Les sciences sociales et le sans-abrisme

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Les sciences sociales et le sans-abrisme.
Recension bibliographique de langue
française. 1987-2012.
Sous la direction de Katia Choppin et
Edouard Gardella.
Publications de l’Université de SaintEtienne.
341 pages
(Livre disponible en consultation au
Centre
d'appui
la
Strada)
Voilà un ouvrage à mettre entre les mains des travailleurs sociaux, étudiants, chercheurs,
journalistes, et élus qui souhaitent trouver compilée, en un seul volume, une exhaustive
bibliographie de ce que la recherche francophone en sciences sociales a produit ces 25
dernières années.
Quatre parties principales composent ce livre, dirigé par deux doctorants en sociologie que
les « spécialistes » de la question du sans-abrisme connaissent déjà bien, Katia Choppin et
Edouard Gardella1 :
- une recension bibliographique ;
- un éclairage sur quatre-vingt dix notions de vocabulaire du sans-abrisme et des sciences
sociales ;
- un classement chronologique des références;
- et leur classement par auteur.
Les auteurs rappellent leurs intentions dans une longue introduction générale. En effet, on
peut, a priori, s’interroger sur l’intérêt d’une telle démarche de compilation d’environ cinq
cents travaux de recherche francophones. Le livre n’est pas qu’une stricte recension
bibliographique, puisqu’on y trouve également une soixantaine de pages consacrées au
vocabulaire du sans-abrisme. Plusieurs développements sont également faits, concernant en
particulier certaines références incontournables dans le domaine (Bruneteaux, Marpsat,
Pichon, etc.).
L’introduction permet aux auteurs de s’expliquer quant à leurs choix méthodologiques,
chronologiques et théoriques. Il n’y a pas ici d’objectif d’accumulation des savoirs, mais
plutôt de « dynamique de cumulativité » des recherches dans le domaine du sans-abrisme,
permettant de prendre « appui sur les enquêtes précédentes, que ce soit pour les remettre
en cause, les confirmer ou en infléchir l’orientation. » (p.11).
Les bornes chronologiques et disciplinaires sont elles aussi très clairement posées. Pour les
auteurs, « L’année 1987 s’impose comme la borne la plus pertinente, marquant le début d’un
flux croissant de publications et de mesures prises par les pouvoirs publics, où se conjuguent
intérêt médiatique, intérêt scientifique, commande d’expertises et politique publique. »
(p.21).
1
La première, doctorante à l’Université de Lille 1, a notamment travaillé sur la parole des usagers et les Centres d’hébergement et de
réinsertion sociale (CHRS) dans la région Nord-Pas-de-Calais. Le second, doctorant à l’Institut des sciences sociales du politique (ISPCachan), mène de nombreux travaux autour des politiques de l’urgence sociale envers les sdf. Son dernier ouvrage, co-écrit avec Daniel
Cefaï,
L’urgence
sociale
en
action.
Ethnographie
du
Samusocial,
a
été
recensé
par
la
Strada
ici :
http://www.lstb.be/pdf/cefai_et_gardella.pdf
1
Cette année sera également celle de la parution de la traduction française de l’ouvrage clé
de Geremek, La potence ou la pitié2, ou encore celle de l’organisation de l’année
internationale des sans-abri par l’ONU…
En ce qui concerne les frontières disciplinaires, choix a été fait d’intégrer toutes les
références en sciences sociales au sens large (de la sociologie à l’urbanisme, en passant par
le droit). En revanche, les travaux de psychologie clinique ou sociale, psychiatrie ou
médecine, ont volontairement été écartés, à l’exception de ceux ayant « généré des
controverses dans le champ des sciences sociales ». On pense ici par exemple au
psychanalyste, écrivain, anthropologue d’origine bruxelloise, Patrick Declerck…
La recension bibliographique, en elle-même, est développée autour de 4 chapitres,
brièvement introduits : « Du problème social au problème scientifique : nommer, objectiver,
enquêter », « Les dispositifs d’assistance des personnes sans-abri », « La question SDF comme
problème public », « La vie entre rue et assistance : expériences et expédients ».
La partie consacrée au vocabulaire, finement nommée « Arpenter le domaine du sansabrisme », loin d’être exhaustive sur la problématique, poursuit l’objectif de « rassembler
des expressions, notions, ou concepts mobilisés et réinterprétés de manière significative et
cohérente par des chercheurs francophones explorant un même domaine de recherche au
cours de ces deux dernières décennies. » (p.157). Si l'on peut parfois rester sur sa faim en
terme de contenu (il est toutefois précisé que ce n’est pas un dictionnaire…), on trouve un
riche panorama de définitions d’expressions, telles que « asile de nuit », ou encore des
éclaircissements judicieux de notions sociologiques (« carrière de survie », P. Pichon) ou de
concepts comme l’épuisement capacitaire (M. Breviglieri). On notera avec curiosité que le
lexique recense des notions assez rarement éclairées : "propriétaires de chien", "inclusion
périphérique" ou encore "histoire des malheurs"...
En ce qui concerne l’aspect francophone, plusieurs références majeures belges sont
reprises : B. Francq, P. Jamoulle, L. Thelen, etc. A présent, il reste probablement à la région
bruxelloise à se doter du même type d’outil pour la partie néerlandophone…3
Au final, cette somme bibliographique francophone constitue un outil très utile et efficace,
récent et mis à jour, pour tous ceux qui souhaitent aborder, approfondir ou se mettre à jour
autour des questions relatives aux sciences sociales et au sans-abrisme.
Permettons-nous, dans le cadre de cette rapide recension, de revenir sur un point essentiel
abordé dans cette bibliographie. Les chercheurs, auteurs de l'ouvrage, visent des objectifs de
cumul des savoirs, de comparaison, de concentration, de clarification, et de circulation des
savoirs. De fait, ils s'interrogent - et ce point intéresse au premier chef le Centre d'appui à
travers ses missions de recherche, de collecte de données et d'interpellation politique - sur
les liens entre commande publique et recherche.
En effet, alors même que le sans-abrisme, est passé d’un problème d’ordre social à un
problème public, les travaux sur la question se sont multipliés et éclatés en différents
domaines, ce qui suscite plusieurs interrogations : quels sont les impacts de ces recherches ?
Quelles sont les demandes ? Qui sont les mandataires ? Les auteurs rappellent ici
l’importance des travaux scientifiques pour mieux saisir, délimiter et comprendre les
2
Bronislaw Geeremek, La potence ou la pitié. L’Europe et les pauvres du Moyen Âge à nos jours, Paris, Gallimard, 1987.
En ce qui concerne les références anglo-saxonnes, on pourra toujours se reporter à la magistrale somme de plus de 900 pages :
l’Encyclopedia of homelessness (D. Levinson, 2004)
3
2
différentes problématiques concernant ce que l’on peut nommer « le champ du sansabrisme » :
« Produire et accumuler un savoir sur ce qui est présenté de façon commune comme un
problème social, pris en charge par les pouvoirs publics, doit, à un moment ou un autre,
participer à la réflexion collective sur les façons de comprendre, décrire, expliquer, voire
résoudre le problème ou en critiquer les solutions mises en œuvre. » p. 31 (nous soulignons)
Il est entendu que, le plus souvent, l’impact des travaux de recherche sur les décisions
politiques est minime, et il ne faut pas se leurrer sur l’attention que les décideurs portent sur
les (trop ?) nombreux travaux scientifiques … dont ils sont parfois les commanditaires :
« … cette quantité semble à bien des égards sans impact sur la sphère de l’action publique :
associations, administrations, politiques n’en prennent pas, ou peu, connaissance, préférant
commander de nouvelles expertises. » (p.31).
Malgré tout, il reste impératif de rester ambitieux - voire un soupçon "naïf" - en poursuivant
la conviction des auteurs « que les rapports entre recherche scientifique et demande sociale
et politique ne peuvent se limiter à la seule alternative de l’expertise légitimante ou de la
critique surplombante. » (p.32). C’est dans cette perspective que les trois ambitions-phares
du Centre d’appui « Connaître, comprendre, concerter » prennent tout leur sens : la
démarche de recherche, avec le recul nécessaire et des liens ténus avec le terrain, précède
ainsi la concertation et la décision politique.
RL pour la Strada
3
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