8| 0123 Mercredi 13 avril 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | Les fusées réutilisables, chasse gardée américaine Vendredi 8 avril, Elon Musk a tenu son pari : reposer verticalement le premier étage de sa fusée Falcon 9 sur une barge, au large de la Floride, tandis que le reste du lanceur mettait correctement en orbite une capsule destinée à ravitailler la Station spatiale internationale. Cette réussite fait suite à quatre tentatives infructueuses, le long cigare ayant alors explosé à l’impact. Elle suggère que les fusées réutilisables ne sont peut-être pas une utopie. Moins d’une semaine auparavant, le patron d’Amazon, Jeff Bezos, avait eu la satisfaction de voir se reposer pour la troisième fois en moins de cinq mois la même fusée New Shepard, après un vol d’une dizaine de minutes qui l’avait conduite au-delà des 100 km d’altitude, frontière officielle de l’espace. Ce triple retour à bon port, même s’il ne s’agit que de vols suborbitaux, crédibilise les projets de tourisme spatial de sa société Blue Origin, qui espère lancer des vols commerciaux en 2018. L’ambition d’Elon Musk est tout autre : abaisser encore les coûts des lancements commerciaux en réutilisant un élément-clé des lanceurs qui, jusqu’alors, était perdu lors de la rentrée dans l’atmosphère. Reste à prouver qu’un premier étage ainsi récupéré sera aussi fiable qu’un neuf. Arianespace en doute et ne prévoit pas cette option pour sa future Ariane 6, attendue sur le marché en 2020. p hervé morin Deux ambitions rivales Blue Origin comme Space X ont réussi à faire atterrir leurs fusées verticalement, mais les deux exploits n’ont pas tout à fait la même valeur : le New Shepard (Blue Origin) ne fait qu’atteindre la frontière de l’espace (100 km) avant de retomber vers son point de départ, quand le premier étage du Falcon 9 (Space X) propulse une lourde charge utile en orbite, avant de se retourner pour atterrir sur une barge dans l’océan Atlantique. Station spatiale internationale Cargo Rotation Vol suborbital Deuxième étage Déploiement d’aérofreins Séparation de la capsule 100 km 100 km Dimensions Hauteur 12 m 48 m Diamètre 3m 3,7 m Séparation deuxième étage à environ 70 km Masse de la charge lancée, en tonnes (au moment de la séparation) 5 130 Ascension Ascension Moteur 1 Falcon 9 Freinage à 1 km d’altitude Altitude maximale, en km 104 200 Atterrissage 11 min après décollage INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER 9 Poussée, en tonnes-force 50 450 New Shepard Texas Succession de freinages moteurs Atterrissage de la capsule New Shepard (Blue Origin) Vitesse maximale Mach 3 Mach 5,5 à Mach 7,5 Freinage final Falcon 9, premier étage (Space X) Barge Atterrissage 8 min 37 sec après décollage Floride Environ 300 km SOURCES : SPACE X ; BLUE ORIGIN Océan Atlantique Le système Crispr-Cas9 révolutionne les capacités d’intervention sur notre patrimoine génétique. Deux sociétés savantes proposent des pistes pour mieux cerner les promesses et les risques de cette chirurgie du gène Ingénierie du génome : il faut clarifier le cadre réglementaire | S i les progrès de la génétique ont coutume d’agiter les communautés scientifiques et de sciences humaines et sociales, la nouvelle technique du genome editing, ou d’« ingénierie ciblée du génome », soulève d’intenses polémiques. Cas9 est une nucléase capable de couper les deux brins de la molécule d’ADN. L’intérêt du système Crispr-Cas9 est d’être guidé par une courte séquence d’ARN qui positionne très précisément Cas9 là où l’expérimentateur souhaite introduire la coupure. Ces guides ARN sont peu onéreux et aisés à produire. Une fois l’ADN coupé, il est réparé voire remplacé par une séquence d’ADN choisie. Par son efficacité et sa simplicité de réalisation, cette technique offre une perspective d’applications médicales inaccessibles jusqu’à présent. Notre groupe de travail conjoint, associant la Société française de génétique humaine (SFGH) et la Société française de thérapie cellulaire et génique (SFTCG) mis en place mi-2015, souhaite contribuer au débat qui est ouvert à ce sujet, en France, par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et l’Académie nationale de médecine. Ce groupe de chercheurs et de professionnels de la génétique, de la reproduction et des sciences humaines et sociales a généré une position commune dont les fondements ont été discutés lors de deux réunions scientifiques et qui sera proposée pour adoption aux deux sociétés savantes. Ce travail s’ancre dans une analyse rigoureuse de l’état de l’art scientifique, seule à même de permettre une identification précise des enjeux d’encadrement des développements de cette technologie. La controverse majeure concerne la possible application de Crispr-Cas9 à l’embryon humain et aux cellules germinales rendant possible la transmission à la descendance d’une modification génétique. Un consensus sur l’interdiction de telles manipulations s’est maintenu jusqu’à présent, d’autant que ces modifications n’étaient pas réalisables par manque d’efficacité et de précision des techniques. Mais la révolution technologique que représentent le système Crispr-Cas9 et ses dérivés remet en cause ce statu quo. Si une nouvelle technologie très précise et sûre, efficace et facile à mettre en œuvre existe, est-il légitime de maintenir cette interdiction ? La recherche pour explorer les stratégies possibles est indispensable si l’on souhaite améliorer l’efficacité de la technique tout en diminuant ses risques. Pratiques médicales Le potentiel thérapeutique de la technologie Crispr-Cas9 n’est certes pas à envisager uniquement sous l’angle des modifications tribune | transmissibles à la descendance, mais ces dernières soulèvent les questions les plus aiguës en pratique. Aujourd’hui, le diagnostic pré-implantatoire ou le diagnostic prénatal permettent à des couples qui sont à risque élevé de transmettre une maladie génétique grave et incurable, d’avoir des enfants indemnes de la pathologie. La technologie Crispr-Cas9 permettrait de corriger le défaut génétique chez des embryons atteints, dans le cas où le diagnostic génétique pré-implantatoire n’identifie pas d’embryon indemne. Enjeux sociétaux Cette technologie permet aussi d’envisager le scénario de modification des caractéristiques ou capacités des individus humains dans des domaines variés, des frontières du médical aux performances d’ordre physique ou intellectuel. Mais dans ce domaine, le niveau des connaissances scientifiques et la force du déterminisme génétique « Ce travail s’ancre dans une analyse rigoureuse de l’état de l’art scientifique, seule à même de permettre une identification précise des enjeux d’encadrement des développements de cette technologie » sont souvent surévalués. Les caractères complexes sont en règle générale multifactoriels. En outre, de tels scénarios sont sans précédent et risquent de créer ou d’aggraver des inégalités sociales. Appliquée à l’ingénierie du génome humain, la technologie Crispr-Cas9 donnerait accès à un éventail d’applications potentielles, allant de la naissance d’un enfant en bonne santé pour un couple qui n’aurait pas pu en avoir sans cela, à l’« homme augmenté ». Faut-il interdire la première application pour éviter toute dérive vers la seconde ? Enjeux juridiques Le droit a posé des régimes d’interdiction forts dans le domaine des modifications génétiques de l’embryon humain. Ces interdits ont été pour partie levés concernant la recherche sur l’embryon humain et la procréation, mais différemment selon les pays européens. En France, les textes qui s’appliquent, dans le domaine de la recherche et dans celui des applications médicales (aide médicale à la procréation, AMP), laissent persister des ambiguïtés. L’analyse des dispositions du code civil, du code de la santé publique ou encore de la Convention d’Oviedo (articles 8 et 13) tendrait à interdire une partie des activités de recherche utilisant l’ingénierie ciblée du génome dans le contexte de l’embryon humain. Est-il donc nécessaire de réfléchir à une éventuelle modification de la loi ou simplement de la clarifier, au regard des activités scientifiques actuelles et de la nécessaire protection de l’individu et de l’espèce humaine ? Nos propositions Reconnaissant la responsabilité qui découle de la façon dont les experts parlent des technologies, l’expression « ingénierie ciblée du génome » a été choisie en raison du champ large recouvert. L’expression « chirurgie du génome » a paru adaptée si l’on désigne les applications thérapeutiques. L’interprétation du cadre réglementaire actuel de la recherche sur la modification du génome de l’embryon humain ou des cellules germinales humaines devrait être clarifiée, en levant les ambiguïtés et en identifiant le périmètre des recherches possibles. Sans présumer de la décision de la société concernant l’utilisation de ces techniques en clinique humaine, toute application de l’ingénierie ciblée du génome dans le contexte de l’AMP est actuellement prématurée pour des raisons méthodologiques. Des travaux de recherche pour en améliorer l’efficacité et l’innocuité sont indispensables avant de pouvoir envisager leur utilisation, pour des indications limitées, sur des bases solidement documentées. La recherche utilisant l’ingénierie ciblée du génome de l’embryon humain, des cellules germinales humaines ou de leurs précurseurs devrait donc, avec un encadrement strict, être autorisée, ce qui pourrait nécessiter une modification législative. La réflexion sur les indications médicales potentielles doit être menée dès à présent, via des recherches en sciences humaines et sociales et des débats impliquant toutes les parties prenantes de la société. Un moratoire à un usage clinique de cette technologie ne nous semble pas pertinent, dans la mesure où un tel usage est de facto interdit en France en l’état actuel de la loi et de la convention d’Oviedo. Nos propositions visent ainsi à promouvoir une recherche responsable, capable d’anticiper les conséquences sociétales de ses développements, ayant, comme objectif, une protection tant individuelle que collective. p ¶ Groupe de travail conjoint sur « l’ingénierie ciblée du génome de l’embryon et des cellules germinales : actualités sur les recherches et applications envisagées chez l’homme » des Société française de génétique humaine (présidente : Anne Cambon-Thomsen) et Société française de thérapie cellulaire et génique (président : Pierre Cordelier), Emmanuelle Rial-Sebbag (correspondante). > Sur Lemonde.fr L’intégralité des signataires. Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre ouverte au monde de la recherche. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à [email protected]