L`acquisition L2 des pronoms clitiques - UvA-DARE

publicité
Eline Timmerman
L’acquisition L2 des pronoms
clitiques
Mémoire de maîtrise
Sous la direction de
Mme Dr. A.P. Sleeman
Département de français
Université d’Amsterdam
Juin 2010
Table des matières
1.
Introduction .................................................................................................................... 3
2.
Cadre théorique .............................................................................................................. 5
3.
4.
5.
2.1
Les pronoms clitiques .............................................................................................. 5
2.2
Le système français.................................................................................................. 7
2.3
Le système néerlandais ............................................................................................ 8
2.4
Différences entre les pronoms faibles/clitiques en français et en néerlandais .......... 10
Études antérieures ........................................................................................................ 13
3.1
L’acquisition L1 et 2L1 des pronoms clitiques ....................................................... 13
3.2
L’acquisition L2 des pronoms clitiques .................................................................. 15
3.2.1
Transfert du néerlandais .................................................................................. 15
3.2.2
Accès à la Grammaire Universelle .................................................................. 18
3.2.3
Le rôle de l’enseignement ............................................................................... 21
3.2.4
L’influence de la communication avec des locuteurs natifs ............................. 23
La recherche ................................................................................................................. 26
4.1
Le groupe de recherche .......................................................................................... 26
4.2
La méthode de recherche ....................................................................................... 28
4.3
Les hypothèses....................................................................................................... 29
Les résultats ................................................................................................................. 34
5.1
Le développement de l’acquisition ......................................................................... 34
5.2
Le transfert du néerlandais ..................................................................................... 38
5.3
Le rôle de la Grammaire Universelle ...................................................................... 50
5.4
L’ influence de l’enseignement .............................................................................. 53
5.5
L’influence d’une situation naturelle ...................................................................... 62
6.
Discussion .................................................................................................................... 65
7.
Conclusion ................................................................................................................... 69
1
Bibliographie ....................................................................................................................... 70
Appendice............................................................................................................................ 73
Le test et les réponses correctes ........................................................................................ 73
2
1. Introduction
« Comment apprend-on le français ? » C’était la question centrale d’un des cours que j’ai
suivis pendant le premier semestre de la maîtrise et dans lequel nous étudiions des articles
écrits dans le cadre théorique de la Grammaire Générative, sur l’acquisition L1, 2L1 et L2.
Bien sûr, nous n’avons pas pu répondre à cette question énormément large, mais tous les
étudiants ont attribué, avec un travail écrit, un petit peu à la réponse. Le sujet de mon travail
écrit était l’acquisition des pronoms clitiques objets par des apprenants L2. J’ai étudié les
connaissances d’un groupe de lycéens néerlandais qui apprennent le français comme une
langue seconde .
J’ai comparé mes résultats à celles de Sleeman (2010), qui avait étudié un groupe
d’étudiants néerlandais de première année qui apprennent le français comme une langue
seconde à l’université. Mes résultats étaient comparables à celles de Sleeman, il s’est avéré
que les pronoms clitiques français sont difficiles à acquérir pour des apprenants néerlandais.
Les lycéens, tout comme les étudiants, faisaient beaucoup d’erreurs. Beaucoup d’erreurs que
les deux groupes ont faites étaient le résultat d’un transfert négatif du néerlandais. En même
temps, il était remarquable que les lycéens aient produit beaucoup de phrases correctes,
parfois même plus que les étudiants de première année, ce qui pourrait suggérer, selon les
Générativistes, que les lycéens (tout comme peut-être les étudiants de première année) avaient
encore accès à la Grammaire Universelle1.
Dans ce mémoire, je continuerai cette recherche sur l’acquisition L2 des pronoms
clitiques. Je testerai les quatre classes les plus élevées du lycée et les étudiants de première
année de l’université pour étudier le développement de l’acquisition. J’étudierai également les
facteurs qui influencent cette acquisition.
Premièrement, je veux savoir si les apprenants ont encore accès à la Grammaire
Universelle. En ce qui concerne l’acquisition d’une langue maternelle, en général, les
linguistes générativistes sont d’accord : la Grammaire Universelle est très importante pendant
cette acquisition. Cependant, l’acquisition d’une langue seconde diffère de l’acquisition L1,
donc la question reste de savoir si et comment cette Grammaire Universelle est accessible
quand on apprend une langue seconde.
1
La Grammaire Universelle est considérée comme un système inné de principes universels, qui valent pour
toutes les langues, et de paramètres, qui doivent être mis correctement selon la langue concernée (Chomsky
1981).
3
Deuxièmement, je me demanderai quel est le rôle du néerlandais dans l’acquisition du
français. L’étude de Sleeman montrait que beaucoup d’erreurs des étudiants étaient le résultat
d’un transfert négatif du néerlandais.
Troisièmement, j’étudierai l’influence de l’enseignement sur l’acquisition. Selon certains
pédagogues, comme par exemple Krashen (1983), l’enseignement grammatical ne sert à rien.
Selon eux, la grammaire n’influence pas l’acquisition, parce que l’acquisition se passe d’une
manière naturelle. J’étudierai donc si l’enseignement de la grammaire influence l’acquisition
des pronoms clitiques ou pas.
Finalement, je me demanderai s’il y a encore d’autres facteurs qui influencent
l’acquisition des pronoms clitiques, comme par exemple le temps que les apprenants ont
acquis le français dans une situation naturelle, c’est-à-dire par exemple pendant les vacances
passées en France.
Pour pouvoir répondre à ces questions, j’organiserai ce mémoire de la façon suivante.
Dans le deuxième chapitre, j’expliquerai ce que c’est qu’un pronom clitique et comment les
pronoms sont utilisés en français et en néerlandais. Dans le troisième chapitre je donnerai un
aperçu d’études antérieures. Ces études traitent de l’acquisition des pronoms clitiques en
général, dans une langue première et seconde, du transfert du néerlandais, de l’accès à la
Grammaire Universelle et de l’influence de l’enseignement sur l’acquisition. Dans le
quatrième chapitre, je présenterai la recherche : je présenterai ma méthode de recherche et
mes hypothèses. Dans le même chapitre les résultats d’un test de production écrit seront
présentés et discutés.
Finalement, dans la conclusion, j’espère pouvoir répondre à mes questions de recherche :
Comment se développe l’acquisition des pronoms clitiques français par des apprenants L2
néerlandais ? Et quels facteurs influencent cette acquisition ?
4
2. Cadre théorique
2.1 Les pronoms clitiques
Généralement, les linguistes sont d’accord en ce qui concerne le fait qu’il y a une classe
d’éléments grammaticaux qui s’appellent les clitiques. Cependant, il existe encore une
discussion sur la définition. Qu’est-ce que c’est qu’un clitique ?
Une des premières analyses des pronoms clitiques est celle de Kayne (1975). Selon
Kayne, on peut distinguer deux sortes de pronoms en français : les pronoms forts et les
pronoms faibles. Les pronoms forts (1) se trouvent dans une position accentuée, et sont
indépendants. Les pronoms faibles (2) s’attachent à un verbe, et c’est pour cela qu’ils
s’appellent aussi des pronoms clitiques.
(1)
J’ai parlé avec lui.
(2)
Je lui parle.
Pour définir ces pronoms clitiques français, Kayne a décrit les critères d’identification. Dans
le livre Clitics in the Languages of Europe (1999) van Riemsdijk donne une résumé de ces
critères. Je traiterai les sept critères ici.
Premièrement, les clitiques français ont une position spécifique. Par exemple, les pronoms
clitiques objets se trouvent généralement devant le verbe conjugué (3c), tandis que l’objet
correspondant, dans une phrase normale, se trouve toujours à droite du verbe conjugué (3a).
(3)
a. Il a lu tous les articles.
b. *Il a lu les.
c. Il les a lus.
Deuxièmement, cette position spécifique des pronoms clitiques est obligatoire, ce qui est
montré dans l’exemple (3b). Cela n’est pas le cas pour, par exemple, certains pronoms
indéfinis (4).
(4)
a. Il a lu tout.
b. Il a tout lu.
5
Le troisième critère est le fait que le clitique doit être adjacent au verbe. Cela est montré
dans (5).
(5)
a. Elle va les apprécier beaucoup.
b. *Elle va les beaucoup apprécier.
c. Elle va beaucoup les apprécier.
Quatrièmement, comme on a déjà vu dans l’explication de la différence entre les pronoms
forts et les pronoms clitiques (1) et (2), le clitique est dépendant de la présence du verbe (6).
(6)
Qui as-tu vu ? - *Le/*La/*Les.
Le cinquième critère dit que les clitiques ne sont jamais accentués. Quand on accentue le
clitique, comme en (7b), la phrase devient agrammaticale.
(7)
a. Jean la préfère.
b. *Jean LA préfère.
Sixièmement, les clitiques ne peuvent pas être conjoints.
(8)
a. Je connais Jean et Marie.
b. *Je le et la connais.
Finalement, les clitiques apparaissent dans un ordre fixe.
(9)
a. *Jean le me donnera.
a. Jean me le donnera.
Ces critères fonctionnent comme point de départ de beaucoup de recherches sur les
pronoms clitiques. Par contre, cela ne veut pas dire que tout le monde s’accorde sur la
distinction de Kayne. Cardinaletti & Starke (1999) proposent une autre analyse des pronoms.
Alors que Kayne propose une division en deux (pronoms forts et faibles), Cardinaletti &
Starke proposent une division en trois.
6
Cardinaletti & Starke distinguent aussi les pronoms forts et les pronoms faibles, mais le
groupe des pronoms faibles est encore divisé en deux : les pronoms faibles (10) et les
pronoms clitiques (11). Les pronoms faibles sont les pronoms sujets, les pronoms clitiques
sont les pronoms objets. Ils distinguent les pronoms sujets des pronoms objets parce que dans
une coordination, les pronoms objets ne peuvent pas être supprimés (12). Une représentation
schématique de la division tripartite de Cardinaletti & Starke est présentée dans (13).
(10)
Je le vois.
(11)
Je le vois.
(12)
Il entre et dit bonjour.
*Je le dis et (je) répète.
(13)
pronoms personnels
forts
pas forts (déficients)
faibles
clitiques
Les pronoms forts et les pronoms faibles dans la théorie de Cardinaletti & Starke sont des XP,
des structures entières. Les pronoms clitiques s’appellent aussi des ‘pronoms déficients’, ils
n’ont pas une structure entière, mais sont seulement des têtes, des X°.
Une autre critique des propositions de Kayne est le fait que ses critères valent surtout pour
le français, et moins pour les autres langues romanes et encore moins pour les langues
germaniques. Dans les sections suivantes je traiterai les différences entre le système français
et le système néerlandais.
2.2 Le système français
Les critères utilisés pour identifier un pronom clitique proposés par Kayne (1975) valent pour
le français. Normalement, l’ordre des mots en français est SVO (Sujet-Verbe-Objet) (14),
mais les pronoms clitiques se trouvent devant le verbe conjugué (15).
(14)
Jean voit Marie.
7
(15)
Jean la voit.
Le système des pronoms français, selon Cardinaletti & Starke (1999), est présenté dans le
tableau 1.
Tableau 1. Pronoms en français
Pronoms forts
Pronoms faibles
Pronoms clitiques
1 sing.
moi
je
me
2 sing.
toi
tu
te
3 sing. masc.
lui
il
le
3 sing. fém.
elle
elle
la
1 plur.
nous
nous
nous
2 plur.
vous
vous
vous
3 plur. masc.
eux
ils
les
3 plur. fém.
elles
elles
les
2.3 Le système néerlandais
Les critères de Kayne (1975) ne valent pas entièrement pour le néerlandais. Van Riemsdijk
(1999) donne un exemple d’une différence entre le français et le néerlandais. Le pronom
français en est un pronom clitique selon les critères de Kayne, mais l’équivalent néerlandais
er ne l’est pas entièrement. Selon la plupart des critères, er est un clitique, mais er ne doit pas
nécessairement être adjacent au verbe (16d). Cependant, er est quand même dépendant d’un
verbe conjugué dans la phrase (17).
(16)
a. Il en a lu un.
b. Hij heeft er gisteren een gelezen.
c. … qu’il en a lu un hier.
d. … dat hij er gisteren een gelezen heeft.
(17)
Hij heeft er gisteren een gelezen en (*er) eergisteren twee.
Il
a
en hier
un lu
et (*en) avant-hier deux.
« Il en a lu un hier et avant-hier, il en a lu deux. »
8
En ce qui concerne les langues germaniques, on s’est même demandé si on peut distinguer
une classe de pronoms autre que les pronoms forts. Selon Cardinaletti (1999), pour le
néerlandais, on peut quand même distinguer trois sortes de pronoms objets : pronoms forts,
faibles et clitiques. Dans le tableau 2, le système des pronoms objets néerlandais est présenté.
Tableau 2. Pronoms objets en néerlandais
Pronoms forts
Pronoms faibles
1 sing.
mij
me
2 sing.
jou
je
3 sing. masc.
hem
hem
’m
3 sing. fém.
haar
haar
’r ; d’r
het
’t
3 sing. neutre
1 plur.
ons
ons
2 plur.
jullie
jullie
3 plur.
hun ; hen
hun ; hen ; ze
Pronoms clitiques
Dans ce mémoire, il s’agira de l’acquisition des pronoms clitiques objets en français. Ces
pronoms correspondent aux pronoms faibles et clitiques néerlandais. Comme en néerlandais
la distinction ne jouera pas de rôle, nous parlerons de pronoms (objets) faibles seulement,
mais ceux-ci peuvent donc aussi être clitiques.
Une autre différence entre les critères de Kayne et les pronoms néerlandais est la position
des pronoms faibles/clitiques. Le néerlandais est, tout comme le français, une langue SVO
(18a), mais dans des subordonnées, le néerlandais a l’ordre SOV (18c). Les pronoms faibles
n’ont pas une position spécifique en néerlandais, mais occupent la même position que le DP
entier (18a-b) et (18c-d).
(18)
a. Ik zie de jongen.
Je vois le garçon.
b. Ik zie hem.
Je vois le.
« Je le vois. »
c. Ik denk dat ik de jongen zie.
9
Je pense que je le garçon vois.
« Je pense que je vois le garçon. »
d. Ik denk dat ik hem zie.
Je pense que je le
vois.
2.4 Différences plus spécifiques entre les pronoms faibles/clitiques en français
et en néerlandais
Comme nous avons déjà vu dans les descriptions des systèmes français et néerlandais, les
pronoms faibles/clitiques ont une position différente dans les deux langues. Les pronoms
faibles/clitiques néerlandais n’ont pas une position spécifique. Ils occupent la même position
que le DP entier (18a-b) et (18c-d). Les pronoms clitiques sont cliticisés d’une manière
phonologique au verbe. En français, les pronoms clitiques se trouvent devant le verbe
conjugué (14) et (15), ils sont adjoints à gauche du verbe dans la tête d’une des projections
fonctionnelles (19).
(19)
FP
F’
Fº
Clitique
Fº
Le néerlandais est une langue V2, le verbe occupe toujours la deuxième position dans une
phrase déclarative. Cardinaletti (1999), se référant à Den Besten (1977) et à Koster (1978),
constate que les pronoms objets clitiques/faibles en néerlandais, contrairement aux pronoms
objets forts, ne peuvent pas occuper la première position de la phrase. En français, le pronom
clitique peut bien occuper la première position de la phrase :
(20)
a. Mij zag hij
moi voyait il
« C’est moi qu’il voyait. »
10
b. *Me zag hij.
me voyait il
« Il me voyait. »
c. Me voit-il ?
En ce qui concerne cela, Sleeman (2010) fait remarquer qu’après une conjonction, il est quand
même possible d’utiliser un pronom objet faible :
(21)
Als Paul me belt
en me vertelt dat…
si Paul me téléphone et me raconte que…
En néerlandais, les pronoms clitiques précèdent le participe (22), tandis qu’en français, ils
précèdent l’auxiliaire (23).
(22)
Ik heb hem gezien.
j’ ai
(23)
le
vu
Je l’ai vu.
Dans les deux langues, normalement, les pronoms clitiques précèdent l’infinitif :
(24)
a. Je peux le comprendre.
b. Ik kan het begrijpen.
Une différence entre le français et le néerlandais, en ce qui concerne la position du pronom en
combinaison avec un infinitif, est qu’en néerlandais, l’infinitif qui accompagne le verbe
conjugué se trouve toujours à la fin de la phrase, et peut être introduit par le marqueur te.
Tous les objets précèdent l’infinitif et ce marqueur (25). En français cela n’est pas le cas, le
pronom objet reste devant l’infinitif (26) :
(25)
Ik probeer het te begrijpen.
je essaie
(26)
le de comprendre
J’essaie de le comprendre.
11
Une deuxième différence est qu’en français, quand l’infinitif est combiné avec un verbe
causatif ou perceptif, le pronom se trouve devant le verbe conjugué (27), et pas devant
l’infinitif, comme en néerlandais (28).
(27)
Je le fais partir.
(28)
Ik laat hem vertrekken.
Troisièmement, en néerlandais, quand l’infinitif est modifié par un adverbe, l’ordre devient
pronom-adverbe-infinitif (29), contrairement à l’ordre français adverbe-pronom-infinitif (30).
(29)
Ik begin hem goed te kennen.
(30)
Je commence à bien le connaître.
Voilà les différences entre les systèmes des pronoms néerlandais et français. Dans le
chapitre suivant, je présenterai les études antérieures qui traitent de l’acquisition des pronoms
clitiques.
12
3. Études antérieures
Comment est-ce qu’on acquiert les pronoms clitiques français ? C’est la question centrale des
études que je traiterai dans cette section. Premièrement je traiterai quelques études qui traitent
de l’acquisition des pronoms clitiques par des enfants français monolingues et bilingues, et
qui concernent donc l’acquisition L1 et 2L1. Ensuite, je présenterai quelques études qui
traitent de l’acquisition L2 des pronoms clitiques.
3.1 L’acquisition L1 et 2L1 des pronoms clitiques
Une des études qui traitent de l’acquisition L1 des pronoms clitiques est celle de van der
Velde, Jakubowicz & Rigaut (2002). Elles ont étudié le langage de trois enfants monolingues
français. Il s’est avéré que les enfants monolingues apprennent d’abord les pronoms clitiques
sujets, et seulement après, les pronoms clitiques objets2. Jusqu’à l’âge de deux ans et cinq
mois, ces enfants n’utilisent presque pas de pronoms clitiques objets. Au lieu de ces clitiques
ils utilisent simplement des DP entiers :
(25)
HUG : je fais une ferme.
(26)
EXP : tu l’aimes cette chanson ?
VIC : j’aime Aladdin.
Hugo (2;5.5)
Victor (2;5.29)
Une des enfants, Chloé, utilise quand même dès le début beaucoup de clitiques objets :
(27)
CLO : il est où le bouchon ?
MOT : je sais pas, il est où ?
CLO : le vois pas.
Chloé (1;11.19)
Cependant, 16 des 18 fois qu’elle utilisait un pronom clitique objet, c’était en combinaison
avec le verbe voir. Les auteurs admettent donc que Chloé utilise la combinaison du verbe voir
avec un pronom clitique objet comme une expression non-analysée.
2
Quand ils commencent à utiliser les pronoms clitiques objets, ils le font dès le début d’une manière correcte,
dans une position préverbale.
13
Finalement, les auteurs font remarquer que le nombre bas des pronoms objets utilisés par
les enfants est partiellement dû au fait que, dans l’interaction spontanée qu’elles ont étudiée, il
n’est pas nécessaire de pronominaliser les DPs.
Granfeldt & Schlyter (2004) ont étudié l’acquisition des pronoms clitiques par des enfants
bilingues suédois-français. Ils ont étudié le langage spontané de quatre enfants avec une mère
française et un père suédois, utilisant le principe « une personne une langue ».
Tout comme les enfants qu’ont étudiés van der Velde et al. (2002), ces enfants
commencent à utiliser les pronoms objets quand ils ont 2 ans et 6 mois environ, et ils utilisent
aussi dès le début la position correcte.
(28)
ANNE : Je le mets dans l’eau.
Anne (2;10)
Il s’avère que les enfants (2)L1 n’ont pas de problèmes à acquérir la cliticisation.
Granfeldt & Schlyter expliquent cela à l’aide d’une théorie de Rizzi (1998). Selon lui, les
enfants utilisent, dans l’acquisition L1, le principe de ‘Structural Economy’. C’est-à-dire
qu’ils veulent utiliser le moins de structure possible. La cliticisation ne pose donc pas de
problème parce que cela limite la structure : les clitiques sont des têtes, pas des XPs entiers
(Cardinaletti & Starke 1999).
Une autre étude qui traite de l’acquisition 2L1 des pronoms clitiques est celle de Hulk
(2000). Elle a étudié le langage spontané d’une fille bilingue français-néerlandais, Anouk.
Anouk aussi utilise son premier pronom clitique objet à l’âge de deux ans et demi environ :
(29)
M’aider maman.
Anouk (2;7.5)
Contrairement aux autres enfants, Anouk n’a pas utilisé d’abord les pronoms clitiques sujets.
Dans ce même enregistrement, elle utilise aussi son premier clitique sujet. Hulk admet
qu’Anouk a des problèmes avec le statut des pronoms objets français. Elle montre que les
données d’Anouk ressemblent beaucoup à celles des apprenants L2 néerlandais, comme nous
verrons plus loin. Il y a de l’influence de la deuxième langue maternelle d’Anouk : le
néerlandais. Les premiers pronoms objets clitiques utilisés par Anouk se trouvent aux
positions qui correspondent aussi aux positions des pronoms faibles néerlandais : devant un
infinitif ou après un impératif. Le premier clitique objet précédant un verbe fini d’Anouk
14
apparaît à l’âge de 3;3,17 ans, mais, là aussi, Anouk fait aussi des erreurs de position des
clitiques objets :
(30)
Je prends la.
Anouk (3;3,23)
Anouk fait ces erreurs seulement dans environ 10% des cas. Hulk conclut donc que
l’acquisition des pronoms clitiques français d’Anouk ressemble à celle d’apprenants L2
néerlandais. Elle semble traiter les pronoms objets tantôt comme des pronoms faibles (du type
néerlandais), tantôt comme de véritables clitiques (du type français).
3.2 L’acquisition L2 des pronoms clitiques
Dans cette section sur l’acquisition L2 je traiterai, à l’aide de quelques études antérieures, tous
les facteurs qui peuvent influencer l’acquisition L2 des pronoms clitiques : la langue
maternelle, la Grammaire Universelle, l’enseignement et la communication avec des locuteurs
français natifs.
3.2.1 Transfert du néerlandais
Selon Towell & Hawkins (1994) l’acquisition d’une langue seconde passe par différents
stades. Pendant l’acquisition, les apprenants construisent plusieurs grammaires intermédiaires.
Les premières sont encore beaucoup influencées par la langue maternelle, la dernière doit être
la grammaire correcte de la langue seconde. Pour l’acquisition des pronoms clitiques objets
français, Towell & Hawkins proposent les quatre stades suivants :
(31)
1. Position postverbale
* J’ai reconnu le
2. Omission de l’objet
* J’ai reconnu
3. Devant le participe
* J’ai le reconnu
4. Devant le verbe conjugué
Je l’ai reconnu
Selon Towell & Hawkins, le rôle de la langue première est grand dans l’acquisition d’une
langue seconde. Selon les deux auteurs, l’apprenant suppose toujours que la langue seconde
possède les mêmes caractéristiques que sa langue maternelle. Ils admettent que les apprenants
15
L2 transfèrent initialement les paramètres de leur L13. Au début de l’acquisition, il y a donc
un transfert de la langue maternelle à la langue seconde. Ce transfert peut affecter tous les
aspects de la langue : la phonologie, la syntaxe, la morphologie, le lexique et le discours. Le
transfert peut être positif, quand les deux langues se ressemblent, mais aussi négatif, quand il
y a des différences entre les deux langues. Quand un paramètre de la langue maternelle ne
correspond pas à celui de la langue seconde, ce paramètre doit être refixé. Selon Towell &
Hawkins, cela n’est pas impossible (ils admettent que les apprenants L2 ont encore accès à la
Grammaire Universelle), mais c’est plus difficile que de fixer les paramètres correctement
pour la première fois pendant l’acquisition de la langue maternelle. On peut donc s’attendre à
ce qu’il y ait des différences entre l’acquisition L1 et l’acquisition L2, parce que la L1
influence l’acquisition L2.
Que le rôle de la langue maternelle dans l’acquisition L2 des pronoms clitiques soit grand
a été montré dans une étude de Sleeman (2010). Elle a étudié l’acquisition des pronoms
clitiques par 50 étudiants néerlandais de première année qui apprennent le français comme
une langue seconde à l’université. Ils avaient déjà appris le français pendant 4 à 6 ans dans
l’enseignement secondaire, pendant trois heures par semaine.
Les étudiants devaient faire un test de production écrite. Le test consistait en 20 phrases
françaises, avec un DP objet qui était souligné. Les étudiants devaient remplacer cette partie
soulignée de la phrase par un pronom personnel et devaient mettre celui-ci dans la position
correcte de la phrase. Voilà un exemple d’une telle phrase avec la réponse correcte :
(32)
à
Jean connaît la cousine de Caroline.
Jean la connaît.
Sleeman a étudié les différences entre les systèmes néerlandais et français et elle
s’attendait à ce qu’il y ait un transfert du néerlandais dans l’acquisition des pronoms clitiques.
Tout d’abord, elle s’attendait à ce que les étudiants aient atteint le stade 4 de Towell &
Hawkins (1994), présenté en (31). Il s’est avéré par contre que certains étudiants faisaient
encore des erreurs du premier stade :
(33)
*Jean connaît elle.
*Jean connaît lui.
3
Le rôle de la Grammaire Universelle dans l’acquisition des pronoms clitiques est traité d’une manière plus
détaillée dans la section 3.2.2.
16
Il s’est en effet avéré que le rôle du transfert est grand dans ce domaine de l’acquisition.
Comme les pronoms faibles néerlandais occupent une position postverbale, les étudiants ont
souvent transféré cet ordre en français (33). Il s’est avéré aussi que les étudiants néerlandais
ne voulaient pas mettre le clitique au début de la phrase (34), parce que cela n’est pas possible
en néerlandais, voir (20) et (35).
(34)
Le connais-tu ?
*Hem ken jij ?
Ken jij hem ?
(35)
*’m ken ik niet.
Les étudiants avaient moins de difficultés à mettre le pronom au début de la phrase quand
cette phrase était précédée par une conjonction (36), parce que les pronoms faibles
néerlandais peuvent occuper cette position aussi, voir (21), et après une conjonction, le
pronom ne se trouve pas vraiment au début de la phrase .
(35)
Paul connaît le frère de Marie et le voit souvent.
Dans les phrases avec un verbe modal suivi par un infinitif, il peut être question d’un
transfert positif, parce que, dans les deux langues, le clitique se trouve devant l’infinitif :
(36)
Erik wil hem geven.
Eric veut le donner.
Finalement, en néerlandais, quand l’infinitif est modifié par un adverbe, l’ordre devient
pronom – adverbe – infinitif (23), contrairement à l’ordre français adverbe – pronom –
infinitif (24). Certains étudiants ont aussi transféré cet ordre :
(37)
*La maman conseille aux enfants de les bien respecter.
Sleeman montre donc que l’acquisition des pronoms clitiques objets français est difficile
pour des apprenants L2 néerlandais, et que la plupart des erreurs étaient le résultat d’un
transfert du néerlandais.
17
Sleeman fait remarquer aussi que les étudiants ont produit des phrases avec un ordre de
mots qui n’était possible ni en néerlandais ni en français, mais qui était un ordre possible dans
d’autres langues, par exemple l’anglais (39).
(38)
*Michel a rencontré lui.
Cela pourrait suggérer que les étudiants ont encore accès à la Grammaire Universelle.
Cette idée a aussi été adoptée par d’autres linguistes. Dans la section suivante, j’en traiterai
quelques-uns.
3.2.2 Accès à la Grammaire Universelle
Le rôle de la Grammaire Universelle dans l’acquisition L2 est sujet à beaucoup de
discussions. Dans cette section je traiterai quelques études qui représentent les différentes
vues sur le rôle de la Grammaire Universelle dans l’acquisition L2 des pronoms clitiques.
-
L’âge critique
Dans la discussion sur le rôle de la Grammaire Universelle dans l’acquisition L2, la notion
d’âge critique est importante. Pour expliquer les différences entre l’acquisition L1 et L2,
certains linguistes admettent qu’il existe un âge critique pour l’accès à la Grammaire
Universelle. Après cet âge (on propose souvent l’âge de 12 ans, mais on a proposé aussi 7 ans
et même 4 ans) on n’aurait plus accès. Cette hypothèse est basée sur des études qui montrent
que des personnes qui avaient perdu leur capacités linguistiques, par exemple après un
accident, étaient capables de les récupérer devant leur puberté, tandis que quand c’était après
la puberté, cela n’était plus possible. D’autres études ont montré la même chose. Ces études
portent sur des enfants qui ont été isolés pendant leurs premières années. Quand ils entraient
en contact avec des gens après leur puberté, et essayaient d’acquérir une langue, ils n’étaient
plus capables de le faire. C’est pour cela qu’on admet qu’il existe un âge critique après lequel
on n’a plus accès à la Grammaire Universelle. Ces linguistes suggèrent donc que l’acquisition
d’une langue seconde après la puberté est plus difficile parce qu’on n’a plus accès.
Selon d’autres, il n’existe pas d’âge critique. La Grammaire Universelle reste toujours
accessible. Ces linguistes expliquent les différences entre l’acquisition L1 et L2 d’autres
manières.
18
-
Full Transfer Full Access
Certains linguistes proposent l’hypothèse Full Transfer Full Access. Towell & Hawkins
(1994) adoptent cette hypothèse : ils admettent que la grammaire de la langue première est le
stade initial de l’acquisition de la langue seconde. Le fait que les apprenants L1 et L2
parcourent les mêmes stades d’acquisition pourrait suggérer que les apprenants L2 ont encore
accès à la Grammaire Universelle.
Herschensohn (2004) a étudié l’acquisition des pronoms clitiques français de deux
apprenantes anglaises, qui apprennent le français comme une langue seconde dans une
situation naturelle. Elle supporte l’hypothèse Full Transfer Full Access. En anglais, tout
comme en néerlandais, les pronoms faibles occupent la même position que le DP entier. Ils
n’occupent pas la position préverbale des pronoms clitiques français. Quand les Anglais
transfèrent donc les paramètres de l’anglais, ils admettent que le français n’a pas de clitiques.
Ils changeraient cette idée quand ils remarqueraient qu’il y a une différence entre la
grammaire de leur interlangue et l’input.
Cette idée est confirmée par les données de son étude. Les deux apprenantes faisaient des
erreurs des trois premiers stades de Towell & Hawkins. Cela montre clairement qu’il y a un
transfert de l’anglais. Herschensohn argumente que les données montrent aussi que les deux
filles ont accès à la Grammaire Universelle, premièrement parce qu’elles étaient aussi
capables d’atteindre le stade 4, deuxièmement parce que leur acquisition suit les stades de
Towell & Hawkins, leurs erreurs ne sont donc pas arbitraires et finalement aussi parce que ces
erreurs sont possibles selon la Grammaire Universelle.
Donc, selon Herschensohn et Towell & Hawkins, au début de l’acquisition d’une langue
seconde, on transfère les paramètres de la langue maternelle, et à l’aide de l’input de la langue
seconde, on refixe les paramètres correctement.
-
Full Access No Transfer
D’autres disent que la langue première ne joue aucun rôle dans l’acquisition d’une langue
seconde. Ils admettent qu’on a de nouveau accès à la Grammaire Universelle comme pendant
l’acquisition de sa langue maternelle. Les paramètres sont de nouveau en blanc, on ne
transfert rien. C’est l’hypothèse Full Access No Transfer.
Une des études qui supportent cette hypothèse est celle de Granfeldt & Schlyter (2004).
Les deux auteurs ont comparé l’acquisition des pronoms clitiques français par un groupe
d’adultes suédois qui apprend le français comme une langue seconde à l’acquisition par un
19
groupe d’enfants bilingues suédois-français qui apprend le français comme (2)L1, ce que j’ai
traité dans la section 3.1.
Il s’avère que les enfants (2)L1 n’ont pas de problèmes à acquérir la cliticisation. Par
contre, cela n’est pas du tout le cas pour les adultes. Leur processus d’acquisition est long et
difficile. Granfeldt et Schlyter ont divisé l’acquisition des adultes en trois stades. Pendant le
premier stade, les apprenants L2 font beaucoup d’erreurs. Ils utilisent des pronoms objets qui
se trouvent surtout dans des positions postverbales. Cela montre qu’il n’y a aucun processus
de cliticisation :
(39)
*Il dit lui.
*Je veux mange toi.
Petra (1,5)
Pendant le deuxième stade, les adultes utilisent encore beaucoup de formes fortes dans
des positions postverbales, mais ils utilisent aussi une position intermédiaire (41). Selon
Granfeldt & Schlyter, cela suggère que les apprenants commencent à déplacer les pronoms
objets vers une position plus élevée que le VP, mais pas encore la position finale.
(40)
*J’ai le vu.
Karl (3,12)
Pendant le stade final, les apprenants adultes utilisent la position correcte :
(41)
Je l’ai pris.
Ça m’a changé.
Je t’ai dit.
Knut (1 ;3,20)
Granfeldt & Schlyter n’expliquent pas cette différence entre l’acquisition L1 et L2 à
l’aide d’un transfert du suédois. Ils avancent plusieurs arguments en faveur de cela.
Premièrement, si les apprenants transféraient, ils auraient transféré tous les paramètres, mais
ils n’ont pas transféré le paramètre suédois V2.
Deuxièmement, les apprenants utilisent, pendant le deuxième stade de leur acquisition,
une position intermédiaire (41). Cette position n’existe ni en suédois, ni en français. Cela
suggère donc un accès direct à la Grammaire Universelle, et la présence de Catégories
Fonctionnelles (FCs), parce que le pronom a été déplacé.
20
Une troisième raison pour laquelle Granfeldt & Schlyter excluent un transfert du suédois
est le fait que l’acquisition par les enfants bilingues ne montre pas un transfert entre les deux
langues comme Hulk (2000) l’a proposé pour Anouk.
Finalement, il existe quelques clitiques objets en suédois, mais pas de clitiques sujets. Si
les apprenants avaient transféré les pronoms, ils auraient utilisé des clitiques objets dès le
début, pourtant ce n’est pas le cas. Les adultes ont quand même beaucoup de difficultés à
acquérir les pronoms clitiques objets.
Les deux linguistes proposent donc une autre explication des différences entre
l’acquisition 2L1 et L2. Ils adoptent l’idée de Rizzi (1998) que les enfants économisent d’une
autre manière que les adultes. Les enfants utilisent le principe d’Économie Structurale, ce qui
veut dire que les enfants utilisent le moins de structure possible. Cela expliquerait que les
enfants utilisent des clitiques. Les adultes utilisent le principe d’Uniformité Catégorielle. Cela
veut dire qu’ils veulent utiliser le moins de catégories possibles, et surgénéralisent les XPs.
Selon Cardinaletti & Starke (1999), les clitiques sont des têtes, les pronoms forts et faibles
des XPs entiers. Si les adultes surgénéralisent les XPs, c’est donc pour cela qu’ils n’utilisent
pas de clitiques mais des pronoms forts et faibles. Quand, dans le dernier stade de
l’acquisition, ils commencent à cliticiser, ils savent que les pronoms clitiques sont des têtes,
une connaissance qui, selon Towell & Hawkins, provient de la Grammaire Universelle.
3.2.3 Le rôle de l’enseignement
Un troisième facteur qui peut influencer l’acquisition L2, à part le transfert et l’accès à la
Grammaire Universelle, est l’enseignement de la grammaire. Dans cette section, je traiterai
les différentes vues sur l’enseignement grammatical.
-
L’enseignement grammatical a un effet positif sur l’acquisition
Doughty (1991) a étudié l’acquisition L2 des phrases relatives anglaises par un groupe de
20 apprenants internationaux. Pour pouvoir étudier l’influence d’une instruction explicite dans
cette acquisition, elle a divisé le groupe en trois. Le premier groupe était le groupe de
contrôle. Pendant les dix leçons de la période testée, ce groupe a été exposé à des phrases
relatives, mais il n’a pas reçu des instructions explicites. Le deuxième groupe a aussi été
exposé à des phrases relatives, mais il a aussi reçu des instructions qui étaient surtout
orientées vers la signification. Le troisième groupe a également été exposé à des phrases
relatives et il a reçu des instructions qui étaient surtout orientées vers les règles.
21
Les connaissances des phrases relatives des trois groupes ont été testées devant et après
les leçons et Doughty a comparé les résultats. Il s’est avéré que l’effet était surtout grand dans
les deux groupes de recherche, leurs résultats étaient améliorés de respectivement 49,30% et
55,25%. Les résultats du groupe de contrôle étaient améliorés de 12%. Doughty tire alors la
conclusion que l’enseignement grammatical a un effet positif sur l’acquisition des phrases
relatives anglaises.
-
L’enseignement grammatical ne sert à rien
Contrairement à ce que conclut Doughty, certains pédagogues suggèrent que
l’enseignement grammatical ne sert à rien. Selon eux, la grammaire n’influence pas
l’acquisition, parce que l’acquisition se passe d’une manière naturelle. Cette idée est basée sur
la théorie du psycholinguiste américain Stephen D. Krashen, qui a développé une méthode
d’enseignement de langue seconde qui s’appelle la méthode naturelle (Krashen & Terrell
1983).
Selon Krashen, on doit apprendre une langue seconde comme si c’était une langue
maternelle. C’est pour cela aussi qu’il fait la distinction entre l’acquisition inconsciente d’une
langue maternelle et l’apprentissage conscient d’une langue étrangère par enseignement.
Dans l’acquisition inconsciente, l’accent est mis sur la communication, et non pas sur la
forme, tandis que dans l’apprentissage conscient, l’accent est mis sur l’apprentissage des
règles de fonctionnement, et sur les formes correctes de la langue. L’acquisition, selon
Krashen, est informelle, implicite et naturelle, la grammaire est apprise par intuition. Krashen
considère l’acquisition inconsciente comme la seule manière d’apprendre une langue. La
communication doit être l’aspect le plus important.
En conséquence, la grammaire ne doit pas être acquise par l’enseignement grammatical
mais par des inputs de compréhension, c’est-à-dire en écoutant la langue, sur un niveau que
les élèves peuvent comprendre, tout comme un enfant, qui acquiert sa langue en écoutant la
langue de ses parents.
Krashen formule plusieurs objections à l’enseignement de la grammaire :
- Les élèves ne sont pas tous au même niveau au même moment, la règle peut arriver
trop tôt pour certains, et trop tard pour d’autres.
- L’ordre naturel de l’acquisition des règles n’est pas exactement connu.
- Lorsque l’objectif est grammatical, l’intérêt pour la communication diminue. Il ne
s’agit plus de la signification du message mais seulement de la règle.
- La concentration sur la forme augmente la crainte de faire des erreurs.
22
Towell & Hawkins (1994) ont étudié aussi le rôle d’enseignement grammatical. Ils font
remarquer qu’ils auraient voulu être d’accord avec Doughty (1991), mais ils sont quand même
beaucoup plus pessimistes. Leur plus grande critique sur son étude est le fait qu’elle n’a pas
mesuré l’effet à long terme. Towell & Hawkins suggèrent que ce qui est appris dans une
situation scolaire, serait oublié après un certain temps.
Towell & Hawkins ont donc une autre vue sur l’enseignement grammatical. Selon eux,
les apprenants L2 peuvent apprendre certaines règles grammaticales à l’aide de
l’enseignement scolaire. Les élèves seront capables de faire les exercices concernant la règle
qu’ils ont apprise. Cependant, selon Towell & Hawkins, les apprenants ne seraient pas
capables de relier ces connaissances des règles acquises par enseignement explicite à la
création d’une compétence linguistique interne. C’est-à-dire que ces connaissances ne sont
pas comparables aux connaissances d’un locuteur natif.
Il n’existe pas d’interaction entre l’évidence externe, les règles grammaticales apprises
en classe, et les hypothèses dérivées internes à la Grammaire Universelle, c’est-à-dire les
principes et paramètres de la langue maternelle. Les élèves peuvent donc apprendre qu’en
français le pronom objet se trouve devant le verbe conjugué, mais ainsi, ils ne le combinent
pas avec le paramètre du mouvement du verbe. En plus, Towell & Hawkins suggèrent que ce
qui est appris dans une situation scolaire, serait oublié après un certain temps.
Les deux linguistes proposent que dans une situation scolaire, l’apprenant doit être
encouragé d’essayer de produire un maximum de langue. L’apprenant ne doit pas être forcé à
utiliser seulement les formes correctes enseignées en classe. Peut-être qu’ainsi une interaction
entre les règles apprises dans une situation scolaire et la compétence linguistique interne peut
se développer.
Dans la section suivante je parlerai d’un quatrième facteur qui pourrait influencer
l’acquisition L2.
3.2.4 L’influence de la communication avec des locuteurs natifs
Comme nous avons vu dans la section précédente, selon Krashen, l’acquisition d’une langue
seconde se passe d’une manière naturelle, tout comme l’acquisition de la langue maternelle.
On peut essayer de construire une situation naturelle dans une salle de classe, mais quand on
veut acquérir une langue, on pourrait donc aussi aller au pays où on parle cette langue. Cela
influencera l’acquisition d’une manière positive.
23
Il existe plusieurs autre études qui ont montré l’effet positif d’un temps passé dans le pays
où la langue est parlée. Sleeman (2004) par exemple a étudié l’utilisation de constructions
emphatiques françaises, c’est-à-dire des dislocations et des phrases clivées, par des étudiants
néerlandais de première année qui apprennent le français comme une langue seconde à
l’université. Elle compare les résultats à ceux d’un groupe de lycéens. Les lycéens n’ont pas
passé de temps en France, ou ils n’ont pas beaucoup utilisé le français en France. Plusieurs
étudiants par contre utilisaient le français souvent dans des situations naturelles, avec des
locuteurs français natifs. Sleeman montre que les apprenants qui ont été exposés pendant un
certain temps au français natif (plusieurs étudiants), utilisent plus souvent ces constructions
que ceux qui ne l’ont pas fait (les lycéens).
Sleeman réfère aussi à trois autres études qui ont montré que la langue utilisée par les
apprenants L2 ressemble plus à la langue utilisée par des locuteurs natifs quand l’apprenant a
reçu plus de input natif de la langue seconde dans une situation naturelle. Regan (1995) a
étudié l’omission de la particule négative ne, une caractéristique du français parlé natif, par
des étudiants irlandais qui apprenaient le français comme L2. Elle montre que les étudiants
qui ont passé une année en France omettent plus souvent la particule ne qu’avant. Leur
français parlé ressemble donc plus au français parlé natif, la situation naturelle d’acquisition a
influencé l’acquisition positivement.
Dewaele (2002) montre la même chose pour l’utilisation de on au lieu de nous, aussi une
caractéristique du français parlé natif. Il montre que les étudiants néerlandophones qui ont des
contacts fréquents avec des locuteurs français natifs utilisent beaucoup plus souvent le
pronom on avec un verbe de la troisième personne du singulier, tandis que les étudiants qui
ont peu de contacts avec des locuteurs français natifs utilisent beaucoup plus souvent le
pronom nous avec un verbe de la première personne du pluriel.
Finalement, Dewaele & Regan (2001) montrent que l’utilisation de mots français
familiers par des apprenants néerlandophones et irlandais du français comme L2 augmentait
énormément après un temps passé en France ou la communication fréquente avec des
locuteurs français natifs.
Même si dans les études présentées ici il s’agit surtout de montrer qu’il faut passer
quelque temps en France pour apprendre le français familier, je suppose que c’est pareil pour
l’apprentissage du français standard.
Dans ce chapitre j’ai présenté les études qui traitent de tous les facteurs qui peuvent
influencer l’acquisition L2 des pronoms clitiques français. Dans le chapitre suivant, qui
24
traitera de ma propre recherche, je présenterai entre autres les hypothèses déduites des études
antérieures traitées ici.
25
4. La recherche
Dans ce mémoire, j’étudie l’acquisition L2 des pronoms clitiques français par des apprenants
néerlandais. Pour pouvoir étudier le développement de l’acquisition, j’ai testé les quatre
classes les plus élevées du lycée et les étudiants de première année de l’université. J’étudie
également les facteurs qui influencent l’acquisition. Dans ce chapitre, je présenterai d’abord le
groupe et la méthode de recherche et ensuite les hypothèses basées sur les études antérieures.
4.1 Le groupe de recherche
Le groupe de recherche comprend deux sortes de groupes. Premièrement, il y a les élèves des
quatre classes les plus élevées du lycée, c’est-à-dire les classes 3, 4, 5 et 6 du VWO4. Ils
suivent des cours de français pendant deux ou trois heures par semaine. Les classes différentes
utilisent des méthodes d’enseignement différentes. Je donnerai un aperçu des méthodes
utilisées.
-
Libre Service
Les classes 4, 5 et 6 utilisent tous la méthode Libre Service. Cette méthode est utilisée pour
préparer
les
élèves
au
baccalauréat.
Les
élèves
s’entraînent
aux
différentes
aptitudes linguistiques: les compréhensions et les expressions écrite et orale. La grammaire se
trouve à la fin du livre et est utilisée comme un ouvrage de référence. Dans cette grammaire
se trouvent entre autres la règle du placement des pronoms clitiques français :
(43)
On va se baigner à La Baule.
We gaan zwemmen in La Baule.
Je lui ai donné un coup de téléphone.
Ik heb hem/haar even opgebeld.
Elle ne nous voit pas.
Ze ziet ons niet.
Passe-moi le sel, s’il te plaît.
Geef mij het zout even aan, alsjeblieft.
Ne me quitte pas !
Laat mij niet alleen!
4
VWO : enseignement du second degré, comparable à CES + lycée. Les élèves de la troisième classe ont eu des
cours de français pendant deux ans et demi, les élèves de la quatrième classe pendant trois ans et demi, et ainsi
de suite.
26
•
Mets le pronom personnel (objet direct ou objet indirect)
o devant l’infinitif, s’il y en a un,
o devant le premier verbe s’il n’y a pas d’infinitif,
o derrière le verbe si c’est un impératif sans négation.
Les élèves des trois classes ont aussi dû faire des exercices comparables à celles du test de
Sleeman (2010).
Dans ces trois classes, le livre Grammaire fondamentale est aussi utilisé, également
comme un ouvrage de référence. Dans ce livre, la règle est présentée de la façon suivante :
(44)
1. Ils se trouvent devant le Je ne lui ai pas donné de Ik
verbe conjugué.
heb
hem
geen
sigaren
cigares.
gegeven.
Ne lui donnez pas de cigarettes.
Geef hem geen sigaretten.
2. Dans un impératif affirmatif Donnez-lui des cigares
Geef hem sigaren.
ils se trouvent derrière le verbe
conjugué.
3. S’il y a un infinitif dans la Je veux lui donner un beau Ik wil hem een mooi boek
phrase, ils se trouvent devant livre.
cet infinitif.
geven.
Je veux l’avoir fini avant 6 Ik wil het voor 6 uur afgemaakt
heures.
4. S’il y a faire (ou laisser) + Je la fais bâtir. (la = la maison)
hebben.
Ik laat het bouwen.
infinitif dans la phrase, ils se Je l’ai fait bâtir. (l’= le garage)
trouvent
devant
faire
(ou
Ik heb hem laten bouwen.
laisser).
-
Franconville
La méthode Franconville est utilisée par la troisième classe. C’est une méthode assez
communicative. Le livre est divisé en chapitres avec un thème. A l’aide de ce thème on
apprend du vocabulaire et les règles grammaticales. La règle des clitiques objets est traité
pendant la troisième année au lycée, et est accompagnée d’exercices. Au moment du test, le
placement des pronoms clitiques avait déjà été traitée. La règle est présentée de la façon
suivante :
27
(45)
Les pronoms personnels se trouvent devant le verbe conjugué :
Je te vois quand ?
Wanneer zie ik je ?
Je lui donne ma mob.
Ik geef hem mijn brommertje.
Je vous ai vu dans le TGV.
Ik heb u in de hogesnelheidstrein gezien.
Tu leur as dit bonjour ?
Heb je hen gedag gezegd ?
Nous vous avons envoyé une carte.
We hebben u een kaart gestuurd.
Mais : S’il y a un infinitif dans la phrase, ils se trouvent devant l’infinitif :
Je voudrais te voir.
Ik zou je graag willen zien.
Tu vas lui donner ta mob ?
Ga je hem je brommertje geven ?
Je ne peux pas vous appeler ce soir.
Ik kan u niet bellen vanavond.
Nous allons leur envoyer une carte.
We gaan hun een kaart sturen.
Le groupe de recherche comprend aussi les étudiants de première année de l’université.
Ils ont tous eu des cours de français au lycée, pendant quatre ou six ans, deux ou trois heures
par semaine. La plus grande partie de ces étudiants (31 au total) suivent seulement les cours
d’acquisition du français. Le reste des étudiants (21 au total) suivent ces cours également,
mais ils suivent aussi des cours sur la linguistique et la littérature françaises qui sont donnés
en français. Au moment du test, les étudiants ont commencé le deuxième semestre. Au début
du premier semestre, les étudiants ont appris quelques règles sur le placement des pronoms
clitiques à l’aide de la grammaire scolaire Grammaire fondamentale (voir ci-dessus). Au
cours du deuxième semestre, les positions des pronoms clitiques seront extensivement
étudiées.
4.2 La méthode de recherche
Pour pouvoir comparer mes résultats à celles de Sleeman (2010), j’ai utilisé le même test
qu’elle a utilisé pour ses étudiants. C’est un test de production écrite, qui comprend 20
phrases. Un DP objet est souligné dans toutes les phrases. Les apprenants doivent recopier la
phrase et remplacer ce DP par un pronom en le mettant dans la position correcte dans la
phrase, sans changer l’ordre du reste de la phrase. Dans toutes les phrases, le DP doit être
remplacé par un pronom clitique objet de la troisième personne (le, la, l’ ou les).5
5
Le test avec les réponses correctes se trouve à la fin de ce mémoire comme appendice.
28
À l’aide des résultats de ce test, j’étais capable d’étudier le développement de
l’acquisition des pronoms clitiques par des apprenants néerlandais.
J’ai posé également quelques questions aux étudiants :
-
Quelles études est-ce que tu fais ?
-
Pendant combien d’années est-ce que tu as eu des cours de français au lycée ?
-
Combien de temps est-ce que tu as passé en France ?
-
Quelle est ta langue maternelle ?
J’ai combiné les réponses des questions aux résultats du test afin d’étudier les facteurs qui
influencent l’acquisition.
4.3 Les hypothèses
Dans cette section, je présenterai mes hypothèses sur le développement de l’acquisition L2
des pronoms clitiques et sur les différents facteurs qui peuvent influencer cette acquisition.
- Le développement
En ce qui concerne le développement de l’acquisition, je base mes hypothèses sur les
stades proposés par Towell & Hawkins (1994) :
(46)
1. Position postverbale
* J’ai reconnu le
2. Omission de l’objet
* J’ai reconnu
3. Devant le participe
* J’ai le reconnu
4. Devant le verbe conjugué
Je l’ai reconnu
Je m’attendais à ce que les élèves de la troisième classe fassent encore beaucoup d’erreurs du
premier stade, tandis que les étudiants de première année aient (presque) atteint le stade final.
Par contre, plusieurs étudiants de première année testés par Sleeman (2010) (environ 12%)
faisaient encore des erreurs du premier stade, par conséquent, je me n’attendais pas à ce que
tous les étudiants aient atteint le stade 4.
29
- Le transfert du néerlandais
Mes hypothèses sur le transfert du néerlandais sont surtout basées sur les conclusions de
Sleeman (2010). Sleeman a étudié les différences entre le système néerlandais et français et
elle s’attendait à ce qu’il y ait un transfert du néerlandais dans l’acquisition des pronoms
clitiques. Cette idée est confirmée par ses résultats.
Premièrement, elle avait prédit que les apprenants ne veulent pas mettre le clitique au
début de la phrase, parce que cela n’est pas possible en néerlandais. Cette prédiction est testée
par les phrases 3 et 8 du test (47-48).
(47)
a. Le connais-tu?
b. *’m ken ik niet.
(48)
a. L’as-tu rencontré?
b. *’m heb ik niet ontmoet.
Sleeman avait prédit aussi que les apprenants néerlandais mettent le clitique peut-être
quand même au début de la phrase quand cette phrase est précédée par une conjonction, parce
que les pronoms faibles néerlandais peuvent occuper cette position aussi, et, après une
conjonction, le clitique ne se trouve pas vraiment au début de la phrase. Cette prédiction est
testée par les phrases 4 et 11 du test (49-50).
(49)
a. Paul connaît le frère de Marie et le voit souvent.
b. Daar Paul Marie kent en ’m vaak spreekt…
(50)
Connais-tu le frère de Julie et le vois-tu souvent ?
Les résultats de Sleeman confirment ces prédictions. Je pouvais donc m’attendre à ce que
les apprenants néerlandais ne mettent pas le clitique au début de la phrase, et qu’ils le fassent
peut-être quand même après une conjonction. Cette hypothèse résulte aussi du fait que, ni les
lycéens, ni les étudiants, n’ont jamais appris explicitement où placer le clitique quand la
phrase a un ordre inversé.
Deuxièmement, d’un côté, Sleeman fait remarquer que dans les phrases avec un verbe
modal suivi par un infinitif, il serait question d’un transfert positif, parce que dans les deux
langues, le clitique se trouve devant l’infinitif. Mais Sleeman s’attendait aussi à ce que, quand
30
les apprenants néerlandais auront appris que les pronoms clitiques français précèdent le verbe
conjugué, ils appliquent peut-être cette règle aussi, incorrectement, quand le verbe conjugué a
un complément infinitival, parce qu’en néerlandais le pronom suit toujours le verbe conjugué,
qu’il y ait un infinitif ou non. Cela est testé dans les phrases 9 et 15 (51).
(51)
Eric veut la donner.
Nicolas n’ose pas le regarder.
Par contre, Sleeman s’attendait aussi à ce que les apprenants ne fassent pas cette erreur et
n’utilisent donc pas la position préverbale, quand une préposition se trouve entre le verbe
conjugué et l’infinitif. Cela est testé dans les phrases 6, 12 et 17 (52).
(52)
La maîtresse commence à les ranger.
La maman conseille aux enfants de bien les respecter.
L’enfant promet de les respecter.
Les résultats de Sleeman confirment aussi la deuxième prédiction. Je pouvais donc
m’attendre à ce que les apprenants que j’ai testés fassent ces mêmes erreurs.
Finalement, Sleeman avait prédit que les apprenants néerlandais mettent le clitique
devant l’adverbe dans les phrases 12 et 20 (53), parce qu’en néerlandais, quand l’infinitif est
modifié par un adverbe, l’ordre devient pronom – adverbe – infinitif, contrairement à l’ordre
français adverbe – pronom – infinitif.
(53)
La maman conseille aux enfants de bien les respecter.
Gérard préfère ne pas la connaître.
Cette troisième prédiction a aussi été confirmée par les résultats de Sleeman. Je pouvais
donc m’attendre à ce que les lycéens et les étudiants utilisent aussi incorrectement l’ordre
pronom – adverbe – infinitif.
- La Grammaire Universelle
En ce qui concerne la Grammaire Universelle, la question est de savoir si les lycéens et les
étudiants ont encore accès. Selon Herschensohn (2004), qui soutient l’hypothèse Full Transfer
Full Access, on peut admettre que les apprenants ont accès à la Grammaire Universelle si les
31
erreurs qu’ils font ne sont pas arbitraires, mais possibles selon la Grammaire Universelle.
C’est-à-dire que les apprenants néerlandais font peut-être des erreurs, qu’ils utilisent des
positions qui n’existent ni en néerlandais, ni en français, mais qu’ils ne mettent pas les
clitiques n’importe où dans la phrase, comme dans l’exemple (54), mais dans des positions
possibles selon la Grammaire Universelle (55).
(54)
*A quels le collègues avez-vous montré ?
(55)
*A quels collègues avez-vous montré le ?
Si les lycéens et les étudiants font seulement des erreurs du type (55), et pas du type (54),
je pourrais donc admettre qu’ils ont encore accès à la Grammaire Universelle. L’accès à la
Grammaire Universelle sera aussi montré si le développement de l’acquisition suit les stades
de Towell & Hawkins, parce que cela montre aussi que les erreurs ne sont pas arbitraires.
Granfeldt & Schlyter (2004) acceptent cette argumentation, mais ils l’utilisent aussi pour
montrer qu’il n’y a pas de transfert. Ils soutiennent l’hypothèse Full Access No Transfer. Ils
disent que si les apprenants utilisent des formes qui n’existent pas dans les deux langues, cela
montre qu’ils ne transfèrent pas, et qu’ils utilisent la Grammaire Universelle.
Personnellement je suis plutôt d’accord avec Herschensohn, parce que le fait que les
apprenants utilisent la Grammaire Universelle n’exclut pas le fait qu’il y ait aussi un transfert.
Si les apprenants néerlandais utilisent donc des ordres qui n’existent ni en français ni en
néerlandais, cela pourrait suggérer qu’ils ont accès à la Grammaire Universelle, mais, à mon
avis, cela ne montre pas qu’il n’y a pas de transfert. Comme nous avons vu dans la section
3.2.2, pour pouvoir expliquer pourquoi les apprenants L2 suédois ne cliticisent pas, même
s’ils ont accès à la Grammaire Universelle (ce qui dans la théorie de Herschensohn est
expliqué par le transfert), Granfeldt et Schlyter font appel au principe de l’Uniformité
Catégorielle de Rizzi (1998). Les adultes préfèrent les XPs. Cependant, Leonini & Belletti
(2004) montrent que des apprenants L2 de l’italien qui ont un pronom clitique du type roman
dans leur L1, cliticisent plus facilement que les apprenants qui n’en ont pas dans leur L1.
Ceux-ci utilisent plutôt des DPs lexicaux ou ils omettent le pronom clitique. Cela suggère
qu’il y a du transfert et pas d’uniformité catégorielle.
-
L’enseignement
J’ai testé les étudiants au début du deuxième semestre, quand ils n’avaient pas encore appris
en détail les positions des pronoms clitiques pendant les cours à l’université. J’ai étudié l’effet
32
de l’enseignement grammatical à l’aide d’une comparaison entre les résultats de ce test et les
résultats de l’examen qu’ils ont fait plus tard dans le semestre, quand ils avaient bien étudié
les positions des pronoms clitiques pendant les cours à l’université. Si ces résultats, obtenus
après que les étudiants avaient appris les règles, sont meilleurs que les résultats du test, cela
soutiendra l’idée de Doughty (1991) : l’effet positif de l’instruction explicite. Si par contre le
niveau des étudiants ne s’est pas amélioré, cela soutiendra les idées de Krashen (1983), qui
considère l’instruction grammaticale comme inutile.
L’effet de l’enseignement grammatical est aussi étudié à l’aide d’une comparaison entre
les étudiants qui ont eu des cours de français pendant 4 années au lycée et ceux qui ont eu des
cours de français pendant 6 années au lycée. Si les étudiants qui ont eu des cours pendant 6
années ont de meilleurs résultats que les étudiants qui ont eu des cours pendant 4 années, cela
soutiendra l’idée de Doughty. Si par contre les résultats des étudiants qui ont eu des cours
pendant 6 années ne sont pas meilleures, cela soutiendra les idées de Krashen.
Finalement, l’effet de l’enseignement devrait aussi être visible dans les résultats des
quatre classes testées au lycée.
- Une situation naturelle d’acquisition
L’idée de Krashen qu’une situation naturelle d’acquisition est meilleure que l’acquisition dans
une situation scolaire est aussi testée à l’aide d’une comparaison entre les réponses à la
question « Combien de temps est-ce que tu as passé en France ? » et les résultats. Si les
étudiants qui ont passé beaucoup de temps en France ont de meilleurs résultats que ceux qui
n’ont pas beaucoup communiqué avec des locuteurs français natifs, cela soutiendra cette idée
de Krashen.
Deuxièmement, j’ai comparé aussi les résultats des étudiants qui font des études de
français, et qui suivent, à part des cours de grammaire, aussi des cours sur la linguisitique et la
littérature. Ces cours sont donnés en français. Les étudiants qui font d’autres études, mais qui
suivent aussi les cours de grammaire française, ne suivent pas ces cours en français. Ils
communiquent donc moins en français et selon Krashen, leurs résultats seraint donc moins
bons.
Je m’attends à ce que cela soit le cas, parce que les études de Sleeman (2004), Regan
(2002), Dewaele (2002) et Dewaele & Regan (2001) montrent l’effet positif d’un temps passé
dans le pays où la langue est parlée.
Dans le chapitre suivant, je présenterai les résultats de ma recherche.
33
5. Les résultats
Dans ce chapitre les résultats du test seront traités. Premièrement, dans la section 5.1, le
développement de l’acquisition sera traité. Cela donnera une première idée des résultats en
général.
5.1 Le développement de l’acquisition
Si on compare les résultats du test des élèves des quatre classes les plus élevées du lycée et
des étudiants de première année de l’université, on peut montrer le développement de
l’acquisition des pronoms clitiques par des apprenants L2 néerlandais. Tout premièrement,
j’ai calculé le pourcentage des réponses correctes des élèves et des étudiants au test. Les
résultats de ce calcul se trouvent dans le tableau 3.
Tableau 3.
Développement de l'acquisition
Pourcentage de réponses correctes
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
3 VWO
4 VWO
5 VWO
6 VWO
Étudiants
Entièrement correct
6,25
5,6
49,23
15,79
55,27
Ordre correct
14,38
14,6
55
25,26
57,94
J’ai compté les réponses entièrement correctes, c’est-à-dire que l’ordre des mots, ainsi
que le pronom utilisé était corrects (56) (dans le tableau : « entièrement correct »). J’ai compté
aussi les réponses avec un ordre correct des mots, mais avec par exemple un pronom fort au
lieu d’un clitique, ou la forme masculine au lieu de la forme féminine (57) (dans le tableau :
« ordre correct »).
(56)
Jean la connaît.
34
(57)
*Jean lui connaît.
*Jean le connaît. (la cousine de Caroline)
Quand on regarde le tableau 3, on voit qu’il y a clairement un développement : la
troisième classe produit le moins de phrases correctes (6,25%) et les étudiants le plus
(55,27%). Il est quand même remarquable qu’il y ait une différence énorme entre le nombre
de phrases correctes produites par les élèves de la sixième classe (15,79%) et par les étudiants
(55,27%). On pourrait pourtant admettre qu’il est normal que les étudiants aient de meilleurs
résultats que les élèves de la sixième classe. Ceux qui font des études de français l’ont choisi
explicitement, ils peuvent avoir eu beaucoup de raisons pour ce choix, mais dans la plupart
des cas, c’est aussi parce qu’ils étaient forts en français au lycée.
Si on compare le meilleur élève de la sixième classe à l’étudiant moyen, la différence
n’est plus si grande : 45% des phrases produites par le meilleur élève étaient entièrement
correctes (étudiants : 55,27%), et 55% de ses phrases avaient un ordre correct (étudiants :
57,94%).
Reste quand même le pourcentage très élevé de phrases correctes produites par les élèves
de la cinquième classe (49,23%), surtout si on compare ce pourcentage aux résultats de la
quatrième et de la sixième classe (respectivement 5,6% et 15,79% correct). Cela peut être
expliqué par le fait que les différentes classes ont eu des cours de différents professeurs, qui
enseignent d’une manière différente6.
Que la cinquième classe soit une classe qui est forte en français ressort aussi de l’analyse
des erreurs à l’aide des stades de Towell & Hawkins (1994) (46). Les phrases 1 et 2 (58)-(59)
du test sont ajoutées pour pouvoir examiner le stade de Towell & Hawkins atteint par les
apprenants.
(58)
Jean connaît la cousine de Caroline.
è Jean la connaît.
(59)
Michel a rencontré le père de Philippe à Paris.
è Michel l’a rencontré à Paris.
6
Je reviendrai sur ce point dans la section 5.4 et dans la discussion.
35
J’ai analysé les réponses des élèves et des étudiants et j’ai classé leurs erreurs selon les
stades de Towell & Hawkins. Dans les tableaux 4 et 5, les résultats de cette analyse sont
présentés.
Tableau 4.
Pourcentage
Phrase 1. Stades de Towell & Hawkins
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
3 VWO
4 VWO
5 VWO
6 VWO
Étudiants
Stade 4
6,25
4
84,62
31,58
91,66
Stade 3
0
0
0
0
0
Stade 2
0
0
0
5,26
0
Stade 1
93,75
96
15,38
63,16
8,33
Tableau 5.
Pourcentage
Phrase 2. Stades de Towell & Hawkins
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
3 VWO
4 VWO
5 VWO
6 VWO
Étudiants
Stade 4
6,25
4
76,92
26,32
89,58
Stade 3
0
4
15,39
21,05
4,17
Stade 2
0
0
0
0
0
Stade 1
93,75
92
7,69
52,63
6,25
36
Ces tableaux montrent de nouveau qu’il y a clairement un développement de la troisième
classe vers les étudiants. La plupart des élèves de la troisième classe font des erreurs du stade
1 (93,75%) (60), tandis que la plupart des étudiants (89,58%) ont atteint le stade 4. Et comme
on voit ici, la plupart des élèves de la cinquième classe (76,92%) ont aussi atteint le stade 4,
ils montrent de nouveau qu’ils sont une classe forte en français. Un élève de la sixième classe
a omis l’objet dans la phrase 1, une erreur du deuxième stade (61) et dans la phrase 2,
plusieurs élèves, et aussi quelques étudiants faisaient des erreurs du troisième stade : ils ont
positionné le pronom devant le participe (62).
(60)
*Jean connaît elle.
*Jean connaît lui.
*Michel a rencontré lui à Paris.
*Michel a rencontré le à Paris.
(61)
*Jean connaît.
(62)
*Michel a le rencontré à Paris.
*Michel a lui rencontré à Paris.
Les élèves et les étudiants qui font des erreurs du premier stade comme en (60), ne
cliticisent pas. Ils analysent les pronoms comme des pronoms forts et faibles, comme en
néerlandais. Ils transfèrent donc du néerlandais. Les résultats en ce qui concerne le rôle du
transfert dans l’acquisition seront traités dans la section suivante.
Comme nous avons vu dans le chapitre 3, les erreurs du troisième stade, selon Granfeldt
& Schlyter (2004), suggèrent que les apprenants commencent à déplacer les pronoms objets
vers une position plus élevée que le VP, mais pas encore vers la position finale. Comme cette
position n’existe ni en suédois ni en français, cela suggère un accès direct à la Grammaire
Universelle, et la présence de Catégories Fonctionnelles, parce que le pronom a été déplacé.
Les résultats en ce qui concerne l’accès à la Grammaire Universelle seront traités dans la
section 5.3.
Ensuite, les résultats concernant le rôle de l’enseignement et l’influence d’un séjour en
France seront aussi traités, respectivement dans les sections 5.4 et 5.5.
37
5.2 Le transfert du néerlandais
Dans l’étude de Sleeman (2010) le transfert du néerlandais dans l’acquisition des pronoms
clitiques objets était grand. A la suite de ses conclusions, je m’attendais à ce que les
apprenants néerlandais ne mettent pas le clitique au début de la phrase, parce que cela n’est
pas possible en néerlandais. Mes résultats confirment cette hypothèse. Dans la phrase 3 (63),
aucun des élèves des classes 3, 4 et 6 n’a mis le pronom au début de la phrase, et seulement
15,38% des élèves de la cinquième classe (qui était forte en français) et 14,58% des étudiants
l’ont fait.
(63)
Connais-tu le frère de Pierre ?
è Le connais-tu ?
La plupart des élèves des classes 3, 4 et 6 (respectivement 87,5% , 88% et 89,47%) ont
utilisé l’ordre néerlandais des mots, c’est-à-dire avec le pronom dans une position postverbale
(64). La plupart des élèves de la cinquième classe et des étudiants (respectivement 69,23% et
60,42%) ont changé l’ordre des mots (bien que cela ne fût pas permis dans le test) pour éviter
de mettre le pronom au début de la phrase (65).
(64)
Ken jij hem ?
*Connais-tu il ?
*Connais-tu le ?
*Connais-tu lui ?
(65)
Tu le connais ?
*Tu lui connais ?
Dans la phrase 8 du test (66) le clitique doit aussi occuper la première position de la
phrase :
(66)
As-tu rencontré le père de Marianne ?
è L’as-tu rencontré ?
38
Des classes 3,4 et 6, la plupart des élèves (respectivement 87,5%, 92% et 63,16%) ont utilisé
un ordre qui n’existe ni en néerlandais7, ni en français. Ils ont mis le pronom à la fin de la
phrase :
(67)
*As-tu rencontré le ?
*As-tu rencontré lui ?
Les élèves ne peuvent pas avoir transféré cet ordre du néerlandais, parce que cet ordre
n’existe pas en néerlandais. Cependant, je pense que c’est quand même une sorte de transfert.
En néerlandais, le pronom occupe toujours la même position que le DP entier. Le DP qu’ils
devaient remplacer (le père de Marianne) se trouvait à la fin de la phrase et les élèves utilisent
cette même position pour le pronom8.
Quelques élèves de la cinquième classe ont utilisé l’ordre correct (23,08%), mais la
plupart des élèves n’ont pas mis le pronom au début. Ils ont utilisé ou bien l’ordre néerlandais
des mots (30,77%) (68), ou ils ont changé l’ordre des mots pour éviter de mettre le pronom au
début (38,46%) (69). La plupart des étudiants ont utilisé l’ordre néerlandais des mots
(51,51%). Ils ont donc littéralement traduit du néerlandais :
(68)
Heb jij hem ontmoet ?
*As-tu lui rencontré ?
*As-tu le rencontré ?
(69)
Tu l’as rencontré ?
*Tu lui as rencontré ?
Cela correspond aussi à l’ordre des stades d’acquisition proposé par Towell & Hawkins.
Premièrement, dans le premier stade, la position postverbale (67), ensuite, dans le troisième
stade, devant le participe (68). Le tableau 6 donne un aperçu en pourcentages des réponses
données.
7
En néerlandais, dans cette phrase, le pronom se trouve devant le participe: “Heb jij hem ontmoet?”
L’ordre en (67) pourrait suggérer que les élèves n’ont pas compris l’instruction et ont tout simplement remplacé
le DP par un pronom sans changer l’ordre. L’instruction était quand même très explicitement donnée. Les
apprenants devaient noter la phrase entière, et donc choisir la position du DP, et s’ils n’avaient pas fait cela, mais
seulement noté le pronom, j’ai dit qu’ils devaient montrer avec une flèche où ils voulaient le placer. Cela suggère
que les élèves pensent que la position postverbale est la position correcte du pronom en (67).
8
39
Tableau 69.
Phrase 8
Pourcentages
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
3 VWO
4 VWO
5 VWO
6 VWO
Étudiants
0
0
7,69
0
0
12,5
0
38,46
15,79
18,18
Stade 4
0
0
23,08
0
18,18
Stade 3
0
8
30,77
21,5
51,51
Stade 2
0
0
0
0
0
Stade 1
87,5
92
0
63,16
12,12
Blanc
Changé l'ordre
Deuxièmement, je m’attendais à ce que les élèves mettent plus facilement le pronom au
début de la phrase quand elle est précédée par une conjonction, parce que les pronoms faibles
néerlandais peuvent occuper cette position aussi, et, après une conjonction, le clitique ne se
trouve pas vraiment au début de la phrase. Cette hypothèse est aussi confirmée par les
résultats.
L’hypothèse était testée par les phrases 4, 11 et 16 du test (70-72).
(70)
Paul connaît le frère de Marie et voit le frère de Marie souvent.
è Paul connaît le frère de Marie et le voit souvent.
(71)
Connais-tu le frère de Julie et vois-tu le frère de Julie souvent?
è Connais-tu le frère de Julie et le vois-tu souvent?
(72)
As-tu reçu mon message et as-tu lu mon message?
è As-tu reçu mon message et l’as-tu lu?
Quand on compare les résultats des phrases 3 et 8 du test, sans conjonction (63) et (66), aux
résultats des phrases (71-72), on remarque que les élèves et les étudiants utilisent en effet plus
souvent la première position dans ces phrases. Cela ne vaut pas pour les deux classes les plus
9
Voir aussi les tableaux 7 et 8.
40
basses, 3 et 4 VWO. Les élèves de ces classes n’ont jamais mis le pronom au début, ni dans
les phrases sans conjonction, ni après une conjonction. Ils mettent le pronom pratiquement
toujours dans une position postverbale, ils utilisent donc pour le pronom la même position que
pour le DP entier.
La distinction entre les phrases 1 (58) (non-interrogatif avec sujet) et 4 (70) (noninterrogatif sans sujet) montre que les élèves de la cinquième classe (84,62% vs. 53,85%), de
la sixième classe (31,57% vs. 26,32%) et les étudiants (91,66% vs. 81,25%), n’ont pas peur de
mettre le pronom devant le verbe après et, même si le sujet manque.
Cela suggère qu’ils n’auront pas peur non plus de mettre le pronom devant le verbe après
et dans une phrase interrogative. Cela est confirmé par les résultats. Quand on compare les
phrases 3 (63) et 8 (66) du test (interrogatif sans conjonction) avec les phrases 11 (71) et 16
(72) du test (interrogatif avec conjonction), on voit en effet que les apprenants n’ont pas peur
de mettre le pronom devant le verbe après la conjonction et. Surtout les élèves de la
cinquième classe et les étudiants utilisent plus souvent la première position dans les phrases
avec une conjonction.
Dans les phrases 3 et 8 (sans conjonction), seulement 15,38% et 23,08% des élèves de la
cinquième classe, et seulement 14,58% et 17,65% des étudiants ont mis le pronom devant le
verbe. Cependant, dans les phrases 11 et 16 (avec une conjonction), 30,77% des élèves de la
cinquième classe a utilisé cette position et des étudiants 16,67% et 27,08% a mis le pronom
devant le verbe après la conjonction et.
Dans la sixième classe la différence était un peu moins grande, mais ils aussi mettent en
effet plus souvent le pronom correctement devant le verbe après la conjonction et. Dans les
phrases 3 et 8 (phrase interrogative sans conjonction), aucun des élèves n’a utilisé cette
position, tandis que dans les phrases avec la conjonction et (11 et 16), 5,26% l’a fait
correctement.
Ces résultats montrent que la présence de et augmente l’emploi du pronom devant le
verbe conjugué dans les phrases interrogatives à inversion du sujet.
Dans la version néerlandaise des phrases avec conjonction (4, 11 et 16 du test), le pronom
se trouve après le verbe. Dans la phrase (21) discutée dans le chapitre 2 et répétée ci-dessous,
le pronom se trouve devant le verbe en français et en néerlandais :
(73)
Als Paul me belt en me vertelt dat…
Si Paul me téléphone et me raconte que…
41
Ce type de phrases ne faisait pas partie du test. Il se peut, pourtant, que le pourcentage de
l’emploi du pronom en position préverbale eût été plus grand dans ce cas que le pourcentage
pour les phrases avec conjonction 4, 11 et 16. Cela montrerait alors le rôle du transfert.
Dans la phrase 13 du test (74) les apprenants ne doivent pas mettre le pronom au début de
la phrase, parce que c’est une phrase interrogative partielle, commençant par un constituent
interrogatif. On s’attend donc à ce que les apprenants utilisent la position préverbale plus
souvent que dans la phrase 3 du test (64) où ils devaient mettre le pronom au début.
(74)
A quels collègues avez-vous montré le résultat ?
è A quels collègues l’avez-vous montré ?
Les résultats confirment cette hypothèse. 46,15% des élèves de la cinquième classe
utilise la position préverbale dans la phrase 13 du test (et seulement 15,38% dans la phrase 3),
15,97% des élèves de la sixième classe (et 0% dans la phrase 3) et 25% des étudiants (14,58%
dans la phrase 3).
La même chose vaut pour la phrase 5 du test (75). C’est aussi une phrase interrogative
partielle, et le pronom ne se trouve donc pas au début si les apprenants utilisent correctement
la position préverbale. On s’attend donc de nouveau à ce que les apprenants utilisent la
position préverbale plus souvent que dans la phrase 3 du test (63) où ils devaient mettre le
pronom au début.
(75)
A qui enverrez-vous la lettre ?
è A qui l’enverrez-vous ?
De nouveau, les apprenants ont utilisé cette position préverbale plus souvent que dans la
phrase 3 du test. 53,85% des élèves de la cinquième classe utilisent la position préverbale
dans la phrase 13 du test (et seulement 15,38% dans la phrase 3), 15,79% des élèves de la
sixième classe (et 0% dans la phrase 3) et 58,33% des étudiants (14,58% dans la phrase 3).
La phrase 7 du test (76) est une phrase impérative positive, et le pronom se trouve donc
derrière le verbe conjugué. Si les apprenants utilisaient la position préverbale, le pronom se
trouverait au début de la phrase, et en plus, l’ordre français correspond dans cette phrase à
l’ordre néerlandais. On s’attend donc à ce que les apprenants utilisent l’ordre correct.
(76)
Donne le ballon à ton frère !
42
è Donne-le à ton frère !
Geef hem aan je broer !
Les résultats montrent de nouveau que les apprenants néerlandais n’aiment pas mettre le
pronom au début de la phrase. Dans tous les groupes la plupart ont utilisé l’ordre correct,
respectivement 87,50% (3 VWO), 100% (4VWO), 53,85% (5VWO), 89,47% (6VWO) et
79,41% (étudiants).
La phrase 14 du test (76) est aussi une phrase impérative positive, mais avec une
conjonction. Si on utilisait donc, incorrectement, la position préverbale, le pronom ne se
trouverait pas vraiment au début.
(77)
Ecris une lettre et envoie la lettre à ta copine !
è Ecris une lettre et envoie-la à ta copine !
C’est aussi pour cela que plus d’apprenants ont utilisé cette position préverbale. Plus
souvent que dans la phrase 7 du test (76) où le pronom se trouverait au début de la phrase si
on utilisait la position préverbale. Respectivement 15,38%, 8%, 76,92%, 31,58% et 66,67%
des apprenants l’ont utilisé.
Il s’avère donc que les apprenants néerlandais n’aiment pas mettre le pronom au début de
la phrase, parce que cela n’est pas possible en néerlandais non plus. Il s’avère aussi que les
apprenants néerlandais ont moins de difficultés à utiliser cette position quand c’est après une
conjonction. Cela est montré encore une fois dans les tableaux 6 et 7. On voit que les
apprenants néerlandais utilisent plus souvent la position préverbale dans des phrases avec une
conjonction ou un constituent interrogatif, où le pronom ne se trouve donc pas vraiment au
début de la phrase (phrases 4 (70), 11 (71), 16 (72), 13 (74), 5 (75), 14 (77), 10 (78)) (tableau
8) que dans des phrases où le pronom se trouve vraiment au début de la phrase quand on
utilise la position préverbale (phrases 3 (63), 8 (66), 7 (76)) (tableau 7)10.
(78)
Ne jette pas les journaux !
è Ne les jette pas !
10
Dans ces tableaux, on ne voit pas vraiment une différence entre les pourcentages des classes 3VWO et 4VWO
sans/avec conjonction, parce qu’ils utilisent surtout la position postverbale, également après une conjonction. Ils
transfèrent donc presque dans toutes les phrases l’ordre néerlandais.
43
Tableau 7.
pourcentage
Position préverbale dans des phrases sans
conjonction
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
3VWO
4VWO
5VWO
6VWO
Étudiants
phrase 3
0
0
15,38
0
14,58
phrase 7
12,5
0
38,46
5,26
11,76
phrase 8
0
0
23,08
0
17,65
Tableau 8.
Pourcentage
Position préverbale dans des phrases avec
une conjonction ou un constituant
interrogatif
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
3 VWO
4VWO
5VWO
6VWO
Étudiants
phrase 4
6,25
0
26,32
26,32
81,25
phrase 5
0
24
15,79
15,79
58,33
phrase 10
18,75
0
92,31
36,84
97,92
phrase 11
0
0
30,77
5,26
16,67
phrase 13
0
4
46,15
15,79
25
phrase 14
15,38
8
76,92
31,58
66,67
phrase 16
0
0
30,77
0
27,08
44
Les élèves de la cinquième classe ont utilisé la position préverbale relativement souvent.
Ils l’ont utilisée par exemple beaucoup dans la phrase 7 du test (76), une phrase impérative
positive, qui demande donc une position postverbale. Apparemment, les élèves de la
cinquième classe appliquent très strictement la règle de la position préverbale des pronoms
clitiques français.
En ce qui concerne les phrases avec un complément infinitival, je m’attendais à deux
phénomènes. D’un côté, je m’attendais à ce que les apprenants néerlandais n’aient pas de
difficultés à mettre le pronom devant l’infinitif dans les phrases 9 et 15 du test (79)-(80),
parce qu’en néerlandais, les pronoms se trouvent aussi devant l’infinitif. De l’autre côté, je
m’attendais aussi au fait que les apprenants qui connaissent la règle qui dit qu’en français le
pronom clitique se trouve devant le verbe conjugué, appliquent incorrectement cette règle ici
aussi.
(79)
Eric veut donner la réponse
è Eric veut la donner.
Eric wil het geven.
(80)
Nicolas n’ose pas regarder le film.
è Nicolas n’ose pas le regarder.
Nicolas durft hem niet te kijken.
La plupart des élèves des classes 3,4 et 6 (respectivement 87,5%, 68% et 52,63% dans la
phrase 9 et 81,25%, 84% et 57,89% dans la phrase 15) mettent le pronom dans une position
postverbale. En fait, ils mettent le pronom à la même position que le DP entier :
(81)
*Eric veut donner elle.
*Eric veut donner la.
*Eric veut donner lui.
(82)
*Nicolas n’ose pas regarder le.
*Nicolas n’ose pas regarder lui.
La plupart des élèves de la cinquième classe (respectivement 76,92% et 61,54%) utilisent
l’ordre correct dans ces phrases. Les autres n’utilisent pas la position postverbale, mais ils
mettent le pronom en effet devant le verbe conjugué (83). La même chose vaut pour les
45
étudiants, la plupart (respectivement 70,83% et 68,75%) utilisent l’ordre correct. Le reste met
aussi le pronom devant le verbe conjugué :
(83)
*Eric la veut donner.
*Nicolas ne l’ose pas regarder.
La phrase 18 du test (84) est aussi une phrase avec un infinitif, mais l’auxiliaire est le
verbe faire, et le clitique doit donc se trouver devant le verbe conjugué. Les apprenants ne
doivent donc pas transférer l’ordre néerlandais, avec le pronom devant l’infinitif.
(84)
Le professeur fait corriger les fautes.
è Le professeurs les fait corriger.
Les classes 3,4 utilisent le plus souvent (respectivement 81,25% et 80%) la position
postverbale, leur pronom occupe la même position que le DP entier :
(85)
*Le professeur fait corriger elles.
*Le professeur fait corriger les.
*Le professeur fait corriger leurs.
*Le professeur fait corriger ces.
Les élèves de la sixième classe utilisent aussi souvent la position du DP entier (52,63%),
mais ils mettent aussi le pronom devant l’infinitif (31,58%) (85), comme en néerlandais, ou ils
utilisent la règle et mettent le pronom correctement devant le verbe conjugué (15,79%).
La plupart11 des élèves de la cinquième classe et des étudiants mettent le pronom devant
l’infinitif (respectivement 84,62% et 75%) :
(86)
*Le professeur fait les corriger.
En général, la règle de la position préverbale n’est pas beaucoup surgénéralisée, la plupart
des lycéens mettent le pronom à la fin de la phrase, une position qui n’existe ni en
néerlandais, ni en français : ils mettent le pronom (comme en néerlandais) à la même position
11
Les autres utilisent dans cette phrase l’ordre correct.
46
que le DP entier. Cependant, dans les phrases 9 et 15 du test (79)-(80) plusieurs élèves de la
cinquième classe et plusieurs étudiants (environ 30%12) surgénéralisent quand même la règle
et mettent le pronom devant le verbe conjugué.
Je m’attendais aussi à ce que les apprenants surgénéraliseraient moins souvent cette règle
quand il y a une préposition devant l’infinitif, comme dans les phrases 6, 12 et 17 du test (87)(89).
(87)
La maîtresse commence à ranger les livres.
è La maîtresse commence à les ranger.
(88)
La maman conseille aux enfants de bien respecter les règles.
è La maman conseille aux enfants de bien les respecter.
(89)
L’enfant promet de respecter les règles.
è L’enfant promet de les respecter.
Cette hypothèse est confirmée par les résultats, les élèves de cinquième classe et les
étudiants n’utilisent presque pas la position devant le verbe conjugué dans ces phrases
(5VWO respectivement 0%, 7,69% et 7,69% ; étudiants respectivement 10,42%, 0% et
8,33%)), tandis que environ 30% de ce groupe utilisait cette position dans les phrases sans
préposition. Dans ces phrases, ils ont utilisé ou bien l’ordre correct (5VWO respectivement
69,23%, 61,54% et 69,23% ; étudiants respectivement 85,42%, 22,92% et 89,58%), ou ils ont
mis le pronom devant la préposition, comme en néerlandais (5VWO respectivement 30,77%,
0% et 15,38% ; étudiants respectivement 4,17%, 0% et 0%) :
(90)
Het kind belooft ze te respecteren.
*L’enfant promet les de respecter.
Dans la phrase 12 (88), beaucoup d’étudiants (77,08%) et un élève de la cinquième classe
(7,69%) ont mis le pronom devant l’adverbe bien13 :
(91)
*La maman conseille de les bien respecter.
12
Des élèves de la cinquième classe et des étudiants ensemble.
L’ordre néerlandais pronom-adverbe-infinitif versus l’ordre français adverbe-pronom-infinitif sera traité plus
loin dans ce chapitre.
13
47
Les élèves des classes 3, 4 et 6, tout comme les élèves de la cinquième classe et les
étudiants, n’utilisent pas la position devant le verbe conjugué dans ces phrases (0%), mais ils
n’utilisent pas l’ordre correct non plus, ils mettent de nouveau le pronom à la même position
que le DP entier :
(92)
*La maîtresse commence à ranger elles.
*La maîtresse commence à ranger les
*La maîtresse commence à ranger leurs.
*La maman conseille aux enfants de bien respecter elles.
*La maman conseille aux enfants de bien respecter les.
*La maman conseille aux enfants de bien respecter leur.
*L’enfant promet de respecter elles.
*L’enfant promet de respecter ils.
*L’enfant promet de respecter leur.
Les apprenants n’ont pas non plus surgénéralisé la règle dans la phrase 19 du test (93).
(93)
Veux-tu donner la réponse ?
è Veux-tu la donner ?
Aucun des lycéens et des étudiants n’a utilisé la position préverbale ici, parce que s’ils
l’avaient fait, le pronom se serait trouvé au début de la phrase.
Finalement, je m’attendais à ce que les élèves utilisent l’ordre néerlandais pronom –
adverbe – infinitif dans les phrases 12 et 20 (94) et (95), au lieu de l’ordre français adverbe –
pronom – infinitif.
(94)
La maman conseille aux enfants de bien respecter les règles.
è La maman conseille aux enfants de bien les respecter.
Moeder adviseert aan haar kinderen ze te respecteren.
(95)
Gérard préfère ne pas connaître la vérité.
è Gérard préfère ne pas la connaître.
Gerard wil haar niet kennen.
48
Les tableaux 9 et 10 montrent que l’ordre néerlandais est en effet utilisé souvent, mais
l’ordre français est aussi utilisé souvent dans ces phrases, parfois même plus souvent que
l’ordre néerlandais. Les apprenants transfèrent donc l’ordre néerlandais, mais beaucoup
d’entre eux ont déjà appris l’ordre français adverbe – pronom – infinitif.
Il est remarquable que la plupart des étudiants utilisent l’ordre français dans la phrase 20,
avec l’adverbe ne pas (72,92%), tandis que dans la phrase 12, avec l’adverbe bien, seulement
22,92% des étudiants utilisent cette ordre. Apparemment, l’ordre français adverbe – pronom –
infinitif est plus connu par les apprenants L2 néerlandais avec l’adverbe ne pas qui est très
courant.
Tableau 9.
Pourcentage
Phrase 12
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
3VWO
4VWO
5VWO
6VWO
Étudiants
autre ordre
87,5
92
30,77
68,42
0
ordre français
12,5
0
61,54
5,26
22,92
0
8
7,69
26,32
77,08
ordre néerlandais
49
Tableau 10.
pourcentage
Phrase 20
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
autre ordre
3VWO
4VWO
5VWO
6VWO
Étudiants
100
88
7,7
57,89
2,08
ordre français
0
4
76,92
26,32
72,92
ordre néerlandais
0
8
15,38
15,79
25
Il s’est avéré que le rôle du transfert est très grand dans l’acquisition des pronoms
clitiques français par des apprenants néerlandais. Premièrement, nous avons vu que les
apprenants néerlandais n’aiment pas mettre le pronom au début de la phrase parce que cela
n’est pas possible en néerlandais. Ensuite il s’est avéré que les apprenants débutants mettent
souvent le pronom à la même position que le DP entier, comme en néerlandais14.
Troisièmement, il s’est avéré qu’il y a un transfert positif dans les phrases avec un
complément infinitival. Dans les deux langues, le pronom se trouve devant l’infinitif (mais en
français il peut se trouver aussi devant le verbe conjugué, à mois qu’il y ait une préposition ou
un marqueur infinitival séparant les deux). Et finalement nous avons vu que l’ordre
néerlandais pronom – adverbe – infinitif est transféré aussi.
5.3 Le rôle de la Grammaire Universelle
Dans cette section, je traiterai le rôle de la Grammaire Universelle. Dans la section
précédente, nous avons vu qu’il y a un transfert du néerlandais dans l’acquisition des pronoms
clitiques par des apprenants néerlandais L2. L’hypothèse proposée par Granfeldt & Schlyter
(2004) de Full Access No Transfer ne peut donc pas être confirmée par mes données.
14
Je reviendrai sur ce sujet dans la section 5.3 sur le rôle de la Grammaire Universelle.
50
Cependant, mes données confirment que les apprenants L2 ont accès à la Grammaire
Universelle.
Les apprenants néerlandais (surtout les apprenants débutants) utilisent souvent un ordre
des mots qui n’existe ni en néerlandais, ni en français :
(96)
*Michel a rencontré lui à Paris.
*La maîtresse commence à ranger elles.
*As-tu rencontré lui ?
*Eric veut donner la.
*Ne jette pas eux !
*La maman conseille aux enfants de bien respecter les.
*A quels collègues avez-vous montré lui ?
*Nicolas n’ose pas regarder le.
*As-tu reçu mon message et as-tu lu il ?
*L’enfant promet de respecter elles.
*Le professeur fait corriger leur.
*Veux-tu donner elle ?
*Gérard préfère ne pas connaître la.
La plupart des élèves des classes 3 et 4, mais aussi plusieurs élèves de la classe 6 utilisent
cet ordre des mots15. Cet ordre ne peut pas être transféré du néerlandais, parce que cet ordre
n’existe pas en néerlandais. J’admets, cependant, que cet ordre est quand même le résultat
d’un transfert. Les élèves n’ont pas transféré l’ordre néerlandais des mots, mais ils ont
transféré le paramètre néerlandais. En néerlandais le pronom se trouve toujours à la même
position que le DP entier. Le pronom clitique ne se déplace pas, comme en français, avec le
verbe. C’est pour cela que les élèves utilisent cet ordre, ils mettent le pronom à la même
position que le DP français entier (cf. (96)). Ils traitent les pronoms clitiques français comme
des pronoms faibles ou forts, mais pas comme des clitiques.
(97)
Michel a rencontré le père de Philippe à Paris.
La maîtresse commence à ranger les livres.
As-tu rencontré le père de Marianne ?
15
Ils utilisent tous des pronoms différentes (il/elle/le/la/lui/leur etc.), mais l’ordre est pareil.
51
Eric veut donner la réponse.
Ne jette pas les journaux !
La maman conseille aux enfants de bien respecter les règles.
A quels collègues avez-vous montré le résultat ?
Nicolas n’ose pas regarder le film.
As-tu reçu mon message et as-tu lu mon message ?
L’enfant promet de respecter les règles.
Le professeur fait corriger les fautes.
Veux-tu donner la réponse ?
Gérard préfère ne pas connaître la vérité.
Même si les apprenants débutants se basent surtout sur leur L1 et transfèrent beaucoup,
les apprenants plus avancés semblent se baser plutôt sur leur Grammaire Universelle innée.
C’est que les apprenants plus avancés, les élèves de la classe 5 et les étudiants, semblent déjà
avoir refixé le paramètre de la position du pronom et ne mettent pas le pronom à la même
position que le DP entier, mais ils cliticisent vraiment et utilisent souvent la position
préverbale.
L’accès à la Grammaire Universelle par les apprenants néerlandais que j’ai testés est
aussi montré par le fait que les élèves et les étudiants n’utilisent pas des positions qui ne sont
pas possibles selon la Grammaire Universelle. Ils ne mettent pas les pronoms entre des noms,
comme dans l’exemple (98). Quand ils utilisent des positions incorrectes, qui ne sont même
pas possibles en néerlandais, ce sont toujours des positions possibles selon la Grammaire
Universelle (99).
(98)
*A quels le collègues avez-vous montré ?
(99)
*A quels collègues avez-vous montré le ?
Finalement l’accès à la Grammaire Universelle est montré aussi par le fait que
l’acquisition suit les stades de Towell & Hawkins (1994), la plupart des élèves de la troisième
classe font des erreurs du premier stade et la plupart des étudiants ont atteint le quatrième
stade. Leur acquisition n’est donc pas arbitraire.
52
5.4 L’influence de l’enseignement
J’ai testé l’influence de l’enseignement grammatical à l’aide d’une comparaison entre les
résultats du test des étudiants universitaires au début du second semestre, et les résultats de
l’examen qu’ils ont fait plus tard dans le semestre, quand ils avaient étudié les positions des
pronoms clitiques pendant les cours à l’université.
L’examen traitait de plusieurs sujets, et contenait plusieurs phrases dans lesquelles un ou
plusieurs syntagmes devaient être remplacés par un pronom (100)-(105).
(100)
Ils hésitent à parler à leurs parents de cette question.
è Ils hésitent à leur en parler.
(101)
Le directeur des ventes est persuadé que ces produits deviennent un succès.
è Le directeur des ventes en est persuadé.
(102)
Rends cette clef à ta sœur.
è Rends-la-lui.
(103)
Je n’ai pas entendu sonner le téléphone.
è Je ne l’ai pas entendu sonner.
(104)
Tu ne dois pas mettre ton nom sur cette liste.
è Tu ne dois pas l’y mettre.
(105)
A-t-il répondu à votre question ?
è Y a-t-il répondu ?
La phrase (100) est une phrase avec un infinitif en combinaison avec une préposition,
comparable à la phrase 6 du test (106). La phrase (101) est comparable à la phrase 1 du test
(107). La phrase impérative positive (102) est comparable à la phrase 7 du test (108). La
phrase (103), où le pronom complément de l’infinitif est monté devant le verbe conjugué, est
comparable à la phrase 18 du test (109). La phrase (104) est une phrase avec un infinitif, mais
sans préposition, comparable à la phrase 15 du test (110). Finalement, la phrase (105), une
phrase où le pronom se trouve au début de la phrase est comparable à la phrase 8 du test
(111).
(106)
La maîtresse commence à ranger les livres.
è La maîtresse commence à les ranger.
(107)
Jean connaît la cousine de Caroline.
53
è Jean la connaît.
(108)
Donne le ballon à ton frère !
è Donne-le à ton frère !
(109)
Le professeur fait corriger les fautes.
è Le professeurs les fait corriger.
(110)
Nicolas n’ose pas regarder le film.
è Nicolas n’ose pas le regarder.
(111)
As-tu rencontré le père de Marianne ?
è L’as-tu rencontré ?
Quand on compare le niveau moyen du test au niveau moyen de l’examen, il s’avère que le
niveau des étudiants s’est amélioré après qu’ils avaient appris les règles concernant les
pronoms clitiques. Dans le tableau 11 le niveau du test au début du semestre et le niveau de
l’examen sont comparés
Pourcentage de réponses correctes
Tableau 11.
Réponses correctes avant et après l'instruction
grammaticale
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
test
examen
entièrement correct
55,27
74,24
ordre correct
57,94
77,27
J’ai aussi comparé les résultats des phrases individuelles de l’examen (100)-(105), et les
résultats des phrases du test (106)-(110). Premièrement, j’ai comparé les réponses de la phrase
(100) aux réponses de la phrase (106), des phrases avec un infinitif et une préposition. Le
niveau de la phrase (100) est quand même plus élevé que le niveau de la phrase (106), parce
que dans la phrase (100), deux syntagmes doivent être remplacés.
54
Tableau 12.
Phrases (100) et (106)
Pourcentages
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
phrase (106) (test)
phrase (100) (examen)
0
22,72
pronom(s) devant la préposition
4,16
0
pronom(s) devant le verbe
conjugué
10,42
2,27
ordre correct
85,42
75
pronoms dans deux positions
différentes (112)
Dans le tableau 12, on voit que dans les deux phrases, la plupart des étudiants utilisent
l’ordre correct, et mettent les pronoms devant l’infinitif. Par contre, le pourcentage des
réponses correctes n’est pas plus élevé après l’instruction grammaticale, mais cela peut
s’expliquer par le fait que deux syntagmes devaient être remplacés, plusieurs étudiants
(22,72%) ont mis les deux pronoms dans des positions différentes, comme dans l’exemple
(112).
(112)
Ils hésitent à en parler à leur.
On voit aussi qu’à l’examen, seulement un étudiant (2,27%) a mis les pronoms devant le
verbe conjugué, tandis que dans le test, il y avait encore 5 étudiants (10,42%) qui ont fait cela.
Finalement, à l’examen, personne n’a mis le pronom devant la préposition, contre encore
4,16% dans le test. On peut donc quand même conclure que le niveau des étudiants s’est
amélioré.
Deuxièmement, j’ai comparé la phrase (101) de l’examen, à la phrase (107) du test. Le
tableau 13 montre le résultat de cette comparaison.
55
Tableau 13.
Phrases (101) et (107)
pourcentages
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
phrase (107) (test)
phrase (101) (examen)
0
9,09
pronom à la fin
8,33
0
ordre correct
91,66
90,91
pronom devant le "participe"
Plusieurs étudiants ont probablement interprété la forme du présent est persuadé comme
un passé composé, et ont mis le pronom devant le « participe » persuadé. Cela fait que la
difficulté de la phrase à l’examen est de nouveau un peu plus élevée que la difficulté de la
phrase dans le test : connaît est clairement une forme du présent. Le pourcentage d’ordres
corrects ne s’est donc pas amélioré, mais vu la difficulté, le résultat n’est pas décevant.
D’autant plus que, à l’examen, aucun des étudiants n’a utilisé la même position que le DP
entier. Les étudiants n’ont pas mis le pronom à la fin de la phrase.
Troisièmement, la phrase impérative (102) de l’examen est comparable à la phrase (108)
du test. De nouveau, la difficulté de la phrase (102) est plus élevée parce que deux syntagmes
doivent être remplacés. Le tableau 14 montre le résultat d’une comparaison entre les deux
phrases.
56
Tableau 14.
Phrases (102) et (108)
Pourcentages
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
phrase (107) (test)
phrase (101) (examen)
0
9,09
pronom(s) devant le verbe
18,18
4,55
ordre correct
81,82
86,36
pronoms dans deux positions
différentes (113)
Le pourcentage des réponses avec un ordre correct s’est amélioré après l’instruction
grammaticale, bien que la difficulté de la phrase (102) soit plus élevée, et plusieurs étudiants
(9,09%) ont mis les pronoms dans deux positions différentes :
(113)
La rends à elle.
Quatrièmement, la phrase (103) de l’examen est comparable à la phrase (109) du test. Le
tableau 15 montre le résultat d’une comparaison entre les deux phrases.
57
Tableau 15.
Phrases (103) et (109)
Pourcentages
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
phrase (105) (test)
phrase (102) (examen)
0
4,55
pronom devant l'infinitif
77,08
18,18
ordre correct
22,92
77,27
pronom devant le participe (114)
On voit que le niveau des étudiants s’est amélioré. À l’examen, la plupart des étudiants
(77,27%) ont correctement mis le pronom devant le verbe conjugué, et pas devant l’infinitif,
comme ils faisaient dans le test. Deux étudiants ont mis le pronom devant le participe dans la
phrase (102) (cette position n’existait pas dans la phrase (103) du test):
(114)
*Je n’ai pas l’entendu sonner.
Cinquièmement, j’ai comparé la phrase (104) de l’examen à la phrase (110) du test. La
difficulté de la phrase à l’examen est plus élevée parce que deux syntagmes doivent être
remplacés. Le tableau 16 montre le résultat de la comparaison entre les deux phrases.
58
Tableau 16.
Phrases (104) et (110)
Pourcentages
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
phrase (110) (test)
phrase (103) (examen)
0
20,45
pronom(s) devant le verbe
conjugué
31,25
2,27
ordre correct
68,75
77,27
pronoms dans deux positions
différentes
Le tableau montre que le pourcentage de réponses correctes s’est amélioré, et que le
pourcentage de réponses avec le pronom incorrectement mis devant le verbe conjugué est plus
bas, bien que la difficulté de la phrase fût plus élevée et que plusieurs étudiants eussent mis
les deux pronoms dans des positions différentes.
Finalement, l’examen contenait aussi une phrase dans laquelle le pronom se trouve au
début de la phrase. Le tableau 17 montre la comparaison entre la phrase (105) de l’examen et
la phrase (111) du test.
59
Tableau 17.
Phrases (105) et (111)
Pourcentages
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
phrase (111) (test)
phrase (104) (examen)
changé l'ordre
18,18
0
pronom à la fin
12,12
0
pronom devant le participe
51,52
9,09
ordre correct
18,18
90,91
En ce qui concerne ces phrases, le niveau des étudiants a clairement amélioré après
l’instruction grammaticale. La grande majorité des étudiants (90,91%) a mis le pronom
correctement au début de la phrase, tandis que seulement (18,18%) le faisait avant
l’instruction grammaticale.
En général, on peut conclure que le niveau des étudiants s’est amélioré après que les
règles concernant les pronoms clitiques ont été traités à l’université. Dans toutes les phrases
de l’examen, la majorité des étudiants utilisait l’ordre correct, bien que la difficulté de
quelques phrases fût plus élevée que des phrases du test au début du semestre. L’amélioration
est le plus remarquable dans la phrase où les étudiants devaient mettre le pronom au début de
la phrase. Au début du semestre, ils ne faisaient pas cela, peut-être parce que cela n’est pas
possible en néerlandais, mais après les cours à l’université, ils le font presque tous
correctement. Il s’avère donc, contrairement à ce que dit Krashen, que l’enseignement
grammatical est efficace, et a en fait une influence très positive sur l’acquisition.
J’ai également testé l’influence de l’enseignement grammatical à l’aide d’une
comparaison entre les résultats des étudiants16 qui ont eu des cours de français pendant 4
années au lycée et ceux qui ont eu des cours de français pendant 6 années au lycée. Il ressort
16
Qui font des études de français, donc qui suivent aussi des cours de littérature et de linguistique en français, et
qui ont été moins qu’une année en France.
60
de cette comparaison aussi que l’instruction explicite influence l’acquisition des pronoms
clitiques français d’une manière positive : les étudiants qui ont eu plus de cours avaient de
meilleurs résultats :
Tableau 18.
Temps de cours de français
100
90
80
Pourcentage
70
60
50
40
30
20
10
0
Moins de 6 années
6 années
Entièrement correct
35,67
53,08
Ordre correct
40,67
60
Il s’avère donc de nouveau que l’enseignement grammatical est efficace, et a en fait une
influence très positive sur l’acquisition.
Cela ressort aussi du fait que la cinquième classe a de meilleurs résultats que la sixième
classe. Les deux classes ont eu des professeurs différents, qui enseignent d’une manière
différente aussi. Le prof de la sixième classe laisse la classe travailler indépendamment. Dans
cette situation, cela dépend donc de l’élève combien de fois il rencontre les règles
grammaticales. Cependant, le prof de la cinquième classe laisse la classe moins travailler
indépendamment, et décide donc elle-même combien de fois les élèves rencontrent les règles
grammaticales. Ainsi, les élèves de la cinquième classe ont rencontré la règle du
positionnement des pronoms clitiques plus souvent que la plupart des élèves de la sixième
classe.
Ces trois faits plaident donc en faveur de l’idée de Doughty (1991) : l’instruction
grammaticale explicite a un effet très positif sur l’acquisition. Towell & Hawkins (1994) ont
critiqué la conclusion de Doughty en se demandant si l’instruction grammaticale a un effet
durable. Je pense qu’on peut quand même admettre que l’instruction a un effet durable parce
61
qu’on a vu que les élèves de la sixième classe, qui n’ont pas beaucoup étudié la règle de la
position des pronoms clitiques après la troisième classe, ont quand même un niveau plus élevé
que les élèves de la troisième classe, bien que la règle soit traité explicitement dans cette
troisième classe. Mes données supportent donc les conclusions de Doughty. De plus, comme
je le sais de ma propre expérience, après avoir appris les règles du placement des pronoms
clitiques en première année des études universitaires, on ne les oublie plus, ce qui supporte
aussi les conclusions de Doughty.
5.5 L’influence d’une situation naturelle
Je m’attendais à ce que les résultats des étudiants qui ont passé beaucoup de temps en France,
et qui ont communiqué souvent avec des locuteurs français natifs soient meilleurs que les
résultats des étudiants qui n’ont pas passé beaucoup de temps en France. Pour examiner si
cela est vrai, j’ai divisé les résultats des étudiants17 en quatre groupes.
Premièrement, ceux qui n’ont jamais été en France. Deuxièmement ceux qui ont passé
moins de deux mois en France. Ce groupe comporte surtout les étudiants qui ont passé leurs
vacances en France. Troisièmement, il y a le groupe qui a passé plus de deux mois en France,
mais moins d’une année. Ce groupe comporte des étudiants qui ont passé plusieurs mois en
France pour faire des études, ou qui travaillaient par exemple comme fille au pair dans une
famille française. Finalement, il y a le groupe des étudiants qui ont passé plus d’une année en
France. Ils ont habité pendant une ou plusieurs années en France et ont donc communiqué le
plus souvent avec des locuteurs français natifs.
Les résultats de la comparaison entre ces quatre groupes se trouvent dans le tableau 19 :
17
Qui ont eu des cours de français pendant 6 ans au lycée et qui font des études de français, donc qui suivent
aussi des cours de littérature et de linguistique en français.
62
Tableau 19.
Le temps passé en France
100
90
80
Pourentage
70
60
50
40
30
20
10
0
0
1 jour - 2 mois
2 mois - 1 année
plus d'une année
Entièrement correct
35
53,13
58,57
70
Ordre correct
40
56,25
63,57
70
Il s’avère qu’un temps passé en France influence l’acquisition des pronoms clitiques en
effet d’une manière positive. Il y a une grande différence entre le niveau des étudiants qui
n’ont jamais été en France et ceux qui ont habité pendant une ou plusieurs années en France.
J’ai comparé aussi les résultats des étudiants18 qui suivent aussi les cours de linguistique
et de littérature, qui sont donnés en français et les résultats des étudiants qui font d’autres
études et ne suivent pas ces cours. Je m’attendais à ce que ceux qui suivent ces cours aient de
meilleurs résultats parce qu’ils communiquent plus régulièrement en français. Les résultats de
cette comparaison sont présentés dans le tableau 20.
18
Qui n’ont pas été plus qu’une année en France et qui ont eu 6 ans de cours de français au lycée.
63
Tableau 20.
L'influence des études
100
90
80
Poorcentage
70
60
50
40
30
20
10
0
Étudiants d'autres études
Étudiants de français
Entièrement correct
53,26
54,41
Ordre correct
55,65
59,12
Il s’avère que les étudiants qui communiquent plus souvent en français ont des résultats
qui sont légèrement meilleurs que les résultats des étudiants qui font d’autres études, mais
c’est une différence négligeable. Les études n’influencent pas vraiment l’acquisition des
pronoms clitiques, tandis qu’un temps passé en France le fait. Cela peut être expliqué par le
fait que les cours ou on peut parler français ne durent que quelques heures par semaine, et
hors de ces cours, les étudiants parlent en néerlandais, tandis que pendant un temps passé en
France, surtout si on reste en France pendant plusieurs mois, on est obligé de communiquer en
français tout le temps.
Dans ce chapitre, j’ai présenté les résultats du test. J’ai essayé de relever tous les facteurs
qui peuvent influencer l’acquisition des pronoms clitiques français par des apprenants
néerlandais L2. Dans le chapitre suivant, je discuterai ces résultats : Que signifient-ils ?
Comment les interpréter ?
64
6. Discussion
Les résultats montrent que les pronoms clitiques français sont difficiles à acquérir pour des
apprenants L2 néerlandais. Même les étudiants qui ont eu des cours de français pendant plus
de 6 années, et qui ont souvent été en France, certains même pendant plusieurs années, font
encore des erreurs. Contrairement à l’acquisition L1 des pronoms clitiques, l’acquisition L2
des pronoms clitiques français est un trajet long et difficile pour les Néerlandais. Dans ce
chapitre, je discuterai les résultats et j’essayerai de les expliquer à l’aide des différents
facteurs qui peuvent avoir influencé l’acquisition.
Premièrement, nous avons vu que la langue maternelle, le néerlandais, joue un grand rôle
dans l’acquisition L2 des pronoms clitiques. Cela ressort entre autres du fait que les
apprenants néerlandais ne veulent pas mettre le pronom au début de la phrase parce que cela
n’est pas possible en néerlandais.
Deuxièmement nous avons vu aussi que la Grammaire Universelle joue un rôle.
Les élèves et les étudiants ne mettent pas les clitiques dans des position impossibles selon la
Grammaire Universelle.
Mes données semblent donc confirmer l’hypothèse Full Transfer Full Access. Je
soutiendrai cette hypothèse à l’aide du développement de l’acquisition que les résultats ont
relevés. D’abord, il faut remarquer qu’on peut diviser le groupe de recherche en deux groupes,
c’est-à-dire en deux niveaux. Premièrement il y a le groupe des apprenants débutants, les
classes 3, 4 et 6 du lycée. Deuxièmement il y a le groupe d’apprenants plus avancés, la classe
5 du lycée et les étudiants. Il est remarquable que la classe 5 ait un niveau plus élevé que la
classe 6 du lycée, mais cela peut s’expliquer d’une autre manière.
Nous avons vu que la plupart des élèves du premier groupe, les apprenants débutants,
utilisent la position postverbale et mettent toujours les pronoms à la même position que le DP
entier. Cela donne souvent un ordre des mots néerlandais, ce sont des phrases sans un infinitif,
comme en (114), mais aussi souvent un ordre qui n’existe ni en français, ni en néerlandais,
dans les phrases avec un infinitif ou un participe19, comme en (115).
(115)
*Jean connaît elle.
*Connais-tu lui ?
*Paul connaît le frère de Marie et voit lui souvent.
*A qui enverrez-vous la ?
19
En néerlandais, les pronoms (et les DP entiers) se trouvent devant l’infinitif ou le participe.
65
*Donne lui à ton frère !
*Connais-tu le frère de Julie et vois-tu lui souvent ?
*Ecris une lettre et envoie la à ta copine !
(116)
*Michel a rencontré lui à Paris.
*La maîtresse commence à ranger elles.
*As-tu rencontré lui ?
*Eric veut donner la.
*Ne jette pas les !
*La maman conseille aux enfants de bien respecter elles.
*A quels collègues avez-vous montré lui ?
*Nicolas n’ose par regarder le.
*As-tu reçu mon message et as-tu lu le ?
*L’enfant promet de respecter ils.
*Veux-tu donner la ?
*Gérard préfère ne pas connaître la.
Je suppose que ces élèves ont transféré l’ordre de toutes ces phrases du néerlandais. Pas
dans le sens qu’ils ont copié l’ordre néerlandais des mots, mais je suppose qu’ils ont transféré
le paramètre néerlandais, et mettent le pronom, comme en néerlandais, à la même position que
le DP entier. Ils ne cliticisent pas à la manière française, c’est-à-dire ils ne déplacent pas le
pronom avec le verbe.
Le deuxième groupe, le groupe d’apprenants plus avancés, semble avoir refixé le
paramètre, mais ils ne l’ont pas tous fait entièrement correctement. La plupart de ces
apprenants utilisent une position intermédiaire dans les phrases avec un participe, comme en
(116). Dans les phrases sans un participe, la plupart de ces apprenants utilisent l’ordre correct.
(117)
*Michel a le rencontré à Paris.
*As-tu lui rencontré ?
*A quels collègues avez-vous le montré ?
*As-tu reçu mon message et as-tu le lu ?
Je suppose que ces apprenants ont commencé à déplacer les pronoms objets vers une
position plus élevée que le VP, mais pas encore vers la position finale. Ils cliticisent le
66
pronom au premier verbe qu’ils rencontrent. Dans les phrases sans infinitif ou participe, c’est
le verbe conjugué et cela donne l’ordre correct. Dans les phrases avec un infinitif, cela donne
aussi l’ordre correct, le pronom se trouve devant l’infinitif.20 Seulement dans des phrases avec
un participe, cela donne des phrases incorrectes. Ils doivent donc refixer encore une fois le
paramètre et déplacer le clitique vers une position encore plus élevée.
L’acquisition suit aussi les stades de Towell & Hawkins (1994). Les apprenants débutants
mettent le pronom dans une position postverbale : une erreur du premier stade, et les
apprenants plus avancés utilisent souvent une position intermédiaire, devant le participe, une
erreur du troisième stade. Finalement, la plupart de ces apprenants avancés ont atteint le
quatrième stade. Cela montre que l’acquisition ne se passe pas d’une manière arbitraire, ce qui
plaide aussi en faveur d’un accès à la Grammaire Universelle.
Je ne suis pas d’accord avec l’hypothèse Full Access No Transfer, parce que mes données
montrent clairement un transfert du néerlandais. Les apprenants débutants ne transfèrent pas
seulement du néerlandais, mais les apprenants avancés sont aussi influencés par le
néerlandais. Très peu d’apprenants de ce groupe mettent le pronom au début dans la phrase 3
du test. C’est une phrase sans un infinitif ou un participe, donc normalement, ils mettraient le
pronom correctement devant le verbe conjugué (117) . Cependant, ils ne le font pas, parce que
s’ils le faisaient, le pronom se trouverait au début de la phrase, ce qui est impossible en
néerlandais. Ils résolvent donc le problème en changeant l’ordre de la phrase, ce qui donne
aussi un ordre correct, mais sans le pronom au début de la phrase (118).
(118)
Le connais-tu ?
(119)
Tu le connais ?
A part la langue maternelle et la Grammaire Universelle, l’enseignement peut aussi avoir
une influence sur l’acquisition. Mes résultats ont montré que l’enseignement grammatical a
une influence positive sur l’acquisition.
Premièrement, le niveau des étudiants s’est amélioré après qu’ils ont étudié la position
des pronoms clitiques pendant les cours à l’université. Ils faisaient moins d’erreurs pendant
l’examen à la fin du semestre que pendant le test au début du semestre, et ils n’avaient plus de
problèmes à mettre le pronom au début de la phrase.
20
Cela ne donne pas l’ordre correct dans les phrases avec un infinitif où le verbe conjugué est faire. La plupart
des apprenants de ce groupe a utilisé l’ordre incorrect: Le professeur fait les corriger.
67
Deuxièmement, les étudiants qui ont eu des cours de français pendant 6 années au lycée
avaient de meilleurs résultats que les étudiants qui avaient eu moins de cours au lycée.
Troisièmement, les élèves de la cinquième classe, qui ont rencontré la règle grammaticale plus
souvent que les élèves de la sixième classe, avaient de meilleurs résultats.
Apparemment, la répétition des règles fait que l’élève les retient beaucoup mieux. Il faut
aussi faire remarquer que l’explication des règles grammaticales va souvent de pair avec
beaucoup d’exemples, ce qui fait que les élèves qui apprennent souvent les règles, ont aussi
vu plus d’exemples, qui stimulent à refixer le paramètre21. Ce résultat contredit donc
l’hypothèse de Krashen. Cependant, les règles du placement des clitiques français sont assez
compliqués. Il faut donc de l’instruction pour pouvoir les acquérir correctement, Au moment
du test, les étudiants de première année avaient déjà eu six mois de cours de français et en
français à l’université. Pourtant, ils n’avaient pas encore découvert les règles eux-mêmes.
Le dernier facteur qui peut avoir influencé l’acquisition est le temps passé en France ou la
participation à des cours donnés en français. Il s’avère que si on communique souvent avec
des locuteurs français natifs, cela influence le développement d’une manière positive. Les
étudiants qui ont passé beaucoup de temps en France avaient de meilleurs résultats que ceux
qui n’ont jamais été en France. En France, on reçoit énormément d’input correct, ce qui
stimule aussi à refixer le paramètre d’une manière correcte. Le type d’études que suivent les
étudiants, par contre, n’a pas d’influence. Les étudiants qui suivent plusieurs cours en français
n’avaient pas de meilleurs résultats que ceux qui suivent seulement des cours en néerlandais.
Cela peut s’expliquer par le fait que pendant un temps passé en France, on communique tout
le temps en français, tandis qu’à l’université aux Pays-Bas, hors des cours, les étudiants
communiquent en néerlandais.
Dans le chapitre suivant, je présenterai mes conclusions et je donnerai quelques
recommandations concernant l’acquisition L2 des pronoms clitiques français par des
néerlandophones.
21
Il faut aussi faire remarquer qu’il s’agissait d’un test de production écrite. Les élève de la cinquième classe,
ainsi que les autres élèves et les étudiants, ont pris le temps de se rappeler les règles. Si le test avait été un test de
production orale, les résultats auraient probablement été moins bons.
68
7. Conclusion
Dans ce mémoire, j’ai étudié le développement de l’acquisition des pronoms clitiques français
par des apprenants L2 néerlandais et j’ai étudié les facteurs qui influencent cette acquisition.
A l’aide d’un test de production écrite, j’ai testé le niveau des élèves des quatre classes
les plus élevées du lycée et les étudiants de première année de l’université. Les résultats ont
montré que les pronoms clitiques français sont difficiles à acquérir pour des apprenants L2
néerlandais. Même les étudiants qui ont eu des cours de français pendant plus de 6 années, et
qui ont souvent été en France, certains même pendant plusieurs années, font encore des
erreurs. Contrairement à l’acquisition L1 des pronoms clitiques, l’acquisition L2 des pronoms
clitiques français est un trajet long et difficile pour les Néerlandais.
J’ai argumenté en faveur de l’hypothèse Full Transfer Full Access. Il s’avère que
l’acquisition ne se passe pas d’une manière arbitraire, mais suit les stades de Towell &
Hawkins (1994), et le rôle du néerlandais est grand dans l’acquisition. Les apprenants
débutants ont transféré le paramètre néerlandais et mettaient le pronom français, comme en
néerlandais, à la même position que le DP entier. Les apprenants avancés ont commencé à
cliticiser, mais pas encore d’une manière correcte, ils utilisent encore une position
intermédiaire. Ni les apprenants débutants, ni les apprenants avancés aiment mettre le pronom
au début de la phrase, parce que cela n’est pas possible en néerlandais.
Deuxièmement, j’ai montré que si on communique souvent avec des locuteurs français
natifs, cela influence l’acquisition d’une manière positive. Le grand nombre d’input correct
stimule à refixer le paramètre d’une manière correcte.
Finalement, contrairement à ce que dit Krashen (1983), l’enseignement grammatical
s’avère avoir un effet très positif sur l’acquisition. Les étudiants avaient amélioré leur niveau
après qu’ils avaient appris la règle à l’université, et les élèves et les étudiants qui avaient
rencontré la règle le plus souvent avaient de meilleurs résultats. Il s’avère que le prof peut
avoir une influence positive. Si le prof répète souvent les règles grammaticales et stimule les
élèves de les utiliser, cela a un effet positif sur l’acquisition.
Je peux donc conclure que, bien que le système pronominal néerlandais soit différent du
système français, et que l’acquisition des pronoms clitiques français soit très difficile pour des
apprenants L2 néerlandais, avec beaucoup d’input correct et beaucoup de répétition des règles
grammaticales, il est très bien possible pour les néerlandais de finalement atteindre un niveau
natif, ce qui montrerait d’ailleurs aussi que les apprenants L2 ont encore accès à la Grammaire
Universelle.
69
Bibliographie
Breek, L., C. de Jong, M. Woudt et K. Polinder, Libre Service, Frans voor de tweede fase,
livre de textes, Utrecht et Zuthpen, ThiemeMeulenhoff, 2003.
Cardinaletti, A., “Pronouns in Germanic and Romance languages: an overview”, H. van
Riemskijk, ed., Clitics in the languages of Europe, Berlin et New York, Mouton de Gruyter,
1999, p. 33-82.
Cardinaletti, A. et M. Starke, “The typology of structural deficiency: a case study of the three
classes of pronouns”, H. van Riemsdijk, ed., Clitics in the languages of Europe, Berlin et New
York, Mouton de Gruyter, 1999, p. 145-233.
Den Besten, H., “On the interaction of root transformations and lexical delative rules” (1977),
dans: Studies in West Germanic Syntax, Amsterdam, Rodopi, 1989, p. 14-93.
Dewaele, J. et V. Regan, “The use of colloquial words in advanced French interlanguage,
dans: S. Foster-Cohen et A. Nizegorodcew, eds., EUROSLA Yearbook 1, Amsterdam et
Philadelphia, Benjamins, 2001, p. 51-67.
Dewaele, J., “Using sociolinguistic variants in advanced French IL: The case of nous/on”,
dans: S. Foster-Cohen, T. Ruthenberg et M.L. Poschen, eds., EUROSLA Yearbook 2,
Amsterdam et Philadelphia, Benjamins, 2002, p. 205-226.
Doughty, C., “Second language instruction does make a difference: Evidence from an
empirical study of SL relativization”, Studies in Second Language Acquisition 13, 4 (1991), p.
431-471.
Eggermont, J.L. et S. Hoekstra, Grammaire fondamentale, fondée sur le français
fondamental, Utrecht et Zutphen, ThiemeMeulenhoff, 1995.
70
Granfeldt, J. et S. Schlyter, “Cliticisation in the acquisition of object clitics in L2 French”,
dans: P. Prévost et J. Paradis, eds., The Acquisition of French in Different Contexts: Focus on
functional categories, Amsterdam et Philadelphia, Benjamins, 2000, p. 165-182.
Herschensohn, J., “Functional categories and the acquisition of object clitics in L2 French”,
Dans: P. Prévost et J. Paradis, eds., The Acquisition of French in Different Contexts: Focus on
functional categories, Amsterdam et Philadelphia, Benjamins, 2000, p. 207-242.
Hulk, A., “L’acquisition des pronoms clitiques français par un enfant bilingue françaisnéerlandais”, Second Language Research 7 (1991), p. 1-34.
Kayne, R., French Syntax, Cambridge, MA: MIT Press, 1975.
Koning, K., Frans voor havo/vwo, Livre de textes 3, Franconville, Utrecht et Zutphen,
ThiemeMeulenhoff, 2004.
Koster, J., Locality Principles in Syntax, Dordrecht, Foris, 1987.
Krashen, S.D. et T.D. Terrell, The natural approach: language acquisition in the classroom,
Hayward, CA: Alemany Press, 1983.
Regan, V., “The acquisition of sociolinguistic native speech norms: effects of a year abroad
on L2 learners of French”, dans: B. Freed, ed., Second Language Acquisition in a Study
Abroad Context, Amsterdam et Philadelphia, Benjamins, 1995, p. 246-267.
Rizzi, L., “Remarks on early null subjects”, dans: A. Greenhill, M. Hughes, H. Littlefield et
H. Walsh, eds., Proceedings of the 22nd Annual Boston University Conference on Language
Development, Sommerville, MA: Cascadilla, 1998, p. 14-39.
Sleeman, A.P., “Guided learners of French and the acquisition of emphatic constructions”,
International Review of Applied Linguistics in Language Teaching 42.2 (2004), p. 129-151.
71
Sleeman, A.P., “L2 acquisition of clitics: Old French as an interlanguage”, V. Torrens, L.
Escobar, A. Gavarro ,eds., Movement and Clitics, Cambridge, Cambridge Scholars
Publishing, 2010, p. 363-390.
Towell, R. et R. Hawkins, Approaches to second language acquisition, Clevedon,
Multilingual Matters, 1994.
Van der Velde, M., C. Jackubowicz et C. Rigaut, “The acquisition of Determiners and
Pronominal Clitics by Three French-Speaking Children”, dans: I. Lasser, ed., The Process of
Language Acquisition, Frankfurt et Berlin, Peter Lang Verlag, 2002, p. 115-132.
Van Riemsdijk, H, ed., Clitics in the languages of Europe, Berlin et New York, Mouton de
Gruyter, 1999.
72
Appendice
Le test et les réponses correctes
1.
Jean connaît la cousine de Caroline.
à
2.
Michel a rencontré le père de Philippe à Paris.
à
3.
A quels collègues l’avez-vous montré ?
Ecris une lettre et envoie la lettre à ta copine !
à
15.
La maman conseille aux enfants de bien les respecter.
A quels collègues avez-vous montré le résultat ?
à
14.
Connais-tu le frère de Julie et le vois-tu souvent ?
La maman conseille aux enfants de bien respecter les règles.
à
13.
Ne les jette pas !
Connais-tu le frère de Julie et vois-tu le frère de Julie souvent?
à
12.
Eric veut la donner.
Ne jette pas les journaux !
à
11.
L’as-tu rencontré?
Eric veut donner la réponse.
à
10.
Donne-le à ton frère !
As-tu rencontré le père de Marianne ?
à
9.
La maîtresse commence à les ranger
Donne le ballon à ton frère !
à
8.
A qui l’enverrez-vous ?
La maîtresse commence à ranger les livres.
à
7.
Paul connaît le frère de Marie et le voit souvent
A qui enverrez-vous la lettre?
à
6.
Le connais-tu?
Paul connaît le frère de Marie et voit le frère de Marie souvent.
à
5.
Michel l’a rencontré à Paris.
Connais-tu le frère de Pierre ?
à
4.
Jean la connaît.
Ecris une lettre et envoie-la à ta copine !
Nicolas n’ose pas regarder le film.
à
Nicolas n’ose pas le regarder.
73
16.
As-tu reçu mon message et as-tu lu mon message ?
à
17.
L’enfant promet de respecter les règles.
à
18.
Le professeur les fait corriger.
Veux-tu donner la réponse ?
à
20.
L’enfant promet de les respecter.
Le professeur fait corriger les fautes.
à
19.
As-tu reçu mon message et l’as-tu lu?
Veux-tu la donner?
Gérard préfère ne pas connaître la vérité.
à
Gérard préfère ne pas la connaître.
74
Téléchargement