Le dilemme du climat en Inde L’Inde se conformera-t-elle au plafonnement américain sur les émissions de carbone produit par l’agriculture ? VIJETA RATTANI L’Inde semble abandonner sa position de longue date sur le changement climatique, dans la mesure où le secteur agricole est concerné. Le 19 Janvier de cette année, le Conseil du premier ministre sur le changement climatique, lors de sa première réunion depuis sa reconstitution sous le gouvernement actuel, a discuté de la réduction des émissions du secteur de l'agriculture. La proposition a été avancée par le ministère de l'Agriculture de l'Union. Au cours des dernières années, les pays développés ont fait campagne pour forcer les pays en développement à réduire les émissions provenant de l'agriculture et de l'élevage. Jusqu'à présent, l'Inde s’est opposée avec force à intégrer les émissions agricoles dans le cadre de l'action climatique dans le but de protéger ses agriculteurs, qui sont principalement des petits propriétaires marginalisés. Cela a été un élément important de sa position internationale sur le climat. La nouvelle proposition, si elle est acceptée, va affaiblir la position de l'Inde sur la question. Selon les données de World Resources Institute (WRI'S) publiées en 2011 concernant les émissions de ce secteur, les émissions agricoles représentent 15 pour cent des émissions totales de gaz à effet de serre dans le monde entier. Le même institut établit que le secteur de l’électricité et du chauffage contribuent à 36 pour cent des émissions totales. Les émissions totales de gaz à effet de serre de l'Inde en 2011 s’élevaient à 2 486,17 millions de tonnes de CO2, dont 14 pour cent pour le secteur de l'agriculture. En ligne avec la tendance mondiale, le secteur de l'énergie a été responsable de 77 pour cent des émissions. Les pays occidentaux, menés par les Etats-Unis et l'UE, ont poussé à réduire les émissions provenant du secteur agricole qu'ils jugent comme une proportion «significative» des émissions totales, en particulier dans les pays en développement qui ont des terres considérables réservées à l'agriculture et un bétail important. Lors du sommet sur le changement climatique en 2013 à Varsovie, l'Inde et la Chine se sont opposées avec violence à la proposition des Etats-Unis et de l'UE d'adopter des objectifs d'émissions pour le secteur agricole. Par ailleurs, en Inde, le secteur agricole, qui est une source importante d'emplois, est vulnérable aux aléas météorologiques extrêmes. Il n’utilise quasiment pas les techniques et les équipements agricoles modernes. Par conséquent, l'Inde a souligné la nécessité de l'aide des pays développés pour s'adapter au changement climatique. Mais dorénavant, avec la dernière proposition de discuter de la réduction des émissions agricoles, l'Inde semble céder au programme des pays développés. D'une manière générale, les négociations climatiques sont menées d’un point de vue occidental. Un aperçu des discussions sur le climat le montre clairement. La pierre angulaire du débat sur le climat, consacrée dans la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique, est le principe d'équité. Ce principe préconise la «différenciation», ce qui signifie qu'il reconnaît la responsabilité historique des pays occidentaux dans la lutte contre le changement climatique tout en tenant compte des droits des pays en développement à la croissance et la nécessité d'un soutien financier et technologique apporté par les pays développés afin d'engager des actions climatiques adaptées à leur milieu. Cependant, depuis le sommet de Kyoto en 1997, qui était le premier sommet mondial intégré sur le changement climatique, au sommet de Lima en Décembre 2014, ce repère historique d’équité a été affaibli. Les pays développés ont presque réussi à amener tous les pays, qu'ils soient développés ou en développement, sur la même plate-forme pour répondre au changement climatique. Au lieu de se concentrer sur les émissions historiques, les négociations internationales actuelles sur les changements climatiques sont délibérément concentrées sur les émissions actuelles, refusant ainsi aux pays en développement leur droit fondamental à la croissance et au développement. L'Inde, comme d'autres pays en développement, s’est humblement pliée au stratagème des pays occidentaux pour modifier le cours des négociations sur le climat en fonction de leurs intérêts. Le sommet de Lima sur le changement climatique en témoigne. Dans le texte final adopté à Lima, le principe de différenciation est exprimé dans la langue juridique comme « responsabilité commune mais différenciée » avec l’ajout " compte tenu des circonstances nationales". Ceci est présenté comme l'un des principaux résultats du sommet de Lima, où les pays occidentaux d'une manière plutôt hégémonique ont réinterprété le principe de base de la Convention des Nations Unies de 1992. Ainsi, d'un seul coup les pays riches ont ignoré leur responsabilité historique pour faire face au changement climatique, limitant le droit au développement des pays en développement. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la dernière proposition en Inde de discuter de la réduction des émissions du secteur de l'agriculture. Bien qu’elle n’ait pas encore été approuvée, cela pourrait très bien se produire dans les réunions à venir. Si elle est approuvée, cela pourrait être désastreux pour les pays en développement en vue du prochain sommet de Paris en Décembre, où il est prévu d’officialiser un nouvel accord sur le climat. Avec un poids économique et politique de plus en plus important, l'Inde est un acteur essentiel dans le débat climatique. La rencontre entre le Premier ministre Narendra Modi et le président américain Barack Obama à l'occasion du Jour de la République était crucial à cet égard, lorsque les deux dirigeants ont réaffirmé la nécessité de lutter contre le changement climatique et espéraient une issue heureuse à Paris. Maintenant, à l’approche du sommet, l'Inde ne doit, en aucune circonstance, céder aux exigences de l'Occident pour réduire davantage ses objectifs d'émissions, annoncer son année de pic ou ajouter les émissions agricoles dans le cadre de l'action sur le climat. Il est grand temps que l'Inde se ressaisisse pour garantir à la fois son droit au développement et à l’autonomie énergétique. Elle devrait lutter pour remettre l'équité dans le programme sur le climat en acceptant une révision des "contributions prévues et déterminées au niveau national" et jouer un rôle clé parmi les pays en développement pour garantir un accord juste et inclusive sur le climat. 1-15 MARS 2015 DOWN TO EARTH Traduit par Laurianne Colak