ACCÉSSS Alliance des Communautés Culturelles pour l'Égalité dans la Santé et les Services Sociaux Adhésion au traitement en contexte interculturel Présentation de Soumya Tamouro et de Jérôme Di Giovanni ACCÉSSS 3ième Symposium sur l’adhésion au traitement – « Pleins feux sur l’adhésion au traitement » Québec, novembre 2011 1. ACCÉSSS – un centre d’expertise en interculturel Fondée en 1984, ACCÉSSS (Alliance des Communautés Culturelles pour l’Égalité dans la Santé et les Services Sociaux) est un regroupement de 110 organismes voué à la promotion de l’accessibilité et l’adéquation des services sociaux et de santé aux membres des communautés ethnoculturelles établis au Québec. Depuis près de cinq ans, plusieurs organisations sont devenues membres d’ACCÉSSS à cause de l’augmentation de leur clientèle de différentes origines ethnoculturelles. L’effectif du regroupement a donc plus que triplé durant cette période. ACCÉSSS, de par sa mission et son expérience, est devenue un chef de file dans le dossier de la formation et de l’information aux intervenants/es des établissements et des organismes communautaires quant aux réalités des immigrants (es) et à l’intervention en contexte interculturel. ACCÉSSS est un organisme formateur agrée, en Santé et en Services sociaux dans le cadre de la Loi 90 portant sur la formation de la main d’œuvre québécoise. Cela suppose de bien connaître la réalité à la fois du territoire et du système et aussi d’élaborer la formation, de développer des pratiques et des outils à l’intention du personnel du réseau sanitaire et communautaire et de diffuser l’information sur le système de santé et des services sociaux auprès des communautés ethnoculturelles. 1 Nos interventions fournissent aux dirigeants d’établissements de santé ainsi qu’au personnel professionnel un soutien pratique pour faire face aux phénomènes sociaux issus de la diversité et de l’immigration. ACCÉSSS, à travers ses formations et outils, développe des compétences et fournit des conseils pratiques pour permettre une action efficace au sein du réseau de la santé. 2. Le réseau de la santé et l’interculturel Dans un contexte d’immigration, l’interculturel se définit comme les rapports entre groupes de cultures et de pratiques sociales différentes, menant à de nouveaux rapports sociaux et, notamment, à l’émergence d’une nouvelle culture de gestion des services publics. Ainsi, l’interculturel conduit à des transformations dans nos façons de faire et d’agir. Les relations interculturelles conduisent à la mise en place d’instruments de transformations sociales menant à la redéfinition de la société. Au travers de la diversité de leurs langues, systèmes de valeurs et comportements, les communautés ethnoculturelles influencent le quotidien des établissements du réseau. Dès lors, quelles sont les compétences requises pour offrir une prise en charge adaptée? Et comment assurer une qualité optimale des soins de santé en dépit de la diversité des besoins? Les interventions d’ACCÉSSS s’adressent à cette problématique : par la production d’outils culturellement et linguistiquement adaptés, par ses sessions d’informations, par ses formations, par le développement d’outils et en fournissant au personnel du réseau des conseils pratiques pour répondre aux besoins des Québécois et Québécoises issus de l’immigration. Dans la pratique clinique, la communication est essentielle dans un environnement où se parlent plusieurs langues étrangères et interagissent plusieurs cultures. La gestion de la diversité, considérée comme un défi au MSSS et au réseau, doit être analysée sous l’angle de la qualité des prestations, des principes d’efficacité et d’efficience, du développement des compétences du personnel, de l’information destinée aux communautés ethnoculturelles ainsi que celui de la redéfinition des programmes et services existant et de leur financement. Les barrières linguistiques et culturelles se répercutent dans le dépistage, le diagnostic, le traitement et les suivis liés au traitement, ainsi qu’à l’adhésion au traitement. Le principe de l’égalité de résultat (élimination des inégalités en santé) exige des 2 établissements de santé qu’ils créent les conditions permettant à chaque personne de bénéficier d’un accueil, d’un traitement et d’un suivi médical adaptés à sa situation, indépendamment de sa culture d’origine, de sa langue, de son sexe, de sa religion ainsi que de sa situation sociale et économique. Ces barrières et ces inadaptations engendrent des coûts supplémentaires au réseau de la santé. Sur le plan social, cela donne lieu également à des coûts relatifs au temps de travail perdu, le stress des intervenants, le fardeau imposé au fournisseur de soins, les coûts de l'augmentation des services sociaux et le bien-être du patient. De plus, ces barrières de communication engendrent de nouveaux défis d’apprentissage pour le personnel en santé. Les mesures visant à développer les compétences en interculturel du personnel, à améliorer l’efficience et l’efficacité des structures, la qualité des services, des procédures médicales et des résultats du traitement englobent expressément les aspects spécifiques à la gestion de la diversité. Ils sont la pierre angulaire d’une prestation effectivement orientée sur le patient. Tenir compte des différences qui apparaissent dans toute nouvelle situation, c’est se donner la possibilité de concevoir des structures et des procédures qui mènent à des résultats adaptés à chaque cas. 3. L’adhésion au traitement et les patients des communautés ethnoculturelles Dans le cas de l’intervention en milieu ethnoculturel, l’adhésion au traitement est un problème multifactoriel qui dépasse largement les caractéristiques scientifiques de la maladie. Le médecin doit également s’intéresser à la manière dont le patient vit la maladie et adhérera au traitement prescrit. La structure d’accès aux soins, les facteurs liés à la qualité de la relation et de la communication médecin/patient, la nature de la maladie, le parcours migratoire, le statut d’immigration, la culture et les croyances religieuses du patient conditionnent, à la fois, le recours aux soins et l’adhésion au traitement. Voici certaines de ces barrières : Premièrement, la qualité de la communication entre les professionnels de santé et leurs patients ethnoculturels est déterminante pour l’adhésion de ces derniers au traitement. Elle est affectée par des différences d’ordre linguistique, religieux et culturel qui peuvent, d’une part, conduire à l’établissement d’un diagnostic erroné et, d’autre part, entraver la collaboration du malade au traitement prescrit par le médecin. En conséquence, le patient se sent « non compris » par le médecin qui ne tient pas compte 3 de ses particularités ethnoculturelles, religieuses et migratoires. Cette relation se limite le plus souvent à lui fournir quelques explications rapides sur la maladie et son évolution, ainsi que sur la nécessité de suivre le traitement jusqu’à la fin, sans se préoccuper de savoir si son patient les a vraiment comprises. Il existe un autre problème communicationnel qui se présente lorsque les patients des communautés ethnoculturelles se font accompagner d’un parent bilingue qui leur sert d’interprète. Dans ce cas, le médecin n’a aucun contrôle sur l’information médicale qui est effectivement transmise au patient. Deuxièmement, le peu de temps dédié au patient au cours de la consultation médicale empêche toute tentative de ce dernier de discuter des aspects socioculturels et religieux associés à sa maladie ou de son impact social qu’il peut y avoir sur sa famille. Le médecin interroge le patient sur les symptômes. Ensuite, ce dernier prescrit un traitement. La communication entre le médecin et le patient porte principalement sur la maladie ou la condition à soigner. Dans certaines sociétés, bon nombre de maladies sont porteuses de préjugés et provoquent l’exclusion sociale, tel que les cancers féminins. D’où la tendance des patients à nier le diagnostic et le traitement. Troisièmement, une fois sortis du bureau du médecin, les nouveaux arrivants sont laissés à eux-mêmes, c’est-à-dire sans aucune surveillance du traitement, ni contrôle des effets secondaires. Ils n’ont pas accès aux services publics d’information. Quatrièmement, en dehors des problèmes de communication, les conceptions de la maladie et du traitement peuvent être différentes de celles de la médecine occidentale. Ces conceptions influencent autant le comportement du malade que celui des membres de sa famille et de sa communauté ethnoculturelle. Ainsi, les conceptions étiologiques différentes, entre le système occidental et non occidental, conduisent à des rapports différenciés à la maladie, influençant le diagnostic, le traitement et le suivi au traitement. En conséquence, certains patients de différentes origines ethnoculturelles recourent également aux pratiques thérapeutiques de leur pays d’origine, et cela, à l’insu du médecin traitant. Cinquièmement, la perception du médecin relativement aux croyances religieuses et à la culture de son patient influence son appréciation sur l’importance (ou non) de 4 transmettre certaines informations à son patient, compte tenu du niveau de compréhension supposé de ce dernier. Si les professionnels de la santé ne tiennent pas compte des différences linguistiques et culturelles de leurs patients, cela altérera leur communication et relation. Ainsi, pour être efficaces, les professionnels de santé doivent reconnaître, avant tout, que l’adhésion au traitement pour un patient des communautés ethnoculturelles est une problématique multifactorielle. Elle s’articule notamment en termes des caractéristiques socioculturelles du patient, ainsi qu’en termes d’attitudes et d’attentes du personnel de santé. 4. La Loi de la Santé et des Services sociaux : l’adhésion au traitement et l’interculturel L’approche clinique centrée sur le patient, telle que préconisée par la Loi de la Santé et des Services sociaux, ne peut être appliquée sans tenir compte de ces facteurs. Le patient des communautés ethnoculturelles ne peut pas prendre part aux décisions le concernant, tant pour le diagnostic que pour le traitement. Il ne peut donc pas exprimer ses besoins au médecin traitant ou à l’institution de santé. Nous faisons notamment référence aux articles suivants de la Loi de la Santé et des Services sociaux : Réalisation des objectifs : 2. Afin de permettre la réalisation de ces objectifs, la présente loi établit un mode d'organisation des ressources humaines, matérielles et financières destiné à : 2.5 tenir compte des particularités géographiques, linguistiques, socioculturelles, ethnoculturelles et socio-économiques des régions; 2.7 favoriser, compte tenu des ressources, l'accessibilité à des services de santé et des services sociaux, dans leur langue, pour les personnes des différentes communautés culturelles du Québec; 2.8 favoriser la prestation efficace et efficiente de services de santé et de services sociaux, dans le respect des droits des usagers de ces services; 2.8.1 assurer aux usagers la prestation sécuritaire de services de santé et de services sociaux; 5 Lignes directrices : 3. Pour l'application de la présente loi, les lignes directrices suivantes guident la gestion et la prestation des services de santé et des services sociaux : 3.1 la raison d'être des services est la personne qui les requiert; 3.2 le respect de l'usager et la reconnaissance de ses droits et libertés doivent inspirer les gestes posés à son endroit; 3.3 l'usager doit, dans toute intervention, être traité avec courtoisie, équité et compréhension, dans le respect de sa dignité, de son autonomie, de ses besoins et de sa sécurité; 3.4 l'usager doit, autant que possible, participer aux soins et aux services le concernant; 3.5 l'usager doit, par une information adéquate, être incité à utiliser les services de façon judicieuse. Information : 4. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence des services et des ressources disponibles dans son milieu en matière de santé et de services sociaux ainsi que des modalités d'accès à ces services et à ces ressources. Droit aux services : 5. Toute personne a le droit de recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats sur les plans à la fois scientifique, humain et social, avec continuité et de façon personnalisée et sécuritaire. Informations : 8. Tout usager des services de santé et des services sociaux a le droit d'être informé sur son état de santé et de bien-être, de manière à connaître, dans la mesure du possible, les différentes options qui s'offrent à lui ainsi que les risques et les conséquences généralement associés à chacune de ces options avant de consentir à des soins le concernant. 6 Droit à l'information : Il a également le droit d'être informé, le plus tôt possible, de tout accident survenu au cours de la prestation de services qu'il a reçus et susceptible d'entraîner ou ayant entraîné des conséquences sur son état de santé ou son bien-être ainsi que des mesures prises pour contrer, le cas échéant, de telles conséquences ou pour prévenir la récurrence d'un tel accident. Consentement requis : 9. Nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins, quelle qu'en soit la nature, qu'il s'agisse d'examens, de prélèvements, de traitement ou de toute autre intervention. Participation : 10. Tout usager a le droit de participer à toute décision affectant son état de santé ou de bien-être. Plan d'intervention : Il a notamment le droit de participer à l'élaboration de son plan d'intervention ou de son plan de services individualisé, lorsque de tels plans sont requis conformément aux articles 102 et 103. Services offerts : 100. Les établissements ont pour fonction d'assurer la prestation de services de santé ou de services sociaux de qualité, qui soient continus, accessibles, sécuritaires et respectueux des droits des personnes et de leurs besoins spirituels et qui visent à réduire ou à résoudre les problèmes de santé et de bien-être et à satisfaire les besoins des groupes de la population. À cette fin, ils doivent gérer avec efficacité et efficience leurs ressources humaines, matérielles, informationnelles, technologiques et financières et collaborer avec les autres intervenants du milieu, incluant le milieu communautaire, en vue d'agir sur les déterminants de la santé et les déterminants sociaux et d'améliorer l'offre de services à rendre à la population. De plus, dans le cas d'une instance locale, celle-ci doit susciter et animer de telles collaborations. 7 Ainsi, le consentement éclairé joue un rôle central en termes de conformité avec la Loi de la Santé et des Services sociaux et, en définitive, dans la réussite d’un traitement. Il convient de veiller tout particulièrement à ce que la patiente ou le patient ait bien compris les formulaires et les déclarations à signer. Pour que ces documents soient juridiquement valables, la patiente ou le patient doit en avoir compris le contenu. L’établissement de santé doit veiller à ce que les formulaires juridiquement contraignants soient traduits dans les langues parlées par la population migrante et adaptés à leur culture. L'obtention du consentement éclairé est une norme absolument essentielle à la prestation de soins conformes à l'éthique. Or, il ne peut y avoir de consentement éclairé sans une communication ouverte et fréquente. Quand le patient et l'intervenant ne peuvent communiquer, il surgit immédiatement, d’une part, une barrière qui empêche le patient de s'informer complètement sur sa situation et les choix qui s'offrent à lui, tel que le stipule la Loi de la Santé et des Services sociaux et, d’autre part, l’intervenant ne peut accomplir professionnellement son travail. Dans de telles situations, lorsque le patient donne son consentement, il le fait sans comprendre toutes les implications de l'intervention. Le traitement sera d’autant plus efficace qu’une bonne anamnèse aura été effectuée au départ, que quelques premières mesures auront été prises pour obtenir un consentement éclairé et que le personnel disposera de connaissances en matière de diversité et de migration. C’est-à-dire : Mettre les dossiers d’informations à la disposition de l’équipe médicale et de l’équipe de prise en charge; S’assurer que l’équipe médicale et l’équipe soignante aient connaissance de la position de la patiente ou du patient sur sa maladie et savent ce qu’elle ou qu’il attend du traitement. Des difficultés de compréhension, ainsi que des concepts de maladie ou de thérapie différents peuvent compliquer la déclaration de consentement éclairé. Aujourd’hui, les patientes et patients sont considérés comme « responsables », dans le sens où s’ils ont été bien informés, ils peuvent décider eux-mêmes du déroulement de leur traitement à chacune des étapes. Ce choix peut être entravé par des barrières linguistiques et culturelles, ainsi que par l’inadaptation de l’intervention médicale et administrative. 8 5. Croyance, spiritualité et religion : facilitateurs ou obstacles à l’adhésion aux médicaments? De par son histoire et son immigration, notre société actuelle est très diversifiée. Cette diversité se traduit par des patients avec autant de croyances, de spiritualités et de religions différentes. À travers quelques exemples observés sur le terrain, nous allons mettre en évidence l’importance que peuvent représenter nos croyances, religions et spiritualités dans la réussite ou l’échec de l’adhésion du patient au traitement. En conclusion, cela nous amène à questionner l’accès équitable aux soins de santé de qualité des Québécois issus de l’immigration par rapport aux Québécois d’origine française et anglaise. Les services sont disponibles, mais pas nécessairement accessibles. Cela a comme conséquence que les communautés ethnoculturelles tardent à se prévaloir des services de soins préventifs et à se présenter aux services médicaux pour se faire soigner. De plus, l’existence de ces barrières peut donner lieu à de mauvais diagnostics, à des retards dans le diagnostic et à des difficultés à l’adhésion au traitement. Conséquemment, c’est une approche différenciée à la maladie et au traitement qui doit être préconisée. 9