LETTRE A L'EDITEUR ADENOPATHIE AXILLAIRE SYNONYME DE CANCER MAMMAIRE : A PROPOS DE 3 OBSERVATIONS A L’HOPITAL GENERAL DE DOUALA A. MOUELE SONE*,J.M. NGALLE MBONJO, M. ESSOMBA BIWOLE, J.P. AMANA, A. MBAKOP. RÉSUMÉ L’adénopathie axillaire sans cancer du sein cliniquement ou radiologiquement décelable est une entité reconnue, codifiée par l'UI.C.C. comme étant un cancer mammaire cliniquement TO N1 ou 2. Notre expérience à l’hôpital général de Douala nous amène à présenter 3 observations enregistrées sur une période de six années. Il se dégage les manifestations cliniques observées et les bases thérapeutiques de cette entité clinique rare parmi les cancers mammaires. SUMMARY A x i l l a ry lymphadenopathy meaning breast cancer without clinically or radiologically breast tumour is a known entity recognised by IUAC as a T0 N1 or 2 breast cancer. Our experience at the General Hospital Douala is based on 3 clinical cases that were observed within a period of six years. Observed clinical manifestations are described and treatment bases of this rare entity among breast cancers are discussed. INTRODUCTION Les adénopathies axillaires malignes peuvent être primitives telles que dans la maladie de Hodgkin ou dans les LMNH. Elles peuvent aussi être secondaires ; elles représentent alors des métastases ganglionnaires des cancers qui se propagent à travers les réseaux lymphatiques se drainant principalement ou accessoirement dans l’aisselle. Parmi les adénopathies axillaires malignes primitives, il existe une entité particulière dont les premières descriptions détaillées datent des années 1950 [4]. C’est l’adénopathie axillaire maligne d’un cancer mammaire qui pourtant n’est ni cliniquement ni radiologiquement décelable. Nous avons eu le privilège d’observer en six années 3 cas de cette entité rare, cliniquement reconnue par la classification de l’Union Internationale Contre le Cancer (U.I.C.C.) comme TO NI ou 2 [7]. Nous présentons ciaprès de brèves observations cliniques et sur la base de la revue de la littérature les fondements thérapeutiques. Observations cliniques Cas 1 : Madame M.A., âgée de 70 ans, consulte le 7 mars 1990 pour une adénopathie axillaire gauche de toute évidence maligne sur ses caractères cliniques. Dans ses antécédents, on ne retrouve aucun facteur étiologique évocateur : mère de 7 enfants qui avaient été allaités au sein, elle n’avait jamais entendu parler de pilules œstroprogestatives, encore moins de stérilet. Elle n’avait jamais fumé. Sa ménopause était survenue vers l’âge de 50 ans. L’adénopathie a 6 cm de grand axe. Elle est isolée, indurée, fixée aux plans profonds. Le sein homolatéral déshabité, ne présente aucun signe clinique évoquant une pathologie mammaire de nature néoplasique, tout au plus il existe des lésions de grattage aréolaire que l’on ne retrouve pas dans le sein droit. L’abdomen est souple, sans organomégalie. L’état général est moyen. Les mammographies bilatérales ne montrent aucun élément suspect. Il existe trois opacités filamenteuses évo-quant une filariose. Les radiographies pulmonaires sont normales, de même que le dosage de CA 15-3. Une biopsie ganglionnaire faite sous AL révèle un adénocarcinome canalaire infiltrant de grade SBR II. Le 24 mars 1990 une radiothérapie loco-régionale est initiée. Elle couvre le sein gauche, la paroi thoracique sousjacente et les aires ganglionnaires axillo-sus-claviculaires du côté gauche. Les doses administrées sont de 50,00 Gy. en 25 séances sur le sein et la paroi thoracique gauches et de 40,00 Gy en 20 séances sur les aires ganglionnaires couvertes. Deux semaines après la fin de l’irradiation, il existe une diminution du volume ganglionnaire avec en *Service de Radiothérapie-Oncologie Hôpital Général de Douala (Cameroun) Médecine d'Afrique Noire : 1999, 46 (4) 235 A. MOUELE SONE,J.M. NGALLE MBONJO, M. ESSOMBA BIWOLE, J.P. AMANA, A. MBAKOP particulier une reprise de la mobilité par rapport aux plans profonds. Un mois plus tard, les chirurgiens effectuent un ”picking” ganglionnaire libérant le creux axillaire gauche. La pièce opératoire confirme l’histologie initiale. Le traitement est complété par un complément de dose de 10,00 Gy en 5 séances sur un volume axillaire gauche réduit. Au premier anniversaire post-thérapeutique, il n’existe aucun signe de récidive. Le rendez-vous du 2ème anniversaire n’est pas respecté et la patiente est perdue de vue. adénocarcinome canalaire infiltrant. Le 5 juin 1995, une polychimiothérapie de type FAC est initiée. Elle se déroule en trois cures au terme desquelles on obtient une fonte tumorale évaluée à 40 %. Elle est suivie d’une irradiation externe au Cobalt 60 portant sur le sein gauche, la paroi thoracique sous-jacente et les aires ganglionnaires axillosus-claviculaires homolatérales. La dose administrée est de 40,00 Gy en 20 séances réparties sur 4 semaines. La patiente est mise en RC après ces deux modalités thérapeutiques et présentée au ”staff ” de l’hôpital qui suggère que soit réalisée une mastectomie radicale avec curage axillaire gauche. Elle est faite le 21 août 1995. La pièce opératoire ne présente aucun signe de malignité, pourtant la paix est de courte durée pour Madame Z. En effet, 9 mois après le traitement, à l’occasion de l’installation d’une toux rebelle, on lui découvre des métastases pulmonaires en lâcher de ballons et hépatiques. Sa mort survient 2 mois plus tard. Cas 2 : Madame J.A., patiente de 63 ans, est transférée dans notre service le 10 juillet 1992 pour une volumineuse adénopathie axillaire gauche unique, fixée aux plans profonds et superficiels, maintenant le bras gauche en légère abduction. Le tableau clinique a évolué pendant un an et demi avant la première consultation motivée par la gêne permanente sous le bras empêchant la patiente de vaquer à ses occupations champêtres. L’examen clinique ne montre aucune autre anomalie associée à l’adénopathie suspecte. Le bilan à ”minima” - la scintigraphie osseuse non réalisable au Cameroun n’est pas faite - ne montre pas d’atteinte métastatique. Une radiothérapie première à la dose de 40,00 Gy en 20 séances est réalisée sur le sein et les aires ganglionnaires axillo-sus-claviculaires gauches. Elle est suivie au bout de trois semaines par un curage axillaire gauche limité. La patiente n’est revue que quatre mois plus tard avec un blindage axillaire gauche manifestement néoplasique qui évolue vers une plaie ulcérée et surinfectée de toute la région axillaire. Les conditions exactes de son décès n'ont pas pu être évaluées, la patiente ayant passé ses derniers jours en région rurale. Cas 3 : Madame Z, âgée de 57 ans, est reçue à notre consultation du 26 mai 1995 pour une voûssure du prolongement axillaire gauche de nature inflammatoire ayant évolué depuis 3 mois, d’abord sur un mode indolore, ensuite algique dès les premières manifestations de l’inflammation. Cette paisible patiente de provenance rurale, mariée depuis un quart de siècle n’a jamais eu d’enfant sans qu’elle sache pourquoi. Ses antécédents aussi bien familiaux que personnels sont sans particularités. L’examen clinique met en évidence une induration du prolongement axillaire gauche de plus de 10 cm de grand axe, mal limitée et fixée aux plans profonds. Les radiographies pulmonaires et l’échographie abdominale à la recherche de localisations secondaires sont normales. Les résultats des biopsies au trucut sont en faveur d’une métastase ganglionnaire d’un Médecine d'Afrique Noire : 1999, 46 (4) DISCUSSION L’adénopathie axillaire synonyme de cancer mammaire est une entité bien définie. Dans l’approche thérapeutique, HALSTED signalait déjà 3 cas en 1907 [3]. Pourtant avec un siècle de recul, peu de travaux ont été consacrés à cette forme particulière de cancers mammaires. L’une des raisons serait le nombre peu élevé de cas. A l’hôpital général de Douala, les 3 cas représentent 2,5 % de cancers mammaires par rapport aux 119 patientes traitées en 6 ans [5]. Sur le plan pratique, il est important d’éliminer les adénopathies axillaires primitives, celles qui sont métastatiques d’autres localisations et les cancers mammaires du prolongement axillaire. Dans les formes communes de cancers mammaires, le sexratio est de 1 homme pour 100 femmes. Dans la plupart des séries publiées, il n’existe aucune atteinte masculine décrite [6]. Y aurait-il une prédilection d’atteinte du sexe féminin ou serait-ce en raison du nombre insignifiant des malades enregistrés dans diverses séries ? L’âge médian de nos patientes est de 63 ans. Celui de la série de l’Institut Curie est de 54,6 ans [1]. Le grand diamètre moyen des tumeurs à la découverte est de l’ordre de 8 cm. Nos patientes étaient d’emblée T0N2. Cette découverte tardive s’explique par le caractère initialement indolore de l’adénopathie dont la présence en raison de l’état socio-culturel et éducatif n’inquiète guère nos patientes. ADENOPATHIE AXILLAIRE… 236 Histologiquement, nos trois observations présentaient des adénocarcinomes canalaires infiltrants. Il semblerait qu’on les retrouve volontiers plus souvent. CAMPANA signale 27 cas sur une série de 31 (1). Dans les atteintes mammaires classiques, la répartition entre les adénocarcinomes canalaires infiltrants et les adénocarcinomes lobulaires infiltrants est respectivement de 80 % et 5 % ; ce qui n’est pas entièrement le cas dans les adénopathies axillaires mammaires primitives [6]. Le dosage des marqueurs tumoraux n’a pas été significatif chez nos patientes. Classiquement, seulement 30 % des cancers mammaires évolués ont un taux élevé de CA 15-3 [2]. En matière de traitement, il n’existe pas de protocole unifié pour les adénopathies axillaires synonymes de cancer mammaire. A la lumière des travaux anciens, l’évolution est bonne en général, 71 % de survie actuarielle à 10 ans [8]. Si les chirurgiens prônent un curage ganglionnaire axillaire et une mastectomie totale c’est eu égard aux lésions infra cliniques mammaires découvertes à l’analyse histologique des pièces opératoires [9]. Pour les radiothérapeutes, le traitement conservateur associe un curage ganglionnaire axillaire et une radiothérapie adjuvante portant sur les aires ganglionnaires axillo-sus-claviculaires, le sein et la paroi thoracique sous-jacente. Dans un cas ou dans l’autre, les résultats dépendent principalement des équipes thérapeutiques. BIBLIOGRAPHIE 1 - CAMPANA F, FOURQUET A, ASHBY MA, SASTRE X., JULLIEN D, SCHLIENGER P, LABIB A, VILCOQ JR Presentation of axillary lymphadenopathy without detectable breast primary (TO N1b breast cancer): experience at Institut Curie. Radiother. Oncol., 1989 ; 15 : 321-325. 2. DUBOIS JB, GRENIER J. Les marqueurs tumoraux sériques. In Espaces 34 ed. 1991 ; 80-86. 3. HALSTED WS. Results of radical operation for cure of carcinoma of breast Ann. Surg. 1907, 46 : 1-19. 4. KLOPP CT. Metastatic cancer of axillary lymphnode without a demonstrable primary. Ann. Surg. 1950 ; 131 : 437-439. 5. MOUELE SONE A, NDOM P, ESSOMBA BIWOLE M., SENDE C. Aspects cliniques et facteurs de pronostic des cancers du sein chez la femme africaine noire. A paraître. 6. ROSEN PP. Axillary lymphnode metastases in patients with occult non invasive breast carcinoima. Cancer 1954 ; 46: 1298-1306. 7. TNM. Classification of malignant tumor. Genève UICC, 1988. 8. VILCOQ JR, CALLE R, FERME F, VEITH Conservative treatment of axillary adenopathy due to probable subclinical breast cancer. Arch. Surg. 1982, 117 : 1136-1138. 9. WESTBROOK K.C., GALLAGER H.S. Breast carcinoma presenting as an axillary mass. Am. J. Surg. 1971 ; 122 : 607-612. Médecine d'Afrique Noire : 1999, 46 (4)