La BCE a frappé fort mais l`effet de surprise fut de courte durée

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MARS 2016
L'analyse de Thierry Masset
La croissance bénéficiaire
s'essouffle...
La BCE a frappé fort mais l'effet de
surprise fut de courte durée
Les matières premières ne sont pas
encore sorties de l'auberge
L’argent pourrait-il séduire les
investisseurs?
La Fed adopte un ton plus conciliant
De Schengen au Brexit, les risques
pesant sur l'euro s'accumulent
OBLIGATIONS
La BCE a frappé fort mais l'effet de surprise fut de courte durée
La Banque centrale européenne détient actuellement des titres de dette publique et privée d'un montant qui
avoisinait 770 milliards d'euros au cours du 12e mois du programme d'assouplissement quantitatif (QE) qui n'a
jusqu'ici pas permis aux politiciens européens de se rapprocher de leur objectif d'inflation. En zone euro, l'inflation
était de -0,2 % en février et les prévisions macroéconomiques de la BCE, révisées à la baisse (de 1,7 % à 1,4 % pour le PIB
en 2016 et de 1,9 % à 1,7 % pour le PIB en 2017) indiquent que l'objectif de retour de croissance des prix à la consommation
à un niveau légèrement inférieur à 2 % est de plus en plus repoussé. Même l'inflation de base hors alimentation et énergie a
cru à un rythme dérisoire de 0,7 %, ce qui suggère que le malaise ne s'explique pas uniquement par la grande faiblesse des
prix du pétrole.
Le marché d'actions n'est pas dupe. Au cours de la première année de l'assouplissement quantitatif (QE), l'indice
Euro Stoxx 50 a chuté de 17 % et la volatilité a atteint des niveaux qu'on n'avait plus observés depuis 2008.
Au commencement du QE de la BCE, les actions ont connu une nouvelle embellie, emportées par l'optimisme
grandissant à propos d'une reprise en zone euro. Mais une succession de crises, à commencer par la quasi sortie
de la Grèce de la monnaie unique, exacerbée par le malaise croissant à propos du ralentissement de la croissance
chinoise, le scandale des émissions de Volkswagen et le relèvement des taux de la Réserve fédérale en décembre, a
jeté le trouble.
Les liquidations déclenchées sur les marchés d'actions au cours des six derniers mois par les trois grandes
banques centrales (la Fed en septembre 2015, la BCE en décembre 2015 et la Banque du Japon en février 2016) ne
favorisent pas la confiance. La confiance dans la politique monétaire semble se fragiliser à l'heure où le QE est
passé à l'heure du désenchantement.
Confrontée au risque d'une perte de confiance dans les banques centrales et le système financier en général, la
BCE devait offrir un stimulant plus conséquent au lieu de décevoir les marchés une seconde fois. Étant donné que des titres
de dette souveraine d'un montant approximatif de 900 milliards USD qui respectent les critères d'échéance du programme
d'assouplissement quantitatif (QE) de la BCE, ont un rendement inférieur à son ancien taux de dépôt (-0,3 %), et ne peuvent
ainsi s'inscrire dans le programme QE, la BCE a décidé de réduire son taux de dépôt à -0,4 %. Au même moment, la
BCE a abaissé son taux refi de 0,05 % à zéro et le taux de la facilité de prêt marginal de 0,30 % à 0,25 %.
Selon l'indice Bloomberg des obligations souveraines de la zone euro, un abaissement de 10 points de base pour
atteindre -0,4 %, le point médian estimé par les économistes, permettrait de rendre un montant d'environ
380 milliards d'euros éligible au QE de la BCE. Des abaissements de 20 et 30 points de base feraient intervenir des
montants supplémentaires de respectivement 300 et 140 milliards d'euros.
Le risque de cette stratégie réside dans l'extinction prématurée de ses bienfaits : les rendements se sont en
effet repliés davantage en territoire négatif depuis que la BCE et son président Mario Draghi ont abaissé le
taux de dépôt en décembre 2015. La volonté des investisseurs obligataires de payer en réalité les
gouvernements pour pouvoir emprunter prouve qu'ils se posent des questions à propos de l'efficacité des
politiques menées par les banques centrales. En fait, ils se demandent même si toutes ces mesures ne
finiront pas par faire plus de mal que de bien à l'économie mondiale.
Malgré les milliards injectés par les banques centrales de par le monde depuis la crise financière dans le cadre
du QE et les taux d'intérêt négatifs instaurés dans vingt-quatre pays, les prévisions d'inflation du marché
restent coincées aux mêmes planchers qu'après la crise financière.
Le mois passé, l'Organisation de coopération et de développement économiques a revu à la baisse sa prévision
de croissance mondiale pour 2016 de 3,3 % en novembre à 3 %, évoquant des risques considérables pour la
stabilité financière. La faiblesse des cours des actions et des matières premières pèse sur l'inflation et pousse
les investisseurs à se réfugier dans les obligations d'État.
La principale inquiétude réside dans le fait que les taux d'intérêt négatifs, a fortiori s'il reçoivent un tour de
vis supplémentaire, risqueraient de contracter la rentabilité des banques à un point tel que celles-ci
réduiraient leurs prêts aux entreprises et ménages. Plus Mario Draghi injectera de liquidités dans sa tentative
d'accroître l'inflation, plus il sera difficile pour les banques de la zone euro d'affecter celles-ci. Étant donné que l'activité
de prêt se remet très doucement d'une longue période d'apathie, les établissements financiers parviennent pour la
plupart à placer le cash qu'elles reçoivent lorsque la BCE rachète les titres obligataires directement dans les facilités
de la banque centrale, opération dont ils sortent perdants puisqu'ils doivent donner 40 points de base pour chaque euro
et sommes supérieures aux réserves minimales obligatoires. Selon Morgan Stanley, si la BCE déprimait davantage
le taux de dépôt en territoire négatif, elle réduirait les bénéfices des banques de la zone euro de 10 % au
moins sans que l'euro s'en ressente véritablement.
La BCE a raison de se plaindre de l'Italie : cette dernière doit encore régler la situation de ses banques
après des années d'immobilisme. Les banques italiennes sont déjà en prise avec des prêts problématiques – les
cinq premières banques du pays comptent déjà des créances en souffrance d'un montant de l'ordre de 120 milliards
d'euros. Mais la BCE doit faire preuve de prudence. Un échec de sa part pourrait engendrer un cycle vicieux : une
détérioration de la confiance des investisseurs qui aboutirait à une pénurie de financement et par conséquent à des
sauvetages, une situation risquant de s'exacerber si le taux européen de dépôt devient encore plus négatif.
Si par conséquent, les déposants sont incités à placer leur argent ailleurs, les prêteurs pourraient se voir forcés de
recourir davantage aux financements interbancaires. Si les banques italiennes ne peuvent obtenir ce financement à
des coûts raisonnables, elles se tourneront vers la BCE. C'est la raison pour laquelle la BCE a annoncé une
nouvelle série de quatre opérations de refinancement à plus long terme ciblées (TLTRO II), ayant chacune
une durée de quatre ans, qui seront lancées en juin 2016 et pour lesquelles les taux d'intérêt pourront être aussi bas
que celui de la facilité de dépôt. De telles modalités d'emprunt permettront de renforcer la liquidité des banques
susceptibles d'être contraintes à rembourser des liquidités empruntées auparavant au titre des TLTRO d'ici
le mois de septembre.
Des taux bas favorisent ordinairement la consommation et les investissements, mais on est en droit de se
demander si un taux d'intérêt à -0,4 % serait favorable à la croissance et l'emploi.
Si sociétés et consommateurs ne sont pas tentés d'accroître leurs dépenses à 0 %, il y a tout lieu de se demander s'ils
agiront de la sorte à -0,4 %. Les investissements restent, en effet, largement inférieurs à leurs niveaux d'avant la crise
et ont fortement chuté en proportion du produit intérieur brut (PIB). La formation brute de capital fixe se situe toujours
15 % au-dessous de son pic de 2008. À titre de comparaison, le chiffre est 2 % au-dessous de son pic au RoyaumeUni et 1 % au-dessus aux États-Unis.
Un nouvel abaissement du taux de dépôt pourrait, dans une très faible mesure, encourager les consommateurs et les
entreprises à emprunter et dépenser davantage, mais cette mesure ne suffira pas à elle seule à faire la différence,
d'autant plus que les conditions financières semblent s'être resserrées ces derniers mois.
Il sera difficile pour Mario Draghi de redonner la confiance aux gens dans la reprise. En Europe, la croissance
et l'inflation restent coincées à des niveaux planchers et les bénéfices continuent de faire l'objet de révisions à la
baisse. Le marché nécessite des révisions de bénéfices à la hausse et de meilleures surprises économiques. Depuis
la fin 2014, les bénéfices par action des valeurs constituant l'indice MSCI Monde ont chuté de 10 % (en
devises locales). Depuis lors, les entreprises voient leurs résultats se dégrader quasi chaque trimestre, ce qui
correspond à une période au cours de laquelle les actions mondiales ont subi deux corrections depuis le pic historique
qu'elles avaient atteint en mai 2015.
Dans cet environnement, une nouvelle extension des achats d'actifs pourrait s'avérer nécessaire pour renforcer la
confiance de manière générale. C'est pourquoi la BCE a décidé de faire passer les rachats de titres obligataires d'un
montant de 60 à 80 milliards d'euros par mois (à partir du mois d'avril) et d'intégrer dans son programme les obligations
d'entreprise libellées en euros de qualité investment grade (émises par des entreprises autres que des banques qui sont
établies en zone euro). Les achats de la BCE des obligations d'entreprise pourraient servir à limiter la liquidité d'un
marché pour lequel les investisseurs estiment que la négociation a été rendue plus difficile après que les banques
se soient délestées de leurs titres obligataires pour préserver leur capital à la suite du durcissement des règles.
En conclusion, la BCE a fait son travail mais ne peut à elle seule remettre la Chine sur les rails ou réorienter la
stratégie suivie par les acteurs des secteurs public et privé, qui continuent d'afficher un comportement très
prudent et anti-cyclique. À défaut de mesures fiscales de la part des pays qui peuvent stimuler davantage les dépenses
publiques et diminuer les taxes, Mario Draghi restera, dans le faits, impuissant.
Ceci explique pourquoi les investisseurs obligataires sont de plus en plus confrontés à une nouvelle réalité, dans
laquelle les taux négatifs sont devenus la norme en raison des craintes autour de l'économie mondiale. En
Allemagne, l'accroissement de la demande pour les valeurs refuges a poussé les rendements moyens sous la barre de 0 %
pour environ 1 000 milliards d'euros de titres. Au Japon, les cours obligataires sont à ce point élevés que pratiquement deux
tiers des emprunts d'État proposent aujourd'hui des taux négatifs. Dans tous les pays du G7, les emprunts de référence à 10
ans rapportent moins de 2 %. Même le rendement des bons du Trésor américain se trouve maintenant à 1,77 % après avoir
perdu environ 50 points de base cette année. L'avantage de taux dont bénéficie traditionnellement la dette US par rapport aux
obligations souveraines européennes et japonaises n'est plus aussi évident.
Maintenant que la tempête sur les marchés financiers a fait de la sécurité la priorité numéro un des investisseurs,
ces derniers se rendent compte qu'ils ne disposent pas de beaucoup de solutions. Même aux États-Unis, pays qui
est depuis longtemps la destination privilégiée des investisseurs en période de tensions, les bons du Trésor sont à ce point
demandés que lorsque leurs cash-flows sont convertis en euros, leurs rendements sont encore plus faibles que ceux des
Bunds allemands, pourtant médiocres. Pour les acheteurs en euros de bons du Trésor à 10 ans, la conversion des
paiements d'intérêts en dollars en euros sur l'ensemble de la durée de vie des titres aura pour effet de faire baisser le
rendement à 0,15 % (estimation basée sur les prévisions futures de taux et de change), soit moins que le rendement de 0,2
% des Bunds allemands à 10 ans. Pour les investisseurs japonais, la situation est encore pire, avec un rendement, après
conversion en yens, de -0,7 %.
Ce phénomène s'est déjà confirmé. Le rendement de 2,1 % enregistré en février par les bons du Trésor se transforme, en
effet, en une perte de 0,2 % une fois converti en euros. En yens, cette perte grimpe même à 4,2 %. Et ce n'est pas tout. S'ils
couvrent leur risque de change, les acheteurs en euros ne gagnent même pas plus que s'ils investissaient simplement dans
des Bunds allemands.
La situation est relativement compliquée. Les risques pesant sur les actifs considérés comme des valeurs refuges
ont augmenté alors que les rendements ne cessent de baisser. Si le compromis qui consiste à perdre un peu d'argent
en échange de la sécurité offerte par les obligations d'État reste acceptable aux yeux des investisseurs prudents,
d'importants risques n'en restent pas moins présents.
L'année passée, le spectre de la déflation et l'instauration par la BCE d'un programme d'assouplissement quantitatif
(QE) ont fait baisser le rendement moyen des dettes de la zone euro à un plancher historique de 0,475 % et le
rendement des Bunds allemands à quasiment 0 %.
Dans les mois qui ont suivi, les rendements sont brusquement repartis à la hausse après quelques signes
encourageants concernant l'économie de la région.
À la mi-juin, les rendements des emprunts allemands à plus long terme avaient gagné plus d'un point de pourcentage,
entraînant ainsi une perte record de 13 % pour les investisseurs sur le trimestre.
Malgré ces réserves, beaucoup d'investisseurs ont acheté des obligations proposant des taux négatifs ces
dernières semaines, à cause du manque d'alternatives. Une réponse aux mesures exceptionnelles prises par des
banques centrales comme la BCE et la BoJ, qui ont fait passer leurs taux en négatif et ont décidé d'acheter encore
davantage d'obligations souveraines, afin d'essayer de relancer leurs économies. En février, l'Organisation de coopération et
de développement économiques a revu à la baisse sa prévision de croissance mondiale pour 2016 de 3,3 % en novembre à
3 %, évoquant des risques considérables pour la stabilité financière. Dans une enquête réalisée par Bloomberg, la plupart
des économistes interrogés estiment également que la BCE maintiendra des taux négatifs jusqu'au premier trimestre de
2018 au plus tôt et la BoJ jusqu'au moins la fin de la même année.
Les obligations d'État proposant des rendements extrêmement bas restent également populaires en raison des craintes
concernant la santé de l'économie en Chine et aux États-Unis (les deux moteurs de la croissance mondiale) et de
l'accroissement de la volatilité sur l'ensemble des marchés financiers.
Mais ce n'est pas tout. La volonté des investisseurs obligataires de payer en réalité les gouvernements pour
pouvoir emprunter prouve également qu'ils se posent des questions à propos de l'efficacité des politiques
menées par les banques centrales. En fait, ils se demandent même si toutes ces mesures ne finiront pas par faire plus de
mal que de bien à l'économie mondiale. Malgré les milliards injectés par les banques centrales de par le monde depuis la
crise financière dans le cadre du QE et les taux d'intérêt négatifs instaurés dans vingt-quatre pays environ, les prévisions
d'inflation du marché restent coincées aux mêmes planchers qu'après la crise financière. La faiblesse des cours des
actions et des matières premières pèse sur l'inflation et pousse les investisseurs à se réfugier dans les obligations d'État.
Dans ce contexte, ce sont les obligations à long terme qui profitent le plus de la baisse des rendements : les
obligations à 10 ans reprises dans l'indice Bloomberg des obligations d'État des pays développés (+3 % en euros) ont
surperformé (+7,3 % en euros, pour les Bunds allemands, +13 % pour les emprunts japonais, +7 % pour les obligations
belges) depuis le début de l'année.
2.1 Obligations souveraines périphériques de la zone euro : neutre (par rapport aux obligations du
« noyau dur » de la zone)
Les obligations d'État de la zone euro ont repris du poil de la bête une fois la poussière dissipée après la dernière
avalanche de mesures de relance prises par la BCE (qui a abaissé ses taux d'intérêt, amplifié son assouplissement
quantitatif et mis en place de nouveaux prêts à long terme pour les banques). Après l'annonce de Mario Draghi selon laquelle
les principaux taux d'intérêt conserveraient leur niveau actuel ou seraient abaissés pendant une période de temps prolongée,
les titres italiens et espagnols ont montré le pas et surperformé leurs consœurs bénéficiant d'une meilleure note de crédit.
L'écart entre la prime de rendement que les obligations italiennes à 10 ans offrent et celle du Bund allemand de référence a
atteint son niveau le plus bas depuis la fin janvier.
Quoi qu'il en soit, ce regain d'inquiétude concernant les créances douteuses, la solvabilité et l'instabilité politique
en Espagne et au Portugal, continuent d'alimenter un climat de tension sur le marché européen. En Italie, les
mauvaises créances des banques ont atteint un montant record de 360 milliards d'euros et ce, alors que la faiblesse des
taux d'intérêt pèse sur les marges bénéficiaires.
Par ailleurs, les avantages de la stratégie de la BCE pourraient être éphémères : les rendements se sont en effet
repliés davantage en territoire négatif depuis que la BCE et son président Mario Draghi ont abaissé le taux de
dépôt en décembre 2015. La volonté des investisseurs obligataires de payer en réalité les gouvernements pour
pouvoir emprunter prouve qu'ils se posent des questions à propos de l'efficacité des politiques menées par les
banques centrales. En fait, ils se demandent même si toutes ces mesures mêmes ne finiront pas par faire plus de
mal que de bien à l'économie mondiale.
Malgré les milliards injectés par les banques centrales de par le monde depuis la crise financière dans le cadre du QE
et les taux d'intérêt négatifs instaurés dans vingt-quatre pays, les prévisions d'inflation du marché restent
coincées aux mêmes planchers qu'après la crise financière.
En février, l'Organisation de coopération et de développement économiques a revu à la baisse sa prévision de
croissance mondiale pour 2016 de 3,3 % en novembre à 3 %, évoquant des risques considérables pour la stabilité
financière. La faiblesse des cours des actions et des matières premières pèse sur l'inflation et pousse les
investisseurs à se réfugier dans les obligations d'État.
Dans ce contexte, les obligations souveraines de la périphérie de la zone euro ont sous-performé depuis le début
de l'année, surtout celles émises par la Grèce (-1 %) et le Portugal (-1,4 %).
2.2 Emprunts émergents en devises locales et en devises « fortes » : sous-pondérer
Le ralentissement de l'économie chinoise, la faiblesse du yuan et des autres devises émergentes ainsi que des
prix pétroliers et l'augmentation de la dette des pays émergents limitent la capacité de ces pays à emprunter à
l'étranger. Dans ce contexte, la confiance des investisseurs vis-à-vis des dettes émergentes est faible, car ils craignent de
voir de plus en plus de sociétés de ces pays éprouver des difficultés à assurer le service de leur dette alors que la Fed vient
juste de relever ses taux d'intérêt, alors proches de zéro.
Le rendement moyen sur les obligations souveraines émergentes a enregistré sa plus forte hausse en quatre ans (de
4,5 % à 5 % pour les emprunts en devises fortes depuis la fin du mois d'octobre dernier).
Les actions émergentes ont perdu 24 % depuis la fin avril 2015 et les fluctuations de leurs cours ont pratiquement
doublé depuis la mi-2014, la perspective d'un relèvement des taux de la Fed (le premier en neuf ans) faisant craindre
une fuite des capitaux.
Les taux de change des pays exportateurs de matières premières sont repartis à la baisse (-25 % par rapport à l'euro
pour le Brésil en 2015, -21 % pour la Colombie, -15 % pour l'Afrique du Sud, -13 % pour la Turquie et -7 % pour la
Russie), en raison de la nouvelle chute des cours des matières premières (-25 %). Il s'agit des reculs les plus
importants enregistrés sur 24 pays émergents (baisse moyenne de -15 %).
Le principal risque pour les marchés émergents dans leur ensemble se situe au niveau des ratings des pays
« BRIC » (Brésil, Russie, Inde et Chine), comme en témoigne la récente dégradation de la note brésilienne. Sept ans
après avoir été relevé au rang d'émetteur « investment grade » par Standard & Poor's, en signe de l'influence croissante des
marchés émergents, la première économie d'Amérique latine vient de perdre ce statut si convoité. La décision de S&P
d'abaisser la note souveraine du Brésil d'un cran à « BB+ », avec une perspective négative, s'explique par la détérioration
des perspectives économiques et politiques dans le pays ainsi que par les difficultés auxquelles sont confrontés d'autres
pays en voie de développement comme la Chine et la Russie. Aujourd'hui, le pays doit faire face à sa plus profonde
récession en 25 ans, à un accroissement de son déficit budgétaire, à un scandale de corruption et à une coalition au pouvoir
divisée. Dans ce contexte, les obligations émergentes ont enregistré une perte de 4 % (en euros) pour les dettes en
devises fortes et en devises locales depuis la fin novembre 2015.
2.3 Obligations d'entreprise « investment grade » (notes supérieures ou égales à « BBB- ») : neutre =>
surpondérer
Dans le cadre de l'élargissement de son programme d'achat d'actifs, la Banque centrale européenne vise le
marché des obligations d'entreprise de 900 milliards d'euros de la région. La BCE achètera des obligations libellées
en euros de qualité investment grade, émises par des entités non bancaires qui sont établies dans la zone euro, vers la fin du
deuxième trimestre. Les obligations d'entreprise constituent l'actif le plus récent qui doit s'ajouter à une liste grandissante de
titres, allant des obligations d'État à des créances hypothécaires dont la Banque centrale se saisit pour lutter contre la
faiblesse de la croissance et de l'inflation. L'achat d'obligations d'entreprise peut également démontrer que la Banque
centrale fait preuve d'une plus grande tolérance face au risque car ces titres ne sont ordinairement pas garantis.
La Banque centrale s'est déjà frottée par le passé aux marchés des obligations d'entreprise lorsqu'elle a ajouté les
obligations d'entreprise garanties par les États, y compris les titres provenant de la société italienne de services
aux collectivités Enel, à la liste des actifs éligibles à l'achat l'année dernière.
La BCE prend également des mesures pour offrir un financement bon marché aux banques via un programme
connu sous le nom d'« opérations de refinancement à plus long terme ciblées ». Ce financement, qui paie les banques
pour qu'elles empruntent, est destiné à encourager les banques à prêter.
Depuis octobre 2014, la BCE a acheté des actifs pour un montant de 786,8 milliards d'euros et elle a décidé d'élargir
son objectif à un rythme d'achat mensuel de 80 milliards d'euros à partir d'avril. Les obligations souveraines
représentaient la partie la plus importante (soit 77 %) des acquisitions de la BCE, tandis que les titres adossés à des
actifs correspondaient à moins de 3 %.
Si l'histoire se répète, les projets de Mario Draghi pour acheter des obligations d'entreprise diminueront les coûts
de financement de certaines entreprises européennes.
Les sociétés étrangères peuvent décider d'emprunter davantage en Europe simplement pour prendre avantage des
faibles taux et à la suite de la décision de la Fed de commencer à relever ses taux à court terme en décembre. Les
entreprises américaines seules, d'Apple à McDonald's, ont vendu des obligations d'entreprise libellées en euros pour un
montant supérieur à 87 milliards l'année dernière.
Toutefois pousser les sociétés à emprunter effectivement et effectuer des dépenses s'avérera plus difficile car les
achats de la BCE de titres d'entreprises pourraient également contribuer à limiter la liquidité d'un marché pour
lequel les investisseurs estiment que la négociation a été rendue plus difficile après que les banques se soient délestées de
leurs titres obligataires pour préserver leur capital à la suite du durcissement des règles.
Les entreprises ont déjà tout intérêt à vendre leurs titres de créance, dont les rendements moyens sur les obligations
de qualité investment grade flirtent en deçà de 2 % pour la deuxième année consécutive. Elles sont toutefois moins
enclines à lever des fonds pour investir dans de nouvelles installations et de nouveaux équipements en raison de la
morosité des perspectives économiques. Si on n'a pas besoin de fonds, pourquoi en emprunter ? Conserver trop de
liquidités inutilement constitue un risque encore plus sérieux.
Il ne faut pas oublier que le marché européen des titres adossés à des actifs (ABC) a peu bénéficié des
achats de la BCE, en partie à cause des modalités de conception du programme. Les investisseurs se plaignent de
ne pas pouvoir déterminer quels titres obligataires sont éligibles aux achats. La Banque centrale externalise la plupart
de ses achats des titres adossés à des actifs au titre du programme et cet achat peut prendre une semaine. Le
programme a eu un effet restreint sur le marché des titres adossés à des actifs qui s'est contracté depuis plusieurs
années. Il a perdu plus de 10 % de sa valeur depuis le commencement du programme d'achat car les titres de
créance arrivant à échéance ont dépassé les nouvelles ventes.
Sur le marché des obligations garanties, la BCE a multiplié ses interventions : ses acquisitions d'un montant
approximatif de 160 milliards d'euros ont incité une partie des plus gros investisseurs endettés à alléger leur bilan. Les
achats de la BCE ont tellement perturbé le marché des obligations couvertes en existence depuis 250
années, que les premiers titres couverts dotés d'un rendement négatif ont été vendus le mois passé.
Entretemps, selon HSBC, quasi 70 % des obligations garanties allemandes négociées sur le marché secondaire
avaient des rendements négatifs.
Par ailleurs et selon Standard & Poor's, les perspectives pour les emprunteurs « corporate » n'ont plus été aussi
mauvaises depuis la crise financière mondiale.
Le nombre d'émetteurs susceptibles de subir une rétrodégradation de la part des agences de notation n'a plus été
aussi élevé par rapport à celui des sociétés susceptibles de bénéficier d'une amélioration de leur note depuis 2009.
S&P envisage ainsi d'abaisser le rating de 17 % des sociétés qu'elle suit. À titre de comparaison, elle envisage
d'améliorer la note de 6 % des émetteurs. Cet écart, de 11 %, est plus de deux fois plus élevé qu'en juin 2014 !
D'un point de vue géographique, c'est l'Amérique latine qui présente l'écart le plus important, avec 35 % de
rétrodégradations possibles en plus. Dans la région Asie-Pacifique, en Amérique du Nord et en Europe occidentale,
l'écart avoisine 10 %. Chez S&P, 35 % des sociétés bénéficient d'une note « B ». Il s'agit donc du rating le plus
couramment attribué, cinq crans au-dessous du rating « investment grade ».
Les perspectives se sont détériorées pour les obligations d'entreprise à cause du ralentissement de la croissance
en Chine et de l'effondrement des matières premières, dont les prix sont tombés à leur plus bas depuis 1999. Le
nombre de défauts de paiement a, par ailleurs, atteint son niveau le plus élevé depuis 2009, ce qui pousse les investisseurs à
demander un rendement de 8,9 % sur les obligations spéculatives, le taux le plus élevé de ces quatre dernières années,
selon l'indice Bloomberg.
2.4 Obligations à haut rendement (notes inférieures à « BBB- ») : sous-pondérer
La BCE achètera des titres de qualité investment grade, mais au fur et à mesure qu'elle contribuera à déprimer
plus encore les rendements de ces titres, certains investisseurs se tourneront probablement davantage vers les
obligations spéculatives à haut rendement. L'année dernière, les coûts d'emprunt des entreprises de la catégorie
spéculative se sont envolés dans un contexte de baisse des prix de l'énergie et des inquiétudes relatives au ralentissement
de la croissance mondiale. En février, le rendement moyen sur les obligations spéculatives a grimpé jusqu'à 9,4 %, soit le
plus haut niveau sur plus de quatre ans. Même si ces rendements sont redescendus à 8,4 % depuis, ils se situent toujours
au-dessus de leur moyenne à 5 ans de 6,4 %.
Les investisseurs sont bien conscients que les sociétés les plus risquées pourraient connaître des difficultés
étant donné les signes de ralentissement en Chine et la chute des matières premières et c'est pourquoi ils ajoutent
uniquement des valeurs sérieuses dans leurs portefeuilles. Ils ont d'ailleurs clairement décidé de tourner le dos aux
obligations spéculatives les plus risquées, en témoigne la prime supplémentaire (15,7%) qu'ils exigent désormais sur les
ratings CCC (20 %) par rapport aux BB (4,3 %). Cette prime a en effet atteint son niveau le plus élevé en six ans.
Ce trimestre, S&P a procédé à plus de 219 dégradations de notes aux États-Unis, (102 dégradations dans le
secteur de l'énergie), contre un chiffre légèrement supérieur à 125 au cours des trois premiers mois de l'année
2015 !
Cela explique pourquoi les émissions à haut rendement ont diminué de 66 % (en glissement annuel). Les
investisseurs craignent en effet que l'effondrement des prix pétroliers ne pèse sur les cash-flows des
entreprises, en particulier aux États-Unis, où le taux de défaut de paiement des émetteurs spéculatifs a grimpé de 50 % à
3,4 % à la fin de l'année passée, le niveau le plus élevé depuis 2012, selon Standard & Poor's.
Les détenteurs de titres spéculatifs ont essuyé des pertes de l'ordre de 8,2 % (en euros) depuis avril 2015, le marché à haut
rendement étant sur le point de connaître une vague de défauts de paiement qui risque de dépasser les
prévisions les plus pessimistes.
Un indicateur mesurant le niveau des tensions sur le marché montre que les investisseurs anticipent
désormais un taux de défaut de 4,8 % pour les 12 prochains mois, principalement dans les secteurs liés aux
matières premières (surtout l'industrie pétrolière et gazière). Cette augmentation est due au fait que les sociétés
énergétiques, qui ont profité des taux bas pour accumuler d'importantes quantités de dettes, risquent d'éprouver
beaucoup de difficultés pour les refinancer.
Edward Altman, le professeur de l'Université de New York qui a développé la méthode du score Z pour prédire les
faillites, estime que les défauts de paiement dépasseront leur plafond historique cette année et que c'est la
Fed qui sera à même de déterminer la rapidité avec laquelle le cycle actuel prendra fin.
À moins d'un miracle et d'un retournement inattendu des prix pétroliers, les défauts de paiement risquent
donc de se multiplier. Les agences de notation ne tiennent pas compte du fait qu'une grande partie de l'économie
n'est clairement plus en phase avec la situation générale sur le marché. Au moins 185 obligations émises par des
firmes énergétiques nord-américaines, pour une valeur nominale totale de plus de 80 milliards de dollars, s'échangent
avec une prime de risque (OAS) de plus de 1 000 points de base, selon des données de Bloomberg. Une obligation qui
présente un spread de plus de 1 000 points de base par rapport aux bons du Trésor est généralement considérée
comme en difficulté (emprunteurs avec un rating B- ou inférieur, avec soit une perspective négative soit une forte
probabilité de nouvelles rétrogradations). Le secteur abrite déjà un quart des 102 sociétés ayant fait défaut de paiement
en 2015 dans le S&P. L'année la plus noire depuis 2009.
La dernière fois que les investisseurs en obligations spéculatives s'attendaient à autant de défauts de
paiement, c'était en 2011 ! À l'époque, les États-Unis venaient de perdre leur note « AAA », la crise budgétaire en
Europe menaçait de prendre une ampleur mondiale et les banques centrales du monde entier s'apprêtaient à injecter
d'énormes quantités de liquidités dans le système financier. Le loyer de l'argent a alors atteint des planchers
historiques, ce qui a poussé les sociétés énergétiques, en plein boom du schiste aux États-Unis, à contracter des
dettes bon marché afin de financer leurs opérations de forage. Les sociétés pétrolières et gazières ont ainsi émis pour
213 milliards de dollars d'obligations spéculatives au cours de ces quatre dernières années, faisant par la même
occasion passer la part du secteur énergétique dans l'indice des obligations spéculatives de Bank of America Merrill
Lynch à 13 % (contre 9,4 % en 2005).
Maintenant que le pétrole (WTI) s'échange à 65 % au-dessous de son pic de 2014, les investisseurs exigent
davantage de rendement pour détenir des obligations de sociétés actives dans le secteur des matières
premières.
Les prix pétroliers ont encore diminué, les marchés craignant de voir le problème de suroffre s'éterniser depuis
la décision de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole de ne pas fixer de plafond de
production, une stratégie qui permet de maîtriser les prix.
Le rendement moyen des emprunts des émetteurs spéculatifs dans le secteur pétrolier et gazier a
grimpé à la mi-février à 21 %, le niveau le plus élevé depuis les derniers jours de la crise financière de 2009 et
l'écart le plus important jamais enregistré par rapport au marché plus large des obligations spéculatives US.
Parallèlement, la moitié des emprunts des émetteurs spéculatifs dans les secteurs des métaux, des mines et de
l'acier sont en difficultés. La proportion des obligations considérées comme en difficultés sur le marché est, par
conséquent, passée à la mi-février à 18,7 %, le niveau le plus élevé depuis 2011 selon S&P. Il est donc probable
que de plus en plus de sociétés demandent aux détenteurs de leurs titres d'accepter une restructuration de la
dette afin d'éviter la faillite.
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