ÉDITORIAL Ovariectomie prophylactique : une vraie fausse bonne idée ? Prophylactic ovariectomy: a true pseudo good idea? B. Raccah Tebeka* L * Service de gynécologie obstétrique, hopital Robert-Debré, 48, bd Sérurier, 75019 Paris. ’ovariectomie bilatérale prophylactique est souvent proposée lors d’une hystérectomie pour pathologie bénigne dans le but de prévenir le développement d’un cancer de l’ovaire. Dans cette optique, aux États-Unis, 300 000 ovariectomies prophylactiques sont réalisées chaque année, et concernent 50 % des femmes hystérectomisées entre 40 et 44 ans et 78 % des 45-64 ans. Il est bien établi qu’un âge plus tardif à la ménopause est associé à une diminution du risque de décès par maladie coronarienne et accident vasculaire cérébral (AVC). On sait, de plus, que la mortalité par coronaropathie et AVC représente respectivement 22 et 6 fois celle attribuée au cancer de l’ovaire. Par ailleurs, l’ovaire après la ménopause continue à sécréter de faibles quantités d’androgènes convertis en périphérie en estrogènes. La conservation ovarienne pourrait donc peut-être améliorer la survie globale des femmes non à risque de cancer de l’ovaire. De précieuses données issues de la cohorte de la Nurses Health Study (1) permettent de donner des chiffres sur la survie globale à long terme de femmes ayant subi ou non une ovariectomie bilatérale lors de leur hystérectomie. Entre 1976 et 2002, 29 380 infirmières avaient été hystérectomisées : 55,6 % avec ovariectomie prophylactique associée et 44,4 % avec conservation ovarienne. Ces femmes ont été suivies jusqu’en 2004 avec mises à jour des facteurs de risque, des pathologies et divers événements médicaux tous les 2 ans. Après ajustement sur de très nombreux facteurs de risque, l’ovariectomie était associée à un risque accru de maladies coronariennes (RR : 1,17 ; IC 95 : 1,02-1,35), en particulier si elle avait été réalisée avant l’âge de 45 ans. À l’inverse, le risque de cancer du sein était diminué (RR : 0,75 ; IC 95 : 0,680,84) ainsi que, comme attendu, celui du cancer de l’ovaire (RR : 0,04 ; IC95 : 0,04-0,09) alors qu’on assistait à une augmentation inexpliquée du risque de cancer pulmonaire (RR : 1,26 ; IC95 : 1,02-1,56). Globalement, le risque carcinologique, tous cancers confondus, était abaissé (RR : 0,90 ; IC95 : 0,84-0,96). Aucune différence significative n’apparaissait concer- 4 | La Lettre du Gynécologue • n° 345 - octobre 2009 nant le risque de cancer colorectal, d’AVC, de fracture du col fémoral. Dans l’analyse multivariée, l’ovariectomie constituait un facteur de risque de décès toutes causes confondues (RR : 1,12 ; IC95 : 1,03-1,21). Le risque de décès par coronaropathie (RR : 1,28 ; IC95 : 1,00-1,64), par cancer pulmonaire (RR : 1,31 ; IC95 : 1,02-1,68) et par cancer quelle qu’en soit la cause (RR : 1,17 ; IC95 : 1,04-1,32) était accru chez les femmes ayant subi une hystérectomie non conservatrice. À l’opposé, le risque de décès par cancer de l’ovaire était considérablement abaissé alors qu’il n’apparaissait pas de différence significative pour les décès liés au cancer du sein, au cancer colorectal et à un AVC. Le risque de décès toutes causes confondues apparaissait comme étant le plus élevé chez les femmes ovariectomisées avant l’âge de 50 ans. Quand l’intervention avait été pratiquée avant cet âge, il était retrouvé un surrisque de coronaropathie et de décès toutes causes confondues chez les femmes n’ayant pas bénéficié d’une estrogénothérapie. Dans cette large étude prospective d’observation, il apparaît clairement qu’à long terme (24 ans de suivi), l’ovariectomie prophylactique réalisée à l’occasion d’une hystérectomie pour pathologie bénigne augmente, certes modestement, la mortalité toutes causes confondues surtout d’origine coronarienne, et que la survie globale n’est pas prolongée quel que soit l’âge auquel est pratiquée l’intervention. Malgré la diminution du risque total de cancers, et en particulier pour les cancers du sein et de l’ovaire, le risque global de décès par cancer était curieusement plus élevé après ovariectomie. Toutes ces données apparaissaient avec d’autant plus de puissance lorsque les femmes étaient opérées avant l’âge de 45 ans et chez celles ovariectomisées avant l’âge de 50 ans n’ayant jamais eu de traitement estrogénique par la suite. Ces résultats sont concordants avec les données biologiques et les études expérimentales qui montrent que la carence estrogénique augmente le taux des lipides, réduit le flux carotidien et accroît l’athérosclérose subclinique avec augmentation de l’épaisseur de l’intima-média. Dans le même sens, des données antérieures issues d’une méta-analyse (2) montrent un ÉDITORIAL risque de coronaropathie multiplié par 2 chez les femmes ovariectomisées. Après analyse de ces résultats, il semble que, pour 24 ovariectomies prophylactiques, une femme décéderait prématurément du seul fait de l’intervention. Une extrapolation, pour une espérance de vie de 35 ans après l’intervention, indiquerait un décès supplémentaire toutes les 9 femmes ovariectomisées. À la lumière de ce travail, il apparaît désormais que proposer une ovariectomie prophylactique lors d’une hystérectomie pour pathologie bénigne doive faire l’objet d’une discussion, en particulier chez les plus jeunes. En effet, le surcroît de risque, principalement d’origine coronaire mais aussi de décès par cancers, pourrait dépasser le bénéfice supposé lié à la réduction des cancers ovariens subséquents. Il est d’ailleurs à préciser que l’hystérectomie réduit, à elle seule, le risque de cancer de l’ovaire par des mécanismes suggérés complexes. Cette notion associée à la faible incidence du cancer de l’ovaire doit peut-être inciter à la conservation ovarienne, sauf cas particulier. Le bénéfice d’une estrogénothérapie chez les femmes ovariectomisées semble ici confirmé. ■ 5-6 novembre 2009 – Lille – Grand Palais – Les premières assises de gynécologie et d'obstétrique. Renseignements : 03 20 14 15 16. 78 52 08 08. Fax : 04 72 07 44 99. E-mail : [email protected] 11-13 novembre – Lyon – Centre des congrès – 31es journées de la Société française de pathologie mammaire sur le thème : Un cancer du sein aujourd'hui et demain. Renseignements : Ontario événements, Virginie Perret. Tél. : 04 Référence bibliographique 1. Parker WH, Broder MS, Chang E et al. Ovarian conservation at the time of hysterectomy and long-term health outcomes in the nurses' health study. Obstet Gynecol 2009;113:1027-37. 2. Atsma F, Bartelink ML, Grobbee DE, van der Schouw YT. Postmenopausal status and early menopause as independent risk factors for cardiovascular disease: a meta-analysis. Menopause. 2006;13(2):265-79. agenda 13-14 novembre – Paris Palais des Congrès – 37es journées de gynécologie obstétrique et fertilité. Renseignements : MarieClaude Sebti, Elsevier Masson. Tél. : 01 71 16 55 00/LD 51 41 – Fax : 01 71 16 51 51. E-mail : m.sebti@elsevier. com/[email protected] La Lettre du Gynécologue • n° 345 - octobre 2009 | 5