Fiche exposition : Le goût pour l`Orient

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Comprendre le rôle du contexte et quelques enjeux
autour des objets d’art collectionnés :
L’exemple du goût pour l’Orient : Grèce et Egypte à la fin du 18e et au 19e siècle
« Soit comme image, soit comme pensée, [l’Orient] est devenu, pour les intelligences autant
que pour les imaginations, une sorte de préoccupation générale ». Victor Hugo, Les Orientales,
1829, Préface.
Le 19e siècle est marqué à la fois par un esprit de rivalité et de conquête - c’est l’âge d’or de la
colonisation européenne -, mais aussi par la curiosité et la nostalgie que suscite la re-découverte des
civilisations antiques - en continuité avec l’héritage de la Renaissance et des Lumières -. L’horizon
s’élargit, pour le plus grand nombre, du côté de la Méditerranée orientale, en particulier en lien avec
les expéditions militaires et scientifiques françaises. Les objets d’art collectés, comme la production
artistique, témoignent d’une curiosité nouvelle. Les voyageurs et collectionneurs expriment ainsi un
goût pour la Grèce ou l’Égypte qui se manifeste par un désir de connaissance et/ou le fantasme d’un
Orient rêvé, idéalisé. Les collections grecques et égyptiennes enrichissent les musées publics, qui
deviennent au 19e siècle, les lieux privilégiés de cette curiosité.
ÉVÉNEMENTS POLITIQUES, TRANSFORMATIONS ÉCONOMIQUES ET
CULTURELLES ENTRAINENT UN NOUVEAU GOUT
POUR L’ORIENT AU 19e SIECLE
Objet de curiosités et de fantasmes particulièrement depuis le Moyen-âge, puis au 17e siècle
et surtout au 18e siècle, l’Orient devient « une préoccupation générale » (Victor Hugo dans la préface
des Orientales en 1829) au 19e siècle. Alors que s’amorce le lent déclin de l’Empire ottoman, les
puissances européennes rivalisent d’ambitions colonialistes, surtout la France à travers la campagne
d’Égypte de Bonaparte (1798-1801), la guerre de libération de la Grèce (1820-1821) suivie de
l’expédition de Morée (1828-1833) et la conquête de l’Algérie1 à partir de 1830. L’intérêt pour l’Orient
est donc à replacer dans le contexte d’un climat de rivalité2 des grandes puissances européennes particulièrement la France et le Royaume-Uni -impliquées dans le démembrement de l’Empire
ottoman.
Le 19e siècle correspond, aussi, à l’essor de l’industrialisation en Europe. Les défaites de
l’Empire ottoman amènent une part de ses élites à souhaiter la modernisation de leur pays. Les
investissements économiques, les missions d’enseignement, laïques ou religieuses, les échanges
culturels et diplomatiques se multiplient.
Les échanges et les voyages sont facilités par l’évolution des transports au 19e siècle. Une marine plus
rapide et plus sûre, à vapeur, des routes navigables raccourcies par l’ouverture du Canal de Suez par
exemple (1869), mais aussi par les routes et le train, permettent à des voyageurs toujours plus
nombreux de découvrir les espaces de la Méditerranée orientale.
Ces conditions politiques nouvelles mais aussi l’évolution des transports rendent les voyages plus sûrs
au 19e siècle. Ils attirent des collectionneurs plus nombreux qu’à la période précédente.
1
Cet événement et l’espace nord-africain ne sont pas étudiés dans le cadre de cette exposition. La conquête et
la colonisation de l’Algérie sont conduites parallèlement par les Français. Les différents affrontements qui
s’échelonnent tout au long du 19e siècle fournissent aux peintres de batailles l’occasion de représenter de
nouveaux décors. L’établissement progressif de colons français renforce l’intérêt et la curiosité des “français de
la métropole” pour les paysages et les coutumes de l’Algérie (cf la peinture de Delacroix).
2
Cette rivalité prend le nom de « Question d’Orient ». Elle ne s’achève qu’en 1918, par la défaite de l’Empire
ottoman, qui laisse la place, en 1923 à la République turque.
Service culturel pour les publics 1
VOYAGER, former son regard et son goût pour l’ailleurs
Depuis le 16e siècle, les voyages sont un élément quasi obligatoire dans la formation des
peintres, sculpteurs ou architectes. Ils sont aussi un rite de passage vers l’âge adulte pour les jeunes
gens de l’aristocratie ou de la bourgeoisie. Le Grand Tour (à l’origine du tourisme) permet de se
familiariser avec une culture, des chefs d’œuvre. Ces voyageurs rapportent ainsi des souvenirs d’un
moment de vie apprécié, souvent idéalisé et des références qui leur permettent d’entreprendre
éventuellement une collection.
Ces voyages, cependant, sont longtemps géographiquement limités avant le 19e siècle. Pour les
artistes, qui bénéficient en France de bourses d’État avec le « Concours du prix de Rome », la
destination privilégiée est l’Italie3. Elle l’est toujours au 19e siècle. Nous pouvons prendre l’exemple de
deux artistes angevins qui n’ont pas eu le Prix de Rome mais ont pourtant voyagé ou séjourné en Italie.
Le peintre Lancelot-Théodore Turpin de Crissé (1782-1859) rapporte ainsi de ses nombreux voyages
en Italie une précieuse source d’inspiration pour une grande partie de sa production, ainsi qu’une
collection de céramiques grecque et d’Italie du Sud4. L’Italie est également, pour ses paysages et sa
population, une source d’inspiration fondamentale pour Guillaume Bodinier5, qui accompagne Guérin,
nommé directeur de la Villa Médicis à Rome6.
La nouveauté au 19e siècle est que le parcours du Grand Tour s’élargit vers l’Orient : la Grèce, mais
aussi le Levant (Palestine), l’Empire ottoman (Asie Mineure) et quelquefois l’Égypte.
Au 19e siècle, la Grèce s’imposa dans l’esprit des voyageurs, artistes et archéologues comme
un passage vers l’Orient, une première étape dans la découverte de la Méditerranée proche-orientale.
Ainsi, Charles Garnier conseillait-il aux jeunes architectes séjournant en Grèce : « Quand vous aurez
visité l’Attique et la Morée, avant de revenir en France, si vous avez encore cinq cent francs à dépenser
et un mois devant vous, faites une excursion à Constantinople. Outre le beau pays que vous verrez, les
costumes pittoresques de Smyrne et de Stamboul, vous trouverez encore un grand nombre de
mosquées d’une architecture élégante et gracieuse qui vous impressionneront par leur masse et vous
charmeront par leurs détails7 ». Pourtant, plus qu’une proximité géographique entre Athènes et
l’Empire ottoman, c’est d’abord un rêve commun, à savoir celui d’un Orient fantasmé, qui liait la Grèce
à l’Orient dans l’esprit des artistes et des intellectuels.
Ainsi, à mesure que s’ouvrent les portes de l’Orient, les échanges, missions et voyages, - notamment
d’artistes, mais aussi d’amateurs d'art, de collectionneurs, de scientifiques, d’écrivains - se multiplient
et donnent un élan prodigieux à l’orientalisme.
ORIENT et ORIENTALISME
D'un point de vue strictement géographique, les frontières de l’Orient sont variables et la
différence entre l’Orient rêvé, exotique et vécu n’est pas toujours claire.
En effet, s'il recouvre presque invariablement l'Égypte, Constantinople et l’Asie mineure, la
Palestine et la Syrie et plus tard l’Afrique du nord, il n'en est pas de même pour des régions comme
Rhodes, Chypre, la Grèce – que les romantiques rattachent immanquablement au voyage en
Orient. Bien plus qu'un terme géographique, l'Orient est une projection fantasmatique forgée par
la mentalité collective occidentale.
C’est au début du 19e siècle que le terme « orientalisme » se répand en France mais
également dans d’autres pays d’Europe. L’espace méditerranéen, à la fois ottoman, musulman,
3
Consulter la fiche L’Italie ou le goût des ruines.
Consulter le dossier-enseignant « Vases en voyage ».
5
Consulter la fiche biographique sur Guillaume Bodinier, dans le dossier-enseignant : La peinture et le paysage.
6
Depuis 1803, le séjour des artistes s’effectue à la Villa Médicis.
7
Charles Garnier, A travers les arts. Causeries et mélanges, Paris, 1869.
4
Service culturel pour les publics 2
juif et chrétien, qu’on appelle tour à tour Levant ou Orient a nourri l’imaginaire de la bourgeoise
européenne et l’inspiration des artistes et écrivains. L’orientalisme, c’est l’Orient vu de son
opposé, l’Occident : c’est le regard que porte sur les personnages et les êtres l’Occidental
imaginant l’Orient.
Suivant pas à pas toutes les tendances du siècle (comme le romantisme par exemple, qui
l’a vu naître) l'orientalisme s'exprime aussi bien à travers l'art, la littérature, la musique,
l'architecture que la photographie. C’est toute une part de la production artistique française et
européenne du 19e siècle qui subit l'influence orientale : on rêve des bains turcs, de la sensualité
des femmes du harem mais aussi de la lumière unique de la Méditerranée et des couleurs du
couchant sur les vestiges antiques. Après avoir constitué pendant plusieurs siècles une formidable
source d’imagination pour les artistes en quête de sujets exotiques mais aussi de formes et
techniques, l’Orient éveille également en eux une curiosité ethnographique à partir du milieu du
19e siècle.
Théodore Pavie8 (1811-1896), est un bon exemple de grand voyageur et orientaliste.
Cet angevin, après avoir voyagé « aux Amériques », est parti en Orient en 1839 : Alexandrie, Le Caire,
Suez et Aden, puis vers les Indes. Théodore Pavie a laissé plusieurs carnets de dessins, très illustrés9,
témoignages précieux de ses aventures. Il a publié des récits de voyage, des nouvelles, des contes, des
traductions et des études scientifiques ainsi que de nombreux articles dont près de soixante-dix dans
la seule Revue des Deux Mondes.
OUVRIR LES PORTES DE L’ORIENT :
Un double intérêt, géopolitique et scientifique oriente le goût pour l’Egypte, comme celui
pour la Grèce.
 La fascination pour l’Égypte :
EXPLORER à la suite de l’expédition d’Égypte
L’intérêt pour l’Égypte est ancien, mais il s’inscrit également dans la continuité des Lumières, au 18e
siècle : renouer avec les origines et s’inscrire dans une histoire universelle.
Lors de la campagne d’Égypte, à partir de 1798, Bonaparte est désireux d’imposer la présence
française en Méditerranée orientale, dans une région du monde également convoitée par les Anglais
et de prendre position sur la route des Indes. Il est également influencé par les ouvrages de Volney,
Voyage en Égypte et en Syrie (1787) et Ruines, ou Méditations sur les révolutions des empires (1791).
Bonaparte est accompagné par une commission de cent soixante-cinq savants français chargée
d’étudier le pays, de le doter de techniques modernes. Quelques artistes accompagnant l’expédition,
réalisant des relevés de sites et de monuments. L’objectif de l’expédition n’est donc pas seulement
militaire et géopolitique. Il s’inscrit dans la continuité de la diffusion de l’esprit scientifique et des
progrès des Lumières. Les premiers succès puis l’échec militaire en 1801 (victoire anglaise)
n’empêchent pas les succès scientifiques et le regain d’intérêt pour l’Égypte.
L’expédition a été remarquablement illustrée par de nombreux dessins et notes prises au
naturel par ses témoins. Sitôt ceux-ci revenus en France, et durant plusieurs décennies, l’expédition
a inspiré des publications, des œuvres d’art ou des estampes populaires contribuant à la mythification
de l‘événement et des protagonistes. Dès son retour de l'expédition d'Égypte, Vivant- Denon rédige
son Voyage dans la Basse et la Haute Égypte publié en deux volumes en 1802 et qui a connu quarante
rééditions au cours du 19e siècle.
Le sculpteur David d’Angers, réalise deux croquis évoquant le chaos des combats de la Bataille des
Pyramides où s’illustra le chirurgien en chef de l’armée d’Orient, Dominique Jean Larrey (1766-1842).
8
Les enseignants pourront consulter le catalogue de l’exposition Un angevin en voyage au temps du
romantisme, Les carnets de Théodore Pavie aux Amériques, en Egypte et aux Indes entre 1829 et 1840, 2009,
musée des Beaux-arts d’Angers.
9
Théodore Pavie est évoqué dans la partie de l’exposition « Les Antipodes ou l’évasion ».
Service culturel pour les publics 3
Les dessins de David sont préparatoires à la réalisation d’un bas-relief pour le monument en hommage
à Larrey, qui fût érigé dans la cour de l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris en 1846.
Pierre-Jean David (1788-1856), Les Français en Égypte, étude pour les
Pyramides, bas-relief du monument de Larrey, vers 1846.
David d’Angers, Larrey,
Modèle plâtre du
bronze élevé devant le
Val de Grâce, Paris en
novembre 1846,
Galerie David d’Angers
L’occupation française en Égypte n’a duré que trois ans mais a donc
inspiré pendant des décennies a nourri l’ « égyptomanie »10, marquée
en particulier par un style très en vogue au 19e siècle, le style « Retour d’Égypte ».
Des œuvres d’art célèbres comme Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa de Gros (1804, musée du
Louvre) ou le tableau de Léon Cogniet L’Expédition d’Égypte sous les ordres de Bonaparte, 1830-1835,
conservé au musée des Beaux-arts d’Orléans témoignent de cette fascination pour l’Égypte, en
particulier auprès d’un public cultivé.
La campagne d’Égypte a favorisé les premiers pas de l’ « égyptologie »,
grâce aux nombreuses illustrations de cette expédition par des dessins
et notes prises au naturel par ses témoins.
L’ensemble de ces recherches fut rassemblé dans un ouvrage de vingttrois volumes intitulé « Description de l’Égypte » publié entre 1809 et
1828. Cette « redécouverte » de l’Égypte fut fondamentale pour
l’histoire de l’archéologie. À la suite de cette expédition, plusieurs
voyageurs et diplomates européens se rendirent sur les berges du Nil.
Parmi eux, Frédéric Caillaud, dont les voyages et découvertes
entraînèrent une accélération des recherches égyptologiques en
France, a fourni à Jean-François Champollion assez d’éléments pour
déchiffrer le système des hiéroglyphes en 1822 et redécouvrir la
civilisation des anciens Égyptiens.
Le docteur Daniel Fouquet (Doué La Fontaine 1850-Le Caire 1914) est
un exemple intéressant d’égyptologue collectionneur qui s’est installé
au Caire à partir de 1881. Ses compétences médicales et
anthropologiques l’amenèrent à assister plusieurs égyptologues, tel
Maspéro, notamment dans l‘examen de nombreuses momies royales
du Nouvel Empire (dont celle de Ramsès II et de son père Séti 1er),
découvertes près de Louxor. Parallèlement à ses activités
10
Tête de momie humaine, Époque
ptolémaïque (332 à 30 av. J.-C),
Momie, bandelettes de lin, toile
enduite et peinte. Proviendrait
de la région d’Akhmin. Don de
Daniel Fouquet au musée des
Antiquités Saint-Jean de la ville
d’Angers en 1888.
Consulter la fiche-enseignant : « Égyptomanie, égyptophilie, égyptologie : quel Ailleurs ? »
Service culturel pour les publics 4
professionnelles et scientifiques, Fouquet rassemble une collection d’antiquités hors du commun (plus
de 600 lots), dispersée en 1922, 8 ans après sa mort au Caire.
 Guerre d’Indépendance et philhellénisme
EXPLORER, à la suite de l’expédition de Morée.
Après les guerres napoléoniennes, le Congrès de Vienne n’ayant pas pris la mesure des
revendications nationales en Europe nourries par les idées des Lumières et l’exemple de la Révolution
française, les Grecs aspirèrent à s’affranchir de la domination ottomane, installée depuis le début du
15e siècle. La guerre de libération nationale, commencée en 1821, avec comme chefs Canaris et
Botzaris, s’accompagne de sanglants massacres de la part des Ottomans. La cause grecque rallie de
nombreux étrangers - comme le poète anglais Byron - qui se constituent en brigades volontaires (les
Philhellènes) et remportent des succès sur les troupes du Sultan. L’intervention Anglo-Franco-Russe,
en 1827, est cependant nécessaire pour que la Grèce accède à l’indépendance (1829-1830).
Cette lutte inspire et émeut les artistes libéraux romantiques. L’une des plus célèbres œuvres de
Delacroix, La Grèce sur les ruines de Missolonghi, 1826, musée des Beaux-arts de Bordeaux) y fait
explicitement référence.
On peut également citer le poème de Victor Hugo L’Enfant, écrit en juillet 1828 et publié dans le recueil
Les Orientales. Le texte mêle le récit à la description et
à l’évocation de l’Orient et du mystérieux construit sur
un jeu d’opposition.
Comme de nombreux artistes et écrivains, David
d’Angers soutint la cause de l’indépendance grecque.
Il réalise un médaillon en hommage au grand poète
anglais Lord Byron, héraut du romantisme, mort à
Missolonghi en 1824, sans doute après le décès du
poète.
Pierre-Jean David, dit David d’Angers, Lord Byron (1788-1824), Bronze.
David d’Angers choisit également d’honorer
le chef grec Marco Botzaris, mort après une
héroïque résistance, en envoyant à ses frais
une statue commémorative en marbre, pour
la placer sur le champ de bataille de
Missolonghi. Dans cette sculpture, une jeune
fille déchiffre le nom du héros inscrit sur la
dalle funéraire. L’artiste écrit dans ses
Carnets : « Ma jeune Grecque11 est à cet âge
de transition : la fillette pensive, lisant le nom
d’un des libérateurs de son pays, sera femme
dans une nation libre. »
David a ensuite travaillé lui-même le marbre,
ce qui n’est pas l’usage au 19e siècle. Vingt ans
plus tard, son amertume fut grande lorsque,
11
Pierre-Jean DAVID, dit David d’Angers, La Jeune Grecque au
tombeau de Marco Botzaris
Modèle original pour la statue en marbre envoyée par le
sculpteur à Missolonghi (Grèce), 1827
Plâtre, H. 0,80 – L. 1,19 m – l. 0,55
Envoi au musée d’Angers par la veuve du sculpteur, 1856
Cette sculpture est visible à la galerie David d’Angers
Service culturel pour les publics 5
en Grèce, il la découvre dégradée. Ce n’est qu’après son décès en 1856 que le marbre est restauré en
France. Renvoyée en Grèce, l’œuvre est désormais exposée au musée national historique d’Athènes.
L’indépendance de la Grèce ne met pas fin à l’engouement des artistes et écrivains
romantiques.
L’expédition de Morée (1828-1833)12 est le nom donné en France à l’intervention terrestre de l’armée
française dans le Péloponnèse, lors de la guerre d'indépendance grecque. Bien que l’essentiel des
troupes soit rentrée en France dès la fin de 1828, la présence française se poursuivit jusqu’en 1833.
Comme lors de la campagne d'Égypte de Napoléon Bonaparte, où une Commission des Sciences et des
Arts avait accompagné l’expédition militaire, une Mission scientifique de Morée accompagnait les
troupes. Dix-sept savants, représentant diverses spécialités : histoire naturelle ou antiquités
(archéologie, architecture et sculpture) firent le voyage. Leurs travaux furent d’une importance
majeure dans la connaissance du pays. Les cartes topographiques réalisées étaient d’une très grande
qualité et les relevés, dessins, coupes, plans et propositions de restauration sur les monuments du
Péloponnèse, de l’Attique et des Cyclades furent une nouvelle tentative d’inventaire systématique et
exhaustif des vestiges grecs antiques. L’expédition de Morée et ses publications offrirent une
description presque complète des régions visitées. Elles en firent un inventaire scientifique,
esthétique et humain qui resta longtemps l’un des meilleurs moyens, à part le voyage sur place, de les
connaître.
Créée en 1846, sous la Monarchie de Juillet, « par reconnaissance pour la Grèce antique » selon
les propos de Louis-Philippe, l’École française d’Athènes accompagna l’évolution du regard des
Français sur la Grèce. Elle est le produit du philhellénisme et de la volonté de la France de se rétablir
en Orient. Elle fut un foyer intellectuel important, où se rencontrèrent archéologues, lettrés et artistes.
FOUILLER, ETUDIER et ENRICHIR LES COLLECTIONS DES MUSEES
L’exemple des objets d’art de Grèce et d’Orient
DÉPLACER LES OBJETS D’ART HORS DE LEUR CONTEXTE D’ORIGINE
La plupart des grands musées occidentaux, ainsi que des collectionneurs privés, conservent
des œuvres qui ont quitté leur pays d’origine depuis longtemps et font désormais partie du patrimoine
de leur nouveau propriétaire. Cette question soulève le problème des conditions dans lesquelles ces
objets d’art ont été collectés, mais aussi de la place des objets d’art dans leur environnement, donc de
la question du patrimoine culturel : national ou mondial ?
Elle se pose particulièrement pour les nombreux objets d’art que le goût et l’appétit des
collectionneurs ont déraciné de Grèce ou d’Égypte, pays aux richesses culturelles et archéologiques
immenses. Dès la fin du 18e siècle, et tout au long du 19e siècle, les expéditions militaires
napoléoniennes (Italie, Égypte..), les expéditions en Grèce sous la Restauration ont été des périodes
au cours desquelles les « spoliations » de biens culturels furent importantes. Au-delà de ces opérations
officielles, ce sont de nombreux collectionneurs et archéologues qui convergent, nombreux, vers
l’Orient dès la fin du 18e siècle.
Le pillage des sites archéologiques antiques et le commerces des antiques - ou de leurs copies
- a été monnaie courante, particulièrement depuis le 18e siècle. L’anticomanie est alors à la mode en
Europe.
Le comte de Choiseul-Gouffier (1752-1817), protecteur du peintre Lancelot-Turpin de Crissé
est un personnage emblématique du développement du goût pour le voyage en Grèce. Ambassadeur
de France à Constantinople en 1784. Il ordonne dans une lettre adressée à Louis-Sébastien
Fauvel (1753-1838), peintre, diplomate et archéologue :
«Enlevez tout ce que vous pourrez, ne négligez aucune occasion de piller dans Athènes ou dans son
territoire tout ce qu’il y a de pillable […] n’épargnez ni les morts, ni les vivants ».
12
Plusieurs relevés et dessins rendent compte de cette expédition dans l’exposition.
Service culturel pour les publics 6
Certains objets d’art provenant du Parthénon13 – tels une plaque de la frise des Ergastines ou la dixième
métope sud, recueillies « aux pieds du temple » par Fauvel, sont envoyés en France au comte de
Choiseul-Gouffier dans le contexte troublé de la Révolution en 1789. Certains biens firent l’objet d’une
saisie révolutionnaire en 1798, d’autres restitués au comte de Choiseul-Gouffier à son retour de
l’émigration en 1802 et rachetés par le Louvre après le décès du comte, en 1818.
L’exemple du pillage des marbres du Parthénon par Lord Elgin au début du 19e siècle,
conservés actuellement au British Museum de Londres, mérite également d’être évoqué.
L’exemple des marbres du Parthénon : du pillage à la demande de restitution
Athènes était occupée par l’Empire ottoman. Aucune autorisation officielle n’avait jamais été délivrée
auparavant pour réaliser des fouilles autour de l’Acropole et encore moins pour le prélèvement de ses
sculptures.
1801 : Lord Elgin, ambassadeur britannique à Constantinople, a demandé l’autorisation d’entrer dans
l’Acropole. Après de somptueux cadeaux faits aux Turcs, le sultan accorda son firman (autorisation
officielle). Il s’ensuit le démontage de la frise et des métopes du Parthénon. L’opération de démontage a
causé plusieurs destructions.
1812 : e poète Lord Byron, pleure sur les marbres volés, dans son Pèlerinage de Childe Harold: « Que
maudite soit l’heure où ils quittèrent leur île, // Pour tailler, infortunée, dans ton sein de nouvelles blessures
// Et emporter tes dieux désolés dans l’odieux ciel du nord».
Lord Elgin s'en justifie en soulignant que Turcs et Grecs étaient indifférents à la conservation du monument
et que les marbres pourraient, à Londres, inspirer les artistes anglais.
1816 : la collection tout entière d’Elgin est finalement rachetée par le gouvernement britannique et confiée
au British Museum "pour être préservée et gardée dans son ensemble".14
1832 : premières demandes de restitution après la guerre d’indépendance de la Grèce.
1982 : l’actrice Mélina Mercouri, ministre grecque de la Culture, lance un appel passionné pour la restitution
des marbres.
1984 : le cas des marbres du Parthénon est mis depuis cette date à l’ordre du jour des demandes de
restitutions de biens culturels présentées par l’UNESCO.
1987 : inscription de l’Acropole d’Athènes sur la Liste du patrimoine mondial de l’humanité (UNESCO)
2009 : inauguration du nouveau musée de l’Acropole (NMA) à Athènes. Le président grec déclare :
« Aujourd'hui le monde entier peut voir rassemblées les plus importantes sculptures du Parthénon, mais
certaines manquent, c'est le moment de cicatriser les plaies du monument avec le retour des marbres qui
lui appartiennent »
Les deux frontons du Parthénon sont aujourd’hui très abîmés. Certains de ses éléments sont
conservés à Athènes dans le nouveau musée de l’Acropole, mais les plus nombreux et les plus beaux
sont à Londres, au British Museum. D’autres sont dispersés dans plusieurs musées occidentaux.
La question des marbres du Parthénon oppose encore aujourd’hui15 deux musées et deux pays,
membres de l’Union européenne.
Les arguments des Grecs plaident en faveur de l‘unicité d’un monument unique, dont les
éléments de décoration sculptée ont été conçus et réalisés comme un tout, qui est le symbole
suprême de l’identité culturelle de la Grèce et de la démocratie16.
Le British Museum et le gouvernement britannique, tout en reconnaissant que Lord Elgin ait dépassé
les autorisations des Turcs, maintient que l’acquisition des marbres par le musée est licite. L’un des
13
Le Parthénon a été édifié à la gloire de la cité et de la déesse Athéna entre 447 et 432 av. J.-C., dans l'Athènes
classique dominée par Périclès.
14
D'après la brochure "Le Parthénon et les Marbres d'Elgin" d'Epaminondas Vranopoulos, publiée par la
Société d'Etudes Eubéennes en 1985
15
Notamment à la suite du prêt fin 2014, par le British Museum, d’un élément des marbres du Parthénon au
musée de l’Ermitage en Russie. Voir à ce propos l’article du Monde :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/12/06/scandale-en-grece-apres-le-pret-a-la-russie-d-un-marbredu-parthenon-par-le-british-museum_4535994_3214.html
16
En particulier dans le contexte du retour de la Grèce à la démocratie depuis 1974.
Service culturel pour les publics 7
arguments principaux du musée londonien est que la conservation de ces frises au Royaume-Uni
répond au principe de l’Universalité, ce que l’UNESCO a du mal à contester, celui-ci étant l’origine de
la Liste du Patrimoine mondial, commun de l’humanité.
Certes, si pendant longtemps le British Museum pouvait se targuer d’être le plus apte à
préserver ces trésors de l’Antiquité et les exposer en public, s’il pouvait même à la limite se vanter
d’avoir en quelque sorte sauvé ces marbres de la pollution, le Parthénon ayant été transformé en
véritable poudrière sous l’occupation ottomane, ces arguments ne sont plus du tout d’actualité
aujourd’hui. Avec le nouveau musée de l’Acropole, toutes les conditions requises de protection,
préservation, sécurité et mise en valeur des marbres seraient assurées.
Mais au-delà de l’implication de deux musées et deux pays, le cas des marbres du Parthénon
comporte une dimension de politique internationale. Toute la communauté internationale est
concernée : non seulement le British Museum qui refuse d’ouvrir la boite de Pandore de peur de créer
un précédent pour la restitution d’autres trésors de son musée ; les autres grands musées occidentaux
qui s’alignent sur lui par crainte de voir leurs propres collections suivre ce mouvement de désertion ;
la Grèce qui réclame légitimement la reconstitution de son patrimoine, mais qui ne demande pas pour
autant le retour de toutes les œuvres de son patrimoine ; les pays de l’hémisphère Sud qui entrevoient
une brèche pour appuyer leurs propres demandes en restitution 17; enfin, l’UNESCO dont le cas a été
mis à l’ordre du jour depuis 1984.
Quatremère de Quincy (1755-1855), célèbre théoricien de l’art antique18, contribua
notoirement au débat sur la légitimité ou non de déplacer les monuments antiques en s’insurgeant
notamment contre la politique de spoliations menée par Bonaparte et le Directoire pendant la
campagne d’Italie. Pour l’historien de l’art, les monuments ne se comprenaient que dans
l’environnement dans lequel ils étaient nés et qu’au regard des autres monuments qui les entouraient
initialement, ce qu’il définissait comme « l’harmonie de l’histoire » entre les objets. La
décontextualisation privant le public de leur compréhension et de leur appréciation.
Cette question a également été posée au sujet de l’obélisque égyptien installé à Paris en 1836,
un cadeau diplomatique à la France.
Dans la 1ère moitié du 19e siècle, au début de 1830, deux obélisques sont offerts à la France de Charles
X par le vice-roi d’Égypte Méhémet Ali, qui emploie de nombreux ingénieurs français à la
modernisation de son pays. Champollion suggère que ce soit les obélisques de l’entrée du temple de
Louxor, édifiés par Ramsès II au XIIIe siècle avant Jésus-Christ, situés à 700 kilomètres en amont de
l’embouchure du Nil.
Léon de Joannis (1803-1868), est un polytechnicien, nommé commandant en second du Louxor,
un navire spécialement conçu pour acheminer l’obélisque19 depuis le temple de Louqsor jusqu’à
la place de la Concorde à Paris. Sa maîtrise du dessin a fait de Joannis l’illustrateur de la mission
au travers d’aquarelles de paysages, de personnages et d’événements marquants.
En 1835, il publie « Campagne pittoresque du Louxor », un récit de l’expédition complété de 18
estampes.
Mis à l'eau à Toulon le 26 juillet 1830, la veille des Trois Glorieuses, l’obélisque du Louqsor arrive à
Paris le 23 décembre 1833 après un trajet de 12 000 kilomètres. En 1834, l’obélisque est hissé sur la
rampe du pont de la Concorde.
17
C’est le cas par exemple de l’Égypte qui demande la restitution de la Pierre de Rosette, conservée au British
Museum.
18
Voir à ce propos le médaillon de bronze en 1835 réalisé par David d’Angers.
19
L'obélisque mesure 23 mètres de hauteur et pèse 222 tonnes, auxquelles il faut ajouter les 240 tonnes du
piédestal.
Service culturel pour les publics 8
Maquette de la machine d’abattage de l’obélisque de
Louqsor conçue par Joannis et exécutée par les forçats de
Toulon
Vers 1834 ; Bois peint, marbre, cordage
H. 0,70 x L. 2,24 x prof. 0,66 m – Collection particulière
Daniel Léon de Joannis, Vue de la partie
orientale du chemin qu’a suivi l’Obélisque
pour venir à bord. Gravure extraite de
l’ouvrage de Daniel Léon de Joannis,
Campagne pittoresque du Luxor, Paris, 1835
H. 40 x L. 47 cm – Collection particulière
Le roi n’a pas suivi l’avis de Champollion ou de Joannis qui penchaient pour une installation dans la
Cour carrée du Louvre. Le choix de placer un obélisque égyptien au centre de la place de la Concorde20,
selon Louis-Philippe « aurait l’avantage de n’être perçu « ni [comme] une accusation, ni [comme] une
menace, ni [comme] un objet de deuil, ni [comme] une récrimination ».
Érection de l’obélisque place de la Concorde, le 25 octobre 183621,
1836, François Dubois (1790-1871),
huile sur toile, Paris musée Carnavalet,
Le 2 octobre 1836, lors de l’érection de l’obélisque, place de la Concorde, le roi Louis-Philippe et
200 000 Parisiens assistent à l’événement. Au bout de trois heures et demie, l’obélisque est placé, non
sur son socle égyptien primitif, mais sur un piédestal en blocs de granit breton22.
20
Ancienne place royale puis siège des décapitations révolutionnaires.
Les enseignants pourront retrouver ce tableau sur le site l’Histoire par l’image.
22
À l'origine, comme son alter ego de Louqsor, l'obélisque reposait sur une base carrée décorée de seize babouins
dressés sur leurs pattes arrière et dont le sexe en érection est bien visible. Pour ne pas choquer la société
française prude du 19e siècle, cet élément ne fut pas installé place de la Concorde. Il est visible aujourd’hui à la
section des antiquités égyptiennes du musée du Louvre.
En 1839, des inscriptions commémoratives accompagnées des plans des opérations d’abattage et de
réédification sont gravées à l’or fin sur le piédestal. L’obélisque est classé Monument Historique en 1937. En
échange des obélisques, Louis-Philippe Ier offre en 1845 une horloge en cuivre qui orne aujourd'hui la citadelle
du Caire, mais qui, pour l'anecdote, ne fonctionna jamais, du moins aux dires des Cairotes, ayant été
probablement endommagée lors de la livraison. Le deuxième obélisque a été officiellement rendu à l'Égypte par
le Président François Mitterrand, lors de son premier septennat.
21
Service culturel pour les publics 9
En 1833, le poète Petrus Borel, à l’instar d’un Quatremère de Quincy, déplore le dépaysement du
monument, arraché à son environnement naturel : « Mon Dieu ! Quelle manie de prendre et de
transporter ! Ne pouvez-vous donc laisser à chaque latitude, à chaque zone, sa gloire et ses ornements ?
(…) »
FOUILLER et ÉTUDIER LES OBJETS d’ART DÉCOUVERTS
Paul Baudry, Portrait de Charles Beulé,
Avant 1857, Huile sur toile,
Musées d’Angers, anc. coll. Charles Beulé,
don 1899.
Membre de l’École française d’Athènes depuis 1849,
Charles Beulé (1826-1874) ouvrit un chantier de fouilles sur
l’Acropole, en avant des Propylées, durant le printemps et
l’hiver 1852-1853 et dégagea le complexe dispositif
d’entrée, dont la célèbre porte qui a pris depuis son nom. Il
exposa les résultats de ses investigations dans son Acropole
d’Athènes, ouvrage paru pour la première fois en deux
volumes en 1853 et 1854. L’érudit saumurois contribua ainsi
au succès et à la reconnaissance de la vocation
archéologique que s’était donnée l’École française
d’Athènes. À son retour en France, il fut nommé à la chaire
d’archéologie de la Bibliothèque impériale, position qu’il
occupa jusqu’en 1874.
A la fin du 19e siècle, l’École française d’Athènes
s’illustre en lançant plusieurs grands chantiers
archéologiques (Délos, Delphes). Institution prestigieuse,
première de son genre, l’École française d’Athènes a apporté
une contribution reconnue à la renaissance et à la
sauvegarde du passé antique de la Grèce.
Le modèle gréco-romain est plus que jamais triomphant
au 19e siècle. Le goût des collectionneurs pour la Grèce
se nourrit ainsi d’un intérêt de l’Europe occidentale pour
ses origines antiques et en particulier l’architecture,
avec un nouveau souci d’exactitude. Les relevés in situ
effectués par de nombreux artistes, tels Abel Blouet
(1793-1853) permirent de rompre avec une tradition
picturale qui avait reproduit une image fantasmée de la
Grèce – tradition à laquelle appartenait Turpin de Crissé,
qui ne foula jamais le sol grec alors qu’il en reproduisit
l’architecture dans nos toiles
À l’attrait pour les vestiges antiques grecs, dont la variété
et la polychromie furent sans cesse débattues par les
artistes et les historiens de l’art, s’ajouta un intérêt pour
l’exotisme des costumes, des architectures et des
paysages que le pays semblait offrir aux peintres et aux
poètes.
Anonyme, Vue du temple d’Athéna Niké
Vers 1855, photographie, H. 27 x L. 53 cm –
Angers, musées.
Service culturel pour les publics 10
Le développement de l’archéologie et de la photographie au 19 e siècle
e
Si au 18 siècle, la découverte, en Italie, des villes ensevelies d’Herculanum (1738) et Pompéi (1748) a
suscité un grand engouement pour l’archéologie, c’est au 19e siècle 23 que l’archéologie devient plus
scientifique, adoptant des méthodes plus modernes de travail. De grands chantiers de fouilles sont
organisés en Grèce et en Égypte.
Un lien existe entre l’archéologie et la photographie dès la naissance de cette dernière. Les
archéologues et les philologues purent en effet, grâce à ce procédé, s’affranchir des croquis souvent
inexacts et toujours partiels des peintres et des dessinateurs qui les accompagnaient sur les sites
fouillés. En 1839, François Arago présente l’invention de Niepce et Daguerre devant la Chambre des
Députés et montre l’avantage du daguerréotype pour copier les hiéroglyphes couvrant les monuments
égyptiens. Dès lors, des photographes furent intégrés aux équipes des expéditions archéologiques,
tant en Égypte qu’en Grèce – et plus particulièrement à Athènes. Les premières photographies de
l’Acropole sont datées d’octobre 1839.
Anonyme, Vue du temple d’Athéna Niké, Temple d’Athéna Niké, bas-relief de Niké détachant sa sandale,
Vers 1855, Photographie
Cette photographie, dont la date de prise de vue reste inconnue, témoigne de ce phénomène. Elle
aurait appartenu au comte Turpin de Crissé. Elle nous offre une vue du temple d’Athéna Niké, sur
l’Acropole (Ve siècle avant notre ère), et d’un détail de fragment sculpté qui en provient.
Le développement de la photographie contribua à affiner l’interprétation des vestiges de
l’Antiquité en mettant à disposition des scientifiques un nouveau type de document d’étude. Outre
son intérêt scientifique majeur, le dispositif joua également un rôle considérable dans la diffusion de
l’architecture ancienne. Son avènement et son immédiate exploitation en archéologie participèrent
des changements qui s’opérèrent dans les méthodologies de la conduite de fouilles tout au long du
19e siècle – ces dernières ne consistant plus uniquement en une entreprise de collecte d’objets
exhumés mais en un rassemblement d’une documentation la plus rigoureuse et la plus exhaustive
possible des sites. En ce sens, ces photographies manifestent aussi le nouveau regard, plus détaillé et
se voulant plus objectif, des archéologues sur les vestiges grecs.
Jacques Hittorff (1792- 1867) et le débat sur la polychromie dans l’art grec antique
Les découvertes faites sur les chantiers d’Herculanum et de Pompéi au 18e siècle
révélèrent de nouvelles sculptures et de nouveaux modèles d’architectures antiques
polychromes, ce que les textes avaient toujours clairement énoncé mais que l’absence de vestiges
en grand nombre avait fait oublier et que les principes néoclassiques avaient à dessein occulté.
Les relevés d’architectes et de peintres en Grèce au 19e siècle nourrirent les débats sur la couleur.
23
Prosper Mérimée est nommé inspecteur général des Monuments historiques en 1834, l’archéologie française
bénéficie pour la première fois d’une véritable attention des pouvoirs publics.
Service culturel pour les publics 11
Pour Hittorff, l’architecture grecque antique ne pouvait être pleinement comprise si l’on ne la
concevait pas polychrome – la polychromie conférant de la variété à des modèles de construction
qui apparaissaient sinon tous comme similaires.
Chromophobes et chromophiles s’affrontèrent au cours du 19e siècle. La vision
polychrome de l’architecture antique fut plus largement acceptée à mesure de l’évolution des
chantiers de fouilles en Grèce orientale et en Orient au cours du troisième quart du 19e siècle,
notamment sur le site du mausolée d’Halicarnasse. La découverte des korai de l’Acropole en 1886,
dont la polychromie avait été préservée du fait de leur enfouissement peu après leur destruction
lors de la seconde guerre médique, y contribua aussi.
COLLECTER ET EXPOSER : de la collection au musée
Les objets d’art ont enrichi les collections des musées occidentaux, notamment européens. Dans des
circonstances différentes, les musées publics, qui naissent au début du 19e siècle ont, en particulier,
accueilli des objets témoignant du goût pour l’Ailleurs des collectionneurs. Nous étudierons ici
quelques exemples de musées : le musée du Louvre, les musées d’Angers ou le musée Joseph-Denais
à Beaufort-en-Vallée, dont les collections sont riches en antiquités grecques ou égyptiennes.
La notion de patrimoine 24 s’est précisée dans le contexte mouvementé de la Révolution
française à la fin du 18e siècle, puis au long du 19e siècle. C’est dans ce même contexte que naissent,
en France, les premiers musées publics.
Les débuts du musée du Louvre
1791 : un décret crée le Muséum central des arts de la République
1793 : la Convention inaugure le nouveau musée des arts.
1801-1815 : Vivant-Denon est directeur général du Museum central des arts
1803 : le Louvre devient « musée Napoléon »
1826 : Champollion est nommé conservateur des collections égyptiennes par le roi Charles X
L’ouverture du musée du Louvre sous la Révolution peut être considérée comme un acte politique. Le
musée public est porteur d’un engagement patriotique : il faut former des artistes (par la copie des
œuvres), mais aussi permettre au peuple (et non plus seulement à une élite) l’accès aux œuvres d’art,
et ce dans l’objectif d’une éducation du citoyen, par l’exposition à des exemples de beauté et de vertu.
La volonté de se réapproprier un héritage antique, avant tout gréco-romain, et de recréer une
mémoire collective, est un enjeu culturel essentiel pour les gouvernements qui se succèdent au 19e
siècle. Dans ce contexte, le musée du Louvre a très tôt l’ambition d’être un musée encyclopédique et
universel.
L'Instruction de l'an II (rédigée en février 1794) est l'expression culturelle d'un véritable traité doctrinal
qui avec Quelques idées sur les arts de Boissy d'Anglas constituent un discours cohérent sur l'héritage
artistique de la France pour qui l'art de la Grèce devient un bien commun :
« Que Paris soit donc la capitale des arts [...], l'asile de toutes les connaissances humaines et le dépôt
de tous les trésors de l’esprit [...] Il doit être l'école de l'univers, la métropole de la science humaine et
exercer sur le reste du monde cet empire irrésistible de l'instruction et du savoir. [...] C'est à Paris sans
doute qu'il faut établir le dépôt sacré de toutes les connaissances humaines[...], qu'il faut rassembler
tous les monuments de la science et des arts, dont l'ensemble est si nécessaire à leur perfectionnement
et dont l'étude peut seule former le dernier degré de l'instruction publique[...]. Vous avez ouvert le
24
Pour définir la notion – évolutive - de patrimoine, consulter l’ouvrage collectif coordonné par François Icher
sous la direction de Jacques Limouzin : Regards sur le patrimoine édité par le Scéren en 2008.
La question de la protection des monuments et des œuvres d’art contre le « vandalisme » est posée notamment
par l’abbé Grégoire (1750-1831), un révolutionnaire, député à la Convention. Elle sera concrétisée de 1830 à
1834 par la création des premiers inspecteurs des Monuments historiques (Prosper Mérimée est nommé en
1834) et le Service des Monuments historiques.
Service culturel pour les publics 12
Muséum, rassemblez-y soigneusement tout ce que la République renferme déjà de chefs-d’œuvre, tous
ceux que produiront vos artistes, ceux que vous pourrez enlever aux nations voisines, et arracher avec
de l'or à leur ignorance ou à leur avarice. »25
Au nom de l’universalité du patrimoine, une véritable politique culturelle d’appropriation est menée,
qui enrichit les collections des musées.
Le goût pour l’Égypte et les collections du musée du Louvre
Derrière les pillages culturels de Napoléon, il y a le projet de Dominique Vivant, Baron de Denon,
(1747-1825), écrivain, graveur, collectionneur et diplomate français nommé premier directeur
du musée du Louvre par Napoléon après la campagne d’Égypte de 1798-1801. Vivant Denon est
chargé par Napoléon d'organiser des expéditions en Europe pour repérer et réquisitionner des
objets d'art, qui sont ensuite envoyés au Louvre.
Vivant-Denon avait pensé à la mise en œuvre d’un musée universel au Louvre, un musée
encyclopédique qui exposeraient des œuvres d’art provenant du monde entier.
La publication du livre de souvenirs de Vivant Denon en 1802, Voyage dans la Haute et la Basse Égypte,
et des volumes de la Description de l'Égypte, par les membres scientifiques de l'expédition, entre 1810
et 1830, réactive en effet l'intérêt pour l'Égypte ancienne au cours du premier quart du 19e siècle.
La création d'un département d'antiquités égyptiennes au Louvre n'est cependant pas la conséquence
directe de l'expédition de Bonaparte en Égypte entre 1798 et 1801. Les antiquités recueillies alors par
les savants furent saisies par les Anglais comme butin de guerre ; parmi elles, la célèbre Pierre de
Rosette aujourd'hui à Londres. Un petit nombre d'œuvres rapporté à titre privé entrèrent au Louvre
bien plus tard. En effet, après la défaite de Napoléon en 1815, le sort des œuvres est étudié lors du
Congrès de Vienne. Il est décidé que certaines des œuvres, pas toutes mais une grande majorité, seront
restituées à leurs pays d’origine.
Les collections du musée du Louvre - et en particulier la collection égyptienne - s’enrichit de dons,
d’achats et de dépôts qui se multiplient à la suite des fouilles archéologiques du milieu du 19 e siècle.
En témoignent les propos de Champollion, conservateur des collections égyptiennes à partir de 1826 :
"Je jouis d'avance du plaisir que j'aurai à vous montrer cette suite si intéressante de monuments qui
remettent, pour ainsi dire, sous les yeux, le culte, la croyance et la vie publique et privée d'un grand
peuple tout entier" . C’est en ces termes qu’en 1827, Champollion, célèbre égyptologue, résume sa
vision du musée. L'art n'est qu'un des aspects de la collection ; les inscriptions sur pierre ou sur
papyrus, les objets du quotidien, les témoignages des croyances sont envisagés sous un angle
historique ou ethnologique.
Le musée est donc également conçu comme un lieu d’acquisitions de connaissances sur la civilisation
égyptienne, qui contribue à nourrir la curiosité des artistes mais aussi de publics plus nombreux, tout
au long du 19e siècle.
25
F. A. Boissy d’Anglas, Quelques idées sur les arts, sur la nécessité de les encourager, sur les institutions qui
peuvent en assurer le perfectionnement et sur divers établissements nécessaires à l’enseignement public,
adressées à la Convention Nationale et au Comité d’Instruction Publique, In Procès-verbaux du Comité
d’Instruction Publique de la Convention nationale, an II, éd. Par M. J. Guillaume, Paris, 1891-1958, t. II
Service culturel pour les publics 13
Le goût pour l’Orient dans les collections des musées d’Angers
Olivier de Wismes, Musées et bibliothèques d’Angers, ancien logis Barrault
Dessin du baron de Wismes, lithographie de Rouargue, dans
Le Maine et l’Anjou archéologiques et pittoresques, Nantes, 1854-1862
Quelques repères sur la naissance des musées à Angers au 19e siècle
1801 : Le muséum de l’école centrale de Maine et Loire (futur musée des Beaux-arts) ouvre ses
portes, sur le modèle du musée du Louvre. Il est installé dans l’ancien logis Barrault.
1805 : Ouverture du musée, devenu municipal
1839 : Inauguration au musée des Beaux-arts de la galerie de sculpture David d’Angers, dans
l’ancien réfectoire du réfectoire du séminaire (Logis Barrault), pour abriter les œuvres qu’il a
offertes. Elle y reste jusqu’en 1984.
1841 : Le musée d’Antiquités (ou musée archéologique) est installé dans la grande salle des
malades de l’ancien hôpital Saint Jean.
1859 : Legs important de Turpin de Crissé pour les collections du musée
1861 : Le peintre Guillaume Bodinier offre à la Ville l’hôtel Pincé pour abriter les objets de la
collection Turpin de Crissé.
Cette exposition est l’occasion de rappeler qu’Angers vit naître à la fin du 18 e et au 19e siècle, de
nombreux artistes de valeur dont les œuvres, grâce aux dons ou aux legs consentis à la Ville,
enrichirent le musée de façon notable. 26
Lancelot-Théodore Turpin de Crissé (1782-1859)27, artiste et collectionneur important (4000 objets)
a enrichi, par son legs de 1859, les musées d’Angers. Il a acquis, par exemple, de nombreux objets qui
proviennent de la civilisation grecque ou romaine. L’artiste, qui a voyagé en Italie, n’a jamais fait le
voyage en Égypte. Amateur éclairé, il connaît la collection de Joséphine (dont il est le chambellan à la
Malmaison) et côtoie des archéologues et marchands d’art.
Nous n’évoquons ici que des objets d’art témoignant du goût pour l’Orient. Bien d’autres exemples peuvent
être pris grâce à la découverte de l’exposition Curiosité(s) : un certain goût pour l‘Ailleurs.
27 Les enseignants pourront trouver des informations sur l’artiste dans plusieurs catalogues d’exposition et
dossiers-enseignants qui ont été consacrés à cet artiste.
26
Service culturel pour les publics 14
La vente de la célèbre collection de Vivant-Denon attira de très
nombreux acheteurs en 1826, au premier rang desquels Turpin de
Crissé. Parmi les objets issus de cette collection, « un beau Canope en
albâtre », témoignage des rites funéraires égyptiens.
Turpin de Crissé lègue, à sa mort en 1859, plus d’une centaine d’objets
égyptiens à la Ville d’Angers. Une partie de sa collection est installée en
1862 au musée des Beaux-arts ; l’autre sera présentée au logis Pincé à
partir de 1889. Cet hôtel particulier du 16e siècle fut en effet donné à la
Ville d’Angers par le peintre Guillaume Bodinier pour y présenter cette
collection riche d’objets antiques.
Outre Turpin de Crissé, le legs le plus important est sans doute celui
du
sculpteur David d’Angers en 1839, artiste auquel est désormais
Vase
canope
du
chancelier
Nakhtmin,
dédié, depuis 1984, l’ancienne Abbaye Toussaint. Une grande partie de
Nouvel Empire, XVIIIème
la production de Guillaume Bodinier28 a également été léguée par sa
dynastie (1550 à 1295 av
veuve au musée.
J.-C.), Aragonite (albâtre
Le docteur Fouquet a également fait, de son vivant, plusieurs envois aux
égyptien).
Musées
musées : Sèvres, Rouen, Le Louvre… Le musée des antiquités Saint Jean29
d’Angers.
Ancienne
collection de Dominiqueà Angers a bénéficié de sa générosité à travers cinq envois précoces,
Vivant Denon. Acquis par
entre 1883 et 1889. Au total, le musée bénéficia de 117 pièces diverses
Turpin de Crissé.
dont, en 1888, un lot de momies humaines et animales.
En 1915, le legs Saint-Genys,30 constitué en partie d’estampes
japonaises, engagea le musée vers une autre direction, l’Extrême-Orient, que des achats et des legs,
entre 1945 et 2001, renforcèrent.
Ces collections ont été réaménagées à deux reprises et vers 1950, le logis Pincé fut définitivement
dévolu à l’Antiquité grecque, romaine et égyptienne, ainsi qu’aux arts orientaux. Labellisé musée de
France, l’hôtel de Pincé est actuellement provisoirement fermé au public, le temps qu’une mise en
conformité des espaces en terme d’accessibilité et qu’un nouveau projet de présentation des
collections soient réalisés.31
Le goût pour l’Orient…au musée Joseph-Denais de Beaufort en Vallée.
Le collectionneur Joseph Denais (1851-1916), a rapporté (et étudié) de nombreux objets au cours des
voyages qu’il a effectués dans sa carrière de journaliste, en particulier en Turquie au tournant du siècle,
ou des dépôts qu’il a su solliciter auprès de diverses personnalités (tel Émile Guimet) et institutions.
Le musée qu’il fonde en 1905 à Beaufort-en-Vallée est tout empreint de la personnalité de ce
collectionneur, entre encyclopédisme et exotisme. La diversité de sa collection est présentée selon le
principe d’accumulation, à l’image des « cabinets de curiosités ». S’y mêlent les sciences naturelles,
les beaux-arts, les arts décoratifs, l’archéologie égyptienne et méditerranéenne, l’ethnographie
française et étrangère, l’histoire locale … Il replace l’histoire locale dans une histoire universelle,
comme une vaste encyclopédie où chaque objet est une citation d’une période et d’une géographie.
28
Les enseignants pourront trouver des informations sur l’artiste dans plusieurs catalogues d’exposition et
dossiers-enseignants qui ont été consacrés à cet artiste.
29
À partir de 1876, les collections du musée d’Antiquités, créé en 1841 et présenté alors au Logis Barrault, ont
été transférées dans la salle des malades de l’hôpital Saint Jean.
30
Consulter la fiche-enseignant sur le Japonisme.
31
Le parcours proposé dans cette exposition participe du nouveau projet scientifique et culturel du musée Pincé,
dont provient la majorité des pièces montrées. En effet, les ensembles collectés et les figures de curieux évoqués
dans cette présentation ne sont qu’une petite partie de l’extraordinaire richesse du fonds du musée Pincé en
matière d’histoire du goût pour l’autre et pour l’Ailleurs
Service culturel pour les publics 15
L’exemple du musée Joseph-Denais est donc emblématique d’un goût pour l’Ailleurs qui ne se laisse
pas enfermer dans des catégories. Lieu de fascination, il invite au voyage immobile.
Le développement des musées à la suite de la Révolution française et de l’Empire permet ainsi à des
publics plus nombreux, élites bourgeoises tout d’abord, d’ouvrir leurs regards sur l’Ailleurs.
Les grandes expositions universelles organisées au 19e et au début du 20e siècle par les Européens,
sont également les lieux incontournables pour le développement de la curiosité pour l’Orient et les
Amériques. Mêlant exposition des arts et de l’industrie, découverte du monde et divertissement teinté
d’exotisme, elles rencontrent un immense succès. Expression de la puissance d’Européens sûrs de leur
supériorité, elles offrent un premier regard, quoiqu’occidental, sur d’autres espaces et populations
lointaines du monde.
Service culturel pour les publics 16
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