Parlons en... Tortue luth Dermochelys coriacea (Vandelli, 1761) Philippe SIAUD, Docteur en Biologie, Muséum d’histoire naturelle de Marseille Arrêtons-nous un instant sur la biographie de cet homme exceptionnel qui durant sa longue carrière au Muséum enrichit la collection de naturalia de l’établissement. Né à Strasbourg en 1856. Orphelin, il migre à Marseille après la débâcle de 1870 pour fuir l’occupation allemande. Il entre au service du Muséum de la ville de Marseille en 1880 comme préparateur et devient en 1889 le Directeur du Jardin Zoologique de la ville. Durant la même période, il étudie la médecine avec succès mais n’exerçe que très peu, hormis lors de la guerre de 1914-1918. Il fut un spécialiste reconnu des chauves-souris et des papillons de Provence. Le Muséum possède encore une partie de ses collections. Malheureusement, il donna sa riche collection de papillon au musée anglais de Lord W. de Rotschild car il pensait qu’elle serait dans de meilleures conditions de conservation qu’à Marseille... Fig.1 : Portrait du Docteur Pierre SIÉPI @Muséum Marseille. La tortue luth Suspendue au plafond de la salle « Terre du vivant » se trouve un spécimen naturalisé de tortue luth trouvée échouée en 1883 sur la plage héraultaise de Palavas-les-flots. Achetée 350 francs de l’époque à Mrs Montel et Curel, elle intégre les collections du Muséum d’histoire naturelle de la ville de Marseille (MHNM) sous le nom d’espèce Sphargis coriacea (Gray, 1831) avec le numéro d’entrée 1489. Ce spécimen est naturalisé par le Docteur Pierre SIÉPI (1856-1822) (Fig. n°1), préparateur au Muséum. Il mourut en 1922. 1 Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 Le spécimen du Muséum de Marseille N° Inventaire MHNM-1489 Fig.2 : Photographie du spécimen de tortue luth (MHNM-1489) avant restauration. Flèche rouge : nageoire avant gauche partiellement arrachée. @Muséum Marseille. Exposée quelques années au Muséum, la tortue luth est rangée dans les réserves de l’établissement pour de longues décennies. Elle subit alors l’outrage du temps et des mauvaises conditions de conservation d’alors (Fig. n°2). En 2005, pour les besoins d’une exposition, un constat d’état est réalisé et il s’ensuit la décision de faire restaurer d’urgence cette tortue luth. Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 La tortue luth Une restauration en 2005 En effet des craquelures et des déchirures de la dossière et des pattes postérieures sont constatées ainsi qu’un quasi arrachement du membre antérieur gauche. La restauration est confiée, la même année, à Richard FANUCCI, taxidermiste à Salernes dans le département du Var. Quelle n’est pas sa surprise en retrouvant dans la carapace de l’animal une carte de visite de son illustre prédécesseur joint à … un petit bouquet de violette (Fig. n°3 et 4). Avant de terminer la restauration de cette tortue luth, Richard FANUCCI a pris soin de remettre la carte et le bouquet de violette qui attendront d’être de nouveau découverts dans une centaine d’année. Fig.3 : Photographie de la tortue luth (MHNM-1489) en cours de restauration en 2005. La carte de visite (Flèche jaune) et le bouquet de violette flèche orange) déposés par P. Siépi en 1883 sont visibles et ont été remis en place après restauration. @Muséum Marseille. Fig.4 : Carte de visite de P. Siépi, préparateur au MHNM, retrouvée dans la carapace de la tortue luth. Des informations sur la tortue sont écrites de la main de P. SIÉPI. @Muséum Marseille. 2 Retour aux expositions Ce spécimen de tortue luth est présenté de façon classique avec les nageoires antérieures repliées vers l’arrière et les postérieures également tendues vers l’arrière (Fig. n°5). Fig.5: Vue dorsale de la tortue luth Le corps et la tête sont recouverts d’une peau (MHNM-1489) après restauration accrochée entre 2006 et et 2013 dans le hall brillante ayant l’aspect du cuir, de couleur d’entrée du Muséum. bleu-noir mouchetée d’une multitude de @Muséum Marseille. tâches blanchâtres. La restauration récente de cet animal renforce la brillance et le contraste entre la peau sombre et les tâches blanches du corps et de la tête. La répartition des tâches sur l’animal ne correspond pas à celle d’origine car d’après le restaurateur, ces dernières n’étaient plus visibles. La longueur de la pointe du museau à l’extrémité de la queue est de 173 cm, ce qui suggère que l’animal vivant devait peser autour de 350 kg. Sous la peau, des crêtes ondulées appelées carènes sont visibles sur la carapace de la tête vers la queue de l’animal. Les 5 carènes dorsales longitudinales, complétées par deux carènes latérales et 5 ventrales, renforcent la forme de luth caractéristique de cet animal, présentant une zone frontale large et arrondie et une zone caudale triangulaire et pointue La crête de chacune de ses carènes est de couleur blanchâtre. Fig.6A : Le plastron, i.e., le dessous Photographie de la de la carapace est plus tête du spécimen de tortue luth du Muséum clair que la dossière et (MHNM-1489). de couleur beige-rosé. Tête : absence de chanLes nageoires sont plates frein (flèche rouge) et longues : 72 cm de @Muséum Marseille. long pour les nageoires antérieures et 44 cm de long pour les nageoires postérieures. Aucune griffe ni écaille n’est visible sur les nageoires. La tête est énorme en forme de La tortue luth Caratéristiques du spécimen du Muséum 3 Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 A son retour au Muséum, la tortue luth est enregistrée sous le numéro d’inventaire MHNM-1489 et sous son nom d’espèce actuel : Dermochelys coriacea (Vandelli, 1761). Elle est ensuite exposée dans le hall d’entrée du Muséum de 2006 à 2013, présence juste interrompue par un prêt au Musée Réattu, Musée des beaux-arts d’Arles de juin à décembre 2009. En 2013, elle est de nouveau déplacée dans la salle Terre du Vivant pour en illustrer le module « reproduction » où l’on peut également observer des embryons de tortue luth à différents stades de développement. coin, d’une longueur de 38 cm sur une largeur de 22 cm (au plus large), aplatie sur le dessus et se terminant par un museau court avec des narines bien visibles et un bec supérieur portant deux pointes tranchantes en forme de dents lui permettant d’attraper et de découper ses proies. Aucun chanfrein (tâche claire) n’est visible sur la tête de cette tortue (Fig. n°6-A)) mais nous n’avons aucun moyen de savoir si cette tâche existait à l’origine ou si son absence est liée au choix du restaurateur de ne pas la représenter. La queue est de forme conique et mesure 34 cm. Fig.6 B: Photographie de la queue du spécimen de tortue luth du Muséum (MHNM1489). La queue dépasse à peine de l’éperon supra-caudal (flèche rouge). Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 La tortue luth @Muséum Marseille. Ce spécimen est décrit par Pierre SIÉPI comme étant un mâle. Cependant, deux éléments :la faible concavité de son plastron et la longueur de la queue qui dépasse très peu l’éperon supra-caudal (Fig. n°6-B)) suggèrent plutôt le genre femelle. Mais le préparateur Pierre SIÉPI en naturalisant l’animal a observé directement les organes sexuels de l’animal donc il ne peut y avoir aucun doute, il s’agit d’un mâle. L’espèce Dermochelys coriacea (Vandelli, 1761) Statut UICN : espèce déclarée vulnérable depuis 2013 La tortue luth est une espèce marine pélagique facilement identifiable par sa très grande taille, la complète absence d’écailles sur son corps et de griffes au bout de ses pattes. La forme générale de la carapace évoque un instrument de musique : le luth d’où son nom. Cette tortue, à l’âge adulte, n’a pas la peau écailleuse qui caractérise les autres tortues. La peau de l’ensemble de son corps est lisse et soyeuse et de couleur bleu foncé. Par contre, chez cette espèce, les tortues nouvellement écloses sont recouvertes de petites écailles perlées sur tout le corps qui disparaissent pendant la croissance. Elle est présente dans tous les océans du monde et en mer Méditerranée. Elle vit toute l’année en pleine mer sauf les femelles qui viennent pondre à terre. La longévité de cette tortue semble importante, autour de 50 ans, mais n’est pas connue avec précision. On ignore encore beaucoup de choses sur la vie marine de cette tortue. La tortue luth est la plus grande des sept espèces actuelles de tortues marines et la plus grande des tortues de manière générale puisqu’elle dépasse en taille les tortues terrestres géantes des Galápagos. Sa dossière peut atteindre plus de deux mètres de longueur et son poids, plus de 900 kilos. Une capture accidentelle au pays de Galles d’un animal de 916 kg prouve que de vieux individus peuvent avoisiner une tonne. La dernière de la famille La tortue luth est l’unique espèce du genre Dermochelys et de la famille des Dermochelyidés 4 Les premiers fossiles de chéloniens (= tortues), dont sont issues les tortues actuelles, apparaissent au trias supérieur, il y a environ 210 millions d’années. Ces premières tortues sont pourvues de dents, qui vont ensuite disparaître pour faire place à un bec corné, la rhamphothèque. Elles sont terrestres ou amphibies, dotées de pattes courtes et massives. Certaines vont postérieurement s’adapter au milieu marin ; leur carapace, initialement lourde, va s’alléger. On connaît, au crétacé, quatre familles exclusivement marines : les protostégidés, les toxochélyidés, les chéloniidés et les dermochélyidés. Ces deux dernières familles, les seules à subsister aujourd’hui, ont compté jusqu’à 37 genres et plus d’une soixantaine d’espèces. Six genres seulement ont survécu jusqu’à nos jours : cinq dans la famille des chéloniidés, et un seul, Dermochelys, celui de la tortue luth, dans la famille des dermochélyidés. La tortue luth est donc la seule représentante contemporaine de la famille des Dermochelyidae, le clade des tortues à dos cuirassé, connu aussi par diverses espèces fossiles, dont certaines géantes comme l’Archelon qui vivait au Crétacé supérieur et mesurait environ 4 m de long (Fig. n°7). Il existe de nombreuses similitudes entre cette tortue de l’aire secondaire et la tortue luth. Fig.7 : Vue d’artiste d’un Archelon. La tortue luth est la seule tortue marine qui ne possède pas une carapace dure, ou cornée. Sa peau a un aspect de cuir brillant bleu-noir qui fait parfois donner à cette espèce le nom de « tortue cuir » (leatherback en anglais, littéralement « dos de cuir »). En réalité, il ne s’agit pas, comme chez la plupart des chéloniens, d’une boîte osseuse où les organes sont enfermés et dans laquelle pattes et tête se replient en cas de danger imminent, mais d’une pseudo-carapace dont la structure est unique. Épaisse d’environ 4 cm, sous un cuir épais, elle se compose d’une couche très riche de tissus conjonctifs graisseux et de cartilages sur laquelle se développe une sorte de « cotte de maille » composée de milliers de petits nodules osseux , de forme géométriques et articulés les uns aux autres. Les plus gros de ces osselets sont tuberculés et disposés en lignes. Ces lignes, visibles sous la peau, forment des crêtes ondulées appelées carènes qui sont visibles sur la carapace de la tête vers la queue de l’animal lui donnant un aspect profilé comme les carènes de la coque d’un bateau. Les 5 carènes dorsales longitudinales, complétées par deux carènes latérales et 5 ventrales, renforcent la forme de luth caractéristique de cette espèce, avec une zone La tortue luth Une tortue pas comme les autres 5 Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 Jacksonwarrier @Dinopedia frontale large et arrondie et une zone caudale triangulaire. La pointe se présente en forme d’éperon creux qui protège la queue. Les vertèbres dorsales sont unies à cette mosaïque dermique par des liaisons connectives et fusionnées entre elles de façon à assurer la rigidité de l’axe sagittal. Les 10 paires de côtes dorsales sont d’une seule pièce et entièrement libres. Le plastron osseux est composé d’un anneau de forme ovale de 8 lames. Le partie antérieure de la tête présente une tache rose, le chanfrein (Fig. n°8). Comme nos empreintes digitales, cette tache est unique à chaque tortue luth et permet donc aux biologistes qui travaillent sur cette espèce de reconnaître les individus. Comme toutes les tortues marines, la tortue luth possède des nageoires antérieures et postérieures, mais c’est la seule dont les nageoires sont dépourvues de griffes. Les chéloniidés, autres tortues marines, possèdent une ou deux griffes coniques à chaque patte. Ses grandes nageoires antérieures sont généralement aussi longues que la moitié de la carapace.Les pattes antérieures, sorte de rames, sont parfaitement adaptées pour la nage. Le squelette de l’avant-bras est court, radius et cubitus sont d’égales longueurs et certains os carpiens sont fusionnés. Par contre, métacarpiens et phalanges, habituellement trapus chez les chéloniens terrestres, sont allongés en baguettes robustes et réunis dans une même enveloppe tégumentaire. Les femelles utilisent également ces fortes pattes pour se hisser sur le sable au moment des pontes. Comme toutes les tortues marines, la tortue luth ne peut pas replier sa tête et ses nageoires sous sa carapace comme le font les tortues terrestres et les tortues d’eau douce. Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 La tortue luth Fig.8 : Photographie d’une tête de tortue vue de trois quarts. La flèche rouge montre le chanfrein, tâche claire à l’arrière de la tête qui permet d’individualiser les animaux. @ CNRS. 6 Une grande voyageuse qui ne connaît que la marche avant La tortue luth est une grande migratrice, traversant un bassin océanique d’une côte à l’autre. Elle fréquente les eaux tropicales, tempérées et boréales des océans Atlantique, Pacifique et Indien. On la retrouve aussi en Méditerranée. La latitude la plus au nord où elle a été observée se situe à 71° et la latitude la plus au sud, à environ 27° (Fig. n°9). Bien que les scientifiques aient une idée de la répartition mondiale de la tortue luth, ils commencent tout juste à comprendre les trajets exacts de ses migrations des eaux tropicales à proximité des plages de nidification vers les eaux tempérées et boréales où elle chasse le reste de l’année (Fig. n°9). Les efforts de conservation de la tortue luth reposent sur ces renseignements. Depuis quelques décennies des études faisant appel à la télémétrie par satellite aident les scientifiques à découvrir les voies de migration de la tortue luth. La tortue luth, puissante nageuse, peut couvrir d’énormes distances en Fig.9 : Vue satellite de la terre montrant l’aire de répartition et les zones de pontes de la tortue luth. relativement peu de temps. Par exemple, une tortue baguée au large de l’île du CapBreton, en Nouvelle-Écosse, a été retrouvée quatre mois plus tard au sud que Trinidad à Cuba. La tortue luth se déplace dans l’eau à l’aide de ses membres antérieurs dans un mouvement rappelant fortement les battements d’ailes d’un oiseau. Elle peut nager à une vitesse de 9,3 km/h, mais s’en tient à une vitesse moyenne d’environ 2,5 km/h. La tortue luth n’a pas la capacité de nager à reculons, ce qui lui pose des problèmes lorsqu’elle butte contre des filets de pêche et des cordages en mer, parce qu’elle ne peut pas en sortir en reculant. Les scientifiques qui tentent de l’élever en captivité doivent aussi composer avec ce problème majeur. Ils n’ont d’ailleurs jamais réussi à élever une tortue luth jusqu’au stade adulte. Les animaux maintenus en bassin se cognent continuellement aux parois de leur bassin et se blessent . Ces blessures sont souvent vite envahies par des pathogènes fongiques. Les trajets de migration de la tortue luth sont restés inconnus jusqu’aux premières études de baguages puis aux suivis satellitaires. Ces observations ont permis de mettre en évidence cette aptitude de la tortue luth à migrer de son site de ponte à celui d’alimentation, situé à des milliers de kilomètres de distance. Les femelles adultes retournant fidèlement sur la plage où elles sont nées, pour nidifier à leur tour, rendant l’événement encore plus stupéfiant. Par contre, nul ne sait vraiment dans quelles eaux nagent les jeunes tortues-luth durant les trois premières années de leur vie. Il semblerait qu’elles restent dans les eaux côtières pour se nourrir et se développer. Une fois sexuellement matures, les tortues luth adultes migrent vers un nouveau site d’alimentation. C’est sur ce site qu’elles resteront tout au long de leur vie sauf pendant la période de ponte. Une fois la période d’accouplement venue, les mâles et les femelles quittent leurs sites d’alimentation pour retourner vers la plage de nidification qui les a vu naître. Le développement de nouvelles techniques de suivis satellitaires à partir de balises fixées sur l’animal permet désormais de mieux connaître les déplacements de ces tortues et confirme les données de reprises de bagues. Les informations collectées sont vitales pour le développement des stratégies de conservation de ces espèces. La tortue luth Migrations : des voyages au long cours ? Dans l’océan Atlantique, la tortue luth migre depuis la mer des Antilles jusqu’à l’atlantique Nord en suivant les eaux tempérées du Gulf Stream. Elles traversent 7 Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 @ NASA/JPL adaptée par J.M. Magnan@ MHNM. Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 La tortue luth l’Atlantique Nord à la hauteur du Canada puis descendre la côte Ouest de l’Europe et de l’Afrique, traversant de nouveau l’Atlantique pour enfin revenir dans leur aire de reproduction dans les Antilles. Elles parcourent ainsi à peu près 15000 kilomètres en une seule migration. Récemment, 25 tortues Luth femelles venues pondre sur les plages du Gabon ont été dotées, par des scientifiques anglais, d’un émetteur satellite. Suivies pendant une durée moyenne de 154 jours (de 39 à 504 jours), les observations satellites ont permis de visualiser trois grands groupes de tortues en fonction de leur destination, toutes influencées par la recherche de régions riches en nourriture. Quinze d’entre elles se sont plutôt dirigées dans les eaux équatoriales de l’océan Atlantique, alors que deux individus ont préféré longer les côtes africaines. Les plus courageuses ont traversé l’Atlantique pour atteindre les côtes d’Amérique du Sud, au prix d’un voyage d’une longueur moyenne de 5.378 kilomètres. Dans l’océan pacifique, une autre étude a permis d’identifier les caractéristiques migratoires et de recenser les principales zones d’alimentation des tortues luth, après la ponte en Papouasie-Nouvelle Guinée et aux Îles Salomon. L’analyse des mouvements des tortues luth a révélé que les tortues présentes dans le Pacifique Sud ont tendance à se diriger vers des zones riches en méduses. Les tortues ayant choisi les côtes de Papouasie-Nouvelle Guinée pour pondre se sont principalement cantonnées aux eaux du golfe entre décembre et février. Une fois la saison de ponte terminée, les tortues luth de Papouasie-Nouvelle Guinée ont mis le cap vers le sud en direction de la mer de Tasman ou du sud-ouest de l’océan Pacifique. De la même façon, les tortues qui ont choisi les Îles Salomon pour pondre restent à proximité des îles de décembre à février. Lorsqu’elles quittent les eaux des Îles Salomon, c’est pour aller rejoindre les côtes du sud-est de l’Australie et du nordouest de la Nouvelle-Zélande en quête de nourriture. Trouver sa route Les tortues luth qui ont des capacités visuelles très limitées, ne peuvent sortir leur tête que de quelques centimètres hors de l’eau. Il n’existe aucun repère visible à la surface de l’eau permettant de s’orienter. Cependant, la tortue navigue régulièrement sur de très longues distances et semble capable de retrouver son site de ponte voire sa plage de naissance. Comment font-elles ? Pour se repérer, les tortues Luth disposent de nombreuses adaptations physiologiques telles que des cristaux de magnétite présents dans des cellules de leur cerveau qui leur permet de s’orienter en utilisant le champ magnétique terrestre. Elles sont à même de détecter à la fois l’angle et l’intensité du champ magnétique terrestre. Se servant de ces 2 données, elles pourraient déterminer ainsi la longitude et la latitude, ce qui leur permet de naviguer n’importe où. Elles sont capables également de s’orienter par rapport à la position du soleil le jour, des étoiles la nuit mais aussi en fonction de la forme du rivage, de la température et de la salinité de l’eau et par rapport aux courants marins. Un animal qui ne manque pas d’air… En 2005, la WWF a publié un article relatif à l’observation de plusieurs spécimens équipés de balises Argos: « Leurs plongées restent bien mystérieuses, mais impressionnantes ; ainsi Yalimapo (nom d’une tortue équipée) est descendue à 8 1020 m de profondeur ! Pour quelle raison ? Recherche de nourriture, nécessité de fuir un prédateur, ou un autre danger, nul ne le sait. » Quelles sont donc les adaptations physiologiques qui permettent à la tortue luth de plonger si profondément et de rester aussi longtemps sous l’eau ? La tortue luth, comme les autres tortues, possède des poumons cloisonnés où se logent de nombreuses bronches secondaires. Chez les chéloniens, dont les organes sont emprisonnés dans une carapace rigide ou semi-rigide comme la tortue luth, toute déformation du corps dans un processus respiratoire est impossible. En mer ou à terre, la respiration de la tortue luth se caractérise par des mouvements rythmiques du plancher buccal. Il est possible que, lors de la locomotion terrestre ou aquatique, les divers mouvements de la tête et des pattes favorisent des contractions musculaires et le passage de l’air d’un poumon à l’autre. Des méduses et rien d’autre ? La tortue luth consomme essentiellement des méduses mais son appareil digestif lui permet d’assimiler également poissons, crustacés, mollusques, éponges, ascidies aussi bien qu’algues ou herbes marines. Cependant, elle limite sa quête à des proies tendres et gélatineuses, car son bec utile pour saisir les proies et en fragmenter les parties molles, est incapable de broyer les carapaces ou autres parties dures. Le bol alimentaire est conduit vers l’estomac par les papilles, et l’excès d’eau de mer ingéré est évacué afin d’éviter une dilution gênante du suc gastrique. Son œsophage est adapté à ce type de nourriture flasque. Les muqueuses de la bouche et de l’œsophage sont tapissées de grandes épines cornées nommées papilles œsophagiennes (Fig. n°10). Chaque papille est La tortue luth … et qui ne craint pas le froid La tortue luth peut survivre dans des eaux très froides où les autres tortues de mer ne pourraient résister. Plusieurs adaptations rendent cela possible : la couleur foncée du corps, l’épaisse couche de graisse et le rapport élevé du volume par rapport à la surface du corps. C’est ce rapport très favorable qui lui permet de retenir la chaleur qu’elle produit. La tortue luth possède surtout des échangeurs de chaleur «à contre-courant» dans ses nageoires. Veines et artères y sont étroitement enlassés, de sorte que le sang chaud arrivant du cœur par les artères réchauffe le sang froid revenant au cœur par les veines après avoir irrigué le corps. Tous ces facteurs permettent à la tortue luth de maintenir sa température interne à plus de 18 °C souvent au-dessus de la température de l’eau où elle séjourne. Contrairement aux autres reptiles qui sont ectothermes,i.e., dont la température interne varie en fonction de la température du milieu où ils se trouvent, certains scientifiques pensent que la tortue luth serait capable, dans une certaine mesure, de produire sa propre chaleur, comme un mammifère. 9 Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 La tortue luth fait partie des vertébrés marins plongeurs qui descendent le plus profondément sous la mer, la tortue luth peut atteindre une profondeur de 1 000 m, le maximum enregistré étant de 1 270 m. Cette tortue, qui utilise l’oxygène de l’air comme tous les autres reptiles, peut en plongée cependant rester en apnée pendant plus d’une heure : le record actuellement établi est de 80 minutes. En réalité, la tortue-luth reste rarement plus d’une demi heure sous l’eau. Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 La tortue luth constituée d’un pied souple reposant sur des structures musculaires et soutenant un capuchon corné. La longueur de ces épines kératineuses varie, selon leur localisation, de 0,8 à 5 cm. L’orientation de ces papilles dans le sens du transit le facilite et empêche tout rejet de matière solide, lors de la régurgitation de l’eau de mer avalée lors de la prise de nourriture. Le capuchon corné de ces papilles assure le déchiquetage et le brassage des aliments. Les papilles contribuent au broyage des aliments mais aussi emprisonnent les méduses lors de la régurgitation de l’eau de mer. Ce dispositif devient hélas fatal lorsqu’elle avale par erreur un sachet plastique dérivant dans l’eau car elle meurt alors par obstruction des voies digestives. L’estomac est divisé en deux portions distinctes, l’une en forme de sac ventru, l’autre tubulaire, bosselée et arquée en U. L’intérieur de l’estomac tubulaire est cloisonné transversalement. La tortue luth se nourrit essentiellement de méduses et de salpes. Elle mange en moyenne 50 méduses Rhizostoma pulmo par jour, ce qui représente l’absorption d’environ 200 litres d’eau et de 8 à 10 kg de protéines (Fig. n°11). L’énorme quantité de sel marin ingérée chaque jour lors de son alimentation serait toxique si l’animal ne pouvait s’en débarrasser par ses « glandes à sel » post-oculaires, glandes lacrymales spécialisées, conçues pour excréter le sel en excès. Ces glandes permettent à la tortue luth de maintenir son équilibre osmotique et ionique tout en se nourrissant de méduses qui sont isotoniques à l’eau de mer. 10 Fig.10 : Photographie du bec ouvert d’une tortue luth. Les papilles œsophagiennes sont visibles dans la bouche et dans l’œsophage. @ Université Paris VII in AgoraVox. Fig.11 : Photographie d’une méduse Rhizostoma pulma, proie privilégiée de la tortue luth. @CNRS Sea, sex and beach La maturité sexuelle est atteinte entre 10 et 12 ans. Les mâles et les femelles de la tortue luth sont morphologiquement très semblables. La coloration de la carapace et de la peau est pratiquement identique chez les deux sexes. Le mâle se distingue par la concavité de son plastron et sa longue queue qui dépasse d’une quinzaine de centimètres l’éperon supra-caudal. Les accouplements se font dans l’eau mais ont été rarement observés. Les mâles rejoignent les femelles au large des sites de ponte mais il n’est pas certain que les accouplements se déroulent exclusivement près des sites de ponte. Pendant la parade, le mâle s’accroche à la dossière de la femelle au moyen de ses longues nageoires souples et préhensiles. Ensuite, la femelle nage, nuitamment, jusqu’à la plage sableuse pour pondre. Le mâle ne gagne jamais la terre ferme. Dans la même saison, un mâle s’accouple avec plusieurs femelles. Chaque femelle peut avoir de trois à douze pontes successives, espacées entre elles de 10 à 15 jours au cours d’une saison. La tortue luth pond tous les deux ans en zone tropicale ou subtropicale, de mars à juillet dans l’hémisphère Nord et de novembre à février dans l’hémisphère Sud (Fig. n°12). Après avoir choisi son lieu de ponte sur la plage, la tortue luth nettoie le sol en projetant vigoureusement le sable vers l’arrière, à l’aide d’un mouvement alternatif de ses pattes antérieures et postérieures. Ensuite , elle racle lentement le sol sous sa queue, pendant près de 25 minutes, jusqu’à réaliser un nid profond de 80 cm, composé d’un puits de 25 cm de diamètre et d’une chambre d’incubation élargie. Le nid terminé, la ponte commence. Les œufs sont expulsés de son cloaque à la cadence de deux ou trois à la fois. Couverts d’une membrane blanche et souple, les oeufs sont sphériques et mesurent en moyenne 5 cm de diamètre. La tortue luth pond entre 50 et 170 œufs (Fig. n°12). En une dizaine de minutes, tous les œufs sont pondus et se trouvent dans la chambre d’incubation à la base du puits du nid. Chaque femelle pond des œufs fertiles mais également dans la même proportion des œufs stériles. En effet, la ponte se termine par une série d’œufs plus petits, de formes diverses, dépourvus de vitellus, et donc incapables de se développer. A quoi servent ces œufs non viables ? Nul ne le sait pour le moment. Fig. 12 : Photographie d’une tortue luth femelle en train de pondre dans le sable. La tortue luth @CNRS. Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 La femelle aborde le rivage généralement de nuit et remonte la plage en direction des dunes. Pour les tortues ayant déjà pondu les années précédentes, cette plage est souvent la même d’une fois sur l’autre et pourrait être la plage de naissance de la femelle mais ceci reste à confirmer. 11 La ponte terminée, la tortue protège ses œufs en les recouvrant de sable qu’elle tasse en se servant de ses deux pattes postérieures. Le nid étant comblé, la femelle balaie l’aire de nidification avec ses pattes tout en pivotant sur elle-même pendant une trentaine de minutes. Le sable est ainsi remué sur une surface d’une dizaine de mètre carré où il est très difficile de repérer l’emplacement précis du nid. Ceci fait, la femelle retourne à l’eau. Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 La tortue luth Les œufs vont rester dans le sable jusqu’à l’éclosion. Le temps d’incubation est plus ou moins long selon la température du sable : de 60 jours environ à 32 °C jusqu’à 80 jours, quand la température est en dessous de 26,5 °C. De plus, la détermination du sexe de la nouvelle génération issue de la ponte dépend également de la température d’incubation dans le nid durant les premières semaines. En dessous de 28°C naîtront les mâles et des températures supérieures donneront des femelles. 12 Lorsqu’il est prêt à éclore, l’embryon est entièrement couvert d’une pigmentation bleu-noir, identique aux adultes. Les carènes sont également bien marquées. Sa peau présente de petites écailles perlées. Pour éclore, la jeune tortue déchire la membrane qui l’emprisonne en agitant la tête, grâce à un petit bec corné localisé sur son museau, que l’on nomme dent d’éclosion ou oviruptor. Une fois écloses, les tortues se regroupent et forment des colonnes qui se hissent lentement vers la surface. Après trois à quatre jours de remontée, les colonnes, parvenues à une dizaine de centimètres de la surface, attendent une chute de température, le coucher de soleil ou une pluie diurne soudaine pour sortir à l’air libre. L’attente de ce stimulus thermique évite aux nouveaux-nés d’affronter à la sortie du nid , un soleil tropical qui les tuerait et certains prédateurs. L’espace laissé libre dans le sable par les premières jeunes tortues qui sortent du nid, forme une cuvette dont les tortues suivantes auront beaucoup de mal à s’échapper. Les nouveaux-nés mesurent environ 7 cm et possèdent proportionnellement à l’adulte de très grandes nageoires antérieures (Fig. n°13). Une fois à l’air libre, les jeunes tortues luth suivent la pente naturelle de la plage et se dirigent précipitamment, comme les femelles, vers la brillance de la mer (Fig. n°13). Les jeunes tortues sont alors la proie de nombreux prédateurs sur la plage ou en mer. En effet, les jeunes tortues de quelques centimètres à la naissance sont Fig.13 : Photographie d’une tortue luth venant d’éclore qui cherche à rejoindre l’océan au plus vite pour échapper aux oiseaux. D’autres dangers l’attendent... @CNRS. menacées par les crabes, les caimans, les mammifères s’aventurant sur les plages et surtout par les oiseaux qui survolent en masse les lieux de pontes lors de l’éclosion. Une fois arrivées à l’eau, les jeunes tortues-luth ne sont pas encore en sécurité, elles deviennent alors les proies des pieuvres et gros poissons mais également des oiseaux de mer lorsqu’elles restent trop en surface. De nombreuses menaces pèsent sur la survie de la tortue luth dont la plupart sont liées aux activités humaines. En effet, bien que le taux de mortalité des jeunes tortues imputable à la prédation soit élevé, les tortues adultes en pleine mer, sont, quant à elles, soumises à une faible pression de prédation même s’il n’est pas rare de trouver une tortue luth amputée d’une partie de nageoire suite à une attaque en mer d’un requin ou d’un épaulard. A terre, même s’il arrive parfois que les jaguars ou plus souvent des chiens attaquent les femelles sur les plages de ponte, c’est l’homme qui représente le plus grand prédateur de la tortue luth. Cette prédation humaine reste malgré tout relativement faible car la chair de l’animal est considérée comme non comestible voire toxique. Elle contient de la chélonitoxine (une toxine non détruite à la cuisson) et les symptômes liés à sa consommation vont de la nausée jusqu’au coma voire à la mort. Par contre, des tortues adultes sont sacrifiées et vendues, tout ou partie, pour la pharmacopée locale ou pour être transformées en bijoux et autres objets de décoration. Au Togo, par exemple, des féticheurs réduisent la carapace de l’animal en poudre, mélange cette poudre à du miel et s’en servent comme remède contre certaines syncopes. La graisse est utilisée contre les rhumatismes. La carapace ou la peau peut aussi être utilisée dans l’art traditionnel local et être transformée en bijoux et autres souvenirs touristiques. Une autre action humaine très dévastatrice est la récolte des œufs dont la pratique ne cesse d’augmenter alors que les pontes sont de moins en moins nombreuses (Fig. n°14). Les œufs sont utilisés traditionnellement dans l’alimentation des Kali’nas (ethnie amérindienne que l’on retrouve dans plusieurs pays de la côte caraïbe d’Amérique du Sud) ou des Indonésiens. Dans certains pays, les habitants tuent les femelles sur leur nid et s’emparent des œufs. Mais aujourd’hui les œufs La tortue luth Selon une mise à jour de la Liste Rouge de l’UICN en 2013, la tortue luth (Dermochelys coriacea) n’est plus classée comme une espèce en danger critique d’extinction mais comme une espèce vulnérable. Toutefois, cette espèce reste très menacée et les populations déclinent rapidement. La taille de la population mondiale de la tortue luth aurait chuté de plus de 70% depuis 1982. Cependant comme les mâles ne reviennent pas à terre, il est difficile d’établir le nombre exact de ces tortues vivant à l’état sauvage. Les biologistes établissent donc la taille de la population mondiale en dénombrant les femelles au moment de la nidification. La plupart d’entre eux sont d’avis qu’il existe, à l’heure actuelle, moins de 35 000 tortues luth à l’échelle de la planète mais d’autres donnent le chiffre de 100 000 individus. Quoiqu’il en soit, si la vitesse du déclin ne change pas, il ne sera plus possible d’éviter l’extinction de l’espèce d’ici une vingtaine d’années. Dans une étude, publiée dans la revue Ecosphere : 4 (2013)1-15, les auteurs estiment que le nombre de nids chute de 5,9 % par an. Ce pourcentage est une extrapolation des résultats de cette étude basée sur la surveillance annuelle, depuis 2005, des nids de la côte ouest de l’océan Pacifique et représente le suivi le plus complet sur cette espèce. Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 La survie de l’espèce : maintenant ou jamais… 13 de la tortue luth sont devenus, en plus, la cible de nombreux braconniers, notamment en Amérique du Sud car ils sont considérés au Mexique comme ayant des propriétés aphrodisiaques et font l’objet d’un énorme trafic. Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 En dehors, de cette prédation directe, les activités humaines sont grandement responsables de la disparition annoncée de la tortue luth . En effet, l’urbanisation du littoral entraîne la perte de nombreux lieux de ponte en réduisant l’espace disponible et perturbe leur tranquillité. La pollution des mers par les plastiques est également une menace énorme pour la tortue luth, comme en témoignent les Fig. 14 : Photographie d’une récolte illicite nombreux cas rapportés de tortues mortes d’œufs de tortue sur une plage d’Amésuite à l’ingestion de déchets, comme des sacs rique Latine. ou des feuilles de plastique ou de goudron, @Université du Costa Rica se trouvant en mer. La tortue-luth confond ces macro-déchets avec des méduses, son aliment préféré, les mange et ne peut les régurgiter, entraînant des occlusions gastriques ou intestinales. La tortue luth 14 De nombreuses tortues sont aussi tuées accidentellement par des engins de pêche : filets ou lignes (Fig. n°15). Lors de leur migration, les tortues sont vulnérables car du fait de leurs déplacements, elles multiplient les possibilités de se faire prendre dans des filets ou par des lignes de pêche . Prise dans un filet, la tortue luth, étant incapable de nager à reculons, ne peut s’en extraire. De nombreux pêcheurs prennent soin de libérer les tortues trouvées prisonnière, malheureusement ils ne le font pas tous ou trop tard. Les tortues piégées sous l’eau meurent par noyade ou subissent de profondes coupures et une nécrose (destruction) des tissus pouvant entraîner la perte d’une nageoire ou la mort de l’animal. Des mesures de protection et leurs premiers résultats La tortue luth est une espèce protégée par de nombreuses conventions internationales. L’espèce est classée à l’annexe 1 de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction). Elle reste l’une des espèces les plus étudiée et les plus protégée au monde. En France, elle est intégralement protégée (vente ou chasse) depuis l’arrêté ministériel du 17 juillet 1991. Malgré cette législation, son statut de conservation établi par le comité français de l’UICN (International Union for Conservation of Nature), n’est pas défini, faute de données sur sa présence sur le territoire français métropolitain. Cette espèce en France est donc classée dans la catégorie IUCN : DD data deficient. Les spécialistes ne sont pas d’accord sur l’avenir de cette espèce. Certains pensent que c’est l’une des tortues marines les plus menacées et qu’elle est en train de disparaître un peu partout dans le monde. D’autres pensent que ces effectifs sont encore très importants. Cependant, des mesures ont été prises pour augmenter nos connaissances sur cet animal et ainsi, mieux le protéger. La mise en place de suivis par télémétrie et balises Argos et une cartographie complète des lieux de ponte pourrait permettre, à terme, la conservation durable de cette espèce. En effet, une meilleure localisation des lieux de ponte permettra de protéger les oeufs en créant des zones surveillées, de limiter la présence de filets de pêche près de la côte, de faire de la prévention près de ces lieux et de valoriser la présence de la tortue luth au niveau touristique. Par exemple au Gabon, en Afrique, la plage où a lieu le plus grand nombre de ponte est officiellement protégée à la suite de la création du Parc national Mayumba. Grâce à ces premières mesures de protection mises en place, certaines populations de tortues luth sont en train de se rétablir. C’est le cas, par exemple, d’une population dans le Nord-Ouest de l’océan Atlantique (le long des côtes des Etats-Unis d’Amérique et des Caraïbes). De même, en Afrique du sud, les d’efforts de conservation ont permis de quadrupler la petite population qui vient pondre chaque année. D’autres populations reste fragile ou trop peu connues pour tirer des conclusions définitives sur leur évolution. C’est le cas de la population du Sud-Est de l’Atlantique, la plus grande population au monde, pour laquelle les scientifiques ne peuvent évaluer sa dynamique (en particulier au Gabon). La situation des populations de l’océan Pacifique et des populations de l’océan La tortue luth De même, une connaissance précise des déplacements de la tortue luth dans les différents océans du monde permettra de localiser les points de recoupement des zones de pêche actuellement connues avec les routes migratoires des tortues luth pour réduire les prises accidentelles de l’animal dans les filets de pêche. Les chercheurs identifient également les points de regroupement importants des tortues et tentent de réduire l’activité de pêche dans ces lieux. Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 Fig. 15 : Photographie d’une tortue luth prise dans des filins de pêche. @WWF-France 15 Indien, en revanche, est moins favorable. En effet, la population dans l’Est du Pacifique a diminué de 97% en trois générations et la population du Pacifique occidental a chuté de 80% durant la même période. Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille Parlons-en... Mai 2016 La tortue luth Les mesures de conservation déjà appliquées portant leurs fruits, il convient de les renforcer en protégeant les sites de pontes et en persuadant les populations locales que l’observation des tortues luth, à l’instar de ce qui ce fait pour les baleines, peut être un facteur de développement économique bien plus durable que la collecte des œufs qui entraînera irrémédiablement l’extinction de l’espèce. De même, les efforts de recherches doivent continuer afin de mieux connaître le mode de vie et les routes de migration de ces géants de la mer, ce qui permettra à terme de les protéger contre les activités humaines et des conséquences de la pêche industrielle en particulier. 16