La Compagnie de Jésus L’Ordre des jésuites Par Charles Delhez sj Aumônier de l’Université de Namur 1 t renouvellemen A l’occasion du tre t réciproque en de l’engagemen Compagnie, l’UNamur et la ier 2014, signé le 7 févr nérale. l’Assemblée gé en présence de La Compagnie de Jésus L’Ordre des jésuites Par Charles Delhez sj Aumônier de l’Université de Namur Couverture : Saint Ignace de Loyola (1491-1556), Fondateur de la Compagnie de Jésus (1540). Peinture sur cuivre ( 9,3 x 7,2 cm). Dans le bureau du Provincial de Belgique méridionale et Luxembourg, à Bruxelles. 2 3 L’Ordre des jésuites Tout a commencé à l’université de Paris. Ils étaient sept étudiants de nationalités différentes, le noyau initial étant Ignace de Loyola, Pierre Favre et François Xavier1. Voilà déjà quelques années qu’ils s’étaient rencontrés et vivaient une amitié spirituelle. Le 15 août 1534, sur la butte de Montmartre, ils font vœu d’aller à Jérusalem et, si le projet échoue, de se mettre à la disposition du Pape pour annoncer l’Évangile n’importe où dans le monde. Tous les trois “saints”, Pierre Favre ayant été proclamé tel par le Pape François le 17 décembre 2013. 1 4 5 De Paris à Rome Ce sont les premiers jésuites. Ils ne partiront jamais à Jérusalem : la guerre avec les Turcs rendait toute traversée impossible. En 1538, ils s’offrent donc au Pape qui très tôt les envoie en mission un peu partout. Le roi de Portugal en demande pour les Indes, et celui d’Espagne pour l’Amérique. Le groupe allait donc éclater. Ne fallait-il pas garder des liens entre eux, fonder une nouvelle famille religieuse ? Ils hésitent. Ils mènent une réflexion de plusieurs mois, priant ensemble, échangeant. Le 15 avril 1539, ils arrivent à une décision : pour rester unis dans la mission, ils feront vœu d’obéissance à l’un d’eux. Un nouvel Ordre religieux était né. Mano de San Ignacio de un cuadro de 1609 Encore fallait-il qu’il soit approuvé par le Pape. Ignace de Loyola, le rassembleur du groupe, fut chargé d’écrire la « formule » de cette « petite Compagnie de Jésus » et de la présenter au « Pontife romain ». Il s’agissait de rédiger l’équivalent de la Règle des anciens Ordres religieux, de former un « corps pour l’esprit », de souder l’union en vue d’un meilleur service. L’approbation ne vint pas sans peine. Il y avait trop de nouveautés dans cette règle et déjà tant d’Ordres religieux. Le 27 septembre 1540, cependant, le pape Paul III signait la Bulle Regimini militantis Ecclesiæ fondant officiellement la Compagnie de Jésus. Ce jour-là, à Rome, il n’y avait déjà plus que trois jésuites. L’idéal qui les avait rassemblés les avait aussitôt dispersés, mais en les gardant profondément unis. 6 7 Le fondateur Tout a donc commencé à Paris. Mais d’où vient ce petit bonhomme claudiquant qui a réussi à susciter une telle épopée ? Inigo Lopez est né en 1491 à Loyola, en un temps où une nouvelle culture se cherchait. Il mena une vie de gentilhomme de cour, rêvant de côtoyer les grands de ce monde. En 1521, tandis qu’il commandait la citadelle de Pampelune assiégée par une armée française, il fut grièvement blessé aux jambes par un boulet de canon. Les Français le ramenèrent au château de Loyola où il vécut une expérience intérieure de conversion radicale à l’Évangile de Jésus Christ. Sa quête spirituelle le conduira à Manrèse, non loin de Montserrat, où il mènera une vie intense de prière. Passant par Barcelone, Rome, Venise, il ira jusqu’à Jérusalem où il ne pourra rester. De retour au pays, il se décidera à étudier dans les universités. Il voulait en effet se former à la culture du temps pour mieux « aider les âmes ». Après Alcala et Salamanque, où il eut des ennuis avec l’Inquisition, il partit pour l’université de Paris, « chaudron de la Renaissance » (Lacouture). Le 2 février 1528, il franchissait les hautes murailles de la ville par la porte Saint-Jacques. C’est dans cette ville qu’il rencontrera Pierre, François et les quatre autres avec lesquels, le 15 août 1534, il gravissait la butte de Montmartre avec quelques compagnons pour y sceller leur engagement. Ayant obtenu le diplôme de Maître à la Faculté des Arts, Ignace retournera quelques mois au pays avant de rejoindre ses compagnons, plus nombreux déjà, en Italie. Une histoire contrastée Quand, en 1556, le 31 juillet, Ignace, devenu le premier « Préposé général » s’éteint dans sa petite chambre de Rome où, depuis 1541, il dirige la « Compagnie de Jésus », les jésuites sont déjà au nombre de mille, dispersés aux quatre coins de la planète. François Xavier, compagnon de la première heure, avait déjà parcouru l’Inde et le Japon à pied, mourant en 1552, aux portes de la Chine. Les Jésuites ou la gloire de Dieu Ed. Stock, 1990 La porte Saint-Jacques 8 9 Université Grégorienne En 1548, à la demande instante du Vice-Roi de Sicile, saint Ignace accepte de fonder, à Messine, un collège pour former des jeunes qui ne se destinaient pas à entrer dans l’Ordre. Cet établissement, véritable laboratoire pédagogique, fut le point de départ de nombreuses autres institutions d’enseignement qui ont fait la notoriété des jésuites, même si l’activité de la Compagnie ne se résume pas à eux. En 1550 était fondé le Collège Romain qui prendra un jour le nom d’Université Grégorienne. L’augmentation du nombre de collèges fut rapide. En 1556, on en comptait déjà 45 et en 1580, 144. Leur expérience fut mise en commun et ensuite codifiée en une sorte de charte de l’éducation, le Ratio Studiorum (voir p. 27). Matteo Ricci L’histoire de l’Ordre fut parfois mouvementée. Ainsi, l’astronome Matteo Ricci fut-il introduit à la cour impériale chinoise en 1601, permettant une rencontre inédite entre les cultures chinoise et européenne ; l’expérience des rites chinois initiée par lui fut cependant interrompue par Rome en 1715, entraînant la proscription du christianisme dans l’empire. Quant aux célèbres réductions du Paraguay, « le triomphe de l’humanité » (Voltaire), elles rassemblèrent en des villages communautaires, dès 1609, les Indiens guaranis menacés par les appétits des colons ; elles seront écrasées en 1750 par les Espagnols et les Portugais. En 1773, le pape Clément XIV, sous l’influence des cours du Portugal, d’Espagne et de France, supprimait l’Ordre des jésuites ; celui-ci sera rétabli en 1814 par un autre pape, Pie VII, inaugurant deux siècles à nouveau bien troublés… On se souviendra de ces jésuites en délicatesse avec Rome, ainsi le scientifique Teilhard de Chardin, pionnier dans le dialogue science-foi, ou le théologien Henri de Lubac, un des inspirateurs du Concile. 10 Pontificia Universitas Gregoriana 11 Une histoire qui ne fut pas sans ambiguïté, même dans ses heures de gloire. La suppression de la Compagnie s’explique aussi par son imbrication trop grande dans la sphère du pouvoir. Que l’on se souvienne des jésuites confesseurs des rois de France. Quant au 19e siècle, il a vu la Compagnie se situer davantage dans un esprit de restauration, donnant ainsi de ses membres l’image de gardiens du passé plus que de pionniers d’avenir. Le dense réseau de collèges couvrant toute l’Europe, réputé à l’origine pour son ouverture à tous par la gratuité de l’enseignement, a situé l’Ordre du côté de la bourgeoisie et de l’aristocratie et ne l’a pas mis à l’abri d’un certain élitisme. Pedro Arrupe 12 De nombreuses universités © BUMP La seconde moitié du XXe siècle a opéré, non sans tensions, un tournant, notamment grâce au Père Pedro Arrupe et à la 32e Congrégation Générale qui a fait du service de la foi et de la promotion de la justice les deux lignes maîtresses indissociables de l’action des jésuites. En octobre 1981, le pape Jean-Paul II, inquiet à propos de l’évolution des jésuites sous le père Pedro Arrupe, intervint dans le fonctionnement normal de l’Ordre en nommant un délégué à sa tête. En septembre 1983, la Congrégation Générale reçut l’autorisation d’élire un nouveau préposé général, le père Peter-Hans Kolvenbach. Le père Adolfo Nicolás, 29e successeur de saint Ignace de Loyola, élu le 19 janvier 2008, est l’actuel supérieur général de la Compagnie. C’est en 1610 que les jésuites sont arrivés à Namur, y fondant le collège NotreDame de la Paix. À la suppression de la Compagnie, cet établissement fut repris par la ville. L’actuel athénée en occupe les bâtiments. En 1831, les « bons pères » étaient de retour et ajoutaient à l’enseignement secondaire un cours universitaire2. Au long des siècles, en effet, de nombreuses universités ont été créées par la Compagnie de par le monde. Pour celles qui entendent conserver leur inspiration jésuite, les Pères Généraux ont précisé les caractéristiques et orientations propres : en faisant confiance à la raison humaine, former des personnes avec et pour les autres, dotées d’esprit critique, capables de discernement et d’innovation, respectueuses de la nature et des personnes, et animées par des valeurs, en particulier évangéliques, et soucieuses de la justice sociale. Dans ces communautés universitaires, laïcs et jésuites partagent le même projet, veillant à la profondeur de la pensée et de l’imagination, se mettant au service de la foi chrétienne et de la justice entre les hommes. Pendant 130 ans, la Compagnie assuma seule, ou presque, l’enseignement et la gestion de ces « Facultés universitaires NotreDame de la Paix ». Depuis un demi-siècle, les pouvoirs publics subventionnent les F.U.N.D.P., ce qui a contribué à leur expansion et permis à la Compagnie d’œuvrer en collaboration avec un nombre toujours plus important de laïcs dans l’enseignement, la recherche et la gestion de l’institution. En 1949, la Compagnie céda les droits de propriété à l’ASBL F.U.N.D.P, appelée maintenant « Université de Namur » (UNamur). Aujourd’hui, la Compagnie demeure le partenaire fondateur et le garant, avec les laïcs, de l’identité jésuite. 2 13 À Namur, dans la Charte promulguée le 17 mars 1993, la Compagnie et les F.U.N.D.P. s’accordaient pour reconnaître, maintenir et promouvoir le caractère jésuite de cette institution. En 2013, la Déclaration d’engagement réciproque entre la Compagnie et l’UNamur a été revue. Les deux partenaires ont décidé de poursuivre leur histoire commune et de collaborer, dans le respect de leur autonomie réciproque, à la réalisation des missions universitaires de l’institution telles que la Charte de l’Université les définit. La voie ignatienne La voie initiée par Ignace de Loyola est une recherche de Dieu en toute chose. Il n’y a donc pas à choisir entre le Créateur et les créatures : « Dieu seul, mais toutes les choses en Dieu ». Cet objectif est coulé dans une formule célèbre, la devise de l’Ordre : Ad maiorem Dei gloriam, Pour une gloire de Dieu toujours plus grande. Il ne s’agit cependant pas de faire l’impasse sur l’être humain. Au contraire. Saint Ignace hérite en effet de l’humanisme de la Renaissance, mais sans se couper de ses racines chrétiennes. La « règle ignatienne de l’agir », selon la maxime du jésuite hongrois Gábor Hevenesi (16561715)3, est tout aussi claire que paradoxale : Aie foi, comme si tout dépendait de toi et rien de Dieu ; agis, comme si tout dépendait de Dieu et rien de toi. Une liberté qui assume totalement sa responsabilité, mais devant Dieu. Dans ses « Scintillae Ignatianæ » (1705), recueil de propos qu’on attribua à Ignace de Loyola lui-même. Cette formule a été tirée de l’oubli par le jésuite français Gaston Fessard (1897-1978). 3 14 Façade Université de Namur 15 Une autre formule célèbre est celle d’un jeune jésuite flamand du XVIIe siècle. Hölderlin l’a placée en tête de son Hyperion : « Non coerceri a maximo, contineri tamen a minimo, divinum est. » L’on peut traduire : « Ne pas être enserré par le plus grand, être cependant contenu dans le plus petit, voilà qui est divin. » Aller dans le détail sans renoncer à l’universel ! Hölderlin Tous les jésuites seraient-ils du même moule ? L’histoire de l’Ordre ainsi que le portrait de chaque jésuite montrent à l’envi que la diversité – due aux personnes et aux situations – est leur point commun ! Tour à tour, et parfois simultanément, ils ont été traités de laxistes (ainsi par le grand Pascal), et de rigoristes. On les taxe de trop rigides, on les loue ou les critique pour leur souplesse ! Et pourtant, il y a un « air de famille », un style commun. Il vient sans doute de leur fondateur qui a moins enseigné une théorie qu’initié, par sa vie, une « manière de procéder », expression typiquement jésuite. Celle-ci tient compte des « circonstances de temps, de lieu et des personnes », selon le rappel si souvent présent sous la plume d’Ignace, notamment dans les Constitutions qu’il a minutieusement et patiemment écrites pour la Compagnie. La mission des jésuites aujourd’hui C’est lors des Congrégations générales que, à la lumière des signes des temps, la Compagnie redéfinit régulièrement sa mission. La dernière, la 35e de son histoire, a invité les jésuites à être des « ponts de compréhension et de dialogue4 ». Elle a confirmé leur engagement au service de la foi et de la promotion de la justice, dans le dialogue avec les cultures et les religions, aux frontières de nos sociétés. « La mondialisation, la technologie et les problèmes d’environnement ont remis en cause nos frontières traditionnelles et nous ont rendus plus conscients que nous portons une responsabilité commune pour le bien-être du monde entier et son développement durable et porteur de vie5.» « Le monde est notre maison », disait déjà le père Jérôme Nadal, proche collaborateur de saint Ignace. Les Jésuites n’appartiennent pas à la hiérarchie de l’Église. Par le vœu d’obéissance spéciale au pape « en ce qui concerne les missions », ils inscrivent la dimension universelle propre à l’évêque de Rome dans leur idéal de vie. Tout comme les autres religieux et religieuses, ils vivent en communauté, 4 Expression de Benoît XVI dans son discours à la 35e Congrégation Générale, le 21 février 2008. 5 35e Congrégation générale, 2008, Décret 2, 20. Pape François 16 17 non pas en marge de l’Église, mais en guetteurs, « aux frontières entre Évangile et culture, entre foi chrétienne et science, entre Église et société, entre la bonne nouvelle du christianisme et un monde troublé et bouleversé », déclarait le P. Kolvenbach, alors supérieur général, aux évêques rassemblés à Rome en 1985. Il y a, développait-il « une tension voulue par l’Esprit du Seigneur pour le bien de l’Église, entre les dons propres de l’Épiscopat et ceux propres de la vie religieuse ». Mais de préciser que c’est le même Esprit qui souffle « des deux côtés ». La Compagnie, fidèle à ses origines, s’est toujours voulue au service de l’Église catholique, avec une grande liberté, ce qui n’a pas toujours empêché certains excès de zèle ou d’indépendance. San Ignacio Miní Jesuit-Guarani mission Le “secret” des jésuites Si vous demandez à un jésuite le bien propre de son Ordre, il vous répondra sans hésiter : les Exercices spirituels. Ce livret est la traduction pédagogique de l’expérience spirituelle d’Ignace de Loyola, le chemin que celui-ci propose à qui s’interroge : Que vais-je faire de ma vie ? Pour répondre à cette question, le « retraitant » est invité à vivre une démarche de trente jours de solitude et de prière, accompagné par celui qui « donne les exercices ». 18 Tout jésuite fait au moins deux fois dans sa vie cette expérience : au cours de son noviciat et du « troisième an » de noviciat qui clôture sa formation. Ce temps de retraite va structurer sa vie spirituelle. Les Exercices sont un chemin de liberté. Le parcours débute par une considération fondamentale pour le croyant : L’être humain a vu le jour pour chanter Dieu, son créateur, le respecter et travailler à l’avènement de son Royaume d’amour. Ainsi réussira-t-il sa vie éternellement. Toute chose lui est donnée pour pouvoir poursuivre cette fin. Ainsi est-il appelé à une liberté totale, désirant et choisissant uniquement ce qui l’aide à poursuivre le voyage. De tout le reste, il veut se désencombrer. 19 L’expérience se poursuit par une relecture de sa vie passée et l’accueil d’un pardon qui remet en route. Au pied de la croix, la question se fait lancinante : « Que ferai-je pour toi, Seigneur, qui es mort pour moi ? » Comment vais-je renaître ? Pour trouver la réponse, il regarde du côté du Christ auquel il parle « comme un ami parle à son ami ». Petit à petit, au rythme des méditations évangéliques, l’appel se précise et une réponse va mûrir. Prenant alors sa vie en main, comme le Christ prit le pain et le rompit, le retraitant en fait offrande, quel qu’en soit le prix. Il a trouvé l’espérance de Dieu sur sa vie, sa « volonté ». s’adapter à tout humain qui cherche à orienter sa vie selon certaines valeurs7 , ainsi qu’aux groupes qui doivent prendre une décision communautaire dans l’écoute mutuelle. L’existence est en effet un tissu de décisions et certaines peuvent engager la vie tout entière. A la fin des trente jours, celui qui s’est donné au Christ peut vivre au cœur du monde, percevant, dans sa vie et autour de lui, les signes de l’amour indéfectible de Dieu. Il s’exclame : « Prends, Seigneur, et reçois toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté, tout ce que j’ai et possède. Tu me l’as donné : à toi je le rends. Tout est pour toi, fais-en ce que tu veux. Donne-moi seulement ton amour et ta grâce : voilà qui me suffit6. » Qui ne se pose la question de savoir ce qu’il va faire de sa vie ? Ignace de Loyola propose au chrétien de trouver la réponse en regardant le Christ et en s’offrant à lui. Cette dynamique spirituelle n’est donc pas réservée aux jésuites. Elle peut être vécue au cœur de la vie quotidienne et 6 20 Ibid., n° 234. Saint Ignace écrivant les Exercices 7 Ils peuvent être vécus soit en trente jours, dans un centre spirituel ignatien (ainsi à La Pairelle, Wépion), ou tout en continuant à mener sa vie professionnelle et familiale, grâce à un temps de prière quotidien et des rencontres régulières avec celui qui « donne les Exercices ». Le renouveau de la manière de « donner les Exercices » et l’élargissement du public sont caractéristiques des dernières décennies. 21 Casuistique Petit vocabulaire jésuite adapté à l’enseignement et à l’éducation 8 « Plus est en toi » A priori positif Ou : présupposé favorable. Aborder les choses, les personnes toujours avec un a priori positif. Ni naïveté, ni imprudence, mais accueil des autres, vision positive de la vie. Un parti pris de bienveillance. Le ressort de toute éducation est un réflexe d’accueil inconditionnel de la personne. A.M.D.G. Devise de l’Ordre des jésuites : Ad maiorem Dei gloriam. Un comparatif qui donne une dynamique : une gloire toujours plus grande ; un nom, celui de Dieu, qui offre un horizon toujours plus vaste. 8 22 Souvent qualifiée de « jésuite », elle est cet art d’appliquer les grands principes moraux universels, souvent en concurrence les uns avec les autres, aux actes concrets, aux situations particulières. Elle fut souvent dénigrée, car parfois réduite à un art de s’en sortir en sauvant les principes. Elle est cependant indispensable si l’on veut éviter que la morale ne devienne inhumaine. Il y a une règle générale, mais il y a toujours des histoires particulières. En pédagogie, il en va de même. Congrégation générale Organe législatif suprême de l’Ordre, chargé d’élire le Préposé général (ou Père général), ainsi que ses plus proches conseillers, et de leur donner des orientations. En font partie les délégués des différentes Provinces, élus par les congrégations provinciales, et, de droit, les provinciaux. La dernière, en 2008, fut la 35e depuis la fondation de la Compagnie. Contemplatif dans l’action La spiritualité ignatienne est une mystique de l’action, une rencontre de Dieu en toutes choses et au cœur même de l’agir, en toute action menée avec une « intention droite » et non selon des motivations intéressées. L’éducation jésuite tente d’initier les jeunes à un regard plus large que l’immédiat. Inspiré de http://www.ndj.edu.lb/jesuites/fadelsidarouss-3dimensions.htm 23 Cura personalis Bienveillance, respect, patience et attention à toute la personne : l’intelligence, la volonté, l’affectivité, la mémoire, le corps et les sens, la créativité… Chacun est unique et mérite d’être rejoint pour lui-même, là où il en est. Discernement Dans une situation donnée, face à un problème, devant l’urgence d’un engagement, chacun est traversé par des forces intellectuelles ou affectives le tirant en tous sens. Il s’agit de les trier et de juger clairement et sainement. Cela s’apprend. Dans une société de l’immédiateté, il importe de prendre de la distance, de se donner le temps de la réflexion, de pouvoir analyser avec rigueur tous les paramètres d’une situation. Excellence Dans la tradition éducative jésuite, le principe d’excellence – qui naît du « magis » (voir ce mot) – veut stimuler chacun à employer au maximum ses propres ressources, à aller en profondeur. Le P. Adolfo Nicolás, actuel supérieur général, insiste régulièrement sur la recherche en profondeur tant sur le plan spirituel et pastoral qu’intellectuel et théologique. Exercice Ce n’est pas le discours qui est au centre de la pédagogie, mais les exercices. Non multa, sed multum : ce n’est pas la quantité des matières vues qui forme, mais ce que l’on a touché en profondeur et que l’on a goûté de l’intérieur. 24 Il est donc plus utile de s’assurer des connaissances acquises au moyen d’exercices que d’avoir couvert le programme. Exercices spirituels Livret proposant un itinéraire de conversion et de discernement spirituel, rédigé par Ignace de Loyola et reprenant l’essentiel de son propre itinéraire (voir p.18, Le « secret » des jésuites). Méthode de retraite spirituelle de trente jours dans sa forme première, mais pouvant se vivre selon diverses formules. Son premier mot : L’homme. Le véritable objectif des Exercices spirituels n’est pas de se retirer du monde, mais au contraire de prendre de la hauteur « pour y retourner avec la certitude que c’est là, au cœur de la vie des hommes, que Dieu habite » (Jean-Marc Furnon). Dans les collèges et universités, les temps de « retraites » proposés aux élèves et aux étudiants s’en inspirent. Foi et justice L’éducation, quelle que soit la matière enseignée, vise l’adhésion à des valeurs, en l’occurrence évangéliques, au service de la justice. IHS Lettres au cœur du soleil, sigle ou logo de la Compagnie. Soit les trois premières lettres majuscules de Jésus, soit l’anagramme de Iesus Hominum Salvator, Jésus Sauveur des Hommes. La conviction des jésuites est qu’il y a, dans le message évangélique de Jésus et dans sa personne, une force libératrice pour notre humanité. 25 Inculturation Mot forgé par un jésuite belge, le père Pierre Charles, à la façon de incarnation (le Fils de Dieu s’est fait chair), et repris par la Compagnie lors de la 32e Congrégation Générale. Tout comme Jésus s’est fait homme dans une culture donnée, la culture juive, ainsi, par les chrétiens, le message évangélique doit pouvoir, à l’heure de la mondialisation, se dire dans le langage de toutes les cultures. Il y va de l’universalité de l’Évangile. La culture rencontrée offre à l’Évangile une nouvelle expression tout en se laissant transformer par lui. Liberté Moteur de l’existence, élan positif, elle permet la recherche du magis quand elle accepte de se désencombrer de tout ce qui l’entrave. Elle suppose une capacité de discernement et implique responsabilité et engagement. Magis « Davantage », « plus ». Chacun est habité par une force intérieure qui engendre le changement, la transformation, l’évolution, le renouvellement, la transfiguration. Toute personne est appelée à faire un pas, si petit soit-il, dans la mesure de ses possibilités, à se remettre en question, à faire de nouveaux choix, à entreprendre de nouveaux projets, à ouvrir de nouveaux horizons, et cela indéfiniment et sans limite. Le dynamisme de la vie la pousse à se dépasser, à ne pas se contenter du déjà vu, du déjà fait, du déjà vécu, du prêtà-penser, à n’accepter ni l’habitude, ni la morne répétition, ni la routine. 26 Père Adolfo Nicolás, Préposé Général de la Compagnie de Jésus Père Général Le Préposé Général de la Compagnie de Jésus est élu à vie (mais une démission est aujourd’hui possible) par les délégués des différentes Provinces – régions géographiques ayant un Provincial à leur tête. Ces délégués sont eux-mêmes élus lors des congrégations provinciales en vue de la Congrégation Générale (p.23), organe législatif suprême de l’Ordre, qui élira le nouveau supérieur ainsi que ses conseillers. Ratio studiorum En français : plan des études. Document qui définit les fondements du système éducatif jésuite, paru en 1598. Son titre complet : Ratio atque Institutio Studiorum Societatis Iesu. Elle est le fruit d’une évaluation systématique des expériences pédagogiques menées au sein des différents collèges. Le Collège Romain, qui était à l’époque le collège jésuite de Rome, en fut la plaque tournante et l’a mis en forme. Il a marqué l’histoire de la pédagogie. Par l’importance accordée aux activités d’entraînement des élèves, par l’insistance mise sur leur liberté d’appropriation du savoir, par sa conception de l’enseignant comme « directeur d’étude », la Ratio laisse apercevoir son lien intime avec les Exercices spirituels. 27 Relecture La relecture du vécu, élément clé de la pédagogie et de la spiritualité ignatiennes, invite à prendre distance pour reconsidérer ce qui a été vécu. Relire l’expérience, relire le chemin parcouru, relire nos réactions et nos méthodes pour en percevoir le sens, en corriger la trajectoire et, pour le croyant, y discerner le « passage de Dieu ». Sentire cum Ecclesia Sentir avec l’Église. Ignace de Loyola a toujours voulu que les jésuites n’agissent pas en francs-tireurs, mais en communion avec l’Église universelle. Dans l’enseignement, universitaire notamment, les instituts jésuites entretiennent le dialogue avec l’Église dont ils font partie. Bibliographie Albert Longchamps, Petite vie de Ignace de Loyola, Paris, DDB, 1989 Service Le capital humain, relationnel, intellectuel, spirituel que chacun porte en lui ne peut se vivre simplement pour soi. Chacun est invité à l’engagement au service des autres et dans la société, dans la solidarité. En todo amar y servir, en tout aimer et servir, répétait Ignace de Loyola Philippe Lécrivain, Les missions jésuites, Paris, Gallimard, 1991. François Sureau, Inigo, Paris, Gallimard, 2010 (Folio 5345) Ignace de Loyola, Le récit du pèlerin, Paris/Namur, Salvator/Fidélité, 2010 Jean-Claude Dhôtel, Qui es-tu Ignace de Loyola ? Paris/Namur, Vie Chrétienne/Fidélité. Petite bibliothèque jésuite, Bruxelles, Éditions Lessius, 6 titres parus. Jean Lacouture, Jésuites (1. Les Conquérants ; 2. Les Revenants), Paris, Seuil, 1991-1992. 28 29 Table des matières 30 L’Ordre des jésuites 5 De Paris à Rome 6 Le fondateur 8 Une histoire contrastée 9 De nombreuses universités 13 La voie ignatienne 14 La mission des jésuites aujourd’hui 17 Le “secret” des jésuites 18 Petit vocabulaire jésuite adapté à l’enseignement et à l’éducation 22 Bibliographie 29 31 32 Imprimé mars 2014 - Graphisme : L. Anciaux - Crédits photos : Wikipédia, Bump