Mémoire de fin d’études Diplôme Inter Universitaire de Soins Palliatifs et Accompagnement Faculté de Médecine de Rennes Session 2008-2010 Vivre le soin La quête de la juste proximité dans la relation soignant-soigné… Guideur de mémoire : Marie-Noëlle Belloir Stéphanie Mahouin Infirmière au CHU de Rennes 1 Remerciements A Madame Marie-Noëlle Belloir, cadre infirmier à l’équipe mobile de soins palliatifs au CHU de Rennes, pour m’avoir guidé tout au long de ce travail. Merci pour sa grande disponibilité, son soutien, son écoute et ses précieux conseils. A Madame Christine Morvan-Bardou, cadre infirmier supérieur pour le pôle abdomen et à Monsieur Gwénaël Hery, cadre infirmier dans l’unité de soins intensifs en gastrohépatologie, pour m’avoir permis de suivre cet enseignement et pour la confiance qu’ils m’accordent. A Madame Anne Guillygomarch, médecin responsable de l’unité de soins intensifs en gastro-hépatologie, pour ses encouragements au cours de ces deux années de formation. A l’équipe pédagogique du DIU en « soins palliatifs et accompagnement » et à la promotion 2008-2010 pour ces deux années riches en enseignements et en échanges. A mes collègues pour leur soutien et leurs témoignages dans l’enquête réalisée. A tous les patients et leurs familles qui m’ont donné l’envie de poursuivre mon apprentissage relatif à ma relation avec eux. Mes remerciements sincères : A Stéphane, Clémence et Antoine pour leur patience et leur compréhension durant l’écriture de ce mémoire, avec tout mon amour. A mes parents pour leur présence à nos côtés et particulièrement pour leur attention envers les enfants pendant la réalisation de mon travail, avec toute mon affection. A Hélène , ma sœur, pour son avis précieux, avec toute mon affection. A Micheline et Dominique pour leurs relectures perspicaces. 2 Sommaire INTRODUCTION 4 IERE PARTIE : DECRIRE POUR COMPRENDRE 8 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8 11 12 14 22 25 29 Pourquoi proximité plutôt que distance professionnelle ? Quand un patient entre à l’hôpital… L’évolution du système de santé et le poids de la technique Soin et « prendre soin » Emotions et mécanismes de défense L’ordre enseigné Hypothèse IIEME PARTIE : OBSERVER POUR COMPRENDRE I. Réalisation de l’enquête Le choix de l’outil La population visée La méthode suivie pour réaliser mon enquête Les difficultés rencontrées Les objectifs a) Objectif principal de l’enquête b) Objectifs spécifiques 6. Le guide d’entretien 1. 2. 3. 4. 5. II. 1. 2. 3. 4. 5. 6. Présentation des résultats et analyse des entretiens Prendre soin a) Soins relevant du rôle propre b) Soins relevant de l’ordre prescrit ou de la technicité. 5/7 Situation difficile/facile a) Les difficultés liées à la dimension relationnelle: 6/7 b) Les difficultés liées à la douleur du patient: 3/7 Ce qui se passe pour le soignant… Les ressources des soignants a) L’équipe b) La vie personnelle c) Les loisirs d) L’expérience professionnelle La notion de distance professionnelle La formation IIIEME PARTIE : DISCUSSION 1. 2. 3. 4. Le prendre soin Les émotions du patient et du soignant La notion de distance professionnelle Les ressources mobilisées par les soignants 30 30 30 30 30 31 32 32 32 33 34 34 34 36 36 36 39 39 41 41 41 42 42 42 45 47 47 50 53 55 IVEME PARTIE : PROPOSITIONS 62 CONCLUSION 67 Bibliographie Annexes 3 Introduction Il est sans doute déjà arrivé à certains professionnels du soin, comme à moi-même, de passer dans la chambre d’un patient, d’effectuer le soin pour lequel ils étaient venus, pour se rendre compte ensuite que finalement ils n’étaient pas assez attentifs à ce qui se passait autour d’eux. Cette prise de conscience a fait naître en moi plusieurs interrogations: Ai-je entendu ce que me disait le malade, l’ai-je observé, me suis-je réellement intéressée à lui ? Quelles raisons peuvent expliquer cette attitude de fuite de la part du soignant? Est-ce parce qu’il est fatigué, que le soin à réaliser demande de la concentration et peut se révéler pénible (pour le soignant et pour le patient), que le temps est trop court ou encore que l’infirmier ou l’infirmière est préoccupé, distrait par un évènement de sa vie personnelle particulièrement difficile à cette période précise ? Est-ce la crainte de ne pas savoir gérer la peur parfois de franchir la porte d’une chambre parce que l’état du patient est inquiétant ?… Cette liste d’interrogations n’est pas exhaustive, elle pourrait continuer encore. Chaque soignant peut avoir une bonne raison de se trouver en situation de « distance froide » vis-àvis du patient. N’est-il pas primordial de pouvoir en prendre conscience afin de trouver les ressources pour y remédier? Ces questions ne nous effraient-elles pas parce qu’il est possible que nous ne sachions pas y répondre ? Le vécu de la personne que nous soignons peut nous renvoyer à nos propres inquiétudes, à notre propre histoire…. Mes différentes expériences professionnelles ont été enrichissantes tant techniquement qu’humainement. Mais certaines situations professionnelles et aussi personnelles observées m’ont amenée à prendre conscience de la difficulté que représentait la prise en charge des patients douloureux, des personnes gravement malades ou en fin de vie et de leur famille. De là ont mûri divers questionnements. Ils sont venus renforcer l’idée que pour moi soigner, c’est être là, authentique, tenter d’apporter du confort et/ou du réconfort aux personnes qui souffrent et remplir une fonction, celle d’infirmière. Au cours de mes années d’exercice en cardiologie puis aux urgences, j’ai été confrontée notamment à la douleur physique aiguë et chronique, à la souffrance psychologique, chez des personnes de tous âges ; j’ai accompagné quelquefois des patients jusqu’aux derniers instants de leur vie. Certaines « histoires » me restent d’ailleurs en mémoire. Un monsieur en particulier avec qui j’ai partagé un moment très fort avant qu’il ne décède parce qu’il « attendait » sa femme et ses deux jeunes enfants avant de partir, me laisse un souvenir 4 émouvant et positif. Le souci d’apporter des soins de qualité et de mieux-être aux malades suscite pour moi un intérêt particulier et donne un sens à ma mission. Aujourd’hui, infirmière en soins intensifs de gastro-hépatologie, je rencontre des patients aux pathologies souvent lourdes, parfois en attente de greffe, parfois en fin de vie. Leur prise en charge globale et le travail en équipe pluridisciplinaire représentent une réelle satisfaction pour moi. Certaines situations pourtant ne sont pas simples. Comment gérer au mieux et soulager les souffrances physiques et psychologiques, le stress des patients et de leurs familles face à la technicité de ce service, à la maladie grave ou à la mort ? Comment réagir devant leurs émotions, avec toute l’attention qu’ils méritent ? …. Pour répondre à ce besoin d’optimiser ma prise en charge, je me suis formée à la relation d’aide en passant mon premier degré d’Analyse Transactionnelle, j’ai suivi des sessions de formation sur l’accompagnement, sur la douleur… Enfin, j’ai choisi d’approfondir mes connaissances relatives aux sciences humaines, au processus du mourir et de la perte, au traitement de la douleur … en suivant l’enseignement menant au diplôme de soins palliatifs et accompagnement. L’énergie qui anime les soignants ayant choisi de travailler dans le milieu de la Santé et plus encore dans le domaine du soin, est bien centrée sur « le prendre soin de l’autre », s’occuper de personnes malades ou en difficulté…Nous ne devenons pas soignants par hasard. Il me semble que les individus qui décident d’exercer au plus près de ceux qui souffrent sont dotés de valeurs humanistes avec l’espoir de soigner, de favoriser un mieux-être… « Des valeurs humanistes altruistes sont les bases de notre discipline. C’est d’ailleurs le désir d’aider, d’être utile et de soulager qui nous fait choisir initialement notre profession … »1 Lorsqu’un soignant s’occupe d’un malade, il le prend en charge, lui apporte attention et soins divers. Il entre en relation. Une certaine proximité peut s’installer avec le patient et sa famille ou ses proches ; cela pourra dépendre du niveau d’investissement ou d’implication choisi par l’accompagnant dans cette relation. Chaque individu est un être de relation. Le dictionnaire encyclopédique Larousse définit le mot relation comme étant une communication, un lien existant entre des choses, des 1 SFAP, Collège des acteurs en soins infirmiers, L’infirmière et les soins palliatifs, savoir et pratique infirmière, Masson, 2009, p 32 5 personnes, une liaison d’affaire, d’amitié : par exemple, être en relation avec quelqu’un. C’est aussi une personne avec laquelle on est en rapport. Et Communiquer, signifie par ailleurs entretenir une correspondance, une relation avec quelqu’un. Il existe différents types de communication (verbale et non verbale). Il reste à savoir ce que chacun attend de la relation qui s’instaure entre lui et l’autre. En me prenant au jeu d’un petit brainstorming, « communiquer » c’est pour moi : écouter, entendre, observer, donner et recevoir, s’enrichir du contact avec l’autre, s’émouvoir avec l’autre, partager…. Toute relation est un échange de personne à personne où chacun donne et reçoit, et chaque personnalité est impliquée toute entière. Dans le domaine du soin, les enjeux sont autres que dans la vie quotidienne. D’ailleurs, le dictionnaire de la profession infirmière définit la relation soignant-soigné comme « une interaction entre deux personnes se trouvant en situation de soin » et la décrit comme un des fondements des soins infirmiers. 2 Il s’agit pour le soignant de s’occuper de personnes qui ne sont pas dans leur contexte de vie habituel. Les repères sont modifiés, elles ne sont plus tout à fait actrices de ce qui se passent pour elles. Au même titre que le patient, pour qui le vécu est singulier de par sa pathologie, son parcours dans la maladie…, le soignant est d’abord une personne avec son cadre de référence c'est-à-dire sa propre identité, son éducation, son vécu, sa personnalité…. Pour l’infirmière que je suis, chaque nouvelle prise en charge d’un malade est d’abord l’histoire d’une Rencontre, celle d’une personne avec une autre personne, sa singularité et son histoire. Quand nous accompagnons un patient et/ou sa famille, ses proches, des liens se créent, plus ou moins rapidement, il faut parfois un peu de temps pour qu’un climat de confiance s’installe. Les liens peuvent être différents selon les personnes pour diverses raisons. Dans la relation soignant-soigné, il y a implication des deux côtés toujours dans le respect de l’autre : celui du malade dans ses besoins, son intimité….mais aussi celui du soignant, c’est à dire se sentir compris dans son émotivité, son implication et malgré tout remplir la mission d’aide et d’accompagnement à laquelle il se doit. C’est là que toute la difficulté de la relation apparaît. Trop s’impliquer, est-ce être encore suffisamment efficace et aidant, est-ce se protéger suffisamment pour ne pas souffrir ou permettre à l’autre de rester dans l’autonomie ? Pas assez d’implication, n’est-ce pas rendre 2 Dictionnaire des soins infirmiers et de la profession infirmière, Masson, septembre 2005, p 235 6 la relation distante, sans un minimum d’intimité nécessaire au soin, n’est-ce pas dommageable pour le patient ? Je me suis alors demandé pourquoi il était parfois difficile de trouver, pour le soignant, la juste proximité à établir, dans l’accompagnement de personnes atteintes d’une maladie grave ? Par cette question, je pose toute la problématique de mon travail. Pour tenter de répondre à ce questionnement, je m’appuie sur différentes références bibliographiques et sur mon expérience personnelle d’infirmière. Dans la première partie de mon mémoire, je choisis de décrire le contexte dans lequel exercent les professionnels infirmiers. Ma seconde partie est consacrée à l’observation de ce qui se passe dans l’environnement des infirmières. Pour ce faire, j’ai réalisé et analysé des entretiens auprès de professionnelles. Dans la troisième partie, je confronte mon cadre conceptuel traité en début de mémoire, et les résultats de mon enquête, dans le but de vérifier si l’hypothèse posée se confirme ou non. Enfin, je tente d’apporter des propositions en rapport avec ma question centrale. 7 Ière partie : Décrire pour comprendre 1. Pourquoi proximité plutôt que distance professionnelle ? Dans l’intitulé de ma question de départ, j’ai volontairement choisi de parler de proximité plutôt que de distance professionnelle. Dans l’encyclopédie Larousse, la proximité est définit comme « la situation de quelqu’un ou de quelque chose qui se trouve à peu de distance (donc proche) de quelqu’un, de quelque chose d’autre, d’un lieu ». Le mot distance quant à lui est expliqué comme étant « l’écart, la différence entre deux choses, deux personnes, leurs statuts, leurs qualités ». Garder ses distances signifie alors s'arranger pour ne pas être concerné par quelque chose, dégager sa responsabilité ou éviter toute familiarité avec quelqu'un. Se tenir à distance c’est ne pas laisser approcher quelqu'un de soi ou lui ôter tout prétexte de familiarité, ne pas se mêler de quelque chose. Il me semble que dans son activité, le professionnel de santé est davantage proche, donc en proximité, tant dans la relation que par le contact physique. La plupart des soins l’amène à toucher le corps de la personne malade. C’est bien être en proximité que d’effleurer l’intimité de l’autre. Justine Coqueran, de l’hôpital Tenon, explique que « les gestes qui peuvent paraître les plus simples, la toilette, le massage, le change nous rapprochent au plus près de l’être vivant. A travers ces gestes, nous sommes déjà en dialogue en relation, en échange avec lui. Nos mains, notre savoir-faire peuvent devenir signes d’une humanité partagée… »3. Enfin, à mon sens, il est souvent préférable de mobiliser ce que je qualifierai « d’énergie positive », à chercher à se diriger vers une bonne ou juste proximité plutôt que de lutter contre une trop grande distance. Pour préciser mes propos, je m’appuie sur le travail d’un groupe d’auteurs qui ont réfléchi au concept de proximité et pour lesquels « cinq figures dominantes de la proximité se dégagent… : la proximité intersubjective, expérientielle, spatiale, écosystémique et 3 Justine Coqueran, Vers une « bonne » pratique soignante, médecine palliative, n°1 octobre 2002, p35 8 décisionnelle. »4. Je détaillerai plus particulièrement les deux premières qui touchent davantage au sujet qui m’intéresse ici. La « proximité intersubjective : … fait surtout appel à la sphère émotionnelle et s’articule autour de la qualité de la relation et du dialogue, présents dans le lien, l’accompagnement et le soin (…) ; la proximité expérientielle :…Etre proche renvoie à l’écoute de soi et à la connaissance intime par l’expérience(…)» 5 Selon Edouard Hall, dans la dimension cachée6, l’Homme, comme les animaux, utilise différentes distances dans les rapports qu’il entretient avec ses semblables. Il appelle ce phénomène « la Proxémie », c’est la distance agréable entre deux individus. Chacun de nous possède une personnalité, ce que nous laissons paraître ou exprimons peut varier en fonction des situations et/ou des personnes que nous rencontrons. E. Hall classifie six distances : la distance publique mode lointain (7,50 m ou plus) ; c’est celle qu’utilisent les personnages publics (hommes politiques, acteurs…). La distance publique (3,60m à 7,50m) ; c’est la distance située hors du cercle où l’individu est directement concerné. la distance sociale (1,20m à 2,10m) est celle où l’attention est retenue par les yeux et la bouche de l’interlocuteur ; la voix est suffisamment haute pour être entendue ; elle sert à être en contact avec la personne mais en restant dans la politesse. La distance personnelle (45 cm à 75 cm) désigne une distance minimum acceptable pour chaque individu. On peut l’imaginer comme une bulle protectrice qu’un individu mettrait autour de lui pour s’isoler des autres. On ne déforme plus les traits de l’autre. La distance intime de mode éloigné (15 cm à 40 cm) : les corps sont disjoints, seules les mains peuvent se toucher. Les sens sont en éveil, on peut alors sentir l’odeur et la chaleur de l’autre. La voix est peu forte, il n’est pas nécessaire de crier pour être entendu. C’est la distance à laquelle on est confronté dans les transports en commun aux heures d’affluence. Pour que le contact soit le moins proche possible malgré tout car on ne l’a pas choisi, il s’agit là de ne pas bouger, de contracter les muscles. Enfin la distance intime : c’est la distance du contact direct, de l’acte sexuel, de la lutte, celle du soin aussi. «Celle à laquelle on réconforte et on protège ».Ici , la présence de l’autre 4 Michel Clément, Lucie Gélineau , Anaîs-Monica McKay, Proximités, presses de l’Université de Québec, 2009, p.4 5 Ibid, Proximités, P 5 6 Edward T.Hall, la dimension cachée. Paris :seuil, 1971, chapitre 10 , p 143 9 s’impose, on peut percevoir son souffle, son odeur, les détails de son visage, de son corps… « … il est inutile de parler fort en distance personnelle ou intime : une voix normale, voire un murmure, un murmure suffit pour se comprendre »7 Dans le soin, ne sommes nous pas le plus souvent en distance intime comme celle décrite par Hall? Il ne s‘agit pas de « sauter » sur le malade dès qu’on entre dans la chambre ; mais plutôt d’utiliser différentes distances en fonction des circonstances de venue dans la pièce, des besoins du malade, de la relation déjà établie. Il est alors préférable d’opérer graduellement au fur et à mesure de nos interventions. J’illustrerai mon propos avec un exemple de situation assez courante me semble t-il lorsque nous nous occupons d’une personne malade : un patient se met à pleurer alors que le soignant entre dans sa chambre. Plutôt que de le toucher tout de suite dans l’intention de le soulager, ne vaut il pas mieux se renseigner d’abord sur ce qui se passe pour lui, ce dont il a besoin à ce moment précis, ensuite utiliser le toucher s’il est adapté. Cet exemple peut renvoyer à la question : toucher ou être touché, quels sont les bénéfices et pour qui ? (pour le soignant qui espère réconforter par le toucher ou le soigné qui est censé être soulagé au contact de la main accompagnante) ? Mais mon travail ne se situe pas exactement là pour le moment, cette dernière question pourrait faire l’objet de nouvelles recherches ultérieurement. D’autres exemples de situations de soins peuvent venir éclairer mon explication de la « proxémie ». Lorsqu’un soignant exécute une toilette complète au lit parce que le malade ne peut pas se lever, il y a non seulement un acte de soin mais aussi toute une dimension relationnelle qui s’installe. Nous sommes bien là en distance intime dans la mesure où le professionnel entre dans la sphère très personnelle du patient. Les deux interlocuteurs n’ont pas besoin de se parler fort, ils sont nécessairement très proches l’un de l’autre, le soignant utilise le contact direct, à savoir que ses mains touchent le corps de l’autre, peut en connaître les détails. Le soignant se doit d’opérer dans le plus grand respect afin de ne pas mettre le patient mal à l’aise. Il arrive parfois que les personnes expriment leur difficulté à se laisser laver par une personne étrangère. Cela les renvoie à leur condition de malade, leur manque d’autonomie pour cet acte si singulier. C’est pourquoi, là encore un climat de confiance devra s’instaurer et pourra permettre au patient d’exprimer ses sentiments. 7 Pascal Prayez, Distance professionnelle et qualité de soin. Gestion des ressources humaines. Editions Lamarre, page 11 10 En évoquant les travaux d’Emmanuel Lévinas dans son ouvrage Autrement qu’être ou audelà de l’essence, Emmanuel Hirsch affirme que « la notion de proximité engage davantage que celle plus formelle de relation, dans la mesure où elle procède d’un investissement intime qui sollicite nos valeurs et options personnelles… »8. Auprès d’un patient qu’on accompagne, il y a bien plus qu’une simple relation avec lui puisque les deux protagonistes donnent de leur personne et reçoivent. Nous pouvons ajouter qu’il y a réelle implication de part et d’autre. Il me semble qu’à partir du moment où il y a implication, c’est toute la personnalité qui se met en action avec son vécu, son émotivité…alors, le problème de la juste proximité se pose, jusqu’où puis-je m’investir pour rester aidant tout en me protégeant ? 2. Quand un patient entre à l’hôpital… En effet, une personne qui rentre à l’hôpital en tant que malade vit une réelle épreuve : elle se trouve plongée dans un monde qui lui est le plus souvent inconnu, elle doit s’adapter à des horaires décalés par rapport à sa vie quotidienne, aux odeurs, aux bruits… Elle est soumise à des séries d’examens divers et variés, confrontée à un langage technique qu’elle ne comprend pas toujours. Il me semble que cette méconnaissance du milieu et la situation dans laquelle le malade se trouve, avec l’attente d’un diagnostic, contribue à l’isoler, à le fragiliser. Dans son ouvrage L’Ethique au cœur des soins 9, Emmanuel Hirsch parle de cette difficulté d’adaptation que peut connaître le malade : « l’expérience vécue par une personne malade au cours d’une hospitalisation en dit long sur la difficulté d’exposer sa maladie, de lui trouver une place spécifique dans un contexte qui peut apparaître tout d’abord inhospitalier, tant les circonstances déroutent et affectent. Fragilisée et déstabilisée par la menace d’un diagnostic qui impose cette mise entre parenthèses sociales que représente le temps de l’hospitalisation, la personne a bien vite le sentiment d’être soumise à des règles (…) entravant son autonomie. Les repères lui manquent, ce qui ajoute à l’incertitude et à la peur » 8 Emmanuel Hirsch, Op.Cit. p.131 9 Emmanuel Hirsch .,L’éthique au cœur des soins, un itinéraire philosophique, espace éthique, Vuibert, mars 2006, p.20 11 Il ajoute un peu plus loin, « (le malade est) livré au bon vouloir et à l’autorité de personnes qu’il ne connaissait pas jusqu’alors, auxquelles il convient malgré tout de s’en remettre, de faire confiance dans l’intimité du soin » 3. L’évolution du système de santé et le poids de la technique Dans ce monde moderne où l’on vit, notre système de santé est en constante évolution. Les avancées de la recherche, les progrès de la médecine, ont contribué à l’amélioration de bon nombre de prises en charge dans le domaine biomédical, dans les propositions de traitements aux malades. L’ « Humanisation des hôpitaux » apparaît comme un objectif privilégié pour les dirigeants politiques et les administrateurs d’établissements. Dès 1958, la première circulaire apparaît à ce sujet, suivie de la réforme hospitalière de janvier 1971 (loi du 31 décembre 1970). Puis le mouvement s’accélère en y incluant une dimension nouvelle, celle des droits des usagers. De nouveaux textes de lois et chartes ont alors vu le jour telles la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades ; la charte de la personne hospitalisée de 1995, réactualisée en 2007 ; la loi du 9 juin 1999 qui vise à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs ; la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique ; la loi Léonetti du 22 avril 2005 relative aux droits du malade et à la fin de vie… Partout, les établissements ont le devoir de s’engager dans une « démarche qualité » par l’évaluation des pratiques professionnelles. Ces dernières ont d’ailleurs pour but « l’amélioration continue de la qualité des soins et du service rendu aux patients par les professionnels de santé. Elle vise à promouvoir la qualité, sécurité, efficacité et l’efficience des soins et de la prévention (…) dans le respect des règles déontologiques »10 D’un autre côté, nous entendons parler de chiffres, de nombres de lits, de durée des séjours, de rentabilité même et aussi de restrictions en personnel. Les Hôpitaux sont parcellisés par pôles de spécialités ou « d’appareils » : pôle abdomen, pôle urgences et réanimation, pôle thoracique… L’organisation des unités de soins s’en trouve modifiée et la place de la technicité est de plus en plus grande. Marie-Françoise Collière parle de « soins aux malades qui deviennent « la technique » puis « les soins techniques»11. 10 Décret n° 2005-346 du 14 avril 2005 relatif à l’évaluation des pratiques professionnelles, journal officiel de la république française n°88 11 Marie- Françoise Collière, Promouvoir la vie, interEditions, Masson, Paris, 1982, p. 127 12 On nous demande d’en faire de plus en plus dans un temps compressé, raccourci. Chaque tranche horaire est agencée en termes de tâches à accomplir ; des profils de postes détaillent d’ailleurs chacun des temps de présence des agents. Par exemple, le matin, les infirmières prélèvent les bilans sanguins et prennent les constantes de chaque malade, envoient ces prélèvements dans les différents laboratoires, assistent ensuite au « staff » journalier avec les médecins, effectuent les différents soins (soins d’hygiène et de confort, pansements, préparation de perfusions ou autres injections…), relèvent les prescriptions écrites durant la visite des médecins aux patients hospitalisés…. Il n’apparaît que très peu, voire pas du tout, de notion de présence, écoute et relation d’aide avec les personnes malades. « S’asseoir, par exemple, près d’un patient pour « simplement » bavarder avec lui est souvent perçu, par des collègues pressés par des tâches à effectuer et à terminer, comme un gaspillage de temps »12. N’est ce pas dommageable pour les personnes hospitalisées que le « soin relationnel » ne soit pas davantage reconnu ? Et qu’en est-il du malade en tant que personne et non comme « maladie » ? Déjà en 1982, lors de la parution de son livre Promouvoir la vie, Marie-Françoise Collière écrivait : « (…) on voit s’affirmer le malaise de soins trop rivés à la technique, et où les infirmières désirent retrouver le sens des « soins aux malades », en remettant en cause les soins centrés sur la maladie »13. Aujourd’hui, le malaise n’a fait que se pérenniser, voire s’accentuer. En évoquant les différentes avancées dans le monde hospitalier, Pascal Prayez affirme en 2003, dans son ouvrage Distance professionnelle et qualité de soin que « cette évolution (…) interdit de fait au personnel de remplir son rôle de façon satisfaisante, l’amène à enchaîner les gestes sans penser, sans ressentir, sans se laisser toucher par le malade. Cette réalité vient donc en contradiction frontale avec le discours sur l’humanisation… »14 C’est pourquoi, dans la volonté d’offrir la meilleure prise en charge possible aux patients et à leurs familles, dans la recherche de la juste proximité avec ceux- ci, il nous semble nécessaire de s’octroyer des moments pour réfléchir à ce qu’est véritablement le « prendre soin » dans la démarche soignante afin d’apporter empathie, écoute et disponibilité que celui- ci requiert. Cette mise en conscience permettrait de rendre la relation d’aide mise en place auprès du malade la plus efficiente possible, de reprendre contact avec la valeur de 12 Walter Hesbeen, Prendre soin à l’hôpital, Masson, Paris, 1997, p.74 13 Marie-Françoise Collière, Op.Cit. p. 154 14 Pascal Prayez, Op.Cit. p.35 13 l’accompagnement que nous pouvons proposer et ajuster nos pratiques relationnelles en fonction des situations, des personnes (soignants et soignés), des conjonctures… 4. Soin et « prendre soin » Marie-Françoise Collière définit le terme de soigner comme un acte de vie « dans le sens que soigner représente une variété infinie d’activités qui visent à maintenir la vie et à lui permettre de se continuer et de se reproduire. » Les anglo-saxons semblent détenir un vocabulaire plus riche en terme de nature de soins. La théorie du « caring » élaborée en 1979 par Jean Watson, infirmière américaine, professeur en sciences infirmières et membre de l’Académie Américaine de soins infirmiers, est un concept de soins infirmiers, signifiant prendre soin et décrit une approche humaniste. Elle vise à prendre en compte la personne dans sa globalité dans le respect de ses valeurs et de ses besoins. Elle décrit deux types de nature de soins, « le care » et « le cure ». « To care » signifie prendre soin de, avoir soin de et « to cure » veut dire réséquer, traiter en ôtant le mal. Dans le propos qui nous intéresse ici, il s’agit bien de se situer non seulement dans « le cure » mais aussi dans « le care » sans quoi le sens du soin pour les professionnels infirmiers ne signifierait plus rien. Car « Le soin » n’est-il pas d’abord « prendre soin » ou peut on soigner sans prendre soin? Pour commencer, nous pourrions faire la différence entre les soins et Le Soin. Les premiers font plutôt référence aux soins techniques, aux tâches à accomplir ( les bilans sanguins, les pansements, les commandes diverses et variées, les transmissions….). Ils peuvent être comptabilisés. Alors que le Soin se rapprocherait davantage de l’aspect relationnel du rôle de soignant. Il fait référence à l’éthique du soin, le prendre soin, l’empathie… « c’est l’être en tant que tel, en tant que corps-sujet, celui qui a besoin de sens, qui demande de l’attention. C’est là qu’intervient la distinction que l’on peut établir entre « faire des soins à quelqu’un » et « prendre soin de quelqu’un ». C’est cette différence qui permet d’inscrire son action, (…), dans une perspective soignante, porteuse de sens et aidante pour la personne soignée »15. Cette différenciation nous renvoie aussi aux règles du savoir-faire et 15 Walter Hesbeen, Op.Cit. p.2 14 du savoir-être qui devraient être indissociables dans une activité soignante des plus humaines. En termes de besoins, il nous paraît intéressant de rappeler que chaque être humain a des besoins fondamentaux qu’il tente de satisfaire pour bien vivre. Pour les soignants, prendre soin c’est « l’assister (le patient) dans la satisfaction de ses besoins humains, son confort, son bien-être, son intimité… »16Différents auteurs ont d’ailleurs travaillé sur ce sujet. Dans son ouvrage Principes fondamentaux et soins infirmiers, Virginia Anderson a classifié ces besoins en 14 besoins fondamentaux. Pour elle, « l’infirmière aide à vivre, augmente les chemins du possible avec professionnalisme et humanité ». A.H. Maslow hiérarchise les besoins fondamentaux de toute personne sous la forme d’une pyramide en cinq niveaux : - besoins physiologiques (faim, soif, sexualité, survie…) - besoins psychologiques (sécurité, peur du changement, emploi…) - besoins sociaux et culturels (appartenance, identification à un groupe…) - besoin d’estime (le salut, le respect) - besoins d’accomplissement (réalisation de soi, dépassement de soi…) La connaissance des besoins fondamentaux est importante mais celle de la personne soignée et de son environnement est aussi essentielle pour prendre en charge le malade dans sa globalité, dans le respect de ses valeurs, de ses attentes, de son vécu de l’hospitalisation…. Le brusque changement dans la Santé, l’hospitalisation peuvent être vécus comme de véritables ruptures pour le malade. Notre accompagnement doit se faire dans le plus grand respect de tous ces éléments de connaissance sur le patient et ne pas omettre que l’accompagnement est soin. Pour Walter Hesbeen, « le soin relève de l’attention. Il désigne le fait d’être attentif à quelqu’un pour s’occuper de son bien-être ou de son état … »17. Il ajoute que la notion de « prendre soin » souligne « cette attention particulière que l’on va porter à soi-même ou à un autre… », cet autre qu’est le malade dans sa singularité, qui vit une situation 16 SFAP, Op.Cit. p.33 17 Walter Hesbeen, Op.Cit. p.7 15 particulière. Pour lui, cette attention particulière, c’est tout un ensemble de « petites choses » qui rendent le patient plus confortable, plus apaisé. Il est vrai qu’un certain nombre de gestes ou attitudes qui peuvent nous paraître anodins prennent de l’importance pour la personne qui se trouve dans un lit, qui n’a que peu d’activités sinon celle d’observer ce qui se passe autour d’elle, elle en a le temps. Dans ma pratique infirmière aux urgences, je me rappelle que les personnes attendent… tantôt un examen, tantôt la visite d’un spécialiste… L’attente est particulièrement longue parfois. Les patients le disent eux-mêmes « je n’ai que ça à faire que de regarder, écouter, vous paraissez si nombreux pourtant… ». Ils savent parfois remercier pour votre sourire, l’écoute que vous aurez porté à leur douleur, leur installation, à rassurer leurs proches…. Autant de petites attentions qui allègent peut-être un peu l’angoisse de l’entrée à l’hôpital. En outre, pour prendre soin de quelqu’un, il est nécessaire qu’une relation de confiance s’établisse entre les deux partenaires. Comme nous l’avons souligné précédemment, le soin procure une sorte d’intrusion dans le monde de l’autre, dans son intimité. (D’ailleurs en anglais le mot confiance se traduit par confidence). Pour que ce climat s’installe, il paraît primordial que le soignant se rende disponible pour le malade. Rassurer ce dernier par des mots simples ne coûte rien : « n’hésitez pas à sonner si vous avez besoin de quelque chose » ou alors « je suis disponible si vous avez besoin de moi avant mon prochain passage … » Alors, se rendre disponible, n’est ce pas aussi être présent ? Et qu’est-ce que la présence dans l’accompagnement de personnes malades ? Patrick Verspieren a préfacé l’ouvrage de Bernard Matray La présence et le respect. A propos de la première, il nous dit que « pour que cette proximité trouve un sens et soit acceptable au plan éthique, elle doit se traduire en terme de présence : c'est-à-dire inclure le souci de respecter l’autre dans son altérité, son statut de sujet (…) Cette qualité de la présence s’exprime dans toutes les dimensions de la relation, qu’il s’agisse des gestes qui rejoignent le corps ou qu’il s’agisse de toutes les démarches qui vont à la rencontre de l’autre dans son besoin de savoir, de comprendre, de participer, d’être soutenu, voire d’être aimé »18, il ajoute un peu plus loin que la proximité doit devenir présence pour qu’il y ait accompagnement. Cette présence nécessaire au patient ne lui permettrait-elle pas davantage de se sentir reconnu en tant que personne à part entière plutôt que de le renvoyer à sa position de malade nécessitant des soins spécifiques ? Emmanuel Hirsch admet que cette notion de présence est importante pour rendre sa dignité au sujet hospitalisé. Pour lui, « la 18 Bernard Matray, La présence et le respect, Desclée de Brouwer, 2004, p.16 16 parole ‘’malade’’ peut s’interrompre (…) à force de douleurs ou d’indignité insurmontables. La présence soignante, l’attention et l’intention du soin préservent autant que faire ce peut la capacité d’avoir encore une parole et d’être toujours reconnu dans ce que l’on exprime, pour ce que l’on est »19. Ces propos montrent notamment qu’une écoute attentive du patient de la part du professionnel est primordiale dans l’instauration d’une relation respectueuse et de confiance qui unit les deux individus. D’autre part, notre accompagnement soignant serait d’autant plus riche, que nous adopterions les bonnes attitudes. Ceci nous aiderait ainsi à trouver la juste distance et apporter réconfort et réponse satisfaisante aux besoins de la personne soignée. Par sa propre expérience, Hirsch assure que « la « bonne distance » n’est acceptable que pour autant qu’on soit soucieux de la « bonne présence » indispensable à un soin juste »20. Lors de mon stage en unité de soins palliatifs, j’ai rencontré une personne qui a montré combien elle avait besoin de cette présence. Madame E. était atteinte d’une sclérose latérale amyotrophique. Elle perdait de plus en plus d’autonomie, ne pouvant plus s’alimenter que par sonde, ne s’exprimant plus que par des signes de tête. Sa maladie était en constante évolution et la patiente exprimait régulièrement sa tristesse et son anxiété de voir ainsi son état s’aggraver. Elle nous faisait comprendre clairement son besoin de compagnie. J’ai pu passer du temps avec cette dame, l’aider pour sa toilette quotidienne, l’accompagner dans le jardin autour de l’unité (elle pouvait encore se déplacer doucement avec un canne). La veille de mon départ, j’ai partagé un moment privilégié avec elle. Au cours de sa promenade quotidienne, elle me tenait le bras pour m’orienter vers le chemin qu’elle désirait prendre. Puis, à sa demande, nous nous sommes assises sur un banc. Elle me souriait, me montrait les oiseaux, les fleurs, me faisait comprendre que ce moment lui faisait beaucoup de bien. Elle ne pouvait prononcer aucun mot, notre communication était tout autre. Ma présence semblait la rassurer et lui faire du bien. Dans cet exemple, il me semble que je me trouvais bien en situation de soin. J’ai fait peu en termes d’acte technique mais apporté du réconfort à cette personne qui voulait quelqu’un de disponible pour elle à ce moment là. 19 20 Emmanuel Hirsch, Op.Cit.. p.19 Emmanuel Hirsch, Op.Cit. p.20 17 Il faut souligner qu’il est bon parfois pour les soignants d’entendre les patients nous remercier de notre disponibilité, notre gentillesse, notre sourire… nos bons soins : autant de gratifications et de reconnaissances qui donnent envie de continuer sur cette voie… Pour finir sur ce point, je citerai Bernard Matray en disant que « parler de la présence à l’autre et de son corollaire la présence de l’autre, c’est évoquer la finalité de la relation, sa réussite – celle qui est attendue dans toute rencontre interhumaine vraie » et aussi que « la présence dit la qualité du lien ; elle n’est pas simple proximité ou juxtaposition de deux partenaires dans l’indifférence. Elle nous est concédée librement par autrui et, de la même manière nous la concédons librement à autrui »21. Comme nous l’avons évoqué précédemment, le patient a besoin de la disponibilité et de la présence du soignant. Mais il a aussi besoin d’être reconnu. En effet, il apparaît que nous ne pouvons pas vivre sans signes de reconnaissance de la part de l’Autre, qu’ils soient positifs ou négatifs. L’analyse transactionnelle a d’ailleurs développé ce concept qu’il me semble intéressant de présenter ici … Cette théorie élaborée par Eric Berne, psychiatre américain, apparaît depuis plusieurs années comme un moyen de comprendre et d’élaborer une relation soignant- soigné satisfaisante dans le « prendre soin ». Elle est définie par Huguette Bachelot, infirmière et responsable de formation en Analyse Transactionnelle, comme un « outil privilégié permettant de comprendre, de décoder, de modifier et d’enseigner le savoir-être en soins infirmiers » et aussi comme un « cadre théorique expliquant le développement de la personnalité et du comportement humain ».22 Dans la relation, la façon dont on s’adresse à notre interlocuteur peut induire un type de réponse. La création du lien et du climat de confiance à établir avec la personne soignée peuvent dépendre des messages qui s’échangent dans la relation entre les deux individus. Aussi, pour mieux comprendre, j’ai choisi de présenter ici le concept d’analyse transactionnelle intitulé les signes de reconnaissance (aussi appelés Strockes) Pour Eric Berne, les signes de reconnaissance et le contact physique sont des besoins fondamentaux nécessaires au maintien de la vie au même titre que celui de se nourrir, par exemple. 21 Bernard Matray, Op.Cit. p.37 22 Huguette Bachelot, le patient, le soignant et l’analyse transactionnelle, infirmière d aujourd’hui, le centurion, 1987 18 Dans son ouvrage des jeux et des hommes, Berne reprend les travaux de R. Spitz relatifs à « l’hospitalisme ». Il explique alors qu’un nourrisson qui n’a pas de contact ou de relation affective avec sa mère (ou un substitut comme une nourrice) présente des signes de régression allant jusqu’à la dépression et qui laissent des séquelles graves. René Spitz, psychiatre et psychanalyste américain, s’intéresse plus particulièrement à la relation mère-nourrissons. Ses observations se font à partir d’expériences auprès de deux types de populations d’enfants. Le premier concerne des enfants nés de mères emprisonnées qui s’occupent de leur nourrisson dans la journée avec des soignants expérimentés. Dans le deuxième groupe, les enfants sont nés puis placés en orphelinat. Ils reçoivent les soins nécessaires à leur survie mais sont totalement privés de chaleur humaine. Le médecin constate alors que les enfants élevés en milieu carcéral avec leurs mères montrent un développement nettement supérieur à ceux du deuxième groupe qui dépérissent sur le plan physique et intellectuel. Spitz définit alors la notion d’ « hospitalisme » comme un état dépressif se manifestant chez certains enfants séparés précocement de leur mère, allant jusqu’à la dépression anaclitique qui est un état de détresse gravissime. Par conséquent, la personne a soif de stimuli. Recevoir de l’attention permet à l’individu d’être reconnu, de savoir qu’il existe aux yeux de ceux qui l’entourent, qu’il est important pour eux. Berne décrit cette soif de stimuli comme un besoin de base. Il nomme « Strocke », tout signe de reconnaissance d’un individu par un autre, qu’il soit verbal ou non verbal. En anglais ce mot signifie atteindre quelqu’un, le toucher, le reconnaître. Les signes sont positifs ou négatifs. Par exemple, « je trouve que vous allez de mieux en mieux » ou au contraire, « vous ne nous aidez pas beaucoup ». Les premiers « confirment l’adhésion de celui qui les donnent au comportement, à l’attitude, à l’action d’autrui qui les reçoit »23. Les strockes négatifs montrent plutôt un déplaisir dans la relation. Les signes de reconnaissances sont aussi conditionnels ou inconditionnels. Les premiers sont donnés à quelqu’un par rapport à ce qu’il fait : « la façon dont vous prenez votre traitement n’est pas exacte, il vaudrait mieux respecter les horaires de prise des médicaments ». Les seconds (inconditionnels) s’adressent à la personne par rapport à ce qu’elle est et non par rapport à l’agir : « je vous trouve très agréable ». 23 Georges Nizard, analyse transactionnelle et soin infirmier, Pierre Mardaga, éditeur, Bruxelles, 1985, p.86 19 Il me semble que dans le prendre soin de l’autre, il est intéressant de comprendre quel type de message je lui envoie. Cela peut permettre notamment de rectifier ou d’adapter notre attitude ainsi que notre communication en fonction de la situation et des besoins de l’individu. Le concept d’analyse transactionnelle propose un moyen de compréhension des signes de reconnaissance que nous pouvons apporter à la personne qui nous fait face. Dans l’accompagnement des personnes soignées à l’hôpital, nous avons déjà pu constater que ces dernières avaient souvent besoin de cette reconnaissance en temps que sujet. Enfin, « bien vivre émotionnellement, c’est échanger des marques d’attention, multiplier les sourires et les paroles d’accueil et refuser de croire que le silence est suffisant en soi »24. Si le « prendre soin » se définit en termes de présence, reconnaissance de l’autre, empathie, il s’exprime aussi en termes de respect. Il ne peut y avoir de relation positive à l’autre sans respect de sa personne, ses valeurs, son intimité…. Il convient ici d’essayer de comprendre ce qu’est le respect dans le « prendre soin ». L’Encyclopédie Larousse définit le mot respect (du latin respectus) comme étant un sentiment de considération envers quelqu’un, et qui porte à le traiter avec des égards particuliers. D’après le décret du 29 juillet 2004 relatif aux compétences de la profession infirmière du code de la santé publique, l’infirmière « exerce sa profession dans le respect de la vie et de la personne humaine. Elle respecte la dignité et l’intimité du patient et de sa famille ». D’un point de vue philosophique, Emmanuel Kant définit le respect comme une exigence plus qu’un sentiment. Pour lui, « on peut exiger de moi que je respecte mon prochain, dans la stricte mesure où je dois l’exiger de moi-même. Le respect (…) doit faire l’objet d’un devoir (…) se présente comme une exigence rationnelle, universelle, présente en tout être raisonnable »25. Dans la relation de soin, les personnels ont donc l’obligation de respecter les patients, les familles et les collègues avec lesquels ils travaillent. Respecter l’autre se présente alors comme une valeur sûre garante d’un « prendre soin » satisfaisant et dans l’assurance d’une humanité conservée. « Ce concept de respect doit être évidemment présent 24 Ibid, Georges Nizard, p.89 25 Frédéric Gros, Le soin au cœur de l’éthique et l’éthique du soin, recherche en soins infirmiers n° 89, juin 2007 20 au cœur d’une éthique du soin (…) Il faut respecter l’autre, mais tout autre, pas seulement cet autre qui est dans le besoin ou la souffrance ».26 La relation se définit bien comme un échange de personne à personne ou chacun donne et reçoit, une interaction entre deux individus. C’est pourquoi, une autre notion apparaît dans l’éthique du soin pour Paul Ricoeur. Le philosophe, dans son ouvrage Soi-même comme un autre, évoque la sollicitude comme un élan vers l’autre avec l’idée de réciprocité. Je donne et je reçois, c'est-à-dire que dans la relation, je porte attention aux besoins de l’autre, à ses demandes et je n’écarte pas le fait qu’il peut me renvoyer quelque chose dont je tirerai un enseignement. Jacques Sauvignet a publié un article intitulé Une éthique infirmière27 où il évoque notamment le concept de sollicitude, cher à Ricoeur. Il cite le philosophe en donnant la définition de la sollicitude comme « spontanéité bienveillante, soucieuse de l’altérité des personnes, intimement liée à l’estime de soi au sein de la visée de la vie bonne »28. Cette notion de réciprocité paraît primordiale pour compléter notre réflexion sur le « prendre soin ». A propos de la Sollicitude de Ricoeur, Frédéric Gros évoque « l’idée qu’on porte attention à la souffrance de l’autre, qu’on se propose de la soulager, mais en laissant ouverte la possibilité que cet autre puisse m’apporter quelque chose… »29. Pour lui, la sollicitude apparaît alors comme un fondement de l’éthique du soin, et avec elle « je prends soin de l’autre en brisant un unilatéralisme figé du rapport soignant/soigné…on retrouve dans la sollicitude la sagesse des Anciens : c’est dans le soin de l’autre que trouve à se nourrir le soin de soi-même ». Pour compléter sa définition de la sollicitude, Ricoeur la différencie de la bienveillance, dans le sens où elle n’est pas seulement un ensemble de gestes, d’attention portés à l’autre mais aussi un « lieu mouvant de confluence de nos croyances, de nos valeurs ». Pour lui, c’est aussi « la réciprocité basée sur une relation de confiance censée guider quotidiennement notre agir, notre pensée, notre parole dans la visée éthique de la vie bonne et pour autrui ». 30 26 Ibid, Frédéric Gros 27 http://www.cadredesanté.com/Jacques Sauvignet//30 janvier 2008, p. consultée le 17 février 2010 28 Paul Ricoeur,, soi-même comme un autre, Editions du Seuil, 1990, p.222, 29 Frédéric Gros, Op.Cit. 30 Paul Ricoeur, Op.Cit. p.202 21 5. Emotions et mécanismes de défense « Sur la voie de la réalisation, apprendre à connaître ses émotions, à les gérer et à les canaliser n’est pas ce qu’il y a de plus aisé, mais c’est cependant un passage obligé » auteur anonyme «Pour comprendre et chercher la distance juste, il est préférable de ne jamais oublier cette donnée toute simple : le soin met en contact deux corps vivants, qui perçoivent des sensations, qui ressentent des émotions et qui pensent. » 31 Pascal Prayez En tant que soignant, nous recevons la souffrance du patient, de son entourage parfois. Ceux-ci ressentent des émotions et les expriment ou tentent de les montrer par différents types de comportements. Mais qu’en est-il de nos émotions à nous, soignants ? Qu’en faisons nous ? Nous donnons nous le droit de les écouter, d’en prendre soin, de les interroger pour répondre au besoin qu’elles suscitent, de les partager avec ceux qui nous côtoient quotidiennement, personnes soignées et collègues d’équipe ? Sans prise en compte de notre part à chacun, le risque existe de se sentir démotivée dans notre travail tant dans sa dimension technique que relationnelle, de se laisser aller inconsciemment à l’épuisement professionnel ; notre souffrance peut même aller jusqu’à parasiter notre vie personnelle. Le Dictionnaire Encyclopédique Larousse définit l’émotion comme une « Réaction affective intense, s’accompagnant de modifications neuro-végétatives ( tachycardie, sueurs, colère, stress) et aussi comme une réaction biologique, instinctive à des situations qui modifient notre équilibre affectif intérieur, ce que nous en faisons dépend de notre éducation, de nos connaissances et de ce que nous vivons. Les émotions sont vécues tout au long d’une vie, mais de façons différentes suivant les moments, les situations …Elles émergent le plus souvent lors d’une situation intense en réaction à l’évènement qui se déroule… Leur non expression peut provoquer des troubles tels que ulcères, épuisement, dépression…« ressentir une émotion nous donne une information sur notre environnement et la manière dont nous la vivons et l’assumons »32. Nous pouvons dire aussi que les émotions ont deux dimensions : une dimension cachée (ce que j’éprouve). Elle correspond à ce que je ressens au fond de moi, que je suis libre d’exprimer ou non. Je peux aussi ne pas être en contact réel avec ce que j’éprouve et montrer 31 Pascal Prayez, Op.Cit. p.8 32 Catherine Laine et Etienne Roy, du bon usage des émotions au travail, ESF, 2004, p. 28 22 à mon interlocuteur une autre émotion que celle que j’exprime. Les émotions ont aussi une dimension relationnelle ( ce que j’attends quand je prends conscience de cette émotion et que je l’exprime). C'est-à-dire que cela correspond à ce que je veux bien montrer de mon état émotionnel quand j’en ai pris conscience. En dévoilant à l’autre l’émotion qui m’anime, j’attends de lui qu’il m’apporte une réponse adaptée au besoin que j’éprouve en exprimant ce que je ressens. Dans les années 80, « Jean Watson dans sa théorie du caring, estime qu’il est important d’accepter l’expression des sentiments de la personne qu’ils soient positifs ou négatifs »33 On recense 4 émotions principales : la peur, la tristesse, la colère et la joie. Il m’a semblé intéressant de détailler chacune d’entre elles pour mieux comprendre. La peur informe sur une situation de danger, elle peut avoir un objet réel ou imaginaire. Elle peut apparaître sous forme de simple inquiétude ou se traduire par une véritable angoisse ou panique. La réponse à la peur est le besoin d’être rassuré ou sécurisé. La tristesse apparaît bien souvent en situation de manque, de rupture. Elle va de la légère tristesse au désespoir et demande consolation. La colère, quant à elle, indique une situation dommageable. La personne atteinte pense avoir subi une injustice ou que l’autre a dépassé les limites de l’acceptable pour elle. Elle nécessite d’être entendue et demande réparation. Elle s’étend de la simple irritation à la rage, voire la violence. Enfin la joie signifie une satisfaction et va du contentement à la jubilation. Elle développe le besoin de partage. Tous ces états sont présents dans le vécu de la personne à l’hôpital (soignants et soignés). La peur, la tristesse et parfois la colère sont certainement les émotions les plus ressenties par le malade et ses proches devant les drames de la maladie et de la souffrance ; alors que les sentiments d’impuissance, de manque de moyens et de temps pour faire et être parfaitement sont surtout éprouvés par les soignants auxquels s’ajoutent des moments de joie, de partage, de réussite car il est valorisant et réconfortant de recevoir les remerciements d’une famille ou d’un patient. Et la relation soignant-soigné procure parfois des moments de plaisirs partagés grâce à des échanges de qualité et à des objectifs atteints. Par exemple, il arrive que des personnes hospitalisées évoquent avec nous des moments heureux de leur vie, nous parlent de leurs enfants et petits enfants qui leur amènent bonheur et force de se battre. Il se peut 33 SFAP, Op.Cit. p. 31 23 aussi qu’ensemble nous nous réjouissions d’un lever au fauteuil pendant un temps donné alors que le malade ne quittait pas son lit depuis son arrivée… Franck Bourdeaut précise dans un article paru dans la revue Ethique et Santé que «la capacité à s’émouvoir, apparaîtra comme le garant de l’humanité du soignant »34 Il arrive pourtant que les soignants vivent des situations plus douloureuses émotionnellement ou qu’ils soient confrontés à un échec thérapeutique entraînant l’aggravation de l’état de santé du patient voire sa mort ce qui peut être très culpabilisant pour eux. Ils se sentent démunis parce qu’ils ne trouvent pas de solutions adéquates pour apporter du réconfort, un soulagement physique et/ou psychologique à la personne. « On a l’impression d’avoir les mains vides, il n’y a plus grand-chose « à faire », je me retrouve seule face à son regard plein de questions et d’émotions » : tels sont les propos d’une aide-soignante en soins palliatifs recueillis par Pascal Prayez 35. Les soignants doivent alors se protéger de l’angoisse que génèrent ces circonstances et trouver des « stratégies d’adaptation conscientes ou inconscientes ». Ce sont les Mécanismes de défense que Martine Ruzsniewski décrit ainsi : « toute situation d’angoisse, d’impuissance, de malaise, d’incapacité à répondre à ses propres espérances ou à l’attente d’autrui, engendre en chacun de nous des mécanismes psychiques qui s’instaurent à notre insu, revêtent une fonction adaptative et nous préservent d’une réalité vécue comme intolérable parce que trop douloureuse. Ces mécanismes de défense fréquents, automatiques et inconscients, ont pour but de réduire les tensions et l’angoisse… »36. Ils sont au nombre de neuf : le mensonge, la fuite en avant, la rationalisation, la fausse réassurance, la dérision, la banalisation, l’identification projective, enfin l’esquive et l’évitement qui sont responsables d’une mise à distance relationnelle avec le patient. Le malade risque alors de devenir le « corps objet » évoqué par Walter Hesbeen dans prendre soin à l’hôpital plutôt qu’un sujet nécessitant soin et accompagnement. Prendre conscience des mécanismes d’adaptation que nous mettons en place préférentiellement lors d’un évènement particulier peut permettre de nous préparer à vivre la situation différemment, de puiser dans nos ressources personnelles et en particulier près des membres de l’équipe dans laquelle nous évoluons. Veiller à ce que chacun trouve un 34 Franck Bourdeaut, revue Ethique et Santé, vol. 3, n°3, septembre 2006, p.133 35 Pascal Prayez, Op.Cit. p 105 36 Martine Ruzsniewski, face à la maladie grave, Dunod, 1999 24 espace de partage, de liberté d’expression dans le groupe me paraît primordial. C’est aussi prendre soin de soi et des autres soignants que d’être garant d’un bon esprit pour travailler ensemble au service de tous. Oui, l’équipe me paraît être une possibilité de ressources majeure. Oser demander à un collègue de prendre le relais, pouvoir exprimer clairement ce qui se passe pour moi quand une prise en charge est trop difficile, devrait se faire naturellement. Mais est-ce une réalité ou une utopie de croire que cela existe dans bon nombre d’unités ? 6. L’ordre enseigné Lorsqu’un étudiant est admis en institut de formation infirmier et qu’il commence son apprentissage, il pense savoir ce que s’occuper de malades veut dire. Il se sent fort de penser qu’un soignant peut rendre service, aider celui qui souffre, il est impatient d’exécuter des soins techniques, d’acquérir un savoir faire. Les IFSI (instituts de formation en soins infirmiers) enseignent méthode et rigueur, apportent un savoir théorique et technique. Le futur professionnel doit acquérir différentes compétences pour prendre en charge la personne dans sa globalité, dans le respect de ses valeurs, de ses coutumes… Il apprend non seulement le « savoir-faire », mais aussi le « savoir-être » pour remplir sa mission. D’ailleurs, Prayez souligne cet état de fait : « L’enseignement officiel des écoles de santé insiste sur la prise en compte globale de la personne soignée, après avoir insisté sur l’importance du « savoir-être » en plus du « savoir-faire »37. Les formateurs mettent bien souvent en garde aussi contre une trop grande implication près du patient. Etre trop proche, c’est prendre le risque de souffrir, de ne pas avoir assez de recul par rapport aux situations difficiles, c’est s’épuiser et risquer à terme un « Burn Out ». Le savoir- faire est défini comme étant une compétence acquise par l’expérience dans les problèmes pratiques, dans l’exercice d’un métier. C’est aussi « la connaissance des moyens qui permettent l’accomplissement d’une tâche »38. Le savoir-être fait plutôt référence à la capacité à s’adapter à des situations variées et à l’ajustement des comportements en 37 Pascal Prayez, Op.Cit. p.34 38 http://fr.wikipédia.org/wiki/savoir-faire, p. consultée le 21 janvier 2010 25 fonction des caractéristiques de l’environnement, des enjeux de la circonstance et au type d’interlocuteur. Avoir le sens du relationnel, c’est avoir « la capacité à entrer en contact avec autrui, à pratiquer une écoute active, à construire un réseau relationnel et à l’utiliser comme aide et support à son action. Etablir la relation et le feed-back nécessaire à la compréhension mutuelle »39. Marie-Françoise Collière insiste sur le rôle de la formation, « que ce soit la formation de base ou la formation permanente, elle joue un rôle déterminant par rapport à l’évolution des soins infirmiers, en ce sens qu’elle est génératrice de conduites, de comportements et d’attitudes ». Et à propos de la connaissance, elle reprend l’adage « dis moi ce que tu lis et je te dirais qui tu es » et écrit qu’on pourrait le transformer en disant « dis moi de quelles connaissances tu te sers pour donner des soins, et comment tu t’en sers, et je te dirais quels soins tu donnes »40. Il me semble que la formation initiale a bien évolué depuis quelques années : non seulement l’enseignement des connaissances techniques ont été enrichies en même temps que la médecine a progressé mais de plus, l’enseignement des sciences humaines s’est développé grâce à la prise de conscience que soigner n’est pas uniquement faire des soins mais aussi et surtout faire du soin et « prendre soin ». Ainsi en 2002, Catherine Mercadier, aborde la formation initiale du soignant infirmier dans son ouvrage le Travail émotionnel des soignants à l’hôpital. Pascal Prayez la cite en écrivant que dès la formation initiale, « les infirmières font leur apprentissage des soins dans le déni des émotions. On leur demande en toutes circonstances d’assumer, de trouver la « bonne distance » pour rester maîtresses de leurs émotions (…) ne rien ressentir, ne pas éprouver d’émotions garantit la maîtrise de soi en toutes circonstances. »41. Le Référentiel de la formation initiale infirmière de mai 2009 mis à jour insiste sur les différentes connaissances et aptitudes que doit acquérir l’étudiant et en particulier sur la capacité relationnelle : D’une part, dans l’annexe III de ce référentiel, la finalité de la formation est décrite en ces mots : « Le référentiel de la formation a pour objet de professionnaliser le parcours de l’étudiant, lequel construit progressivement les éléments de sa compétence à travers 39 http://www.compagniedrh.com/définitionssavoiretre.php, p. consultée le 21 janvier 2010 40 Marie-Françoise Collière, Op.Cit. p .251 41 Catherine Mercadier, Le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, Seli Arslan, 2002, p.18 26 l’acquisition de savoirs et savoirs faire, attitudes et comportements (…) L’étudiant développe des ressources en savoirs théoriques et méthodologiques, en habiletés gestuelles et en capacité relationnelle (…). L’étudiant apprend à reconnaître ses émotions et à les utiliser avec la distance professionnelle qui s’impose (…) L’étudiant développe une éthique professionnelle lui permettant de prendre des décisions éclairées et d’agir avec autonomie et responsabilité dans le champ de ses fonctions…. »42. Nous pourrons noter que par rapport à l’idée que Catherine Mercadier se fait de la formation et du déni des émotions en 2002, l’enseignement a bien progressé et encourage davantage les étudiants à prendre en compte leur affectivité dans le but d’établir la meilleure relation possible avec le patient. D’autre part, les unités d’enseignement couvrent 6 champs et sont en lien les unes avec les autres. Par rapport au sujet qui nous intéresse, nous retrouvons en particulier des unités d’enseignement intitulées : - Sciences humaines, sociales et droit ; - Sciences et techniques infirmières avec leurs fondements et leurs méthodes ; - Intégration de savoir et posture infirmière… De plus, une lecture détaillée de ce référentiel fait apparaître des enseignements en termes de compétences. Dans l’annexe II du référentiel, la compétence 6 est intitulée « communiquer et conduire une relation dans un contexte de soin ». Et, l’unité d’enseignement en relation avec la compétence 4 « mettre en œuvre des actions à visée diagnostiques et thérapeutiques » aborde les soins palliatifs et la fin de vie tandis que la compétence 6 « communiquer et conduire une relation dans un contexte de soin » traite des soins relationnels et apporte une approche théorique en psychologie, sociologie et anthropologie. Ainsi l’annexe I de ce nouveau référentiel reprend l’article R 4311-1 du code de la santé publique, qui stipule que « les soins infirmiers préventifs, curatifs et palliatifs intègrent qualité technique et qualité de relation avec le malade. Ils sont réalisés en tenant compte de l’évolution des sciences et des techniques. Ils ont pour objet, le respect des droits de la personne, dans le souci de son éducation à la santé et en tenant compte de la personnalité de 42 http://www.cefiec.fr, mise en place du nouveau référentiel-mai 2009, p. consultée le 21 janvier 2010 27 celle-ci dans ses composantes psychologique, physiologique, économique, sociale et culturelle. »43 Il semble donc que l’étudiant infirmier est préparé sur le plan relationnel à sa future fonction d’accompagnement. Pourtant, lors d’échanges informels avec des étudiants en stage de troisième année ou pré-professionnel dans le service, peu d’entre eux m’ont dit se sentir prêts à affronter certaines situations. Ils évoquent de rares moments où des soignants ou eux-mêmes ont pu aborder le sujet relatif à la distance professionnelle, au « burn out ». Au regard des titres et contenus de cours que j’ai pu consulter par leur intermédiaire, je n’ai pas trouvé d’enseignement très précis abordant ces sujets. « Le prendre soin », quant à lui est rapidement évoqué en première année de formation. Cependant, les étudiants disposent d’espaces d’échange libre avec des psychologues pour s’exprimer sur leurs vécus de stage. Au niveau de la formation initiale, il semblerait qu’ils reçoivent quelques enseignements relatifs au savoir-être par le biais des sciences humaines, de la psychologie… D’ailleurs Catherine Mercadier aborde ce sujet en notant que « lors de la formation infirmière, des cours de psychologie, d’éthique sont bien dispensés, mais ils ne sont pas ensuite mis en application de la même façon par toutes les infirmières (…) Ces enseignements semblent pour certaines, déconnectés de la réalisation pratique des soins, comme s’ils restaient à l’état pur de connaissances. »44 Mais qu’en est-il de la préparation individuelle de l’étudiant, en tant que personne singulière, capable de ressentir des émotions au contact de personnes bien différentes les unes des autres, avec des pathologies tout aussi diversifiées, des devenirs parfois tragiques ? Qu’en est-il encore du « prendre soin de soi » pour mieux « prendre soin de l’autre » ? D’ailleurs Pascal Prayez cite Walter Hesbeen à propos de l’enseignement en développant l’idée que « former les professionnels à la qualité du contact les invite à « prendre soin » de l’autre, tout en écoutant ce qui se passe en eux, à conjuguer donc implication et distance dans l’accompagnement »45. 43 http://www.cefiec.fr, mise en place du nouveau référentiel-mai 2009, p. consultée le 21 janvier 2010 44 Catherine Mercadier, Op.Cit. p.8 Walter Hesbeen, la qualité du soin infirmier, penser et agir dans une perspective soignante, Masson, 1998, in 45 Pascal Prayez , Op.Cit. p.82 28 Pour Prayez, « développer les qualités relationnelles qui sont au cœur des professions de soin est un apprentissage complexe, impliquant chaque acteur à des niveaux personnels multiples. Cela ne peut se faire qu’au fil du temps en entrant dans l’expérience, en se laissant prendre dans la relation soignant soigné pour s’y impliquer à son rythme et la vivre de l’intérieur avec son propre style »46. Il semble donc que c’est l’expérience qui permettrait aux infirmières de mieux gérer certaines situations difficiles, de se situer plus facilement en termes de bonne distance et de vivre ainsi une relation d’aide efficiente. C’est un des points que je tente de vérifier dans les entretiens que j’ai pu effectuer auprès de soignants infirmiers. 7. Hypothèse La problématique de mon mémoire étant posée et le travail de description terminé, il s’agit maintenant d’identifier quelle hypothèse pourrait répondre à mon questionnement. J’ai élaboré cette hypothèse au regard de mes recherches et de mon champ théorique. Les soignants paraissent avoir des difficultés à trouver la juste proximité avec les patients parce qu’ils ne semblent pas s’interroger sur le sens du « prendre soin » du fait de l’émergence des émotions que suscite l’accompagnement de certains patients. C’est en réfléchissant à cette hypothèse que je tenterai de répondre à ma question de départ. 46 Pascal Prayez, Op.Cit. p 8 29 IIème partie : Observer pour comprendre L’hypothèse étant posée, il convient de vérifier sur le terrain d’exercice des professionnels de santé si cette hypothèse se confirme ou non. Cette nouvelle phase dans mon travail constitue ainsi la deuxième partie de mon mémoire. Il s’agit ici d’interroger, sur des thèmes particuliers, des soignants en activité, d’analyser leurs réponses et de les confronter aux idées que j’ai pu exposer précédemment. I. Réalisation de l’enquête 1. Le choix de l’outil Pour réaliser cette enquête, j’opte pour l’entretien semi-directif47 comme outil de communication. Ceci me paraît d’autant plus adéquat que mon travail traite de la relation à l’autre. D’autre part, l’interview me permet d’aller au contact direct des professionnels pour recueillir les informations dont j’ai besoin. 2. La population visée J’ai choisi d’interroger des infirmières de deux unités de soins différentes : il s’agit d’abord du service de soins intensifs en gastro-hépatologie dans lequel je travaille, ensuite d’une unité de médecine de gastrologie. Les soignants de ces deux services sont amenés à accompagner régulièrement des personnes atteintes de maladies graves (cancers, maladies chroniques telles que des maladies de Crohn ou des syndromes de rectocolites hémorragiques, des cirrhoses graves du foie, des pancréatites aigues et/ou chroniques, des personnes en attente de greffes de foie…). Ils sont donc confrontés aux difficultés que requiert la prise en charge de patients atteints de ces types de pathologies graves, parfois à l’aggravation de certains symptômes pouvant aller jusqu’au décès. Le service de soins intensifs comptabilise 43 décès pour l’année 2008 et 43 pour l’année 2009. Dans la deuxième unité, il s’agit de 34 décès en 2008 et 33 en 2009. 3. La méthode suivie pour réaliser mon enquête Pour débuter ma série d’entretiens, j’ai préalablement demandé l’autorisation des cadres de santé de chaque unité pour réaliser mes interviews puis je leur ai soumis mon guide 47 Voir le guide d’entretien, page 33 30 d’entretien. Ensuite, j’ai obtenu l’accord de plusieurs professionnelles pour les interroger. Je n’ai eu aucune difficulté à recueillir leur aval pour répondre à mes questions, toutes (parce qu’il s’agit ici d’infirmières) se sont montrées prêtes à me parler de leurs expériences. Je les en remercie encore… Les entretiens étaient individuels, sur rendez-vous (Les infirmières interrogées se sont montrées disponibles). Ils avaient lieu dans les salles de réunion de chaque unité, là où nous étions susceptibles de ne pas être dérangées; ainsi, rien ni personne n’est venu troubler le cours des conversations. Au début de chaque échange, j’ai précisé que notre entretien resterait confidentiel et anonyme de façon à leur permettre de s’exprimer librement, sans réserve et sans craindre le jugement de qui que ce soit. J’expliquais aussi mon choix de prendre quelques notes succinctes mais surtout d’enregistrer pour faciliter ma retranscription des interviews et pouvoir les analyser ensuite. C’est au moyen d’un dictaphone posé sur la table entre mes interlocutrices et moimême que j’ai pu effectuer mes enregistrements. J’ai réalisé au total 7 entretiens. Les soignantes interrogées ont une ancienneté différente dans la profession. La plus jeune d’entre elles vient d’obtenir son diplôme, les autres ont de 4 à 37 ans d’activité professionnelle. 4. Les difficultés rencontrées Au décours des interviews avec les soignantes, je me suis rendue compte que mener un entretien, n’est pas un exercice facile. Je pense que mon guide d’entretien rassemble les questions adéquates dont j’avais besoin pour traiter le questionnement de départ de mon travail et vérifier si l’hypothèse que je propose se confirme ou non. Les infirmières interrogées ont répondu précisément aux questions que je leurs soumettais. J’ai tenté de reformuler leurs discours. Mais ma plus grande peur en le faisant était de réintroduire des questions en liens avec leurs réponses et par le fait, d’induire des réponses qu’elles ne me donnaient pas obligatoirement mais que j’attendais pourtant inconsciemment. J’ai pu constater une évolution dans la manière dont je conduisais les échanges au fur et à mesure des entretiens réalisés. Je pense m’être remise en question régulièrement pour améliorer ma façon de mener ces entretiens et rendre mon travail de reformulation plus respectueux encore ; ceci afin de bien comprendre et retranscrire convenablement ce que les professionnelles me disaient. Je me suis aussi aperçue que mon appréhension diminuait au fur et à mesure de mon expérience dans la conduite des entretiens. 31 La deuxième difficulté que j’ai rencontrée se situe plus en rapport avec les professionnelles que j’ai choisi d’interroger. Je ne regrette pas ma volonté de m’entretenir avec les infirmières de ces deux unités de soins. En revanche j’ai pris conscience qu’interroger des personnes avec lesquelles je travaille n’est pas si simple. Même si nous osons nous dire, les unes aux autres, quand une situation est plus difficile dans notre pratique quotidienne, parce que nous nous connaissons assez bien, nous ne le faisons que sur des temps informels, à l’occasion de pauses ou des transmissions par exemple. Dans le cadre des entretiens réalisés pour mon mémoire, les questions posées les incitaient à se livrer davantage qu’à l’accoutumée sur leurs ressentis, leurs affects. Peut-être que le fait de les interroger sur leurs pratiques quotidiennes et la partie intime de leur personnalité m’a freinée un peu dans mes investigations. Ou alors était-ce la peur de leur jugement dans la mesure où dans ce cas précis, nos échanges étaient tout autres, en face à face, en toute intimité et confidentialité ? 5. Les objectifs a) Objectif principal de l’enquête Le but principal de mon enquête par entretiens semi-directifs est d’explorer la question de la distance professionnelle dans le soin et plus particulièrement les difficultés que rencontrent les soignantes à trouver la juste proximité dans la prise en charge des patients atteints de maladies graves. b) Objectifs spécifiques Au cours des entretiens près de professionnelles, je me propose : D’identifier les éléments qui qualifient le « prendre soin » pour les soignantes. D’observer les indicateurs permettant aux soignantes interrogées de qualifier les situations de soin : (situation facile et situation difficile) et ce qui se passe alors pour elles quand c’est difficile. Evaluer ce que signifie pour les infirmières interviewées la notion de distance professionnelle. Repérer les moyens qu’utilisent ces professionnelles pour faire face à une difficulté de proximité. Regarder la formation qu’elles ont reçues et comprendre les liens qu’elles font alors dans leur pratique professionnelle. 32 6. Le guide d’entretien Dans le cadre de mon travail de fin d’études menant au Diplôme universitaire en soins palliatifs et accompagnement, j’effectue une enquête relative à la relation soignant-soigné. Aussi, votre expérience m’intéresse… Cet entretien restera anonyme et confidentiel. Je vous remercie par avance pour le temps que vous m’accordez. Depuis quand êtes vous diplômée ? J’aimerais savoir ce que signifie pour vous « prendre soin » dans la prise en charge des patients hospitalisés. Pouvez vous m’expliquer ce qui vous conduit à qualifier une situation de : situation difficile situation facile Quand une situation est difficile, qu’est ce qu’il se passe pour vous ? Quelles sont vos ressources ? Pouvez-vous me dire ce que signifie, pour vous, la notion de distance professionnelle ? En quoi votre formation vous a-t-elle préparé ou non à la relation soignant-soigné ? Avez-vous quelque chose à ajouter ? Je vous remercie pour l’attention que vous avez portée à mes questions. 33 II. Présentation des résultats et analyse des entretiens 1. Prendre soin Pour commencer, j’ai demandé aux soignantes ce que signifiait pour elles « prendre soin ». Puis j’ai classé les différents thèmes qui ressortaient des 7 interviews. Pour les professionnelles, le « prendre soin » est défini par des items relevant du rôle propre des infirmières, de l’ordre prescrit ou de la technicité et/ou des soins relationnels. a) Soins relevant du rôle propre. Soins relationnels. 6/7 des infirmières interrogées évoquent le « prendre soin » en abordant le sujet de la relation au malade. Il semble que pour elles, la communication avec le patient soit associée au « prendre soin ». Au cours des entretiens, elles précisent que ça n’est pas toujours facile d’établir une relation adaptée et répondant à toutes les demandes, car plusieurs paramètres entrent alors en compte. Je développerai ce point plus loin dans mon travail. - « avoir une relation adaptée à la situation avec le patient, … s’impliquer dans la relation… » - « …surtout s’il est en demande d’écoute, de réassurance, de présence… » - « la personne et son entourage…savoir écouter, ce qu’elles ressentent…être présent… » - « en plus, c’est tout ce qu’on peut apporter, nous en tant qu’être humain comme approche relationnelle » - « apporter toute mon aide…relationnelle à une personne qui en a besoin, écoute». Au décours de l’analyse, il semble que les soignantes décrivent le prendre soin avec davantage d’éléments se référant à l’agir, au savoir-faire : soins techniques, de base permettant d’apporter du confort au patient ou un soulagement. Quand il s’agit de savoir-être, qu’elles ne nomment pas en tant que tel, le mot « relationnel ou relation » apparaît 4 fois dans l’ensemble des interviews, le terme « écoute » revient 4 fois, le mot « présence » seulement 2 fois. L’idée d’implication apparaît 1 fois. 34 Pour une des infirmières, dans le « prendre soin », l’aspect relationnel avec la famille entre en compte. Cela permet, selon elle de « savoir un peu dans quoi le malade s’inscrit, s’il est marié, ses conditions de vie…» et aussi de pouvoir réfléchir avec les membres de son entourage, éventuellement au devenir du patient. Elle semble aussi regretter de ne pouvoir s’inscrire « tout le temps » dans le « prendre soin » auprès des personnes hospitalisées : « quelquefois, on est un peu pris par le temps…il faut quand même faire les soins. Les soins c’est la base du traitement…quelquefois quand tu as de la pression, parce que tu as beaucoup de travail, on est certainement moins disponible et moins réceptive … ». Elle précise que la notion de temps entre alors en jeu dans le « prendre soin ». Elle ajoute que « si on veut faire quelque chose d’un peu plus travaillé ou des situations un peu difficiles, ça demande quand même un peu de temps ». Il semble que pour les professionnelles interrogées, la relation avec le patient soit associé à l’idée de « prendre soin » comme « allant de soi », comme une évidence qu’elles ne semblent pas avoir besoin de justifier. soins de confort. 5 sur 7 (5/7) infirmières (IDE) évoquent les soins relevant des soins de confort . - « apporter du confort ou un mieux être à la personne » - « réalisation de mon rôle propre, combler tous les besoins du patient… » - « savoir écouter…leurs besoins… apporter du confort et du réconfort justement » - « apporter un bien-être à la personne dans son ensemble par les soins infirmiers, les soins de confort…réinstaller le patient, pendant la toilette: faire des massages, soulager la douleur… » - « tous les soins IDE, les soins AS (aides soignants) … » Nous noterons aussi que la notion de prise en charge globale est évoquée : « la personne dans son ensemble… », « tous les besoins du patient… », « il faut avoir un regard sur le tout de la personne ». La prise en charge globale est enseignée au cours de la formation initiale et décrite dans le décret de compétence de l’infirmière de février 2004. 35 b) Soins relevant de l’ordre prescrit ou de la technicité. 5/7 - « apporter des soins en fonction de ce que les médecins nous prescrivent, surtout en matière de douleur…être là pour eux que ce soit pour des gestes techniques… » - « apporter des soins dont la personne a besoin dans son ensemble : soins IDE… » - « exécutions des soins techniques dont les patients ont besoin pour leur traitement » - « apporter toute mon aide possible : tant technique que relationnelle » - « faire les soins qui sont les soins infirmiers tels que les pansements, les perfusions et autres injections… 2. Situation difficile/facile Les personnes interrogées semblent avoir des difficultés à trouver des exemples de « situations faciles ». Elles les qualifient, quand elles en parlent, de situations dont « on a rien à en dire puisqu’elles ne posent pas de problème particulier». Ou encore, l’une d’elles m’a dit qu’ « il n’est pas vraiment de situation facile à proprement parler… ce n’est pas que ça n’existe pas mais je n’ai pas été confrontée à des choses faciles.» A propos des situations qui peuvent poser problème aux professionnelles entretenues, nous retrouvons plusieurs éléments. a) Les difficultés liées à la dimension relationnelle: 6/7 L’ inadéquation entre ce que savent le patient et le soignant… (4/7) Ce qui ressort à la retranscription des échanges, c’est qu’il n’est pas simple de répondre à certaines questions des patients. Il arrive que le diagnostic ne leur soit pas annoncé clairement ou que le patient n’a pas toujours bien compris : « on ne sait pas ce que le malade sait exactement de sa pathologie (…) il nous pose des questions, je ne sais pas si c’est pour nous tester… » et aussi « je trouve que c’est plus facile de soigner quelqu’un quand il est au courant de ce qu’il a (…) on est plus en harmonie, on va plus dans le même sens des soins… ». Une autre soignante pense qu’on « ne peut pas l’aborder de la même façon quand 36 le patient ne connaît pas la vraie raison de son hospitalisation ». Une des infirmières exprime clairement son désarroi : « tu sens les gens qui sont en demande et qui ne sont pas sur la même longueur d’onde que toi. Tu sens qu’ils ne sont pas prêts…On n’est pas dans le même degré de compréhension…je sens qu’il y a une demande forte et je sais qu’on ne pourra pas y répondre». Elle se dit être insatisfaite parce qu’elle « n’est pas dans le vrai » avec la personne malade. La relation avec les personnes en fin de vie pose parfois problème aux professionnelles parce que chaque patient chemine différemment: « pour moi une situation difficile c’est prendre en charge une personne en fin de vie, surtout si elle n’est pas préparée dans sa tête, parce que la fin de vie, c’est la mort… ». Du coup, les questions du patient peuvent être dérangeantes pour le soignant qui ne sait pas toujours comment aborder la question de la mort. Les émotions du patient, un frein à la communication ?(3/7) Dans certains entretiens, la question de la relation avec le patient mais aussi avec son entourage est abordée. Pour quelques soignantes (3/7), la relation sera plus ou moins simple en fonction du parcours, de la pathologie du patient. Conscientes que lors de son hospitalisation la personne vit une réelle « rupture avec son milieu habituel », elles expliquent que cela peut entraîner l’émergence de différents affects. Certains malades ressentiront du stress et de l’inquiétude, de l’angoisse, pour certains autres ce sera de la tristesse, d’autres encore pourront montrer de la colère. Il apparaît aussi qu’il existe des situations où il est compliqué de savoir ce que le patient éprouve, comment il se sent : soit parce qu’il est discommuniquant de par sa pathologie ou alors parce qu’il lui est difficile d’exprimer ses émotions : « il y a des personnes qui sont tellement fermées que même en les observant, par rapport aux mimiques, on ne voit pas si elles vont bien. » La personnalité des patients : une difficulté parfois… (3/7) Certaines soignantes évoquent le caractère difficile parfois des personnes qu’elles prennent en charge. Il faut alors s’adapter au fonctionnement de l’individu, à ses réactions parfois 37 désagréables, ses demandes multipliées. « Il y a des patients avec qui on accroche moins que d’autres », voilà une expression citée 3 fois au cours des entretiens. Une soignante me confie son état de malaise par rapport à certains patients qu’elle définit comme intellectuellement ou professionnellement « au dessus d’elle ». Elle dit sa difficulté à entrer en contact avec eux, mais s’interroge sur sa difficulté à l’expliquer. Elle prend en exemple un patient qu’elle a rencontré au cours d’un entretien d’annonce. Elle exprime son malaise parce qu’elle ne se sentait pas égale. Elle suppose que sa difficulté de contact est en rapport avec la personnalité de cette personne ou encore décrit son impression de ne pas pouvoir lui apporter une aide efficace : « Je ne dis pas que j’ai besoin de dominer… mais peut-être un peu quelque part. Peut-être parce que j’ai besoin d’apporter des choses au gens, d’être celle qui sait… » Les relations avec les familles. (3/7) Quelques infirmières abordent leur difficulté par rapport aux relations avec les familles. « Ce qui est difficile c’est l’entourage qui est trop présent… », « le téléphone n’arrête pas de sonner pour avoir des nouvelles, ou encore quand la famille ne sait pas la même chose que le patient. Oui, là c’est difficile… ». L’âge des patients, une difficulté à surmonter, parfois… (1/7) Pour une des infirmières, la seule difficulté majeure, n’est autre que la dimension relationnelle qui peut être modifiée du fait de l’âge des patients. Pour elle, il est de prime abord plus dur de s’occuper de personnes de sa génération ou plus jeunes, d’autant plus chez les patients à pathologies graves et à pronostics sombres tels que les cancers. Pour elle, il y a toujours une phase d’adaptation, un cap à franchir pour entrer pleinement en relation avec le malade : « c’est une phase où il est difficile de ne pas se projeter (…) Je trouve plus normal de m’occuper de personnes plus âgées (…) c’est pour moi, peut-être plus normal qu’elles soient malades… ». Dans son interview, elle cite deux exemples assez récents : un patient de 41 ans que l’équipe a suivi pendant plus d’un an jusqu’à son décès et un autre de 32 ans qui est revenu régulièrement dans le service puis est décédé une semaine avant notre entretien. Elle ajoute avant de finir sur ce point : « c’est vraiment le premier abord… je me dis allez, ce n’est pas toi qui est concernée, ce n’est pas quelqu’un de ta famille…mais une fois que j’ai dépassé cette phase, je peux lui apporter toute mon aide… ». 38 b) Les difficultés liées à la douleur du patient: 3/7 Dans 3 interviews, il est question de la douleur. La souffrance du patient constitue une réelle difficulté dans leur prise en charge pour le personnel soignant - Pour la première personne interrogée, il est particulièrement dur d’effectuer des soins techniques difficiles car ils sont douloureux pour le patient et lui provoquent un inconfort. - Dans un deuxième entretien, la douleur dans les soins est évoquée longuement. L’infirmière donne l’exemple des mobilisations d’un patient lors d’une toilette ou d’un change: « ce sont des douleurs qui sont mal calmées… Je trouve que c’est des douleurs plus difficiles à soulager. Et ça me pose problème….je trouve que c’est difficile de faire mal à quelqu’un quand tu veux apporter des soins de confort. » - pour la troisième professionnelle, la douleur est quand même de mieux en mieux prise en charge et les équipes se donnent les moyens de la soulager : « J’ai rarement été confrontée à des patients pour lesquels on a rien fait ». Elle évoque aussi l’auto évaluation de la douleur possible chez certains patients. Certains peuvent accepter d’avoir mal jusqu’à un certain point mais demande quelque chose quand le pallier qu’ils s’étaient fixé est dépassé : « après ils ne s’autorisent plus » à souffrir. - Pour cette quatrième soignante, la douleur ne pose pas de réel problème car elle se sent à l’aise avec les protocoles mis à la disposition de l’équipe et aussi : « les doses ne me pose pas de cas de conscience si on doit les augmenter… » 3. Ce qui se passe pour le soignant… Par rapport à la question: « Quand une situation est difficile, qu’est-ce qui se passe pour vous ? », les infirmières interrogées (5/7) décrivent différents ressentis exprimés en terme de sentiments : révolte, frustration, sentiment d’échec, chagrin, colère …par exemple, « quand je ne trouve pas les bonnes réponses pour soulager le patient, je suis frustrée, oui c’est ça de la frustration (…) je peux me sentir démunie (…) je peux avoir un sentiment d’échec (…) je peux éprouver du chagrin, la tristesse me paraît trop fort (…) Mais j’essaie surtout de ne pas me laisser envahir». Une autre exprime sa colère en ces termes : « j’ai du mal à accepter de faire mal, cela me met en colère, disons que je ne suis pas insensible… » 39 Une autre encore me dit par rapport aux situations qu’elle trouve particulièrement dures : « si c’est le patient qui est difficile à soigner de part son caractère, je m’énerve, j’ai du mal à rester zen…si c’est difficile de par l’issue, je ressens de la compassion… ». Les professionnelles interrogées abordent donc ici le sujet des émotions. Les affects les plus souvent exprimés sont la tristesse, la colère et la révolte. La sixième personne interviewée « ose » exprimer sa tristesse et son sentiment de révolte avec moins de réserve. Elle précise que pour elle, ce n’est pas une raison valable pour ne pas prendre en charge un patient: « je ne souhaite pas ne pas m’en occuper, je ne vais pas me mettre en retrait justement, pas du tout…ce n’est pas une fuite, voilà.». C’est cette même soignante qui décrit un peu plus tôt dans l’entretien qu’elle n’hésite pas à entrer dans la chambre d’un malade, par exemple…une fois la première phase d’adaptation terminée pour elle, compte tenu de l’âge des patients. C’est elle aussi qui peut dire « il ne faut pas rester insensible, d’ailleurs moi je n’y arrive pas. J’ai régulièrement les larmes qui me montent aux yeux, la chair de poule (…) je me dis que l’affect n’est pas complètement enfoui mais j’en ai besoin aussi ». Elle ajoute encore: « mais il ne faut pas être trop dans l’affect parce que sinon tu ne peux pas prendre soin » et pour finir « je trouve que chaque fois que j’ai une difficulté cela me permet de grandir (…) de pouvoir m’armer pour reconfronter une situation prochaine » Une des infirmières dit « être peut-être mal à l’aise intérieurement mais pense ne pas le montrer ». Elle pense arriver « à passer au dessus» de ce qui la gêne. Malgré tout, elle n’hésite pas à me dire qu’elle ressent parfois des émotions : « j’ai déjà pleuré avec un malade parce qu’on était en connivence… mais ça ne me traumatise pas ». Quand elle essaie de nommer l’émotion qui l’anime le plus souvent, elle évoque « éventuellement de la tristesse, je ne suis pas triste pour moi, je suis triste éventuellement pour eux (les malades), c’est une grande émotion » Au regard des résultats des différents entretiens, il apparaît que les professionnelles parlent succinctement de leurs émotions, comme s’il fallait rester prudentes quant à leur expression. En effet, 3 d’entre elles disent clairement « ne pas vouloir se laisser envahir » ou encore « ne pas prendre tout pour moi, au niveau émotionnel ». Une des soignantes me dit même que si une prise en charge est vraiment douloureuse, elle a du mal à occulter ce qu’elle ressent, mais il faut que cela « reste entendable et acceptable par les collègues… » . Une seule infirmière dit se remettre en question pour réajuster sa pratique quand une situation lui pose problème. 40 4. Les ressources des soignants a) L’équipe A ce sujet, toutes les professionnelles interrogées sont unanimes, elles pensent que l’équipe est la ressource principale. C’est même la première chose qu’elles citent quand je leur demande quelles sont leurs ressources quand une situation est plus compliquée pour elles. Les collègues sont une aide précieuse pour « parler », exprimer ce qui pose problème et « partager ». Le travail en équipe permet de « passer le relai et se servir de l’expérience des autres… L’expression: « expérience partagée » est d’ailleurs reprise 3 fois. « En parlant à plusieurs, on essaie de trouver des solutions adaptées », « savoir s’appuyer sur tout le monde… parce que tout le monde ne réagit pas pareil ». Une autre professionnelle décrit l’équipe comme un « garde-fou » : « on s’observe, pas dans le sens se surveiller mais quand on voit que quelqu’un ne va pas bien, on n’hésite pas à se le dire… ». Pour plusieurs infirmières (3/7), le travail en binôme ou la collaboration avec l’aide soignante semble apporter un plus au travail en équipe parce qu’« on ne se retrouve pas toujours seule face au patient, il est possible de dire que c’est difficile pour moi et lui passer la main… ». Une infirmière cite même les autres professionnelles comme ressource telles que la kinésithérapeute, l’assistante sociale, la diététicienne qui peuvent apporter leur aide au patient. Il ressort de l’analyse que pour 4/7 infirmières, le médecin constitue aussi une ressource notamment quand un patient est en souffrance physique et/ou psychologique : « j’essaie de mobiliser les médecins pour avoir des prescriptions de plus de calmants… ». b) La vie personnelle Pour 3/7 soignantes interrogées, l’entourage peut apporter une aide. Deux infirmières soulignent qu’elles parlent à certains proches de situations qui les ont touchées: amis ou membres de la famille (en respectant le secret professionnel). Une autre insiste sur le fait que sa vie personnelle peut être une ressource pour ne plus penser au travail mais pas pour trouver des solutions de l’ordre des soucis au travail. Elle ajoute : « je ne veux pas ramener chez moi le boulot » et aussi « la porte est fermée quand je quitte l’hôpital, je ne rapporte pas de travail à la maison ». 41 c) Les loisirs Une seule infirmière évoque ses occupations en dehors du milieu professionnel. « Je lis aussi pas mal de livres, des revues sur tout ce qui peut aider par rapport à la prise en charge de tout ça (…) et puis je sors, je m’aère la tête (…) il y a de la distraction et des ressources intellectuelles… » d) L’expérience professionnelle Pour 3/7 professionnelles, l’expérience professionnelle apparaît comme une ressource indéniable pour gérer des situations plus compliquées. Avoir déjà une certaine expérience dans la profession leur permet notamment de prendre du recul, d’aller plus vite dans l’exécution de certains soins… « mon expérience (…) mon recul de professionnelle. Au bout de 37 ans, je pense que les ressources, je les trouve là ». Par rapport au « prendre soin et à la relation avec le malade, cette infirmière parle de son expérience en début d’entretien. Elle me dit : « quand tu as un petit peu l’habitude, dès en entrant dans la chambre, on sent les choses déjà (…) il ne faut pas toujours beaucoup de mots pour sentir comment sont les gens ». Une autre collègue me dit par rapport à l’expérience que « rien ne vaut la pratique et l’expérience, parce que tu évolues tout le temps » Au regard des résultats sur ce point, je me suis rendue compte que ces trois infirmières qui insistent sur leur expérience professionnelle ont 37 et 29 ans d’exercice pour les deux premières et 15 ans de diplôme pour la troisième. Elles ont donc vécu déjà bon nombre de situations diverses et n’ont pas forcément le même cursus professionnel. Mais pour toutes les trois, l’expérience apporte une aide dans le vécu des situations difficiles. 5. La notion de distance professionnelle Un des objectifs spécifiques de l’enquête est notamment d’évaluer ce que les professionnelles entendent par l’expression « distance professionnelle ». Aussi, je leur ai demandé de m’expliquer ce que signifiait pour elles cette notion, ce qui leur semble compliqué. D’ailleurs plusieurs d’entre elles me disent clairement que « c’est difficile à expliquer » (4/7). Et autant disent leur difficulté à trouver ce qu’elles qualifient de « bonne distance » dans leur relation aux personnes hospitalisées. 42 Un item revenant plusieurs fois est celui de l’écart (proximité ou éloignement) (5/7). Par exemple : « être proche ou un peu moins. Je suis allée au-delà de ce que je voulais. », « S’interdire d’aller trop loin », « c’est garder une distance entre le patient et le soignant », « c’est la distance qui fait qu’on a une relation qui est de confiance, qui n’est pas trop proche… ». Une des professionnelles explique un peu plus pourquoi elle essaie de gérer la distance avec les patients qu’elle prend en charge. Tout d’abord quand je lui demande ce que signifie pour elle la notion de distance professionnelle, elle réfléchit, associe en pensée, mais à haute voix, les mots « distance » et « qualité ». Puis elle m’explique que pour elle, la distance c’est de « réussir quel que soit le degré de proximité qu’on a établit avec le patient, apporter les soins qu’il mérite et dont il a besoin. Et la distance c’est essayer de ne pas trop s’investir justement auprès des patients envers qui on a de l’affect, de l’empathie pour ne pas trop s’investir affectivement justement. Donc, j’essaie d’être dans la distance ». Dans cet exemple, l’idée de distance professionnelle s’exprime plutôt en termes d’éloignement par opposition à une proximité possible. C'est-à-dire que quand je suis en proximité avec le patient, je ressens des émotions. Pour me protéger et peut-être ne pas souffrir, je m’éloigne : « j’essaie d’être dans la distance » Dans l’accompagnement de personnes malades, des liens se créent parfois entre les patients et le soignant, quelquefois même avec l’entourage. Il est intéressant de se demander si la prise en charge peut en être modifiée en termes de temps, de qualité. La même infirmière m’explique aussi qu’il est « difficile de laisser l’espace entre le malade et soi-même. Il y a des patients avec qui on fait un lien d’affection. Et puis on a tendance à en faire bien plus pour eux que pour certains autres patients, peut-être. On n’arrive pas à mettre la distance justement. On a l’affect qui entre jeu, même si on essaie de se dire qu’il faut pas parce qu’après ça va être compliqué, on n’y arrive pas toujours…. » 3/7 infirmières décrivent la distance professionnelle en termes d’implication, d’investissement. C’est « s’impliquer sans trop s’impliquer…», « ne pas s’impliquer dans la maladie mais répondre aux questions », « essayer de ne pas trop s’investir ». 43 S’impliquer signifie prendre part à quelque chose, s’engager…Et les synonymes d’implication sont notamment les termes attachement, identification, retombées. Dans les propos des soignantes interviewées, il semble que l’engagement doit être effectif mais pas trop important. Ce constat amène alors les questionnements suivants : que se passerait-il si mon implication était trop forte auprès de telle personne? Serait-ce en rapport avec mon degré d’attachement au patient ? Risquerais-je de m’identifier et donc de me mettre en danger émotionnellement ? Pour 3/7 infirmières, la distance professionnelle sert à ne pas penser au travail une fois rentrée à la maison. Par exemple, une des personnes me dit que pour elle : « c’est faire la différence entre mon travail et ma vie, faire le vide quand je sors. » Selon 3 personnes, la distance professionnelle se décrit comme un équilibre à trouver. Pour elles, c’est au patient ou au soignant lui-même de l’établir en fonction de son appréciation de la situation et de son ressenti. L’une d’elles, par exemple, me décrit son vécu en ces termes: « c’est un dosage. C’est à moi de le trouver, en fait par rapport à mes ressources à moi, mais voilà, il ne faut pas rester insensible. Et d’ailleurs, moi je n’y arrive pas… j’ai trouvé où mettre mon curseur d’équilibre et une fois que je l’ai trouvé, il n’y a pas de souci.» Pour une autre personne interviewée, la distance entre un soignant et un malade n’est jamais la même, elle évolue en fonction de nos rapports avec le malade : «… il y a parfois des patients avec qui je suis proche, je leurs tiens la main, mais je pense que je suis quand même dans la distance professionnelle. Ce n’est pas une distance physique, mais plutôt psychologique. La distance n’est pas figée, elle est propre à chacun » Il semble alors que la notion de distance professionnelle serait une protection pour le soignant. Les émotions paraissent jouer un rôle prépondérant dans la quête de « bonne distance ». Cette dernière semble se définir le plus souvent en terme de recul ou d’éloignement, le mot « proximité » n’est cité que 2 fois dans l’ensemble des entretiens. 44 6. La formation Pour compléter mon travail, je m’intéresse à la formation des interviewées afin d’évaluer ce qu’elles pensent avoir reçu comme enseignement relatif aux soins relationnels, à la préparation dont elles ont bénéficié pour exercer leur métier. Puis j’observerai les liens qu’elles font entre l’ordre enseigné et leur pratique quotidienne. Pour toutes les infirmières, la formation initiale ne prépare pas suffisamment aux réalités du terrain et à la communication avec les patients et/ou les familles. Pour une des professionnelles, « la formation initiale donne des bases…les premières armes… », pour une autre : « il y a un réel fossé entre la théorie et la pratique », elle pense par contre que les stages réalisés au cours du cursus de formation mettent vraiment les étudiants en contact avec la réalité du terrain et avec les situations possibles. Une soignante me dit aussi : « on entend des grands mots tels que psychologie, technique, relation un peu (…) mais face à l’humain et à la personne malade, ce n’est pas du tout pareil. On apprend sur le tas… ». La plus jeune professionnelle entendue est toute nouvelle diplômée et détient aussi une maitrise de psychologie. « La relation à l’autre, dit-elle, c’est quelque chose que je vis…c’est quand on est confronté aux situations qu’on se rend compte si on adopte la bonne distance ou pas… Mes études de psycho m’ont plus servi dans le domaine de la relation que la formation infirmière ». Enfin, une autre infirmière trouve que la formation ne prépare pas suffisamment à affronter la mort, à l’accompagnement des familles : « Dans la formation, quand il y a une situation difficile, on nous dit de nous référer au médecin, que c’est à lui de s’occuper de ça. Je trouve ça dommage, il est de notre ressort d’être là auprès des gens, d’être à leur écoute… » Si l’enseignement initial ne leur semble pas suffisamment complet du point de vue des soins relationnels, l’idée d’expérience, par contre, revient dans chacune des entrevues (7/7). Les professionnelles sont unanimes pour dire que la pratique et l’expérience peuvent leur apporter des réponses, les aider à mieux gérer des situations difficiles. Plusieurs témoignages m’ont marquée particulièrement. 2 des infirmières évoquent l’évolution de la personne soignante au cours de sa carrière, en partie du fait de l’expérience qu’elle acquiert : « tu évolues sans arrêt dans ta profession et au fur et à mesure des expériences, tu changes et la relation se modifie (…) c’est ton expérience qui te forme » dit l’une ; tandis que l’autre précise : « Mon expérience dans le relationnel m’a aidé beaucoup parce que tu as rencontré 45 beaucoup de gens, tu as vécu plein de situations différentes (…) tu évolues, c’est sûr. Tu évolues tout le temps, c’est bien. Moi, j’apprends toujours des nouvelles choses, même en fin de carrière, j’aime bien apprendre.» Deux collègues ayant 29 et 37 ans d’ancienneté dans la profession soulignent leur cursus de formation très différent de la formation d’aujourd’hui, et leur maîtrise des soins techniques du fait de leur expérience. Pour la première, « tout ce qui était de l’ordre des pathologies et des gestes techniques était bien plus condensé qu’aujourd’hui (…) le psy, le relationnel n’étaient pas traités, c’était vraiment au jugé de chacun… ». Pour elle l’expérience joue un rôle important dans le domaine de la relation « parce que tu es plus à l’aise avec les soins (…) encore maintenant, je préviens le patient, pendant ¼ d’heure, je ne vais pas vous parler parce que je me concentre sur ce que je suis en train de faire, par exemple un pansement de cathétérisme central. ». La seconde soignante explique que lors de sa formation, « c’était de la technique pure. Il ne fallait pas toucher le malade, il fallait de la distance physique… » Par rapport à l’enseignement d’aujourd’hui, elle me dit : « je trouve que les élèves quand ils sont en stage sont dans le soin (…) il faut qu’ils sachent faire des soins techniques. Ils sont dans le savoir-faire plutôt que dans le savoir-être, je pense». Quant à son expérience dans les soins techniques, elle pense que c’est une aide pour ne pas se focaliser sur ce qu’elle fait et rester en relation avec le malade : « je suis une vieille infirmière, j’arrive ce que n’arrivent pas toujours à faire les jeunes, à parler tout en faisant les choses. Je gagne du temps… » En ce qui concerne la formation continue, seulement 3 infirmières sur 7 en parlent: l’une d’entre elles ne ressent pas le besoin de se former sur la relation soignant-soigné, sur la notion de distance professionnelle. Pour les deux autres, la formation professionnelle n’apporte pas vraiment d’outils mais « permet de mieux comprendre ». L’une d’elles me dit aussi : « quelquefois ça me conforte en me disant que je ne suis pas si mal que ça dans ma relation. Ce que je pratique au quotidien, c’est plutôt bien. Cela permet de se remettre en question ». Même si le chiffre d’entretiens réalisés ne me permet pas une conclusion scientifique, l’hypothèse que je propose semble se confirmer au regard de cette analyse. C’est ce que nous verrons dans la troisième partie de ce travail. 46 IIIème partie : Discussion Dans ce troisième volet, je confronterai les résultats et l’analyse de l’enquête réalisée et la partie théorique développée au commencement de ce travail. Des liens évidents apparaissent entre la notion de « prendre soin », celle de « distance professionnelle » et les affects ressentis par les différents acteurs impliqués dans la relation de soin. Aussi, pour traiter cette partie, je dégagerai particulièrement certains éléments qui me sont apparus comme des idées fortes dans l’analyse des interviews : et en particulier la signification du « prendre soin » ainsi que le vécu émotionnel des soignants et des patients, le sens de la distance professionnelle. Enfin, je traiterai des ressources auxquelles ont recours les soignants pour se sentir mieux dans les situations qu’elles estiment être difficiles pour elles. 1. Le prendre soin Comme j’ai pu le souligner précédemment dans la deuxième partie de mon travail, trois infirmières décrivent le « prendre soin» en termes de prise en charge de la personne dans sa globalité. Par exemple, une professionnelle parle de « la personne dans son ensemble ». Il s’agit bien de prendre en compte la personne et sa pathologie mais aussi tout ce qui n’est pas directement atteint par la maladie et qui permet au patient de s’occuper de lui-même, de garder une certaine autonomie. Quand le malade ne peut satisfaire certains besoins, du fait d’une trop grande fatigue par exemple, il est du rôle du soignant d’être présent pour apporter son aide et de procurer le meilleur confort possible tant physique que psychologique à la personne. Dans l’ouvrage Humanitude, les auteurs écrivent que « prendre soin d’une personne, (…), c’est à la fois procéder à des actions et à des traitements ciblés sur la pathologie dont elle souffre (…) et prendre soin des forces vives de la personne, de tout ce qui en elle est sain et lui permet de résister et de lutter » 48 48 Yves Gineste et Jérôme Pellissier, Humanitude, éditions Armand Colin, Paris, 2008, p.207 47 Schéma relatif au prendre soin dans Humanitude. Ce schéma relatif au prendre soin met en évidence que plus la pathologie est avancée ou grave, plus les ressources de la personne risquent d’être altérées et plus ses possibilités pour se mobiliser, se laver…diminuent. Ces capacités qui restent au patient et qui méritent qu’on y porte attention sont nommées par Gineste et Pellissier « forces de vie » ou encore « forces vives » dans le schéma. En tant que soignant, il est de notre ressort d’y prêter attention et de « veiller sur elles, les soutenir, les enrichir ». Dans ma question sur le « prendre soin », des professionnelles m’ont répondu aussi que d’un point de vue relationnel, il fallait être présent pour le malade et aussi être à son écoute. Mais que signifie être présent dans la pratique soignante ? Comme j’ai tenté de l’exposer au début de ce travail, être présent nécessite d’être disponible, attentionné, de respecter l’autre dans son altérité… Pour compléter cette notion et tenter de mieux comprendre, je reprendrai l’explication du docteur Catherine Deshays dans Trouver la bonne distance avec l’autre. Pour elle, « être dans la présence, c’est être attentif à notre manière d’être présent au monde, (…) de s’y sentir. Sentir comment nous respirons, sentir la position de notre corps…nous permet de rester présent à nous même et de nous différencier d’autrui »49. En bas de page de son ouvrage, l’auteur précise que: « Pré » signifie d’ailleurs mettre avant et « sens » qui donne du sens. Elle ajoute : « Nous sommes rarement dans la présence, car nous sommes rarement dans cette suspension du temps, à nous interroger sur notre manière d’éprouver le monde et de donner sens ». 49 Catherine Deshays, trouver la bonne distance avec l’autre, InterEditions-Dunod, Paris, 2010 48 Etre présent implique donc de se tenir disponible, à l’écoute de l’autre pour tenter de connaître et comprendre celui dont on prend soin. Dans la relation d’aide, disponibilité, et volonté de se centrer sur l’autre pour mieux entendre ce dont il a besoin favorisent ce qui est plus communément appelé « l’écoute active ». Elle est d’ailleurs quelquefois appelée « présence vraie » dans le vocabulaire soignant. Elle demande un minimum de concentration, le but étant de ne pas déformer les propos du patient et de les reformuler pour vérifier si on en a bien compris le sens. D’ailleurs, pour Catherine Deshays, « la reformulation n’est pas une technique neutre. Rester au plus près du sens est un art qui réclame beaucoup de présence, d’attention, et un réel souci de l’autre ».50 La reformulation amène aussi l’accompagnant vers une compréhension empathique, c'est-à-dire vers un « profond désir de compréhension de ce que vit la personne malade, une capacité de percevoir ce qu’elle ressent, tout en gardant à l’esprit que nous sommes deux personnes distinctes »51. D’autre part, être présent à l’autre, n’est-ce pas être présent à soi-même? Pour ce faire, il semble nécessaire d’apprendre à écouter non seulement son for intérieur mais aussi son corps. Il est des douleurs qui parlent d’elles-mêmes : douleurs d’estomac, troubles du sommeil...Cela nécessite aussi de ne pas garder en suspens des préoccupations qui nous taraudent mais d’essayer de « régler » les problèmes qui nous écartent de l’attention à soi et donc de l’attention à celui qu’on accompagne. Dans son ouvrage la présence à l’autre, Marcel Nuss évoque ce manque de présence qu’il a parfois ressenti de la part de soignants qui l’ont accompagné dans son handicap. Pour lui, il arrive que des préoccupations prennent le dessus sur l’action du moment. Il nous dit par exemple : « combien de fois n’ai-je pas eu le sentiment d’« entendre » un accompagnant penser, de sentir ses gestes se déconcentrer et s’« échapper » vers autre chose, même brièvement (…) le rythme change, l’intention mise dans le geste et l’attention portée à la personne également. L’accompagnant est là sans être là… ». L’écoute de soi n’apparaît pas comme une attitude automatique. Je pense que cela nécessite une réelle remise en cause. La notion de « connaissance de soi » pourrait être une idée à retenir dans les propositions faites aux soignants qui désirent optimiser leur qualité d’accompagnement des patients. Je développerai ce point plus loin dans mon travail. Pour finir sur ce thème, l’analyse des résultats semble montrer que les soignants mettent en avant leur « savoir-faire », qu’ils détaillent, quand ils donnent leur définition du « prendre 50 Ibid Catherine Deshays, p.71 SFAP, collège des acteurs en soins infirmiers, l’infirmière en soins palliatifs, savoir et pratique infirmière, Masson, 2009, p.89 51 49 soin ». Leur apport relationnel au patient paraît évident pour eux mais ne nécessite pas pour autant d’explications : ils parlent facilement du « relationnel ». Il semble que les professionnels de soin n’aient pas forcément en conscience, par exemple, la théorie du « caring » qui allie le « cure » et le « care ». Ces différentes observations nous amènent à penser que le soignant considère peut-être le sens du « prendre soin » comme « allant de soi ». Il n’éprouve donc pas le besoin de s’interroger régulièrement sur ce sujet. Il y a des questions que nous ne nous posons plus forcément après quelques années de pratiques. Or, pour établir la juste distance, il conviendrait peut-être de se détacher de certains automatismes et revenir à l’essence même du soin en réfléchissant sur ce que soigner et accompagner veulent dire, sur le sens du « prendre soin », de l’éthique du soin et enfin sur ce qu’implique être présent pour le malade? En tentant de répondre à ces questions fondamentales, le soignant pourrait sans doute réactiver les motifs de son engagement et faciliter sa quête de la proximité convenable pour le malade et aussi pour luimême. 2. Les émotions du patient et du soignant Au sujet des affects, il paraît évident aux soignants que la personne malade ressent des émotions mais il leur est parfois difficile de savoir ce qu’elle éprouve réellement. J’ai moi-même été amenée à prendre en charge récemment une personne pour laquelle une démarche palliative était entamée, avec laquelle il n’est pas simple de savoir comment elle reçoit les soins prodigués. Cette patiente jeune atteinte d’un cancer avancé du pancréas, passe par des phases d’aggravation de son état et plus particulièrement de sa conscience, suivie de moments de présence où elle est non seulement orientée mais aussi très cohérente. Les soignants qui ont eu à prendre soin d’elle semblent tous avoir la même impression : dans ses phases d’éveil, elle devient irritable, agacée. Nous ne savons pas exactement si les soins que nous lui prodiguons lui apportent du confort, lui font plaisir. Un jour, alors que je m’apprêtais à faire sa toilette au lit avec l’aide-soignante, j’abordais le sujet avec elle : « j’ai l’impression que vous êtes en colère. ». Elle me répondit : « oui parce que ma tumeur prend beaucoup de place, toute chimio est arrêtée, ça n’avance pas, on ne me donne pas à manger et j’ai faim, je voudrais que ça bouge pour que je m’en sorte… ». Je me renseignais alors sur sa douleur, sur les soins de confort que nous pouvions lui apporter en lui disant que peut-être elle avait des 50 besoins auxquels nous n’avions pas pensé et qu’elle aimerait satisfaire. Nous tentons de mettre en place des soins et attentions que son état permet de réaliser (par exemple, le médecin l’a autorisée à boire un peu, elle a eu le lendemain une crème liquide enrichie. La socio- esthéticienne nouvellement arrivée dans le service est passée la voir…). Bien entendu, d’autres soignants ont eu la même démarche que moi auparavant mais la patiente n’était peutêtre pas prête à exprimer sa colère à ces moments là. Toute la fin de journée, cette dame était souriante, comme apaisée, elle discutait beaucoup. Elle paraissait transformée. Nous avons été surprises et émues, l’aide-soignante et moi–même, par ce changement notoire de comportement. Les jours suivants, nous ne paraissions plus la déranger, mais au contraire, lui faire du bien par notre attention et notre présence…. Cet exemple montre bien qu’il n’est pas toujours aisé de comprendre et d’entendre l’état émotionnel d’un individu souffrant de maladie grave. Plusieurs paramètres peuvent entrer en compte pour le malade quant à l’expression de ses émotions, notamment son avancée dans la maladie, son tempérament (cette patiente n’est peut-être pas une personne expansive habituellement). Il faut prendre le temps de s’y arrêter : essayer de comprendre ce qui se passe pour le malade peut être pour lui source de réconfort, de mise en confiance…La prise en charge ne pourra qu’en être plus riche. En ce qui concerne les soignants, j’ai déjà souligné qu’ils abordent leurs propres émotions succinctement. Les infirmières interrogées ne veulent pas « se laisser envahir » par leurs affects ou encore, il faut que cela reste « acceptable ». Elles se défendent de « ramener du travail à la maison ». Il y a bien une sorte de pudeur par rapport au ressenti soignant, comme si l’on ne pouvait pas être « bonne professionnelle » quand on laisse paraître ses affects. Estce parce qu’il est difficile de les exprimer avec des collègues, sur le lieu de travail? Ou alors est-ce parce que dans certains esprits, l’infirmière doit faire preuve de sang-froid et de discrétion ; des qualités reconnues comme indispensables pour être une « bonne professionnelle » ? Dans Humanitude, les auteurs posent la question : « les soignants ont-ils le droit, plus qu’hier, de ressentir des émotions ? ».Ce à quoi ils répondent que « oui, ils ont le droit d’en ressentir…Mais ont presque le devoir de les ignorer »52. 52 Yves Gineste et Jérôme Pellissier Op.Cit, p.169 51 Pourtant, ce sont bien les émotions qui nous relient aux autres et « parce que nous sommes en contact permanent avec les autres, par notre simple présence, par nos sentiments, par notre corps (par tous nos sens)…nous sommes des êtres de relation »53. Il convient de rappeler que les professionnels de soins sont avant tout des hommes et des femmes qui ressentent des émotions et qui exercent une fonction, un métier. Or, Dans le « prendre soin » il parait nécessaire d’être un tant soit peu sensible pour pouvoir percevoir la souffrance de l’autre, la reconnaître et si possible la soulager. Nous l’avons souligné plus haut, prendre soin de soi, cela signifie s’écouter et respecter ses propres ressentis. Dans la distance à établir avec les patients, il parait important de comprendre que la « neutralité ne signifie pas l’absence d’émotions. Elle ne consiste pas à ne rien ressentir, mais à distinguer ce que l’on ressent de ce que ressent l’autre »54 Le patient devant être préservé, certaines émotions ne seraient donc pas acceptables à l’hôpital ou il serait préférable de les maîtriser. Catherine Mercadier parle même de « normes émotionnelles : le silence. C’est pour maintenir cette norme que les soignants mettent en œuvre un travail émotionnel arc-bouté sur la maîtrise des affects… »55. Cette maîtrise des émotions constituerait une sorte de blindage qui nous pousserait à une distance professionnelle froide et défensive dans le but de se protéger, ne pas être en souffrance. Or, accepter de laisser émerger les émotions que nous renvoie une situation vécue avec un patient, nous permettrait de mieux en prendre conscience, de les reconnaître et de les questionner. Ce questionnement nous aiderait sans doute aussi à repérer nos propres limites. Une attitude bienfaisante envers nous-mêmes permettrait sans doute d’être plus disponible, plus en proximité pour mieux accueillir la parole du malade et en prendre soin. En outre, « utiliser la connaissance de soi pour accompagner, c’est trouver une distance ajustée dans chaque relation ( se protéger en restant aidant ), trouver un sens à sa pratique, permettre l’émergence d’une qualité de présence et d’écoute, alimenter un équilibre de vie et renforcer l’estime de soi »56. 53 Ibid, Yves Gineste et Jérôme Pellissier, p.29 Ibid, Yves Gineste et Jérôme Pellissier p.170 55 Catherine Mercadier, Op. Cit, p.170 56 .SFAP, Op. Cit., p. 66 54 52 3. La notion de distance professionnelle A propos de la distance professionnelle, les soignantes interrogées expriment majoritairement qu’il est difficile de l’expliquer. Il semble que ce soit une attitude à adopter en fonction de notre degré d’implication au chevet du patient. L’investissement ne doit pas être démesuré parce qu’une trop grande implication ferait émerger de l’affectivité et n’aiderait pas à prendre du recul, à « faire le vide » après la journée de travail. Mais mettre de l’écart entre soi et celui qu’on accompagne permet-il de rester aidant et dans le « prendre soin » ? Est-ce que cela permet d’être en présence efficacement pour accueillir l’état émotionnel du malade comme il se doit ? Une infirmière définit la distance professionnel comme un « équilibre, un dosage ». Elle utilise le mot « curseur » à déplacer. Pour Walter Hesbeen, il s’agit de « réussir à prendre la juste mesure de cette rencontre afin qu’elle soit aidante pour la personne soignée (…) c’est une question d’ajustement permanent, lequel signe la capacité du professionnel à être très près du malade, sans l’être trop, à être suffisamment distant de lui sans l’être également… »57. Catherine Deshays utilise le terme de « curseur relationnel » qu’elle décrit comme un outil qui « permet de rester attentif au positionnement et de mieux s’y ajuster »58. Pour elle, toute relation d’accompagnement implique dans une proximité, peut-être même dans l’intimité. Il faut alors en prévoir les conséquences et les penser. Il s’avère que des principes humanistes tels que le respect de l’autre, l’altérité, la confiance… ne peuvent être écartés pour qu’une relation d’aide efficiente soit engagée. Catherine Deshays souligne que, dans chaque relation, le risque existe d’être touché, affecté. Elle ajoute que « l’intimité, les confidences, l’écoute, la proximité engendrent un rapprochement (…) une manière d’être en lien ». 57 58 Walter Hesbeen, Op. Cit, p. 104 Catherine Deshays, Op. Cit., p.7 53 Ce schéma me paraît intéressant pour visualiser et mettre une image concrète sur le fonctionnement potentiel du « curseur relationnel ». Dans le champ de la communication avec l’autre, il s’avère que plusieurs paramètres entrent en jeu. Trouver l’équilibre n’est pas toujours simple du fait de la subjectivité que compose l’échange entre deux personnes, qui plus est lorsqu’un des individus est dans le besoin et en demande d’aide. Dans son ouvrage, l’auteur nous explique qu’à chaque extrémité de la barre, se trouve un pôle : « le pôle accueil » et « le pôle cadre ». Au centre, le «curseur » peut se déplacer d’un bout à l’autre. L’objectif se trouve être une recherche de stabilité, d’équilibre (comme dans une balance). Il définit le pôle accueil comme étant une « attitude qui vient nourrir les besoins de considération, d’attention, de proximité, d’intimité que toute personne éprouve ». La reformulation dans l’écoute active, la présence, et un certain savoir-faire technique pourront aider à adopter cette attitude d’accueil. Il faut qu’un climat de confiance s’installe progressivement. Les propos du renard dans le Petit prince de Saint Exupéry pourraient illustrer cette idée de progression dans la relation à l’autre. « On ne connaît que les choses que l’on apprivoise dit le renard (…) si tu veux un ami, apprivoise moi. Que faut-il faire ? dit le petit prince. Il faut être patient. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi (…) Mais chaque jour tu pourras t’asseoir un peu plus près… » 59. Il dit aussi : « on risque de pleurer un peu si on s’est laissé apprivoiser… »60. Ce texte montre qu’il faut un peu de temps pour qu’une relation de confiance s’établisse et que le lien se crée entre deux personnes en présence. Il vaut mieux opérer graduellement pour ne pas brusquer l’un ou l’autre des interlocuteurs. Se découvrir, s’observer et communiquer semblent d’abord nécessaires pour gagner une certaine reconnaissance l’un de l’autre et 59 60 Antoine De Saint-Exupéry, le petit prince, Editions Gallimard, 1946, p.69 Ibid, Antoine De Saint Exupéry, p.83 54 établir une relation riche en échange. Il apparaît aussi qu’une fois le lien créé, nous pouvons être touchés par ce qui arrive à l’autre, par ses propos, par ses douleurs… Catherine Deshays décrit ensuite le pôle cadre comme l’attitude qui vient satisfaire « les besoins de repères que toute personne recherche spatialement et temporellement ». Il ne se limite pas aux règles et aux limites. La relation alors se formalise autour d’un objectif donné, une intention. Par exemple : « Bonjour, je m’appelle Stéphanie, je suis l’infirmière qui s’occupe de vous ce matin. Je viens vous faire vos soins. Comment allez-vous ? » Ici, nous pouvons dire qu’il est nécessaire de poser des « fondations » tel un édifice, un cadre donc, pour que la relation soit entamée et construite. Il s’agit par conséquent de chercher le bon équilibre entre le « pôle accueil » et le « pôle cadre » pour que la juste proximité soit trouvée. Cela se fait au regard des valeurs de chaque interlocuteurs, de ses besoins et des affects suivant la situation, et dans le respect de chacun. Pour conclure sur ce point, je reprendrai l’explication donnée par Yves Gineste et Jérôme Pellissier à propos de la « distance thérapeutique » qui résume ce que nous avons pu constater dans nos explorations sur ce thème. Selon eux, il ne peut s’agir « d’une distance affective fondée sur la négation ou l’interdiction des émotions. Elle se fonde en revanche sur cette distance philosophique, qui permet à un soignant d’être librement en lien émotionnel avec une personne, sans y laisser la peau (…) Elle implique d’accepter que la santé et le bien-être d’une personne n’appartiennent pas aux soignants, mais à elle-même ; elle implique que lorsqu’une personne meurt, ce n’est pas le soignant qui est coupable, ce n’est pas une part de lui qui disparaît. Il peut ressentir de la peine, mais cette peine n’est plus destructrice ni fusionnelle : elle autorise en revanche à se sentir riche de ce que la personne lui a donné et de ce qu’il a apporté à cette personne »61. 4. Les ressources mobilisées par les soignants Suivant l’encyclopédie Larousse la définition du mot « ressource » est exprimée comme suit : ce qui tire de l’embarras, améliore une situation difficile. Dans l’enquête que j’ai menée auprès des professionnelles, il convenait de se renseigner sur les moyens qu’elles utilisent pour se sentir plus à leur aise quand la prise en charge d’un patient leur paraît compliquée ou douloureuse. 61 Yves Gineste et Jérôme Pellissier Op.Cit, p.207 55 Je constate en réalisant l’analyse des entretiens que deux ressources essentielles sont mobilisées par les infirmières pour prendre soin d’elles-mêmes : l’équipe au sein de laquelle elles évoluent dans un premier temps, ensuite l’expérience qu’elles acquièrent au cours des années. a) L’équipe J’ai la chance de faire partie d’une équipe où nous nous connaissons bien. Evidemment, nous avons chacune nos personnalités, nos histoires de vie personnelle. Mais je crois pouvoir dire que nous sommes assez attentifs les uns aux autres, pour nous exprimer librement, dire « stop » quand quelque chose ne va pas et nous organiser pour ne pas laisser quelqu’un dans la dérive. Nous essayons de prendre soin les uns des autres. « Expérience partagée », « garde fou », « passer le relai », « parler »… Autant d’expressions que les infirmières interrogées utilisent pour décrire ce que leur évoque le travail en équipe. Une d’entre elles prône l’organisation en binôme avec les aides-soignantes parce qu’elle permet d’être présente près du patient en même temps, de ne pas se retrouver seule face aux difficultés de mobilisation, de communication par exemple qui peuvent se présenter dans la chambre du patient. Une autre encore explique que c’est lors des pauses que les échanges s’opèrent le plus : « le week-end au petit déjeuner, surtout le dimanche, on a plus de temps…ça permet de se libérer et d’échanger les mêmes sentiments et les mêmes émotions… ». Une troisième infirmière implique d’autres catégories professionnelles telles que la diététicienne, la psychologue, l’assistante sociale. Il me semble que deux choses essentielles ressortent de ces observations. La première : il apparaît qu’il existe bien des temps d’expression de leurs ressentis entre les soignants. Mais nous noterons que ces moments de partage d’expérience ou de vécu ne sont qu’informels. Cela pose la question de leur efficacité. Les professionnels en récoltent certes des bénéfices, mais nous pouvons poser nous demander si c’est réellement suffisant pour exprimer tout ce que nous ressentons, avec le risque d’être dérangés par le téléphone, des visites…Ces aléas ne permettent pas forcément d’aller au fond des choses, de comprendre vraiment ce qui a pu provoquer l’émergence de telle ou telle émotion et trouver une solution pour mieux vivre certaines situations. 56 Ne vaudrait-il pas mieux mettre en place des temps d’échange réservés exclusivement à l’écoute les uns des autres ; des moments de libre expression afin de s’entendre, de confronter nos vécus intérieurs et de réfléchir ensemble aux solutions possibles? Le deuxième paramètre qu’il me paraît important de souligner, c’est l’importance de la collaboration entre les différentes professions. En effet cela permet une pluridisciplinarité mise au service du malade et de ses proches. Il convient alors de s’interroger sur le sens du mot « équipe ». Dans le manuel UPSA intitulé soins palliatifs en équipe : le rôle infirmier, « une équipe est un groupe de personnes qui ont le désir de travailler ensemble autour d’un projet commun centré sur le patient… »62. La notion de pluridisciplinarité, quant à elle renvoie à l’idée que chaque professionnel détient une compétence, un rôle et un champ d’expertise qui lui est propre. La mise en commun de ces différentes compétences dans le respect de chacun permet notamment de rassembler toutes les ressources existantes, de se soutenir, de satisfaire au mieux les différents besoins du patient et de remplir des objectifs communs au service des malades et de leur famille. Les professionnels exerçant dans le domaine des soins palliatifs (que ce soit dans les unités de soins palliatifs, les équipes mobiles, les réseaux…) connaissent bien ce mode de fonctionnement: ils mettent tout en œuvre pour favoriser ce travail en équipe pluridisciplinaire et reconnaissent les bienfaits de cette organisation tant pour ceux qu’ils accompagnent que pour eux-mêmes. D’ailleurs, il apparaît que le travail en équipe pluridisciplinaire est indissociable de la pratique en soins palliatifs. Pour le groupe d’auteurs de la SFAP, « Dispenser des soins palliatifs, c’est choisir d’être « d’une équipe » c'est-à-dire être convaincu que l’action individuelle n’est efficace qu’au cœur de l’action collective. La motivation personnelle se nourrit et s’enrichit de celles des collègues. L’importance de la parole, du relationnel, la nécessité de revenir sur l’action en cours tout autant que sur l’action terminée (après le décès) obligent à des échanges, à une attention et à un soutien de l’autre… »63. Lors de mon stage en unité de soins palliatifs, j’ai été frappée par cet espace d’échanges et de dialogue qui dominait au sein de l’équipe pluridisciplinaire. Des temps de partage et d’écoute sont disponibles notamment lors des staffs hebdomadaires. Je n’étais qu’une stagiaire, pourtant je me suis sentie rapidement accueillie et impliquée dans la vie de cette équipe. 62 63 Institut UPSA de la douleur, soins palliatifs en équipe : le rôle infirmier, édition 2006, p.112 SFAP, Op.Cit. p. 57 57 Pour conclure sur ce point, je reprendrai la phrase écrite dans le manuel UPSA. Elle me semble parler d’elle-même et devrait nous donner à réfléchir à l’idée que nous nous faisons chacun du travail en équipe. Elle devrait nous accompagner dans nos pratiques et nous aider à nous épanouir dans le groupe avec lequel nous sommes amenés à travailler : « Vivre en équipe, c’est une façon d’être, de devenir, de grandir dans le respect de soi-même et des autres. C’est un chemin d’autonomie dans le partage d’un projet commun au service du patient »64 b) compétences et expérience Dans le langage courant, il n’est pas rare d’entendre la maxime : « c’est en forgeant qu’on devient forgeron », ou encore « c’est en faisant qu’on apprend ». L’enquête que j’ai réalisée montre que la majeure partie des infirmières estime que l’expérience qu’elles ont engrangée au cours de leurs années d’exercice représente une réelle ressource. En effet, dans l’aspect relationnel de la profession de soin, certaines soulignent que leur formation initiale donne des « bases », les savoirs théoriques et techniques obligatoires pour exercer, mais que rien ne remplace la pratique et l’expérience. Il est vrai que les écoles d’infirmières apportent, par leur enseignement, des compétences indispensables à l’exercice du métier. Le référentiel de formation que j’ai présenté dans la première partie de ce travail est d’ailleurs écrit en termes de compétences : « (l’étudiant) construit progressivement les éléments de sa compétence à travers l’acquisition de savoirs, savoir-faire, attitudes et comportements… », puis compétences 1, 2, 3 … Je me suis alors intéressée au sens des mots « compétence » et « expérience ». « En gestion des ressources humaines, la compétence est souvent définit comme l’ensemble des savoirs, savoirs-faires et comportements tirés de l’expérience nécessaires à l’exercice d’un métier »65. La notion de savoir renvoie aux connaissances acquises et indispensables à l’exercice de la profession. Pour les spécialistes du travail, la compétence est au centre de trois composantes, notamment : - le savoir : somme des connaissances théoriques et techniques - le savoir-faire ou habileté 64 65 Institut UPSA de la douleur, Op.Cit. , p. 115 http://www.wikipédia.com, p. consultée le 19 avril 2010 58 - le savoir-être ou qualités personnelles. Pour compléter mon étude, je m’appuierai sur un article de Frédéric Rufin, cadre de santé et formateur en IFSI qui donne une définition de la compétence professionnelle en utilisant l’étude qu’ont réalisé en 2005 deux auteurs : Rémi Gagnayre et Jean-François d’Ivernois. Pour eux la notion de compétence professionnelle s’appuie sur trois notions : - « La compétence est proche d’un système intégré de savoirs au sens large (savoir, savoir-faire, savoir-être) - La compétence permet d’aboutir à une performance mobilisable dans plusieurs contextes professionnels ou familles de situations. - Une compétence requiert pour son acquisition et sa mise en œuvre que le professionnel soit en mesure de mener une activité réflexive au cours même de sa réalisation ou après celle-ci ». 66 Le mot « expérience » quant à lui, est définit comme une « compétence, savoir faire acquis par le salarié tout au long de son parcours professionnel »67. Par ces définitions et les observations retirées de mes interviews, nous pouvons souligner l’importance de la formation initiale, continue, des spécialisations dans certains domaines pour améliorer nos compétences. Nous noterons aussi le poids de l’expérience clinique qui apporte certainement une aide réelle dans la prise en charge des patients. D’ailleurs, une infirmière interrogée affirme par exemple qu’avec l’expérience elle arrive à parler tout en faisant les choses : parce que les soins, « je les maîtrise quand même, je gagne du temps (…) dès qu’on a l’habitude, dès qu’on rentre dans la chambre, on sent des choses… ». Elle ajoute : « mon expérience m’aide à prendre du recul (…) quand j’étais plus jeune (infirmière) et que j’avais de grosses émotions, j’avais plus de mal à être avec les patients…maintenant, même si je suis dans l’émotion, j’arrive à mieux la gérer et du coup être plus disponible pour le malade ». Il apparaît donc qu’avec l’expérience, nous pouvons appréhender des situations différemment dans la mesure où nous avons pu vivre des choses similaires auparavant. D’autres soignantes mettent l’accent sur l’évolution qui s’opère au fur et à mesure des années : « on grandit, on évolue sans arrêt; de plus on n’a jamais vraiment fini d’apprendre… c’est ton expérience qui te forme». Après avoir étudié le concept de compétence et la signification de l’expérience, nous pouvons noter qu’il semble exister un lien entre les deux. En effet, il ne suffit pas de détenir des 66 67 http://www.cadredesante.com, Frédéric Rufin, p. consultée le 19 avril 2010 http://www.guide-du-travail.com, p. consultée le 19 avril 2010 59 savoirs, savoir-faire et des comportements, encore faut-il les utiliser à bon escient, les faire grandir, voire les développer. J’ai plusieurs années de diplôme d’infirmière, j’ai par conséquent des connaissances théoriques, techniques…mais il y a des domaines qu’on a pu m’enseigner au cours de mes études dans lesquels je ne suis pourtant pas compétente. Par exemple, j’ai bien reçu un enseignement sur la prise en charge des patients trachéotomisés. Pourtant, le changement de canule ne fait pas partie des soins les plus courants dans mon exercice professionnel quotidien. Aussi, je ne me sens pas compétente dans la réalisation de ce soin, parce que je n’ai pas d’expérience dans ce domaine. Il me faudrait une formation et une pratique répétée pour pouvoir prétendre acquérir une compétence réelle qui ne cesserait d’évoluer si j’effectuais ce soin régulièrement. Il apparaît donc que certaines compétences s’acquièrent avec l’expérience ; cependant, « l’expérience ne garantit pas la compétence »68 nous dit Martine Mercadier. Pour elle, « d’autres éléments entrent en compte. La compétence infirmière se situe au carrefour de qualités individuelles, d’expériences professionnelles et personnelles et d’une éthique très forte ». L’expérience acquise peut certes nous aider à être plus performant du fait d’un volume de connaissances plus important, et aussi une meilleure capacité à faire des liens entre savoirs, savoir-faire et savoir-être. Mais est-ce que cela suffit pour autant ? En ce qui concerne l’accompagnement des personnes hospitalisées, nous avons vu que « prendre soin » nécessite non seulement des compétences dans le domaine du soin mais aussi présence, disponibilité, accueil de la parole de l’autre et écoute de soi…entre autres. L’expérience, même si elle apparaît comme une ressource, ne semble pas suffisante pour trouver la juste proximité à établir pour garantir un « prendre soin » de qualité. Un soignant peut avoir des années de pratiques et n’être pas dans une distance bienveillante du fait de l’affectivité que peuvent révéler certaines situations difficiles, affectivité qui mérite non seulement d’être entendue mais aussi travaillée. Il ne paraît pas abusif de dire que le « prendre soin » et donc la recherche de « bonne distance » nécessite un certain nombre de compétences. Un travail sur soi semblerait une des réponses pour améliorer ces compétences et progresser dans l’attention particulière apportée au malade qu’est l’aventure de l’accompagnement. 68 Martine Mercadier, Op. Cit., p.7 60 Pour conclure sur ce point, je donnerai la définition de la compétence écrite par Margot Phaneuf, infirmière canadienne diplômée en sciences infirmières, titulaire d’une maitrise en sciences de l’éducation et d’un doctorat en didactique. Elle a écrit de nombreux ouvrages et mené des séminaires relatifs à la relation d’aide, le diagnostic infirmier… Selon elle, « la compétence est un savoir complexe intégré de connaissances, d’acquis d’expérience et d’évolution personnelle, propres à un aspect donné des soins infirmiers qui, lorsqu’il est mobilisé en situation concrète, permet de faire appel à des habiletés cognitives, psychomotrices, organisationnelles et techniques et de manifester des comportements socioaffectifs adaptés. Le tout travaillant en synergie et rendant possible l’exercice infirmier à un niveau de performance compatible avec le rôle et les fonctions de l’infirmière »69. 69 http://www.infiressources.ca/fer/.../programme_ par_ compétence.pdf, Margot Phaneuf, le concept de compétence comme structurant du programme de formation en soins infirmiers, 16-09-04, p. consultée le 22 avril 2010 61 IVème partie : propositions Pour aborder le dernier volet de mon mémoire, il convient de rappeler que dans toute fonctio n soignante, il est de notre ressort et de notre devoir de « prendre soin » de l’autre. Entrer en relation avec celui qu’on accompagne nécessite d’instaurer un climat de confiance, d’être authentique, d’être disponible, d’assurer une présence bienveillante pour ensuite accueillir ses paroles, ses émotions, ses souffrances… « On ne soigne pas vraiment à distance du corps ni à distance du cœur…et pour bien tenir son rôle, le soignant doit se tenir proche du corps et présent à la personne qu’il soigne »70, nous dit Patrick Verspieren quand il préface le livre de Bernard Matray : La présence et le respect. Pourtant, il n’est pas toujours facile pour les professionnels de trouver la juste proximité avec le malade. Plusieurs paramètres entrent en jeu, nous l’avons vu tout au long de ce travail. Il paraît bien normal, face à des situations lourdes et parfois douloureuses d’être touché, de douter de l’efficacité de nos actions ; parce que la relation soignant-soigné comporte bien cette part d’affectivité. Plutôt que fuir devant le malade et/ou ses proches, ne vaut-il pas mieux chercher des solutions pour s’épanouir dans cette profession que nous choisissons le plus souvent et garantir l’enrichissement dont il peut-être responsable ? Dans cette quatrième partie, nous tenterons d’apporter des préconisations pour aider le soignant à évoluer, grandir dans sa fonction et y trouver tout le bénéfice imputable à lui-même et au patient. Aussi, nous voulions souligner que la formation continue, le travail sur soi sous la forme d’une supervision, l’instauration de groupes de paroles pourraient représenter des vecteurs intéressants pour l’amélioration du « prendre soin » à l’hôpital et par là même faciliter la quête de juste proximité dans la relation avec le patient. 1. La formation continue « Pour soigner et prendre soin, (…) il faut apprendre, encore apprendre et toujours apprendre et comprendre ce qu’on apprend. Il faut exprimer, développer, faire connaître, revendiquer et 70 Patrick Verspieren, in Bernard Matray, La présence et le respect, Desclée de Brouwer, Paris, 2004, p. 7 62 appliquer les « règles de l’art ». On apprend difficilement tout seul, il faut des gens (formés), des lieux, des temps, de l’estime réciproque pour apprendre… »71 Effectivement, pour réactualiser nos acquis, nos savoirs-faires et nos savoirs-êtres, pour améliorer nos compétences, la formation nous paraît importante. De plus elle est rendue obligatoire par le code de la santé publique relatif aux règles professionnelles dans l’article R.4311-10 : « pour garantir la qualité des soins qu’il dispense et la sécurité du patient, l’infirmier ou l’infirmière a le devoir d’actualiser et de perfectionner ses connaissances professionnelles ». La formation continue permet non seulement de mettre à jour nos connaissances mais aussi de confronter nos idées et nos pratiques avec d’autres professionnels venus d’unités différentes, de se remettre en question, d’encourager un questionnement sur des thèmes tels que la douleur, la mort…Les journées de formations apparaissent comme des moments d’échanges, de changement de rythme ; il n’est pas rare d’entendre lors d’échanges informels entre collègues : « je pars prendre l’air en formation ». En ce qui concerne le sujet qui nous intéresse plus particulièrement, nous aurions à proposer un plan de formation en relation d’aide et sur l’éthique soignante par exemple. Nous noterons ainsi que la formation continue contribue à une évolution des compétences et des connaissances. Elle permet d’apporter des éléments nouveaux pour agrémenter plus particulièrement notre savoir et notre « savoir-faire ». 2. La connaissance de soi ou supervision Comme nous avons pu le souligner précédemment, pour bien « prendre soin de l’autre », il faut aussi se préoccuper de soi : « prendre soin de soi ». Il ne suffit pas de se divertir, de penser à autre chose qu’au travail, pour cela. Il convient par contre de s’occuper de notre santé physique et aussi de notre vie intérieure. Il me semble que la connaissance de soi à l’aide d’une supervision ou « coaching » par exemple contribue à une prise de conscience et à l’évolution de notre pratique. Nous disions dans la partie discussion de ce travail que pour écouter et entendre les émotions d’un patient, il était important d’accepter d’interroger nos propres affects, de les reconnaître et de les comprendre. Ce choix d’accompagnement pour soi-même peut être bénéfique non seulement sur le plan professionnel mais aussi personnel. 71 Yves gineste et Jérôme Pellisier, Op.Cit., p.13 63 En effet, « utiliser la connaissance de soi pour accompagner, c’est : - Trouver la distance ajustée dans chaque relation (se protéger en restant aidant) - Permettre l’évolution de son idéal de soignant, par exemple : se situer par rapport à son impuissance à guérir… - Trouver un sens à sa pratique - Permettre l’émergence d’une qualité de présence et d’écoute - Trouver une cohérence dans sa manière d’être autant dans sa vie professionnelle que dans sa vie privée - Alimenter un équilibre de vie et renforcer l’estime de soi. »72. L’ouvrage de la SFAP, L’infirmier(e) et les soins palliatifs, décrit par ailleurs, le travail sur soi comme « un engagement dans un processus de connaissance de soi par rapport à une histoire de vie, un héritage culturel, un héritage familial, la relation à soi. C’est écouter ce qui se dit en soi au niveau de ses ressentis, émotions, besoins, désirs, peurs. »73. Enfin, l’association romande des superviseurs décrit la supervision comme un moyen qui « stimule le développement professionnel et personnel et amène le supervisé à s’interroger sur ses attitudes, ses paroles, ses perceptions, ses émotions et ses actions. Elle vise à développer la lucidité ; elle aide à prendre de la distance et donc à mieux gérer des situations complexes. Elle favorise l’intégration de l’expérience et l’intégration des apports théoriques »74. La supervision peut s’adresser non seulement à des personnes mais aussi à des groupes et des équipes. 3. Le groupe de parole et l’analyse de pratique infirmière. a) Le groupe de parole Le groupe de parole est défini comme un espace-temps de partage et d’échange en équipe. Il est le plus souvent mis en place sur une demande des soignants quand des difficultés sont ressenties au sein de l’équipe. Plusieurs thèmes peuvent y être abordés puisqu’il s’agit pour les sujets présents volontaires de s’exprimer librement sur leurs ressentis face à certaines prises en charge apparaissant comme lourdes ou douloureuses pour eux. 72 SFAP, l’infirmière en soins palliatifs, p.66 Ibid SFAP, p.64 74 http://www.superviseurs.ch/definitions.htm, p. consultée le 24 avril 2010 73 64 Il a notamment comme objectif d’exprimer et de décrypter les émotions qui surgissent chez les individus soignants, observer les mécanismes de défenses que ceux-ci mettent en place pour ne pas s’épuiser dans telle ou telle situation. Son but est aussi celui de favoriser la communication entre les différents membres du groupe, de leur permettre de se déculpabiliser par rapport aux insuccès possibles des soins apportés au malade et de ne pas rester dans l’isolement dans ce sentiment d’échec. La mise en place d’un tel espace d’expression nécessite la présence d’un intervenant extérieur ayant la fonction d’animateur. Ce dernier doit être diplômé et avoir des « compétences en psychologie lui permettant la maîtrise d’outils facilitant la compréhension ; l’écoute et l’observation indispensables pour décoder la parole… »75. Le groupe de parole doit détenir un cadre, c'est-à-dire qu’un lieu fixe, un moment défini préalablement, la fréquence des rencontres et la durée des séances doivent être clairement définis. Il convient de préciser que le groupe de parole a ses limites. Il n’est en rien un espace de règlement des conflits, il n’est pas non plus un lieu où nous trouvons des solutions d’ordre institutionnelles, organisationnelles et personnelles. D’autre part, il « ne fait pas totalement disparaître la souffrance (…) des participants mais plutôt un lieu pour (re)prendre de la distance et regarder les difficultés autrement »76. b) L’analyse de pratique infirmière Pour Margot Phaneuf, « les exigences professionnelles nous obligent à jeter un regard critique sur notre agir afin de continuellement améliorer nos savoirs et nos savoir-faire, afin de parvenir à un savoir-être accompli »77. Pour elle, l’analyse des pratiques professionnelles est une « stratégie » qui permet d’évaluer nos façons de faire et de les améliorer. Il s’agit alors de former un groupe de travail et de réfléchir ensemble sur des cas cliniques donnés, des situations particulières pour observer, critiquer et améliorer les pratiques. Les 75 SFAP, Op.Cit., p.73 Ibid, SFAP, p.73 77 http://www.infiressources.ca/.../Analyses_des_ pratiques_ professionnelles.pdf, Margot Phaneuf, p. consultée le 26 avril 2010 76 65 objectifs sont aussi de tenter de résoudre des problèmes posés, de s’évaluer et de progresser dans le champ clinique. L’analyse de pratique peut se réaliser individuellement ou en groupe, sa périodicité peut être fixée régulièrement ou être mise en place ponctuellement suite à une situation particulièrement ardue, faisant appel à une réflexion immédiate en équipe. Les faits exposés seront alors précis, il s’agira d’observer ce qui n’a pas ou mal fonctionné, ce qu’il faut modifier dans l’action. L’animateur du groupe doit avoir reçu une formation supérieure en soins infirmiers. « La séance débute par l’exposé d’une situation clinique en favorisant la mise en mots des ressentis, perceptions, pensées et actions de chacun. La deuxième phase consiste à exploiter ces témoignages pour clarifier la problématique, dans le cadre d’une théorie, notamment en soins infirmiers ou applicables aux soins infirmiers. Cette réflexion conduit ensuite à valider un jugement clinique et à définir les pistes d’intervention »78. Enfin, « réfléchir sur nos pratiques permet de développer une pratique réfléchie qui fait non seulement appel à une prise de conscience de ce que nous faisons mais aussi à une prise en charge de notre cheminement professionnel » (Margot Phaneuf). Pour terminer, ces préconisations rassemblées permettent de travailler tant sur le savoir ou connaissances, sur le savoir-faire ainsi que le savoir-être. Ce sont autant d’outils qui peuvent être mis à la disposition du professionnel pour trouver un épanouissement professionnel et personnel dans l’accompagnement de la personne soignée. 78 SFAP, Op. Cit., p.73 66 Conclusion La relation de soin est bien une histoire de rencontre entre deux sujets qui ont un vécu singulier avec des valeurs, des besoins, des affects…Tout au long de ce contact si particulier, l’un d’eux (le patient) a besoin du concours de l’autre (le professionnel) pour retrouver son autonomie, la conserver, guérir de sa maladie, passer plus facilement une étape difficile de sa vie ou encore être accompagnée dignement jusqu’à sa mort. Même si les professionnels du soin choisissent leur métier, ils sont exposés à des situations parfois accablantes où il n’est pas toujours facile de trouver sa place. La difficulté de notre engagement n’est pas tant d’échouer quelquefois dans la réalisation de certains objectifs ou de se sentir démunis, frustrés : traiter ne signifie pas toujours guérir, soigner ne veut pas seulement dire faire des actes techniques mais prendre soin de celui qui souffre avec toute l’attention qu’il mérite. Ce qui peut paraitre déroutant pour le soignant, c’est de ne pas trouver la distance juste pour apaiser, réconforter, répondre aux besoins du malade comme il se doit. Tout au long de ce mémoire j’ai tenté de comprendre pourquoi les soignants se retrouvent quelquefois dans la fuite relationnelle face au malade. Pour ce faire, j’ai interrogé ma propre expérience, je me suis enrichie de recherches, de lectures d’auteurs divers, j’ai interviewé des collègues…J’ai beaucoup appris. Pour prendre un patient en charge avec qualité, il me parait primordial d’apprendre à le connaître, d’être attentif à ce qu’il veut ou peut exprimer, d’écouter ce dont il a besoin, et de ne pas décider pour lui. Notre accompagnement doit se faire dans le plus grand respect de tous ces éléments de connaissance sur le patient et aussi doit proposer une présence rassurante ainsi qu’un réel soutien pour le malade et ses proches. Pour illustrer mes propos, je citerai la définition que Patrick Verspieren donne de l’accompagnement. Pour lui, « Accompagner quelqu’un, ce n’est pas le précéder, lui indiquer la route, lui imposer un itinéraire, ni même connaître la direction qu’il va prendre; mais c’est marcher à ses côtés en le laissant libre de choisir son chemin et le rythme de son pas »79. Pour accompagner il faut donc être présent, disponible, accueillir les sentiments…Et surtout respecter, même un refus. L’important c’est d’être là. 79 Verspieren Patrick, Face à celui qui meurt, Desclée de Brouwer, Paris, 1984, P.183 67 Reconnaître, observer, entendre, interroger, écouter les émotions, les questions, les douleurs pour tenter de soulager, satisfaire les besoins du patient et le rendre le plus confortable possible : telles sont les exigences d’un cheminement de qualité. Pour que la relation soit riche et espérer un « prendre de soin » de qualité, il paraît nécessaire de créer un lien entre les partenaires et instaurer de la confiance. Il me semble que pour gagner la confiance du malade, nous pouvons choisir de nous investir dans la relation avec lui, être en proximité et ne pas craindre de se laisser envahir. Nous l’avons vu, les évolutions de la médecine, la part de technicité dans les unités de soins, nous poussent vers une conception du patient comme « corps objet » (termes empreintés à Walter Hesbeen) et non plus comme « corps sujet ». Cette conception du « prendre de soin » ne semble pas pertinente. C’est pourquoi il convient de réfléchir à l’essence même qui engage le « prendre soin ». Il convient aussi de se questionner sur le sens du Soin et de le penser. Evoquer le « prendre soin » dans la relation d’accompagnement revient nécessairement à évoquer la présence bienveillante du soignant auprès du patient, la disponibilité, la sollicitude le respect et l’authenticité. D’ailleurs Justine Conquérant 80, cadre supérieure infirmière écrit que « la pratique soignante est exigeante, elle réclame une attitude authentiquement et généreusement humaine… ». Elle ajoute d’autre part que « soigner est une activité qui rétablit la personne soignée et le soignant dans sa pleine dignité d’homme ». Etre infirmière peut être source d’épanouissement personnel et professionnel au-delà d’un simple métier pour celui qui intègre la relation de soin comme une implication personnelle et un engagement de notre humanité. Accepter d’être touché dans la présence à l’autre revient à dire que le soignant, parce qu’il est humain et pas seulement un professionnel, ressent des émotions qui méritent d’être écoutées, entendues, interrogées. Nous l’avons constaté au décours de ce mémoire : c’est au prix de la connaissance de soi, de la remise en cause, de la réactualisation et de l’évolution de ses connaissances et par la même de ses compétences que le soignant pourra continuer à grandir, à évoluer pour apporter une aide précieuse et efficace au malade. D’autre part, il convient de dire qu’ « en travaillant ensemble et en réunissant nos richesses, nous pouvons accomplir de grandes choses » (Ronald Reagan). Paul Ricoeur nous rappelle par l’idée qu’il se fait de la sollicitude que non seulement la proximité dans le « prendre soin » implique de porter une attention particulière à 80 Dans un article « vers une « bonne » pratique soignante » publié dans médecine palliative 68 l’autre pour lui venir en aide, mais aussi que cet autre puisse m’apprendre, me donner quelque chose dont je pourrai en tirer des leçons. Le partage en équipe apparaît aussi comme une ressource précieuse. « Enrichissons-nous de nos différences mutuelles » disait Paul Valéry. Il est vrai que rassembler nos compétences et nos expériences, interroger nos pratiques, confronter nos affects pour prendre soin de soi mais aussi les uns des autres apparaît comme une stratégie particulièrement intéressante mise au service du malade que nous accompagnons et de ses proches. Le bilan de tout ce travail de recherche et d’observation me force à constater que la relation de soin est riche d’enseignements, que la quête de la juste proximité à l’autre n’est jamais terminée, elle se situe au centre d’ajustements permanents, parce que chaque personne est unique. Présence, proximité respect, « prendre soin »… autant d’éléments qui sont au cœur de l’éthique du soin. D’ailleurs « l’éthique des soins d’accompagnement n’est pas l’application d’un code. Elle est une visée, une recherche de la relation juste. Elle est une tâche pour reconnaître le malade dans son altérité et être reconnu, réciproquement, dans son identité soignante »81. Arrivée au terme de cette aventure qu’est l’écriture de mon mémoire de fin d’études en Diplôme universitaire en soins palliatifs et accompagnement, je me sens enrichie de tant de lectures, de questionnements. Ce chemin empreinté sur la voie de la réalisation professionnelle et personnelle m’apparait comme une direction à poursuivre dans ma conception du soin, de la relation à l’autre et de l’engagement passionnant qu’est l’accompagnement, l’apaisement du patient et la relation d’aide. Pour conclure, « J’ai bien compris qu’il n’est pas de bonnes conduites sans justes pratiques, et que la « bonne distance » n’est acceptable que pour autant qu’on soit soucieux de la « bonne présence » indispensable à un soin juste »82. 81 82 Patrick Verspieren, in Bernard Matray, La présence et le respect, Desclée de Brouwer, Paris, 2004, p.20 Emmanuel Hirsch, Op. Cit.,p.20 69