le Syncrétisme spéculatif selon les Tantras - PAUL MASSON

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le Syncrétisme spéculatif
selon les Tantras
(Suite)
par
P. MASSON-OURSEL
Nous avons déjà présenlP dans cette revue quelques
réflexions sur les Tantras, littérature religieuse de l'Inde à
partir du IX" siècle. En comparaison des hymnes védiques et
des riles Brahmaniques (Dharma), c'est une spéculation
tardive mais qui prolonge des ferveurs anciennes.
Pourquoi qualifie-t-on de çuktus les textes tenirillues '!
Parce que, répétons-le, ils révèrent ce dieu majeur de ['Inde
médiévale. Çiva sous l'aspect de sa ça/di. Ce mot désigne la
« puissance» du dieu absolu, celte énergje par laquelle.
;,scète exemplaire, il est, en même lemps, généraleur. La
plastique le représente comme un époux « en acte», mais
la dogmatique ne commet à cc propos aucune confusion:
certes pas la méprise qui fait supposer aux Européens l'acte
charnel. CeUe pan';dre qu'éLreinl le dieu n'est pas une
déesse; elle esl moins et bien plus. Non divinilé féminine,
mais symbole de la capacité génératrice chez l'unique et
lotal enrrendreur
te>
•
La prélcnduc obscénité que c1éI1on~'aient naguère de
chasles ind ianis tes n'a clone existé que tbns l'incol11 préhension d'un symbole chlssique. Méprise que pourraient commettre des non-Européens s'ils se figuraient que les chrétiens adorent des colombes puisqu'ils ont symbolisé par ce
gracieux oiseau le Sainl-Esprit. Cetle apparente déité que
le dieu élreint Sl~ peut interpréter COlllme ressouvenir obsédant de la «Grande Déesse », unique et lolale que révérait l'Eurasie aux temps préhistoriques. Pondeuse unique
et universelle, comme la reine d'une ruehe, elle enfanlait
sans époux. Lui, Ci va, fut substitué par des Aryas de mœurs
non «Matriarcales », mais «Patriarcales» il l'entité féminine comme entilé masculine qui se suffirait à elle-même
dans le rôle cr~ateur. L'effigie féminine qui lui esl adjointe
a pour seul but de faire comprendre que la fécondation est
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app?rente, la génération masculine seule
véridique aux yeux des mystes.
effective, seule
*
**
Autre syn,crétisme, plus étrange encore. Beaucoup de
Tantras sOilt ;B,ouddhistes, selon les dogmes du Grand Véhicule (Mahayana). N'ignorons pas que le Bouddhisme tibétain et mongol s'était chargé d'Hindouisme; les Hindous
reprenant leur hi en en s'annexant eomme équivalente de la
carrière des Jivanmuktas (délivrés vivants). , celle des BodhisaUvas', ces apprentis houdhas qui volontiers relardent leur
libération ultime (Nirvana) pour gratifier les vivants de leur
bienveillance.
Comprenons que ce Brahmanisme tardif est contemporain d'un Bouddhisme lui-même tardif; et que des notions doctrinales analogues s'imposèrcnt dans les deux. religions; à tel point qu'on se peut demander si elles diffèrent encore. Expulsé de l'Inde au lemps des invasions
musulmanes, le Bouddhisme s'était implanté au Tibl't et en
Asie eentrale ; il Y était devenu Ioule la pensée de peu pies
assez frustes, incapables de subtilités religieuses à j'indienne. Il y était devenu religion et théologie alors qu'avant
notre ère, dans l'Inde propre, il avai t été une frénésie de
salut indépendante de tout culte. IIIille ans plus tare! j'Inde
tr:l(Llionncllc récupère l'hérésie qu'elle ~wait honnie el l'assi mjh~ emllme un culte analogue aux siens.
En effet le culte de Vishnu, eelui de Civa
étaient de.,
venus de puissants monolhéismes, surtout pour permettre
aux Brahmanes de faire front conlre le monothéisme musulman. On dirait que ie Bouddhisme, après son évolution
en Asie centrale, se pique au jeu. Ill'évère d'autant moins le
Çakyamuni qu'il conçoit quantité de Bodhisal.lv:Js et même
de Bouddhas, yéritable polythéisme qui se simplifie (si J'on
peut dil'c) il mesure qu'il se complique. Toutes ces hiératiques figures ne peuvent-elles s'interpréter comme des
aspeels multiples d'un même Bouddha originaire, Adibuddha, fondement primordial de toute réalité, comme
Vishnu et Çiva pour les Vaishna'Jas et les Çaivas? Dans
l'Inde, l'abstractioIl métaphysique est toujours prête à inspirer une religion.
(.4 suivre.)
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