Transformation et ou échec des institutions de microfinance dans l’espace de l’Union économique monétaire ouest-africaine1 RÉSUMÉ • Au cours de leur développement, les institution de microfinace (IMF) intègrent l’économie de marché et excluent des catégories pauvres, faisant penser à un double échec : échec du modèle mutualiste d’abord et ensuite échec de ce modèle à lutter pour la réduction de la pauvreté. La réduction de la pauvreté devenue un objectif mondial, il importe d’infirmer l’hypothèse de l’inefficacité des IMF en dynamique pour que celles-ci trouvent leur place au rang des meilleures politiques alternatives. Sur ces points, l’auteur montre d’abord qu’il n y a pas échec des IMF mais bien une transformation nécessaire et compatible avec la lutte contre la pauvreté. Il soutient ensuite que dans un « système complet de microfinance », l’exclusion ne peut pas être absolue mais relative pour un individu doté d’un minimum de capital social ; il trouvera dans « le système complet de microfinance » une institution apte à satisfaire son besoin. Quant à l’exclusion absolue de l’espace de la microfinance, sa solution relève de l’action sociale et des politiques publiques. S. SOULAMA Professeur agrégé des Facultés des sciences économiques2 UFR/SEG, Université de Ougadougou, Burkina Faso [email protected] ABSTRACT • As they follow their development process, the microfinance institutions (MFIs) integrate market economy and exclude poor categories, making think of a double failure : they fail, first as mutualist model and second, they fail against poverty alleviation. As the reduction of poverty becomes a world objective, it is important to counter the hypothesis of the ineffectiveness of the MFIs in dynamic so that these find their place to the rank of alternative policies against poverty. The subject of this article is concerned with these two points. Going into the market economy does not mean failure. They do so because of their own socio-economic transformation process which is in fact compatible with poverty alleviation. About exclusion, attention must be paid to a distinction between relative exclusion and absolute exclusion. The first which is 193 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés concerned in this paper, means that in a “complete system of MFIs”, an individual endowed with a minimum of social capital cannot be excluded absolutely ; he will find an institution which fits his demand and his capacity. Absolute exclusion means an individual so poor that he cannot have access to any MFI in the “complete system of MFIs”. Theses cases cannot be solved by the MFI system but must be taken in charge by others social institutions and public policies. RESUMEN • Durante su desarrollo, las IMF integran la economía de mercado y excluyen categorías pobres, haciendo pensar en un doble fracaso : el del modelo mutualista, en primer lugar, y luego el de lucha por la reducción de la pobreza. Debido a que la reducción de la pobreza se ha convertido en un objetivo mundial, es importante invalidar la hipótesis de la ineficiencia de la dinámica de las IMF para que éstas encuentren su lugar en el rango de las mejores políticas alternativas. Sobre estos puntos el autor pone de manifiesto, en primer lugar, que no hay fracaso de las IMF sino una transformación necesaria y compatible con la lucha contra la pobreza. Sostiene a continuación que en un « sistema completo de microfinanza », la exclusión no puede ser absoluta sino relativa para un individuo dotado con un mínimo de capital social, quien encontrará en « el sistema completo de microfinanza » una institución capaz de satisfacer su necesidad. En cuanto a la exclusión absoluta del espacio de la microfinanza, su solución proviene de la acción social y de las políticas públicas. —•— INTRODUCTION Deux idées fortes inspirées par les expériences de la microfinance dans l’espace UEMOA (Union économique monétaire ouest-africaine) ont été à la base de cet article : en premier lieu, il y a le développement quantitatif et qualitatif des institutions de microfinance (IMF) dans cet espace depuis le début des années 1990 notamment. Suivant la définition de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO-BIT, 1997), les IMF ou les systèmes financiers décentralisés (SFD) sont « un ensemble regroupant une variété d’expériences d’épargne et ou de crédit, diverses par la taille, le degré de structuration, la philosophie, les objectifs, les moyens techniques, financiers et humains, mis en œuvre pour les populations à la base avec ou sans le soutien des partenaires extérieurs en vue d’assurer l’autopromotion économique et sociale de ces populations ». La BCEAO distingue principalement trois types de structures : les coopératives ou mutuelles d’épargne et de crédit, les institutions de crédit solidaire et les projets à volet crédit. La croissance du nombre de clients, de guichets ouverts, de volume d’épargne ou de crédit est impressionnante3 (UEMOA-BCEAO-BIT, 1999 ; Haudeville et Dado, 2002). Leur développement fut si rapide dans l’espace UEMOA qu’on a conçu en 1994 un cadre réglementaire pour l’exercice de la profession. 194 Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés En deuxième lieu, deux faits majeurs apparaissent dans les transformations qui accompagnent le développement des IMF : le premier fait est relatif à ces membres de plus en plus nombreux, qui se plaignent d’être marginalisés par leur propre structure ; les conditions d’accès aux services financiers sont devenues plus difficiles avec le temps de sorte qu’ils sont exposés à un « risque d’exclusion par le bas ». Avec l’effet de sélection adverse en faveur des riches, il existe donc un risque, tout comme le prédit la loi de Gresham4 dans le domaine de la monnaie (Yunus, 19975, p. 95) que « le mauvais pauvre chasse le bon pauvre ». L’expérience des caisses populaires du Burkina Faso montre, notamment à partir des années 1990, qu’une institution de microfinance qui a pour vocation de s’adresser à une population, tous niveaux de bien-être et de richesse confondus, a le plus souvent tendance à écarter les clients les plus démunis et donc à produire elle-même ses propres exclus. L’ouverture au milieu urbain à partir des années 1990 a accru le degré d’exigence. Les clients candidats à un crédit sont contraints de produire une garantie matérielle ou une caution plus exigeante. Le deuxième fait est relatif à ces dirigeants de caisses populaires qui se trouvent confrontés à la difficulté suivante : que faire des membres, micro-entrepreneurs dynamiques, que la caisse a contribué à former, et qui sont devenus aujourd’hui très performants à tel point que sans modification majeure des conditions financières de fonctionnement de la caisse, ces acteurs dynamiques se sentent à l’étroit et sont prêts à « migrer » vers une institution financière formelle. Cette deuxième catégorie d’acteurs est exposée à un « risque d’exclusion par le haut ». Ces deux types de risque sont caractéristiques du développement de l’IMF et relèvent d’une même problématique : la capacité des IMF à lutter pour la réduction de la pauvreté dans une économie de marché tout en sauvegardant leur caractère mutualiste ou solidaire. Tandis que l’exclusion « vers le haut » risque de confiner l’IMF dans un espace étroit avec en prime le respect des principes de solidarité, l’exclusion « par le bas » intègre davantage l’IMF dans l’économie de marché avec pour conséquence le relâchement des liens de solidarité. Ne serait-il donc pas possible de croître sans exclure, ni « par le haut », ni « par le bas » ? Cela est possible dès que l’on ne traite plus d’une IMF particulière mais que l’on se situe dans l’optique d’« un système complet d’IMF ». Il apparaît donc qu’au cours de leur développement les IMF intègrent l’économie de marché et excluent des catégories pauvres, faisant penser à un double échec : échec du modèle mutualiste d’abord et ensuite échec de ce modèle à lutter pour la réduction de la pauvreté. La réduction de la pauvreté devenue un objectif mondial, il importe d’infirmer l’hypothèse de l’inefficacité des IMF en dynamique pour que celles-ci trouvent leur place au rang des meilleures politiques alternatives. Cet article montre qu’il n y a pas échec des IMF mais bien une transformation nécessaire et compatible avec la lutte contre Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés 195 la pauvreté. En outre, il est montré que, dans un « système complet de microfinance », l’exclusion ne peut pas être absolue mais relative pour un individu doté d’un minimum de capital social ; il trouvera dans « le système complet de microfinance » une institution apte à satisfaire son besoin. Pour démontrer cette thèse, il est discuté dans un premier temps de la nature de l’exclusion replacée dans le contexte d’un « système complet de microfinance » ; il est possible d’expliquer ensuite par l’analyse socioéconomique, le processus de transformation nécessaire par lequel des IMF particulières en viennent à être sélectives. Cette même analyse socioéconomique permet de concilier la croissance de l’IMF avec la lutte contre la pauvreté. Les IMF auxquelles se réfère cette analyse sont celles qui ont un fondement mutualiste ou solidaire, qu’elles soient formelles ou informelles. Elles ont été tirées des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, notamment du Bénin, du Burkina Faso, du Mali et du Sénégal6. LA DYNAMIQUE D’EXCLUSION DANS UN SYSTÈME COMPLET D’INSTITUTIONS DE MICROFINANCE Les IMF à fondement mutualiste ou solidaire sont contraintes, dans une économie de marché, d’arbitrer entre leur objectif spécifique de développement économique et social dans la solidarité et l’objectif normatif de rentabilité économique et financière (Gentil et Fournier, 1993 ; Guérin, 2000 ; Haudeville, 2001 ; Parodi, 2000). Pour ce faire, elles exigent une garantie de plus en plus substantielle, excluant certains clients pauvres. Les IMF peuvent produire ainsi leurs propres exclus. Mais si l’on se situe dans l’optique d’un « système complet d’IMF » l’exclusion est relative et non absolue. Dans cet espace, la transformation d’une IMF particulière est nécessaire et compatible avec la lutte contre la pauvreté. La définition préalable du système complet d’IMF permettra de distinguer les deux modes d’exclusion : l’exclusion relative d’un individu et son exclusion absolue, de relier celles-ci à la nécessaire transformation de l’IMF qui en est la cause. Le « système complet d’IMF » À partir d’une typologie des IMF fondée sur la garantie exigée, on peut construire un système complet d’IMF. Ce système sera constitué d’un continum d’IMF différentes les unes des autres par leur système de garantie ; la garantie est plus ou moins sélective d’une IMF à une autre. Admettons que la garantie minimale (la moins sélective) soit l’appartenance à un groupe de caution solidaire, appartenance qui est fonction du capital social de l’individu. Plus généralement, le capital social est défini comme la densité des rapports 196 Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés sociaux d’un individu, de son insertion sociale. Formellement, le « système complet d’IMF » est un ensemble E formé d’un continuum d’IMF tel que : E ={IMF1, IMF2, IMF3, … IMFi, … IMFN}. Les IMF sont différentes les unes des autres et elles peuvent être ordonnées elles-mêmes selon un degré d’exigence croissante de leur système de garantie, de la manière suivante : IMF1 < IMF2 < IMF3 … < IMFi … < IMFN. L’IMF1 est moins exigeante que l’IMF2, elle-même, moins exigeante que l’IMF3 et ainsi de suite. La garantie la plus faible, celle exigée par l’IMF1 est par hypothèse l’appartenance à un groupe de caution solidaire. On parle de système complet parce que l’union des IMF, IMF1∪ IMF2 ∪ IMF3….∪ IMFi …..∪ IMFN couvre tout l’espace de la microfinance de sorte que toute transaction financière quelle qu’elle soit, répondant aux conditions minimales, celles de l’IMF1 (la capacité d’appartenir à un groupe de caution solidaire), trouve sa place dans le système microfinancier. Une comparaison7 peut être faite avec le système de distribution des marchandises (Haudeville et Dado, 2002). Les banques formelles seraient en fait des grossistes des transactions financières, les mutuelles et coopératives d’épargne et de crédit seraient des demi-grossistes, les institutions de crédit solidaire seraient l’échelon intermédiaire équivalent de la grosse épicerie ou de la supérette et, enfin, la finance informelle pourrait être assimilée aux détaillants qui recyclent de petits lots de produits. On serait alors en présence d’un « système financier complet », selon qu’on traite de la globalité du système financier, ou d’un « système microfinancier complet » selon qu’on traite de la seule microfinance. Comme indiqué, au sens large, on peut inclure dans le « système complet de microfinance » toutes les institutions de microfinance formelle et informelle allant des coopératives et mutuelles d’épargne et de crédit aux tontines en passant par le crédit solidaire, etc. ; dans ce cas, l’ensemble sera borné au niveau inférieur par les institutions de la finance informelle. Dans une analyse plus restrictive qui exclurait la finance informelle, le « système complet de microfinance » est borné à son niveau inférieur par les modèles de type crédit solidaire et à son niveau supérieur par les mutuelles d’épargne et de crédit dont les garanties sont assimilables dans certains cas à celles demandées par les banques commerciales. Que signifie alors l’exclusion d’une catégorie socioéconomique de l’accès à cet espace d’IMF ? L’exclusion relative d’un individu ou d’une catégorie L’analyse des IMF montre que le passage de la caution solidaire comme garantie à l’épargne préalable (forme de garantie supérieure, plus exigeante) se traduit par l’exclusion des membres très pauvres pour qui la garantie morale est la seule qu’ils peuvent mobiliser. Mais si cette population pauvre est dotée d’un « capital social », son exclusion par une IMFi particulière est relative, car elle n’est pas exclue pour autant du « système complet de microfinance » qui Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés 197 comprend d’autres institutions, soit {E − (IMFi < IMFi+1….<IMFi+1)}. Grâce à son « capital social minimal requis », l’individu exclu de manière relative peut accéder encore à d’autres formes d’institutions de microfinance : par exemple le type de crédit solidaire IMF1 en lieu et place de la coopérative ou de la mutuelle d’épargne et de crédit IMFi. D’une manière générale, on supposera que dès l’instant où l’individu dispose d’un « capital social » au moins égal au minimum requis, son exclusion de l’espace de la microfinance est impossible. L’exclusion relative se mesure à la capacité d’un acteur à établir des liens sociaux stables ou suffisamment intenses qu’il peut toujours mobiliser en cas de besoin pour intégrer l’espace de la microfinance. Si l’on admet cette interprétation, il devient clair que le passage d’une forme de microfinance à une autre ou encore l’évolution d’une même structure de microfinance qui change de forme institutionnelle comporte en elle-même une dynamique d’exclusion relative de certains membres. L’exclusion absolue de l’espace de la microfinance En considérant l’appartenance à un groupe de caution solidaire comme la condition minimale d’accès à une structure de microcrédit solidaire (IMF1), l’individu exclu dans l’absolu est celui qui n’a pas le minimum de capital social requis et qui ne peut même pas être membre d’un groupe de caution solidaire. C’est le cas par exemple de cette femme avec qui personne ne veut s’associer pour former un groupe de caution solidaire. Il s’agit généralement d’un individu dont les relations sociales sont « pauvres » (Lachaud, 1997, p. 11-13). On retrouvera dans cette catégorie des marginaux souvent trop instables pour tenir une activité productive, ceux dont la pauvreté monétaire est doublée d’une pauvreté sociale. La catégorie qui retient l’attention dans la présente analyse est celle qui subit l’exclusion relative. Le traitement de l’exclusion absolue relève de la politique distributive de l’État. L’exclusion est en fait inhérente au processus de croissance et de transformation de l’IMF. Elle fait douter de la capacité des IMF à croître en luttant contre la pauvreté et l’exclusion tout en sauvegardant leur caractère mutualiste. Il s’agit dans la suite de cette analyse de montrer que non seulement la transformation de l’IMF est nécessaire pour rendre possible sa croissance mais qu’il existe également une solution au problème de l’exclusion dans la croissance. C’est la flexibilité et la complémentarité des formes institutionnelles de la microfinance : complémentarité, d’une part, entre les institutions de microfinance elles-mêmes, pour résoudre les problèmes d’exclusion « par le bas » et « par le haut » ; complémentarité, d’autre part, entre les institutions de microfinance et les institutions financières formelles, pour permettre une intégration « par le haut » dans la finance formelle, des membres performants qui le souhaiteraient. Cela permet d’assurer une meilleure accessibilité des populations pauvres aux services financiers. 198 Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés LA TRANSFORMATION DES INSTITUTIONS DE MICROFINANCE ET LA COMPLÉMENTARITÉ DES FORMES INSTITUTIONNELLES L’analyse socioéconomique d’inspiration « dualiste » permet d’expliciter la dynamique de la transformation des IMF (Peyrega, 1978 ; Soulama, 1987, 1995). Le modèle théorique socioéconomique postule a priori un dualisme économique de type systémique, hiérarchisé en distinguant deux secteurs : le secteur moderne de production marchande est entraînant ; le secteur traditionnel de l’économie domestique ou solidaire est entraîné. Selon l’approche socioéconomique, le secteur de l’économie solidaire s’articule au secteur marchand, se transforme et se développe. La transformation est réussie lorsque le secteur de l’économie solidaire s’articule parfaitement au secteur moderne, adopte partiellement le mode de raisonnement de celui-ci (calcul économique en l’occurrence) tout en sauvegardant les identités socioéconomiques (principe de solidarité). Appliqué aux IMF, le raisonnement conforme à « l’optimum de Pareto8 » est le suivant : si au départ, une structure de microfinancement démarre avec 100 individus tous initialement exclus du marché de l’intermédiation financière formelle et qu’à l’arrivée, elle en sélectionne 60, se transforme elle-même et intègre les normes du marché, peut-on dire au terme du processus qu’il y a eu échec ? En termes d’optimum, si la situation des 40 exclus relatifs n’est pas pire, ou si l’amélioration de la situation des 60 agents ne s’est faite ni au détriment des 40 autres, ni au détriment de la nature solidaire de l’IMF, l’IMF, avec la transformation socioéconomique et l’exclusion relative de certaine catégorie de la population, a participé à l’amélioration du bien-être social global. Comme le suggère l’analyse socioéconomique, il n’y a donc pas d’échec par rapport au modèle mutualiste ; il n’y a pas d’échec non plus par rapport à la capacité de lutter pour la réduction de la pauvreté. La dynamique socioéconomique d’une institution de microfinance L’analyse de la dynamique d’une institution de microfinance à base mutualiste ou solidaire (Vienney 1980 ; Desroche, 1969) permet de comprendre le processus qui aboutit à l’exclusion de certaines catégories socioéconomiques. L’interprétation socioéconomique de l’IMF à base mutualiste ou solidaire Pour ce faire, l’analyse socioéconomique considère les trois éléments constitutifs9 (Soulama, 1987, 1995) de l’entreprise de microfinance de type mutualiste que sont : les individus sociétaires (I-S), l’activité de microfinance (épargne et crédit E-C) et le groupement mutualiste représenté dans sa plus simple Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés 199 expression par le groupe de caution solidaire (GCS). L’individu sociétaire est socialement déterminé (Soulama, 1987). Ego est un agent économique pauvre, qui est exclu du marché de la finance formelle. Il existe en outre une demande potentielle formée par la demande de l’ensemble des individus qui partagent la même condition que ego. Dans ces conditions, ces individus se mettent ensemble pour créer une entreprise de microfinance afin de satisfaire leurs besoins de microfinance. Donc, ils sont les usagers-propriétaires de leur entreprise. Dès lors la maximisation du profit d’entreprise n’a aucun sens pour eux (Pichette, 1972 ; Angers, 1974 ; Vienney, 1994 ; Soulama, 1995, 2002). Il est par contre tout à fait rationnel qu’une telle entreprise vise à satisfaire le plus grand nombre au moindre coût. Le groupe de caution solidaire est une construction des agents concernés qui exerce sur chaque agent un contrôle social dans le respect des normes, du système de valeur et de l’identité socioéconomique du groupe. Le système de règles est implicite ou explicite ; ce qui importe, c’est qu’il soit connu et accepté de tous ; il s’inspire des coutumes, des normes, des vertus en vigueur dans le milieu socioéconomique. Il définit les droits et devoirs de chaque entité (I-S, E-C, GCS) de même que les sanctions et récompenses. Les règles peuvent être formulées différemment mais ce qui importe, c’est que l’on retrouve un système de quatre règles structurelles (Vienney, 1980 ; Soulama, 1995) : respectivement, l’égalité des sociétaires dans la prise de décision, l’existence d’un lien nécessaire entre l’activité des individus et l’activité de leur entreprise de microfinance, la répartition des résultats aux prorata des transactions et, enfin, l’appropriation durablement collective des résultats réinvestis. La notion de système de règles signifie qu’aucune de ces règles prises isolément n’est particulière à ce type d’organisation. L’IMF est à la fois autocentrée et ouverte sur son environnement. Schématiquement, le modèle est représenté comme ci-contre (graphique 1) : le « triangle mutualiste ou de type mutualiste » entouré d’un cercle, le tout, placé dans un champ de forces (Soulama, 1995, 2002). Le triangle illustre le « noyau dur » tandis que le cercle simule l’environnement10. Chacun des sommets du triangle représente un des trois éléments constitutifs du « noyau dur » de la structure mutualiste : l’individu sociétaire noté I-S, l’activité de microfinance réduite à l’épargne et au crédit notée E-C et, enfin, le groupement mutualiste noté GCS. Au centre du triangle se trouve le système de règles noté S-R. Enfin, comme indiqué, l’unité ainsi constituée est en contact avec son environnement noté E. Le système est donc soumis, d’une part, à une dynamique introvertie mue par les relations intrasystème et, d’autre part, à une dynamique extravertie mue par les relations entre le système et son environnement. Deux forces de sens opposé exercent une attraction sur le « noyau dur » et impriment à l’entreprise son sentier de développement11. La première force d’attraction est positive (pression attractive de S-R), de type centripète, tournée vers l’intérieur ; elle est exercée par le système de règles mutualistes conçu 200 Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés Graphique 1 Structure systémique et champs de forces d’une IMF I-S E E S-R E-C GCS E et accepté par le GCS. Elle a pour objet de maintenir l’ensemble en cohérence, d’intégrer les trois éléments du noyau dur, pour former ainsi une action collective de type mutualiste. Cette force pousse l’individu sociétaire à respecter la règle, à agir conformément à la confiance placée en lui par les autres membres du groupe. Elle renforce également dans l’unité économique chargée de la mise en œuvre des activités d’épargne et de crédit la propension à satisfaire et à agir dans le sens de l’intérêt des individus membres. Elle renforce enfin dans le GCS la tendance à agir comme facteur d’incitation des individus et de l’unité économique. La deuxième force d’attraction est négative, de type centrifuge, tournée vers l’extérieur ; elle est exercée par l’environnement, sur chacun des éléments du noyau dur. Elle tend à faire « éclater » l’ensemble, à le désintégrer. Elle tend par exemple à développer, chez l’individu adhérent, la rationalité égoïste de l’individu (recherche de la maximisation de son seul bien-être) contre la rationalité du groupe (recherche de la maximisation du bien-être du groupe). Elle renforce dans l’unité économique, la tendance à se détourner de l’intérêt des membres, à placer par exemple, dans une recherche de meilleure rentabilité financière, l’épargne collectée hors de la structure, répondant très peu aux besoins de crédit des membres jugés peu rentables ou trop risqués. Elle renforce dans le GCS l’esprit de la solidarité perverse (Gentil et Fournier, 1993 ; Soulama, 1995), soit la solidarité dans le non-remboursement en lieu et place de la solidarité dans le remboursement. Si, comparativement, la force centripète l’emporte dans le champ de forces, autrement dit si les liens intrasystème sont relativement plus puissants, l’IMF peut fonctionner comme une entreprise autocentrée et ouverte en même temps sur son environnement. Dans l’hypothèse où la force centrifuge l’emporte sur le champ de forces, c’està-dire lorsque les liens intrasystème sont faibles, la structure mutualiste éclate Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés 201 sous la pression de l’environnement. Dans ce cas, chacun des éléments constitutifs, en l’occurrence l’institution de microfinance et l’individu sociétaire, tend à se constituer en une unité économique autonome. En réalité, quand les liens intrasystèmes sont faibles, l’entreprise de micro-finance à fondement mutualiste ou solidaire n’a pas sa raison d’être. Les implications du modèle L’analyse socioéconomique permet de relever les tensions qui s’exercent dans la structure de microfinance et d’expliquer son évolution. La pression exercée par l’environnement marchand et sur l’individu sociétaire (I-S) et sur l’entreprise coopérative (E-C) entraîne bien souvent une transformation de la fonction objective de l’IMF. Au terme de ce processus, le volet entreprise devient dominant relativement au volet association. Cette domination de l’entreprise et/ou de l’objectif de rentabilité a un effet sur les choix stratégiques : l’IMF aura tendance à élargir sa clientèle au-delà de sa clientèle traditionnelle, à diversifier ses produits et services, sans tenir compte de l’intérêt immédiat du sociétaire de base, à s’investir dans des métiers liés au secteur financier. On repère les signes d’une altération de la spécificité coopérative et mutualiste intervenue dans les pays développés au cours de ces vingt-cinq dernières années. Les membres se transforment en clients simples d’une banque « coopérative » structurée en holding. Les choix opérés ont conduit à un élargissement de leur clientèle traditionnelle, de leurs gammes de produits et services. Il découle de la construction théorique que puisque les sociétaires (I-S) sont en principe égaux dans la prise de décision, que les décisions sont prises démocratiquement par le groupe (GCS), tout changement dans la composition du groupe, y compris à la suite de la différenciation des individus qui le constituent, va entraîner une évolution de l’IMF (E-C). Ainsi une recomposition ou différenciation du sociétariat au profit des catégories plus aisées va se traduire par une configuration qui accroît le risque d’exclusion des catégories plus pauvres. Il en fut ainsi pour le Réseau des Caisses populaires du Burkina Faso avec le déplacement du centre de gravité du réseau de la campagne (1972-1990) vers les villes (1990-2000). Il s’en est suivi un biais urbain du sociétariat avec, pour corollaire, l’exclusion des catégories pauvres du fait de la garantie plus substantielle qui leur est exigée (Soulama, 2002 ; Congo, 2001). Le biais urbain est doublé pour la même raison d’un biais sectoriel en défaveur de l’agriculture. Le réseau consacre ainsi au financement de l’agriculture une part marginale de ses crédits : 4 % en 2000 contre 15 % pour l’immobilier, 25 % pour le commerce, 22 % pour les activités rémunératrices des femmes. Ce modèle laisse toutefois soupçonner l’existence de plusieurs sentiers de développement possibles : un sentier de développement unidirectionnel de l’IMF qui se fait au profit de la fraction pauvre des adhérents, privilégiant donc « l’exclusion par le haut » ; dans ce cas assez rare dans l’espace UEMOA, l’IMF garde les clients relativement pauvres et chasse les gros. Un sentier de 202 Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés développement unidirectionnel de l’IMF qui se fait au profit de la fraction la plus riche des adhérents, privilégiant « l’exclusion par le bas » ; l’IMF garde les membres relativement riches et chasse les pauvres. Les résultats empiriques confirment que certains micro-entrepreneurs, après une période d’apprentissage dans la microfinance atteignent un volume d’affaires désormais incompatible avec la microfinance. Ils sont alors incités à aller vers le système financier formel : faut-il les en empêcher au risque de limiter leur capacité de croissance ou faut-il les retenir en s’adaptant à leurs besoins12 ? Pour les retenir ne faut-il pas que l’IMF change ses méthodes, peut-être au détriment des membres plus pauvres, en vue de répondre aux besoins de cette nouvelle clientèle ? Ce problème montre bien la nécessité d’une articulation/transformation négociée soit avec d’autres composantes du système microfinancier, soit avec le système financier formel. Un sentier de développement mixte qui se fait au profit de l’une et de l’autre catégorie. Cette troisième éventualité nécessite une flexibilité/complémentarité des formes institutionnelles de la microfinance : la structure de type coopérative d’épargne et de crédit garde les gros et petits clients tout en aménageant en son sein un « sous espace microfinancier » de type crédit solidaire pour les petits clients. Cette variante d’apparition récente dans l’espace UEMOA s’inscrit dans la logique du « système complet de microfinance » ; elle est plus efficace, car plus apte à concilier les exigences d’efficacité économique et financière avec les exigences de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. L’extension de cette variante dans l’espace UEMOA et ses performances (Haudeville et Dado, 2002 ; Soulama, 2002 ; UEMOA-BECAOBIT, 1999) confirme la possibilité de poursuivre conjointement l’objectif de croissance avec celui de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. L’efficacité dans la complémentarité des formes institutionnelles Une complémentarité entre la coopérative d’épargne et de crédit et le microcrédit solidaire crée la possibilité pour les structures de microfinance de croître tout en restant disponibles pour les populations pauvres. De la même manière, on peut montrer qu’une complémentarité entre la microfinance et le système formel est possible. Elle permet au système financier formel d’être disponible pour les catégories intermédiaires tout en étant accessibles pour les catégories pauvres. Dès lors, il devient possible pour les agents économiques performants de passer d’une forme de microfinance à une autre, de la microfinance, à la finance formelle dès lors que la taille de leur activité le leur permet. La complémentarité est d’autant plus nécessaire pour garantir l’accès des populations pauvres au système financier que les institutions de crédit solidaire ont une plus grande propension à atteindre les plus pauvres que les coopératives ou mutuelles d’épargne et de crédit qui sont elles-mêmes plus Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés 203 accessibles aux catégories intermédiaires. La complémentarité entre l’une et l’autre formes améliorerait la performance globale du système. Le crédit solidaire est efficace dans un mode d’économie d’échange relativement peu complexe où la production et les échanges sont fortement personnalisés. Le groupe de caution solidaire, garantie « immatérielle » efficace fonctionne avec succès dans la plupart des crédits solidaires. Les mutuelles d’épargne et de crédit sont efficaces dans un système où le réseau de dépendance et de proximité se relâche, le processus d’échange de plus en plus impersonnel favorisant le développement de divers comportements opportunistes, ce qui entraîne une augmentation des coûts de transaction. Pour prévenir les risques d’impayés, une garantie matérielle adaptée au « patrimoine » de la population cible est introduite. La microfinance de type mutualiste possède une supériorité institutionnelle incontestable sur le système financier formel, mais elle est limitée dans sa capacité à disposer de financement. Dans certains pays de l’UEMOA, l’amorce d’un partenariat institutionnel efficace à l’intérieur même du secteur microfinancier ou entre celui-ci et le secteur bancaire formel permet de pousser encore plus loin la frontière du système financier en y intégrant des populations jusque-là tenues en marge. La complémentarité des formes institutionnelles entre IMF de nature différente Une des solutions mises en œuvre au Burkina Faso et au Bénin est l’articulation des caisses d’épargne et de crédit avec le microcrédit solidaire. Dans le cas du Burkina Faso, les caisses populaires ont introduit en leur sein en 1996, le principe du prêt de groupes et le mécanisme de la caution solidaire de groupe afin d’améliorer l’accès au crédit des femmes rurales (Congo, 2001). Le crédit est attribué par le Regroupement des caisses populaires à des groupes solidaires appelés « caisses villageoises », constitués d’une trentaine de personnes, exclusivement des femmes rurales démunies qui se connaissent bien et qui adoptent la caution solidaire comme système de gestion et d’organisation. Les femmes obtiennent individuellement par ce biais, des microcrédits (de 10 000 à 50 000 FCFA) sans épargne préalable, pour la réalisation de leurs activités génératrices de revenus. La mise en œuvre des caisses villageoises vise à corriger le biais en défaveur des populations pauvres. L’expérience a été concluante comme en témoignent l’explosion du nombre de clients et l’augmentation du portefeuille de prêts. En 2000, il existait 2010 caisses villageoises gérant un volume total de crédit de près de 1,4 milliard de francs CFA, soit environ 15 % de l’ensemble du portefeuille de prêts du réseau et environ 35 % de celui des caisses populaires concernées. En dépit de cette croissance des besoins, le prêt moyen par client a augmenté ; dans le même temps, le taux de recouvrement des crédits s’est maintenu à un niveau toujours élevé, de l’ordre de 100 %. Au Bénin, lorsque la Fédération of Agricultural Savings and Credit Unims (FECECAM) a mis en place son « Projet de tout petit crédit aux 204 Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés femmes », elle a procédé en fait à une articulation d’une mutuelle d’épargne crédit avec un crédit solidaire. Cette articulation a permis d’octroyer des prêts de 10 000 à 50 000 FCFA pour une durée de trois à neuf mois aux femmes démunies ne pouvant pas remplir les conditions générales d’accès au crédit. C’est ainsi que 42 456 petits crédits de 15 000 à 40 000 FCFA ont été octroyés aux femmes pour un montant de 1,5 milliard de FCFA. Il faut signaler par ailleurs que la FECECAM entretient des relations financières avec la finance informelle (clubs de tontines et les banquiers ambulants) de même qu’avec les autres systèmes financiers décentralisés et les banques formelles. L’expérience malienne offre un autre exemple de complémentarité au sein du Réseau des caisses populaires de Nyèsigiso, entre la Caisse associative d’épargne et de crédit des entrepreneurs et des commerçants de Bamako (CAECE) et les autres caisses de base du Réseau des caisses populaires de Nyèsigiso (Ntesiyaremye, Larocque et St-Hilaire, 1997). La CAECE est une composante spécifique, relativement fermée, qui s’adresse à une clientèle spécifique, soit les micro-entrepreneurs qui ont franchi le seuil de pauvreté et dont les perspectives d’affaires sont assez favorables. L’éventail de prêt accordé va de 500 000 FCFA à 10 millions de FCFA. La CAECE est tout de même membre du Réseau. Les autres caisses de ce réseau sont des caisses ordinaires d’épargne et de crédit qui s’adressent à une catégorie plus pauvre qui se situe sans ambiguïté en dessous du seuil de pauvreté. Toutefois, afin de ne pas concurrencer les caisses de bases du Réseau de Nyèsigiso, le prêt minimal octroyé par la CAECE correspond au prêt maximal en vigueur dans les caisses du Réseau, soit 500 000 FCFA. Le montant maximal est de 1,5 million de FCFA pour le premier prêt, de 3 millions de FCFA pour le deuxième prêt, de 5 millions de FCFA pour le troisième prêt et de 10 millions de FCFA pour tout autre prêt subséquent. Cet exemple donne la preuve que dans un système complet de microfinance, le développement « par le haut » peut être compatible avec le développement « par le bas ». Un tel système permet de retrouver la compatibilité entre les objectifs de croissance, de viabilité et d’accessibilité aux populations pauvres. La complémentarité des formes institutionnelles entre les IMF et les institutions financières formelles La complémentarité entre les banques et les IMF se développe dans certains pays de l’UEMOA. Elle relâche la contrainte de ressources qui pèse sur les IMF et diminue pour les banques commerciales partenaires les risques de défaut de paiement. Au Mali, la Banque nationale de développement agricole (BNDA) (UEMOA-BCEAO-BIT, 1999) offre aux IMF partenaires des services financiers (refinancement et placement), des services de soutien et de promotion (création et surveillance des IMF pour le compte des bailleurs de fonds). La Caisse nationale du crédit agricole du Sénégal (CNCAS) fournit des Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés 205 prestations d’ordre technique à ses partenaires de la microfinance (action de sensibilisation, de formation des gérants et des élus des organes de contrôle) et offre également des prestations d’ordre financier (gestion de trésorerie, taux d’intérêt préférentiel). La Financial Bank au Bénin a créé sa propre filiale de microfinance, la FINADEV. Progressivement (Haudeville et Dado, 2002), la complémentarité se met en place, facilitant la gestion des excédents des institutions faîtières des réseaux mutualistes, mais aussi mettant à leur disposition des ressources leur permettant de se refinancer. CONCLUSION En se développant dans l’espace UEMOA, les institutions de microfinance produisent, par l’instauration d’un système de garantie de plus en plus sélective, leurs propres exclus relatifs. Deux facteurs sont à la base de cette exclusion : d’une part, le processus de différenciation des sociétaires propre au système de microfinance et, d’autre part, la pression exercée par l’environnement socioéconomique marchand. L’exclusion « par le haut » ou « par le bas » qui résulte de cette dynamique revêt toutefois un caractère relatif. En ce qui concerne l’exclusion « par le bas » , tant qu’un agent économique dispose du « capital social minimal requis », il aura toujours accès à une IMF à condition que l’espace de la microfinance soit compris comme un continuum d’institutions complémentaires. Dans ce système complet d’IMF, il existe toujours une IMF susceptible de répondre au besoin de financement d’un agent économique, dès l’instant où celui-ci dispose de la garantie minimale, à savoir la caution solidaire. Quant à l’exclusion « par le haut », elle pose le problème de l’adaptation de la structure de microfinance ou de son articulation avec d’autres IMF ou avec la finance formelle. Dans tous ces cas, l’exclusion est toujours relative. Le système complet d’IMF permet de concilier, pour une IMF particulière, les objectifs apparemment contradictoires de croissance, de viabilité financière et d’accessibilité. Il apparaît que, bien que les IMF particulières procèdent à une exclusion relative de certaines catégories, le système complet d’IMF n’en constitue pas moins un instrument efficace pour l’accès des populations pauvres aux services financiers et pour la réduction de la pauvreté. Quant à l’exclusion absolue de l’espace de la micro-finance, son traitement relève de la politique de redistribution de l’État et de la société dans son ensemble. Notes 1. 206 L’UEMOA est une zone d’intégration économique et monétaire regroupant huit pays de l’Afrique de l’Ouest qui ont une monnaie commune, le franc CFA : Bénin, Burkina Faso, Côte-d’Ivoire, GuinéeBissau, Mali, Niger, Togo, Sénégal. Le franc CFA se définit par rapport à l’euro dans le rapport de change suivant : 1 euro = 655,97 FCFA. Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 © 2005 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 35, nos 1-2, M. J. Bouchard, J. L. Boucher, R. Chaves et R. Schediwy, responsables • EES3501N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés 2. L’auteur remercie les évaluateurs externes de la revue pour leurs suggestions et commentaires très instructifs. Ces remarques lui ont permis de clarifier davantage sa pensée, de revoir le fond et la forme de la version initiale de cet article. 3. Entre 1997 et 1999, le nombre de clients des institutions de microfinance est passé de 1 441 000 à 2 352 000 touchant environ 20 % des ménages (familles) de l’espace UEMOA. 4. La loi de Gresham (1519-1579) énonce que lorsque deux monnaies circulent parallèlement et que l’une d’entre elles s’apprécie, elle est thésaurisée, et chassée de la circulation. La mauvaise monnaie reste seule disponible pour les transactions. Ainsi, la mauvaise monnaie chasse la bonne. 5. Muhammed Yunus a fondé dans la seconde moitié des années 1970 la Grameen Bank au Bengladesh, un système de microfinance de type crédit solidaire. L’expérience de la Grameen Bank, par ses succès éclatants dans la lutte contre la pauvreté, a fait découvrir par la communauté internationale dans les années 1990, les « vertus bienfaisantes » de la microfinance dans la lutte pour la réduction de la pauvreté. 6. Le RCPB au Burkina Faso, la FECECAM au Bénin, Nyèsigiso et Kafojiginew au Mali figurent parmi les IMF les plus représentatives de l’UEMOA. Les formes dominantes sont les mutuelles d’épargne et de crédit, d’une part, et les microcrédits solidaires de l’autre. 7. Ce passage est inspirée de HAUDEVILLE et DADO (2002). 8. Une allocation des ressources est dite optimale au sens de Pareto si, et seulement si, il n’est plus possible d’améliorer la situation d’un agent économique sans détériorer celle d’au moins une autre personne. 9. À l’analyse bicéphale de Claude Vienney qui voit dans l’entreprise coopérative ou mutualiste deux éléments (l’entreprise, d’une part, et le groupement de personnes de l’autre) ou à l’analyse quadricéphale de Henri Desroches qui retient de l’entreprise coopérative quatre éléments constitutifs que sont les administrateurs, les managers, les sociétaires et les travailleurs salariés de l’entreprise, nous opposons une analyse tricéphale : l’individu-adhérent ou sociétaire, l’entreprise en tant que lieu de combinaison des facteurs de production et le groupement de personnes en tant qu’organe de décision et de sauvegarde de l’intérêt du groupe. Pour plus de détails, voir SOULAMA, 1987, 1995, 2002. 10. Voir aussi pour une analyse dynamique, le modèle du « quadrilatère magique » (Henri Desroches) avec l’identification des quatre éléments suivants : les managers, les administrateurs, les ouvriers et les Sociétaires. Ce modèle est toutefois un modèle de la dynamique interne de l’entreprise coopérative et ne fait pas apparaître de manière explicite le rôle de l’environnement. 11. Graphique et raisonnement extraits de SOULAMA (1995) et adaptés. 12. Situation réelle vécue et bien perçue par la direction du Réseau des caisses populaires du Burkina. « Nous avons fait du crédit à des personnes au moment où elles étaient les plus risquées pour les banques formelles ; nous les avons formées, les avons accompagnées dans le développement de leurs affaires et maintenant qu’elles sont devenues des entrepreneurs moins risqués, avec un volume d’affaires plus substantiel vous voulez que nous les remettons entre les mains des banques formelles ? » Bibliographie ANGERS, F.A. (1974). La coopération, de la réalité à la théorie économique, tomes 1 et 2, Montréal, Fides. BCEAO-BIT (1997). Banque de données sur les Systèmes Financiers Décentralisés, 1994-1995, Burkina. 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