienne d’autodéfense japonaise (JASDF) depuis 2000.
6. Franz-Stefan Gady, « US and Japan Hold Naval Drills off Guam », The Diplomat, 22 janvier 2016.
52 / Études marines
les dispositifs antimissiles existants en 2017. En outre, ils opéreront avec un système
de détection et d’engagement coopératif capable de communiquer avec les avions
d’alerte avancée japonais, le système global de défense aérienne terrestre mais aussi
les forces américaines présentes sur zone.
Le « pacifisme actif » cher au Premier ministre Shinzo Abe rend désormais possible cette
coordination approfondie pour une détection, une surveillance et une interception
défensive de possibles menaces 7. En effet, le gouvernement Abe a procédé en 2014 à
une nouvelle interprétation de l’article 9 8 de la Constitution afin de permettre au Japon
d’user de manière encadrée de son droit à l’autodéfense collective et pouvoir s’engager
aux côtés de son allié américain en cas d’attaque. Considéré comme un élément
fondateur de la démocratie japonaise d’après-guerre, ce fameux article prévoyait
que le pays renonce à jamais à l’intervention armée. Son interprétation nouvelle lie
désormais le concept de sécurité nationale à celui de sécurité globale, on passe d’une
vision pacifique de la Force maritime d’auto-défense à une utilisation non-agressive
qui lui permet d’agir dans des situations de crise internationale et d’avoir ainsi une
influence régionale, voire mondiale. Les réformes de défense japonaises doivent, par
conséquent, être analysées dans le cadre du renforcement de l’alliance de sécurité avec
Washington – seul élément de dissuasion crédible face à la Chine et à la Corée du
Nord. Alors que le Pentagone est confronté à d’importantes difficultés budgétaires et
politiques, le Japon cherche à prévenir un éventuel retrait stratégique des États-Unis et
à faciliter le maintien d’une présence américaine durable en Asie. Pour cela, l’archipel
s’engage à porter assistance à son allié dans certains cas précis : Tokyo pourra détruire
un missile visant les forces américaines sur son territoire, à proximité ou se dirigeant
vers le territoire américain, et viendra au secours des forces américaines attaquées en
mer de Chine lors de patrouilles ou d’exercices conjoints.
Dans le cadre des nouvelles directives de coopération de défense annoncées lors
de la visite de Shinzo Abe à Washington fin avril 2015, le Japon a réaffirmé qu’il
interviendrait en première ligne dans les « situations de zone grise » (typiquement : en
cas de frictions avec la Chine autour des Senkaku) – soulageant ainsi l’allié américain
qui craignait être pris à parti sur ces délicates questions territoriales. Il s’est enfin
engagé à étendre la coopération bilatérale au-delà de l’Asie, montrant là sa volonté
de soutenir l’engagement américain jusqu’au Moyen-Orient, le Premier ministre
Abe considérant qu’un éventuel blocage des routes maritimes moyen-orientales,
dont le Japon dépend à 80 % pour ses importations d’hydrocarbures, menacerait la
7. « Japan plans Aegis-fleet upgrade to defend US ships », Nikkei Asian Review, 15 juin 2015.
8. élément fondateur de la démocratie japonaise d’après-guerre, l’article 9 de la constitution prévoit que le pays renonce à jamais
à l’intervention armée.
Études marines / 53
survie du pays et justifierait par exemple des activités de déminage sous-marin dans
le cadre de l’autodéfense collective.
De fait, le Japon a obtenu, en échange, de cet engagement plus poussé, des assurances de
sécurité très concrètes de la part de son allié, enracinées dans une coopération toujours
plus approfondie. La mise en place d’un mécanisme permanent de coordination doit
améliorer le partage d’information, la planification opérationnelle et l’interopérabilité
des forces à tous les niveaux. De même, les alliés coopèrent désormais sur une palette
de réponses graduées, adaptées aux multiples nuances qui séparent le temps de paix du
conflit ouvert. Enfin, la coopération s’étend à de nouveaux domaines – cyber, espace,
mais aussi aide au développement et commerce, avec le partenariat transpacifique
(TPP) – rendant la relation véritablement stratégique.
Maintenir l’équilibre des puissances et la stabilité maritime en mer de Chine
méridionale
Une troisième dimension de la stratégie maritime japonaise vise à user de sa diplomatie
de défense pour créer des partenariats stratégiques et contribuer au maintien de la
sécurité maritime, notamment en mer de Chine méridionale où la Chine avance
ses pions 9. La multiplication des affrontements sur cette zone menace en effet
directement les intérêts nationaux du Japon par son impact potentiel sur le transport
de marchandises car plus de 70 % du commerce transitent par les routes maritimes
du Sud-Est asiatique.
Si les forces japonaises conduisent régulièrement des patrouilles et missions d’ISR à
l’occasion de leurs rotations vers le golfe d’Aden (où elles participent aux opérations
internationales de lutte anti-piraterie), leurs capacités déjà en grande partie mobilisées
par les activités ISR en mer de Chine orientale ne leur permettent pas de mener des
opérations de présence pour assurer la liberté de navigation plus fréquemment en mer
de Chine méridionale. Néanmoins, Tokyo contribue au développement des capacités
maritimes des pays d’Asie du Sud-Est afin d’améliorer la maîtrise de leur espace
maritime et de résorber l’asymétrie des forces en présence.
Dans le cadre de son aide au développement, Tokyo avait déjà soutenu la formation
des garde-côtes philippins de 2002 à 2007 et fournit en 2006 à l’Indonésie trois
9. S’appuyant sur la délimitation dite de la « ligne en neuf traits », Pékin revendique le contrôle de près de 80 % de la zone, et recourt
régulièrement aux coups de force face à ses principaux opposants : les Philippines et le Vietnam. En 2015, on réalise que Pékin
a remblayé des récifs pour en faire des îles artificielles dotées d’infrastructures à visée potentiellement militaire, qui pourraient aussi
faciliter la mise en place d’une ADIZ sur la zone.
54 / Études marines
patrouilleurs pour l’aider à lutter contre la piraterie et le terrorisme. Plus récemment,
les contributions nippones se sont intensifiées avec notamment l’annonce en 2012
du transfert de dix patrouilleurs de seconde main aux garde-côtes philippins et, en
2014, de six bateaux de pêche transformés en patrouilleurs au Vietnam 10. De plus,
en 2012, le Japon a lancé son premier programme d’assistance militaire, ciblant tout
particulièrement les pays d’Asie du Sud-Est. L’aide a notamment permis de former,
au Vietnam, le personnel médical affecté aux équipes de sous-mariniers.
Par ailleurs, le Japon cherche à travailler plus étroitement avec ses autres principaux
partenaires de sécurité pour mieux se défendre face à la Chine. Shinzo Abe espère ainsi
construire un « diamant de sécurité » entre New Delhi, Tokyo, Hawaï et Canberra
qui permettrait de mieux assurer la sécurité maritime dans la région indopacifique 11.
Le principal défi géostratégique posé au Japon en mers de Chine est l’affirmation
politico-militaire de Pékin. Pour Tokyo, l’expansion maritime chinoise est la cause
de la recrudescence des frictions dans les eaux régionales. L’archipel cherche donc à
dissuader la Chine de s’engager dans des actions violentes en renforçant ses propres
capacités de défense mais également en essayant de créer un front commun avec les
pays de la région partageant ses craintes.
Au-delà du défi chinois, les réformes de défense adoptées en septembre 2015 ont
aussi indiqué la volonté du Japon de prendre une part plus active aux opérations
internationales de maintien de la paix et de la sécurité 12. Dans cette perspective,
Tokyo a récemment acquis deux grands porte-hélicoptères de la classe Izumo 13 : longs
de 248 mètres et déplaçant 24 000 tonnes en pleine charge, ce sont les plus grands
bâtiments des forces maritimes japonaises depuis 1945. Capable de transporter
quatorze hélicoptères, le bâtiment a pour vocation de sécuriser les routes maritimes
du Japon, mais aussi de projeter des troupes pour participer à des opérations
internationales pour la paix ou d’assistance suite à une catastrophe naturelle 14.
10. Céline Pajon, « Japan’s “smart” strategic engagement in Southeast Asia », The ASAN Forum, vol. 1, no4, 6 décembre 2013.
11. Shinzo Abe, « Un cordon démocratique de sécurité en Asie », Project Syndicate, 27 décembre 2012.
12. Le Japon participe notamment aux opérations internationales de lutte anti-piraterie dans le golfe d’Aden depuis 2010 et s’appuie
sur une base militaire à Djibouti depuis 2011. Les forces d’autodéfense sont également présentes au Sud-Soudan dans le cadre d’une
opération de maintien de la paix de l’ONU.
13. Dès 2011, le Japon se dote de deux porte-hélicoptères de classe Hyuga, d’envergure plus modeste.
14. En décembre 2004, le Japon était intervenu, en coalition avec les États-Unis, l’Inde et l’Australie pour offrir un soutien humanitaire
après le tsunami dans l’océan Indien. En novembre 2013, Tokyo a envoyé plus de 1 000 hommes pour secourir les Philippins après
le passage du typhon Haiyan.
Études marines / 55
Ce bâtiment s’apparente toutefois indubitablement à un porte-aéronefs léger, capable
de ravitailler d’autres bâtiments. Mais les autorités japonaises insistent sur sa nature
« non-offensive », et soulignent que l’objectif de ses vaisseaux est de faire face aux
activités de la Chine et de la Corée du Nord, en développant la lutte anti-sous-marine
(une spécialité de la marine japonaise) et en permettant aux bâtiments de patrouiller
aussi loin que possible de la portée des missiles ennemis. La marine japonaise va donc
encore gagner en importance dans les années à venir.
56 / Études marines
Études marines / 57
Brésil : une ambition maritime
émergente
Jean-Jacques KOURLIANDSKY
Chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
sur les questions ibériques (Amérique latine et Espagne)
58 / Études marines
L
e Brésil a affirmé ces dernières années une présence maritime inédite. Cette
ambition s’est manifestée simultanément dans l’économie, le droit, le contrôle
militaire des approches hauturières, et la politique. Cette irruption d’un acteur
nouveau sur un terrain dont il était absent a naturellement surpris les puissances des
mers. Elle n’a pourtant rien d’inattendu, tout en étant paradoxale.
Le Brésil est en effet fils ou fille des grandes découvertes maritimes des XVe et
XVIe siècles européens. Né du rêve de princes navigateurs, ayant bâti ses fondations
en bord d’océan, l’Atlantique, le Brésil s’est construit un devenir continental. La
conquête d’un arrière-pays, celle plus particulièrement de l’Amazone, a mobilisé ses
géopoliticiens, ses responsables politiques, économiques, et son imaginaire littéraire.
Cet Amazone-là, qualifié aujourd’hui d’Amazone « vert », est depuis une dizaine d’année
couplé à un Amazone « bleu », matérialisant un nouveau front tout aussi global que
le précédent.
Un ambitieux programme de modernisation des forces navales
La marine, longtemps parent pauvre des forces armées brésiliennes, a pris depuis
le tournant du millénaire une place centrale. La sortie de la dictature militaire a
progressivement donné au pouvoir civil, aux élus de la nation, un rôle global de
définition de l’intérêt national. Les forces armées ont été réorganisées. Placées sous
l’autorité d’un ministre civil, elles sont sous les ordres d’un état-major général
interarmées mutualisé. Des directives nationales de défense (END 1) en 2008, puis
un Livre blanc, en 2012, ont posé les bases d’une conception moderne de la défense
nationale.
L’END définit pour la marine trois objectifs « stratégiques et tactiques », autour
de deux zones présentées comme « d’attention spéciale » : la côte allant de Santos
à Vitoria placée sous la responsabilité d’une première escadre et l’embouchure de
l’Amazone qui devra être dotée d’une escadre particulière. Les objectifs sont les
suivants : interdiction d’accès au Brésil à des forces maritimes ennemies ; contrôle
des espaces maritimes nationaux ; maintien d’une capacité suffisante de projection
pour assurer la défense des espaces maritimes d’importance économique et militaire
stratégique, ainsi que celle des eaux intérieures et les lignes de communication
maritimes. De façon concrète, il s’agit de défendre les plates-formes pétrolières, les îles
1. END : Estratégia Nacional de Defesa, Décret no6 703 du 18 décembre 2008, 70 pages.
Études marines / 59
océaniques du Brésil 2, les ports, les routes du commerce brésilien et d’être en capacité
de participer à des opérations maritimes aussi bien dans le domaine du maintien
de la paix sous l’égide des Nations unies qu’en coalition avec des États de la région.
G
F R U YA
A N
BR NÇA E
ÉS
I
IL SE
Brésil : un Amazone bleu
Archipel
de São Pedro
et São Paulo
Belem
Val de Caes Itaqui
Archipel
de Fernando
de Noronha
Natal
Suape
DOMAINE MARITIME BRÉSILIEN
Aratu
BRÉSIL
Tubarao
Rio de
Janeiro
Itaguai
Santos
Paranagua
Itajai
Mer territoriale (12 milles)
Archipel
de Albrolhos
Zone économique exclusive (200 milles)
Archipel
de Trinidad
et de
Martin Vaz
Plateau continental étendu
(revendiqué par le Brésil jusqu’à 350 milles)
INFRASTRUCTURES
Bases navales
Principaux ports
HYDROCARBURES
Rio Grande
UR
BR
UG
ÉS
OC ÉAN
ATL ANTI QU E
Pétrole et gaz
Gisements de pétrole «pré-sal»
IL
UA
Y
Source : Marinha do Brasil, Isemar, Agence brésilienne du pétrole.
Le Livre blanc tire les conséquences de ces orientations générales. Les projets
d’équipement de la marine sont inscrits dans le Plan d’articulation et d’équipement de
la Défense (PAED) et fixent sept objectifs : récupération de la capacité opérationnelle ;
mise en œuvre d’un programme nucléaire de la marine ; construction d’un noyau de
puissance navale ; mise en œuvre d’un système de gestion de l’Amazone bleu ; création
d’un complexe naval doté d’une seconde escadre et d’un deuxième corps d’infanterie de
marine qui lui sera affecté ; amélioration de la situation du personnel ; et enfin sécurité
des voies d’eau intérieures.
2. Fernando de Noronha ; Atol das Rocas ; Île de Trinidade ; Île Martin Vaz ; Rochers de São Pedro et São Paulo.
60 / Études marines
Cette réorganisation voulue par les autorités politiques s’inscrit dans une réorientation
des priorités de politique étrangère. La réconciliation constructive des relations
jusque-là difficiles avec l’Argentine, la mise en œuvre d’une coopération régionale
transamazonienne ont en effet réduit les foyers de préoccupation sud-américains.
L’accession à l’indépendance des anciennes colonies africaines du Portugal a,
par ailleurs, ouvert au Brésil un champ d’influences diverses bien perçu lors des
dernières années de la dictature. Des contacts avaient alors été pris. Une coopération
intercontinentale fut même inventée en 1986, la Zopacas 3. Toutes choses mises en
sommeil dans les années de transition démocratique et par la crise financière des
années 1990. Le contexte économique et électoral des années 2000-2010 a relancé
cette opportunité. La marine en a été l’instrument naturel.
Un double plan a été mis en chantier en 2009, intitulé PAEMB – Plano de articulação
e equipamento da marinha do Brasil (Plan d’articulation et d’équipement de la marine
du Brésil). Il prévoit une modernisation de la flotte à l’horizon 2030. L’un de ses volets,
dit Prosuper 4, est un programme d’acquisition de moyens de surface. L’autre, appelé
Prosub 5, est un programme de développement des sous-marins.
Le programme Prosuper prévoit la construction, au Brésil, de cinq frégates, de cinq
patrouilleurs océaniques de 1 800 tonnes et d’un bâtiment de soutien logistique.
Par ailleurs, il est prévu la construction, toujours localement, de 27 patrouilleurs
de 500 tonnes. Après la très récente acquisition d’un transport de chalands de
débarquement, le Bahia (ex-Siroco de la marine française), sont également
programmées « l’obtention » d’une brigade amphibie ainsi que l’achat, ou l’éventuelle
construction au Brésil sur la base d’un partenariat, de deux porte-avions destinés à
prendre le relais de l’ex-Foch intégré en 2001 sous le nom de São Paulo 6. La marine
brésilienne a également acquis en 2012 trois patrouilleurs hauturiers fabriqués par
BAE Systems – initialement commandés par Trinidad et Tobago. MBDA a développé
avec le brésilien Avibras un missile Exocet doté de composants locaux et destiné à
équiper les corvettes existantes ou en projet. BAE Systems (Royaume-Uni), Damen
(Hollande), DCNS (France), DSME (Corée du sud), Fincantieri (Italie), Navantia
(Espagne) et TKMS (Allemagne) ont annoncé leurs candidatures aux appels d’offre
concernant les bâtiments de surface.
3. Zopacas : Zone de paix et de coopération de l’Atlantique sud/Zona de Paz e Cooperaçãodo Atlantico Sul.
4. Prosuper : programa de obtenção de meios de superficie.
5. Prosub : programa de desenvolvimento de submarinos.
6. Le Foch a été construit en 1963. Le São Paulo a connu six incendies depuis son rachat par le Brésil en 2000,
faisant quatre morts et une dizaine de blessés. La marine brésilienne envisage une modernisation de ce porte-avions
pour allonger sa durée de vie.
Études marines / 61
Le programme Prosub le plus avancé, a été mis en œuvre avec la coopération de la
France. Un accord stratégique a été signé entre les deux pays le 23 décembre 2008. Il
prévoit la vente par DCNS, assortie de transferts de technologie et de constructions
locales, de quatre sous-marins de type Scorpène ainsi que la construction d’un sousmarin à propulsion nucléaire. Ce programme prévoit également la fabrication locale
d’un réacteur et le développement d’un cycle de fabrication de combustible. À cet
effet, la construction d’un laboratoire de génération d’énergie nucléaire électrique et
le renforcement du Centre technologique de la marine situé à São Paulo sont prévus.
Le premier site de fabrication de sous-marins a été officiellement inauguré le 1er mars
2013 près de Rio de Janeiro, au lieu-dit Itaguai.
Un programme de réarmement maritime au service d’une ambition
La montée en puissance de la marine militaire brésilienne est en cohérence avec les
nouveaux horizons du pays. Le Brésil a une façade atlantique de 7 500 kilomètres,
en vis-à-vis des côtes africaines, avec une double porte maritime méridionale : l’une
donnant sur l’océan Indien via le cap de Bonne-Espérance et l’autre sur le Pacifique
en passant par le cap Horn. Au nord, le Brésil est ouvert sur l’espace caribéen et
accède au canal de Panama. Cette ambition est également la conséquence d’une prise
de conscience. Les réalités humaine et économique sont concentrées à proximité de
l’océan Atlantique : 80 % de la population, 85 % de la consommation électrique,
93 % de la production industrielle, se trouvent en effet à moins de 100 kilomètres
de l’océan.
L’émergence brésilienne des années 2000, repose sur la mise en valeur de ressources
agricoles, minières et parfois industrielles, axées vers le marché régional et les échanges
mondiaux. La mer a pris une dimension nouvelle. Elle est le canal nécessaire au
commerce extérieur qu’il soit régional, américain ou encore mondial. L’Amazonie,
les Andes, ne sont aujourd’hui pas en mesure d’absorber les exportations et les
importations du pays en direction ou en provenance du Venezuela, de la Colombie, de
l’Équateur, du Pérou ou du Chili. L’Argentine, est d’évidence encore plus accessible par
sa capitale-port, Buenos Aires. Il en va de même pour les relations avec les principaux
partenaires économiques du Brésil, la Chine, les États-Unis, et les grands pays
d’Europe. 95 % du commerce extérieur du pays s’effectue par la mer. 1 400 bateaux
marchands croisaient chaque jour de 2014 dans les eaux territoriales du Brésil.
Tout cela permet de comprendre la participation d’entreprises brésiliennes aux travaux
d’élargissement du canal de Panama. Tout comme le gros investissement fait par
62 / Études marines
Brasilia à Mariel, port en zone franche et plate-forme de redistribution de conteneurs
actuellement en chantier à Cuba, initiative liée à la précédente. Le développement de
réseaux routiers transandins permettant aux producteurs brésiliens de soja d’accéder
plus directement aux ports du Pacifique péruvien et au marché chinois participe
d’une logique semblable.
La découverte de pétrole au large des côtes brésiliennes, face aux États de Rio de
Janeiro et Espiritu Santo, a renforcé la nécessité pour le Brésil d’exercer un contrôle
et une surveillance de ses approches. Petrobras, la société nationale des pétroles,
estimait pouvoir tirer près de deux millions de barils par jour des réserves situées en
eaux très profondes sous une épaisse couche de sel, dite « pré-sal ». Les découvertes
laissent espérer 50 à 100 milliards de réserves potentielles.
La mer fournit également des ressources alimentaires avec la pêche et offre un potentiel
énergétique houlomoteur, exploré par l’Agence nationale brésilienne de l’énergie
électrique qui, depuis 2012, a mis au point un prototype. Divers organismes ont
été mis en place afin d’exploiter de façon rationnelle, scientifique et écologique les
potentialités minérales des fonds marins.
Cette prise de conscience maritime fondée sur la nécessaire bonne gestion des intérêts
économiques et commerciaux, en a croisé une autre. L’identité composite du pays,
a été révisée pour mieux intégrer sa dimension africaine. La relation avec l’Afrique,
renforcée à partir du changement de gouvernement et de majorité en 2003, a été
conçue, au-delà des intérêts économiques ou de la proximité géographique, comme
un instrument de consolidation de la nation. Le commerce avec l’Afrique a été
multiplié par sept de 2000 à 2013. En effet, les autorités brésiliennes ont délibérément
souhaité renforcer les liens avec un continent considéré comme une partie constitutive,
longtemps refoulée, de son identité.
La mer est ainsi devenue un élément élargissant le regard brésilien sur le monde. Ils ont
pris conscience du lien naturel existant entre leur réalité nationale, l’existence de leur
pays et la mer. Cette évidence avait il est vrai été ignorée, pour deux grandes raisons.
La première vient du paradoxe existant entre un lien originel avec la mer qui est colonial
ou ingérant. Le Brésil est né d’une ambition européenne au XVIe siècle. Française,
hollandaise et finalement portugaise, ces rivalités ont laissé en héritage une culture de
résistance à tout ce qui vient de la mer. L’indépendance n’a pas vraiment changé la
perspective. Le Royaume-Uni a interdit au Brésil le contrôle du Rio de la Plata. Les
États-Unis ont tenté d’obtenir un libre accès à l’Amazone. Le fleuve a été descendu
Études marines / 63
par des aventuriers et des explorateurs venus d’Amérique espagnole. Tout cela a créé
un esprit d’îlien. Les Brésiliens se sont repliés sur leurs cités côtières. Ils ont développé
de façon paradoxalement envahissante une géopolitique de défense mordant sur le
territoire de leurs voisins.
Le deuxième paradoxe, venu lui aussi de la mer, touche une corde encore sensible du
vécu national. L’économie du Brésil colonial et des années impériales 7, précocement
mondialisée, reposait sur le commerce triangulaire avec l’Europe et les États-Unis,
où se vendait son sucre de canne, et l’Afrique pourvoyeuse de main d’œuvre esclave.
Le Brésil a été le pays des Amériques à avoir importé le plus d’esclaves africains, sans
doute entre trois et quatre millions. Ce passé est aussi une dette historique nationale,
qui pèse sur les mentalités et le quotidien. Le Brésil a pu être qualifié de pays du
« racisme cordial » 8.
La géopolitique brésilienne a cultivé des valeurs continentales. Sa littérature est urbaine
et terrestre. Seul Jorge Amado a écrit des romans situés en bord d’eaux, à Salvador
de Bahia, port principal d’arrivée d’esclaves africains, où survivent leurs descendants,
dockers sur les quais et pêcheurs. L’un de ses livres porte un titre éclairant cette approche
de l’océan, Mar Morto 9. Dans l’esprit de ses inventeurs, la géopolitique brésilienne
a pour vocation la préservation d’un territoire perçu comme une île menacée par
des envahisseurs extérieurs, venus de la mer ou d’au-delà de l’Amazone. De façon
révélatrice, la seule épopée de référence de la marine brésilienne, renvoie aux batailles
fluviales gagnées sur le Paraguay en 1865 10.
Invention d’une géopolitique maritime
Cette culture d’îlien a pris une dimension extravertie. En raison des éléments matériels,
économiques et commerciaux, comme culturels signalés supra, l’Amazone a été
pris comme référence. La mer définie comme une nouvelle frontière a été baptisée
« Amazone bleu » et un programme de surveillance des côtes, sur le modèle de celui
lancé pour la forêt amazonienne, a vu le jour visant à mettre en place un système
combinant satellites, radars, aéronefs, drones, navires et sous-marins.
7. L’esclavage a été aboli en 1888. La République, mettant fin à l’Empire, a été proclamée en 1889.
8. Titre d’un ouvrage publié en 1995 par Cleusa Turra (São Paulo, Atica ed.).
9. Jorge Amado, Mar Morto, Paris, GF, 1982.
10. Bataille de Riachuelo sur le Rio Parana, le 11 juin 1865.
64 / Études marines
Une politique africaine a été fabriquée, afin de veiller en partage sur la sécurité de
l’Atlantique sud. Au côté de la Zopacas et de la sécurisation partagée de la zone 11,
un lien contractuel disposant d’une composante maritime a été mis en place avec
les membres de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) 12. La CPLP
organise tous les deux ans depuis 2008 des symposiums des marines militaires des
pays membres. Cette dimension africaine a été abondée de façon bilatérale, sous
couvert de sommets organisés avec les pays africains et l’Amérique du Sud depuis
2006 13. Le Brésil a, en outre, ouvert de nouvelles ambassades dans une trentaine de
pays africains, en particulier avec ses vis-à-vis atlantiques. L’Afrique du Sud, qui a
intégré en 2010 le groupe BRIC 14, entretient des relations montant en puissance avec
le Brésil, dans plusieurs domaines dont le maritime. Plusieurs accords de coopération
militaire, parfois assortis de ventes d’armements, ont été signés par le Brésil avec des
États africains, en particulier le Cap-Vert (1994), la Namibie (1994), l’Afrique du
Sud (2003), la Guinée Bissau (2006), le Mozambique (2009), l’Angola (2010), le
Sénégal (2010), le Nigéria (2010), la Guinée équatoriale (2010 et 2013), Sao Toméet-Principe. Une corvette ainsi a été vendue à la Guinée équatoriale. Le Brésil est
le partenaire de référence de la marine militaire namibienne. Une mission navale
brésilienne a été ouverte au Cap-Vert.
Soucieux d’affirmer sa présence face aux puissances maritimes ingérentes d’hier,
comme aux initiatives des États-Unis dans la période récente, le Brésil a joué un
rôle actif en vue de créer un réseau mutualisant les moyens militaires avec ses
voisins. L’Unasur/Unasul 15 est issue en 2008 de cette préoccupation. L’Unasur
a été dotée d’un Conseil de coopération militaire. Le Brésil a souhaité nourrir
ces coopérations de projets à dimension industrielle. Étant pratiquement le seul
constructeur aéronautique militaire du continent latino-américain, le Brésil s’est allié
à la Colombie pour la production commune d’un avion de transport de troupes qui
fait le pendant à la coopération déjà entamée entre ces deux pays dans le domaine
des patrouilleurs fluviaux.
Puissance économique émergente, seul État latino-américain doté de bâtiments de
projection de force et de puissance, le Brésil a souhaité signaler cette double réalité
en jouant un rôle international plus actif. Il a donc élargi au domaine maritime son
soutien aux opérations de paix des Nations unies. Le Brésil a ainsi intégré la structure
11. Cf. GRIP, Observatoire pluriannuel des enjeux socio-politiques et sécuritaires en Afrique équatoriale et dans les îles du golfe de Guinée,
Note no7, 25 avril 2014.
12. Angola, Brésil, Cap-Vert, Guinée Bissau, Guinée équatoriale, Mozambique, Portugal, Sao Tomé-et-Principe et Timor oriental.
13. Les conférences ASA, Amérique du Sud-Afrique. La première s’est tenue en 2006 au Nigéria.
14. Ce terme désigne le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud comme les grandes puissances émergentes actuelles.
15. Union des Nations d’Amérique du Sud.
Études marines / 65
maritime de la Finul. Il en a assuré le commandement à deux reprises dans la période
récente. Il a par ailleurs instrumentalisé diplomatiquement ses capacités maritimes
en proposant ses services à l’ONU en 2004 pour garantir la paix en Haïti. Le Brésil,
en mesure de déployer plusieurs centaines de soldats en Haïti, a donc été le premier
pays d’Amérique latine à se voir confier la direction d’une opération de paix, la
Minustah 16.
Enfin, dernière réinterprétation du maritime, prétendant inverser les flux d’influence,
le Brésil a instrumentalisé les migrations volontaires des XIXe et XXe siècles. Il a en
effet construit une politique d’influence brésilienne en direction des pays ayant émis
des courants d’émigration, Japon, Liban et monde arabe, Espagne, Italie. C’est autour
des commémorations de l’arrivée en 1907 du premier bateau de migrants japonais
qu’a été bâtie par exemple une nouvelle coopération avec le pays du Soleil Levant.
La mer a également joué un rôle particulier dans la mise en œuvre d’une nouvelle
politique en direction de l’Italie.
Crise économique, crise du projet de modernisation maritime
Ultime paradoxe, cette ambition maritime brésilienne s’est heurtée à un récif redoutable.
L’émergence du pays était en effet très dépendante de la demande extérieure en produits
primaires, agricoles comme minéraux. La Chine a tiré la croissance brésilienne, comme
celle de nombreux autres États africains et latino-américains. Le repli chinois a retourné
brutalement les conjonctures locales. Les années de vaches grasses n’ont en effet pas
été mises à profit pour élargir la palette du développement. Au contraire, elle s’est
rétrécie sous l’effet du « mal hollandais ». Les activités à valeur ajoutée ont souffert du
ciblage de la demande chinoise en produits bruts. Le real a été surévalué, créant des
conditions de compétitivité difficiles, pour les industries brésiliennes. Qui plus est, le
repli de la demande chinoise, couplé à la montée en puissance des pétroles de schiste,
ont provoqué un effondrement du prix du baril. La mise en exploitation du pétrole
offshore brésilien n’est, depuis, plus rentable. L’ensemble du secteur pétrolier maritime
est aujourd’hui en difficulté : trente bâtiments de soutien logistique de haute mer, soit
8 % de la flotte totale, étaient à quai à la fin de l’année 2015.
L’économie brésilienne est entrée en récession. Les rentrées fiscales ne sont plus au
rendez-vous. Le gouvernement n’a donc plus les moyens de respecter le calendrier
des ambitieux plans de modernisation de ses forces armées et de sa marine. Ils sont
16. Mission des Nations unies pour la stabilité d’Haïti.
66 / Études marines
au pire suspendus, au mieux étalés sur un nombre d’années sans rapport avec les
schémas initiaux. La crise politique qui s’est greffée sur les difficultés de l’économie
a aggravé la situation. Non seulement le gouvernement a perdu toute capacité
d’initiative, mais la justice a mis en examen au-delà de responsables politiques,
des cadres d’entreprises concernées par le programme de modernisation des forces
armées et de la marine. Le calendrier de mise en chantier de corvettes, des deux
porte-avions, du sous-marin nucléaire et la poursuite du chantier d’assemblage des
sous-marins sont donc nécessairement soumis aux aléas de la conjoncture de crise
que vit aujourd’hui le Brésil.
Études marines / 67
68 / Études marines
MARINES éMERGENTES
Le HMAS Sheean conduit un exercice d’hélitreuillage avec l’hélicoptère de type Seahawk
au large de Garden Island (Australie). © Commonwealth of Australia.
Études marines / 69
Naître ou renaître
Cyrille P. COUTANSAIS
Directeur de recherches au CESM
70 / Études marines
E
n 1950, 18 pays possédaient des sous-marins. Ils sont aujourd’hui 42, avec
des nouveaux entrants aussi variés que l’Algérie, l’Indonésie ou encore le
Vietnam. Cette « démocratisation » de l’arme sous-marine témoigne d’une
dynamique plus générale qui voit la plupart des régions du globe être gagnée par une
course à l’armement naval. L’Asie du Sud-Est attire les regards mais le mouvement
est loin de se cantonner à cette zone. Il suffit de se pencher sur la Méditerranée pour
constater que Maroc, Algérie, Égypte, Israël ou encore Turquie sont engagés dans
une démarche similaire. Le continent américain n’échappe pas plus à la règle tout
comme l’Afrique subsaharienne. Les équipements ne sont certes pas du même ordre
– les patrouilleurs mozambicains ne jouent pas dans la même cour que les frégates
ou corvettes égyptiennes – mais la logique est identique : il s’agit de contrôler ses
approches, sécuriser son espace maritime. Les richesses reposant dans les zones
économiques exclusives (ZEE) – faune, flore ou matières premières – demandent à
être protégées des convoitises tandis que l’insertion de la plupart de ces États dans
les échanges internationaux les rend dépendants du commerce maritime et par
conséquent de sa quiétude. Lutter contre les menaces risquant de l’interrompre ne
peut plus être accessoire : un pirate n’est plus une résurgence folklorique du passé,
mais une menace qu’il faut canaliser, ce qui suppose de se doter des moyens idoines.
Or cela est aujourd’hui possible. Ces différentes nations, du fait notamment de la
globalisation, ont désormais les moyens de leurs ambitions navales. Le panorama
général étant posé, et la dynamique en cours soulignée, reste à s’intéresser aux
impératifs locaux. Car chaque équipement répond aussi à un besoin précis, ancré
dans les problématiques de telle ou telle zone.
Afrique subsaharienne : naître
Avec l’entrée dans la mondialisation, l’Afrique subsaharienne s’éveille véritablement
à la mer. Si l’on met de côté le cas particulier de l’Afrique du Sud, les États de cette
vaste zone n’ont pendant longtemps pas ressenti la nécessité de disposer de forces
navales conséquentes. Ils étaient bien tournés vers la mer pour quelques activités de
pêche ou de commerce, il existait certes quelques querelles de délimitations héritées
de la période coloniale mais, somme toute, rien de véritablement décisif pour justifier
un investissement dans une marine.
C’est aujourd’hui ce qui change. La Convention des Nations unies sur le droit de
la mer (CNUDM) leur a confié de vastes espaces maritimes dont les ressources
constituent autant de richesses à protéger des convoitises étrangères. Les ressources
halieutiques attisent ainsi des velléités prédatrices et induisent la nécessité d’en assurer
Études marines / 71
la surveillance, de se doter de moyens de police en mer. L’admission au service actif du
Kedougou sénégalais en 2015 témoigne de ce mouvement : patrouilleur de haute mer
– construit pour Raidco marine dans les chantiers STX de Lorient –, il s’inscrit dans
la volonté de Dakar de renforcer ses moyens de surveillance dans sa ZEE. La logique
est semblable côté Afrique orientale avec la commande par le Mozambique des six
patrouilleurs HSI 32 et des trois Ocean Eagle 43 au chantier CMN de Cherbourg : la
protection des futures installations d’exploitation de gaz offshore est à ce prix.
La manne en hydrocarbures offshore est, en effet, une autre raison de cette course à
l’équipement en moyens navals. L’or noir ou bleu attise en effet les convoitises des
acteurs étatiques – qui ne dédaignent pas d’accorder des permis dans des espaces
maritimes contestés – comme non étatiques. L’expansion de la piraterie dans le golfe
de Guinée ne s’explique pas autrement et éclaire les programmes du Nigéria ou
du Ghana – qui se sont dotés de patrouilleurs océaniques ou côtiers de fabrication
chinoise – ou la série d’acquisition en un temps réduit du même type de bâtiment par
la Guinée équatoriale. Sur la façade orientale, seul le Kenya a cherché à se prémunir
du risque de piraterie via l’achat, en 2013, de l’ex-Rieuse et de deux patrouilleurs de
type Nyago modernisés.
Autres effets collatéraux des ressources en hydrocarbures : la capacité financière
d’investir dans ses forces navales et l’entrée en lice de nouveaux acteurs pour la
fourniture de ce type de « produits ». Ainsi Pékin, loin de se contenter de fournir Lagos
ou Accra, a bousculé le marché de l’armement naval traditionnel en faisant tomber
Quand l’Afrique du Sud prend la mer
La nation arc-en-ciel est le principal acteur naval de l’Afrique subsaharienne.
Incontournable, elle a engagé une vague de modernisation de sa flotte jusqu’en
2008 (sous-marins de classe Heroine et frégates de type Meko A200, de
classe Valour). Les difficultés budgétaires ont ensuite restreint et repoussé les
programmes prévus (projet Biro de remplacement des patrouilleurs de type Reshef
toujours non lancé). Dotée d’une capacité océanique et d’une véritable volonté
d’assurer ce rang, la marine sud-africaine s’est d’ailleurs réapproprié la base
navale de Durban en décembre 2015, après l’avoir longtemps délaissée. Elle servira
de soutien aux bâtiments opérant dans le canal du Mozambique et plus largement
sur la côte est de l’Afrique.
—
72 / Études marines
dans son escarcelle l’Angola, la Namibie ou encore le Congo. Les Occidentaux restent
bien entendu présents – au Sénégal, au Bénin, au Congo ou au Cameroun – mais
l’arrivée de nouveaux acteurs offre la possibilité pour les États du cru de diversifier
leurs approvisionnements et de tirer les prix.
Ce panorama ne doit cependant pas nous masquer la vocation de surveillance et de
protection des approches de ces investissements : à l’exception de l’Afrique du Sud,
nous sommes encore dans le cadre de marines côtières, certes modernisées, mais
toujours très loin d’une vocation ne serait-ce que régionale. Le Nigéria par exemple,
géant démographique et acteur économique prometteur, aligne 16 000 tonnes, ce qui
le place au niveau de l’Irlande…
Amériques : renaître ?
D’un point de vue maritime, les Amériques se rapprochent assez de l’Afrique
subsaharienne : risque de conflits inter-étatiques en mer improbable et nécessité de
protéger ses approches du fait de ressources marines abondantes ou de nouvelles voies
de navigation tel le passage du Nord-Ouest. Seule différence, mais de taille : le poids
de l’hyperpuissance américaine qui implique une menace dérisoire dans la zone et
n’incite pas à moderniser ses unités. Au final, quelques investissements se font jour
mais sur une base différente de l’Afrique subsaharienne : il ne s’agit pas ici de faire
naître ex-nihilo une marine mais de la faire renaître.
On se souvient en effet que les années 1970 avaient été le théâtre d’investissements
considérables dans les forces navales. L’exemple le plus emblématique est sans doute
l’Argentine qui, forte d’une capacité aéronavale, n’avait pas hésité à croiser le fer avec
le Royaume-Uni lors de la guerre des Malouines. La crise, le retour à la démocratie
ont fait s’effriter ces ambitions et il a fallu attendre l’entrée dans la mondialisation et
un nouveau cycle de croissance économique pour que certains de ces États se lancent
dans une modernisation de forces navales pour le moins vieillissantes.
Si on connaît les ambitions du Brésil, le Chili attire moins les projecteurs mais
dispose cependant d’une marine rajeunie et cohérente. Le Venezuela a fait montre
d’ambitions du temps de Chavez mais devra vraisemblablement freiner ses programmes
de modernisation des frégates de type Lupo du fait des difficultés économiques et
de la défaite du parti chaviste aux législatives de 2015. L’Argentine de son côté ne
dédaignerait pas de retrouver une capacité aéronavale mais la crise financière de
2001 et ses conséquences ont longtemps freiné ses ardeurs. La Colombie quant à elle
Études marines / 73
procède certes au renouvellement de certaines de ses unités mais cela est très lié au
soutien de Washington dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic.
Ce parapluie américain explique pour beaucoup les faibles investissements des autres
pays du continent. Le Canada a ainsi longtemps tergiversé au point d’être devenu
une puissance navale de quatrième rang, essentiellement cantonnée à la protection de
ses approches. Le plan « Canada d’abord », annoncé en 2010, avait pour ambition de
régénérer la Royal Canadian Navy via un investissement de 27 milliards d’euros sur
trente ans et un format, à terme, de 28 grands navires et 116 petites unités. Le retard
est d’ores et déjà conséquent et ce, malgré les enjeux du passage du Nord-ouest qui
devrait inciter à maintenir le cap.
Pour le reste, un certain lymphatisme est de mise : Pérou et Mexique font certes partie
du top 20 des marines mondiales mais ne comptent pour l’essentiel que des unités
vieillissantes. Lima aligne encore le croiseur Almirante Grau, l’ex-de Ruyter néerlandais
mis sur cale en 1939 quand Mexico est dépourvu de toute frégate lance-missiles ou
bâtiment de surface récent.
Chili, la marine du bout du monde
Compte-tenu de sa géographie, de ses possessions ultramarines – base Arturo
Prat sur l’île Greenwich, île de Pâques –, d’une ZEE qui se classe au dixième rang
mondial, le Chili se doit d’avoir une force navale hauturière. Grâce à sa cohérence,
son équipement et la qualité de son personnel, cette marine bicentenaire est apte
à remplir l’ensemble des missions qui lui sont confiées avec un fort accent sur la
présence, la souveraineté et l’assistance humanitaire.
Composée en grande partie d’unités de « seconde main » mais récentes, elle est au
premier rang des marines d’Amérique latine si l’on exclut la capacité aéronavale
du São Paulo dans l’ordre de bataille de la marine brésilienne. La projection de
puissance n’étant pas dans ses ambitions actuelles, Santiago maintiendra ses
efforts de modernisation et d’acquisition pour demeurer la puissance maritime
dominante du sud-ouest du Pacifique.
—
74 / Études marines
Mare nostrum ?
La Méditerranée est un concentré des problématiques maritimes actuelles. Elle est
à la fois une voie de passage essentielle du commerce international – via Suez et
Gibraltar –, du transit d’hydrocarbures – en provenance du golfe Persique comme
de la mer Noire –, une source de richesses marines dont témoignent les gisements
israéliens ou chypriotes. Elle est aussi confrontée aux trafics divers et variés – de
migrants, de drogue, etc. –, tout en abritant une densité de forces navales et de conflits
– ouverts ou mal éteints – impressionnante.
Rien d’étonnant dans ces conditions de voir un développement exponentiel des
marines riveraines 1. La traditionnelle rivalité algéro-marocaine est ainsi toujours
présente mais n’est plus le seul facteur explicatif des programmes de Rabat et d’Alger :
si la marine du royaume chérifien s’est dotée par exemple de la frégate multimission
(FREMM) Mohamed VI, il faut aussi y voir une volonté de monter en gamme liée
à des motifs de lutte contre les trafics et le désir de compter dans le cadre régional.
Ajoutons que le pays est tourné de plus en plus vers la mer et se positionne – avec
le hub de Tanger Med – comme un nœud logistique essentiel : assurer sa protection
devient primordial. L’Algérie est dans un registre un peu différent. Si elle veut
compter au niveau régional – ses quatre sous-marins de classe Kilo et ses deux à venir
sont, de ce point de vue, des arguments de poids –, elle est aussi préoccupée par les
déstabilisations liées aux printemps arabes : l’anarchie libyenne n’est pas loin et la
Tunisie ne pourra seule y faire face. C’est dans ce contexte que s’inscrit la réception
d’un bâtiment de transport de chalands de débarquement italien, d’une frégate
allemande du type Meko A200N et, tout récemment, de corvettes chinoises.
Les conséquences des printemps arabes se lisent aussi dans les investissements
égyptiens : les deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) destinés
originellement à la Russie ont finalement pris la route du Caire assortis d’une
FREMM. La marine s’est déjà équipée de quatre patrouilleurs de haute mer classe
Ambassador Mk3, la deuxième corvette type Gowind 2500 sur une série de quatre a été
livrée en 2016 et la presse bruisse d’une nouvelle commande tournée autour de deux
corvettes supplémentaires, de BPC et d’un achat du patrouilleur L’Adroit… La sécurité
du transit par le canal de Suez joue évidemment son rôle mais il faut aussi y ajouter
la problématique libyenne et celle du Sinaï, parcouru de groupuscules islamistes.
1. Les marines européennes sont traitées dans la contribution de Vincent Groizeleau : « L’Europe peine à maintenir sa puissance navale ».
Études marines / 75
Cette dernière question préoccupe aussi Israël qui, fort d’une solide tradition sousmarine 2, s’efforce de développer aujourd’hui des capacités de surface liées à la situation
sécuritaire de la zone mais tout autant à la protection de l’exploitation du gisement
gazier de Leviathan. Si l’ordre de bataille a longtemps reposé sur les trois corvettes
lance-missiles Saar V renforcées par les patrouilleurs de 500 tonnes type Hetz, la petite
quinzaine de Super Dvora Mk3 qui vient s’ajouter aux cinq Shaldag Mk3 permet
aujourd’hui de disposer d’une flotte de patrouilleurs récents, produits localement,
et d’une véritable efficacité opérationnelle. Il ne faut pas négliger par ailleurs une
politique d’acquisition de frégates toujours soutenue : quatre exemplaires du type
Meko A100 ont été commandés fin 2014 à l’Allemagne.
Les autres marines de la rive sud ne jouent pas dans la même cour : les capacités
libyennes ou syriennes, du fait des conflits ou de l’anarchie dans lesquels leurs États
sont plongés, sont ravalées à un rang insignifiant. Au Liban, la modestie a toujours été
de mise et, de ce point de vue, la tendance récente ne laisse pas présager d’inflexion
majeure.
Golfe Persique : nos chers voisins…
Les problématiques maritimes du Golfe sont bien évidemment sous-tendues par le
prisme des hydrocarbures. Zone d’approvisionnement essentielle de pays comme la
Chine ou le Japon, le transit s’effectue majoritairement par la mer. Cette voie doit
donc rester ouverte et explique pour une bonne part la présence de forces étrangères
dans la zone, au premier rang desquelles se trouve l’US Navy. Cela ne veut pas dire
que les États côtiers se désintéressent de cette question et ce d’autant plus que de
vieilles querelles autour de délimitations – qui dessinent aussi la souveraineté sur les
champs gaziers ou pétroliers – sont loin d’être soldées.
Les Émirats arabes unis s’opposent ainsi à leur grand voisin iranien concernant la
souveraineté des îles Abu, Grande et Petite Tomb, que Téhéran occupe depuis 1971
et l’accord signé avec l’émirat de Shajah, alors sous tutelle britannique. Soutenu dans
ses prétentions par le conseil de coopération du Golfe, Abu Dhabi ne s’engage pas
pour autant dans une confrontation directe, se contentant d’investir dans ses forces
navales pour contrôler ses approches. Les émiriens sont proches en cela du Qatar
ou du Koweit. Oman est plus ambitieux de ce point de vue, le Sultanat considérant
l’achat de nouvelles unités comme une priorité. Largement ouvert sur l’océan Indien,
2. Les sous-marins Dolphin II sont vraisemblablement dotés d’une capacité de lancement de missiles Turbopopeye à tête nucléaire.
76 / Études marines
Turquie, une marine discrète mais qui compte
Neuvième marine du monde en tonnage, la Turquie est naturellement tournée vers
la mer. Son rôle de « gardienne des détroits », le contentieux avec la Grèce autour
de la mer Égée et la question chypriote expliquent ce tropisme. Très impliquée
dans les exercices de l’OTAN – y compris hors de Méditerranée –, la marine turque
participe aux missions de lutte contre le terrorisme, la piraterie et se retrouve en
première ligne pour la gestion des flux migratoires qui transitent par, ou à proximité
de l’espace maritime d’Ankara.
Le renouvellement de la flotte russe de la mer Noire avec des sous-marins et des
corvettes équipés de missiles de croisière Kalibr explique pour beaucoup un effort
porté sur les forces sous-marines et les capacités anti-sous-marines. Parmi les
forces sous-marines conventionnelles présentes sur le théâtre, celle d’Ankara est la
plus nombreuse et probablement la plus puissante. Équipée exclusivement de sousmarins d’origine allemande, elle dispose de treize unités, construites localement
à l’exception des trois premiers du type 209/1200 (classe Ay). En 2009, Ankara a
commandé six unités du type 214 qui devront remplacer les 209/1200 à partir de
2017 au rythme de un par an.
Les forces de surface, quant à elles, font l’objet d’un profond renouveau tant au
niveau des matériels que des missions. Longtemps cantonnées à des équipements
américains, allemands et français de seconde main, elles s’orientent vers
l’acquisition de matériels locaux pour remplir un spectre de missions plus large
que la simple rivalité avec le voisin grec ou la sécurisation des détroits. Ces
ambitions nouvelles s’articulent autour du programme Milgem – décliné en quatre
corvettes et quatre frégates multirôles – auquel s’ajouteraient quatre destroyers
de défense aérienne TF 2000. Le programme des deux bâtiments de projection est
bien engagé avec la construction par les chantiers Sedef (Istanbul) de la première
unité, l’Anadolu – dérivée du type Juan Carlos I de Navantia (27 500 t) – qui devrait
être admis au service actif en 2017. Le bâtiment de débarquement de chars (LST,
landing ship tank) de 7 100 t, Bayraktar, lancé en octobre 2015, est enfin le premier
d’une série de deux qui complètent la capacité amphibie existante de trois LST.
—
Études marines / 77
il renouerait ainsi avec une histoire maritime glorieuse qui a vu ses ancêtres monopoliser
de juteux trafics en s’appuyant sur Zanzibar. Si le Yémen avait une vision plus modeste,
elle n’est plus aujourd’hui qu’un lointain souvenir, ensevelie sous les décombres de la
guerre civile.
L’Arabie saoudite pourrait être un acteur naval qui compte. Sa marine date de 1960
et dispose d’une flotte pour chacune de ses façades maritimes. Longtemps tournée
vers des missions de contrôle et de surveillance, elle s’est lancée avec SNEP II (Saudi
Naval Expansion Program) dans une modernisation ambitieuse en caressant l’idée de
se doter de quatre bâtiments multimissions. Dépourvue d’arme sous-marine, elle ne
semble pas vouloir s’en doter à plus ou moins brève échéance.
Iran, le trublion
Les forces navales iraniennes sont divisées entre marine militaire et flotte des
gardiens de la révolution (Pasdarans). La première a sous sa responsabilité la haute
mer – dont le golfe d’Oman –, la seconde la frange côtière, dont le détroit d’Ormuz
et ses îles fortifiées. Ne pouvant rivaliser avec une marine « occidentale » moderne,
le mode opératoire de ces deux composantes est axé sur une première ligne de
défense en haute mer puis des tactiques non-conventionnelles mises en œuvre par
les Pasdarans dans une recherche de déni d’accès.
Au total, Téhéran peut compter sur plus de 150 unités légères de surface
(patrouilleurs et vedettes) et une vingtaine de sous-marins de poche midgets. La
marine hauturière reste modeste : trois frégates Vosper Mk 5 de plus de 40 ans, deux
vieilles corvettes américaines de 1964 et trois corvettes récentes de construction
locale, la classe Mowj. La composante sous-marine n’échappe pas au système
dual : les Pasdarans mettent principalement en œuvre l’essentiel des midgets,
la marine arme les sous-marins conventionnels océaniques et côtiers. Pour être
complet sur les ambitions perses, il faut évoquer deux projets en cours : équiper la
marine de sous-marins d’attaque classe Fateh (600 t en plongée, les plus grands
sous-marins construits en Iran) qui permettraient d’opérer de part et d’autre d’Ormuz
et poursuivre le programme Besat (1 200 t en plongée) qui donnerait une réelle
capacité en mer d’Oman voire en mer Rouge.
—
78 / Études marines
Asie du Sud-Est : l’ombre chinoise et nord-coréenne
S’il y a une zone pour laquelle on peut parler de course à l’armement naval, c’est
bien l’Asie du Sud-Est. Quelques chiffres permettront de prendre conscience du
phénomène : en 1979, la Corée du Sud alignait 33 000 tonnes, aujourd’hui 182 000.
Le Japon ? 150 000 à l’époque contre 410 000 de nos jours. Et l’on pourrait parcourir
l’ensemble des États de la région pour trouver une tendance semblable.
Les raisons ? Les ambitions chinoises bien évidemment mais pas uniquement :
des problématiques locales jouent leur rôle. Ainsi, le format des forces navales
singapouriennes, malaisiennes ou indonésiennes est aussi dimensionné pour réduire
la piraterie qui infeste le détroit de Malacca quand la Corée du Sud est, avant tout,
tournée vers son frère ennemi du nord et l’impératif de sécuriser ses liaisons maritimes.
Séoul est en effet une sorte d’île : la fermeture de son unique frontière terrestre la rend
entièrement dépendante de la mer pour ses liaisons, ses approvisionnements et requiert
des moyens en conséquences.
Corée du Sud, la possibilité d’une île
Depuis la partition du pays au niveau du 38e parallèle, la Corée du Sud est de facto
une île, totalement dépendante de la mer. La stratégie navale de Séoul découle de
cette situation et suit trois grandes lignes directrices : être en capacité de repousser
les intrusions de son frère ennemi du Nord, assurer la sécurité de ses voies maritimes
et devenir une force navale « moyenne » incontournable en Asie du Nord-Est. Dans cet
esprit, le pays du matin calme a développé des forces navales conséquentes, visant
un juste équilibre entre défense côtière et protection hauturière d’intérêts plus larges.
L’heure est aujourd’hui au renouvellement et il est peu de dire qu’il est d’ampleur.
Les neuf sous-marins de type 209 (1 300 t) seront ainsi remplacés à l’horizon 2025
par une nouvelle classe de sous-marins océaniques AIP KSS III (3 600 t) tandis que la
gamme des type 214 (1 900 t) sera élargie à neuf unités. La flotte de surface pourra
compter quant à elle sur le remplacement, d’ici 2020, des neuf frégates anti-navires
classe Ulsan et 21 corvettes de classe Pohang par six unités multimissions, six
frégates anti-sous-marines et huit frégates anti-aériennes. Soulignons enfin, l’effort
mené en matière amphibie avec la construction de deux porte-hélicoptères d’assaut
de classe Dokdo (19 000 t).
—
Études marines / 79
Reste que la montée en puissance de la marine chinoise et sa politique agressive en
mer de Chine n’est pas neutre. Les Philippines usent certes de l’arme juridique en
se tournant vers le tribunal arbitral de La Haye pour trancher leur différend avec
Pékin mais ne négligent pas les forces navales pour autant à l’image de l’ensemble de
ses voisins. Le Vietnam renouvelle ainsi à marche forcée sa marine, alignant frégates
légères Gepard, corvettes lance-missiles Tarantul V et sous-marins de classe Kilo, tous
d’origine russe… Cette pression de Pékin n’est pas nouvelle pour un des acteurs de la
zone : Taïwan. Huitièmes du monde en tonnage, les forces navales de la république
de Chine ont pour mission principale de prémunir l’île d’une éventuelle invasion de
Pékin, d’assurer le maintien des lignes de communication avec les Pescadores, Quemoy
et Matsu et bien entendu de garantir l’ouverture de voies maritimes en cas de tentative
de blocus. Devant des fournisseurs potentiels soucieux de ne pas froisser la Chine
continentale, Taipeh s’est efforcée de développer des solutions locales. C’est le cas
de la fameuse corvette « tueuse de porte-avions » dont la première unité est entrée en
service en 2015. Première d’une série de douze bâtiments lance-missiles conçus pour
le combat en zone littorale, elle doit donner à Taïwan la capacité de lutter contre des
navires ennemis d’une taille bien supérieure… Comme un certain porte-avions chinois
Liaoning… Mais la grande affaire est bien évidemment celle des forces sous-marines
qui ne disposent que de deux bâtiments de construction néerlandaise. L’achat se
révélant problématique, l’île a décidé de se lancer dans un programme de fabrication
locale : il devrait aboutir, pour la première unité, en 2024. Autant d’atouts pour contrer
d’éventuelles velléités de réunification contrainte.
Mais loin de se cantonner à la mer de Chine, ou au détroit de Formose, l’ombre de
Pékin s’étend sur l’ensemble du Pacifique comme le souligne la politique volontariste
de l’Australie, devenue le troisième importateur d’armement de la zone Asie-Pacifique,
derrière l’Inde et la Chine. Si les relations avec les États-Unis restent le socle de la
politique de défense australienne, un triangle Canberra-Tokyo-New Delhi s’esquisse
pour faire face aux menées de Pékin. Car c’est aussi une des caractéristiques de
cette nouvelle ère globale : la plupart de ces marines qui naissent ou renaissent ne
comptent pas se cantonner à leurs approches, le grand large les attire. Quand l’Australie
s’intéresse au Pacifique comme à l’océan Indien, la Chine s’aventure en Atlantique ou
en Méditerranée. Nous n’avons pas affaire ici à une politique d’armement naval pour
le prestige comme cela a pu être le cas par le passé, nous sommes dans une logique
opérationnelle ce qui change beaucoup de choses…
80 / Études marines
Quand les kangourous reprennent la mer…
La Royal Australian Navy (RAN) était au lendemain du second conflit mondial une
marine importante et alignait encore deux porte-avions dans les années 1980. Puis
l’ensemble a vieilli, la fin de la guerre froide et la récession du début des années
1990 entraînant une réduction des budgets mais contenue : l’Australie est une île.
Cette dépendance à la mer s’est retrouvée démultipliée par la mondialisation : les
ressources minières de Canberra s’exportent aussi bien en Chine qu’au Japon ou
aux États-Unis. À cette problématique classique mais plus prégnante de sécurisation
des voies de communication sont venues s’ajouter la question migratoire – qui
impose une surveillance des approches renforcée – ainsi qu’une diplomatie navale
et humanitaire très active dans la région, le Timor en étant l’exemple le plus
emblématique. Au final, l’Australie est plus intégrée dans son aire régionale tout
en conservant un lien étroit avec le grand allié américain.
Cette géopolitique nouvelle se traduit bien évidemment dans un programme de
modernisation des forces navales particulièrement ambitieux. Le remplacement
des six sous-marins classiques de la classe Collins par les douze Shortfin Barracuda
Block 1A à propulsion conventionnelle, conçus par DCNS, démontre ainsi une vision
qui ne se cantonne pas aux approches mais s’ouvre au grand large. Elle s’inscrit
pleinement dans le cadre du Livre blanc de 2016 qui rappelait que « d’ici 2035,
environ la moitié des sous-marins du monde opèreront dans la région indo-pacifique,
où l’Australie a le plus d’intérêts à défendre ».
Les autres composantes ne sont pas pour autant oubliées. Ainsi, pour les forces
de surface, les huit frégates de classe Anzac sont en cours de rénovation avant
d’être remplacées par neuf unités dans le cadre du programme Sea 5000 à l’horizon
2030. Notons également que trois destroyers lance-missiles du type Hobart vont
finalement remplacer les trois frégates classe O.H. Perry encore en ligne. La
composante amphibie, après une période blanche depuis 2011, est, quant à elle,
en plein renouveau tandis que l’admission au service des deux porte-hélicoptères
d’assaut classe Canberra de 27 500 tonnes donne non seulement une capacité de
projection de forces mais aussi des facilités d’accueil d’un état-major. Soulignons
enfin une nouvelle flotte de douze patrouilleurs hauturiers, qui viendront compléter
les moyens actuels et le remplacement des avions de patrouille maritime P-3 C
Orion (18 exemplaires transférés par les États-Unis entre 1978 et 1986) par de
nouveaux P-8A Poseidon pour comprendre que l’Australie est véritablement décidée
à reprendre la mer.
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Études marines / 81
82 / Études marines
Union européenne :
sursaut ou déclin ?
7 mars 2016, exercice interalliés Cold Response organisé au large de la Norvège.
Du premier au dernier plan : la frégate anglaise Iron Duke, la frégate danoise Niels Juel
et la frégate espagnole Alvaro de Bazan. © Marine nationale / F. Ledoux.
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L’Europe peine à maintenir
sa puissance navale
Vincent GROIZELEAU
Journaliste spécialisé sur les questions maritimes,
rédacteur en chef du site Mer et marine
84 / Études marines
L
es rivalités régionales comme la nécessité de surveiller et protéger les espaces
maritimes pour des raisons économiques et territoriales poussent de nombreux
pays à développer leurs marines. Non seulement avec des bâtiments de
souveraineté, mais aussi au travers d’unités conçues pour les combats de haute intensité.
La montée en puissance des forces navales est très nette de la zone Asie-Pacifique
au Moyen-Orient, avec en particulier l’impressionnante montée en puissance des
marines chinoise et indienne. Et on la constate progressivement en Amérique latine
et en Afrique, sans oublier bien entendu le retour sur la scène internationale de la
flotte russe. Quant à l’US Navy, elle veille à conserver sa suprématie en renouvelant
méthodiquement ses moyens dans tous les grands compartiments capacitaires (porteavions, sous-marins, destroyers, projection, aéronautique navale) et en poursuivant
des programmes de recherche et développement innovants.
Face à ce « réarmement naval » mondial, l’Europe reste en marge. La faute probablement
à une opinion publique peu sensible aux enjeux maritimes et habituée depuis de
longues décennies à vivre en paix : le danger lui semble loin, diffus. Une impression
de sécurité que quelques crises, comme l’ex-Yougoslavie dans les années 1990 et plus
récemment l’Ukraine, sont brièvement venues troubler, pour être aussi vite oubliées.
L’émergence de nouvelles menaces et une instabilité planétaire croissante, soit autant
de périls pour une société basée sur la mondialisation des échanges, devraient pousser
l’Europe à renforcer sa défense, et notamment sa capacité d’intervenir au loin, c’està-dire sa puissance navale. Si la coopération ne cesse de se développer, tant sur le plan
industriel qu’opérationnel, avec des initiatives bilatérales, comme la constitution d’un
corps expéditionnaire conjoint franco-britannique ainsi que de remarquables missions
sous bannière européenne, à l’image d’Atalante et de Sophia, la question des moyens
est bien plus problématique. Car à l’heure des choix, les gouvernements, confrontés
à la récurrence des difficultés financières et à des populations peu sensibles à la chose
militaire, optent pour d’autres priorités budgétaires.
De ce fait, à quelques rares exceptions près, les marines européennes parviennent tout
juste à conserver leur format et moderniser leurs équipements.
La Royal Navy
Disposant historiquement de la première puissance navale d’Europe, le Royaume-Uni
a fait les frais de coupes budgétaires répétées qui ont réduit significativement sa flotte
depuis 15 ans. Ombre de ce qu’elle était autrefois, la Royal Navy doit désarmer
Études marines / 85
le porte-hélicoptères HMS Ocean en 2017 mais va reprendre de la vigueur avec ses
deux nouveaux porte-avions. Le HMS Queen Elizabeth prépare ses premiers essais en
mer alors que l’assemblage de son sistership, le HMS Prince of Wales, s’achève en Ecosse.
Dotés du F-35B à décollage court et appontage vertical, ces bâtiments permettront
aux Britanniques de recouvrer une véritable projection de puissance aéromaritime,
sans pour autant disposer de capacités aussi importantes que celles offertes par un
porte-avions à catapultes comme le Charles de Gaulle qui peut mettre en œuvre
des aéronefs lourds comme des chasseurs multi-rôles conventionnels et des avions
du guet aérien. Pour le reste, la Royal Navy renouvelle progressivement ses moyens.
Après les six destroyers antiaériens du type 45, la prochaine décennie sera consacrée au
remplacement des treize frégates anti-sous-marines du type 23 par les futures type 26,
complétées par des frégates multi-missions plus légères, les type 31. En matière de
sous-marins, Londres a acté le renouvellement de ses quatre sous-marins nucléaires
lanceurs d’engins (SNLE) de la classe Vanguard et poursuit le programme des sept
nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) du type Astute, dont le troisième
exemplaire est entré en service en mars 2016. La future composante de guerre des mines
fait l’objet d’une coopération avec la France. Quant au trou capacitaire en matière de
patrouille maritime, lié à l’abandon du programme Nimrod MRA4 1 en 2010 et qui
fragilise la dissuasion nucléaire britannique, il doit être comblé par l’achat de P-8A
Poséidon américains (en ligne en 2018). Enfin, la Royal Fleet Auxiliary va s’enrichir à
partir de 2016 de quatre nouveaux bâtiments logistiques du type Tide. L’importance
du soutien a toujours été une priorité britannique, ce qui caractérise une marine
vraiment océanique.
La Marine nationale
Subissant elle aussi les contraintes budgétaires, la flotte française est néanmoins
parvenue à conserver l’ensemble de ses capacités, faisant d’elle la seule marine globale
d’Europe. Son groupe aéronaval, qui s’est illustré sur de nombreux théâtres d’opérations,
va gagner en puissance avec une chasse embarquée axée uniquement autour du Rafale
et la prochaine modernisation du Charles de Gaulle. Dans le domaine des frégates, le
renouvellement bat son plein. Après les deux frégates de défense aérienne (FDA) de
classe Forbin, les frégates multi-missions (FREMM) succèdent aux F70 et constituent
avec l’hélicoptère Caïman un redoutable tandem, notamment dans le domaine de
la lutte anti-sous-marine. Fin 2016, trois FREMM seront en service, cinq autres
s’y ajouteront d’ici 2022, dont deux aux capacités de défense aérienne renforcées
1. Le Programme Nimrod MRA4 (Maritime reconnaissance and attack) prévoyait initialement l’achat de 18 avions de patrouille
maritime pour remplacer les MR2 de la Royal Air Force. En raison de l’explosion des coûts, ce programme a été abandonné en 2010.
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(FREDA). Ce programme sera suivi par celui des frégates de taille intermédiaire (FTI),
en cours de définition, qui devraient être livrées à partir de 2023. Les FTI permettront à
la Marine nationale de disposer d’un parc de quinze frégates de premier rang modernes
et dotées d’importantes capacités dans tous les domaines de lutte.
Dans le domaine des sous-marins, la refonte des SNLE du type Le Triomphant
s’achèvera d’ici 2019, les études concernant leurs successeurs ayant déjà débuté. Le
premier des six SNA, type Barracuda, le Suffren, doit être mis à l’eau cette année.
Ces bâtiments, plus grands et plus puissants que les actuels Rubis, vont apporter de
nouvelles capacités stratégiques, à commencer par la mise en œuvre du missile de
croisière naval, dont sont également dotées les FREMM. Une arme très précieuse
et unique en Europe – car elle équipe aussi bien des frégates que des sous-marins –,
et permet à la France d’enrichir sa palette d’outils militaires pour traiter des cibles ou
des menaces terrestres depuis la mer. Il est également à noter l’accent qui a été porté
à la mise en œuvre des forces spéciales à partir de ces SNA.
La situation est en revanche plus complexe dans le domaine des patrouilleurs, le
programme des bâtiments de surveillance et d’intervention maritime (Batsimar) ayant
été renvoyé à la prochaine loi de programmation militaire (2020-2025), tout comme
le programme Flotlog, destiné à remplacer par seulement trois nouveaux bâtiments
logistiques le Var, la Marne et la Somme, mais aussi la Meuse, le Jules Verne et la Loire
déjà retirés du service. Le déficit en patrouilleurs va être partiellement compensé outremer par les quatre nouveaux bâtiments multimissions (B2M), dont les trois premiers
exemplaires seront opérationnels dans l’année qui vient. Ce programme va permettre
d’attendre l’arrivée prévue en 2021 des Batsimar destinés à marquer la souveraineté
française, défendre les intérêts stratégiques et remplir une grande variété de missions
(assistance, sauvetage, lutte contre la pollution…). Mais la mission principale de ces
B2M restera le soutien logistique – notamment en cas de catastrophe naturelle – en
remplacement des Batral. Ce programme est si important pour les besoins maritimes
dans les immenses territoires ultramarins que son avancement a été demandé.
Alors que les études se poursuivent en vue du remplacement des chasseurs de mines
par des moyens basés sur l’emploi de drones, la modernisation des avions de patrouille
maritime Atlantique 2 a débuté, quinze appareils devant être rénovés afin de pouvoir
voler au-delà de 2030 avec un système d’armes répondant aux besoins prévisibles dans
la lutte contre les sous-marins ou d’actions au-dessus de la terre le cas échéant. Enfin,
concernant la composante amphibie, les capacités et la disponibilité des bâtiments
de projection et de commandement (BPC) permettent à un format à trois bâtiments
de répondre aux besoins d’aujourd’hui.
Études marines / 87
Dans l’ensemble, la Marine nationale parvient donc à maintenir son rang mais
fonctionne à flux tendu compte tenu de la démultiplication de ses engagements
et de sa présence désormais permanente sur quatre à cinq théâtres d’opération (au
lieu de deux prévus par le dernier Livre blanc). Heureusement, l’attention portée
aux équipages et les efforts conjoints réalisés par le service de soutien de la flotte et
DCNS ont permis d’accroître le taux de d’utilisation des bâtiments, qui atteint un
niveau remarquable et dépasse significativement celui constaté dans la plupart des
grandes marines.
La marine italienne
La Marina militare fait figure d’exception en Europe. L’Italie est en effet le pays qui
investit le plus dans le renouvellement de sa flotte. Le quatrième sous-marin de la
classe Todaro (type 212A allemand) sera livré cette année, le programme FREMM a été
maintenu à dix frégates (la sixième sera livrée cette année) et un nouveau programme,
baptisé PPA (Pattugliatori Polivalenti d’Altura) a été lancé. Il porte sur dix nouveaux
bâtiments polyvalents (sept déjà commandés pour des livraisons entre 2021 et 2026)
de 132 mètres et plus de 4 500 tonnes en charge. Certains seront gréés en véritables
frégates, d’autres serviront à l’action de l’État en mer. Alors que la marine italienne
s’est enrichie en 2009 d’un nouveau porte-aéronefs, le Cavour, le Garibaldi sera
remplacé en 2022 par un bâtiment de projection de 200 mètres et 20 000 tonnes.
De nouveaux patrouilleurs hauturiers ont été livrés aux garde-côtes et l’Italie a mis
en chantier en février 2016 un grand bâtiment logistique (20 000 tonnes) appelé à
remplacer les petits Vesuvio et Stromboli en 2019.
L’effort italien en matière de constructions neuves est donc conséquent et lié à la
volonté du gouvernement de soutenir ses chantiers navals. Toutefois, la marine
italienne, accaparée depuis plusieurs années par la crise des migrants en Méditerranée,
manque de moyens pour s’entraîner et voit l’essentiel de son potentiel consacré aux
missions d’action de l’État en mer, que ce soit le sauvetage de naufragés et la lutte
contre les trafics au large de ses côtes ou la participation à l’opération européenne
anti-piraterie Atalante devant la corne d’Afrique.
L’Armada espagnole
La flotte espagnole vit à peu près la même situation, les problèmes économiques
rencontrés par le pays ayant donné un coup d’arrêt à la montée en puissance
88 / Études marines
de l’Armada et limité son activité. Le porte-aéronefs Principe de Asturias a été désarmé
en 2013, l’aviation embarquée espagnole ne sert plus que sur le bâtiment de projection
Juan Carlos I (2010) et les F-35B devant succéder aux vieux Matador n’ont toujours
pas été commandés (pas plus qu’en Italie). La construction de la sixième frégate
lance-missiles du type F100 a été abandonnée et le programme de remplacement des
six frégates du Santa Maria (classe O.H. Perry) retardé. Quant au programme des
patrouilleurs océaniques, dont dix exemplaires étaient prévus, seuls quatre ont pour
le moment vu le jour, la construction de deux autres étant toutefois lancée en 2014
en vue d’une livraison en 2018.
L’Armada est, en outre, confrontée aux déboires du programme des quatre nouveaux
sous-marins du type S80, les premiers conçus et réalisés intégralement en Espagne.
Suite à des erreurs de conception, ils se sont révélés trop lourds, Navantia (avec
la coopération de l’américain Electric boat) devant procéder à leur allongement
pour assurer leur flottabilité. Il en résulte d’importants surcoûts et un retard
problématique, la livraison de la tête de série, l’Isaac Peral, n’étant désormais pas
prévue avant 2018, soit quatre ans après la date prévisionnelle. De ce fait, pour
conserver une capacité opérationnelle et le savoir-faire de ses sous-mariniers, il est
envisagé de prolonger une dernière fois les vieux Agosta, dont trois exemplaires sont
encore en service.
Autres marines d’Europe du Sud
Concernant les autres pays d’Europe du sud, le Portugal, après avoir réceptionné
en 2010 deux sous-marins du type 209 PN construits en Allemagne, a été obligé de
cesser le gros des investissements prévus pour sa marine. Le projet d’acquisition d’un
bâtiment de projection a été repoussé et le programme des patrouilleurs hauturiers
du type NPO 2000 réduit de huit à deux exemplaires, livrés en 2011.
La Grèce, en grande difficulté sur le plan économique, a également suspendu ses
projets de renouvellement. Le programme des quatre sous-marins du type 214
demeure incertain et seul le cinquième patrouilleur lance-missiles du type Super Vita
a été achevé (deux autres devaient être livrés avant 2014). L’une des dix ex-frégates
néerlandaises du type Kortenaer, le Bouboulina, a été désarmée en 2013, alors que
les deux engins de débarquement à effet de surface du type Pomornik russe ont été
vendus à la Chine en 2014. Pour le reste, la composition de la flotte reste inchangée,
ce qui, compte tenu de la situation financière de la Grèce, est assez inattendu, même
si un certain nombre d’unités ne sont probablement plus opérationnelles.
Études marines / 89
Confronté à la crise migratoire, Malte a décidé de renforcer ses moyens, avec
l’acquisition d’un navire de garde-côtes irlandais du type Emer et de nouvelles vedettes.
Pour le reste des pays de l’Union européenne ayant une façade maritime donnant sur
la Méditerranée, l’Adriatique ou la mer Noire (Chypre, Croatie, Roumanie), peu de
nouveautés sont à signaler, les plus vieilles unités sont désarmées, la plupart du temps
non remplacées, seuls les moyens restant étant modernisés. Seule la Bulgarie semble
vouloir relancer son projet de nouvelles corvettes.
Marines d’Europe du Nord
Si les pays d’Europe du Sud sont surtout confrontés aux problèmes de migration,
de lutte contre les trafics illicites et de prévention des actes terroristes – avec deux
zones de crise, en Méditerranée orientale et en Libye – l’Europe du Nord s’inquiète
du regain d’activité de la marine russe. Suite notamment à la crise ukrainienne et
aux démonstrations de force de Moscou, des mesures de réassurance ont d’ailleurs
été prises par l’OTAN en Baltique et en Scandinavie.
La Norvège, particulièrement sensible au voisinage russe, vient de mettre en service
son nouveau bâtiment collecteur de renseignements, le Marjata, et doit commander
en 2016 de nouveaux sous-marins pour remplacer les six Ula (type 210 allemand)
mis en service entre 1988 et 1991. Ce programme pourrait être mené en coopération
avec la Pologne et les Pays-Bas. En plus des cinq nouvelles frégates du type Fridjof
Nansen, entrées en ligne entre 2006 et 2011, un bâtiment logistique sera livré l’hiver
prochain. Les garde-côtes ont, par ailleurs, vu leurs moyens renforcés.
Après l’intrusion de sous-marins russes près de ses côtes, la Suède a également annoncé
le renforcement de ses moyens anti-sous-marins. Deux nouveaux sous-marins du
type A26 ont été commandés pour des livraisons en 2022 et 2024, alors que les trois
Gotland vont être modernisés. L’arrivée des hélicoptères NH90 (HKP14B) offre aussi
de nouvelles capacités.
Le Danemark a, pour sa part, sérieusement renouvelé sa marine, avec trois frégates
classe Iver Huitfeldt livrées en 2012 et 2013, deux bâtiments de projection type Absalon
et une nouvelle série de patrouilleurs hauturiers, dont le troisième exemplaire sera
achevé cette année.
90 / Études marines
La Finlande, qui rencontre des problèmes techniques avec ses quatre principaux
patrouilleurs (Hamina), a récemment mis en service trois nouveaux chasseurs de mines.
Le mouilleur de mines Pohjanmaa a, en revanche, été désarmé en 2015.
La marine estonienne, après avoir repris trois anciens chasseurs de mines de la Royal
Navy (type Sandown), va se doter d’un nouveau garde-côtes. Sa voisine lettonne a,
de son côté, racheté cinq anciens chasseurs de mines néerlandais et mis en service
en 2013 et 2014 les quatrième et cinquième patrouilleurs du type Skrunda, qui
remplacent les Storm.
Quant à la Lituanie, sa flotte est toujours axée sur trois ex-patrouilleurs danois du
type Stanflex 300 et deux anciens chasseurs britanniques du type Hunt, intégrés entre
2008 et 2011.
La Pologne, de son côté, veut renforcer sa marine. Après la mise à flot de la frégate
Slazak (type Meko A100 allemand) en 2015, une nouvelle classe de corvettes doit
être commandée. La priorité a toutefois été donnée aux sous-marins par le nouveau
gouvernement polonais, qui compte lancer cette année le programme de remplacement
des quatre anciens Kobben norvégiens. La marine polonaise a également intégré un
nouveau chasseur de mines dérivé de ses dix-sept unités du type Notec.
En Europe du Nord, l’Allemagne est un cas particulier. Malgré sa puissance économique,
le pays n’a pas musclé sa flotte qui, au contraire, continue de décroître. Ainsi, les huit
frégates du type 122A, dont deux exemplaires ont été désarmés en 2012 et 2013, ne
seront remplacées que par quatre nouvelles unités du type 125, livrables entre 2017 et
2020. Elles s’ajouteront aux quatre type 123 et aux trois type 124. L’importante flottille
de patrouilleurs lance-missiles, dont les quatre derniers exemplaires seront désarmés
en 2017, n’a été remplacée que par les cinq corvettes du type 130, enfin en service
après avoir rencontré d’importants problèmes techniques. Un nouveau programme
de patrouilleurs est néanmoins à l’étude. Du côté de la guerre des mines, seuls dix
chasseurs vont être conservés, les quatre derniers dragueurs allemands devant être
désarmés l’an prochain. Enfin, la force sous-marine ne compte plus que six bâtiments,
en l’occurrence les nouvelles unités du type 212A à propulsion anaérobie.
La marine néerlandaise a également vu ses moyens se contracter sérieusement.
Sa flotte ne compte plus que six frégates, quatre récents destroyers anti-aériens et
deux unités anti-sous-marines classe M modernisées. Quatre nouveaux OGPV
(Ocean going patrol vessels de 3 750 tonnes) du type Holland viennent de s’y ajouter.
/…
Études marines / 91
Les puissances navales européennes en 2016 (principaux bâtiments)
SNLE > Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins
SNA > Sous-marins nucléaires d’attaque
SM > Sous-marins classiques
PA > Porte-avions/porte-aéronefs (y compris le BPE espagnol)
PH > Porte-hélicoptères/bâtiments de projection et de commandement
FR > Bâtiments de combat de plus de 2 000 tonnes en charge
GDM > Bâtiments de guerre des mines (chasseurs, dragueurs, mouilleurs)
BA > Bâtiments amphibies (hors BPC)
BS > Bâtiments de soutien
4
FRANCE
6
23
18
4
ROYAUME-UNI
3
7
1
19
10
5
ITALIE
3
1
4
2
3
17
10
3
ALLEMAGNE
6
ESPAGNE
10
3
14
11
1
2
15
6
3
PAYS-BAS
4
10
6
5
2
1
NORVÈGE
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7
1
15
SUÈDE
10
5
3
GRÈCE
8
13
7
5
3
5
3
DANEMARK
9
4
PORTUGAL
2
5
1
BELGIQUE
2
6
1
POLOGNE
5
3
21
BULGARIE
4
13
2
FINLANDE
8
ESTONIE
4
1
LETTONIE
5
LITUANIE
3
Études marines / 93
Le bâtiment de ravitaillement et de projection Karel Doorman a été mis en service
mais le pétrolier-ravitailleur Amsterdam a été vendu au Pérou en 2014. Concernant
les sous-marins, les quatre Walrus sont rénovés en attendant le lancement d’un
programme de remplacement.
Travaillant de manière intégrée avec son homologue néerlandais, la marine belge est
l’une des rares, en Europe, à reprendre des couleurs. Après la mise en service des frégates
Léopold I er et Louis Marie, deux ex-Karel Doorman transférées en 2007 et 2008 par les
Pays-Bas, elle a reçu des NH90 et a pris livraison en 2014 et 2015 de deux nouveaux
patrouilleurs hauturiers, les Castor et Pollux.
L’Irlande, enfin, s’est dotée en 2014 et 2015 de deux nouveaux patrouilleurs, le Samuel
Beckett et le James Joyce, qui remplacent les unités du type Emer.
Globalement, le tonnage des marines européennes est donc toujours orienté à la baisse.
Toutefois, la courbe semble vouloir s’aplanir pour plusieurs raisons. D’abord, certaines
forces navales ont atteint leur limite basse, sous laquelle elles ne seraient plus capables
de remplir les contrats opérationnels qui leur sont fixés. D’autres, face à l’émergence
ou la réapparition de menaces, ont décidé de stopper les réductions de format, voire
de renforcer leurs moyens. Et il y a les pays qui mènent une politique volontariste de
soutien de leur industrie nationale, conduisant à des commandes significatives. Mais
il est clair que l’Europe est très loin de disposer de la puissance navale correspondant
à son poids économique et politique. De plus, contrairement à d’autres secteurs,
comme l’aéronautique, on constate le très faible nombre de programmes communs,
la coopération demeurant politiquement et industriellement très complexe dans le
domaine naval. Quelques frémissements encourageants sont néanmoins à souligner
sur un plan politique et opérationnel : lors de son dernier déploiement le Charles de
Gaulle, un des rares vecteurs de puissance de l’UE, était escorté de frégates britannique,
allemande et belge.
94 / Études marines
Études marines / 95
96 / Études marines
postface
26 novembre 2015, appontage d’un Rafale marine de retour
de mission Close air support (CAS) lors du déploiement du groupe aéronaval
en mission Arromanches 2. © Marine nationale.
Études marines / 97
« La redistribution
des puissances maritimes
est devenue une réalité »
Entretien avec l’amiral Bernard ROGEL
Chef d’état-major de la Marine
98 / Études marines
Études marines : À la lecture des différentes contributions de ce numéro d’Études
marines, on a le sentiment d’une véritable course à l’armement naval. Est-ce une
dynamique que vous constatez en mer ?
Amiral Bernard Rogel : Les marins en mer sont des observateurs privilégiés et actifs
du monde qui les entoure. L’activité qu’ils observent aujourd’hui, notamment celle des
marines de guerre, n’a plus grand-chose à voir avec celle qui prévalait immédiatement
après la fin de la guerre froide. La redistribution des puissances maritimes est devenue
une réalité. La Chine, la Russie, le Japon, l’Inde ou encore le Brésil se dotent d’outils
navals (porte-avions, sous-marins, frégates) leur permettant d’affirmer leur volonté
de puissance en mer. C’est une nouvelle rupture stratégique.
Les États-Unis conservent leur statut de super puissance maritime. Ils estiment
toutefois ne plus pouvoir répondre seuls à tous les défis et enjeux qui se jouent en
mer. Ils privilégient dans certains cas l’approche Leading from behind, en se plaçant
en appui de leurs partenaires. En matière de gestion des crises, ils réaffirment le
souhait de partager le fardeau avec les Européens. Cette bascule est accentuée par la
très grande autonomie stratégique que leur procure leur place de premier producteur
d’hydrocarbures au monde. D’un point de vue militaire, les États-Unis poursuivent
leur politique du pivot vers l’Asie, notamment pour répondre à la montée en puissance
de la Chine.
La Chine poursuit la spectaculaire montée en puissance de ses capacités navales.
Son Livre blanc de la défense publié en 2015 affirme toute la place qu’elle accorde
aux enjeux maritimes. La Chine n’est plus une puissance régionale. Elle est bien
une puissance maritime mondiale. J’ai pu le constater lors de ma visite officielle
sur place l’année dernière. La marine chinoise est une marine hauturière, moderne
et professionnelle. Elle construit un deuxième porte-avions. Elle se déploie loin et
longtemps. Un de ses groupes navals assure une permanence en océan Indien. Elle y a
déployé à plusieurs reprises un sous-marin nucléaire d’attaque. Ses bâtiments opèrent
jusqu’en Afrique de l’Ouest, ou encore en Baltique. Sa 20e flotte a terminé, il y a peu,
un déploiement de neuf mois autour du monde.
La Russie réaffirme sa présence sur et sous les océans. Elle opère des démonstrations
de puissance en mer. Présente en permanence au large de la Syrie, elle a réalisé des
tirs de missiles de croisière depuis des bâtiments de surface et depuis un sous-marin.
Elle s’équipe de six nouveaux sous-marins de type Kilo, qui seront stationnés en mer
Noire. Elle opère des déploiements loin de ses bases : on l’a vu l’été dernier dans le
golfe de Guinée.
Études marines / 99
Le Japon continue à équiper sa force d’autodéfense et à se doter de capacités modernes
et performantes. Je n’oublie pas l’Inde et le Brésil, qui fournissent eux aussi des efforts
importants pour se doter d’instruments de puissance navale. D’autres pays encore
s’équipent de moyens navals en Asie du Sud-Est, dans le golfe Arabo-Persique ou en
Méditerranée.
Cette dynamique est donc bien réelle.
L’Europe s’inscrit-elle dans cette dynamique ?
On constate une légère augmentation des budgets de défense européens. Cette
remontée est toutefois encore timide. Certaines marines européennes connaissent
des difficultés importantes : abandon de capacités, perte de compétences, difficultés à
recruter, baisse d’activité. Les intérêts stratégiques et maritimes ne sont pas perçus de
la même manière par tous les pays européens.
La Marine nationale est aujourd’hui la seule marine européenne qui dispose de
capacités dans l’ensemble du spectre. Elle sera rejointe prochainement par la Royal
Navy. Le Royaume-Uni a publié fin 2015 sa nouvelle revue stratégique de défense
et de sécurité (Strategic Defence and Security Review, SDSR), qui est l’équivalent de
notre Livre blanc. Ce document prend en compte la montée des enjeux maritimes. Il
prévoit un renforcement des forces navales britanniques en réponse à ces enjeux et à
l’incertitude stratégique que nous connaissons aujourd’hui.
On observe un léger frémissement au niveau européen, comme l’illustre la participation
des frégates belge, britannique et allemande au déploiement opérationnel du groupe
aéronaval français autour du porte-avions Charles de Gaulle, rare outil de puissance
au sein de l’Union européenne.
Quelles sont selon vous les enjeux qui motivent ce réarmement naval ?
Les acteurs de cette redistribution des puissances ont pris en compte toute l’importance
des enjeux qui se jouent en mer. Je résumerais ces enjeux en évoquant quatre ruptures
dont nous devons tenir compte.
La première rupture est économique. Les espaces maritimes agissent comme un support
de la mondialisation. Nos économies sont devenues totalement dépendantes des
100 / Études marines
flux maritimes. 90 % des biens échangés dans le monde le sont aujourd’hui par voie
maritime. En vingt ans, nous sommes passés de 4,5 milliards de tonnes transportées
à 9 milliards. On prévoit 14 milliards de tonnes en 2020. Cette explosion s’explique
par le très faible coût de ce mode de transport. Cette forte dépendance s’accompagne
de vulnérabilités. Le trafic maritime doit emprunter des passages obligés (Panama,
Gibraltar, Suez, Bab-el-Mandeb, Ormuz, Malacca…). La fermeture d’un de ces
passages aurait des conséquences pour nos économies. On assiste aussi depuis quelques
années à la résurgence de la piraterie. En océan Indien, l’action des marines a permis de
faire baisser ce phénomène. Il reste en revanche particulièrement actif dans le golfe de
Guinée et en Asie du Sud-Est. En 2015, 150 cas de piraterie ont été dénombrés dans
le golfe de Guinée et à peu près autant dans le Sud-Est asiatique. Une part importante
de ces actions consiste à s’emparer de pétroliers et à siphonner leur contenu : c’est ce
qu’on appelle le bunkering.
Toujours dans le domaine économique, l’épuisement des ressources terrestres et les
progrès de la technologie favorisent l’appétence de nos économies pour les fonds
marins. Nos sociétés se tournent de plus en plus vers les espaces maritimes pour y
puiser leurs ressources : hydrocarbures, ressources halieutiques, terres rares, nouvelles
sources d’énergie… À titre d’exemple, les terres rares sont nécessaires à la fabrication
de nos appareils électroniques. On estime que 80 % des ressources de terres rares
seraient au fond des océans. Les convoitises pour ces ressources sont nombreuses. Le
maintien des souverainetés sur les espaces sous responsabilité des États sera l’un des
enjeux du proche futur, j’en suis convaincu. Nous assistons par ailleurs à un phénomène
de territorialisation des océans. On voit ce phénomène à l’œuvre en mer de Chine,
en Méditerranée orientale ou encore dans l’Arctique. Il existe un paradoxe entre la
territorialisation des espaces maritimes et la libre circulation des flux. Nous y serons
confrontés demain, j’en ai la certitude.
La deuxième rupture est technologique. Il y a dix ans, nous pensions que l’avance
technologique occidentale dans le domaine de la sécurité et de la défense était
définitive. C’est ce que les américains appelaient la révolution dans les affaires militaires
(Revolution in military affairs). Or nous assistons aujourd’hui à une démocratisation
de la technologie. Notre avance technologique se réduit, même si elle reste importante.
On le voit dans le domaine de la piraterie. Pour être pirate autrefois, il fallait être un
marin expérimenté. Aujourd’hui, il suffit d’un GPS, d’un moteur hors-bord et d’une
Kalachnikov. Nous avons une réelle inquiétude sur la présence dans les pays en crise,
en Méditerranée ou en océan Indien, d’arsenaux non contrôlés qui pourraient servir
aux organisations terroristes. Enfin, la menace cyber est une réalité. Nous la prenons
avec beaucoup de sérieux.
Études marines / 101
La troisième rupture est environnementale. Le changement climatique a d’ores et
déjà des impacts en mer. Les phénomènes météorologiques extrêmes deviennent
plus violents. L’accès par la mer est souvent le seul possible lorsque les infrastructures
terrestres ont été détruites. On l’a vu récemment au Vanuatu ou aux îles Fidji. Sur les
continents, la désertification pousse les populations les plus pauvres vers le littoral.
Ce mouvement s’accompagne d’une hausse de la criminalité et des trafics en mer :
trafics de drogue, d’armes, d’êtres humains, piraterie… Criminalité, trafics, piraterie
et terrorisme se nourrissent mutuellement. C’est une seule et même famille. Le
réchauffement climatique est également synonyme de nouvelles opportunités. Je pense
notamment à l’Arctique, où il devrait permettre à terme l’accès à de nouvelles ressources
et l’ouverture de nouvelles routes. C’est un enjeu important pour un certain nombre
de pays. Nous devons être présents dans ces régions pour apprendre à les connaître et
y mesurer les enjeux.
La quatrième rupture est ce que j’appelle la « fissuration ». Nous assistons à une
multiplication des foyers de crise et à un enchevêtrement entre militaires et civils, entre
forces armées régulières et clans. La réponse appelle des forces navales polyvalentes, prépositionnées et capables d’agir rapidement, en autonomie ou au sein d’une coalition.
Dans ce type d’intervention, la liberté que procurent les espaces maritimes est un
atout. Elle permet d’intervenir dans les zones de crise en s’affranchissant des contraintes
territoriales et diplomatiques. Nous en avons eu la démonstration au printemps 2015 :
on a vu successivement la Russie, la Chine et l’Inde évacuer leurs ressortissants au
Yémen par voie de mer, alors que la situation sécuritaire s’était fortement dégradée.
Nous avons d’ailleurs fait de même. La voie maritime était devenue la seule praticable.
Comment se situe la Marine nationale dans ce contexte ?
Le format de la marine est inscrit dans le Livre blanc de 2013. Ce format résulte
d’un compromis assumé entre le niveau d’ambition nationale et le nécessaire effort
de redressement des comptes publics. Le Livre blanc a pris en compte la montée des
enjeux maritimes. Il préserve un format de la marine cohérent et complet : celui d’une
marine à vocation mondiale, capable d’agir en permanence sur l’ensemble du globe,
sur l’ensemble du spectre, de la basse à la haute intensité, de la sécurité à la défense.
Mais le contexte stratégique continue d’évoluer. La marine est aujourd’hui fortement
sollicitée. Elle est présente en permanence sur quatre à cinq théâtres (ponctuellement
six), là où le Livre blanc n’en prévoyait que « un à deux ». Ce niveau d’engagement
nous conduit à faire des choix en conduite. Il est susceptible de durer, si l’on en croit
les évolutions stratégiques que j’ai évoquées précédemment.
102 / Études marines
La marine met en œuvre la composante océanique de la dissuasion, ainsi que la force
aéronavale nucléaire (FANU). Embarquée sur le porte-avions Charles de Gaulle,
celle-ci agit en complément des forces aériennes stratégiques (FAS) dans la composante
aéroportée de la dissuasion. Au moins un SNLE est à la mer en permanence pour
assurer la permanence de la posture de dissuasion. L’ensemble des forces de la marine
participent à la mission de dissuasion.
Deuxième volet de son action, la marine intervient dans nos zones d’intérêt et au plus
proche des zones de crise. En Méditerranée orientale, la permanence de nos moyens
nous permet de suivre la situation en mer et à terre et de tenir informées nos autorités
politiques et militaires sur la situation au Levant. Nous participons aux opérations de
contrôle des flux migratoires en mer Égée et en Méditerranée centrale.
Le groupe aéronaval a été déployé dans le golfe Arabo-Persique au début de cette
année. Il était intégré à la coalition contre Daech. Le commandant du groupe s’est
vu confier la responsabilité de commandant de la Task Force 50. C’est normalement
un commandement confié à un américain : c’est un signe fort de notre crédibilité et
du niveau d’interopérabilité que nous avons atteint avec l’US Navy. Le porte-avions
était escorté par une frégate belge, une frégate britannique et une frégate allemande.
En océan Indien, nous participons à l’opération Atalante de lutte contre la piraterie
dirigée par l’Union européenne. Nous contribuons à la lutte contre le terrorisme et
contre les trafics : drogue, armes… La permanence que nous entretenons dans la zone
nous permet de réagir rapidement en cas de besoin.
Nous déployons régulièrement des moyens en mer de Chine. C’est de nouveau le cas
cette année avec la mission « Jeanne d’Arc ». Ce déploiement opérationnel contribue
de manière dynamique au pré-positionnement de nos moyens : ce sont les bâtiments
du groupe « Jeanne d’Arc » qui, avec L’Adroit, ont assuré sous le feu l’évacuation de nos
ressortissants au Yémen en avril 2015. Ce déploiement permet également de renforcer
la coopération avec nos partenaires et d’affirmer notre présence dans l’ensemble des
zones concernées.
Dans le golfe de Guinée, nous maintenons en permanence au moins un bâtiment dans
le cadre de la mission Corymbe. Nous sommes la seule marine à y assurer une telle
permanence. Cette mission était initialement destinée à assurer la protection de nos
intérêts dans la région : 70 000 de nos ressortissants y sont installés. J’ai fait évoluer
cette mission pour y inclure un volet de formation des marines africaines : c’est le volet
NEMO. Le renforcement des capacités des marines locales contribue à renforcer la
sécurité maritime dans la zone.
Études marines / 103
En Atlantique et dans le grand Nord, nous entretenons notre connaissance des espaces
maritimes, nous veillons à préserver notre liberté d’action et nous prenons part aux
mesures de réassurance de l’OTAN.
Troisième volet de ses missions, la marine contribue à la protection de nos approches
et de nos intérêts. Sur notre littoral en métropole et outre-mer, dans nos espaces de
souveraineté et plus au large, nous assurons la posture permanente de sauvegarde
maritime (PPSM). Cette posture comporte deux volets. La défense maritime du
territoire, mission militaire, contribue à la protection du territoire national et de la
population française. Elle repose sur un dispositif dans la profondeur, qui comprend
les sémaphores, les CROSS (centres régionaux opérationnels de surveillance et de
sauvetage), la gendarmerie maritime, les fusiliers marins, ainsi que les bâtiments et
les aéronefs déployés au large de nos côtes et en alerte. Cette défense maritime du
territoire doit répondre à une éventuelle menace terroriste sur mer ou à partir de la
mer. La marine contribue également à l’action de l’État en mer, mission civile menée
sous l’égide des préfets maritimes. Ce volet comprend le sauvetage en mer, l’assistance
aux navires en difficulté, la police des pêches, la lutte contre les trafics en mer ou
encore la neutralisation d’engins explosifs historiques.
En même temps qu’elle assure ses opérations, la marine modernise son outil pour
répondre aux nouveaux enjeux et aux nouvelles menaces. C’est l’objet du plan
stratégique « Horizon marine 2025 », que nous mettons en œuvre aujourd’hui. Demain
comme aujourd’hui, nous disposerons d’une marine capable d’agir en permanence,
sur l’ensemble du spectre, de la basse à la haute intensité, de la sécurité à la défense.
104 / Études marines
Études marines / 105
La revue Études marines
Les numéros publiés :
No1 - L’action de l’État en mer et la sécurité des espaces maritimes.
La place de l’autorité judiciaire. Octobre 2011
No2 - Planète Mer. Les richesses des océans. Juillet 2012
No3 - Mer agitée. La maritimisation des tensions régionales. Janvier 2013
No4 - L’histoire d’une révolution. La Marine depuis 1870. Mars 2013
No5 - La Terre est bleue. Novembre 2013
No6 - Les larmes de nos souverains. La pensée stratégique navale française… Mai 2014
No7 - Union européenne : le défi maritime. Décembre 2014
No8 - Abysses. Juin 2015
No9 - Outre-mer. Décembre 2015
No10 - Marines d’ailleurs. Juin 2016
106 / Études marines
Les publications du CESM
Centre de réflexion stratégique, le CESM diffuse cinq publications régulières sur la stratégie
navale et les principaux enjeux maritimes.
Études marines
Cette revue est une plongée au cœur du monde maritime. Qu’elle fasse intervenir des auteurs
reconnus sur des questions transversales ou qu’elle approfondisse un thème d’actualité, elle offre
un éclairage nouveau sur la géopolitique des océans, la stratégie navale et plus généralement
sur le fait maritime.
Cargo Marine
Disponible sur le portail internet du CESM, les études de fond réalisées par le pôle Études et
les articles rédigés par ses partenaires offrent un point précis sur des problématiques navales
et maritimes.
La Hune du CESM
Cette veille bimestrielle, disponible sur internet, synthétise les articles de la presse nationale
et internationale concernant l’actualité maritime. Cette synthèse répertorie plusieurs grandes
thématiques : politique et doctrine, marine de guerre, industrie navale et domaine maritime
Brèves Marines
Diffusée par mail, cette publication offre chaque mois un point de vue à la fois concis et
argumenté sur une thématique maritime d’actualité. Elle apporte un éclairage synthétique sur
des thèmes historiques, géopolitiques et maritimes.
Les @mers du CESM
Cette revue de veille bihebdomadaire, également diffusée par mail, compile les dernières
actualités concernant le domaine naval et maritime. Elle permet à ceux qui le désirent d’être
tenus informés des récents événements maritimes.
Ces publications sont disponibles en ligne à l’adresse suivante :
cesm.marine.defense.gouv.fr
Études marines / 107
ISSN 1292-5497
Dépôt légal juin 2016
Achevé d’imprimer au 2e trimestre 2016
Impression EDIACA Saint-étienne
Réalisation Marie-Laure Jouanno
marines d’ailleurs
Le monde post-guerre froide est bien fini. Aux lendemains de la chute du mur,
les mers et océans du globe se sont progressivement vidés : la marine soviétique puis
russe n’était plus en mesure de les parcourir quand les occidentaux touchaient les
fameux « dividendes de la paix ».
Et puis progressivement, au rythme de la mondialisation et des nouveaux enjeux
maritimes, des nations se sont éveillées à la mer, ont bâti des forces navales ambitieuses
et se sont mises à sillonner les océans.
La Chine attire bien évidemment toutes les attentions mais si notre regard embrasse
le grand large, il découvrira bien d’autres acteurs : de l’Inde à la Turquie en passant
par le Brésil, une Russie de retour ou des États-Unis toujours incontournables.
Si l’Europe est encore loin d’une course à l’armement naval, les marines d’ailleurs
y sont déjà entrées…
No10 – Juin 2016
Centre d’études stratégiques de la Marine
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