Introduction Introduction La Kabbale ne se réduit pas à l’arbre séphirotique ou au tzimtzoum de Louria, ni à quelque modèle ou doctrine que ce soit. La Kabbale est un état d’esprit. Un état d’esprit de lecture de tout ce qui est offert aux yeux du visage et aux yeux du cœur, de l’intelligence et de l’âme. Un état d’esprit résolument mystique et ésotérique qui nourrit une herméneutique généralisée : tout est signe, tout est symbole. L’homme ne perçoit et ne conçoit que les traces apparentes de processus sous-jacents, invisibles, impalpables : des processus d’émergence et d’accomplissement. Les motifs de la tapisserie ne sont que les traces du processus de tissage : les hommes voient le tissé mais ignorent le tissage. La Kabbale est lecture. Et il n’y a que deux Livres. Tous les autres livres n’en sont que des commentaires. Il y a le Livre de la Vie, au centre, qui s’exprime par la Nature. Il y a le Livre de la Connaissance qui s’exprime, en hébreu, langue de la Kabbale, par la Torah. La Kabbale sait que l’auteur de ces deux Livres ultimes et suprêmes est Un. Elle sait qu’il est un auteur anonyme. Aux sources de la Kabbale et de la Mystique juive Mais la Kabbale croit dur comme fer que ces deux Livres n’en font qu’un, qu’ils ne sont que les deux faces opposées et complémentaires du même Mystère : celui du Devenir. * La Connaissance transcende et sublime la Vie. La Vie engendre et nourrit la Connaissance. Elles sont comme yin et yang : elles procèdent l’une de l’autre et s’enroulent autour du temps. Et l’homme est pont entre elles : il est vie pensante, il est pensée vivante. La Kabbale construit ce pont en l’homme, avec l’homme, par l’homme. * Qu’est-ce que la Kabbale ? Qu’est-ce que la Kabbale ? Il y a plusieurs manières de définir les choses : par leur contexte, par leur vocation (leur pour-quoi), par leur usage (leur comment). Le contexte de la Kabbale La Kabbale est clairement le courant mystique et ésotérique propre à la tradition juive. La tradition prétend qu’elle est née sur le mont Sinaï où Moïse reçut d’une part les Tables de la Loi pour le peuple profane et la Kabbale pour les élus initiés. Depuis, le courant ésotérique et kabbaliste juif s’est toujours développé en parallèle (et parfois en conflit) avec la religion juive, c’est-à-dire, aujourd’hui, le talmudisme et le rabbinisme (héritiers du pharisaïsme antique et de la philosophie de Maïmonide). Le kabbalisme, parce que mouvement ésotérique et initiatique, vit le plus souvent caché. Son histoire est cependant ponctuée par des livres. Outre les mentions talmudiques de travaux ésotériques de rabbins, connus sous les noms de Maassé B’reshit (Œuvre du commencement) et de Maassé Merkabah (Œuvre du char), le premier livre kabbalistique qui soit encore connu de nos jours, est le Séphèr Yètzirah (Livre de la Création) qui date du ve ou vie siècle Aux sources de la Kabbale et de la Mystique juive de l’ère vulgaire. Mais les écrits fondateurs de la Kabbale « moderne » fleurissent en Provence, au début du xiie siècle, avec Abraham de Posquières (aujourd’hui Vauvert près de Sète) et son fils Isaac l’Aveugle. Leur Séphèr ha-Bahir (Livre de la Clarté) émigra ensuite vers Gérone, en Catalogne espagnole, où il fit école. De là naquit le grand Séphèr ha-Zohar (Livre de la Splendeur) que Moïse de Léon compila au xiiie siècle. Au xive siècle, un Juif italien, Abraham Aboulafia, développe une sorte de yoga kabbalistique basé sur le contrôle du souffle lors de la récitation des textes sacrés. Nouveau rebondissement au xvie siècle, après l’expulsion des Juifs d’Espagne, avec Moïse Cordovero (Le Verger des grenades et Le Palmier de Déborah) et surtout avec Isaac Louria (Traité de transmigration des âmes) qui créa tout un système cosmogonique sophistiqué basé sur le principe du tzimtzoum (la rétractation de la divinité afin de créer un espace vide propice à la création des mondes) et sur l’idée de la « brisure des vases » qui induit la fragmentation de l’âme cosmique en myriades d’étincelles divines éparpillées dans l’espace et le temps et qui ne tendent qu’à réintégrer leur unité primordiale (on lui doit notamment la jolie théorie des âmes sœurs). Depuis, malgré la chape obscure des « Lumières », la Kabbale a continué son chemin, s’embourbant parfois dans des impasses comme à Istanbul avec Sabbataï Tzvi (xviie siècle) ou avec son héritier Jacob Franck (xviiie siècle), se pervertissant parfois dans des pratiques magico-démiurgiques auxquelles on doit la légende du Golem et la formule « abracadabra » (« je créerai comme je parlerai ») ou se vulgarisant en piétisme plus ou moins illuminé dans le mouvement hassidique fondé en Pologne au xviiie siècle par Israël Baal Shem Tov. Aujourd’hui, il existe de nombreux centres d’études et de bons maîtres kabbalistiques un peu partout dans le monde. Parmi ces maîtres, un des plus connus est Adin Steinsaltz qui vit en Israël et mon maître, plus discret, R. Charles Touati, mort à Paris il y a quelques années. Qu’est-ce que la Kabbale ? Du côté des auteurs francophones, on peut citer pêle-mêle Claude Vigée, Victor Malka, Alexandre Safran, Léo Schaya, Henri Sérouya, Moshé Idel, Charles Mopsik et bien d’autres. La vocation de la Kabbale La vocation intime et ultime de la Kabbale est la divinisation ou la déification de l’homme. Du moins, de l’homme qui s’en révèle désireux et capable. Elle vise à faire sortir l’âme du plan humain de l’existence relative et locale, pour lui faire atteindre le plan divin de l’essence absolue et globale : autrement dit, elle vise à l’union de l’âme humaine et de l’âme cosmique. La Kabbale n’est pas un discours : elle ne prétend pas dire une vérité. Elle est une méthode, une ascèse, une démarche, un cheminement, un processus. Elle n’est pas philosophique et discursive, elle est mystique et initiatique. Son langage n’est pas celui des concepts et de la logique, mais bien celui des symboles et des métaphores. En cela, elle s’apparente aux pratiques de l’Orient, celles du ch’an ou du zen, celles de Tchouang-Tseu et des Upanishad, et elle s’écarte des labyrinthes conceptuels intellectualisant de l’Occident. La métaphysique kabbalistique est multiple, mais son noyau le plus pur repose sur deux piliers centraux (les deux arbres mystiques du jardin d’Éden) : un monisme radical (donc au-delà de tous les monothéismes, dualismes, panthéismes et autres théismes) et, par conséquent, un émanationnisme intégral (donc au-delà de tous les créationnismes). En un mot : Tout est Un qui est bien plus que le Tout, et tout vient du Un et y retourne car si l’Un est totalement Un, il ne peut être ni devenir Deux. La non-dualité foncière de la Kabbale authentique l’apparente fortement au vedanta indien et au tao-chia chinois avec lesquels elle a de très nombreux points communs. Aux sources de la Kabbale et de la Mystique juive Les usages de la Kabbale La Kabbale est d’abord et avant tout une lecture mystique, ésotérique et initiatique de la Torah hébraïque (donc écrite et lue en hébreu classique, sans les signes diacritiques qui ont été ajoutés arbitrairement par les massorètes du vie siècle de l’ère vulgaire, et sans espace entre les lettres, mots et paragraphes, eux aussi surajoutés au texte original). Sans langue hébraïque, aucune Kabbale n’est possible, toute « cabale » est absurde. L’indispensabilité de l’hébreu vient du fait que cette langue, purement consonantique, laisse une infinité d’espaces d’interprétations selon la découpe et la vocalisation choisies. Au contraire des langues indo-européennes qui sont très univoques et linéaires, les langues sémitiques sont multivoques et se prêtent volontiers aux arcanes symboliques et herméneutiques. Le principe premier de la pratique kabbalistique est ceci : Dieu a donné deux livres à l’homme, celui de la Torah et celui de la Nature. Ces deux livres n’en sont qu’un à qui sait les décrypter. Toute la vérité des mondes s’y trouve pour celui qui a les yeux de l’âme grands ouverts et qui a appris à lire convenablement. Le second principe est ceci : cette vérité est une et unique, mais peut prendre de très multiples formes. Plus les hommes en sont loin, plus ils se lancent d’anathèmes ; plus ils s’en rapprochent, moins ils parlent parce qu’il n’y a plus rien à dire mais tout à vivre. La vérité est au-delà de tous les mots et de tous les concepts : elle ne se dit pas, elle se vit. En cela, la Kabbale est une Sagesse (qui se vit) et non une Philosophie (qui aime la Sagesse mais en parle sans l’atteindre). Dans tout ce texte, le mot « Dieu » sera utilisé par commodité de langage. Ce mot désigne le Réel-Un qui est l’absolu absolument absolu, le principe fondateur de tout ce qui existe et devient. En aucun cas, ce mot « Dieu » ne peut être assimilé aux représentations profanes de la déité telles que véhiculées, notamment, par les théologies monothéistes du Dieu personnel. Répétons que la Kabbale porte un monisme radical où il n’y a aucune place pour les dualismes platonicien et monothéiste. Dieu n’est un dieu « extérieur » et étranger au monde que dans le regard infirme de l’homme ignorant. Le monisme kabbalistique dépasse tous les monothéismes, tous les théismes, tous les polythéismes. Il dépasse aussi le panthéisme qui assimile Dieu au Tout de tout ce qui existe. La Kabbale postule un Réel-Un qui dépasse et transcende ce Tout, un Réel-Un qui est infiniment plus que la somme de toutes les parties du Tout. Qu’est-ce que la Kabbale ? La Kabbale s’intéresse à l’herméneutique des livres de la Torah en général, mais elle s’intéresse plus particulièrement aux livres les plus porteurs de sens symbolique : le livre de la Genèse (les trois premiers chapitres surtout), le Cantique des cantiques et la vision du char divin du début du livre d’Ézéchiel. De plus, l’étude kabbalistique des textes sacrés s’alimente aussi aux écrits et symboles kabbalistiques antérieurs qui forgent la tradition et la transmission initiatique de maître à disciple. Un exemple fameux est le symbole de l’arbre séphirotique. Face au texte hébreu de la Torah, le kabbaliste a devant lui quatre niveaux de lecture qui se superposent sans s’exclure mutuellement. La Kabbale est un verger mystique et, en hébreu, le verger se dit « PaRDèS » (qui a donné paradis) qui forme l’acrostiche des quatre niveaux de lecture de la Torah : Pshat (la lecture littérale), Rémèz (la lecture allégorique), Dérèsh (la lecture philosophique) et Sod (la lecture mystique ou ésotérique qui est plus spécifiquement celle de la Kabbale). On comprend qu’à ce quatrième niveau du Sod – du « secret » –, les lettres que le texte utilise ne sont plus que symboles. Les mots et phrases qu’ils forment ne sont plus que prétextes à herméneutiques sans fin. Chaque lettre du texte devient porteuse de sens et tous les assemblages possibles deviennent féconds. Le problème n’est plus de lire ce que le texte veut dire mais bien de ce que les lettres du texte nous font dire. Sans que celles-ci soient indispensables ou incontournables – contrairement à ce que disent les livres de vulgarisation et à ce que croient les débutants –, diverses méthodes de stimulation herméneutique ont souvent été activées par les kabbalistes. La plus connue est la guématria qui associe à chaque lettre sa valeur numérique et permet de rapprocher des mots dont les valeurs se combinent selon les arcanes de l’arithmologie. Aux sources de la Kabbale et de la Mystique juive Marc-Alain Ouaknin, dans son livre Lire aux éclats, éloge de la caresse, dénombre 32 méthodes de ce type. D’autres n’en citent que trois. On peut en inventer à l’infini. Jeux futiles diront certains. Jeu, certainement, comme la vie, comme l’art, comme l’amour, comme la mort : jeu de la créativité méthodique et de la méthode créative. Futile : certainement pas. Ce n’est pas moi qui cherche la vérité, c’est la vérité qui se cherche par moi. Ce n’est pas moi qui pense, mais il y a pensée en moi : c’est l’esprit qui se pense à travers moi. Ce n’est pas moi qui crée, mais il y a création en moi : c’est la connaissance qui se crée à travers moi. Le kabbaliste n’est que le véhicule du cheminement kabbalistique. Il y a plusieurs écoles kabbalistiques, parfois très éloignées les unes des autres. Il y a en fait autant de Kabbales que de kabbalistes. Mais là n’est pas l’essentiel : au-delà des méthodes, des repères, des itinéraires, la Kabbale est cheminement c’est-à-dire questionnement perpétuel. Là où le profane ne voit qu’un mot, le méqoubal (« kabbaliste » en hébreu) voit déjà 32 sens, dit le dicton. La joie est la vérité et la vérité est dans le cheminement et non dans le chemin parcouru. Et ce cheminement n’a aucune destination, ni aucun itinéraire, il n’est que cheminement pur sans autre but que lui-même. Comme la vie. Comme l’amour. Comme la mort. Et comme eux, ce cheminement, à chaque pas, est enrichissement… et peut-être, un jour, au hasard d’un détour du chemin, une rencontre. La rencontre absolue : selon la tradition, elle s’appelle ming ou nirvana ou satori ou samâdhi ou haqîqa ou unio mystica. Les kabbalistes l’appellent la dévéqout. * Cheminement du kabbaliste L’arbre séphirotique ou arbre des séphirot (pluriel de séphirah qui signifie « figure ») a une origine obscure. On en trouve les pré- Qu’est-ce que la Kabbale ? mices dans le Séphèr Yètzirah (vie siècle) qui dénombre dix séphirot qui sont décrites, mais non clairement nommées (aux côtés des vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu pour former, ensemble, les trente-deux voies de sagesse) et non encore structurées en arbre. Cette structure sera exprimée dans le Séphèr ha-Zohar (xiiie siècle) et contient les dix Séphirot (Kétèr : la couronne, ‘Hokhmah : la sagesse, Binah : l’intelligence, Tiphérèt, la beauté, ‘Hessed : la bonté, Guèbourah : la force, Yéssod : le fondement, Nètza’h : la splendeur, Hod : la majesté et Malkhout : le royaume) reliées entre elles par les vingt-deux « canaux », associés chacun à une des vingt-deux lettres de l’alef-beth. Cet arbre, appelé parfois par les kabbalistes « l’arbre de Vie » en référence à l’arbre qui trônait au centre du jardin d’Éden, non loin de « l’arbre de la connaissance du bon et du mauvais », est interprété de deux manières complémentaires. Si on le lit de haut en bas, il exprime le processus de formation des mondes à partir de l’émanation primordiale du Eyn-Sof (« l’infini » qui pour les kabbalistes représente le principe suprême, l’Un qui englobe et transcende yhwh et tous les Elohim). Si on le lit de bas en haut, il représente la « carte » du cheminement spirituel de l’homme qui de degré en degré monte vers le Mystère ineffable de l’Un. C’est cette lecture que nous faisons ici. 10 Aux sources de la Kabbale et de la Mystique juive Cheminement du kabbaliste Tout l’arbre est un verger mystique et, en hébreu, le verger se dit « PaRDèS » (qui a donné : paradis) qui forme l’acrostiche des quatre niveaux de lecture de la Torah : Pshat (la lecture littérale), Rémèz (la lecture allégorique), Dérèsh ((la lecture philosophique) et Sod (la lecture mystique ou ésotérique qui est celle de la Kabbale). La porte d’entrée de ce verger mystique est la Séphirah (Royaume). La franchir, c’est prendre conscience que l’homme vit naturellement dans le monde des apparences, mais que ce monde des apparences n’est pas le monde réel : il n’en est que le reflet, partiel et partial, au travers du canal des sens humains qui sélectionnent et déforment ce qu’ils perçoivent. Entrer dans le Royaume, c’est renoncer à voir le monde comme un hasard chaotique : tout y prend sens, même si, à ce stade, ce sens est caché et illisible. Dès lors que le réel est ressenti comme royaume, il est induit que sur ce royaume règne un Roi dont on devine la Couronne tout en haut de l’arbre séphirotique. Mais la Couronne n’est pas le Roi ; elle le manifeste. La Couronne révèle la royauté du Roi, mais le Roi lui-même est au-delà de sa Couronne, dans le mystère de l’Eyn-Sof. Entrer dans le Royaume, c’est changer de regard sur le monde et sur soi. C’est « voir » que le monde et soi ne sont que deux manifestations éphémères et locales du Réel-Un qui les englobe, les dépasse et les transcende. C’est donc « se savoir » partie prenante d’un flux cosmique dont le monde et soi ne sont que deux apparences épiphénoménales. Le Royaume est donc, d’emblée, le dépassement dialectique de la dualité primaire du « moi » et du « monde », du regard intérieur et du regard extérieur, de la voie méditative qui cherche Qu’est-ce que la Kabbale ? Dieu au tréfonds de soi, et de la voie contemplative qui cherche Dieu au fin fond de l’Univers. Une fois le novice entré dans le Royaume, deux sentiments complémentaires l’assaillent : la splendeur de l’Univers (intérieur et extérieur) et la majesté du cosmos (intérieur et extérieur). L’une et l’autre produisent un émerveillement intraduisible en mots (une fois pour toutes, les mots sont impuissants, voire invalidants, sur le chemin mystique de la vérité ineffable). Cet émerveillement est la clé et le moteur du cheminement kabbalistique : la Kabbale est, en somme, l’art de s’émerveiller, de questionner le réel et de s’étonner au quotidien de ce que les autres trouvent banal ou trivial. La matière, la vie, la pensée sont en soi des miracles permanents : le merveilleux est ici et maintenant bien plus que dans le récit de la traversée pascale de la mer des Joncs. Mais pourquoi donc, à peine entrer dans le Royaume, la dualité apparaît-elle sous la forme de deux émerveillements complémentaires ? Ne devrait-on pas s’attendre à ne trouver que du Un à chaque pas ? La dualité est inhérente à l’homme, à l’esprit humain. L’homme fonctionne selon deux modalités complémentaires, l’une dite du cerveau gauche, analytique, rationnel, quantitatif, logique et l’autre dite du cerveau droit, holistique, passionnel, qualitatif, analogique. Le parcours kabbalistique est ainsi une recherche de l’unité de soi et du monde dans le Réel-Un, mais aussi de l’unité de soi avec soi : une Dans tout ce texte, le mot « Dieu » sera utilisé par commodité de langage. Ce mot désigne le Réel-Un qui est l’absolu absolument absolu, le principe fondateur de tout ce qui existe et devient. En aucun cas, ce mot « Dieu » ne peut être assimilé aux représentations profanes de la déité telles que véhiculées, notamment, par les théologies monothéistes du Dieu personnel. La Kabbale porte un monisme radical où il n’y a aucune place pour les dualismes platonicien et monothéiste. Dieu n’est un dieu « extérieur » et étranger au monde que dans le regard infirme de l’homme ignorant. Le monisme kabbalistique dépasse tous les monothéismes, tous les théismes, tous les polythéismes. Il dépasse aussi le panthéisme qui assimile Dieu au Tout de tout ce qui existe. La Kabbale postule un Réel-Un qui dépasse et transcende ce Tout, un Réel-Un qui est infiniment plus que la somme de toutes les parties du Tout. En ce sens, le kabbalisme est extraordinairement proche du tao-chia chinois et du vedanta indien. Il s’écarte donc, autant que faire se peut, du pharisaïsme et du rabbinisme qui a pris sa suite. La Kabbale, en ce sens, se prétend le dépositaire de l’authentique et secrète tradition orale révélée à Moshé sur le mont Sinaï en parallèle avec la loi écrite, gravée sur les tables de pierre. L’ésotérisme hébreu s’est donc développé, depuis la nuit des temps, en parallèle avec la religion exotérique juive, sans jamais s’identifier à elle, mais sans jamais la renier non plus. 11 12 Aux sources de la Kabbale et de la Mystique juive réunification de l’homme dans toutes ses dimensions, avec le monde et avec lui-même, en somme. La Splendeur inaugure la colonne de droite de l’arbre séphirotique : la colonne féminine (yin) qui est dite aussi la colonne de « Miséricorde » ou de la compassion (au sens bouddhique du terme). La Majesté, elle, inaugure la colonne de gauche : la colonne masculine (Yang) qui est appelée aussi la colonne de « Rigueur » ou de la justice (au sens d’équité). La tradition juive dit de Dieu qu’il possède deux trônes, l’un de justice et l’autre de compassion, et qu’en tout jugement, il s’assied d’abord sur le trône de rigueur pour trancher et passe ensuite sur le trône de miséricorde afin de pardonner (c’est la sens du Yom Kippour). La Splendeur évoque l’âme submergée par la lumière de tout ce qui existe, reflet inouï de la splendeur divine. Elle est une émotion qui frappe au plus profond de la sensibilité humaine, lorsque celle-ci se rend capable de la recevoir. Elle est prémisse de reliance par le cœur. La Majesté impressionne l’âme par la grandeur et la gloire immenses du tout divin qui nous submerge. Elle est une perception plus conceptuelle que sensible de l’immensité et de la grandeur du Tout. Elle est le seuil de la reliance par l’intellect. Ce premier binaire se fond dans la séphirah du « Fondement » qui prolonge la colonne du milieu : celle du « juste milieu » ou de la « voie du milieu » où les contraires se réconcilient et d’où surgit, peu à peu, la non-dualité absolue qui triomphera dans la Couronne. Le Fondement est la réponse à cette question essentielle : si le réelUn est effectivement Un, quel est le fondement de cette unité absolue ? Quelle est la nature du lien qui relie tout à tout et au Tout pour former l’Un qui transcende le Tout ? Cette terrible question hante les esprits mystiques depuis l’aube humaine, en tout lieu, en tout temps. L’unité absolue de tout ce qui existe, l’interdépendance absolue de tout avec tout est soit une incongruité (pour le profane), soit une évidence (pour le mystique).