Sauvegarde de la création: théologie, spiritualité et enjeux internationaux Guillermo Kerber1 Introduction De plus en plus de phénomènes liés à l’environnement font la une des journaux, magazines et sites web. Des scènes de catastrophes naturelles, des inondations, des sécheresses, des ouragans qui font des milliers de victimes et détruisent cultures et villages occupent la télé et l’internet. La pollution de l’air et de l’eau est partout, … aussi à Genève! où nous sommes surpris de la folie de la météo, de l’hiver trop froid et trop long, du printemps qui est seulement là avec le rhume des foins et les allergies mais pas avec le soleil et les températures douces. Nous ne pouvons pas être surpris d’entendre parler de crise écologique. En d’autres termes, est-ce que tout cela, la préoccupation pour la nature, le climat, les conséquences des catastrophes naturelles, la crise écologique, a quelque chose à voir avec notre foi chrétienne, avec la théologie et la spiritualité, et avec les affaires internationales? Ma présentation comportera quatre points : 1. Une théologie biblique ; 2. Une théologie spirituelle; 3. Les enjeux internationaux ; 4. L’action des églises. 1. Une théologie biblique La Bible nous enseigne, dès la première page, que Dieu créa l’univers. Les premiers chapitres du livre de la Genèse nous montrent deux récits de la création. Dans le chapitre 2 on lit : «Le Seigneur Dieu prit l'homme et l'établit dans le jardin d'Éden pour cultiver le sol et le garder » (Gén 2, 15). Cultiver et garder le jardin d’Éden, prendre soin de la création est en relation avec la ‘domination’ du premier récit de la création: «Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. Dieu les bénit et Dieu leur dit : ‘Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre !’ » (Gén 1, 27-28). C’est important de souligner l’appel à cultiver et garder la création car plusieurs auteurs ont critiqué l'anthropocentrisme judéo-chrétien comme responsable de la destruction de la planète2. Sauvegarder, prendre soin de la création nous offre un autre point de vue pour approfondir la théologie de la création. En plus d’un Dieu à la fois transcendant et immanent, (le ‘Deus interior intimo meo et superior summo meo’; de Saint Augustin3) nous devons reconnaitre un Dieu « dans la création »4, un Dieu transparent dans l’Univers et la nature. Comme disait le Père Teilhard de Chardin, « Le grand mystère du Christianisme, c’est 1 Conférence au Centre Catholique International de Genève, 06.05.2013. L’auteur est philosophe et théologien uruguayen, responsable du programme de Sauvegarde de la Création et Justice Climatique au Conseil Œcuménique des Eglises depuis 2006. 2 Un des plus célèbres est Lynn White Jr, Historical roots of our ecological crisis , Science, Mars 1967 (Volume 155, numéro 3767, dans lequel il accuse le judéo-christianisme de la crise écologique. Une réponse adéquate au challenge de White est proposé par Jürgen Motlmann dans son Dieu dans la création Cerf, Paris 1988. 3 Saint Augustin, Confessions 3.6.11 4 Tel est le titre d’un livre de Jürgen Moltmann, Dieu dans la création. 1 la Transparence de Dieu dans l’Univers… »5. Cette transparence a donné lieu au concept théologique du panenthéisme (tout-en-Dieu)6. Les psaumes, dans la Bible, par exemple, chantent la beauté de la création comme expression de la présence de Dieu. Mais la création aussi souffre et crie, en partie à cause de l’action humaine. Comme l’indique le prophète Ésaïe « La terre a été profanée sous les pieds de ses habitants, car ils ont transgressé les lois, ils ont tourné les préceptes, ils ont rompu l'alliance perpétuelle. C'est pourquoi la malédiction dévore la terre, ceux qui l'habitent en portent la peine. C'est pourquoi les habitants de la terre se consument, il n'en reste que très peu » (Es 24, 5-6a) (Voir aussi Jer 14, 2-5). Dans le Nouveau Testament, Jésus nous invite à contempler la beauté de la création. « Observez les lys des champs, comme ils croissent : ils ne peinent ni ne filent, et je vous le dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'a jamais été vêtu comme l'un d'eux ! » (Mt 6, 28-29). Et Saint Paul nous montre la dimension eschatologique de l’attente et la souffrance de la création : « ... la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu, … la création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l'enfantement. (Romains 8, 19.22). Comme plusieurs auteurs l’ont souligné, le cri de la terre fait écho du cri des pauvres, de la veuve, l’orphelin, l’étranger, la triade de la Bible hébraïque qui représente les plus vulnérables, les exclus de la société. Nous devrions écouter à la fois le cri de la terre et le cri des pauvres. 2. Une théologie spirituelle La vision intégrale de la création, d’une terre qui exulte mais aussi qui souffre, la beauté de la création et sa destruction, bref, la perspective écologique ont inspiré les traditions spirituelles chrétiennes. Il y a très clairement une association entre cette dimension et Saint François d’Assise, nommé patron de l’écologie et la tradition franciscaine. Mais cette dimension écologique est présente aussi dans d’autres voies contemplatives chrétiennes7 comme dans la longue tradition monastique. C’est saint Jean Damascène (675-749), probablement moine à Mar Saba, qui, déjà au 8ème siècle, nous rappelle que « La terre entière est une icône vivante de la face de Dieu. Je ne cesserai de faire révérence à la matière, au moyen de laquelle mon salut a été atteint »8. Ces dernières années différents théologiens ont essayé de répertorier soit les vertus d’un agir écologique : l’espérance, la foi, la charité, l'humilité, la tempérance, la prudence et le 5 Pierre Teilhard de Chardin, Le Milieu Divin, Du Seuil, Paris 1993, p. 162. Le panenthéisme a été développé par plusieurs auteurs, entre eux, Leonardo Boff en Ecologia: grito da terra, grito dos pobres, Attica, São Paulo 1995, et les théologiennes écoféministes Rosemary Radford Ruether, Sally McFague et Yvone Gebara. 7 Par exemple dans les comme dans les Exercices Spirituels de Saint Ignace, voir e.g. Trileigh Tucker, Ecology and the spiritual exercises, The Way, 43/1 (January 2004), 7-18. Accessible au: http://www.theway.org.uk/Tucker.pdf 8 Saint Jean Damascène, Traité sur les images saintes, 1. Cette révérence de la matière trouvera son expression aussi dans l’œuvre du père Teilhard de Chardin particulièrement dans la Messe sur le monde de son Hymne à l’Univers , Du Seuil, Paris 1961 . 6 2 courage, proposées par Celia Dean-Drummond9 ; soit les valeurs spirituelles pour la communauté de la terre, selon l’expression de David Hallman : la gratitude, l’humilité, la suffisance, la justice, l'amour, la paix, la foi et l’espérance. 10 Auxquelles j’ajouterai, depuis l’expérience latino-américaine, la solidarité, la compassion, la joie et la résilience. J’aime bien aussi l’expression de l’évêque Winston Halapua, « les vagues de l’étreinte de Dieu » quand il parle de la spiritualité des gens d’Océanie. 11 Bible et spiritualité ont été à la base d’une théologie de la création qui a souligné quelques aspects : la vision d’une création continue, creatio continua en plus de la creatio prima du livre de la Genèse. La création est donc une activité divine permanente dans laquelle en plus du Père et du Fils, l’Esprit Saint est mis en évidence comme un Esprit qui donne la vie, qui apporte le salut, réconcilie, guérit et libère toute vie créée par Dieu. Comme l’exprime le Psaume: «Tu envoies ton souffle, ils sont créés, tu renouvelles la face de la terre» (Psaume 104:30). Les êtres humains font partie de la création de Dieu et ont une place particulière dans la création, car ils et elles ont été créés à l'image de Dieu et à sa ressemblance (Genèse 1: 27). Il y a, en plus, un lien étroit et indissoluble de l'homme à la terre. L'homme est "terrien" (adam), créé à partir de la terre (adama). Enfin, le respect du sabbat, comme fête de la création, ainsi que le souligne Jürgen Moltmann, exprime le respect pour toute la création. 12 3. Les enjeux internationaux Si la question de la sauvegarde, aussi appelée intégrité de la création, a des contenus théologiques et spirituels comme j’ai essayé de montrer, il en va de même pour les questions internationales. L’environnement a été une préoccupation de la communauté internationale reflétée dans les Sommets de la Terre, la série de conférences internationales qui a commencé en 1972 avec la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement Humain (CNUEH) à Stockholm. Cette conférence inspirera les discussions sur le développement durable du Club de Rome dans les années 1970. En 1982 le deuxième Sommet de la Terre a eu lieu à Nairobi et en 1992, le troisième à Rio de Janeiro, Brésil. À Rio, la Conférence sur l’Environnement et le Développement approuve trois conventions importantes : la Convention sur la diversité biologique (CDB), la Convention sur la lutte contre la désertification (CLD) et la Conventioncadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Une Déclaration sur la gestion, la conservation et le développement durable des forêts a été aussi adoptée. 9 Selon sa présentation “An Ethos for our time? Theological reflection on appropriate ethical concepts in the light of the current global environmental crisis”, à la conférence Christian faith and the Earth : Respice and Prospice, Université de Western Cape, Afrique du Sud, aout 2012. Voir aussi Celia Deane-Drummond, The Ethics of Nature, Blackwell, Malden 2004. 10 David Hallman, Spiritual values for earth community, WCC, Genève 2012. Voir aussi Guillermo Kerber, Caring for Creation and Striving for Climate Justice: Implications for mission and spirituality, dans International Review of Mission, Vol 99-2, November 2010, p. 219-229. 11 Winston Halapua, Waves of God’s embrace. Sacred perspectives from the ocean, Canterbury Press, Norwich 2008. 12 Cf. The Place of Creation in Christian Spirituality: A Summary of the Discussion at the Consultation, in Lukas Vischer ed., Spirituality, Creation and the Ecology of the Eucharist, Grand-Saconnex, John Knox Series 18, 2007, pp. 1–23. 3 En outre la Déclaration de Rio sur l’Environnement et le Développement propose 27 principes qui vont être repris dans les conventions mentionnées ci-dessus. Ces principes nous permettent de reconnaitre la dimension éthique de la crise écologique. Laissez-moi montrer l’importance de ces principes en prenant comme exemple la Convention-cadre sur les Changements Climatiques. L'article 3 de la CCNUCC, sous le titre « Principes », regroupe les principaux fondements de la préoccupation et l’action internationales pour le climat. Le premier principe dit: «Il incombe aux Parties (de la Convention) de préserver le système climatique dans l'intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l'équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives. Il appartient, en conséquence, aux pays développés parties d'être à l'avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes” Dans cette énumération se trouvent rassemblés plusieurs éléments importants. Premièrement, le principe de «responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives» renvoie à l'engagement de tous pour lutter contre la composante anthropique du changement climatique et ses effets dévastateurs. Les changements climatiques sont un phénomène global et chacun et chacune est responsable de la vie dans ses innombrables manifestations sur la planète Terre. Mais tout le monde n'est pas responsable de la même manière. Les pays industrialisés ont une responsabilité historique pour leurs émissions. Les sociétés de ces pays et les élites des pays en pauvres ont une responsabilité particulière car ils ont un mode de vie qui épuise les ressources et va au-delà des possibilités de la terre. Le principe met en évidence aussi la responsabilité envers les générations présentes et futures. Les dommages à la Terre ont des implications non seulement pour nous mais pour l'avenir. Même si aujourd'hui nous arrêtions complètement d'émettre des gaz à effet serre (GES), les émissions cumulées auront une incidence sur les générations futures. La sauvegarde de la création implique ainsi de surmonter un regard égoïste et à court terme et assumer le devoir de léguer une planète avec des conditions de vie au moins similaires à celles qui notre génération a reçues. Enfin, le principe se réfère à la valeur de l'équité, qui devient essentiel, étant donné les inégalités dans la responsabilité et l'impact en matière de changement climatique. C’est cette inégalité qui appelle à reconnaitre la dimension de justice dans les changements climatiques. La justice climatique a été, depuis quelques années, une préoccupation soulevée par la société civile et les églises en particulier dans leur plaidoyer auprès des Nations Unies. La vulnérabilité des communautés et des pays, comme l’a démontré le Rapport du Groupe International d’Experts sur le Climat (GIEC), n’est pas la même pour tous. C’est pour cette raison pour laquelle le deuxième principe de la Convention demande de : «tenir pleinement compte des besoins spécifiques et de la situation spéciale des pays en développement, notamment de ceux qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques, ainsi que des Parties, notamment des pays en développement, auxquelles la Convention imposerait une charge disproportionnée ou anormale » 4 L’article de la Convention continuera avec trois autres principes en relation à des mesures de précaution pour prévoir, prévenir ou atténuer les causes des changements climatiques, le droit au développement durable et la promotion d’un système économique international porteur et ouvert. Les principes sont clairs, très out trop clairs, même, mais malheureusement la communauté internationale n’est pas arrivée à un accord juste, ambitieux et contraignant après l’échéance de la première période d'engagement du Protocole de Kyoto. Dans les dernières conférences de la Convention les résultats n’ont pas été à la hauteur des défis. Et au sommet de Rio+20, on a vu comment la proposition d’une économie verte (green economy) a été plutôt une greed economy (économie de la cupidité, avarice). Les préoccupations économiques et financières des pays ont été plus importantes que les vies de milliers de victimes et de la nature. Les questions environnementales ont été aussi à l’ordre du jour des dernières sessions du Conseil des Droits de l’Homme (CDH). Au cours des cinq dernières années, en plus des nombreuses résolutions sur les changements climatiques et les droits de l’homme, la création, l’année passée d’un Expert Indépendant sur l’environnement fait la liaison entre les problèmes écologiques et les droits humains. En mars 2008, le CDH a adopté sa première résolution sur «Droits de l'homme et le changement climatique" (Rés. 7/23). La résolution a reconnu la menace que le changement climatique fait peser sur les droits humains. En mars 2009, la résolution 10/4 fait remarquer que «les impacts liés aux changements climatiques ont une gamme de conséquences, directes et indirectes, pour la jouissance effective des droits de l'homme » et reconnaît que « les effets du changement climatique seront plus durs pour les segments de la population qui sont déjà dans une situation vulnérable « En Mars 2011, le CDH a adopté la résolution sur les "droits de l'homme et de l'environnement» (16/11) et a demandé au Haut-Commissaire de procéder à une étude analytique détaillée de la relation entre les droits de l'homme et l'environnement. Cette étude a révélé que, même si beaucoup de progrès ont été réalisés dans la compréhension de la relation entre les droits de l'homme et de l'environnement, plusieurs questions importantes demeurent ouvertes. Ces questions en suspens comprennent la nécessité et le contenu potentiel d'un droit à un environnement sain, le rôle et les fonctions des acteurs privés en matière de droits de l'homme et de l'environnement, la portée extraterritoriale des droits de l'homme et de l'environnement, et la manière d'opérationnaliser et de surveiller la mise en œuvre des obligations internationales relatives aux droits humains liées à l'environnement. En mars 2012, le CDH a adopté par consensus une résolution (19/L.8 Rev.1) sur "les droits humains et l'environnement». La résolution a décidé de nommer, pour une période de trois ans, un «expert indépendant chargé d'examiner la question des obligations relatives aux droits de l'homme se rapportant aux moyens de bénéficier d'un environnement sûr, propre, sain et durable ». L’expert, M. John Knox, a présenté son premier rapport (A/HRC/22/43) en mars 2013. Le rapport a eu notamment pour objet de présenter le mandat, d'énoncer 5 certaines des questions auxquelles il reste à répondre en ce qui concerne la relation entre les droits de l'homme et l'environnement et de décrire les activités que l'Expert indépendant a engagées et celles qu'il prévoit de mener. 4. L’action des églises Les églises, le mouvement œcuménique en général, les organisations religieuses, n’ont pas été absentes de cette préoccupation internationale pour l’environnement, les changements climatiques, pour la sauvegarde de la création. Le pape François a exprimé cette préoccupation dès le premier jour de son pontificat. À la messe inaugurale, le 19 mars, dans son homélie, il a appelé, à plusieurs reprises à garder la création13 : « La vocation de garder, ne nous concerne pas seulement nous les chrétiens, elle a une dimension qui précède et qui est simplement humaine, elle concerne tout le monde. C’est le fait de garder la création tout entière, la beauté de la création, comme il nous est dit dans le Livre de la Genèse et comme nous l’a montré saint François d’Assise : c’est le fait d’avoir du respect pour toute créature de Dieu et pour l’environnement dans lequel nous vivons ». Et, en particulier, il s’adresse aux leaders « Je voudrais demander, s’il vous plaît, à tous ceux qui occupent des rôles de responsabilité dans le domaine économique, politique ou social, …: nous sommes ‘gardiens’ de la création, du dessein de Dieu inscrit dans la nature, gardiens de l’autre, de l’environnement ; ne permettons pas que des signes de destruction et de mort accompagnent la marche de notre monde ». Pour lui, «garder la création, tout homme et toute femme, avec un regard de tendresse et d’amour, c’est ouvrir l’horizon de l’espérance, c’est ouvrir une trouée de lumière au milieu de tant de nuages, c’est porter la chaleur de l’espérance ». Et il conclut son homélie, en disant « … garder la création tout entière, garder chaque personne, spécialement la plus pauvre, nous garder nous-mêmes : voici un service que l’Évêque de Rome est appelé à accomplir, mais auquel nous sommes tous appelés pour faire resplendir l’étoile de l’espérance : gardons avec amour ce que Dieu nous a donné ! » De cette manière le pape François s’inscrit dans la tradition récente des papes. Le pape Benoît XVI, dans son message pour la célébration de la Journée mondiale de la Paix, le 1er Janvier 2010, qui a eu pour titre: «Si tu veux construire la paix, protège la création» a rappelé que «en 1990, Jean-Paul II parlait de ‘crise écologique’ et, en soulignant que celle-ci avait un caractère principalement éthique, il indiquait ‘la nécessité morale urgente d’une solidarité nouvelle’. Cet appel est encore plus pressant aujourd’hui, face aux manifestations croissantes d’une crise qu’il serait irresponsable de ne pas prendre sérieusement en considération. Comment demeurer indifférents face aux problématiques qui découlent de phénomènes tels que les changements climatiques, la désertification, la dégradation et la perte de productivité de vastes surfaces agricoles, la pollution des fleuves et des nappes phréatiques, l’appauvrissement de la biodiversité, l’augmentation des phénomènes naturels extrêmes, le déboisement des zones équatoriales et tropicales? Comment négliger le 13 http://www.vatican.va/holy_father/francesco/homilies/2013/documents/papafrancesco_20130319_omelia-inizio-pontificato_fr.html 6 phénomène grandissant de ce qu’on appelle les ‘réfugiés de l’environnement’: ces personnes qui, à cause de la dégradation de l’environnement où elles vivent, doivent l’abandonner – souvent en même temps que leurs biens – pour affronter les dangers et les inconnues d’un déplacement forcé? Comment ne pas réagir face aux conflits réels et potentiels liés à l’accès aux ressources naturelles? Toutes ces questions ont un profond impact sur l’exercice des droits humains, comme par exemple le droit à la vie, à l’alimentation, à la santé, au développement ».14 Dans cette préoccupation pour l’environnement, dans une optique œcuménique nous ne pouvons pas oublier le ministère exercé par les deux derniers patriarches œcuméniques de Constantinople. Le patriarche œcuménique Dimitrios a établi en 1989 le 1er Septembre comme la Journée pour la protection de l'environnement naturel, dans laquelle, « des prières devraient être offertes pour toute la Création et pour la réparation des atteintes causées à l'environnement ». Plus tard, le jour est devenu le «Journée de prière pour la protection de l'ensemble de la création »15. La troisième Assemblée œcuménique européenne à Sibiu, en Roumanie en Septembre 2007, a pris cette initiative et a appelé à un «Temps pour la Création», entre le 1er Septembre et le 4 Octobre, qui a été réaffirmé au niveau mondial par le Conseil Œcuménique des Eglises (COE)16. En Suisse, l’organisation œcuménique Oeku, Eglise et environnement a, depuis beaucoup des années, offert des matériaux pour célébrer le Temps pour la création ainsi que pour développer des « paroisses vertes » ou pour 17 discerner face à la stratégie énergétique de la Confédération. Le patriarche œcuménique Bartholomée, aussi appelé le Patriarche vert18, après son intronisation en 1991, a émis des lettres encycliques sur l'environnement tous les 1er Septembre. Il a déclaré, par exemple, que «l'humanité, à la fois individuellement et collectivement ... a succombé à une théorie du développement qui valorise la production et la richesse au détriment de la dignité et l’intégrité humaines … Nous avons abusé de la bonne et belle création». 19 Il a aussi clairement affirmé que « commettre un crime contre le monde naturel est un péché. Pousser les espèces à s'éteindre et à détruire la diversité biologique de la création de 14 Benoit XVI, Message pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix, 1er Janvier 2010, « Si tu veux construire la paix, protège la création » accessible au: http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/messages/peace/documents/hf_benxvi_mes_20091208_xliii-world-day-peace_fr.html 15 st Patriarche Oecuménique Dimitrios, Lettre encyclique sur l’environnement, 1 Septembre 1989” dans The Ecumenical Patriarchate and the World Wide Fund for Nature (WWF), Orthodoxy and the Ecological Crisis, Phanar, Istanbul, Turkey, et Gland, Suisse 1990. Les citations des Patriarches Œcuméniques sont prises de la présentation faite par M. Elias Crisóstomo Abramides, Peace with the Earth dans le Rassemblement International Œcuménique pour la Paix à Kingston, Jamaïque, May 2011. 16 Voir, par exemple, http://www.oikoumene.org/fr/press-centre/news/un-temps-pour-la-creation-un-appel-ala-priere-a-la-reflexion-et-a-l2019action 17 Voir http://www.oeku.ch/fr/index.php 18 La vision et les actions écologiques du patriarche Bartholomée sont présentées par exemple, dans John Chryssavgis, Cosmic Grace, Humble Prayer: Ecological Vision of Ecumenical Patriarch Bartholomew, Eerdmans Books, Grand Rapids 2003 (Edition revisée 2009) et aussi On Earth as in Heaven: Ecological Vision and Initiatives of Ecumenical Patriarch Bartholomew, Fordham University Press, New York 2012. 19 Message du Patriarche Œcuménique Bartholomée du 1 Septembre 1994. 7 Dieu; dégrader l'intégrité de la Terre en provoquant des changements dans le climat, en dépouillant la terre de ses forêts naturelles, ou en détruisant ses zones humides ; contaminer les eaux de la Terre, son sol, son air, et sa vie avec des substances toxiques: ce sont des péchés ».20 En plus du rôle que les leaders religieux ont joué pour la sauvegarde de la création, des églises et organisations œcuméniques, notamment le COE, ont mis en œuvre des programmes pour répondre aux questions soulevées par la crise écologique21. D’un coté en accompagnant les églises et les victimes de la crise et de l’autre coté en déployant un travail de plaidoyer auprès des Nations Unies, soit dans les Conférences de la CCUNCC, les Sommets de la Terre ou le Conseil des Droits de l’Homme. Dans cette démarche les églises sont allées au-delà du mouvement œcuménique et des plateformes inter-religieuses ont été créés, entre autres, le Geneva Interfaith Forum on Climate Change, Environment and Human Rights, ou le CCIG a été un des membres fondateurs. La sauvegarde, l’intégrité de la création est un défi majeur de l’heure actuelle. Comme chrétiens et chrétiennes, comme citoyens et citoyennes de la Terre nous devons répondre. Chez nous, dans nos familles, nous pouvons avoir des attitudes « écologiques », c’est-à-dire plus respectueuses de la création. Non comme adeptes d’une mode peut être éphémère, mais comme une expression de notre foi. Les paroisses et communautés peuvent jouer un rôle important, le temps pour la création, les campagnes œcuméniques ayant aidé beaucoup dans ce domaine. Au niveau de la Genève internationale le travail a commencé mais il reste beaucoup à faire. L’engagement d’organisations chrétiennes et catholiques en particulier, est essentiel pour défendre passionnément la beauté de la bonne création de Dieu. 20 Patriarche Œcuménique Bartholomée, Address at the Environmental Symposium, Santa Barbara, Californie, USA, Novembre 1997. 21 Voir Guillermo Kerber, Soixante ans de reflexion du Conseil Oecuménique des Eglises sur les questions de l’environnement, dans Jacques-Noël Pérès (dir.) L’avenir de la Terre, un défi pour les églises, DDB Paris 2010. 8