Santé électronique: un défi entre opportunité et nécessité de

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Santé électronique:
un défi entre opportunité et nécessité de changement culturel
Intervention de avv. P. Pesenti
Conseiller d'Etat, Département de la santé et de la socialité, République et Canton du Tessin
Institut de droit de la santé, université de Neuchâtel
10ème Journées de droit de la santé
vendredi 12 septembre 2003.
La santé est une des préoccupations principales de la population en
suisse1. Bien que le fonctionnement du système de santé satisfasse
largement la majorité de nos citoyens, l’évolution des coûts de la santé
menace l’intégrité de ce même système.
Afin de pouvoir maintenir ses prérogatives, il est nécessaire de trouver un
équilibre entre la capacité du système à produire les résultats attendus,
les ressources disponibles et le droit d’accès aux soins.
L'évolution actuelle des coûts de la santé nous pose des défis
dramatiques et est entrain de remettre en cause le principe d'équité en
matière de santé.
Un système de santé est un dispositif complexe et se compose d’une
multitude d’acteurs aux compétences variées et aux intérêts spécifiques,
structurellement complémentaires, mais parfois aussi conflictuels.
Dans certains cas les intérêts spécifiques ne permettent pas aux acteurs
de santé de poursuivre l’objectif de stabilité du système. L'équilibre du
système correspond pourtant à l'intérêt collectif. Cette situation se
caractérise par une inefficacité et une inefficience induite par le système
et, donc, qui n'est pas directement liée à des comportements.
Selon certains études, la fragmentation existante est cause
d'inefficiences pour au moins le 10% du totale des dépenses de santé2.
Mais il ne s'agit pas seulement d'argent. Les difficultés dans l'échange
entre structures sanitaires des informations qui concernent le patient sont
souvent cause des souffrances psychologiques et physiques. Pour un
malade chronique, une simple interaction entre médicament peut signifier
1
2
Baromètre des préoccupations 2001, GfS, Bern, 2001
Télémédecine/Telemedizin CH 2002, Académie suisse des sciences techniques en
collaboration avec l'Académie suisse des sciences médicales, Zurich 2002
des nouvelles souffrances qui vont aggraver une qualité de vie déjà
compromise3.
Pour cette raison le CdE du Canton du Tessin a décidé de créer les
conditions idéales pour favoriser l’utilisation correcte des structures et des
services de santé. Parmi les possibles domaines d’intervention du projet:
la culture, la coordination opérationnelle, la diffusion technologique et la
planification.
Le développement du projet Rete sanitaria qui a suivit se base sur la
diffusion technologique. Le projet doit promouvoir la coordination et la
coopération entre professionnels de la santé dans des structures
différentes.
Le système de santé est indéniablement vaste et généreux, mais en
même temps complexe, redondant, et fragmenté. Ce projet veut servir de
détonateur et catalyseur d’un processus de changement culturel à
réaliser avec les principaux acteurs de santé du canton (professionnels
de la santé, patients, assureurs).
ACPT - Association des cliniques privées, APSI - Association des patients de la
Suisse italienne, ARODEMS - association romande et tessinoise des directeurs
des établissements medico sociaux, santésuisse, EOC - Association des
hôpitaux publics, FCTSA - Fédération du Canton du Tessin des services
d'ambulance, OFCT - Association cantonale des pharmaciens, OMCS Association cantonale des médecin, SACD - Conférence cantonale des
services d'aide et soin à domicile
Le recours aux nouvelles technologies de gestion électronique de
l’information, par nature neutre en ce qui concerne les équilibres de
pouvoir du monde de la santé, ont été identifiées dès le début comme
constituant une des stratégies pour atteindre les objectifs posés.
Etant donné la complexité et la fragmentation du système de santé, il
apparaît essentiel de rendre plus efficace l’échange d’informations entre
ses acteurs, en permettant ainsi une amélioration de l’efficience mais
aussi une plus grande sûreté (privacy) et meilleure qualité des soins.
Plusieurs instruments de santé électronique (ehealth) ayant un possible
impact sur le dispositif organisationnel ont été passés en revue: de la
télé-médecine au dossier patient informatisé, de la carte santé au réseau
de santé informatisé.
3
Selon une estimation de l'Harvard Public School of Health's, aujourd'hui les malades
chroniques dans les pays développés atteignent le 86% des patient.
Carte de santé, dossier patient électronique, télémédecine, portails
Internet pour les professionnels et les patients, formation à distance pour
les professionnels, etc.
Chaque instrument a ensuite été défini et étudié en matière de faisabilité
et opportunité d'introduction.
Malgré la compréhension des avantages offerts par la santé électronique,
le participants à l'évaluation de faisabilité ont mis en évidence les
difficultés culturelles, juridiques et surtout financières à réaliser d'emblée
un réseau d'informatique sanitaire au Tessin.
Après un processus de concertation intense, l'Etat et les partenaires du
projet décidèrent de procéder de façon pragmatique, en concentrant leurs
énergies sur la carte de santé électronique. Instrument banal à première
vue, et donc neutre du profil des émotions, celui-ci possède en revanche
de grandes potentialités pour modifier radicalement les habitudes des
patients et professionnels de la santé. Soit en tant que moyen de
transport des données (contenues dans un microprocesseur), soit comme
future clef d’accès électronique au réseau d'informatique sanitaire, la
carte représente un moyen de pilotage et d’harmonisation du réseau
informatique naissant et plus encore, un symbole de la centralité du
patient dans le système de santé.
C'est justement au niveau de cette dernière propriété, c’est-à-dire le fait
d'être un instrument technologique apte à soutenir le processus
d’autodétermination du patient (empowerment), que ce trouve un
potentiel pour révolutionner, à moyen long terme, le rôle actuel que ce
dernier joue dans le système, lui permettant ainsi d’assumer entièrement
ses responsabilités.
Ces considérations sont confirmées par l’expérience acquise dans la
majeure partie des pays européens (de façon particulière en Allemagne,
en France, et en Italie), mais aussi au Canada, aux Etats-Unis, et au
Japon, où la carte est introduite non seulement dans le but de faciliter les
procédures administratives (Carte d’assuré), mais aussi d’améliorer la
qualité des soins administrés (Carte sanitaire).
Sur le plan national, une proposition pareille est actuellement à l'étude
des deux Chambres dans le cadre de la deuxième révision LAMal.
Toutefois, la politique de santé étant de compétence cantonale, c’est au
niveau cantonal – et non fédéral – qu’un tel instrument peut être
légitimement développé au delà des limites d’une simple carte de
comptabilité et d’assurance.
Par leurs fonctionnalités, on peut différencier trois types de cartes:
•
la carte d'assuré (avec des données administratives pour faciliter
l'identification du patient et le processus de facturation)
•
la carte de santé (aces des données médicale qui facilitent la prise en
charge d'urgence et la gestion de l'ordonnance médicale)
•
la carte d'accès au réseau d'informatique sanitaire (qui permet un accès
sécurisé au réseau informatique)
Une carte de santé peut en effet devenir un véritable instrument de
pilotage du système de santé, dont les considérations d’assurance
forment uniquement un sous-groupe. Le Conseil Fédéral, sensible à ce
problème, a invité le Canton du Tessin - dont le projet est explicitement
présenté dans le message relatif à la carte d’assuré (art. 42 a) - à
collaborer au développement de la Carte d’assuré, en utilisant les
compétences accumulées durant ces dernières années.
La future Carte de santé, basée sur les standards internationaux, offrira
par exemple au patient la possibilité d’enregistrer certaines données
d’urgence, telles que les allergies, les vaccinations, la thérapie
pharmacologique, ainsi que la liste des principaux antécédents de santé
qui ont caractérisé la vie du patient. La possibilité d’accéder à ces
informations permet aux professionnels de la santé de sauver des vies et
d’éviter des souffrances inutiles. Le but est aussi de pouvoir contenir les
coûts de la santé. La possibilité d’utiliser la Carte de santé comme clef
d’accès électronique au réseau informatique sanitaire naissant, promet
des résultats ultérieurs. Durant cette phase de constitution du réseau,
l’introduction de la carte offre implicitement la garantie d’une
communication sûre des informations d’un acteur à l’autre. En d'autres
termes, le réseau de santé informatisé se destine à un développement
harmonieux autour de l’élément fédératif que représente la carte.
L’opportunité de garantir la complémentarité de la Carte de santé avec le
Réseau informatisé se trouve renforcée par l’Accord de collaboration
paraphé en août 2002 entre le Département de la santé et de la socialité
du canton du Tessin et le Département de la santé et de l’action sociale
du canton du Canton de Genève. Ce dernier est effectivement en train de
définir les conditions pour la création d’un Réseau communautaire
d’informatique médicale (RCIM), accessible par l’intermédiaire d’une clef
(la Carte de santé ), dans le respect des droits du patient.
Pour le projet tessinois la composante technologique occupe, en fin de
compte, un rôle mineur. Le vrai défi est de nature culturelle: aujourd’hui
rares sont les services et les structures qui recourent à l’informatique
dans le déroulement des pratiques médicales. Pour cette raison, ses
qualités et ses défauts nous sont encore en grande partie inconnus, ce
qui peut provoquer facilement incompréhensions et préjudices. Un
exemple: la protection de la sphère privée.
A ce propos, il est opportun de rappeler que les problèmes posés
aujourd’hui par l’actuel système de transmission des informations
médicales ne sont de loin pas résolus: poste, téléphone et fax n’offrent
aucune garantie quant au lecteur final; dans certaines structures les
archives sont toujours accessibles sans contrôle particulier.
L’introduction de la Carte de santé et la mise en réseau des opérateurs
de santé permettra au patient de décider systématiquement à qui
autoriser l’accès, de manière sûre, aux informations le concernant.
L'expérience, par exemple celle du milieu bancaire (carte EC), montre
tout de même que l’introduction d’un nouveau système implique toujours
un processus d’apprentissage et d’appropriation. Pour cette raison, et en
accord avec les différents partenaires du projet, il a été décidé de
démarrer le processus avec un projet pilote dans la région urbaine de
Lugano, destiné à favoriser le changement culturel et à confirmer les
choix opérationnels qui concernent l’emploi de la Carte de santé.
Actuellement nous prévoyons la participation d’au maximum 3'000 patients et 3400 opérateurs sanitaires qui travaillent dans des cabinets médicaux,
pharmacies, structures stationnaires publiques et privées, services
d’ambulance et d’assistance et soin à domicile.
Pendant cette période, plusieurs initiatives permettront de sensibiliser
l'opinion publique. La participation volontaire de groupes spécifiques de
patients permettra en outre de comprendre les difficultés pratiques et
psychologiques existantes dans l'utilisation de ces instruments.
A la fin de la phase pilote, grâce à l'obtention d'une meilleure
compréhension et acceptation des instruments de santé électronique, il
sera possible modifier la base légale existante, de manière à étendre
l’utilisation de la carte à le Canton dans son ensemble et de même, à
soutenir la création homogène du réseau informatique de santé.
Il s'agit d'une stratégie pragmatique, nécessitant du temps, mais qui offre
la possibilité à l’Etat de définir les règles permettant de poursuivre des
intérêts collectifs et de préserver les droits des patients. Cette stratégie
qui nécessite le consentement de tous les différents acteurs est
conforme à notre culture de recherche du consensus.
Dans cette optique nous sont parvenues les encouragements de divers
observateurs externes. C'est le cas, par exemple, de l’Office fédéral de la
technologie et de la formation professionnelle (Département de
l’économie) qui, dans le cadre du projet soft[net], a voulu soutenir le
projet en raison de sa validité et de sa capacité d’innovation, son rôle
pionnier au niveau national, et sa recherche du consentement des
différents partenaires.
Actuellement on est dans phase préparatoire du pilote, pendant laquelle,
avec des partenaires technologiques, nous préparons les cartes,
développons les logiciels e identifions les solutions Hardware adaptes
aux différents contextes. L'adhésion étant volontaire, cette phase est
délicate surtout parce qu'elle s'occupe aussi du recrutement des patients
et des professionnels de la santé qui veulent participer.
Une opportunité qui permettra à chacun d'entre eux de contribuer à un
processus culturel et structurel auquel tout le monde sera prochainement
confronté.
Avv. P. Pesenti
Conseiller d'Etat
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