Congres-BIC4_V2-2015:N°2 25/01/16 13:11 Page156 Compte rendu de congrès Céline Barbu, Infirmière, membre de l’Afic [email protected] « La détresse, le 6e signe vital, quel outil pour la dépister ? » 6e Congrès mondial des infirmières et infirmiers francophones Montréal (Québec), mai-juin 2015 G pour l’EONS (European Oncology Nursing Society) et l’ISNCC (International Society of Nurses in Cancer Care). râce à l’Afic (Association française des infirmières en cancérologie), j’ai pu assister au 6e Congrès mondial organisé par le SIDIIEF à Montréal. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, le Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone est une association qui a pour mission : – de faciliter la mise en réseau de la communauté infirmière dans tout le monde francophone ; – de mettre en valeur le leadership infirmier ; – de promouvoir la contribution de la profession infirmière à la santé des populations. C’est pourquoi, tous les trois ans, se déroule le Congrès mondial des infirmières et infirmiers francophones qui permet aux professionnels de langue française, venant de 33 pays différents, de se rencontrer. Cet espace permet des échanges très enrichissants sur le développement des pratiques de chacun dans leur pays respectif. Plus d’informations sur l’association sont disponibles via le lien suivant : http://fr.slideshare.net/sidiief/promotion-sidiief20142015 À savoir : l’Afic étant membre associatif du SIDIIEF, tous les membres de l’Afic sont membres du SIDIIEF, comme Bulletin Infirmier du Cancer Pendant ce congrès, le terme de « leadership infirmier » est revenu très souvent. Dans le dictionnaire français, il désigne les capacités d’un membre du personnel infirmier à stimuler chez ses collègues une amélioration de leurs pratiques au profit du patient. Il y a eu de très nombreuses présentations sur ce sujet, mais celles qui ont le plus attiré mon attention évoquaient l’outil de dépistage de la détresse (ODD) en oncologie développé au Québec. La maladie cancéreuse est largement associée à la notion de souffrance psychique, et les besoins en termes de soutien psychologique sont vastes dans cette population soumise à de nombreux événements stressants. Ceux-ci commencent habituellement lorsque la personne apprend que quelque chose ne va pas, et se prolongent souvent bien au-delà des traitements. La gestion des symptômes est un élément central pour la qualité de vie et le confort des patients atteints de cancers. Parmi ceux-là, il y a la détresse qui se définit comme une expérience émotionnelle désagréable de nature psycho- 156 Vol.15-n°4-2015 Congres-BIC4_V2-2015:N°2 25/01/16 13:11 Page157 Compte rendu de congrès en services et du pourcentage de patients nécessitant chaque niveau d’aide. On y remarque que tous les malades ont besoin d’information et de soutien, mais que seulement certains ont besoin d’interventions spécialisées. logique, sociale ou spirituelle, qui risque d’interférer avec la capacité de la personne à faire face au cancer, ses symptômes physiques et les traitements qu’il nécessite [1]. Les taux d’incidence de détresse à tous les stades du cancer atteignent les 35 % à 45 % en Amérique du Nord, et seulement 10 % auraient accès à une aide [2]. Cette prévalence de détresse a donné lieu à la reconnaissance de celle-ci, par diverses associations canadiennes en oncologie, en tant que 6e signe vital (les autres étant la température, le pouls, la pression sanguine, la fréquence respiratoire et la douleur) et nécessitant donc un suivi périodique. Elle est souvent sous-estimée et mal évaluée, voire même pas toujours prise en compte de façon appropriée. Pourtant, celle-ci peut avoir un retentissement direct sur les patients quant à leur capacité à partager les décisions, à adhérer aux thérapeutiques et en conséquence à bénéficier des meilleurs soins disponibles pour le traitement de leur pathologie. La figure 1 est une représentation graphique des besoins Les infirmier(e)s canadien(ne)s se sont intéressé(e)s à ce symptôme en développant un outil de dépistage de la détresse (ODD). C’est un indicateur de départ qui permet de déterminer des problèmes physiques, fonctionnels, psychosociaux, spirituels et informationnels qui sont à la source de cette détresse. Il permet de réaliser une vision de soins centrés sur la personne puisqu’il donne aux patients l’occasion d’exprimer leurs préoccupations et inquiétudes, permettant ainsi d’orienter les évaluations et les interventions. De plus, le dépistage de la détresse va au-delà des symptômes physiques courants en tenant compte des préoccupations sur le plan affectif et pratique (figure 2). Patients atteints de cancer intégrant le systeme de soins liès au cancer (100 %) Services de soins de soutien Tous les patients ont besoin que l’on procède à un dépistage périodique de leurs besoins. Renseignements pertinents, soutien émotionnel minimal, bonne communication et gestion des symptômes 20 % s’adaptent bien avec ce niveau de service seulement Le patient peut avoir besoin de rensignements supplémentaires, explications et encouragement en vue d’obtenir une aide additionnelle Certains ont besoin d’une intervention spécialisée/professionnelle pour la gestion des symptômes ou de la détresse 30 % ont également besoin de ce niveau de service 35 % à 40 % ont également besoin de ce niveau de service Quelques-uns ont besoin de soins plus complexes 10 % à 15 % ont besoin de ce niveau de service Figure 1. Guide d'implantation du dépistage de la détresse Partenariat canadien mai 2009. 2. Ouvrir le dialogue avec le patient, établir la relation thérapeutique 1. Dépister les symptômes et la détresse 4. Vérifier la perception du patient et négocier un plan de soins approprié 3. Évaluer les facteurs de risque et les problèmes 5. Choisir les interventions appropriées selon des données probantes Figure 2. Dépister la détresse, un premier pas. Bulletin Infirmier du Cancer 157 Vol.15-n°4-2015 Congres-BIC4_V2-2015:N°2 25/01/16 13:11 Page158 Compte rendu de congrès Modèle de dépistage de la détresse Pour le verso : – données cliniques sur la maladie ; – moment du dépistage ; – identification de l’infirmier(e)r ; – orientation vers un autre professionnel (psychologue, assistante sociale, etc.) et acceptation du patient par rapport à cet aiguillage ; – autre suivi et/ou information additionnelle (figure 4). La réalisation du dépistage, au moyen d’un outil, est la première étape à intégrer dans les soins de tous les patients, et doit être suivie d’un entretien avec lui pour discuter des résultats. L’ODD se décompose en 2 parties : Pour le recto : – l‘intensité de la détresse à l’aide d’un thermomètre qui permet de chiffrer la détresse ; – la liste des problèmes ; – l’Échelle d’évaluation des symptômes d’Edmonton (ESAS) : une cote de 1 à 3 indique habituellement un faible degré de détresse, de 4 à 6 une détresse modérée, et de 7 et plus un niveau élevé de détresse ; – une dernière question : « souhaitez-vous de l’aide ? » (figure 3). Il a déjà été prouvé que le taux de détresse varie tout au long de la maladie, c’est la raison pour laquelle cet outil est rempli par le patient à des moments clés de son parcours : lors du diagnostic de la maladie, en début/fin de traitement, et à la récidive (recommandations du NCCN). L’ODD amène le patient à réfléchir sur sa situation et à clarifier ses besoins. L’infirmier(e), après l’avoir récupéré, s’entretient avec le patient pour évaluer ses difficultés, puis lui proposer des interventions et/ou des orientations vers un autre Figure 3. Outil de dépistage de la détresse (ODD), recto du document. Figure 4. Outil de dépistage de la détresse (ODD), verso du document. Bulletin Infirmier du Cancer 158 Vol.15-n°4-2015 Congres-BIC4_V2-2015:N°2 25/01/16 13:11 Page159 Compte rendu de congrès professionnel en fonction des problèmes énoncés. Il/Elle se base sur un protocole de trajectoire globale de réponse à la détresse (figure 5). blèmes posés. On sait qu’ils ne peuvent pas tous être résolus mais cela permet de cibler avec le patient ceux qui sont prioritaires. Le tout est d’orienter le malade au bon moment vers le bon intervenant. Des études réalisées, notamment à l'hôpital Maisonneuve-Rosemond, par N. Tremblay en 2015 [3], montrent que 81% des patients interrogés trouvent le questionnaire utile et que le taux de détresse, après l'entretien infirmier, baisse de façon significative car ils se sentent rassurés par la prise en charge et l'écoute du professionnel de santé. L’ODD permet avant tout d’identifier les problèmes majeurs et de les valider avec le patient. La conversation avec lui est indispensable. On ne peut pas simplement récupérer les informations et les archiver dans le dossier sans les avoir analysées et tenter de régler les pro- Cet outil présente de nombreux avantages. Tout d’abord, il permet de tracer ce que tout soignant fait déjà dans sa pratique quotidienne. De plus, il améliore la communication soignant-soigné et permet une prise en charge personnalisée dans laquelle le patient est acteur car aujourd’hui, on ne travaille plus autour de lui mais avec lui. Cela permet également de régler des problèmes à la base, avant qu’ils ne deviennent chroniques et du coup plus difficiles à gérer. Il est vrai que pour certains professionnels, cela peut représenter une charge de travail administrative Figure 5. Trajectoire globale de réponse à la détresse. Bulletin Infirmier du Cancer 159 Vol.15-n°4-2015 Congres-BIC4_V2-2015:N°2 25/01/16 13:11 Page160 Compte rendu de congrès Je finirais sur une phrase d’Adèle Bakhache, ou sœur Françoise, directrice des soins infirmiers à l’Hôtel-Dieu de France au Liban qui a reçu le prix de reconnaissance du SIDIIEF 2015 : « Dans la vie nous sommes plurielles (...) n’arrêtez jamais de vous perfectionner ». Je crois qu’il appartient à chacun d’entre nous, professionnels de santé, de transformer notre quotidien en cherchant toujours à nous améliorer tous ensemble, par les échanges et la collaboration. Le Bulletin Infirmier du Cancer (BIC) attend donc vos articles, à vos stylos ! supplémentaire. Mais comme souvent, une fois l’outil intégré, il fait gagner du temps et permet d’améliorer nos pratiques. Au Québec, avant de le mettre en place dans les services, il a dû être testé afin de savoir s’il avait un avantage pour la pratique. Et même si certains professionnels se sont montrés réticents, au final, la majorité a reconnu son utilité pour le malade. L’ODD tend à être développé dans d’autres domaines que la cancérologie, toujours dans le but d’améliorer la qualité de soins des patients. Liens d’intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de lien d'intérêt en rapport avec cet article. Ma participation à ce congrès m’amène à réfléchir sur la réalité de la profession, qui dépend totalement de notre lieu d’exercice. Les infirmières et infirmiers canadiens gardent toujours pour objectif l’amélioration de leur pratique quotidienne afin d’optimiser leur prise en charge globale des patients. C’est un exemple motivant pour notre profession. Par ailleurs, pour ceux qui seraient encore plus envieux de découvrir les pratiques canadiennes, il faut savoir que depuis février 2014, en collaboration avec l’Ordre national des infirmiers (ONI) français, dans le cadre de l’Arrangement de reconnaissance mutuelle (ARM) des qualifications professionnelles, le gouvernement du Québec a accepté de reconnaître le diplôme d’État infirmier (DEI) délivré par la France au même niveau que le baccalauréat en sciences infirmières (il n’y a donc plus d’équivalence à passer). Pour pouvoir exercer là-bas, il faut être inscrit au tableau de l’ONI français et avoir travaillé au moins 500 heures au cours des quatre années précédant la demande. En parallèle, il est indispensable d’entreprendre les procédures d’immigration auprès des gouvernements canadiens et québécois afin d’obtenir les autorisations de travail. Pour de plus amples informations sur les démarches, il est possible de se référer au site de l’Ordre des infirmiers et infirmières du Québec (OIIQ) : https://www.oiiq.org/admission-a-la-profession/infirmiere-formee-hors-quebec/permis-dexercice/infirmierede-la-france-adm [4]. Bulletin Infirmier du Cancer Bibliographie 1. National Comprehensive Cancer Network. Practice guidelines in oncology. 2008. 2. Bultz BD, Carlson LE. Emotional distress: the sixth vital sign— future directions in cancer care. Psycho-Oncology 2006; 15: 93-5. 3. Tremblay N, Le Breton K. Portrait de la détresse dans les cancers du sein et hématologiques. 6e congrès mondial du SIDIIEF, 2015, Montréal. 4. Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. Infirmière de la France admissible à l’arrangement de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles (ARM). 2014. https://www.oiiq. org/admission-a-la-profession/infirmiere-formee-hors-quebec/permis-dexercice/infirmiere-de-la-france-adm (consulté 06/06/15). 5. Partenariat canadien contre le cancer. Dépistage de la détresse, le 6e signe vital : guide d’adoption de pratiques exemplaires pour des soins centrés sur la personne. 2012. http://www.cancerview.ca/idc/groups/public/documents/webcontent/guide_implement_sfd_fr.pdf 6. Blais MC, Plante A, Joannette S. Dépister la détresse en oncologie : une occasion de dialoguer avec le patient. Atelier au Congrès de la direction de la lutte contre le cancer, 2010. 7. Dolbeault S. La détresse des patients atteints de cancer : prévalence, facteurs prédictifs, modalités de repérage et de prise en charge. 2009. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00432252 (consulté 06/06/15). 8. http://www.cancernurse.eu/education/eons_cancer_nursing_curriculum.html 9. http://ec.europa.eu/health/major_chronic_diseases/diseases/ cancer/index_en.htm#fragment1 160 Vol.15-n°4-2015