La première résistance - Le camouflage des armes

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UNE RÉSISTANCE MÉCONNUE
La Résistance militaire est constituée, pendant la période 1940-1942,
par les services spéciaux et par le camouflage du matériel. Ce livre relate
l’histoire du CDM, le service du camouflage du matériel militaire.
Or ce réseau n’est connu que de quelques initiés, car il a été monté par
des militaires qui, après la guerre, étaient soumis à l’obligation de réserve,
pendant que d’autres étaient en service outre-mer.
Et pourtant il a été le premier réseau de la Résistance. Ses premiers actes
datent de juin 1940, donc remontent très tôt dans le temps. Il a été également l’un des plus importants par le nombre. En un mot, il a été l’un des
principaux réseaux de la Résistance.
Il a caché des milliers de tonnes de matériel militaire français dans les
circonstances les plus rocambolesques, parfois héroïques, toujours courageuses.
Il a fait appel à toutes les couches de la population qui ont ainsi participé à son action. Même après l’invasion allemande, il a continué à trouver des volontaires pour cacher des armes, alors qu’ils risquaient leur vie et
celle de leur famille.
Il n’est que temps de sortir son action de l’oubli, car vraiment elle le
mérite. Et lorsque le colonel Rémy écrit : « La forme particulière des actions
des camoufleurs du matériel fit qu’auprès d’elles paraissent bien pâles les romans
d’aventures et autres westerns si populaires à l’écran ; leur épopée a le mérite
d’être vraie », il est tout à fait dans la réalité historique.
Sources
La rédaction de ce livre a demandé des travaux de recherche considérables, tant pour découvrir des documents écrits peu après la Libération
que pour recueillir le témoignage des rares survivants.
user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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LA PREMIÈRE RÉSISTANCE : LE CAMOUFLAGE DES ARMES
Tous ont été formels, il ne s’est jamais agi de la cache de quelques fusils
et de quelques pistolets, mais d’une organisation très structurée aux multiples ramifications.
Il restait alors à explorer les archives officielles jusque-là peu exploitées.
Il s’est agi, au Service historique de l’armée de terre (aujourd’hui SHD), des
archives du matériel, des commissions de contrôle, de la délégation supérieure à l’armistice, des unités militaires et des régions.
Puis il a fallu explorer toutes les archives secrètes de la gendarmerie
(classées R 4) pour l’ancienne zone libre, dont une large partie a disparu,
brûlée, déchirée, voire pillée. Néanmoins, beaucoup de faits inédits ont pu
ainsi être mis à jour.
Ensuite l’analyse des archives régionales et départementales a permis de
faire la lumière sur la réalité des déclarations d’armes après l’invasion allemande.
L’étude des procès des généraux Bridoux et Delmotte a permis de
retrouver des documents, des témoignages et des analyses qui, curieusement, sont rarement mentionnés…
Bien sûr, les témoignages collectés par le Hoover Institute après la
guerre, dans les années cinquante, ont le mérite d’avoir été recueillis alors
que la mémoire des principaux acteurs était encore fraîche. Ils comportent
de ce fait des éléments intéressants.
Mais surtout, d’une façon générale, l’étude des archives allemandes a
permis de retrouver des documents que tout le monde cherchait depuis
cinquante ans : il s’agit de la note du général Picquendar portant création
des groupes mobiles de mobilisation. Les relations qui en étaient faites
n’étant pas toujours concordantes, certains en venaient même à douter de
son existence. Les documents allemands sur le CDM, au nombre de trois,
permettent de mesurer la connaissance réelle que les Allemands avaient de
ce réseau. Et comme leurs rapports sont plus élogieux que les relations qui
en ont été faites jusqu’ici par les historiens français moins informés, on
aura plutôt tendance à les croire.
Enfin l’ouverture des archives officielles a permis de recadrer le rôle de
chacun.
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user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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PREMIÈRE PARTIE
LE CAMOUFLAGE
MALGRÉ L’ARMISTICE
(JUIN 1940 – NOVEMBRE 1942)
user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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CHAPITRE I
LA DÉFAITE
Suite à l’agression de la Pologne par l’Allemagne, la France, conformément à ses engagements internationaux, déclare la guerre à l’Allemagne le
3 septembre 1939. Aussitôt, elle mobilise et envoie ses régiments se masser à la frontière. C’est ainsi que le 134e régiment d’infanterie (RI) d’Autun est envoyé dans la Sarre. En fait, le 134e RI est envoyé le
23 août 1939 1, c’est-à-dire dès l’annonce du pacte germano-soviétique.
Les autorités françaises savent donc que la guerre est imminente. Les
troupes françaises pénètrent en Sarre de quelques kilomètres, huit exactement. La Pologne est alors rayée de la carte et partagée entre l’Allemagne
nazie et la Russie soviétique, conformément au pacte germano-soviétique.
Les combats s’arrêtent le 15 septembre 1939 et ne donnent plus lieu qu’à
des coups de main sporadiques de part et d’autre. Roland Dorgelès, le célèbre écrivain combattant de la Grande Guerre, appellera cette période « la
drôle de guerre », nom qui lui restera.
Que se passe-t-il ? L’armée française est la première armée du monde,
elle ne devrait faire qu’une bouchée de l’armée allemande qui est en face
d’elle. Ce n’est qu’un rideau de troupes, les principales unités étant en
Pologne ; il y a toutefois dix-sept divisions plus ou moins complètes. Ces
troupes allemandes sont massées certes derrière le Westwall que les Français appellent la ligne Siegfried. Mais celle-ci n’est pas terminée et ne saurait être comparée à la ligne Maginot qui est bien équipée par des ouvrages
qui s’épaulent entre eux. Elle est continue du Rhin jusqu’aux Ardennes,
c’est-à-dire jusqu’à la frontière avec la Belgique et le Luxembourg, pays
neutres, donc en principe il n’y a pas de risque de ce côté-là.
user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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LA PREMIÈRE RÉSISTANCE : LE CAMOUFLAGE DES ARMES
Pour ne pas créer de susceptibilités en Belgique, les Français n’ont en
effet pas prolongé la ligne Maginot jusqu’à la mer du Nord. La Belgique,
après la mort du roi Albert 1er, le roi soldat, héros de la guerre de 1914,
avait proclamé sa neutralité et dénoncé en 1936 le traité militaire francobelge. Elle pensait que cela lui suffirait pour être tenue à l’écart de tout
éventuel conflit dans le futur…
L’équipement de l’armée
Et bien ! La réalité est triste à dire, mais la France n’est pas prête, son
armement est en grande partie obsolète, c’est celui de la Grande Guerre.
Certes c’est celui qui nous a donné la victoire, mais les temps ont changé.
La mécanisation est apparue, l’aviation a fait d’énormes progrès. Il faut
tout de même se souvenir que dès le début des années 1920, le général
Étienne, père des blindés, avait conçu ce que l’on appellera plus tard « la
famille d’engins », c’est-à-dire des engins dérivés pour l’artillerie, le génie…
à partir d’un même châssis de char.
Et oui ! La conception du char poseur de pont date de cette époque,
l’engin de base était le char Renault FT 17, souple, robuste et maniable qui
sera produit à plus de cinq mille exemplaires 2.
Il ne faut pas oublier que la bataille de Verdun a été gagnée certes par
le courage de nos poilus, dont on ne soulignera jamais assez l’héroïsme ; « ils
ont tenus » est bien la phrase qui est restée dans la mémoire populaire, et
pour cause. Mais les Allemands estiment que leurs soldats étaient tout aussi
valeureux que les Français et que, par contre, grâce au canon de 75 plus
mobile que le leur, notre artillerie a permis d’emporter la décision.
Qu’en est-il donc de l’artillerie ? La situation n’est pas brillante.
Certes nous avons toujours le canon de 75 modèle 1897 qui a fait la
force de l’armée française dans la Grande Guerre.
Mais revenons à l’artillerie en 1940. En artillerie de moyen calibre, il
faut attendre 1934 pour voir apparaître un canon de 105 court et 1936
pour un canon de 105 long. Autant dire qu’en 1939, la plupart des unités
n’en étaient pas équipées. Du reste, une partie de ces canons avaient été
commandés prioritairement par la Roumanie et n’étaient toujours pas totalement livrés en 1940. C’est ainsi qu’ils furent réquisitionnés en 1940, où
pour reconstituer les unités, on prenait tout le matériel disponible. Ils firent
merveille à Voreppe, en Isère, en juin 1940, contre les panzers allemands.
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user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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CHAPITRE I : LA DÉFAITE
Et là on mesure l’un des drames de cette époque : on fait des prototypes, on les affine, on les peaufine, à croire que dans chaque ingénieur
d’armement il y a un compagnon du devoir qui sommeille. Et puis, après,
plus rien…
Cette analyse ne serait pas complète, si l’on ne mentionnait pas le fait
que les crédits n’étant pas débloqués pour faire une production en série, il
ne reste plus qu’à affiner le prototype, ce qui donne l’impression de faire
œuvre utile.
Pour l’artillerie lourde de calibre 155, on modernise le canon de 155
modèle 16 en remplaçant ses essieux à deux roues avec bandage par des
boggies à quatre roues avec pneumatiques, et surtout on remplace l’affût
unique par un affût biflèche.
Mais entre-temps, deux types d’artillerie se sont développés : l’artillerie
antiaérienne et l’artillerie antichar.
Là aussi, nous avions d’excellents prototypes, l’antichar de 25 et celui
de 47. Celui de 47 ne sera mis au point qu’en 1937. Les unités qui en
seront équipées feront « des cartons » sur les blindés allemands. Il avait en
effet un obus en acier au carbure de tungstène qui perforait tous les blindés allemands, mais toutes les unités n’en étaient pas équipées. Mais surtout il devait être utilisé avec une traction hippomobile et non automobile,
ce qui ne permit pas aux unités qui en disposaient de donner à ce canon
toute son efficacité.
Seules quarante-sept divisions sur les cinquante-huit d’infanterie disposaient en 1940 de leur armement antichar complet – et encore il s’agissait
essentiellement du canon de 25 – et trois divisions n’en avaient aucun…
Dans le domaine de l’artillerie antiaérienne, le problème est le même.
Certes nous disposons d’un excellent canon de 25 et d’un 75 antiaérien
performant, mais là aussi la confidence est de rigueur. Et lorsque les Stuka
attaqueront en piqué, nous n’aurons à leur opposer que les armes collectives d’infanterie sans bipied adéquat la plupart du temps. Et dans ces
conditions, lorsque des avions allemands seront abattus, cela tiendra de la
chance ou de la providence.
Mais du côté des chars, dira-t-on, nous en avions bien autant de
modernes que les Allemands ? Oui, à peu de chose près, nous avions bien
le même nombre de chars modernes. Les historiens s’accordent sur le chiffre de mille deux cents chars modernes de part et d’autre, avec un léger
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user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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LA PREMIÈRE RÉSISTANCE : LE CAMOUFLAGE DES ARMES
avantage pour la France. Les Panzer I et II étaient largement surclassés par
les Somua S 35 et les Hotchkiss 35 et 39. Le B1 bis avec son canon fixe de
75 et son canon de 47 en tourelle n’avait pas d’équivalent côté allemand.
C’était « le meilleur char du monde », disait-on.
Alors que s’est-il passé ? Comment se fait-il que si les Allemands ont
été arrêtés à Gembloux, en Belgique, et à Abbeville, sur la Somme, ils
n’aient jamais subi de défaite et que jamais ils n’ont reculé ?
Le témoignage du général Requin
Le général Requin, commandant la 4e armée, écrit :
« Quant à l’emploi des chars, notre erreur est de n’avoir pas cru aux possibilités que présentaient ceux-ci. On savait ce que faisaient les Allemands. On
savait par les écrits de leur spécialiste Guderian l’emploi qu’ils en escomptaient.
Nous n’en avons pas tiré les conséquences au double point de vue :
– du nombre des armes antichars ;
– du nombre des chars et des divisions blindées. »
Il aurait pu ajouter les écrits du colonel de Gaulle, mais continuons la
narration :
« Notre fabrication tombée à rien au moment des troubles sociaux de 1936,
est restée très faible et souvent à l’état d’échantillons. Nous avions cinq bataillons
de gros chars B et D dont nous n’avions jamais fait l’expérience en grand aux
manœuvres. Aucun des chefs de nos divisions cuirassées n’a commandé un
bataillon complet de char B. Les manœuvres de division cuirassée qui devaient
avoir lieu en 1937, sous mon commandement, ont été remises, le matériel
n’étant pas sorti. Des usines comme Saint-Chamond faisaient deux chars par
mois alors qu’elle aurait pu en faire quinze à l’époque où les fabrications ont
le mieux donné. On faisait dix à douze chars B1 Bis dans toute la France.
Notre canon de 37 (modèle 1918) est insuffisant, celui de 37-38 est bon
mais on n’a fait que des échantillons…
En outre nos chars manquaient de moyens de transmission et de moyens de
ravitaillement.
Les moteurs étaient insuffisants. On n’a pas commandé aux constructeurs
et exigé d’eux ce qu’il aurait fallu. C’est toujours la crise d’autorité qui sévissait. Nos pièces de rechange étaient compliquées, parce que l’on n’a pas vu simple parce que l’on a perdu des années à fignoler le char B alors que l’on pouvait
rapidement fabriquer les chars D.
Beaucoup que la guerre des chars et des motorisés allait imprimer n’a pas
été compris et retenu. On n’avait pas prévu que cette guerre conduirait à des
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user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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CHAPITRE I : LA DÉFAITE
manœuvres de débordement et d’exploitation aussi profondes et aussi rapides.
L’ennemi a opéré en effet par les vallées, par les routes nationales, sans perte de
temps. Il a franchi très rapidement les coupures avec son infanterie et avec des
moyens adéquats, sous la protection de l’aviation de bombardement qui a
constitué l’artillerie des divisions blindées.
Il ne faut pas oublier le rôle des canons automoteurs suivant les blindés à
grande allure. Dans ces conditions les bouchons étaient attaqués par surprise par
des motocyclistes ou par des blindés appuyés par le canon automoteur ou l’aviation de bombardement. Les fantassins suivaient avec des mortiers transportés
en voiture.
J’ajoute que tout cela n’était possible qu’à cause de la faiblesse et même de
l’absence de notre aviation. Il ne faudrait pas en tirer des conséquences trop
hâtives et s’imaginer qu’il suffit de prendre des routes nationales avec des
colonnes blindées pour exploiter profondément. Si nous avions eu une aviation
de bombardement, ces colonnes blindées eussent été immobilisées et détruites,
mais l’ennemi savait parfaitement qu’il n’avait rien à craindre. » 3
(Excellente analyse car en 1944, en Normandie, les blindés allemands
seront cloués au sol par l’aviation alliée, l’aviation allemande étant inexistante à ce moment-là.)
Cette déclaration du général Requin est datée du 10 juillet 1940, elle
a donc été faite à chaud ; il fera la même en 1941 au procès de Riom.
Les causes de la défaite
Résumons le témoignage du général Requin.
– Nos chars étaient mal articulés (les divisions cuirassées ont été formées
tardivement).
– Aucun commandant de bataillon de char n’avait manœuvré son
bataillon autrement que sur le papier.
– Le matériel moderne a été livré tardivement.
– Les canons des chars, notamment des R35, étaient pour la plupart
obsolètes.
– L’artillerie antichar était insuffisante.
– Pas de transmission efficace dans les chars.
– Pas d’aviation de bombardement en piqué.
– Une production insuffisante.
Il aurait pu ajouter :
– Un commandement peu réactif à tous les échelons. Tous les officiers
généraux français avaient fait la Grande Guerre et même à partir du grade
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user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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LA PREMIÈRE RÉSISTANCE : LE CAMOUFLAGE DES ARMES
de capitaine, la plupart des officiers étaient des anciens de la Grande
Guerre.
– Pour les chars, il n’y avait pas de premier échelon de réparation directement en ligne. Dès qu’une panne se produisait, il fallait évacuer le char
vers l’arrière, c’est ce qui explique tous ces chars abandonnés au bord des
routes avec des pannes mineures, lorsqu’il ne s’agissait pas tout simplement
de pannes d’essence 4.
– Un ravitaillement en essence mal conçu, à base de camions citerne,
très vulnérable et surtout exigeant un temps de remplissage des chars beaucoup trop long, alors que les Allemands avaient déjà inventé le bidon de
plusieurs litres que les Anglais appelleront « jerrycan » 5 et que les Américains perfectionneront en lui donnant une capacité de vingt litres.
– Notre meilleur char, le Somua S 35, n’avait pas de transmission et le
chef de char était un homme-orchestre à la fois chargeur, tireur et chef de
char : c’était beaucoup pour un seul homme.
– Le char B1 bis qui pourtant, à l’époque, était « le meilleur char du
monde », n’avait pas d’autonomie suffisante – 5 h 30 – malgré un réservoir
de secours que beaucoup de pilotes de chars ne connaissaient même pas.
On manœuvrait le canon de 75 en casemate par ripage des chenilles grâce
au système Naeder, qui fonctionnait à l’huile de ricin et qui fuyait constamment. Les équipages durent « piller » les pharmacies pour pouvoir continuer à utiliser leur char…
– Une aviation de chasse surclassée 6.
– Une aviation de bombardement totalement obsolète et bien évidemment rien qui ressemble de près ou de loin au Ju 87 Stuka, bombardier en
piqué.
– On peut également ajouter « une divine surprise » pour les Allemands : dès les premiers combats en Belgique, ils s’aperçurent que leur
canon de 37 antichar n’était d’aucune efficacité sur le char français B1 bis,
ils jouèrent alors le tout pour le tout et utilisèrent le canon de 88 qui était
pourtant un canon antiaérien, mettant ainsi hors de combat une grande
partie des chars français.
– Enfin, l’absence totale de mines tant antipersonnel qu’antichar du
côté français qui auraient rendu les attaques allemandes autrement plus
difficiles, comme le montreront les combats ultérieurs de la guerre. Certes
il existait d’excellents prototypes, mais la production en série n’avait pas
suivi et on les avait placés en priorité devant les ouvrages de la ligne Maginot.
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user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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CHAPITRE I : LA DÉFAITE
La production industrielle
Le ministre de la Production industrielle, Raoul Dautry, tentera dès
septembre 1939 de faire des miracles pour que la mobilisation de notre
capacité de production industrielle soit totale. Mais il faudra du temps, il
faudra surtout supprimer la routine. Quand on pense que les ouvriers des
arsenaux militaires, au lieu d’être mobilisés sur place, ont reçu leur feuille
de route comme n’importe quel fantassin, on reste confondu. Il faudra les
rappeler, mais que de temps et de production perdus ! Faire tourner les
machines avec des ouvriers inexpérimentés amène des retards non seulement dans la quantité produite, mais également dans la qualité des produits, dont une partie sera bonne pour le rebut.
Il faut également signaler qu’une partie de la production a été sabotée
par des ouvriers qui appliquaient les consignes du parti communiste. Celuici avait reçu du Komintern 7 l’ordre de ne rien entreprendre contre l’Allemagne suite au pacte germano-soviétique. C’est ce qui amènera
l’interdiction du parti communiste le 26 septembre 1939, la déchéance
des députés communistes votée le 16 janvier 1940 à la quasi-unanimité
par une chambre issue du Front populaire et l’internement dans le Sud
algérien de trente-cinq de ses membres qui avaient refusé de dénoncer le
pacte germano-soviétique 8.
Mais revenons à la production industrielle. Il faut quand même dire
que les établissements privés travaillant pour la Défense nationale ne se
précipitent pas sur les commandes d’armement de l’État et ce pour plusieurs raisons.
La première est qu’ils ont gardé un très mauvais souvenir de 1919. Ils
avaient alors demandé une aide de l’État pour reconvertir leur production
qui, pendant la Grande Guerre, avait été totalement mobilisée pour l’armement. Il n’est en effet pas facile de passer d’une production de guerre à
une production de temps de paix, il faut certes modifier l’outillage, mais
surtout créer une nouvelle gamme de produits civils, ce qui ne se conçoit
ni ne se réalise en quelques mois. Or les industriels privés n’eurent droit en
fait d’aide qu’à de beaux discours.
La deuxième raison du peu d’enthousiasme des industriels privés pour
les commandes d’État est le délai de paiement. Certes l’État est un client
sérieux et une de ses créances est sûre d’être honorée, mais dans quel délai !
Cela demande donc une vaste trésorerie et nécessite un endettement auprès
des banques qui réduit d’autant la marge brute que l’entreprise dégage de
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user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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LA PREMIÈRE RÉSISTANCE : LE CAMOUFLAGE DES ARMES
cette commande. Ce peu d’empressement donnera lieu après la guerre à la
nationalisation des industries d’armement.
Grâce à l’action de Raoul Dautry, on était à même d’avoir une dotation
complète des unités en matériel moderne au plus tôt en mai ou en
juin 1940.
C’est ainsi que l’armée française est restée l’arme au pied. N’avait-elle
pas la possibilité quand même de déclencher les opérations pendant que les
troupes allemandes étaient en Pologne ? C’eut été possible avec un chef
énergique et audacieux. Ce n’était pas le cas du général Gamelin, nommé
après le départ à la retraite du général Weygand par des hommes politiques
qui le trouvaient rassurant. N’avait-il pas été, vingt-cinq ans auparavant à
l’état-major du général Joffre ! Être rassurant serait donc la qualité première
qui doit être recherchée chez un chef militaire ? Certainement pas ! Et surtout pas au moment de la montée des périls. Adolf Hitler a pris le pouvoir
en Allemagne en 1933 et la première chose qu’il a faite, c’est de réarmer.
Et quand il a réoccupé, en 1936, la rive gauche du Rhin avec un mince
rideau de troupes, on a immédiatement envoyé les troupes aux frontières,
pas moins de treize divisions. Le colonel de Loisy, alors capitaine, se souvenait avoir fait mouvement avec son régiment, le 170e RI d’Épinal et
Remiremont, sa ville de garnison, vers Bitche en Moselle. Le régiment avait
perçu sa dotation en munitions et attendait l’ordre de marche. En fait d’ordre de marche, il eut droit comme tous les Français à un beau discours
d’Albert Sarrault : « Jamais nous ne laisserons la cathédrale de Strasbourg à la
portée des canons allemands. » 9 Paroles que le vent emporte… Il est vrai
que la France a eu en 1936 trois gouvernements…
Et alors, pendant que l’Allemagne réarme, que font les Français ? ils
viennent d’obtenir la semaine de quarante heures, occupent les usines et la
production est paralysée. Il est du reste très curieux que le souvenir de 1936
soit plus souvent associé aux congés payés qu’à l’introduction de la semaine
de quarante heures dont on sait les ravages qu’elle a eus sur la production :
30 % ont été perdus essentiellement dans l’industrie privée, car dans les établissements de l’État, le décret du 27 octobre 1936 a donné l’autorisation
d’heures supplémentaires aux établissements travaillant pour la Défense
nationale. Il n’en reste pas moins que cela n’a pas permis de rattraper le
temps perdu, seulement d’avoir ensuite une production normale.
Il ne s’agit pas de rendre le Front populaire responsable de la défaite
comme on l’a fait à Vichy ; mais comme la livraison d’armement en nom26
user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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CHAPITRE I : LA DÉFAITE
bre suffisant n’interviendra qu’au printemps 1940 et que les troupes ne
pourront pas se familiariser avec le matériel, il n’est pas possible de l’exonérer de toute responsabilité.
La contribution de l’industrie américaine
Et pourtant, dès 1938, au lendemain de Munich, vu la difficulté, pour
ne pas dire l’incapacité de l’industrie française à faire face à l’immense besoin
en matière d’avions, une solution avait été envisagée : mettre à contribution
l’industrie américaine. Daladier aurait dit à Jean Monnet : « Si j’avais eu trois
ou quatre mille avions, il n’y aurait pas eu de Munich. » Jean Monnet partit
donc aux États-Unis, rencontra le président Roosevelt et il fut décidé de créer
trois usines d’aviation qui, compte tenu du Neutrality Act américain, seraient
bien évidemment construites au Canada. La première commande serait de
six cents appareils, l’autre de mille. Le financement serait assuré par les avoirs
français aux États-Unis et Daladier ajouta même : « Pour ces avions, je trouverai l’argent qu’il faut, devrais-je vendre Versailles. »
La plupart des avions achetés n’étaient encore que des prototypes, ce qui
occasionna de nombreuses réticences outre-Atlantique, mais l’autorité du
président Roosevelt permit de l’emporter.
C’est ainsi qu’au lendemain de la déclaration de guerre, en septembre 1939, le même problème se posait à la Section d’armement et d’études
techniques (SAET) pour la motorisation de l’armée. L’industrie française
ne pouvait pas suivre. On fit donc appel à l’industrie automobile américaine à laquelle on commanda cinq mille side-cars Indian, des porte-chars
et des milliers de camions, parmi lesquels deux mille GMC ACK 353. Ce
modèle avait la même cabine que le célèbre GMC, mais le couvre-moteur
était d’un modèle ancien ; c’était un 4x4 et non un 6x6. En fait, ce camion
était un bricolage de matériel civil sur lequel on avait monté un pont split,
une boîte de transfert pour en faire un 4x4 et un crochet de remorque pour
« faire militaire ». Il donnera ensuite naissance au célèbre GMC CCKW
352 & 353 qui reste dans toutes les mémoires. Le total des commandes
françaises représentait cinq cent millions de dollars. Et qui supervisait en
France les commandes américaines ? C’est le commandant Mollard, dont
nous parlerons tout au long de ce livre.
Ces commandes américaines sont intéressantes car elles ont eu cinq
conséquences primordiales :
– Elles ont relancé la machine économique américaine qui, dans le
cadre du New Deal du président Roosevelt, commençait à s’essouffler.
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LA PREMIÈRE RÉSISTANCE : LE CAMOUFLAGE DES ARMES
– Elles ont permis à l’Angleterre de tenir et surtout de se rééquiper après
Dunkerque où elle avait perdu tout son armement lourd. Le 17 juin 1940
en effet, la commission d’achat française proposa à la commission anglaise
qui accepta le transfert intégral de toutes les commandes françaises aux
USA non livrées. Ceci fut fait sans l’accord des deux gouvernements ! Le
général Weygand donna le sien ultérieurement. L’Angleterre aurait-elle pu
continuer la guerre sans les commandes françaises ? La question reste posée
à ce jour.
– Elles ont permis aux États-Unis de disposer au moment de l’entrée en
guerre, en décembre 1941, d’un matériel performant dans tous les
domaines militaires et d’un potentiel industriel à la pointe du progrès.
– Elles ont renforcé les liens avec les USA, ce qui facilitera en 1943 le
rééquipement de l’armée française.
– Elles assureront le leadership américain à la fin de la guerre, leadership toujours d’actualité.
La structuration de l’armée
Pour en revenir aux causes de la défaite, il est un dernier point qui est
peu ou mal exprimé, c’est la structuration de l’armée.
Du fait de la présence de la ligne Maginot et surtout de l’arrivée des
classes creuses dues à l’hécatombe de la Grande Guerre, le service militaire
avait été ramené à douze mois. Or si ce délai est suffisant pour apprendre
le combat d’infanterie de base, il est insuffisant pour connaître la conduite
et l’utilisation des engins. Ainsi, lorsque les appelés étaient à peu près formés, ils rentraient dans la vie civile. Mais du fait des classes creuses, les
régiments n’étaient pas à effectifs complets. Seuls les régiments nord-africains à base d’engagés étaient à effectifs complets en métropole. Et il faudra attendre 1943 pour former, en Algérie, des conducteurs d’auto, de
chars… nord-africains.
D’aucuns avaient envisagé – et notamment le colonel de Gaulle dans
son livre Vers l’armée de métier – la création d’une armée de métier qui
constituerait un corps de bataille performant.
Mais que l’hypothèse d’une armée de métier soit envisagée en France
sous la IIIe République souleva un tollé dans la classe politique, notamment chez le ministre de la Guerre, Daladier, mais également chez la plupart des députés.
Il faut bien comprendre que les députés qui avaient tout fait pour avoir
leur régiment dans leur circonscription – comme ils avaient tout fait pour
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CHAPITRE I : LA DÉFAITE
avoir leur ligne de chemin de fer – n’allaient pas voter en faveur d’une
armée de métier qui allait, c’était sûr, le leur supprimer. C’est en effet la
IIIe République qui avait couvert chaque département français d’un maillage militaire qui, jusque-là, existait essentiellement aux frontières.
Mais l’idée d’une armée de métier était inconcevable pour les politiques
de l’époque, ils étaient persuadés qu’elle permettrait une aventure de type
bonapartiste 10. Le 6 février 1934 est encore présent dans les mémoires et
les politiques ont eu très peur ce jour-là où la foule n’a pas voulu mettre à
bas la République, mais inciter les politiques à se réformer et à mettre de
l’ordre dans les turpitudes du moment.
Si les députés avaient accepté les premières divisions légères mécaniques,
il était hors de question pour eux de mettre sur pied des divisions cuirassées autrement que sur le papier. Il serait toujours temps, pensaient-ils, de
les créer en cas de mobilisation. Et effectivement ils avaient accepté la création de divisions cuirassées de réserve ou DCR… Mais s’il n’est pas compliqué d’aligner les unités militaires pour créer une division, c’est autre
chose de leur apprendre à travailler ensemble. Cela ne s’improvise pas et
demande de nombreux mois d’entraînement. Les divisions blindées formées en Afrique du Nord avec du matériel américain en feront l’expérience
en 1943 et au début de 1944.
Attitude de la troupe
Mais qu’en fut-il de la troupe ? La France est un vieux pays guerrier, la
troupe se serait-elle mal battue ? On se souvient de son reflux au moment
de l’offensive allemande dans les Ardennes, avec les civils, cédant ensuite
à la débandade. Il y a lieu de préciser certains points.
Cette troupe des Ardennes était issue des divisions de série B, c’est-àdire de divisions de réserve, elles manquaient donc de cohésion. Et pourtant on avait eu neuf mois pour leur en donner. Par ailleurs cette offensive
allemande dans les Ardennes – nous sommes le 13 mai 1940 – est tombée
sur une division en passe d’être relevée ; au lieu d’annuler la relève, le commandement l’a maintenue, ajoutant à la confusion et déclenchant la
panique. Or rien n’est plus difficile que d’arrêter une panique, seules des
mesures draconiennes et implacables peuvent réussir à le faire 11, mais le
commandement était bien en peine de les prendre.
Il y a en effet dans le comportement de la troupe une profonde antinomie entre deux faits : d’un côté, cette image de panique qui est restée dans
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user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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LA PREMIÈRE RÉSISTANCE : LE CAMOUFLAGE DES ARMES
toutes les mémoires, de l’autre le chiffre des morts de cette guerre qui est
de près de cent mille morts, sans oublier les deux cent cinquante mille blessés. Cela représente, pour un laps de temps très court d’à peine cinquante
jours, un coefficient de pertes égal à celui de la bataille de Verdun, qui reste
la bataille la plus intense de la Grande Guerre. Il est donc difficile de dire
et d’écrire que les Français ne se sont pas battus.
Les journaux de marche de certaines unités sont à cet égard éloquents.
Pour celles qui ont participé à la bataille de la Dyle, en Belgique, les pertes
sont de 30 % ; elles sont identiques chez les tirailleurs nord-africains, ainsi
que chez les chasseurs alpins et dans quelques autres unités. Il semble que
lorsque les troupes françaises ont été bien encadrées et commandées, elles
se sont bien battues, mais il y avait trop de carences.
On a toujours parlé de l’infanterie et des chars. Il a paru intéressant de
s’intéresser aux artilleurs et pas n’importe lesquels, puisqu’il s’agit des artilleurs de la 1re division cuirassée. Voyons ce qu’en dit le lieutenant-colonel
Mayeur : « La troupe était brave, ardente, de belle tenue et sûre au combat. Son
instruction individuelle était incomplète. Les cadres sous-officiers étaient animés d’un zèle et d’un dévouement dignes d’éloges, aptes en général aux fonctions
de leur grade mais le plus souvent faibles dans leur commandement. À l’échelon cadres subalternes, la technique des tirs préparés était bien connue de l’ensemble, mais la pratique des tirs rapides lancés dès l’entrée en batterie, sans
préparation préalable et sans carte, n’était pas complètement acquise. À l’échelon commandant de batteries et de groupe, les qualités manœuvrières étaient
plutôt faibles… » 12 En un mot, dans l’artillerie, ce ne fut pas meilleur que
dans les autres armes.
Le 22 juin 1940, l’armistice est signé à Rethondes, la France est accablée
par sa défaite. Toutefois, il ne faut surtout pas croire que, pour les Allemands,
cette campagne de 1940 a été une promenade militaire. Certes l’offensive a
été fulgurante et leur a donné une sensation d’invincibilité enivrante, mais
elle s’est soldée par la perte de quarante-neuf mille morts et de cent onze
mille blessés, ce qui montre quand même que les troupes françaises se sont
dans l’ensemble battues avec courage. C’est ce que reconnaît le général allemand Keitel dans le préambule de la convention d’armistice.
S’il fallait résumer cet épisode tragique qu’a été la défaite, on peut citer
cette phrase du commandant Valluy 13, chef du 3e bureau au 21e corps d’armée du général Flavigny : « On a fait une guerre de vieux qu’on a perdue, les
anciens combattants qui racontaient leurs exploits antiques ont parfois déçu
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user 189 at Fri Nov 19 12:26:08 +0100 2010
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CHAPITRE I : LA DÉFAITE
au feu les nouveaux combattants : on n’impose pas à la même génération de
combattants civils de faire deux fois la guerre, de même qu’on ne demande pas
à une compagnie d’infanterie d’attaquer trois fois dans la même journée… ou
alors les résultats sont lamentables. » 14
Cette défaite laissera une impression profonde d’humiliation et d’accablement chez certains, on parlera de véritable apocalypse vécue au sens
propre du terme. Mais il existera aussi un désir non moins profond de
revanche chez d’autres. Ainsi la célèbre phrase de l’Appel du 18 juin 1940
du général de Gaulle prend tout son sens : « La France a perdu une bataille,
mais elle n’a pas perdu la guerre. »
Matériels existant au moment de l’armistice, le 17 juillet 1940
Fusils
460 000
Pistolets
44 000
FM
27 000
Mitrailleuses
14 000
Mortiers 60
550
Mortiers 81
450
Canons
25 AC
340
37 AC
350
47 AC
142
75
687
105 C
81
105 l
176
120
82
155C
216
155 l
208
220 C
51
220 l
20
280 PF
26
240
16
65 montagne
68
75 montagne
82
Chars
230 dont 100 FT 17
Automitrailleuses
125 dont 45 sans tourelles
Source : SHD-T 1 P 54
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