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Une fois engagée sur son fil, la funambule doit maintenir son équilibre dans
l’instant qui passe et aller jusqu’au bout. Pour chaque être humain, ce bout
de la vie est ancré dans l’inconnu du futur et interdépendant de l’ensemble
des fils qui tissent la toile, plus ou moins efficace, de la solidarité sociale
de sa collectivité.
Patrick Fougeyrollas est titulaire d’un doctorat en anthropologie de l’Université
Laval et spécialisé dans l’étude du phénomène de construction sociale du handicap. Il
est actuellement directeur de l’enseignement et du soutien scientifique de l’Institut de
réadaptation en déficience physique de Québec (IRDPQ) et responsable du mandat d’institut
universitaire affilié à l’Université Laval. Chercheur au Centre interdisciplinaire de recherche
en réadaptation et intégration sociale (CIRRIS) et professeur associé au Département de
réadaptation et au Département d’anthropologie de l’Université Laval, Patrick Fougeyrollas
est également membre fondateur et président du Réseau international sur le processus
de production du handicap (RIPPH). Il joue un rôle actif de promotion des dimensions
sociales et environnementales du handicap au sein de divers comités d’experts nationaux
et internationaux reliés à la réadaptation, l’intégration des personnes ayant des incapacités,
la révision de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé
(CIF) et la recherche.
Patrick Fougeyrollas est le récipiendaire du prix À part entière 2010 de l’Office des personnes
handicapées du Québec.
Collection dirigée par
Francine Saillant
Illustration de la couverture :
Karel St-Michel Fougeyrollas
Patrick Fougeyrollas
La funambule, le fil et la toile
Transformations réciproques
du sens du handicap
La funambule, le fil et la toile
ISBN 978-2-7637-9006-0
Transformations réciproques du sens du handicap
La funambule, le fil et la toile
Patrick Fougeyrollas
Les Nations unies ont récemment promulgué
la mise en vigueur de la Convention relative
aux droits des personnes handicapées. Ce
traité international, contraignant pour les États
qui le ratifient, est un évènement charnière. Il
marque, dans l’histoire, le résultat des luttes
du mouvement de défense des droits humains
des personnes différentes dans leurs corps et
leurs fonctionnalités, et vivant des situations
d’exclusion et d’oppression sociale systémiques.
Il ouvre sur des enjeux sociétaux contemporains
ancrés dans une transformation radicale du sens
du handicap. Il invite à la prise de conscience de
la responsabilité de chaque société de procéder
à une métamorphose inclusive fondée sur l’égalité des possibilités de
contrôler sa vie pour chaque citoyen, quelles que soient ses différences.
Patrick Fougeyrollas
Préface de Jean-François Ravaud
Collection Sociétés, cultures et santé
Collection dirigée par Francine Saillant
Cette collection propose des ouvrages portant sur divers thèmes
associés au large domaine de la santé, en mettant en valeur les apports
des sciences sociales, en particulier de l’anthropologie, de la sociologie,
de l’histoire et des sciences politiques. L’histoire et la transformation des
systèmes de santé au Québec et en Occident et leurs enjeux, les systèmes
de médecine traditionnelle, les mouvements sociaux et des droits des
usagers, les professionnels, les questions éthiques et politiques, les
problèmes particuliers des pays du Tiers-Monde sont autant de questions
sur lesquelles cette collection s’ouvrira. Notre souhait est de permettre la
compréhension des expériences individuelles et collectives liées à la santé
et à la maladie, les cadres de gestion offerts aux populations aussi bien
que les modèles de soins et d’accompagnement qui rejoignent les individus, tout cela dans leurs particularités et leur diversité.
La Funambule,
le fil et la toile
Patrick Fougeyrollas
La Funambule,
le fil et la toile
Transformations réciproques du sens du handicap
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des
Arts du Canada et de la Société d’aide au développement des entreprises
culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur
programme de publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise de son Programme d’aide au développement de l’industrie de
l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.
Mise en pages : Diane Trottier
Maquette de couverture : Hélène Saillant
ISBN 978-2-7637-9006-0
ISBN PDF 9782763710068
© Les Presses de l’Université Laval 2010
Tous droits réservés. Imprimé au Canada
Dépôt légal 3e trimestre 2010
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2305, rue de l’Université
Pavillon Pollack, bureau 3103
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Canada, G1V 0A6
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Table des matières
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . xiii
Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . xvii
Prologue
Construire le sens de sa différence. Un point de vue anthropologique
sur le processus de production culturelle du handicap . . . . . . . . . . . . . xxiii
Chapitre 1
Itinéraires, dérives et ambitions de l’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Clins d’œil sur les affres de la gestation et ouvertures pour trouver le fil . 3
Premier clin d’œil : « Je » et « entre peaux » logis de la différence . . . 3
Deuxième clin d’œil : Être dans l’infinité du présent . . . . . . . . . . . . . 3
Troisième clin d’œil : De la différence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Quatrième clin d’œil : La funambule entre en scène . . . . . . . . . . . . . 5
Cinquième clin d’œil : Pour une anthropologie
du développement humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Chapitre 2
Les fondements théoriques du processus de production
du handicap comme variation du système de développement humain . . . 13
Une perspective théorique systémique de construction
interactive des êtres sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Évolution du concept d’environnement dans diverses approches
génériques du développement humain et dans la conception
de la santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
Et la santé… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Pour une théorie de construction culturelle du handicap . . . . . . . . . . 22
Développement humain, handicap, matrice culturelle
et habitudes de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Chapitre 3
Histoire du Mouvement international de défense des droits
des personnes ayant des incapacités, contributions et influences
canadiennes et québécoises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
L’essor international de la réadaptation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
La reconnaissance des droits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Le Mouvement de vie autonome (MVA) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
viii
La Funambule, le fil et la toile – Transformations réciproques du sens du handicap
Émergence du Mouvement international de défense
des droits des personnes « handicapées » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’Organisation mondiale des personnes handicapées :
l’expression globale d’une auto-organisation des personnes
ayant des incapacités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Historique de l’OMPH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La rencontre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une influence cruciale pour l’OMPH à l’ONU :
du « pour » au « des » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un rôle consultatif à l’ONU pour l’OMPH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le rôle des parents dans l’OMPH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La participation des femmes, un cheminement progressif . . . . . . . .
La question de la paix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Développement du leadership et transfert des connaissances . . . . .
Personnes « handicapées » et droits humains . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La considération des droits des personnes ayant des incapacités
et des droits humains à l’ONU : droit indicatif et droit contraignant . .
Vers une « convention internationale relative aux droits
des personnes handicapées » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une double stratégie de surveillance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une nouvelle alliance au sein du Mouvement
et une dynamique de recherche de consensus . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les principes fondamentaux de la nouvelle convention . . . . . . . . . .
47
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71
Chapitre 4
Évolution conceptuelle internationale, modèles conceptuels
et classifications dans le champ du handicap . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Observations préalables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Conséquences de longue durée des maladies
et des traumatismes, indemnisation et droits humains . . . . . . . . . . . 80
Wood, la CIDIH et l’OMS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
L’OMS et le modèle québécois dans le champ du handicap :
la convergence des forces . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
Expérimentation de la CIDIH comme cadre de référence
de la politique À part… égale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
Rayonnement international . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
Rencontre internationale de Québec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Pour une redéfinition du handicap . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Le développement de la Classification québécoise :
le Processus de production du handicap . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Résistances européennes aux demandes de révision . . . . . . . . . . . . 100
Table des matières
L’entrée en scène des États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Amorce du processus de révision et fin de non-recevoir
envers les facteurs environnementaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le modèle québécois obtient des appuis solides, mais l’OMS
établit une stratégie de compromis sociopolitique . . . . . . . . . . . . .
Une prédominance continue du politique sur le scientifique . . . . . . .
En synthèse, quels sont les constats de cette longue saga
­internationale ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Sonner l’alarme et poursuivre nos efforts scientifiques
d’ébranlement des barrages idéologiques et des pouvoirs
institutionnels producteurs de handicap . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
ix
102
105
105
111
111
114
Chapitre 5
À part… égale : construction et influences 25 ans après,
du mythe à la réalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Une longue marche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Allocution du 23 septembre 2006 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Défis et enjeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Quelques défis et enjeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
Révision de la Loi assurant l’exercice des droits
des personnes handicapées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Quels changements ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Une acception remodelée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
Reconnaissance législative et classification harmonisée
du handicap . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
À part… égale : outil concret d’influence du développement
social québécois ou pétition de principes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
À part… égale : des problèmes intrinsèques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
Le Québec : un véritable laboratoire expérimental
sur le plan des politiques sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
Une imprégnation ardue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
À part… égale : retour sur quelques jalons historiques . . . . . . . . . . . 135
À part… égale : une revendication toujours pertinente . . . . . . . . . . 138
Une marche à poursuivre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Persistance d’une organisation fragmentée des services . . . . . . . . . 140
Y a-t-il une spécificité québécoise en matière d’intervention
auprès des personnes « handicapées » ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Une autonomie nationale partielle handicapante . . . . . . . . . . . . . . 143
Deux poids, sans mesures efficaces . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
À part… égale : le contrat social de l’avenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
x
La Funambule, le fil et la toile – Transformations réciproques du sens du handicap
Chapitre 6
Le Processus de production du handicap (PPH) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
Modèle explicatif des causes et des conséquences des maladies,
des traumatismes et autres atteintes à l’intégrité
et au développement de la personne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
Le Modèle de développement humain (MDH) . . . . . . . . . . . . . . . . 148
Mais qu’est-ce qu’un modèle ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148
L’interaction : un flux constant dans le temps . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
Le Processus de production du handicap . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
Les facteurs de risques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
Les facteurs personnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
Des concepts positifs et une clarification des échelles
de mesure de sévérité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Les systèmes organiques : de l’intégrité à la déficience complète . . 155
L’aptitude : de la capacité optimale à l’incapacité complète . . . . . . 157
Les facteurs environnementaux : du facilitateur
optimal à l’obstacle complet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
Les habitudes de vie : de la pleine participation sociale
à la situation de handicap total . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Une version bonifiée du PPH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
Constats et précisions pour aller plus loin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
Retour sur les facteurs de risques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
Retour sur le processus de développement humain . . . . . . . . . . . . 168
Types d’étiologies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
Le modèle de développement humain et de production
du handicap est applicable en santé publique . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Le modèle conceptuel du MDH-PPH2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174
Le schéma du MDH-PPH2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
Les composantes du domaine conceptuel
des facteurs personnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
Les systèmes organiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
Les aptitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Les facteurs identitaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Les facteurs environnementaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178
Les habitudes de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
Le MDH-PPH2 : un modèle anthropologique
pour les droits humains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
Des morceaux choisis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
Table des matières
xi
Chapitre 7
Mesurer la qualité de la participation sociale
et de ses déterminants environnementaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
Une perspective épidémiologique de santé qui cible
les individus et néglige le social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
Mise en contexte de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
Description des instruments de mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
Mesure des habitudes de vie (MHAVIE) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
La perception de l’environnement : Mesure de la qualité
de l’environnement (MQE) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
Portrait du sous-échantillon des participants de l’EQLA . . . . . . . . 191
Profil de participation sociale en 2003 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
La satisfaction de la réalisation des habitudes de vie
de la MHAVIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
La perception de l’environnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
Illustration de l’interaction entre la qualité
de participation sociale perçue et l’influence de la qualité
des facteurs e­ nvironnementaux perçue par les personnes
ayant des incapacités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
Une contribution au développement d’indicateurs de suivi
de la mise en œuvre de la convention de l’ONU . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
Chapitre 8
Les représentations sociales de professionnels québécois
et la construction identitaire de la personne en processus
de réadaptation au tournant des années 2000 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
Un portrait préalable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
Un contexte institutionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
Une exploration, deux grandes orientations . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Esquisse de la matrice normative culturelle de l’adaptation
et de la réadaptation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
Le concept de représentations sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
L’enquête sociodémographique et de perception . . . . . . . . . . . . . . 215
Le recrutement des répondants et répondantes . . . . . . . . . . . . . . . 216
Les instruments de mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
Les membres du personnel professionnel de l’IRDPQ :
une population homogène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
La santé et ses dérivés : des valeurs essentielles . . . . . . . . . . . . . . . . 222
xii
La Funambule, le fil et la toile – Transformations réciproques du sens du handicap
Chapitre 9
La compensation des incapacités et des situations de handicap :
un enjeu de vigilance continu pour l’exercice des droits humains . . . . . . 265
Une discussion sempiternelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
Une perspective exploratoire, qualitative et transincapacités . . . . . . . 266
Mise en contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267
Systèmes d’aide et de prise en charge collective . . . . . . . . . . . . . . . 268
Pouvoir catégoriel et logique de prise en charge . . . . . . . . . . . . . . . 269
Redéfinition des modalités d’aide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270
Les programmes de compensation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
Les résultats de l’enquête ethnographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275
L’inaccessibilité aux services et aux compensations
financières affecte-t-elle la santé ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’inaccessibilité aux services et aux compensations
financières est-elle une source de situation de handicap ? . . . . .
Comment les personnes composent-elles face à un contexte
d’inaccessibilité ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un écart douloureux entre les principes des politiques sociales
et la gestion technocratique de la rareté des ressources . . . . . . . . .
Conséquences sur la santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Conséquences sur la participation sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Se débrouiller dans la jungle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une société inclusive en chantier ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
275
277
278
279
280
281
282
283
Chapitre 10
Vivre en soi-vivre ensemble . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287
Saisir la différence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287
Un discours souverain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288
Une lutte autonomiste dans le respect des interdépendances . . . . . . 290
Chapitre 11
Manifeste de la funambule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291
Pour l’épanouissement des différences et l’extinction
des certitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291
Chapitre 12
De la vigilance : une nécessité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293
Dernier clin d’œil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
Remerciements
Cet ouvrage constitue une grande synthèse des travaux que j’ai réalisés
depuis maintenant trente ans dans le champ du handicap. Le lecteur constatera que plusieurs de ces propos sont étroitement associés à mon expérience
de vie. Cet aspect personnel convenu, j’admets volontiers demeurer tributaire de mon environnement.
Ainsi, il me faut remercier un très grand nombre de personnes. Elles
m’ont accompagné, certes ; mais elles ont influencé et contribué, chacune
de façon généreuse, à construire mon point de vue tout au long de cette
fascinante aventure.
Tout d’abord, c’est à Francine Saillant que va ma reconnaissance.
Cette amie et collègue anthropologue m’a régulièrement invité à mettre
mon énergie dans la rédaction de ce livre. C’est pourquoi j’ai si souvent
réfléchi à cet engagement pris avec elle de terminer cet ouvrage. Cela m’a
constamment soutenu, bien sûr, et j’ai trouvé le courage d’y travailler malgré
l’ampleur de mes autres responsabilités. De plus, ces dernières années nous
ont permis de collaborer de façon très enrichissante par la mise en commun
de nos compétences respectives. J’ai beaucoup de respect pour ses grandes
qualités de chercheure, sa rigueur, son intelligence et sa passion des êtres
humains. L’expérience de terrain que nous avons vécue ensemble à Salvador
de Bahia, au Brésil, et nos longues discussions ont confirmé notre amitié
solide et indéfectible.
Je dois aussi remercier Norbert Rodrigue, alors président et directeur
général de l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) pour le
soutien financier à mes travaux de rédaction et pour l’aménagement de mes
tâches en autorisant une certaine libération. Il en est de même pour la
directrice du Centre de recherche interdisciplinaire en réadaptation et
intégration sociale (CIRRIS), Carol L. Richards. Je retiens aussi Richard
Brousseau, directeur général de l’Institut de réadaptation en déficience
physique de Québec (IRDPQ). Ces personnes ont rendu possible ce projet
de longue haleine et elles m’ont offert leur confiance et leurs encouragements. Merci également à Gilles Piché, mon adjoint à la direction de
l’enseignement et du soutien scientifique (DESS) de l’IRDPQ. Il a assumé
xiii
xiv
La Funambule, le fil et la toile – Transformations réciproques du sens du handicap
avec vaillance mon remplacement sur plusieurs dossiers. Ma gratitude
touche pareillement les coordonnateurs de la DESS : Marc Boiteau, Johanne
Trahan et Danielle Lesveque. Ce trio m’a apporté son expertise pour m’aider
à assumer mon mandat de suivi de la mission d’institut universitaire de
l’IRDPQ. Finalement, je suis particulièrement redevable à Marjorie Aubé,
ma secrétaire, pour son dévouement efficace pendant toute cette période
d’écriture. Toujours merci, Marjorie.
Que dire encore ? Il y a tous mes amis et collègues que j’hésite à
énumérer ici car je ne peux tous les nommer. Ensemble, nous avons réalisé
au quotidien tant de productions concrètes.
Je me remémore ceux de la première heure lors de mon engagement
dans le mouvement associatif québécois à la fin des années 1970. Je revois
notamment Mario Bolduc, Yves Bussières, Martin Boudreau, Robert
Turcotte, la gang d’Habitation-Plus, Rock Gadreau, Gilles Lafrance et
Marie-Blanche Rémillard.
Ensuite, c’est mon passage de quelques années à l’OPHQ avec Jan
Zawilski, Carmen Sabag, Anne Falcimaigne, Christian Dufour, Diane Bégin,
Henri Bergeron, Anne Hébert et toute l’équipe d’À part… égale, la première
politique québécoise à l’égard des personnes handicapées.
Puis, plus tard, ce sont les artisans du Processus de production du
handicap (PPH) avec l’équipe du Comité québécois sur la classification
internationale des déficiences, des incapacités et des handicaps (CQCIDIH)
qu’il me faut évoquer. Je nomme Maryke Muller, Marie Lemieux, Ginette
St-Michel, Hélène Bergeron, René Cloutier, Jacques Côté, Marcel Côté,
Monique Beaulieu, Maurice Blouin et Manon Lachance. Et celles et ceux
qui ont suivi avec les développements du Réseau international sur le
processus de production du handicap (RIPPH). Je porte une attention
particulière aux travaux de recherche à l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (IRDPQ) et au Centre interdisciplinaire de
recherche en réadaptation et intégration sociale (CIRRIS). Je rappelle les
Normand Boucher, Dominique Lizotte, Luc Noreau, Charles Gaucher,
Pierre Majeau, Jean-Pierre Robin, Charles Paré, Pierre Castelein, Philippe
Weber, Myreille St-Onge, Kathia Roy, Serge Dumont, Simon Rioux, Julie
Tremblay, Katherine Lippel et Céline Lepage.
Suivent rapidement le mouvement de défense des droits et les travaux
internationaux sur les classifications du handicap dans lesquels j’ai œuvré.
Mes souvenirs vont vers des collègues qui ont contribué à l’évolution de ma
réflexion. À mon instar, ils avancent que la perspective sociale du handicap
et la reconnaissance des facteurs environnementaux sont déterminantes
des situations de handicap. Il s’agit des Henri-Jacques Stiker, Claude
Hamonet, Pierre Minaire, Jean-François Ravaud, Catherine Barral, Henry
Enns, Gale Witheneck, David Gray, Harlan Hahn, Marcia Rioux, Linda
Remerciements
xv
Garcia, Hisao Sato, Ölle Sjögren, Sonja Calais Van Stokkohm, Scott
­Campbell-Brown…
Ma reconnaissance va également à Charles Gaucher qui a relu et
commenté avec intelligence une version antérieure du manuscrit et à
Georges-Henri Cloutier pour son travail minutieux de révision linguistique.
Plus près de moi, mes pensées vont à ma compagne, Ginette St-Michel,
et à mes enfants, Karel et Cédrick. Ils songent sûrement à toutes les activités
et sorties sacrifiées, mises de côté pour me laisser écrire. Merci à vous pour
le soutien constant et les rappels à l’ordre lorsque je me dispersais dans
d’autres projets.
Je termine avec ma mère, Lisette Kerhervé. Cette Bretonne têtue a
repoussé la fatalité du destin tragique du petit infirme que je suis devenu,
dans la perception de plusieurs, dès l’âge de six mois. C’est grâce à son
engagement total que j’ai marché, fait ma vie et ignoré ce qu’être handicapé
voulait dire. Cette notion de handicap m’est devenue signifiante beaucoup
plus tard. J’en ai pris véritablement conscience, vers mes 25 ans, en début de
carrière à titre d’anthropologue, par le choix de cet objet de recherche et
par mon engagement social. Et en arrière de cette femme si militante, si
combative, je ne peux oublier mon père, Jean Fougeyrollas. Son rôle de
soutien financier, familial et moral s’est accompli presque dans l’ombre,
discrètement mais fermement, comme cela est si fréquent chez les parents
d’un enfant différent.
Pour ces raisons, je dédie cet ouvrage à mes parents, en les remerciant
de tout mon cœur pour la résilience inscrite en moi et le sens donné à ma
vie. Ils l’ont rendue possible, concrète, libérante ! Aujourd’hui, je vis trop
loin d’eux, hélas ! Mais grâce à cette autonomie acquise de haute lutte, j’ai
été amené à immigrer au Québec et à m’y réaliser pleinement. Merci Lisette
et Jean !
Merci à toutes et à tous !
Patrick Fougeyrollas
Préface
Pour quiconque s’intéresse aux sciences du handicap et aux développements conceptuels qui les accompagnent, un tel ouvrage était très attendu.
En effet, le Québec a fait valoir depuis de nombreuses années son exception
culturelle en portant haut et fort des orientations originales et novatrices
dans le concert des positions internationales dominé, il faut le reconnaître,
par les voix anglo-saxonnes. Héraut de la francophonie, il était souhaitable
que son message bénéficie d’une tribune moins confidentielle que celle des
experts internationaux, fussent-ils onusiens.
Depuis la première proposition de classification internationale des
déficiences, incapacités, handicaps (CIDIH) faite par l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), il y a trente ans maintenant, les questions de
dénomination, de définition et les choix conceptuels qui ont entouré la révision de cette classification expérimentale ont été au cœur des débats et
controverses qui ont agité la communauté scientifique internationale dans
le champ du handicap.
Nommer les choses n’est jamais un acte anodin. Dans ce domaine
comme dans bien d’autres, mettre un nom sur des notions nouvelles,
élaborer des concepts, penser différemment l’articulation entre ces divers
éléments est déjà, en soi, une activité particulièrement sensible qui a des
effets politiques et pas seulement théoriques. Le regretté Irving K. Zola
avait relié cette question de la dénomination, avec celle du soi et de l’identité dans une réflexion plus large sur le langage du handicap. Comme pour
divers groupes minoritaires avec lesquels un parallèle peut être établi, l’enfermement dans des clichés, des stéréotypes et les fonctions négatives des
étiquettes sur les populations ainsi labellisées ont été à l’origine d’un
mouvement général de mobilisation pour l’utilisation d’un langage politiquement correct. Sensibilisé par les travaux de Goffman sur la stigmatisation,
le milieu académique a fait converger le souci de la recherche de clarté
conceptuelle et d’une plus grande précision dans les terminologies
employées avec une démarche réflexive accrue sur l’usage des termes
choisis. De son côté le mouvement international naissant des personnes
handicapées a très vite choisi de se réapproprier cette réflexion sur le
xvii
xviii
La Funambule, le fil et la toile – Transformations réciproques du sens du handicap
langage en faisant des questions de dénomination et de définition le fer de
lance de son combat politique. Choisir comment on souhaite être désigné
est un acte symbolique particulièrement fort dans la quête de l’autonomie
et dans une dynamique émancipatrice. Il n’est donc pas surprenant que les
travaux de l’OMS aient suscité des débats aussi intenses. Les instances
internationales comme l’OMS ont été l’arène privilégiée où se sont affrontés
les différents acteurs du domaine. Carrefour de l’expertise internationale
en même temps que caisse de résonance du mouvement international des
personnes en situation de handicap, la classification internationale des
handicaps a été au cœur des polémiques. On y a, en particulier, vu
­s’affronter deux modèles opposés : un modèle médical et un modèle social
du handicap. En effet, plus que la classification elle-même avec ses différentes nomenclatures, ce sont en fait les modèles conceptuels sous-jacents
et les définitions terminologiques qui les accompagnent qui ont concentré
l’essentiel des controverses.
De cette histoire des idées sur le handicap, Patrick Fougeyrollas aura
été un témoin privilégié. Mais en même temps qu’il était à une place d’observation probablement unique pour nous retracer les grandes lignes de
cette histoire, il en était un des acteurs majeurs. On ne saurait dire assez
l’impact qu’ont eu ses travaux sur le monde du handicap en France où ses
propositions ont souvent eu plus de retombées que les propositions officielles de l’OMS. Faire connaître à un large public francophone cette
évolution des modes de pensée sur le handicap était plus qu’utile, cela était
nécessaire. En ce sens cet ouvrage vient combler un vide.
Revendiquant une posture d’anthropologue, il a alimenté les débats
internationaux par des propositions visant tour à tour à améliorer, à réviser,
à se substituer aux points de vue officiels. Car pendant toute cette période,
aussi étonnant que cela puisse paraître au vu de l’ampleur de cette activité,
les travaux de son équipe n’étaient pas des contributions directes au
processus de révision, le Québec n’ayant pas pu obtenir le statut de Centre
collaborateur de l’OMS auquel il pouvait prétendre. Pendant toutes ces
années, il a élaboré, diffusé, peaufiné avec le Processus de Production du
Handicap un modèle alternatif d’une grande cohérence. Créant un réseau
international permettant de le mettre à l’épreuve, il a su le faire évoluer
pour tenir compte des avancées d’un domaine en très forte mutation. Si la
portée de cette démarche a eu autant d’influence en France, et si les positions franco-québécoises ont progressivement convergé, c’est essentiellement
à mettre au crédit de ses vertus pédagogiques. Là où les compromis de la
classification officielle ont introduit imprécisions, chevauchements des
différentes dimensions, manque de cohérence, le modèle québécois (fidèle
aux traditions des grands explorateurs et navigateurs qui ont découvert la
Nouvelle-France) a su garder le cap. Et si l’on peut s’étonner que la dynamique québécoise n’ait pas été une composante à part entière du processus
Préface
xix
de révision de l’OMS, c’est que l’activité et la production du comité québécois puis de la société canadienne pour la CIDIH est telle qu’on peut, sans
trop s’avancer, affirmer qu’elle en a été le principal aiguillon.
Les travaux pionniers de Philip Wood avaient constitué une première
avancée considérable, à l’époque, pour extraire la notion de handicap des
problèmes de santé et de maladie desquels il avait du mal à se différencier.
En élargissant les perspectives vers l’analyse du désavantage social, ces
premiers travaux ont ouvert un champ d’investigation et d’intervention qui
débordait largement le cadre médical dans lequel était enfermé ce domaine
préalablement. En développant le concept d’habitudes de vie, l’équipe
québécoise a très vite pris acte de ces premiers travaux novateurs. Mais elle
a aussi très rapidement exprimé son souhait de contribuer à leur poursuite
en améliorant les propositions initiales pour prendre en compte les critiques croissantes exprimées par le mouvement associatif des personnes
handicapées. C’est dans le cadre de l’élaboration du Processus de Production du Handicap (PPH) que se sont progressivement affirmées les positions
québécoises dont l’impact sur les débats internationaux a été majeur.
S’il fallait ne retenir qu’un apport (mais de taille !) des travaux québécois à cette dynamique de révision de la classification internationale, ce
serait certainement d’avoir proposé une alternative à ce qui était alors un
modèle linéaire, donnant légitimement l’impression que les conséquences
sociales des déficiences étaient en quelque sorte des conséquences « naturelles » de celles-ci. En mettant au cœur du PPH la notion d’interaction, ils
auront ouvert la voie à ce que l’on peut appeler désormais les modèles interactifs, offrant en cela une possibilité de concilier les approches réadaptatives
avec celles du modèle social du handicap. Cet apport a été à ce point majeur
qu’il n’y aura pas de retour en arrière et qu’il sera repris par toutes les
propositions ultérieures.
Mais pour parler d’interaction, il aura fallu imposer une dimension
jusque-là négligée, celle des facteurs environnementaux. La mise en avant
de cette composante, essentielle dans une optique de vision holistique du
handicap, aura été la marque de fabrique de l’approche québécoise. Les
résistances ont été multiples. La plus commune est de reconnaître leur
utilité dans le modèle général, mais de considérer que, débordant l’objectif
de la classification, ils sont d’une certaine façon hors sujet. Une autre
tendance, probablement dominante actuellement, est de les considérer
comme un simple contexte, une toile de fond, négligeant le rôle actif qu’ils
ont sur les habitudes de vie et la composante essentielle qu’ils représentent
dans une vision systémique. Ces résistances, toujours effectives, ont amené
le mouvement handicapé à les interpréter comme des oppositions aux perspectives de changement social qu’il essayait de promouvoir, ravivant en
cela le clivage entre modèle médical et modèle social et la menace d’un
dualisme irréductible.
xx
La Funambule, le fil et la toile – Transformations réciproques du sens du handicap
Ce que nous montre cet ouvrage, c’est vingt-cinq ans de perspicacité
pour faire valoir la place des facteurs environnementaux dans la conceptualisation du handicap, la quête permanente d’un modèle cohérent et
intelligible. C’est au sein du Réseau international sur le Processus de Production du Handicap (RIPPH) qu’a eu lieu l’essentiel de cette activité intellectuelle.
Son rayonnement a été assuré par une revue bilingue Réseau International
CIDIH devenue Développement humain, handicap et changement social. Ces travaux
ont contribué à ceux du Centre collaborateur OMS Amérique du Nord, ce
qui n’empêchait pas Patrick Fougeyrollas d’être aussi un membre actif du
Groupe Conseil du réseau partenarial francophone pour la formation et la
recherche sur la CIF et le PPH mis en place par le centre français. Mais malgré
sa production conséquente, à l’exception de la publication de sa thèse d’anthropologie en 1995, il manquait un ouvrage de référence qui lui permette de
synthétiser les principaux apports de ses travaux.
Loin d’être un modèle figé, abouti, finalisé, le PPH a su se remettre en
question et continuer à évoluer en travaillant sur ses faiblesses. En fait, dans
son développement plusieurs étapes clés ont été franchies. Parmi les
premières dont l’apport est maintenant largement admis, il y avait l’objectif
de mettre en avant les questions environnementales. Une fois ce cap passé,
il devient maintenant possible de s’attaquer aux questions identitaires sans
prendre le risque de retomber dans la psychologisation du handicap qui a
caractérisé les époques précédentes, mais qui n’était en fait qu’une variante
des modèles individuels et médicaux qui dominaient alors. L’introduction
explicite des facteurs identitaires au sein des facteurs personnels est une
amélioration sensible du modèle qui nous est proposée ici dans sa dernière
version. De même l’introduction de la temporalité, ce qui est beaucoup plus
difficile à représenter sous une forme graphique, permet de rendre compte
de phénomènes difficiles à restituer dans l’instantanéité car l’interaction
entre facteurs personnels et environnementaux est diachronique et pas
seulement synchronique.
Si cet ouvrage permet de bien développer le travail conceptuel de
l’auteur et de son équipe et de le mettre en perspective avec le cheminement
du processus de révision qui a abouti à la CIF (Classification Internationale
du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé), nouvelle classification de
l’OMS, il va bien au-delà de cet objectif. En premier lieu, ce qui est bien
décrit au fil des pages, c’est l’entrelacement permanent entre la recherche
sur les concepts et les modèles et leur opérationnalisation sous forme de
politique publique. L’exemple de la politique québécoise À part… égale est à
ce titre particulièrement exemplaire et enrichissante pour un lecteur européen. Une autre question cruciale est de mieux documenter toutes les
composantes du processus dans les enquêtes en population générale pour
avancer vers une épidémiologie sociale du handicap. Évaluer les politiques,
Préface
xxi
mesurer les environnements sont des enjeux d’une grande actualité dans
les statistiques sociales internationales. Enfin, les derniers chapitres nous
montrent de façon très concrète la nature des travaux de recherche qui
peuvent être conduits sur ces bases et l’intérêt des premières expérimentations permises par les outils mis en place comme la mesure des habitudes de
vie ou de la qualité de l’environnement.
L’essentiel de la production scientifique sur le handicap est d’origine
anglo-saxonne. Au point que l’expression disability studies n’a pas de correspondance simple en français. Pour autant les sciences du handicap y ont
d’éminents représentants et les débats y sont riches. Restituer à un lectorat
francophone les enjeux des cinquante dernière années et les grands
moments de l’histoire moderne du handicap à travers le parcours de son
auteur est l’ambition principale de ce livre. On y assiste, en concentré, à
l’évolution progressive d’une logique exclusivement réadaptative à une
logique de droits et de changement social, et au niveau des Nations unies du
passage progressif d’une approche incitative sur les droits, insuffisamment
efficace, à une logique de convention, concrétisée par l’adoption de la
Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées
adoptée par l’ONU en décembre 2006, ouverte à la signature en mars 2007,
et trois ans après, signée par 144 pays et ratifiée par 88 d’entre eux.
Patrick Fougeyrollas nous invite à le suivre dans son engagement pour
un nouveau contrat social fondé sur la diversité des corps et esprits différents. Sa devise « Mieux comprendre la différence pour changer le monde »
est une perspective particulièrement stimulante pour l’ensemble des acteurs
sociaux.
Mais si ce voyage académique nous fait naviguer vers des horizons
incertains et explorer des terres inconnues, il n’exclut pas la poésie. Belle
métaphore, en effet, que celle de la précarité du funambule sur le fil de la
vie, au-dessus de la toile de nos solidarités.
Jean-Francois RAVAUD
Directeur de Recherche INSERM
Centre de Recherche Médecine, Sciences, Santé, Santé Mentale et Société
CERMES3 (INSERM U988, CNRS UMR 8211, EHESS, Université Paris
Descartes), Villejuif, France
Directeur de l’Institut Fédératif de Recherche sur le Handicap
Prologue
Construire le sens de sa différence
Un point de vue anthropologique sur le processus
de production culturelle du handicap
Chaque vie individuelle est une tragédie qui est porteuse d’espoir.
Tragédie dans le sens où rien n’est dû, ni garanti. Tragédie dans le sens où
chacun respire une bouffée d’air après l’autre, avance un pied devant
l’autre, choisit telle ou telle orientation dans l’incroyable complexité du
labyrinthe des possibilités. Chacun y parvient en construisant son regard
sur lui-même, en créant ses assises, ses prises, ses poches d’air, ses interprétations. Ces élans, ces raisons ou ces absences de raison font que chaque
être humain est chaque jour, à chaque instant, son propre survivant de la
veille. Vivre, c’est fondamentalement l’élan du survivant, la volonté de la
prochaine respiration, le goût de la prochaine aurore. Vivre en tant qu’être
humain conscient, c’est le désir d’avancer, d’aller voir plus loin, avec l’inestimable étincelle de construction réflexive s’enrichissant aux continuelles
peaux d’oignon temporelles. Le plus beau cadeau que chaque être humain
puisse se faire, c’est de cerner le sens, de définir l’axe du prochain coup de
roue, de son projet. Le paradoxe, c’est d’y croire dans un univers où tout
n’est qu’aléatoire.
Voilà pour le processus de développement humain du premier au
dernier souffle. Comment chacun tire son épingle du jeu est fondamen­
talement unique, tragique et inégalitaire, mais singulièrement ouvert,
passionnant, merveilleux et inaliénable.
Une fois cette prémisse posée, chacun se situe dans le champ histori­que
des possibles. La dimension collective à laquelle une vision démocratique
tend habituellement vise à constituer une matrice culturelle environnementale qui favorise le plus d’occasions d’épanouissement des liens sociaux et
de réalisation des destinées exerçant chacune son libre arbitre. Et là se pose
la question fondamentale et centrale aux mouvements sociaux modernes,
soit celle des conditions effectives d’exercice des droits humains et de
xxiii
xxiv
La Funambule, le fil et la toile – Transformations réciproques du sens du handicap
l­ ’égalité d’accès pour les personnes différentes aux possibilités extrinsèques
les plus larges. Des possibilités émancipatrices qui tendent vers un univers
éclectique plutôt qu’un univers unitaire, où, en tout cas, n’existe aucune
vérité fermée ou unique, si souvent source d’intégrisme et de violence.
Chapitre
1
Itinéraires, dérives
et ambitions de l’auteur
Lorsqu’on travaille depuis très longtemps sur un phénomène complexe
et que l’on fait avancer sur plusieurs de leurs facettes nombre de chantiers,
lesquels évoluent à des vitesses et des degrés divers, on se retrouve devant un
triple défi immense. Celui d’arrêter, de faire le point et de formuler une
synthèse. Mais c’est généralement difficile. Chaque projet en cours requiert
une attention sans faille, un peu comme un cuisinier qui prépare de multiples plats en parallèle. Le défi, pour le cuistot, c’est d’en arriver à servir le
repas dans l’ordre, le tout à point, au moment approprié. C’est ce que je
souhaite réussir avec cet essai.
J’ai aussi l’intuition que cette réflexion qui m’habite ira encore plus
loin, vers une méta-analyse. Cela me mènera à un nouvel éclairage, à une
source inventive de plaisir, à une fébrilité oscillant entre la simplification
illuminatrice de l’intégration scientifique et le frisson de l’inattendu artistique de la création.
J’aime l’idée de l’artiste en mouvement, en tâtonnement, en processus
de construction d’une œuvre. Je ressens déjà son questionnement identitaire. Il est rattaché aux nombreuses facettes de mon point de vue qui
transparaîtront dans ce document. Suis-je un chercheur ? Sans doute, oui ;
mais non conformiste, atypique. Un anthropologue ? Assurément. J’ai
toujours éprouvé une fierté d’identification à cette discipline et une satisfaction certaine à la pratiquer. Mais encore là, à ma manière, et souvent en me
demandant ce qu’est en fait l’anthropologie. Suis-je une personne handicapée ? Là, je ne sais plus. Auparavant, dans la vingtaine, j’aurais clairement
dit non ! Maintenant, je sais que cela prend ce livre pour dire pourquoi cela
dépend… Et voilà pourquoi les multiples réponses qui peuvent être formulées nécessitent une cartographie, une définition de repères, une précision
des angles de vue, des degrés de focalisation, voire de précisions. Explications qui risquent de figer tout en se définissant, par ailleurs, et ce, même en
tendant vers une cohérence qui, en fait, peut n’être jamais atteinte.
2
La Funambule, le fil et la toile – Transformations réciproques du sens du handicap
Je suis conscient que ce que j’essaie de décrire maintenant est sans
doute l’essence même de la démarche scientifique vue comme une proposition structurée, mais forcément provisoire, de construction d’un champ de
réalité.
Cet ouvrage est conçu comme un effort de création, de témoignages,
d’observations et de constats issus de méthodologies et de périples diversifiés. Il est fondé sur un désir d’en arriver à un résultat épuré, équilibré,
compréhensible, utile au lecteur. Pour que celui-ci comprenne mieux,
navigue avec plus d’assurance. Pour qu’il soit outillé afin de créer ses propres
propositions liées au processus de production culturelle du handicap.
Pour moi, aucune facette de la vie, de l’agir, de l’expérience humaine
n’est impertinente pour saisir un aspect ou un autre du phénomène du
handicap. On appréhende ainsi tout son potentiel heuristique si riche sur le
plan de l’anthropologie.
Pour Mauss (1924), le champ du handicap est conçu comme un fait
social total. Cela présente le risque d’un glissement dans l’immensité de la
problématique ontologique de la construction culturelle de l’être social, de
son expérience intime de l’existence humaine et de son action en société.
Agir au sein d’une matrice normative culturelle nous crée comme un possible
« citoyen ». Les sociétés traditionnelles diraient simplement « homme » ou
« être humain ». Mais, par l’effet réciproque de cet agir singulier, chacun
contribue à la transformation continue de sa niche écologique qui, dans
l’univers contemporain, va du micro logis personnel à l’espace culturel
mondial.
C’est pourquoi je fais appel à la notion lewinienne de champ : je
circonscris ainsi mon objet d’étude aux corps différents, car ils sont porteurs
d’écarts avec ce qui est socialement défini (Lewin, 1951). Qu’attend-on de
chaque matrice normative au sujet du corps, de son anatomie, de sa physiologie, de sa morphologie, de son esthétique et du développement de ses
aptitudes ? Qu’espère-t-on de son potentiel fonctionnel physique et mental
selon l’âge, le genre ou toute autre incorporation emblématique signifiante ? En amont, j’y inclus les discours sur les causes réelles ou symboliques
de l’apparition de corps différents. En aval, je situe les dynamiques interactives de ces mêmes corps. Comme sujets, ils agissent au sein de leur société.
La diversité des destinées humaines et des constructions identitaires en
témoigne, de même que l’espace de participation qui leur est attribué au
sein des formations sociales passées et présentes.
1 – Itinéraires, dérives et ambitions de l’auteur
3
Clins d’œil sur les affres de la gestation
et ouvertures pour trouver le fil
Premier clin d’œil : « Je » et « entre peaux » logis de la différence1
Ce qui me hérisse les poils du dos, comme pour la plupart des corps
différents, des personnes dites « handicapées », ce sont les clichés. Ne parlet-on pas de courage versus incapacités, de compassion vis-à-vis des déshérités,
de respect et de mérite, de diagnostic et de culpabilité subséquente ? Ne
suscite-t-on pas autant l’admiration, la générosité, la charité que la pitié, le
faux-semblant, la commisération ? Et même, par notre existence, justifionsnous les fondations philanthropiques ? Ne mêle-t-on pas obésité morbide,
contrôle, découragement, plaisir, confusion, perte de contrôle, demande
d’aide, vérité et hypocrisie ? Ne subit-on pas, malgré toutes les bonnes intentions, la technocratie, la procédure, l’incompétence, le pouvoir de l’expert,
la prétention de savoir, l’absence d’écoute, l’angoisse du risque ?
Trouver l’équilibre entre l’eau de rose, les beaux sentiments et la
pureté de l’acte, du geste, du lien, de la prise de position. Difficile. Qui a dit
que cela serait facile ? La possibilité de l’hétéronomie, du « tout est possible »,
implique que le pire devienne possible. Le dévoilement des tabous, l’exigence du secret, l’absence de repères, c’est la mort, la séparation, le
hors-soi.
Il n’y a que des « je » avec des « entre je », des « entre peaux » qui deviennent des représentations situées dans le temps et l’espace culturel. Ce sont
des messages perçus, des signes exprimés, des expressions symboliques, des
variations de réception de l’autre. C’est de l’intelligibilité, du sens attribué
par soi pour que le « je » existe.
Je suis mon langage, mes pensées, mes concepts. Je suis limité par la
finitude de mes conceptualisations, par la grossièreté de ma maîtrise de
leur expression codifiée dans une syntaxe compréhensible par un autre.
Deuxième clin d’œil : Être dans l’infinité du présent
Pourquoi est-il impossible d’intégrer ces individus différents ? Il y a
l’irréductibilité de certaines dissemblances à se normaliser, à disparaître
dans un processus d’assimilation. Ce n’est pas une maladie banale dont on
se guérit, c’est une dif-fé-ren-ce !
1.
Voir Fougeyrollas, 1983.
4
La Funambule, le fil et la toile – Transformations réciproques du sens du handicap
Il faut se concentrer sur le jeu systémique de l’interaction en y incorporant la temporalité. Comment la société se renouvelle-t-elle, présentement,
en introduisant de façon croissante des personnes différentes dans leurs
corps, leur conscience et leur fonctionnalité ? Comment ces identités singulières sont-elles, en retour, transformées dans le rapport entre cette
participation sociale et l’enrichissement des structures environnementales
amenées par ce processus d’ouverture inclusif ?
Il faut distinguer les trajectoires singulières des approches collectives.
Que ce soit sur le plan local, communautaire de proximité ou régional. Que
ce soit défini par les frontières des zones géopolitiques d’influence sociétale
ou, plus globalement, dans les zones transnationales.
Ordonner toutes ces variables systémiques est nécessaire à une syntaxe
de référence pour appréhender ce que signifie vivre sa différence en société.
Il faut souligner encore l’inexorabilité du changement continu des sociétés
sur le plan historique. La marge de manœuvre réside dans l’influence que
l’on exerce. La visibilité, la participation citoyenne, la prise de parole et de
pouvoir des corps différents influent sur le processus de changement systémique. Il faut, je crois, introduire les tensions entre les différences au sein
de cette dynamique.
Enfin, il faut distinguer la vision… du chemin à parcourir pour tendre
vers cette vision.
Troisième clin d’œil : De la différence
Il faut illustrer les paradoxes, cerner les enjeux du processus de
handicap et les stratégies pour le contrer, pas obligatoirement pour
prétendre donner des réponses, mais pour mieux les exposer à la réflexion.
Je pense, par exemple, à la distinction entre la différenciation radicale et
universelle de chaque être humain et à l’utilisation du concept de différence
en relation avec un champ de réalité cognitive. Je pense au point de vue
exprimant un écart, une variation en fonction de repères symboliques et
signifiants. À la base, tous les êtres humains sont des corps différents
­historiques. Leur développement est le fruit d’échanges systématiques
diachroniques entre un organisme vivant dans une matrice écologique,
physique, culturelle et sa conscience. Je dis conscience, après hésitation. J’étais
prêt à choisir présence, mais je préfère, finalement, conscience. Il s’agit d’une
structure réflexive qui inclut l’imaginaire, le rêve, l’influence de tout ce qui
devient signifiant et qui nourrit la construction du sens de cette différence.
Tout autant que la caresse d’une mère, la tartine beurrée trempée dans le
café au lait, la complicité avec ses pairs ou l’extase du cri de la corneille à
l’aube dans le pin.
1 – Itinéraires, dérives et ambitions de l’auteur
5
Il y a une parenté étroite, j’estime, entre la différence et l’identité
pour soi. Cette dernière constitue notre « je » unique ; elle nous incite à
poursuivre notre vie, à prendre l’initiative d’avancer, à demeurer sur le fil,
à maintenir notre équilibre, à ne pas chuter, à ne pas mourir. Il ne s’agit pas
de l’identité attribuée par autrui à chaque individu. Celle-ci fait référence à
des éléments réels ou imaginaires référés comme des différences personnelles signifiantes dans un contexte socio-historique. Ces différences
projetées influencent potentiellement le développement de ma bulle identitaire comme être en action indissociable de l’environnement culturel que je
fréquente, que j’habite. Mais elles ne peuvent jamais coïncider avec ce qui
constitue ma différence radicale à chaque instant de ma vie.
Il est donc nécessaire de distinguer ici le processus anthropologique
universel de construction de l’être différent de la production des composantes des champs biologiques, fonctionnels, comportementaux, identitaires.
Il faut aussi singulariser conscience et habitus en action avec le contexte
culturel. Les variations en émergeant sont susceptibles d’être isolées, étiquetées, signifiantes et constituent dès lors un soutien symbolique à l’expression
d’une différence. Une fois sélectionnée, reconnue, élaborée, cette altérité
spécifique se voit attribuée une valeur. Ce quelque chose désormais distinct
qui vaut la peine qu’on le caractérise dans un contexte culturel particulier.
En cela, les différences significatives sur lesquelles sont constitués les
groupes humains se distanciant les uns des autres sont habituellement de
cet ordre : morphologie, couleur de la peau, genre, pratique sexuelle, âge,
origine ethnique, comportements sociaux, territoire occupé et histoire
culturelle.
Il est d’ailleurs envisageable d’un point de vue collectif d’utiliser la
notion de minorité sociale pour englober les personnes qui ont des différences organiques et fonctionnelles. La gestion sociale ambiante adopte ces
caractéristiques comme soutiens légitimes pour une attribution de traitements sélectifs, négatifs ou positifs, entraînant une discrimination ou
donnant accès à des « droits particuliers » ou simplement au droit à l’égalité.
On contrebalance alors les incapacités et les situations d’écart par des
systèmes de compensation, d’aides, des services particuliers individuels ou
par des mesures collectives de discrimination positive et de transformations
sociétales inclusives.
Quatrième clin d’œil : La funambule entre en scène
Plaisir de croire aux signes ? Comme l’apparition soudaine de Catherine Léger, cette jeune Québécoise funambule témoignant avec éloquence
de sa passion, sur TV 5, hier soir. Elle arrive juste au moment où je jongle à
choisir cette métaphore comme illustration du développement humain.
6
La Funambule, le fil et la toile – Transformations réciproques du sens du handicap
J’aime la convergence des coïncidences ; elles illustrent la possibilité, par
l’avènement de découvertes étonnantes, de l’avancement continu du présent.
Ce qui me séduit dans l’intervention de la funambule, c’est qu’elle souligne
l’obligation d’une pleine attention, d’une totale conscience de l’existence
présente, du véritable ici et maintenant, de l’éveil vital. Elle exprime l’expérience de contrôle de sa vie, la possibilité de choisir de mourir, et surtout la
conscience d’être toujours si proche de la mort, « à une longueur de bras »,
disait Don Juan à Castaneda (1985). C’est cette vulnérabilité assumée qui
donne le bonheur de vivre. Elle représente l’interaction constante des forces
internes et externes qui s’épousent dans l’équilibre du mouvement.
Une limite à l’analogie de la funambule – j’ai décidé alors qu’elle
serait féminine – avec la création continue du sens que l’on donne à la vie,
c’est que l’ancrage de l’autre extrémité du fil est inconnu, énigmatique,
mais pas du tout aléatoire. C’est qu’elle résulte de la construction complète,
à chaque instant, à chaque respiration, à chaque incorporation créatrice, de
notre différence radicale.
Bien qu’elle soit toujours présente, il est rare d’être pleinement cette
conscience à la fois apaisée, aiguë et fine. C’est une sensation inhabituelle
de bien-être au cœur de notre bulle dont toute l’énergie vitale, le pouvoir
d’expression, la puissance d’action, l’épanouissement sont paradoxalement
ancrés dans sa vulnérabilité, sa malléabilité, sa plasticité, voire sa possible
finitude tout au moins sur le fil de chaque vie.
Cela me permet de saisir l’importance, dans ma démarche, de toujours
rappeler la singularité du développement de chaque être humain et de
cerner le processus réactionnel, diachronique, dans le temps qui, en parallèle, bâtit le sens qui le fait avancer sur son fil.
Ce sens, ce tissu de signifiants est complexe, touffu. Il est fait de
­l’intégration consciente et inconsciente de la réflexivité de tous les dits, les
non-dits, les imaginaires et les incorporations sensorielles, affectives,
émotionnelles de chaque voyage dans ce monde partagé avec les autres,
au-delà de notre peau, de notre micro-espace. Dans ce périple, certains
instants, certaines continuités dans l’interaction dynamique avec la toile
culturelle, tissée des liens sociaux, vont se cristalliser en des ancrages symboliques, semblables à des îles sur la mer ou des inukshuks dans le Nord. Ce
sont ces repères de sens accessibles à notre conscience ou enfouis, nos
émotions qui permettent l’ouverture, la liberté du choix, l’assurance du pas,
l’équilibre des forces. Ils légitiment aussi les blessures, les fracas, les disjonctions, les souffrances, les replis sur soi, les angoisses, les castrations, les
fermetures réelles ou imaginaires des potentialités.
C’est pourquoi il y a pour moi une incongruité immense, une disproportion gigantesque et, en fait, une incompréhension totale dans la
1 – Itinéraires, dérives et ambitions de l’auteur
7
prétention de cerner quelque chose que l’on appellerait le handicap ou
encore le shakespearien « être ou ne pas être » handicapé.
La funambule est en mouvement vers le cosmos. Elle avance au cœur
de sa différence de sujet en structuration, embrasse l’univers, comme une
étoile filante, sans jamais vouloir connaître dans les détails les calculs et les
complexités des influences mutuelles qui font qu’elle est en équilibre et
qu’elle vit.
Ma prétention est simplement de dire que la construction du sens de la
différence est le fruit d’un processus mouvant de signifiants attribués à des
éléments. Il est possible de les situer dans des domaines ou des sous-ensembles, de les décrire et les repérer empiriquement lorsqu’ils orientent la liberté
de choisir des êtres humains au sein de leurs matrices historiques.
Chaque corps différent, par son avancée dans son existence, transforme son monde culturel. Et alors tout se passe comme si le fil et l’espace
en avant n’étaient pas donnés, prédéterminés.
Retracer les influences réciproques du système de développement
humain et de production du handicap, appliqué à une réalité empirique,
devient source d’ébranlement des certitudes, de prise de conscience du
caractère éphémère des normes et de leur relativité. Cela permet cependant
de constater la mouvance des signifiants et la transformation des matrices
culturelles sociétales par l’ouverture des possibilités, la visibilité et l’expression explicite des constituants de la diversité. Il s’agit d’un repérage, sur la
toile contextuelle, des représentations et des produits sociétaux (institutions,
habitus, techniques ou produits techniques, règles formelles et informelles)
qui entravent l’exercice des droits humains. C’est une exploration de ce qui
fait obstacle au développement ou à l’épanouissement des potentiels. C’est
une reconnaissance de ce qui brime la liberté de choix sur la base de différences corporelles ; c’est l’identification de degrés de capacités fonctionnelles
à exécuter des activités physiques, cognitives ou comportementales. Cet
examen analyse les modalités de réalisation des habitudes de vie et propose
l’utilisation d’aménagement adapté, des aides techniques ou animales, de
l’accompagnement humain ou d’accommodations architecturales. Tout cela
est foncièrement relié à une conception universelle des infrastructures
bâties, des technologies et des procédures d’accès aux échanges et aux
productions socioéconomiques et symboliques.
Cet enjeu de notre époque reste au cœur du développement d’une
anthropologie contemporaine. Celle-ci s’oriente vers le changement culturel
fondé sur l’équité, la justice sociale, le développement et la préservation de la
diversité des humains et leur épanouissement dans l’enrichissement du pluriel
et du métissage. Elle accompagne la reconnaissance de la prise de parole des
plus vulnérables ; elle soutient ceux dont les écarts d’intégrité organique ou
fonctionnelle font varier d’intensité le destin partagé de développement
8
La Funambule, le fil et la toile – Transformations réciproques du sens du handicap
général des êtres humains. Cette science sert d’appui aux corps différents
dont les potentialités d’existences sociales épanouissantes, singulières, reconnues, valorisées dépendent d’une ouverture véritablement démocratique.
J’hésite à dire inclusive à cause de la charge idéologique associée à ce concept
lorsqu’il est utilisé seulement pour signifier qu’il faut faire de la place aux
exclus sans sous-entendre que cela ne peut se faire en dehors d’une transformation d’ensemble des repères normatifs des inclus. Et mon questionnement
se poursuit particulièrement à propos des différences dominantes selon
lesquelles et à partir desquelles sont articulés les rapports de pouvoir, d’autorité, de domination. Ces mêmes rapports légitiment alors cette espèce de
ploutocratie de la similitude où l’appartenance à la « bonne sorte » de déviance
garantit une meilleure écoute.
Je dénonce tout autant la chasse à l’« handicapisme » que l’éloge
élitiste des porteurs de certains handicaps homologués qui entraîne des
phénomènes culturels de dérive intégriste. Leur occurrence pollue les
mouvements sociaux modernes au même titre que ce qui se développe avec
certains discours contemporains sur le féminisme, le jeunisme, l’âgisme ou
la francophonie québécoise, par exemple. Au-delà du regard anthropologique à poser de façon plus intense sur ces phénomènes de crispation et de
fermeture dans le champ du handicap, il m’apparaît essentiel et nécessaire
d’assurer une vigie constante. Il faut repérer rapidement la production de
nouvelles contraintes internes fondées sur la sacralisation d’une différence.
Tout comme on doit dénoter la persistance d’anciennes qui s’installent au
nom de la préservation de la tradition, de droits revendiqués par des minorités culturelles ou des groupes de population.
Une anthropologie engagée facilite la compréhension des dynamiques de transformation des matrices culturelles sociétales incluant les corps
différents. Elle dénonce aussi les atteintes aux droits humains, légitimés
souvent par les préjugés envers ces porteurs de différences, même s’ils sont
fondateurs de viabilité de la formation culturelle. Malgré le risque d’ébranlement de minorités culturelles attaquées par de telles divulgations et tout
en demeurant conscient des enjeux éthiques sous-tendus par ces mises au
jour publiques, il est essentiel de ne pas s’en tenir à une tolérance bienveillante de maintien de discriminations et de destins fermés. La pérennité
des traditions culturelles formant le sens de la communauté visée ne justifie
pas l’aliénation des droits de quiconque.
Le travail anthropologique cherche à aborder ces particularités dans
leurs complexités d’interrelations systémiques afin d’expliquer les variations de développement humain. C’est au décryptage des composantes des
systèmes et de leurs influences réciproques dynamiques que l’on identifie au
champ de réalité du « handicap » que cet ouvrage est consacré.
1 – Itinéraires, dérives et ambitions de l’auteur
9
Cinquième clin d’œil : Pour une anthropologie
du développement humain
Vivre, c’est respirer, avancer, tendre vers, se développer, croître,
apprendre, désirer, s’épanouir, lutter, rêver, fantasmer, agir, se réaliser.
C’est être.
Au commencement, il y a la vie. Cela induit que les conditions favorables et nécessaires à l’étincelle et à la continuité du vivant existent. Déjà,
l’enfant naît comme un aboutissement ancré dans l’origine. Le flux de
l’énergie évolutive le rend possible. L’individu humain demeure singulier,
unique, fondamentalement différent. Il est en devenir. Il ne peut être qu’un
succès du présent, qu’un flot d’instants issus de sa coïncidence adaptative à
sa niche écologique. Le poupon résulte de l’histoire de ses parents, de ses
ancêtres. Il possède, dira-t-on, une préhistoire, qui lui est propre.
En tant qu’être vivant, il est par essence semblable aux diverses entités
qui occupent le monde sur le plan de la biologie, du bagage, de l’encodage.
Mais aussi, jusqu’à preuve du contraire, en tant qu’être humain il s’affiche
radicalement différent, par son degré d’inachèvement, des autres espèces
vivantes. Il se distingue par sa non-spécialisation, son ouverture aux possibles, sa plasticité et son extrême vulnérabilité durant la période prolongée
nécessaire à son développement. Moins déterminé que les autres espèces
sur le plan de l’expression des potentiels encodés, de l’inné, du donné génétique, il révèle, plus que toutes les autres, un besoin fondamental d’une
matrice culturelle pour rendre possible son développement en tant que
personne. Être créé en tant que personne est un rite de passage universel
nécessaire pour se voir attribuer un nom, pour se voir reconnu et apprécié,
modelé, configuré comme signifiant, donc viable socialement et, de ce fait,
apte à intégrer son groupe de semblables.
Les règles végétatives et les instincts se présentent comme des programmes,
les roses et les panthères sont « programmées » pour être ce qu’elles sont,
pour agir comme elles agissent et pour vivre comme elles vivent. Nous aussi,
les êtres humains, sommes programmés, mais dans une mesure tout à fait
différente : notre structure biologique répond à des programmes stricts, mais
pas notre aptitude symbolique (dont dépendent nos actions). Disons que
nous, les êtres humains, sommes programmés en tant qu’« êtres » mais pas en
tant qu’« humains ». Nous recevons dans notre dotation génétique la capacité
innée de mener des comportements non innés2.
Le modèle anthropologique de développement humain provient de
cet inachèvement relatif, de cette incapacité génétique des êtres humains à
se développer en tant que personnes sans l’interaction durable de leurs
2.
Savater, 2005, p. 21-22.
10
La Funambule, le fil et la toile – Transformations réciproques du sens du handicap
potentiels biologiques organiques et fonctionnels avec un environnement
culturel. Ce milieu attribue une place symbolique et un accès à un ensemble
de gestes, de nourritures et de stimulations affectives, matérielles et
sociales.
Ce modèle de développement humain est valable pour tous les êtres
humains. Il est d’emblée orienté par l’ouverture des possibles et l’incertitude relative vis-à-vis de ce que deviendra « la personne » sur la base de son
empreinte génétique. Il met l’accent sur la nécessité de la prise en compte
de la diversité et sur la grande complexité de la prothèse culturelle. Les
êtres humains dépendent de cet écosystème pour devenir des êtres sociaux,
des sujets parlants. Ces derniers ont alors le potentiel de devenir signifiants
pour les autres et pour eux-mêmes.
Le développement de l’être humain est très long, avons-nous amené
ci-dessus. Mais, en fait, son processus d’apprentissage ne s’arrête jamais, se
poursuit jusqu’à la mort. Ses premiers stades de coadaptation et d’interdépendance avec sa matrice culturelle et physique au cours de l’enfance sont
cruciaux pour le développement optimal de ces potentiels, et ce, quels qu’ils
soient au départ. Dans cette perspective, le modèle de développement
humain est universel et inséparable de la prise en compte des matrices
écosystémiques. D’une extrême diversité, elles constituent l’objet de développement des connaissances de la discipline anthropologique.
Je ne suis d’ailleurs pas certain qu’il faille ici parler de « discipline ». Il
s’agit plutôt de la production de savoirs et de discours sur les modalités du
« vivre ensemble » à partir de points de vue diversifiés et transdisciplinaires.
Pensons à la toile tissée par tous les fils des funambules en mouvements
interdépendants.
Pour moi, une qualité première du regard anthropologique est la
reconnaissance avec humilité que le savoir n’est pas acquis, que le travail
d’observation d’une mise en relation complexe doit toujours s’effectuer sans
a priori. Cela va de la découverte de produits « originaux » et déconcertants
par leur « créativité » d’agissements aux liens sociaux et aux modes de
production du réel, voire ce que l’on en dit. Il faut convenir que cette
nouvelle connaissance acquise ne peut que tendre vers celle des autres en
tant que « sujets » de ce mode d’être humain étudié. Elle sera toujours
inachevée, subjective, toujours liée à ses propres incapacités et aptitudes
analytiques du sens de ce qui est exploré. Cela n’enlève rien de son utilité,
de l’enthousiasme et de la passion que chacun y met. D’ores et déjà, ce
regard concède la modestie de son apport. Il souhaite cependant ardemment que son approche complémentaire ou contributive soit révélatrice
d’éclairages neufs sur le plan de la généralisation, d’une part. Propositions
et débats théoriques associés à l’intelligibilité des êtres humains en société
ne peuvent que favoriser l’avancement des savoirs, d’autre part.
1 – Itinéraires, dérives et ambitions de l’auteur
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Faire de l’anthropologie, c’est parler d’un phénomène maillé au
« vivre ensemble » des êtres humains à partir d’un point de vue conscient de
sa subjectivité. C’est viser à élaborer une interprétation, une compréhension
d’une dynamique sociale à partir de quelques facettes, composantes, expressions localisées, bien observables et décryptables. Cet ouvrage identifie le
handicap comme lieu de recherche. Cela n’empêche pas d’avoir la prétention de contribuer au développement de la théorie et de proposer des
approches méthodologiques susceptibles d’éviter à d’autres écueils et difficultés dans le travail empirique d’analyse des diverses expressions de l’objet
étudié. Cet essai, insistons-nous, a aussi pour but de faciliter le développement et le transfert de connaissances susceptibles de contribuer au
changement social.
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