Livre MAPAR 2003

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QUELLE ANESTHÉSIE LOCORÉGIONALE EN
OPHTALMOLOGIE ET AVEC QUOI ?
J. Ripart, N. Vialles, E. Nouvellon.
Département Anesthésie-Douleur, CHU Nimes, 5 rue Hoche, 30029 Nimes Cedex 9.
INTRODUCTION
L’essentiel de la chirurgie ophtalmologique est aujourd’hui réalisée sous anesthésie
locorégionale (ALR). L’ALR ophtalmique offre aujourd’hui une palette très large de techniques utilisables en routine : anesthésies péribulbaire (APB), sous ténoniennes (AST),
sous-conjonctivale (ASC), topique... Chacune de ces techniques spécifique comporte
un intérêt, des inconvénients et des risques propres. Le choix entre ces différentes techniques doit être raisonné. Le principal critère de choix est le rapport bénéfice/risque de
la technique, le bénéfice étant représenté par la capacité de la technique à répondre à la
demande chirurgicale. Cette demande est variable selon chaque type d’intervention, chaque patient, et chaque chirurgien. L’évolution des techniques chirurgicales a grandement
contribué à cette évolution dans l’exigence chirurgicale. Ainsi, pour une cataracte simple
en phacoémulsification, la traditionnelle demande classique d’un bloc moteur complet est
aujourd’hui diminuée, et certains chirurgiens sont capables d’opérer un œil complètement
mobile. Ceci a permis le développement de techniques d’anesthésie sans akinésie.
1. RAPPEL ANATOMIQUE
Les quatre muscles droits s’insèrent en avant sur l’équateur du globe, et en arrière à
l’apex de l’orbite, autour du nerf optique, sur l’anneau tendineux commun. Ils forment
le cône fascio-musculaire qui sépare l’espace intra-conique de l’espace extra-conique.
Ces deux espaces ne sont pas séparés par un septum étanche mais communiquent l’un
avec l’autre [1]. Dans l’espace intra-conique transitent l’essentiel des nerfs à bloquer
pour une chirurgie intra-oculaire (nerfs ciliaires courts et longs assurant l’innervation
sensitive du globe, nerfs moteurs oculaire (II), trochléaire (IV) et abducens (VI) assurant
l’innervation motrice du globe). Seul l’orbiculaire des paupières échappe à un passage
intra-conique de son innervation motrice, puisqu’il dépend de la branche supérieure
du nerf facial. On retrouve également dans le cône de nombreux éléments vulnérables
par une aiguille : nerf optique avec sa gaine de dure-mère, vascularisation artérielle de
l’orbite, ganglion ciliaire. L’espace extra-conique est donc un site d’introduction de
l’aiguille moins dangereux que l’espace intra-cônique. Cependant, l’espace extra-conique
disparaît complètement à l’arrière de l’orbite. En effet, en arrière du pôle postérieur du
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globe, les muscles droits sont plaqués sur la paroi osseuse de l’orbite, réduisant l’espace
extra-conique à un espace virtuel.
La gaine du bulbe (capsule de Tenon) est une membrane fibreuse qui entoure la portion
sclérale du bulbe depuis le nerf optique en arrière jusqu’au limbe scléro-cornéen. Elle
délimite un espace virtuel de glissement, libre de toute adhérence, et injectable, l’espace
épiscléral (de Tenon), qui participe aux mouvements du globe. A proximité de l’équateur,
elle est perforée par les tendons des muscles extra-oculaires (droits et obliques) et elle
est en continuité avec les gaines de ces muscles.
2. TECHNIQUES CLASSIQUES RÉALISÉES À L’AIGUILLE ET PROCURANT UNE AKINÉSIE
2.1. ANESTHÉSIE RÉTROBULBAIRE OU INTRACONIQUE (ARB)
L’ARB a longtemps été la technique de référence pour l’ensemble de la chirurgie
oculaire. Du fait de l’absence de bloc de l’orbiculaire, elle requiert classiquement un bloc
facial de complément. Surtout, l’introduction d’une aiguille dans le cône comporte le
risque de lésion des éléments qui y sont situés : nerf optique avec sa gaine de dure-mère,
vascularisation artérielle de l’orbite, nerfs moteurs et sensitifs. Ces complications sont
détaillées plus bas. Elles sont la cause d’un quasi-abandon de l’ARB.
2.2. ANESTHÉSIE PÉRIBULBAIRE OU EXTRA-CONIQUE (APB)
Pour réaliser une APB, l’aiguille est introduite dans l’espace extra-conique, qui est
dénué d’élément à risque nerveux ou vasculaire. De ce fait, le risque d’accident est
théoriquement moins élevé que l’ARB [2]. La seule complication propre à l’APB est
théoriquement l’hématome péribulbaire, veineux, non compressif, et donc parfaitement
bénin, quoique inesthétique (hématome des paupières). La survenue d’autre complications
après APB répond généralement à un mauvais positionnement de l’aiguille : perforation
du globe, strabisme, ou position intra-conique involontaire de l’aiguille (lésion du nerf
optique, extension centrale).
Parmi les sites de ponctions pour APB, trois sont classiques :
1- L'introduction inférolatérale de l’aiguille est le plus couramment pratiquée.
2- L’injection supéronasale ne semble plus devoir être conseillée. En effet, la poulie de
réflexion du muscle oblique supérieur est située à ce niveau. Surtout, l’espace entre le
globe et le rebord osseux de l’orbite est parfois très étroit avec un risque théoriquement
plus élevé de perforation accidentelle du globe dans ce quadrant supéronasal.
3- L’injection péribulbaire au canthus médial est plus récemment utilisée [3]. A ce niveau,
l’espace extra-conique est avasculaire et relativement large, ce qui limite les risques
d’accidents de ponction. Il n’y a, aujourd’hui, pas d’argument net pour préférer une
injection inféro latérale ou au canthus médial, si ce n’est les variations anatomiques
qui rendent l’un des deux sites malaisés : staphylome myopique dans le quadrant
considéré par exemple.
Il est classique d’utiliser deux injections pour réaliser une APB, afin d’obtenir une
meilleure diffusion de l’anesthésique local, et donc d’améliorer son efficacité. En fait,
pourvu que le volume injecté soit suffisant (généralement 8 à 12 mL), il n’est pas prouvé
que deux injections soient systématiquement plus efficaces qu’une seule. Par contre,
multiplier systématiquement le nombre d’injection multiplie également le risque de
complication. En conséquence, il paraît logique de ne réaliser qu’une injection avec un
fort volume, et de ne pratiquer une deuxième injection de complément que si la première
s’avère insuffisante.
Anesthésie locorégionale
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L’APB nécessite l’injection d’un relativement fort volume d’anesthésique local dans
l’orbite qui est la cause d’une élévation de pression intraoculaire. De ce fait, un délai de
10 minutes de compression, destinée à diminuer la pression intraoculaire est nécessaire
avant le début de l’intervention.
Dans tous les cas, la diffusion de l’anesthésique local dans le corps adipeux de l’orbite
reste aléatoire et manque de reproductibilité. En fonction du niveau d’exigence en terme
d’akinésie, le taux de réinjections de complément varie de moins de 1 % à près de 50 %.
Ce manque de reproductibilité avec la nécessité relativement fréquente de réinjections
de complément est le principal inconvénient de l’APB [2].
2.3. COMPLICATIONS COMMUNES À TOUTES LES INJECTIONS À L’AIGUILLE
L’ensemble de ces complications a été initialement décrites avec l’ARB. Elles peuvent survenir avec toutes les techniques consistant en l’introduction d’une aiguille dans
l’orbite. La rareté de ces complications rend difficile la comparaison de leurs incidences
entre les différentes techniques. Le principal facteur de risque n’est pas la technique
d’ALR mais bien l’inexpérience de l’anesthésiste qui la réalise.
La perforation accidentelle du globe est rare. Sa fréquence varie de 1/500 à
7/50 000 [4]. Son pronostic est d’autant plus mauvais que le diagnostic initial est retardé.
Les principaux facteurs de risques sont une myopie forte et surtout l’existence d’un
staphylome myopique qui peuvent représenter une contre-indication à l’ALR à
l’aiguille [5]. Avant toute ponction, il est impératif de vérifier au minimum chez tous
les patients la longueur axiale du globe mesurée par la biométrie, voire l’échographie
bidimentionnelle à la recherche d’un staphylome chez les forts myopes.
Un lésion du nerf optique par l’aiguille, rarissime, est source de cécité définitive.
Une diffusion centrale de l’anesthésique local peut répondre à deux mécanismes :
intra-artérielle ou méningée. Une injection intra-artérielle peut inverser le flux dans
l’artère ophtalmique jusqu’au polygone de Willis, provoquant des convulsions avec des
doses faibles, qui ne suffiraient pas à produire un effet toxique si elles étaient injectées
par voie intraveineuse. Une diffusion méningée peut survenir lors d’une injection le long
du nerf optique, sous la gaine de dure-mère de ce nerf, ou lors d’une injection directe
dans les citernes de la base du crâne, au travers du canal optique ou la fissure orbitaire
supérieure. L’utilisation d’aiguilles courtes, limitées à 30 mm devrait supprimer ce risque.
Selon le volume d’anesthésique local qui diffuse, le tableau clinique ira d’une simple
bilatéralisation du bloc à l’équivalent d’une rachianesthésie totale. Le traitement de ces
complications centrales est symptomatique, et requiert une surveillance adaptée et la
disponibilité immédiate des moyens de réanimation.
Une lésion artérielle peut causer un hématome rétrobulbaire compressif qui peut menacer la vascularisation rétinienne par le biais d’une élévation de pression intraoculaire.
La lésion d’un muscle oculomoteur lors de l’injection peut être source de strabisme
ou d’un ptosis postopératoire.
2.4. CONTROVERSE ARB-APB
L’ARB est réputée à tort plus efficace que l’APB. L’espace de diffusion de
l’anesthésique local est le même pour les deux techniques. Il est établi que le septum
intermusculaire supposé séparer les deux espaces extra et intra-conique n’existe pas réellement [1, 6]. Pourvu que le volume injecté soit suffisant, un anesthésique local injecté
à l’extérieur du cône diffusera à l’intérieur de celui-ci. Aucune étude comparative bien
menée n’a d’ailleurs pu conclure à une quelconque supériorité de l’ARB sur
l’APB [7].
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Toutes les complications initialement décrites avec l’ARB ont été également décrites
avec l’APB. Certaines de ces complications répondent à un positionnement intra-conique de l’aiguille, et devraient donc théoriquement ne jamais survenir après injection
extra-conique. En fait, leur survenue même après APB souligne que certaines «APB
postérieures» sont en réalité des ARB involontaires. Toutefois, le positionnement de
l’aiguille dans l’espace extra-conique reste théoriquement moins dangereux. En dehors
d’un malpositionnement de l’aiguille qui n’est pas lié à la technique mais à l’opérateur,
l’APB devrait permettre d’éviter certaines complications majeurs de l’ARB. Il paraît
donc recommandable de préférer l’APB à l’ARB.
3. ANESTHÉSIES SANS AKINÉSIE
3.1. ANESTHÉSIE TOPIQUE
L’instillation d’un collyre anesthésique local permet d’obtenir une anesthésie cornéenne
suffisante pour réaliser certaines interventions de la cataracte en phacoémulsification.
L’absence d’injection à l’aiguille permet de d’approcher le risque zéro pour ce qui est
de l’anesthésie, excepté l’œdème de cornée lié à l’anesthésique local, particulièrement
la tétracaïne. L’efficacité de cette technique est très limitée [8]. Il n’y a aucun bloc
moteur, ce qui peut rendre l’intervention périlleuse. L’anesthésie est limitée dans l’espace
(seule la cornée est anesthésiée), dans son intensité (près de 50 % des patients opérés en
topique décrivent une douleur peropératoire), et dans la durée (maximum 15 minutes).
En cas de difficulté ou de complication chirurgicale, le recours est extrêmement limité.
Le problème posé par cette technique est que, pour diminuer le risque lié à l’anesthésie,
on impose au chirurgien d’opérer dans des conditions plus difficiles, et qu’on augmente
peut-être le risque de complications chirurgicales. Il s’agit donc d’une technique qui
nécessite une qualité de chirurgie «zéro défaut» : patient collaborant, chirurgien expert,
intervention facile, et absence de complication chirurgicale.
En cas de difficultés, une sédation lourde de complément expose au risque d’agitation
paradoxale, voire de dépression respiratoire, qui en l’absence d’accès à la tête représente
un risque inacceptable. Si une sédation peropératoire doit être réalisée pour améliorer le
confort du patient, elle doit être légère et préserver la coopération du patient. Elle sera
au mieux titrée, avant l'installation du champ opératoire.
L’injection intracamérulaire d’anesthésique local a été proposée pour améliorer l’anesthésie, mais elle n’a jamais fait la preuve de son efficacité [9]. En raison de réserve sur
une éventuelle toxicité endocornéenne, aucun anesthésique local ne dispose aujourd’hui
de l’AMM dans cette indication.
L’utilisation de gel visqueux de lidocaïne urologique à 2 % (hors AMM) semble
améliorer la qualité et la durée de l’anesthésie topique [10]. Elle remplace peu à peu les
topiques simples. La dernière possibilité de compléter une anesthésie topique qui s’avère
insuffisante en peropératoire est l’injection épisclérale (sous-tenonienne) à faible volume
que nous aborderons plus loin.
3.2. ANESTHÉSIE PÉRILIMBIQUE
Une injection sous conjonctivale circulaire tout autour du limbe sclérocornéen permet d’obtenir une anesthésie de l’ensemble du segment antérieur, sans aucune akinésie.
Cette technique est peu utilisée en France. Elle procure une anesthésie probablement
meilleure que la topique.
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4. ANESTHÉSIES ÉPISCLÉRALES (SOUS-TÉNONIENNES)
4.1. ANESTHÉSIES ÉPISCLÉRALES À FAIBLE VOLUME PAR ABORD CHIRURGICAL
L’espace épiscléral de Tenon est un espace virtuel injectable. L’absence de cloisonnement dans cet espace rend particulièrement intéressante la diffusion de l’anesthésique
local qu’on y injecte. L’injection de 2 à 4 mL d’anesthésique local diffuse à l’ensemble
de l’espace épiscléral, circulairement tout autour de la portion sclérale du globe. De ce
fait, tous les nerfs ciliaires entrent en contact avec l’anesthésique local, juste avant leur
pénétration dans la sclère. On obtient ainsi un excellent bloc sensitif de l’ensemble du
globe oculaire. Cette technique ne procure pas d’akinésie et rencontre donc les mêmes
limites que la topique. Par contre, la qualité de l’anesthésie est nettement supérieure, et
permet d’opérer n’importe quelle région du globe [11]. Un des principaux avantages de
ce type d’injection est le faible volume injecté, avec, pour conséquence, une répercussion
insignifiante sur la pression intra-oculaire. Il n’est donc pas nécessaire de comprimer
pour diminuer ce pic de pression, et le délai injection-incision peut être réduit. Pour la
même raison, une injection épisclérale est la technique de choix lorsqu’une ALR s’avère
insuffisante pendant l’intervention et qu’une réinjection est nécessaire à globe ouvert.
L’injection épisclérale se pose ainsi comme complément idéal d’une anesthésie topique
en cas de difficultés après le début de l’intervention.
Cette injection est réalisée par voie chirurgicale après anesthésie topique. Une pince à
griffe agrippe la conjonctive bulbaire à proximité du limbe sclérocornéen, qui à ce niveau
est fusionnée la gaine du bulbe. Une petite moucheture est réalisée avec des ciseaux de
Wescott dans la capsule de Tenon (gaine du bulbe). Une canule mousse est alors glissée
dans l’espace épiscléral pour pouvoir y injecter l’anesthésique local. L’utilisation de
canule souple siliconée comme la canule de Greenbaum ou un cathéter intraveineux court
22 g auquel on a retiré son aiguille sont plus recommandables qu’une canule métallique
rigide. L’avantage majeur de cette technique est de supprimer l’introduction d’une aiguille
et d’éviter ainsi les risques qui y sont liés. Par contre, la technique nécessite un savoir
faire bi manuel qui nécessite un apprentissage. Cette technique est plus fréquemment
utilisée par des chirurgiens que par des anesthésistes. Pour un volume inférieur à 4 mL,
cette technique ne procure pas ou peu de bloc moteur. La survenue d’un hématome sous
conjonctival bénin mais inesthétique est fréquente avec ces techniques, jusqu’à 50 %
dans certaines séries.
4.2. ANESTHÉSIE ÉPISCLÉRALE À FORT VOLUME
L’augmentation de volume injecté dans l’espace épiscléral permet de guider sélectivement la diffusion de l’anesthésique local. La continuité de la gaine du bulbe (capsule
de Tenon) avec les gaines des muscles oculomoteurs permet de forcer cette diffusion
dans les gaines musculaires. Les terminaisons nerveuses motrices sont donc bloquées,
procurant une akinésie très reproductible du globe oculaire [12]. En avant, la gaine du
bulbe n’est pas étanche. L’excès de volume injecté diffuse dans l’espace sous conjonctival (chemosis), ce qui confirme le site épiscléral de l’injection, mais également dans
les paupières, procurant un bon bloc de l’orbiculaire des paupières. L’augmentation
de volume injecté dans l’espace épiscléral (de 8 à 11 mL) permet donc d’obtenir une
excellente akinésie du globe et des paupières [12, 13]. Le bloc sensitif fourni par ce type
reste d’aussi bonne qualité qu’avec les injections à faible volume. Cette technique rend
possible toute chirurgie du globe oculaire, y compris les interventions nécessitant une
akinésie complète.
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4.3. ANESTHÉSIE ÉPISCLÉRALE À L’AIGUILLE AU CANTHUS MÉDIAL (FORT
VOLUME)
L’anesthésie épisclérale au canthus médial est la plus répandue en France des
injections épisclérales à l’aiguille d’un fort volume d’anesthésique local [12, 14]. Le
site d’introduction de l’aiguille est différent des APB au canthus médial. L’aiguille est
introduite tangentiellement au globe, entre le pli semi-lunaire de la conjonctive et le globe
lui-même. L’aiguille suit un mouvement «en baïonnette». On remplace l’utilisation d’une
pince à griffe pour «tirer» sur la conjonctive par un mouvement de translation médiale
de l’aiguille après que son biseau ait accroché cette conjonctive. L’aiguille est ensuite
avancée suivant une direction strictement postérieure, jusqu’à ce qu’une légère perte de
résistance signe le passage de la gaine du bulbe. L’injection de 5 à 9 mL d’anesthésique
local peut alors être réalisée. L’intérêt majeur de cette technique est l’extrême précision
des repères pour l’introduction de l’aiguille.
L’apprentissage de la technique s’en trouve facilité. La présence d’un «clic» qui sert
de repère de profondeur à ne pas dépasser (jamais plus de 15, voire 20 mm) devrait mettre
à l’abri des accidents de ponctions liés à l’introduction d’une aiguille dans la portion
postérieure de l’orbite. Cette technique est toutefois délicate et nécessite un apprentissage
adapté. Entre des mains inexpérimentées, elle donnera probablement lieu à autant de
complications que les techniques classiques à l’aiguille. L’efficacité de cette technique
en termes d’akinésie est nettement supérieure à celle de l’APB, du fait d’une grande
reproductibilité de d’akinésie [14]. Les répercussions sur la pression intraoculaire sont
de même ordre que celles d’un APB, imposant un délai de compression avant l’incision
chirurgicale. La diffusion sousconjonctivale de l’anesthésique local crée un chémosis
qui peut gêner le chirurgien. Une attention particulière doit être portée à la compression
préopératoire pour permettre de résorber ce chémosis.
5. CHOIX DE L’ANESTHÉSIQUE LOCAL
Tous les anesthésiques locaux sont utilisables en ophtalmologie. La littérature récente
s’est principalement intéressée aux molécules les plus récemment commercialisées en
France (ropivacaïne, mépivacaïne). Les propriétés vasoconstrictrices de la ropivacaïne
ont fait craindre une augmentation du risque de vasospasme rétinien, crainte qui ne
semble pas fondée [15, 16] Du fait des doses relativement faibles utilisées, la toxicité
systémique en cas de passage intravasculaire accidentel n’est pas un critère de choix. De
même, lorsqu’un bon bloc moteur est requis, les plus fortes concentrations disponibles
sont utilisables, sans que la dose toxique puisse être approchée.
C’est donc le profil pharmacocinétique et pharmacodynamique des anesthésiques
locaux qui représente le principal critère de choix. Pour une chirurgie longue ou susceptible d’être douloureuse en postopératoire, une molécule de longue durée d’action,
procurant un bloc différentiel résiduel sera adaptée (bupivacaïne, ropivacaïne). Pour
les chirurgies plus courtes dans lesquelles l’accent est mis sur une réhabilitation précoce, sans nécessiter d’analgésie résiduelle, le choix d’une molécule plus courte paraît
plus logique (lidocaïne, mépivacaïne). De nombreux auteurs continuent d’utiliser des
mélanges d’anesthésiques locaux, sans que leurs bénéfices soient nettement démontrés.
Du fait de sa meilleure capacité de diffusion tissulaire, la mépivacaïne semble apporter
une installation plus rapide des blocs avec une akinésie plus reproductible que le classique
mélange lidocaïne-bupivacaïne.
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6. CHOIX DES ADJUVANTS
L’adjonction d’adrénaline est classiquement contre-indiquée en France, du fait de la
crainte de survenue de vasospasme dans la circulation rétinienne. En fait, l’adrénaline
est largement utilisée dans les pays anglo-saxons, mais le bénéfice qu’elle apporte paraît
peu pertinent cliniquement.
La clonidine à la dose de 30 à 90 µg diminue la PIO, améliore l’analgésie, et prolonge
l’anesthésie et l’analgésie résiduelle [17]. Ses effets secondaires indésirables (hypotension artérielle, bradycardie, sédation excessive) peuvent retarder la sortie des patients en
ambulatoires, et limitent de ce fait l’utilisation des doses les plus élevées.
L’augmentation du pH de la solution diminue les douleurs à l’injection. Son bénéfice
sur la qualité du bloc et sa vitesse d’installation est minime. Du fait d’une relative incertitude sur le pH des solutions commerciales (en général garanties dans des fourchettes
allant de 4,5 à 6,5), le dosage optimal est impossible à définir précisément. Le sous-dosage
sera inefficace, un surdosage provoquera la précipitation de l’anesthésique local.
La hyaluronidase est une enzyme qui dépolarise l’acide hyaluronique et facilite la
diffusion de l’AL. Elle augmente la vitesse d’installation des blocs mais surtout, elle
améliore la qualité de l’akinésie et permet de diminuer les taux d’échecs et de réinjection
de complément, que ce soit après injection péribulbaire [18,19] ou épisclérale [20]. De
plus elle prévient la survenue pics de pression intraoculaire peropératoire parfois gênant
pour le chirurgien, et source potentielle de complications peropératoires (rupture de
capsule postérieure, issue de vitré).
Cet effet sur la PIO peut être expliqué par une meilleure akinésie des muscles extraoculaires, mais également par une moindre stagnation de l’anesthésique local à proximité
du globe, qui exercerait une compression extrinsèque. Dempsey et al ont comparé un
groupe contrôle lidocaine 2 %-bupivacaine 0,5 % (sans hyaluronidase) injecté par voie
péribulbaire avec deux groupes avec de la hyaluronidase à différentes concentrations
(50 et 300 UI.mL-1) [18]. Ils ont noté 4 cas d’hypertonie oculaire problématiques dans
le groupe sans H (8 %), dont un qui est la cause d’annulation de la chirurgie, amenant à
l’arrêt de l’étude dans ce groupe. Le dosage optimal est controversé. Le travail de Dempsey
conclut que la dose de 50 UI.mL-1 améliore la qualité des blocs, mais que seule celle de
300 UI.mL-1 permet d’en accélérer l’installation. Pour Kallio, au contraire, il n’est pas
nécessaire de dépasser 7,5 UI. mL-1 [21]. En pratique, la plupart des auteurs utilisent des
concentrations entre 15 et 50 UI. mL-1.
Par ailleurs plusieurs publications ont récemment insisté sur une augmentation
d’incidence de strabismes postopératoires dans des situations de défaut d’approvisionnement de hyaluronidase [22, 23]. Un effet myotoxique est incriminé, qui serait majoré par le
défaut de diffusion de l’anesthésique local du fait de l’absence de hyaluronidase. La hyaluronidase parait donc être le seul adjuvant indispensable en ophtalmologie. L’arrêt de sa
commercialisation pose le réel problème d’une moins bonne qualité des blocs, susceptible
d’être impliquée dans la survenue de complications chirurgicales. Aucune des solutions
permettant de pallier son absence ne sont totalement satisfaisantes : diminution des
volumes injectés au prix d’une augmentation de concentration, alcalinisation, clonidine.
Il paraît urgent que l’industrie pharmaceutique résolve ce problème.
CONCLUSION
Il faut souligner que pour l’ensemble des techniques «à l’aiguille» abordées, le risque
d’accident et de complication bien que faible, est réel. Ce risque paraît plus dépendant de
l’expérience et du savoir faire de l’anesthésiste que de la technique d’ALR elle-même.
La plupart des accidents sont liés à un mauvais positionnement de l’aiguille, ce qui peut
arriver avec n’importe quelle technique.
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L’anesthésie rétrobulbaire devrait toutefois être abandonnée en raison d’un risque
théoriquement plus élevé. Les techniques sans akinésie (topique, sous-conjonctivale, sousténoniennes à faible volume par abord chirurgical) sont plus sures, mais elles imposent
au chirurgien d’opérer dans des conditions moins confortables. L’ensemble des injections
épisclérales (sous-ténoniennes), que ce soit par abord chirurgical ou à l’aiguille, paraît
prometteur pour l’avenir. Il est impératif que l’industrie réussisse à trouver une solution
pour remettre la hyaluronidase à disposition du corps médical.
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