Des groupes de parole pour comprendre le mésusage de

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Des groupes de parole pour comprendre le
mésusage de médicaments de substitution
Étienne Matter *
Pour mieux comprendre les déterminants de ce que l’on nomme en
bloc “le mésusage” des traitements de substitution, l’association d’autosupport des usagers de drogues, ASUD, réunit depuis un an des
groupes de parole de six à huit personnes autour de ce problème.
À partir d’une visée assez large : écouter et comprendre pourquoi
certains usagers s’injectent leur traitement de substitution, le sniffent, le
fument ou le mélangent avec d’autres produits, l’objectif de ces groupes
s’est rapidement resserré, à la demande des usagers, sur la problématique de l’injection. Selon les études, cette pratique serait minoritaire,
mais elle pourrait avoir des conséquences extrêmement graves
sur la santé des usagers parce que les excipients contenus dans les
médicaments de substitution révèlent une importante toxicité à
l’injection : es veines des patients sont les premiers indicateurs !
L’objectif d’ASUD est de permettre à tous
les usagers qui le souhaitent de parler des
raisons qui les ont amenés au mésusage, de
la manière dont ils vivent cette situation et
des stratégies qu’ils ont pu mettre en place
pour y mettre fin, pour se réapproprier le
traitement.
Mésusage et injection, trop
stigmatisés, pas assez étudiés
Le mésusage, les pratiques d’injection surtout, on les “démonte”, on les dénonce
comme si les usagers qui les pratiquent
étaient forcément déviants et cherchaient
simplement un “rab” de drogue. Or, ce que
disent les participants aux groupes de parole
c’est qu’injecter son traitement “ce n’est
pas le grand pied !” La réalité du “mésusage”
des traitements de substitution et de la
* Directeur administratif à ASUD Paris. ASUD,
206, rue de Belleville, 75020 Paris. Tél. : 01
43 15 04 00 – Fax 01 43 15 01 11. E-mail :
asudjournal@club-internet – [email protected].
Intervention lors de la table ronde de l’Union
régionale des médecins libéraux du 3 septembre 2003.
buprénorphine haut dosage en particulier
est complexe. Derrière ces comportements
de mésusage, qu’on ne peut résumer à des
déviances, on perçoit surtout la souffrance
et la désorientation des usagers, peu ou pas
préparés à la réalité des traitements prescrits et à la difficulté de trouver des interlocuteurs assez neutres à qui “parler vrai”.
Que les usagers cherchent à potentialiser
les effets du médicament, à gérer des sentiments dépressifs, ou à réinstaurer une routine sécurisante, ils se découvrent tiraillés
entre deux envies contradictoires : celle de
pouvoir continuer la pratique de l’injection
et celle d’échapper à un rituel devenu sans
objet.
Originalité d’un tandem
“usager-expert”/psychologue
pour animer les groupes
Dans ces groupes focaux, les usagers ont
l’occasion de “décoder” ce mésusage,
“entre pairs”, et en toute confidentialité,
mais aussi de profiter du lien avec un psychologue puisque l’animation est confiée à
un tandem usager-expert/psychologue.
Le psychologue veille au respect du cadre
Le Courrier des addictions (6), n° 1, janvier-février-mars 2004
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méthodologique et au choix des outils d’expression et de travail, l’usager-expert à
l’établissement d’une dynamique de groupe
avec les “pairs”. Le but est d’amener le
groupe et chacun de ses participants à aller
plus loin que ce qu’ils font d’habitude lorsqu’on leur demande, au cours d’une enquête
par exemple, pourquoi ils se shootent et
qu’ils répondent par un banal “ah ben c’est
le geste” ou “j’peux pas m’en passer.” La
qualité et l’authenticité des paroles échangées, dépendent autant du cadre que de la
façon dont les entretiens sont menés.
L’usager expert, “c’est quelqu’un qui
connaît ce parcours alors qu’il y a des
choses que je vais cacher à mon médecin.”
La parole se libère lorsqu’on peut parler de
ce que l’on vit et ressent vraiment.
Parcours de vie et parcours
thérapeutique
Le traitement de substitution ne met pas un
point final au parcours ante de l’usager, il
en est sa continuation : son parcours de vie
n’a pas la forme géométrique d’une ligne
droite débouchant systématiquement sur la
thérapeutique, forcément linéaire elle aussi.
Le patient doit adhérer activement à un projet thérapeutique pour que celui-ci soit efficacement mis en actes avec le médecin.
Certaines prises en charge sont difficiles à
concevoir sans aménagement social ou psychique.
Les participants à ces groupes le rappellent :
un usager ne se réduit pas à un dosage de
produit plus ou moins bien adapté, même
s’il est clair que la recherche du dosage
adéquat de la buprénorphine haut dosage
ou de la méthadone est une condition
essentielle à la réussite du traitement.
L’usager ne s’inscrit pas dans l’unique
dimension de l’usage qu’il fait des produits, car l’être humain est multidimensionnel. Il fait partie d’un réseau d’amis et
de connaissances, il a une famille, il travaille ou est demandeur d’emploi, vit des
rencontres et souffre de ruptures, se démène dans des problèmes d’argent, a des
désirs qui évoluent. Comme tant d’autres
qui ne font pas un usage problématique de
produits. Reste à comprendre pourquoi il se
servira de l’injection pour affronter un
stress, pour le gérer, pour se sécuriser, pour
se sentir mieux.
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Clarifier l’objectif du traitement
pour ne pas gauchir
la demande du patient
À trop réduire le problème de l’usage de
drogues illicites à celui du “produit” et de
son dosage, on en oublie le principal bénéficiaire : l’usager lui-même.
Les participants aux groupes de parole
montrent que les usagers, qui sont pourtant
demandeurs d’un traitement de substitution, ont souvent une mauvaise compréhension et représentation des objectifs de cette
modalité de traitement : certains lui préféreraient en fait un sevrage et d’autres une
dispense de drogues médicalisées comme
l’héroïne sur le modèle d’autres pays européens. La primauté du cadre de prescription :
centre méthadone ou médecine de ville sur
l’objectif recherché gauchit parfois leur
réelle demande.
Lorsque ce sont les usagers qui demandent
assez rapidement des réductions drastiques
de dosage, c’est parce qu’ils comprennent
la différence entre protocole thérapeutique
et prise de drogues. Ils ont envie, en fait, de
réduire le plus possible la substitution et de
prendre des drogues parce qu’ils ne sont
pas prêts à “observer” un tel traitement. Il
n’est pas facile au médecin de “décoder” ce
Le déficit d’information
C’est la dimension humaine avec ses
défaillances, ses incompréhensions réciproques qui est “remontée” principalement
au cours de ces réunions de groupes. Avec
une attention particulière au déficit d’information. “Lors de la première consultation,
le médecin ne m’a pas expliqué tous les
effets du traitement sur les différents
aspects de ma vie, à court, à moyen et à
long terme, sur les interférences avec
d’autres produits ou traitements”, ont-ils
dit. “Et, en plus, il n’a pas discuté. Il me l’a
prescrit très vite.” Or, la plupart d’entre eux
ont été littéralement “surpris” par la “gestion” de ce traitement qu’ils ne connaissaient pas, qu’ils “comprenaient” donc
comme les drogues de rue qui étaient leur
“ordinaire” ! Or, il est tout à fait compréhensible qu’un usager répète avec le “produit” de substitution le mode de consommation des drogues de rue qui était le sien.
S’il les injectait, il devra faire un gros effort
pour ne pas en faire autant avec celui-ci.
Cet effort est l’un des domaines où le groupe de parole peut l’accompagner.
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12e réunion annuelle du GEST :
l’appel urgent des tabacologues
qui, dans un premier échange, risque de
déboucher sur un malentendu essentiel.
Le Groupe d’études sur le sevrage tabagique (GEST) vient de tenir sa
12e réunion annuelle les 8 et 9 janvier 2004. À ces journées ont participé plus de 200 tabacologues français, tous médecins de terrain
impliqués dans l’aide à l’arrêt du tabac. Ils ont été unanimes pour souligner que la situation actuelle des centres de tabacologie était extrêmement préoccupante. Malgré l’apport important réalisé par le plan
Kouchner, le fonctionnement de ces centres reste, depuis plusieurs
années, très difficile. Les tabacologues (médecins, infirmières, sagesfemmes) doivent faire face à des demandes qui sont toujours disproportionnées par rapport à leurs moyens réels. Ils doivent, soit refuser
des fumeurs en difficulté, voire déjà victimes du tabac, soit raccourcir
la durée de chaque consultation, ce qui est toujours néfaste en matière de dépendance.
Les problèmes posés sont devenus encore plus importants ces deux
derniers mois, la forte augmentation des prix du tabac ayant conduit
de nombreux fumeurs à effectuer une tentative d’arrêt. Ces fumeurs
n’ont pas toujours pu recourir à leur médecin traitant, car le nombre
de médecins généralistes formés à cette approche reste encore insuf-
Pourtant, les usagers expérimentés sont
d’accord : l’injection d’un médicament de
substitution “ça ne fait pas l’effet d’une
drogue” : la défonce est plutôt un phénomène de groupe, le mésusage avant tout un
“plaisir” solitaire que l’on cache même à
ses anciens copains de “défonce”, à sa
compagne ou à son compagnon. “Je ne
voulais pas qu’il (ou elle) sache que j’ai
replongé dans le shoot, car je savais qu’il
(ou elle) allait me juger comme un incapable : même avec la substitution, tu n’es
pas capable de changer !”, ont-ils dit en
substance.
La réunion de ces groupes a permis à ces
usagers, culpabilisés, stigmatisés, de réaliser qu’ils n’étaient pas seuls dans leurs cas,
isolés, exceptionnels. Ils ont pu entendre
d’autres “mésuseurs” parler de leurs pratiques : “j’ai vu des gens qui mélangeaient
alcool et substitution, d’autres qui se faisaient six injections par jour. Du coup, je
sais mieux où j’en suis”.
Autre effet très positif du groupe: une fois
levé le tabou de la parole sur le mésusage,
a émergé l’envie d’aller plus loin, de
demander et de chercher une information
approfondie sur ce médicament de substitution qu’au fond, ils prenaient pour un produit… qu’ils ne connaissent pas vraiment
bien !
fisant. La poursuite de la situation actuelle risque
d’avoir les plus graves conséquences :
- Les fumeurs les plus dépendants, les plus gros
consommateurs, ayant donc un risque très important continueront à
fumer, et seront, dans les années qui viennent, les victimes des cancers, BPCO et accidents cardiovasculaires.
- Les fumeurs en détresse risquent de se tourner vers des «
méthodes » obsolètes et inefficaces, ou même d’être victimes de véritables arnaques (laser et autres, etc.) L’échec, malheureusement prévisible, sera un facteur de démotivation.
Il y a donc extrême urgence à donner aux consultations et centres
de tabacologie les moyens nécessaires en secrétariat, psychologues,
infirmières et médecins, afin de pouvoir répondre dans des délais raisonnables à toutes les demandes et, d’autre part, participer à l’indispensable formation de médecins généralistes.
C’est donc un appel urgent que lance aux pouvoirs publics, l’ensemble des tabacologues de terrain présents à cette réunion, afin
que, dans les plus brefs délais, les moyens indispensables soient dégagés, afin de mieux assurer les objectifs du plan cancer, auquel sont très
attachés tous les tabacologues.
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Pr Gilbert Lagrue, Pr Pierre Delormas, Dr Dominique Chomard
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