61 SEPTEMBRE 2016 Taux d’intérêt et politique monétaire en zone euro (1/2) Taux monétaires négatifs : une situation appelée à durer Depuis plus d’un an, les principaux taux d’intérêt de court terme de la zone euro sont très bas et même négatifs, une situation inédite. Le taux de refinancement des banques commerciales auprès de la Banque Centrale Européenne (BCE) est de 0 % alors qu’il était de plus de 4 % en 2008. Le taux de dépôt de la BCE est négatif : elle fait payer les banques pour conserver leurs réserves monétaires. Le taux monétaire Euribor 3 mois auquel les banques se prêtent entre elles est aussi négatif. Les Etats eux-mêmes s’endettent à taux négatifs à court terme, autrement dit, les acheteurs de titres monétaires et de dettes de court terme payent pour prêter leur argent. Cette situation particulière est le résultat des crises passées et de la lutte actuelle de la BCE contre les risques de déflation. Elle pourrait être amenée à durer pendant plusieurs années. Les taux d’intérêt d’une économie sont traditionnellement guidés par les taux directeurs de la banque centrale. Elle les augmente lorsqu’elle veut limiter l’inflation et, à l’inverse, les baisse pour soutenir l’activité économique et les prix. Or, les craintes d’une spirale déflationniste se sont particulièrement exacerbées ces dernières années. L’inflation en zone euro a beaucoup diminué depuis 2013 et demeure proche de 0 % dans un contexte de taux de chômage élevé, de faible demande de biens et services et de chute du prix du pétrole. Les anticipations d’inflation ont également reflué (cf. graphique 1 : les titres d’emprunt d’Etat indexés sur l’inflation permettent d’observer les anticipations d’inflation des opérateurs de marché). Cela a poussé la BCE à agir pour éviter une situation de baisse durable des prix où les agents économiques ne cessent de reporter dans le futur leurs dépenses de consommation et d’investissement. Graphique 1 : prime d'inflation anticipée par les investisseurs (%) 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 2011 2012 2013 2014 2015 Échéance 2017 (OATi) Échéance 2029 (OATi) Inflation 5 ans dans 5 ans (swap ei)" 2016 Source : Bloomberg Compte tenu des fondamentaux économiques, le taux de refinancement de la BCE (i.e. son outil conventionnel de politique monétaire, cf. encadré 1) devrait être négatif depuis la fin 2013. La BCE ne pouvant refinancer les banques commerciales à taux négatif, elle s’est appuyée sur une batterie d’instruments complémentaires de politique monétaire, avec notamment : i) la mise en place de facilités de refinancement pour les banques jusqu’à 4 ans au lieu d’un jour, au taux de refinancement en vigueur (0 % actuellement). Ce programme, appelé TLTRO (Targeted Longer-term Refinancing Operations), est accessible aux banques commerciales qui l’utilisent pour accorder des crédits aux ménages (hors immobilier) et aux entreprises. Le TLTRO facilite ainsi le financement de l’économie ; ii) le passage en territoire négatif du taux directeur de la facilité permanente de dépôt à – 0,4 % en mars 2016. Là encore, l’idée est de désinciter les banques à déposer leurs liquidités excédentaires sur leurs comptes de la BCE, manœuvre sans intérêt pour le financement des agents économiques ou des banques qui en ont besoin. Ces instruments accroissent l’offre de liquidité disponible sur le marché monétaire, ce qui réduit les taux d’intérêt courts de marché et les amène même endessous de 0 % (cf. graphique 3). Les taux courts de marché sont influencés par les taux directeurs de la BCE et les anticipations des agents Les taux courts de marché sont déterminés par les intervenants sur le marché monétaire et non par la BCE, même s’ils sont très dépendants de ses taux directeurs (taux administrés cf. encadré 1). La BCE fixe ainsi le taux de refinancement et le taux de rémunération des liquidités excédentaires, respectivement à 0 % et – 0,4 % en août 2016. Les taux courts de marché dépendent également des taux directeurs anticipés pour les mois à venir et de l’équilibre offre/demande de monnaie sur les marchés. Cela explique que les taux courts de marché diffèrent légèrement des taux directeurs de la BCE. Le taux Euribor à 3 mois est ainsi inférieur au taux de refinancement depuis mi-2015 en raison d’un excès de liquidités et d’une anticipation par les intervenants sur le marché monétaire de baisse des taux directeurs. Enfin, les taux courts peuvent intégrer une prime de risque en période de stress financier et bancaire (crises des subprimes, crise de la dette souveraine). Sur le marché interbancaire, les banques se prêtent des liquidités en intégrant le risque d’un défaut de paiement des contreparties et, lorsque ce risque perçu augmente, les taux s’accroissent. Aujourd’hui, cette prime est très faible : seulement 0,1 % pour un prêt à 3 mois. Graphique 2 : évolution des taux directeurs de la BCE (%) 6 5 4 3 2 1 0 -1 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 Taux de refinancement Taux de la facilité de dépôt Taux de la facilité de prêt marginal Source : DataInsight Graphique 3 : évolution des taux courts du marché en zone euro (%) 6 5 4 3 2 1 0 -1 2000 2002 2004 EONIA 2006 2008 2010 Euribor 3 mois 2012 2014 2016 Euribor 12 mois Source : DataInsight > Encadré 1 : les taux courts - taux directeurs de la BCE et taux de marché Les taux administrés sont les taux directeurs de la BCE, ils regroupent trois types de taux courts qui ont pour point commun de faire référence à une rémunération de la monnaie à un horizon d’un jour : i) Le taux de refinancement, appelé aussi « taux refi » ou « taux de repo » est le prix que les banques payent en contrepartie d’un emprunt d'argent à la BCE. Il a été abaissé de 0,05 % à 0 % en mars 2016. ii) Le taux de la facilité permanente de dépôt correspond au taux auquel sont rémunérées les réserves excédentaires des banques sur leur compte à la BCE. Ce taux se situe en toute logique à un niveau inférieur au taux de refinancement. Il a été abaissé de – 0,3 % à – 0,4 % en mars 2016. iii) Le taux de la facilité permanente de prêt marginal fait référence au prix payé par les banques qui souhaitent obtenir des liquidités additionnelles à celles disponibles au taux refi. Il a été abaissé de 0,3 % à 0,25 % en mars 2016. Les taux monétaires de marché résultent du jeu de l’offre et de la demande sur le marché interbancaire. Deux font références : i) Le taux EONIA (Euro OverNight Index Average) : la moyenne des prêts interbancaires à échéance d'une journée c’est-à-dire les prêts que les banques s’accordent entre elles pour se refinancer. Il est de – 0,35 % en septembre 2016. ii) Le taux Euribor qui désigne le taux interbancaire moyen auquel les banques se prêtent mutuellement de l’argent sur des maturités allant de 1 semaine à 1 an. Le taux Euribor 3 mois s’établit à – 0,3 % début septembre 2016. Baisse des taux directeurs de la BCE en réponse au risque de déflation L’objectif principal conféré à la BCE par le Traité de Maastricht est la stabilité des prix en zone euro. Pour cela, la BCE fixe les taux directeurs de sorte à maintenir l’inflation, c’est-à-dire le taux de croissance des prix à la consommation, « proche mais inférieur à 2 % ». La BCE articule également sa politique monétaire à la situation économique de la zone euro puisque les tensions sur les prix dépendent largement du cycle économique, de la situation du marché du travail et de l’inflation importée. Depuis 2008, la BCE a eu beaucoup à faire pour limiter le risque d’enlisement dans les crises successives (subprimes et crise grecque), de stagnation des prix et même de déflation : elle a baissé 15 fois ses taux directeurs. La dernière baisse de mars 2016 est la réponse à une inflation négative (– 0,2 % sur un an) et à une prévision d’inflation très modérée jusqu’à au moins 2018. En effet, une baisse des taux directeurs a pour conséquence attendue une reprise de la croissance et de l’inflation (cf. encadré 2 pour la description du mécanisme de transmission). Avec sa politique monétaire très accommodante, la BCE a favorisé l’émergence de taux de marché négatifs. Cette situation est atypique mais la politique de la banque centrale est justifiée par les fondamentaux économiques (croissance et inflation faibles). Au vu de la situation actuelle et des prévisions de croissance et d’inflation, le principal taux directeur de la BCE aurait même dû être négatif depuis la fin 2013 (cf. taux estimé théoriquement en graphique 4). Graphique 4 : évolution comparée du taux directeur estimé et du taux directeur effectif (%) 5 4 3 2 1 0 -1 2000 2002 2004 2006 Taux refi 2008 2010 2012 Taux d'inflation cible 2014 5 4 3 2 1 0 -1 2000 2002 2004 2006 2008 2010 Taux refi effectif 2012 2014 Taux refi estimé Sources : DataInsight, calculs Caisse des dépôts > Encadré 2 : schéma théorique de l’influence des taux directeurs sur les prix des biens et services ↓ Taux directeurs de la BCE ↓ Taux courts de marché Anticipations d’inflation ↑ Inflation Demande de crédit ↑ Consommation et investissement 2016 Taux d'inflation ↑ Demande de biens et services Croissance économique 2016 61 Les taux courts pourraient rester négatifs pendant plusieurs années La politique monétaire ultra accommodante de la BCE a eu des impacts positifs sur l’activité économique. La baisse des charges d’intérêt, la dépréciation de l’euro induite par ces rendements moins attrayants et la confiance que la BCE instaure sur les marchés financiers ont contribué au redressement de la croissance du PIB en zone euro en 2015 (1,6 % après 0,9 % en 2014). La chute du prix du pétrole a également favorisé la reprise. L’activité peine néanmoins à accélérer et la demande de crédit est de nouveau bien orientée mais reste poussive. Pis, début 2016, l’inflation demeure à proximité de 0 % et les anticipations d’inflation à long terme des acteurs de marchés sont historiquement basses. Les prévisions d’inflation en zone euro à horizon 2017-18 des institutions internationales (FMI, OCDE, etc.) ne cessent d’être revues à la baisse, tout comme celles réalisées par la BCE. En d’autres termes, l’objectif d’inflation de la BCE est encore loin d’être atteint, suggérant que celle-ci maintiendra, voire pourrait de nouveau intensifier le caractère accommodant de sa politique monétaire. Ainsi, il n’est pas impossible que les taux courts de marché demeurent négatifs encore plusieurs années : en août 2016, les marchés n’anticipaient pas de retour en territoire positif des taux courts de marché avant 2021 (cf. graphique 5). Pour en savoir plus Banque de France, Taux d’intérêt, https://www.banque-france.fr/economie-etstatistiques/changes-et-taux/taux-dinteret.html BCE, Conséquences économiques du faible niveau des taux d’intérêt, https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2013/html/ sp131009.fr.html BCE, Projections macroéconomiques de juin 2016 pour la zone euro établies par les services de la BCE, http://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/ecbstaffproje ctions201603.fr.pdf?daa94070b561390198e57298548 a6372 BCE, La politique monétaire dans la zone euro, https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2015/html/ sp150312.en.pdf Institut Messine, Taux d’intérêt négatifs : douze regards, http://institutmessine.fr/wpcontent/uploads/2016/02/Institut-Messine-janvier2016-Les-taux-dintérêt-négatifs-Douzeregards.compressed.pdf Graphique 5 : taux Euribor 3 mois anticipé (taux forward, %) 0,1 0,0 -0,1 -0,2 -0,3 -0,4 sept.-2016 sept.-2017 sept.-2018 sept.-2019 sept.-2020 sept.-2021 Source : Bloomberg Caisse des Dépôts - Direction des fonds d’épargne Directeur de la publication : Olivier Mareuse Responsable de la rédaction : Yann Tampéreau Auteurs : Sylvain Baillehache, Stéphanie Karam Abonnement gratuit : [email protected] www.prets.caissedesdepots.fr Dépôt légal et ISSN en cours. 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