Evaluation du comportement en milieu somatique : utilisation d`une

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pratique
Evaluation du comportement
en milieu somatique : utilisation
d’une méthode simple et fiable
Les symptômes psycho-comportementaux sont une des compli­
cations les plus fréquentes des personnes hospitalisées avec
une démence. Cet article décrit le développement de la version
française d’une échelle simple et fiable, facilement applica­
ble dans des milieux somatiques et qui permet une communication claire et objective autour de cette symptomatologie.
Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 2119-21
G. Gold
L. Fazio
J. Hua Stolz
F. R. Herrmann
P. Gattelet
D. Zekry
Pr Gabriel Gold
Lara Fazio et Pierre Gattelet
Drs François R. Herrmann,
Julie Hua Stolz et Dina Zekry
Service de gériatrie
HUG, Hôpital des Trois-Chêne
3, chemin du Pont-Bochet
1226 Thônex/Genève
[email protected]
[email protected]
[email protected]
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[email protected]
[email protected]
Evaluating behavior in non psychiatric
settings : use of a simple and reliable
method
Behavioral and psychological symptoms of
dementia are the most common complication
in hospitalized older people with dementia.
This article describes the development of a
French version of a simple and reliable scale
that is easy to use in somatic settings to foster
clear and objective communication around
this symptomatology.
introduction
Le vieillissement de la population a entraîné une augmentation
du nombre de personnes hospitalisées pour une décompensation médicale aiguë avec, parmi leurs comorbidités, la présence d’une démence. Le changement de lieu et surtout la pathologie aiguë sous-jacente mènent souvent à un état confusionnel et des troubles du comportement qui peuvent être
sévères et rendent le maintien difficile en milieu somatique.
De plus, les symptômes psychiatriques et comportementaux,
principalement l’agressivité et l’agitation, sont les complications les plus fréquentes chez les personnes démentes hospitalisées.1 Elles sont un facteur de risque important d’une durée
de séjour prolongée et d’un placement en EMS.2
Pour faire face à cette situation, l’Hôpital des Trois-Chêne a créé,
en 2000, l’Unité Somadem. Cette unité du service de gériatrie
s’est spécialisée dans la prise en charge des patients déments
chez qui un événement somatique aigu (par exemple : une infection, une décompensation cardiaque, un trouble métaboli­
que) occasionne des troubles du comportement interférant avec
la prise en charge médicale et infirmière. Les troubles les plus
souvent rencontrés sont de types agitation, cris, refus de soins,
agressivité verbale et/ou physique, déambulation et désinhibi­
tion. Pour les mesurer de façon objective, une échelle d’application simple, fiable, reproductible et rapide d’utilisation s’est
révélée indispensable.
exemples d’échelles d’évaluation du comportement
Il existe plusieurs échelles permettant d’évaluer en détail les troubles du comportement selon leur type et leur sévérité. Ces échelles sont régulièrement utilisées en milieu psychiatrique, elles couvrent de multiples aspects du comportement mais elles nécessitent un long délai d’observation par un même informateur
et sont mal adaptées au milieu somatique.
Echelle de Cohen Mansfield
L’échelle de Cohen Mansfield évalue plus particulièrement des comportements tels que l’agressivité physique, les déambulations et les cris. Elle comprend 29 items. La fréquence de chaque symptôme est cotée de 1 (jamais) à 7 (plu­
sieurs fois par heure). Il existe une validation française de cette échelle (9). Compléter l’échelle prend dix à quinze minutes pour des soignants entraînés et une
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période d’observation de deux semaines est recommandée
par les auteurs.3,4
Inventaire neuropsychiatrique (NPI)
Le NPI 5 est un inventaire de douze symptômes (notamment l’agitation, l’apathie, les hallucinations, l’irritabilité)
parmi les plus fréquents au cours de la maladie d’Alzheimer
(MA) et des maladies apparentées, qui évalue leur fréquen­
ce et leur sévérité, ainsi que le retentissement sur l’aidant
ou le professionnel. Les informations sont recueillies auprès
d’un accompagnant au cours d’un entretien structuré rendant
sa réalisation longue. Son utilisation est particulièrement
répandue dans les études thérapeutiques de la MA. Il existe
aussi une version courte de passation plus rapide, le NPIRéduit, et une version destinée aux équipes soignantes en
établissement, le NPI-ES. Une version française du NPI-ES
a été validée.6 Le temps de passation est relativement long
(15 à 20 minutes) et l’application de cet outil nécessite la
formation des soignants à cet inventaire.5
Echelle d’agitation de Pittsburgh
En 1994, Rosen et coll. ont développé à Pittsburgh (EtatsUnis) une échelle qui cote les symptômes de l’agitation associée à la démence et aux états confusionnels par l’observation directe du patient.7 Elle a été validée en anglais tant
dans des services hospitaliers que dans des établissements
d’hébergement pour personnes âgées. Elle s’applique à des
patients atteints de démence dégénérative, quelle qu’en
soit la sévérité. L’échelle de Pittsburgh prend en compte
quatre aspects de l’agitation : les vocalisations, l’agitation
motrice, l’agressivité et l’opposition aux soins :
• les vocalisations incluent les cris, les plaintes et les demandes répétées. Elles sont cotées de 0 (absentes) à 4 (cris
forts, hurlements impossibles à canaliser) ;
• l’agitation motrice comprend la déambulation, les balancements sur une chaise, les mouvements inadaptés. Elle
est cotée de 0 (absente) à 4 (mouvements intenses, dérangeants et impossibles à canaliser) ;
• l’agressivité comprend la violence verbale, la violence physique, les comportements menaçants. Elle est cotée de 0
(absente) à 4 (violence physique envers lui-même ou autrui) ;
• la résistance aux soins concerne la résistance pour la toilette, l’habillage, la prise des repas ou des traitements. Elle
est cotée de 0 (absente) à 4 (agression du soignant).
Le score de l’échelle d’agitation de Pittsburgh est coté
de 0 à 16. Plusieurs évaluations peuvent être réalisées au
cours d’une même journée. Les scores les plus élevés pour
chaque item, relevés au cours de la période d’observation,
sont retenus.
développement et fiabilité d’une version
française de l’échelle d’agitation de
pittsburgh
Afin d’adapter son utilisation à notre population hospitalière, nous avons effectué une traduction de l’instrument
avec un système de traductions itératives des textes obtenus, de l’anglais au français et inversement jusqu’à l’obtention d’une équivalence entre les versions dans les deux
langues (tableau 1).
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Tableau 1. Version française de l’échelle de Pittsburgh
Vociférations
Demandes itératives, vociférations non verbales telles que cris,
gémissements
0Absent
1 Faible volume, non dérangeant pour le milieu, inclure les pleurs
2 Volume plus élevé que celui de la conversation, légèrement dérangeant,
canalisable
3 Fort, dérangeant, difficile à canaliser
4 Crie très fort, hautement dérangeant, impossible à canaliser
Agitation motrice
Déambulation, errance, remue sur sa chaise, se déshabille, cogne sa
chaise, prend les affaires des autres. Dérangeant selon les normes
sociales habituelles et non par rapport aux autres patients. Si dérangeant
du fait du bruit, noter sous vociférations
0Absente
1 Déambule ou remue sur sa chaise à un rythme normal (semble chercher
un réconfort, cherche son épouse, activités sans objet)
2 Rythme accru des mouvements, faiblement dérangeants, facilement
canalisables
3 Mouvements rapides, modérément dérangeants, difficiles à canaliser
4 Mouvements intenses, extrêmement dérangeants, impossibles à canaliser
verbalement
Agressivité
0Absente
1 Violence verbale
2 Comportement menaçant, n’essaie pas de frapper
3 Violence physique envers les objets
4 Violence physique envers les personnes, y compris soi-même
NB : si l’agressivité survient uniquement lors des soins, le score est 0
Résistance aux soins
0Absente
1 Evitement, repousse l’échéance ou procrastination
2 Refus verbal ou geste de refus
3 Repousse le soignant pour éviter la tâche
4 Agresse physiquement le soignant
Entourer la ou les activités en rapport avec un score L 0
dans une ou plusieurs des rubriques ci-dessus
•Se laver
•S’habiller
•Manger
•Prise de
•Activités techniques (phlébotomie,
•Autre
médicamentspansements…)
Entourer les interventions effectuées durant la période
d’évaluation
•Isolement •Médicaments de réserve
•Contention •Autre
Au total, 114 évaluations Pittsburgh ont été effectuées à
double chez 24 patients par une personne de l’équipe soignante (infirmière ou aide-soignante) et par une neuropsychologue durant une même période comprenant une ou
plusieurs activités de soin (toilette, habillage, prise de médicaments, etc.) auxquelles toutes les deux avaient activement participé. Les scores ont été établis de manière tout
à fait indépendante par la neuropsychologue et le membre
concerné de l’équipe soignante. La corrélation entre les
deux scores s’est révélée excellente, avec des coefficients
rhô de Spearman à 0,83 pour les vociférations, 0,84 pour
l’agitation motrice, 1 pour l’agitation, 0,88 pour la résistance
aux soins et 0,91 pour le score total.
L’échelle d’agitation de Pittsburgh présente plusieurs
avantages :
• sa réalisation est rapide (une minute) ;
• elle est basée sur l’observation du soignant sans né­
cessiter la collaboration du patient et sans le besoin d’un
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proche pour l’interrogatoire ;
• elle est réalisable par toute personne en charge du patient ;
• elle est d’une grande simplicité ;
• la fiabilité interjuge est excellente.
Elle peut être répétée à différents moments de la prise
en charge, même plusieurs fois dans la même journée afin
d’assurer le suivi d’une intervention pharmacologique ou
non pharmacologique. La validation de la version développée en langue française reste encore à faire.
ficier de l’utilisation d’échelles simples, fiables et reproductibles, dont l’échelle d’agitation de Pittsburgh est un
exemple.
Remerciements
Les auteurs remercient chaleureusement tout le personnel médicosoignant de l’Unité Somadem.
Implications pratiques
> Il faut s’attendre à une augmentation de la prévalence des
troubles du comportement en milieu hospitalier somatique
conclusion
Les services de médecine somatique qui prennent en
charge des personnes âgées doivent développer des stratégies d’évaluation et de traitement des troubles du comportement. Une communication interdisciplinaire objective
autour de cette problématique pourrait grandement béné-
> Une communication objective et comprise par tous est grandement facilitée par l’utilisation de scores appropriés
> L’échelle de Pittsburgh est un exemple d’une échelle rapide
et facile à utiliser avec une version française fiable
Bibliographie
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the elderly I. A conceptual review. J Am Geriatr Soc
1986;34:711-21.
4 Cohen-Mansfield J. Agitated behavior in the elderly
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Am Geriatr Soc 1986;34:722-7.
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comportement chez les sujets déments en institution :
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7 * Rosen J, Burgio L, Kollar M, et al. A user-friendly
instrument for rating agitation in dementia patients.
Am J Geriatr Psychiatry 1994;2:52-9.
* à lire
** à lire absolument
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