Recherche et création

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Université de Paris Sorbonne-Paris IV
UFR de Musique et Musicologie
Maxime LAVOINE Master 1
4, rue des Bouchers de Cité
appartement 5
62000 ARRAS
n° étudiant 10402291
Dossier dans le cadre du cours de
Stylistique des langages musicaux :
Recherche et création
Le cursus de Master est organisé de telle manière que certains étudiants sont parfois
contraints à suivre des cours enrichissants, mais qui ne représentent pourtant aucunement leur
spécialité musicologique. C’est pourquoi le sujet traité ici sera en rapport direct avec ma
spécialité musicologique qu’est la musique ancienne, pour que cette étude soit d’un intérêt
total.
La thématique développée est donc la reprise d’éléments médiévaux dans la musique des
impressionnistes du début du XXe siècle et chez leurs successeurs. Ces éléments concerneront
aussi bien les sources littéraires utilisées par les compositeurs que les caractéristiques
poétiques et musicales de l’époque.
Au début du
e
XX
siècle, on s’attache de plus en plus à l’Histoire de la Musique et on la
« considère avec les yeux du présent ».1 C’est ainsi que Johann Sebastian Bach est souvent
cité, chez Ferruccio Busoni (Pièces) ou Alban Berg (Concerto pour violon) et que Couperin et
Rameau servent de référence à Claude Debussy. Mais l’attirance pour le Moyen Âge est aussi
bel et bien présente, à différentes échelles. C’est en effet à partir de 1850 que certains
compositeurs reçoivent une formation spécialement médiévale lors de la création des deux
grandes écoles : l’Ecole Niedermeyer (où Fauré est formé) et la Schola Cantorum (où Roussel
est formé).
C’est aussi par curiosité que les compositeurs puisent leurs sources dans le passé.
1
MICHELS, Ulrich. « XXe siècle : Conception de la Musique ». Dans le Guide illustré de la musique, Volume II
traduit de l’allemand par Jean GRIBENSKI et Gilles LEOTHAUD. Paris : Fayard, 1988, p. 517.
1
1. Les modes médiévaux
La modalité tient une place importante chez les impressionnistes du début du
e
XX
siècle. Cette modalité est aussi bien médiévale (Berlioz a été le premier à la réutiliser), que
grecque (on doit à Maurice Emmanuel la découverte des modes grecs anciens) ou extraeuropéenne (théorisation des modes karnatiques – pour le rythme – par Olivier Messiaen).
Olivier Messiaen, qui a notamment théorisé les modes à transposition limitée, aime utiliser les
mélodies de plain-chant, comme dans la quatrième pièce de La Nativité du Seigneur de 1935.
Dans les Couleurs de la Cité céleste, œuvre datant de 1963 – et donc dépassant notre cadre,
mais intéressante à signaler –, il réemploie une mélodie de plain-chant en utilisant un rythme
karnatique tout en respectant le « rythme » originel de la mélodie.2
Exemple 1 : Schéma explicatif montrant la reprise du plain-chant et l’utilisation du mode
rythmique Pratâpeçekhara/viyava dans les Couleurs de la Cité céleste.
Une thèse a été entièrement consacrée sur l’étude de l’utilisation des modes grégoriens
chez Claude Debussy3 (qui s’est déplacé en 1893 à l’abbaye de Solesmes), et révèle qu’il a
souvent utilisé les premier, quatrième et huitième modes, soit les modes phrygien (comme
dans le Quatuor à cordes en sol mineur), dorien (ci-après dans l’exemple 2 extrait de
« Canope », Préludes) et lydien.
L’utilisation des modes était utile pour transcrire une impression, suggérer une atmosphère, le
climat de « l’ancien ». Les modes étaient utiles pour faire référence à l’histoire, au médiéval,
mais aussi à l’Église : qui aujourd’hui ne dit pas, lorsqu’il entend une mélodie modale : « du
chant grégorien » ?
2
MICHELS, Ulrich. « XXe siècle : Forme musicale ». Dans le Guide illustré de la musique, Volume II traduit de
l’allemand par Jean GRIBENSKI et Gilles LEOTHAUD. Paris : Fayard, 1988, p. 517.
3
D’ALMENDRA Julia . Les Modes Grégoriens dans l’œuvre de Claude Debussy. Paris : G. Enault, 1950.
2
Exemple 2 : Claude Debussy : « Canope » extrait
des Préludes (II), mesures 1 à 5.
Dans « Des Pas sur la Neige », aussi extrait des Préludes, on peut aussi remarquer un mode de
la sur ré (en raison de la présence d’un si bémol). Le mode dorien est aussi utilisé dans le
Prélude à l’après-midi d’un faune (chiffre 5), comme le montre l’exemple 3 :
Exemple 3 : Claude Debussy :
Prélude à l’après-midi d’un
faune, chiffre 5.
Nous citerons également deux œuvres en parfaite cohésion avec ce paragraphe et signées de la
main de Charles Koechlin : la Sonatine modale pour flûte et clarinette et les Motets de style
3
archaïque. Malheureusement, ces œuvres restent introuvables sur le marché du disque et
difficiles d’accès sur celui de l’édition. Michèle Reverdy nous informe que « [sa] curiosité
inlassable l’amènera à pratiquer, sur les bases d’une écriture traditionnelle, la polytonalité et
l’atonalité, et à introduire dans ses œuvres l’usage des modes anciens ».4
2. Les accords de quarte et quintes
Les deux accords de quarte et de quinte peuvent faire référence au Moyen Âge. Ils ne
sont pas forcément toujours utilisés à ce dessein et il ne faut pas y voir nécessairement des
références médiévales. C’est la conscience historique qui imprègne les œuvres, sans que les
œuvres ne renvoient forcément à cette conscience. Mais des analogies sont forcément à
constater.
C’est ainsi que Claude Debussy aime utiliser des parallélismes harmoniques, comme une suite
d’accord de quintes dans « La Cathédrale engloutie » (extrait des Préludes) où nous pouvons
voir en rouge dans l’exemple 4 les intervalles de quinte, et en vert ceux de quarte. Les accords
pédale (représentants l’eau), en plus d’être jeu de résonnance, sont aussi jeu de bourdon, un
autre élément très utilisé dans la musique populaire médiévale. Suivent à cette superposition
au parfum antique des suites modales d’accords de trois sons (représentants les cloches).
Exemple 4 : Claude Debussy : premières mesures de « La Cathédrale Engloutie » extrait des
Préludes.
Claude Debussy affectionne particulièrement ce jeu d’intervalles, et écrit même une « Étude
pour les quartes », troisième de ses Douze Études.
4
REVERDY, Michèle. « Claude Debussy » dans Jean et Brigitte MASSIN, dir. Histoire de la musique occidentale.
Paris : Fayard « Les indispensables de la musique », 1985, p. 951.
4
De son côté, Ravel termine le Tombeau de Couperin par une « Toccata », danse typiquement
ancienne, qui se termine même par une quinte à vide, ici très significative. Dans l'introduction
de L'enfant et les sortilèges, on peut entendre deux hautbois jouant en quintes parallèles des
mélodies relativement conjointes, ressemblant d’ailleurs aux « Nuages »
(extraits des
Nocturnes, exemple 5) de Debussy.
3. Le rythme
La musique de la période impressionniste est plus suggérée que celle de la période
précédente. Ces allusions, ces suggestions se font sentir dans l’interprétation du rythme
notamment. Une grande part de liberté est laissée à l’interprète. Le rythme perd également sa
carrure classique, dans le Prélude à l’après-midi d’un faune par exemple.
Les « Nuages » (extraits des Nocturnes) sont un bon exemple car peuvent refléter deux
aspects de la rythmique médiévale :
- d’une part, la régularité et la simplicité avec le long cortège d’accords en noires au début de
l’œuvre mais revenant tout le long de l’extrait :
Exemple 5 : Claude Debussy : « Nuages » extrait des Nocturnes, au chiffre 2.
- d’autre part, le thème chaleureux du cor anglais, à la manière d’une mélodie grégorienne :
très conjoint, uniquement constitué de blanches (longues) et de noires (brèves) et précédé
d’une montée un peu plus rapide.
5
Exemple 6 : Claude Debussy : « Nuages » extrait des Nocturnes, au chiffre 1.
Au niveau rythmique, il a déjà été signalé l’affection pour les bourdons : nous avons aussi un
bel exemple de sons pédale dans les « Voiles » extrait des Préludes de Debussy.
Chez Erik Satie, le Prélude Fête donnée par des Chevaliers Normands en l’Honneur
d’une jeune Demoiselle est aussi un bel exemple de rythmes simples : il est construit en
accords de quatre à six sons, entrecoupés de mélodies conjointes en octaves simples et tout est
en noires ou blanches à un tempo « lent ». Tout cela renvoie parfaitement au Moyen Âge,
suggéré déjà par l’aspect polymodal de la pièce, mais aussi par le titre, le compositeur
indiquant même la date du XIe siècle.
Les mêmes constatations peuvent être faites pour les quatre Ogives qu’Erik Satie a
composées. La référence médiévale thématique est cette fois architecturale, l’ogive désignant
la forme des voûtes, à dimension donc religieuse (la voûte étant la direction du Ciel). Le
Moyen Âge est en effet souvent confondu avec Chrétienté, car c’est la grande période du
pouvoir de l’Eglise sur le Monde. On retrouvera ces éléments dans les Danses gothiques et la
Messe des Pauvres.
Les deux Préludes du Nazaréen sont aussi simplistes dans leurs rythmes (des croches, des
noires et quelques blanches ainsi que quelques triolets dans le Deuxième Prélude).
Tous les préludes du compositeur sont d’ailleurs sans barre de mesure, ce qui est très
significatif. L’atmosphère est toujours au recueillement. Avec Erik Satie, le prélude perd son
statut « d’entraînement pour les doigts » qu’il avait à l’origine et devient « mise en place du
climat ». Le destinataire s’inverse : le prélude n’est plus écrit pour l’interprète, mais pour
l’auditeur.
Les procédés de taleae (isorythmie) sont également réemployés par des compositeurs comme
Olivier Messiaen (Cinq rechants, 1948) ou George Crumb (Makrocosmos III, 1974).
6
4. Thèmes littéraires et genres musicaux
Les références aux thèmes médiévaux sont nombreuses, qu’elles soient poétiques,
romanesques ou légendaires. Comme on l’avait déjà fait plus tôt, on se tourne dans cette quête
d’une nouvelle simplicité, vers l’Antiquité.
« Les trois Chansons de Billitis […] furent composées en 1897 sur des textes de Pierre Louÿs.
L’écrivain, en effet, avait écrit de délicieux pastiches de poèmes grecs, affirmant n’avoir fait
que la traduction d’un texte ancien inconnu jusque-là. On est frappé par la correspondance qui
existe entre ces textes où rien n’est appuyé, mais seulement murmuré ou suggéré, et la
poétique debussyste qui procède d’un sentiment ambigu, fait à la fois de réserve faussement
candide et d’audacieuse impertinence. »5
De nombreuses œuvres font référence à la littérature médiévale, et il ne serait pas judicieux de
toutes les citer ici. L'univers entier de Ravel par exemple, et notamment son goût pour la
féérie (L'enfant et les sortilèges, Ma mère l'oye) peuvent faire penser à l'imagerie médiévale
(Contes, chevaliers, princesses...)
On réutilise aussi les genres anciens, comme :
- le mystère : Le martyre de Saint-Sébastien de Claude Debussy ou, plus tard, SaintFrançois d’Assise d’Olivier Messiaen en sont des exemples ;
- la chanson archaïque (strophique) : « La Fille aux cheveux de lin » extrait des
Préludes de Debussy peut être considérée comme en étant une, en plus de tous les
intervalles de quintes et quartes qu’elle contient, la modalité et les rythmes plutôt
dansants ;
- le motet que Koechlin réutilisera dans ses Motets de style archaïque.
Cette génération de compositeurs va ouvrir des portes à la suivante. C’est ainsi que
Jehan Alain composera sa Suite monodique et ses Litanies à la fin des années 1930, qu’André
Jolivet composera en 1944 son Etude sur des modes antiques (dans laquelle sont utilisés les
modes de la, fa et mi), et Ohana, en 1965, ses Neumes.
5
REVERDY, Michèle. « Claude Debussy » dans Jean et Brigitte MASSIN, dir. Histoire de la musique occidentale.
Paris : Fayard « Les indispensables de la musique », 1985, p. 953.
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