LA NÉOLOGIE ET SES MÉCANISMES DE CRÉATION LEXICALE* Daniela DINCĂ 1. Introduction 1.1. La néologie s’avère un domaine qui pose beaucoup de problèmes concernant généralement les aspects suivants: la définition des principaux concepts opérationnels, la forme, la fréquence, l’origine et le sémantisme des mots considérés comme appartenant à la classe des néologismes. En plus, parmi les autres domaines de la linguistique, elle s’individualise par sa particularité de désigner, à la fois, ses opérations (les procédés de création) et ses résultats (les néologismes). Par conséquent, la dimension polysémique du terme de néologie est plus qu’évidente car le concept qu’il désigne renvoie à trois démarches différentes: (i) création de nouvelles unités lexicales par le recours, conscient ou inconscient, aux mécanismes habituels de créativité linguistique d’une langue; (ii) étude théorique et appliquée des procédés de formation des mots, des critères de reconnaissance, d’acceptabilité et de diffusion des néologismes; (iii) activité institutionnelle organisée qui se propose de recenser, de créer, de diffuser et d’implanter les néologismes dans le cadre d’une politique de la langue. Notre contribution se propose de traiter de la néologie sous un double aspect: les opérations de formation des néologismes (ou les procédés de formation) et les résultats de la créativité lexicale, néologismes, pour la langue commune et néonymes, pour les langues de spécialité. Si les deux domaines envisagés (langue commune vs. langue de spécialité) disposent de termes spécifiques pour désigner leurs mots/termes, néologismes et néonymes, le processus de formation des nouveaux mots dans les deux domaines recouvre lui aussi des termes différents: la néologie, pour la formation des néologismes de la langue commune, et la «néonymie» (Rondeau 1984), pour les néonymes des langues de spécialité. 1.2. La dynamique du vocabulaire roumain actuel est mis en évidence par le fait que le fonds néologique continue de s’enrichir (voir dans ce contexte les nombreux dictionnaires de néologismes / mots récents parus au cours des dernières années ou bien les nouvelles éditions mises à jour, révisées et corrigées des dictionnaires existants déjà, mais qui ne réussissent pourtant pas à tenir le pas avec l’avalanche des mots nouveaux qui entrent dans la langue). La langue roumaine, extrêmement accueillante, manifeste de la sorte sa force créative illimitée. Dans ce contexte, notre article se propose de revisiter quelques acquis théoriques et méthodologiques en matière d’études néologiques, afin d’atteindre ses deux objectifs: Daniela DINCĂ (i) esquisser une classification générale des différents procédés de la créativité linguistique dans le domaine de la néologie vs. néonymie lexicale, en insistant surtout sur l’emprunt en tant que l’un des principaux mécanismes linguistiques de la création néologique; (ii) présenter, de manière implicite, la relation qui existe, d’une part, entre les néologismes vs. néonymes et les procédés de formation, d’autre part. En ce qui concerne le corpus, nous avons illustré les procédés de formation par des exemples pris dans le lexique roumain, mais pour la néologie par emprunt, nous avons pris comme langue source le français, dont l’importance et le rôle dans la modernisation de la langue roumaine sont incontestables. 2. La néologie en tant que processus de formation lexicale La créativité est une constante dans le domaine de la néologie lexicale et témoigne de la dynamique de chaque langue: «Une théorie de la néologie doit rendre compte du fait d’évidence que la création lexicale est un élément permanent de l’activité langagière» (Guilbert 1975: 34-43). Malgré la diversité des typologies existantes, il est plus ou moins admis que néologismes et néonymes font appel aux mêmes procédés de formation que les néologues répartissent généralement en trois grands groupes qui recouvrent, à leur tour, d’autres sous-types : (i) néologie formelle; (ii) néologie sémantique; (iii) néologie par emprunt. Les trois procédés présentent des moyens propres pour la formation des nouveaux mots: si les deux premiers reposent sur les moyens internes d’une langue (dérivation, composition), le troisième utilise des moyens externes de transfert d’un mot/terme d’une langue source dans une langue cible (emprunt et calque). Il n’y pas de délimitation stricte entre ces trois procédés de sorte que les lexicologues se confrontent parfois à la difficulté de classer certains néologismes, dont la formation relève à la fois de différents procédés (dérivation, emprunt) ou même d’un seul type. À titre d’exemple, on peut citer Sablayrolles (2000) qui considère que le verbe français réaliser, au sens de «comprendre», relève à la fois de la néologie sémantique et de l’emprunt, sous l’influence de l’anglais to realize. Malgré les superpositions de procédés qui peuvent apparaître, le nouveau mot doit relever principalement d’une seule classe. Dans ce sens, dans le cadre d’une thèse de doctorat entièrement consacrée à la néologie, Sablayrolles affirme que: «les procédés ne seront inclus que dans une seule classe», puisqu’il s’agit «dans un premier temps d’un simple récapitulatif ordonné et non encore de l’établissement raisonné d’une typologie» (2000: 211). 2.1. La néologie formelle Un des procédés les plus productifs de la néologie lexicale, la néologie formelle, appelée également néologie flexionnelle ou morphologique, insiste sur La Néologie Et Ses Mécanismes De Création Lexicale* l’adjonction d’un affixe (termes / mots dérivés) ou d’un autre lexème, en général non autonome et d’origine gréco-latine (termes/mots confixés). Cela veut dire que néologismes signifient également mots formés à l’intérieur d’une même langue à partir de mots existants. L’innovation est donc inhérente à chaque langue et elle représente un aspect sur lequel les linguistes ont mis moins l’accent. 2.1.1. La dérivation Les termes/mots dérivés sont préfixés, suffixés ou parasynthétiques (dérivation multiple). La dérivation est un processus très productif en roumain, qui dispose de nombreux affixes (suffixes et préfixes), ce qui explique la raison pour laquelle le roumain fait partie de la famille des «langues de type dérivatif» (Sala 2001: 153). Pour illustrer cette richesse dérivationnelle du roumain, on peut citer le cas de beaucoup de verbes formés par dérivation préfixale à partir d’un nom emprunté à d’autres langues ou hérité du latin. Par exemple, le verbe a îndoctrina qui combine un affixe, le préfixe în + doctrină, même s’il y a un terme semblable en français, endoctriner, que le roumain aurait pu emprunter. Le roumain avance sur la même ligne de la dérivation flexionnellee et propose deux autres mots de la même famille lexicale, formés, cette fois-ci, par dérivation multiple: în+doctrin+are et în+doctrin+at. Un autre exemple qui développe tout un paradigme flexionnel à partir d’une base nominale: a încurajá (în+curaj), d’après le fr. encourager, încurajare (în+curaj+are), încurajat (în+curaj+at), încurajator (în+curaja+tor). Mais il existe aussi des cas où la dérivation est remplacée par un autre procédé, d’ailleurs très productif en roumain, l’emprunt à d’autres langues. Par exemple, toute la famille lexicale (nom, verbe, adjectif) est entrée en roumain par filière française: a inventa, invenŃie, inventiv (inventer, invention, inventif), a ilustra, ilustraŃie (illustrer, illustration) (ilustrat et ilustrativ sont des mots dérivés sur le verbe roumain a ilustra), a infecta, infecŃie (infecter, infection) ou toute la serie a aplica, aplicaŃie, aplicabilitate, aplicativ (appliquer, application, applicabilité, applicatif). Un autre exemple qui vient illustrer ce mélange entre les procédés internes et externes de formation des néologismes nous est fourni par le formant anti- , qui exprime l’opposition. En roumain, le préfixe anti- est soit un élément de dérivation néologique (antiaccident, antiartistic, antiatom, antibacterian, antobronşitic, anticanonic, anticar), soit, dans beaucoup d’autres cas, un élément de formation interne: antibiotic, anticameră, anticiclon, anticlerical, anticolonialist, anticonstituŃional, etc. Un trait qui distingue ces mots dans les deux langues (français et roumain) est leur orthographe. Anti- a une double orthographe en français: il est soudé au nom (antibasculement, antidébordement, antidérapant, antiasphyxiant, antidiffusant, antinucléaire, antigiratoire, antidétonant) ou bien il garde encore le signe de la composition (anti-corrosif, anti-aérien, anti-atomique, anti-éblouissant, anti-gluant, anti-oxydant, anti-sous-marin). Par rapport au français, le roumain présente une seule orthographe, la forme soudée du formant anti-. Daniela DINCĂ Le roumain et le français sont des langues tellement rapprochées que les locuteurs roumains prennent pour des mots français des unités qui sont des créations autochtones comportant pourtant un formant français, que celui-ci soit la racine, un suffixe ou un élément de composition. Ces mots sont appelés «pseudofranŃuzisme propriu-zise» Hristea (1979: 492) que nous illustrons par les exemples fournis par le même auteur: «la racine (pic-aj), le suffixe (şantaj-eur) ou un élément de composition (grandomanie)» ( Hristea 1979: 492). 2.1.2. Les termes/mots confixés Contrairement aux termes/mots préfixés, les termes/mots confixés ou les termes-syntagmes correspondent au regroupement de deux ou plusieurs mots qui représentent une seule unité conceptuelle. Il suffit de l’apparition d’un seul élément nouveau dans une expression pour que l’on parle de néologisme : «Dès lors qu’un élément nouveau surgit dans ces associations plus ou moins figées, elles deviennent néologiques» (Sablayrolles 2000:155). «Ces nouvelles alliances» (Idem: 156), caractérisées par une perte de leur sens compositionnel au profit d’un sens unique, combinent le plus souvent la structure déterminé + déterminant : fisurare la cald (fente de chauffage), fisură de compresiune (fente de compression), fereastră de control (fente de contrôle), fantă de citire (fente de lecture), canal de plantare (fente de plantation), fantă de radiaŃie (fente de rayonnement), fantă de răcire (fente de refroidissement), fantă de contracŃie (fente de retrait), fisură de ruptură (fente de rupture), fisură de ieşire (fente de sortie), etc. Un autre trait distinctif entre les deux procédés de formation lexicale (dérivation vs. composition) concerne leur domaine de manifestation. Soulignant la spécificité des néonymes par rapport aux néologismes, A. Goosse (1975) traduit cette différence par les procédés de formation de ces deux classes: les néologismes privilégient la création morphologique par préfixation et par suffixation tandis que les néonymes favorisent la création syntagmatique. Il est évident que ce procédé de formation des termes nouveaux se montre comme l’un des procédés les plus fréquents pour former les néonymes car les dénominations qu’il permet de former sont caractérisées par leur brièveté, leur aspect international et leur précision sémantique. Même dans le cas des termes formés à partir d’éléments de composition, nous avons relevé un aspect récurrent qui pose des problèmes aux lexicologues. Il s’agit de l’origine des termes confixés en roumain, emprunté au français ou dérivés avec des moyens internes. Par exemple, le formant bio- développe deux types de paradigmes: (i) termes calqués, le plus souvent, sur le français: bioamplificator (bioamplificateur), bioastronautic (bioastronautique), biobibliografíe (biobibliographie), biocenotic (biocénotique), biocenoză (biocénose), biochimie (biochimie), biochimist (biochimiste), biocibernetic (biocybernétique), bioclimatic (bioclimatique), bioclimatolog (bioclimatolog), bioclimatologie (bioclimatologie), biocompatibil (biocompatible, etc. La Néologie Et Ses Mécanismes De Création Lexicale* (ii) termes formés en roumain quand le français n’a pas de tels mots / termes: bioacumulare, biobibliografic, biocomplex, bioconşiiínŃă, biocurent, biodetector, biodeteriorare, etc. 3. La néologie sémantique 3.1. L’évolution sémantique des mots peut être ramenée à plusieurs causes principales: historiques, sociales, linguistiques et psychologiques. Selon les changements de nature sociale, politique et culturelle qui apparaissent dans la société contemporaine, la néologie sémantique crée de nouveaux termes ou mots par l’adjonction d’une nouvelle acception à une dénomination déjà existante dans les deux classes envisagées: néologismes et néonymes. La spécificité de la néologie sémantique en tant que procédé de formation interne consiste dans la multiplication du sens pour une même unité lexicale: «Il s’agit de néologie quand un mot déjà existant dans une langue ajoute un autre sens» (Sablayrolles 2000: 150). Pour illustrer la néologie sémantique, nous prenons le cas du mot cancer. Du point de vue de son origine, il est calqué sur le français cancer avec deux sens: (i) tumeur maligne due à une multiplication anarchique des cellules d'un tissu organique et (ii) quatrième constellation du Zodiaque située dans la partie la plus septentrionale de l'écliptique. Depuis trois ans, ce mot a développé un autre sens, celui de «grand malheur d'origine naturelle ou humaine qui frappe et ravage une collectivité», sens qui est devenu tellement dominant qu’il est presque considéré comme un «développement sémantique parallèle» (Dimitrescu 1994: 224). Mais l’adjonction d’un nouveau sens a parfois des répercussions sur l’emploi d’un mot qui, par déformation de son sens initial, devient un barbarisme (Mihailovici 2005:27). Pour illuster la même déformation du sens d’un mot par l’adjonction de signifiés qui sont en contradiction avec le sens initial, Hristea (2000: 338-339) cite deux exemples: le mot doleanŃă (< fr. doléance avec le sens de «plainte») a aussi le sens de «désir» et colloque (< lat. colloquium) avec le sens de «entretien, conversation» apparaît dans des syntagmes du type colocviu scris (colloque écrit). 3.2. Sablayrolles considère pourtant que «les deux grandes voies reconnues de la néologie sémantique sont la métaphore et la métonymie» (Sablayrolles 2000: 155), procédés qui reposent sur la similitude entre deux référents. Par exemple, pour les néonymes, l’une des sources vivantes de création néologique est la lexicalisation des métaphores. Par ce procédé, les parties du corps peuvent acquérir de nouvelles acceptions dans des domaines technico-scientifiques différents: (i) machines: braŃ articulat (bras articulé), bretelele elevatorului (bras d’élévateur), talpa de fixare (bras de fixation), braŃ de ghidaj (bras de guidage); voitures: braŃele ştergătorului de parbriz (bras d’essuie-glace), braŃ de frânâ (bras de frein); (iii) navires: braŃ de ancoră (bras d’ancre), braŃul vergii mari (bras grand), braŃ de ridicare (bras de levage). 3.3. Moyen linguistique pratique et économe, le procédé de siglaison fait aussi partie des mécanismes linguistiques de la création néologique car la forme Daniela DINCĂ réduite a un statut autonome par rapport à la forme de base. Il se montre très fréquent en néonymie car chaque langue présente la tendance à abréger une partie de son lexique, soit par voie de siglaison, soit par troncation. Procédé très à la mode à l’époque de la vitesse et de la communication rapide, les sigles sont les réductions de termes - syntagmes où seules les lettres initiales des substantifs composent le syntagme: APAPS (Autoritatea pentru Privatizarea şi Administrarea ParticipaŃiilor Statului), SIF (Societate de InvestiŃii Financiare), SRL (Societate cu Răspundere Limitată), SA (Societate pe AcŃiuni), TVA (Taxă pe Valoarea Adăugată). 4. La néologie par emprunt 4.1. L’un des principaux mécanismes linguistiques de la création néologique est, de toute évidence, l’emprunt. Procédé externe d’enrichissement lexical, l’emprunt consiste à importer dans une langue cible des mots appartenant à une langue source. Considérée la solution la plus commode pour remplir les lacunes lexicales d’une langue, il est favorisé par des facteurs extralinguistiques tels que le voisinage, les rapports économiques, politiques et culturels de deux ou plusieurs communautés. 4.1.1. Le problème de l’étymologie Établir l’étymologie des emprunts constitue une tâche très importante pour le lexicographe qui doit savoir présenter le mot sous tous ses aspects. Si l’on veut envisager l’étymologie des emprunts roumains à d’autres langues, cet aspect met en évidence, d’une part, la complexité de l’origine et, d’autre part, les problèmes controversés qui en découlent. Au-delà de ces difficultés, «la diversité étymologique du vocabulaire roumain est une source de sa richesse en général et de sa richesse en synonymes, anciens ou nouveaux, plus particulièrement» (Sala 2001: 147-148). Plus précisément, le vocabulaire de la langue roumaine a un caractère profondément hétérogène, dû à sa constitution sous l’influence de plusieurs langues. C’est la raison pour laquelle la littérature de spécialité (Dimitrescu 1994; Dănilă / Haja 2005) propose une typologie de l’étymologie des mots que le roumain a empruntes à ces langues: (i) emprunts à étymologie multiple (concept introduit par Graur 1950); (ii) emprunts à étymologie unique; (iii) emprunts à étymologie controversée (néologismes qui peuvent s’expliquer soit par des emprunts soit par des procédés internes, tels que la dérivation ou la néologie sémantique). Il est évident que, sur les trois classes d’emprunts, deux posent de vrais problèmes. La première regroupe les emprunts à étymologie multiple, ceux qui ont des étymons différents. Ce phénomène a été expliqué par le fait que «le fonds néologique du roumain a été constitué sous l’influence de plusieurs langues: le latin savant, le néogrec, le russe, l’allemand, l’italien et, surtout, le français» (Hristea 1968: 104). La Néologie Et Ses Mécanismes De Création Lexicale* Par conséquent, beaucoup de mots qui font partie du vocabulaire des langues romanes sont entrés en roumain par la filière des langues voisines (le néogrec, les langues slaves - surtout le russe et le polonais, le turc, le hongrois, l’allemand et l’anglais); d’autre part, des mots appartenant à une certaine langue romane (le portugais ou l’espagnol) sont entrés par l’intermédiaire d’une autre langue, toujours romane (surtout le français) (Avram 1982, Iliescu 2007). À titre d’exemple, on peut citer le cas où, dans une famille lexicale, certains mots ont une étymologie unique et d’autres une étymologie multiple, parfois uniquement pour certains sens. Il s’agit, d’une part, du verbe a intriga (=intriguer) qui a une étymologie multiple (< fr. intriguer, it. intrigare), mais dont le nom correspondant a une étymologie unique (< fr. intrigue). À l’inverse, le verbe a inventa (= inventer) a une étymologie unique (< fr. inventer) tandis que les noms inventar (= inventaire) et invenŃie (= invention) ont une étymologie multiple (française et latine savante). Parfois, l’étymologie multiple apparaît à l’intérieur du même paradigme, adjectival dans ce cas: academic (< fr. académique, lat. academicus), mais neacademic vient de l’anglais non-academic. D’autre part, l’étymologie multiple apparaît pour certains sens d’un mot. Le verbe a îndura a une étymologie latine (< indurare), empruntant aussi un de ses trois sens au français: «supporter patiemment un chagrin, une douleur, une maladie». Les deux autres sens que le français ne présente pas correspondent à sa forme pronominale a se îndura et signifie «montrer de la pitié pour quelqu’un» et «consentir, accepter, se décider». 4.2. Le calque Dans la classe des procédés externes, l’emprunt et le calque sont souvent confondus de sorte que l’existence de critères distinctifs s’avère fort utile pour les linguistes et les lexicologues. Sablayrolles (2000: 134) nous donne un point de repère pour la distinction de ces deux procédés, celui de la datation: «l’emprunt n’est identifiable que si l’on connaît l’existence de la lexie étrangère d’origine et que si l’on sait qu’elle est antérieure à la lexie français et, qui a été modelée sur elle». Procédé externe de la néologie lexicale, le calque regroupe deux autres sousclasses: le calque sémantique et le calque de structure. En ce qui concerne le calque sémantique, un mot existant dans une langue acquiert, sous l’influence d’une autre langue, une nouvelle acception. Par rapport à la néologie sémantique, qui est un procédé interne d’adjonction d’un signifié à un signifiant existant dans une langue, le calque sémantique est un procédé externe qui consiste à ajouter, sous l’influence d’une autre langue, une nouvelle acception. Par exemple, le mot primar (= primaire) avec le sens de «initial, primordial, originaire» a une étymologie latine (< primarius), mais, sous l’influence du français maire, il a acquis le sens de «premier magistrat de la commune, élu par le conseil municipal parmi ses membres pour exécuter les décisions du conseil, représenter la commune et exécuter sous l'autorité du préfet des fonctions d'agent du pouvoir central». Daniela DINCĂ Un autre calque sémantique a été créé sous l’influence de l’anglais qui a transmis le sens de «comprendre» du verbe to realize au verbe homonyme du roumain a realiza dont le sens était, tout comme celui du verbe français qui se trouve a son origine, celui d’ « accomplir ». Mais le calque sémantique le plus répandu apparaît dans les langues de spécialité, où les termes sont souvent calqués sur ceux de la langue source, le français dans notre cas. Nous prenons comme exemple le domaine de la biologie: labilitate (labilité), lactază (lactase), lactogenetic (lactogénétique), lactogeneză (lactogenèse), leucocitogeneză (leucocytogenèse), leucopoieză (leucopoïèse), levuloză (lévulose), lignicol (lignicole), limfoblast (lymphoblaste), lipază (lipase), lipemie (lipémie), lipocrom (lipochrome), lopoliza (lipolyse), lipotrop (lipotrope), etc. D’autre part, le calque de structure consiste dans l’adoption de la forme interne d’un mot étranger et il apparaît aussi bien dans le cas des mots simples (calque lexical): lamă (lame), lambriu (lambre), laminor (laminoire), langustă (languste), lanolină (lanoline), lanternă (lanterne), lecitina (lecitine), leucemie (leucemie), etc. que dans celui des phraséologismes (calque phraséologique): ceas – brăŃară (montre bracelet), câine-lup (chien loup), hârtie monedă (papier monnaie), nou-născut (nouveau-né). 4.3. L’adaptation des emprunts Un autre aspect que nous devons prendre en considération concerne le degré d’adaptation du nouveau mot/terme car, selon Guilbert, «un néologisme n’existe réellement que s’il entre dans un certain usage» (1975: 44). L’auteur cité ajoute plus loin que c’est la répétition de l’acte de création qui installe le néologisme «individuel» dans «la société du lexique». Le néologisme ainsi lexicalisé perd, du coup, sa qualité de néologisme pour devenir un mot «socialement établi». Dans la tradition des études néologiques, on considère que les néologismes qui s’installent dans les langues relèvent fréquemment au départ du discours spécialisé, car ils sont créés pour des besoins de dénomination de nouveaux concepts et de nouveaux produits. Lorsque les néonymes se divulguent, puis se banalisent, entrant dans les discours du non spécialiste, ils intègrent la langue générale, en perdant en partie leur statut spécialisé. En ce qui concerne le degré d’adaptation des emprunts, celui-ci constitue un critère de distinction entre les deux types d’unités lexicales analysées: si les néonymes ont une identité formelle presque identique dans les deux langues, les néologismes ont un degré plus ou moins grand d’adaptation phonétique et graphique. Par conséquent, les néonymes empruntés au français présentent une identité formelle dans les deux langues. À titre d’exemple, on peut citer les 34 termes biologiques inventoriés par Florica Dimitrescu (1994: 225): acvacultură, anabazis, antigenă, antropo, biodegradabil, bioluminiscent, biomasă, biomatematică, bionică, biostimulator, biotelemetrie, biotop, criobiologie, ecologie, ergotamină, fotoenergetică, fitosanitar, gamaglobulină, hipotermie, homeostazie, izomerază, La Néologie Et Ses Mécanismes De Création Lexicale* metabolit, micropaleontologie, ocelă, protidic, radiostimulare, rodopsin, sapropelic, thanatologie, teleonomie, trisomie, umanoid, viral, virologie. La classe des néologismes applique l’adaptation des emprunts à la langue cible de sorte qu’on peut avoir une orthographe identique pour deux emprunts différents. C’est le cas du mot diplomat qui a une double étymologie avec des sens spécifiques: 1. emprunt au français diplômé avec le sens de «titulaire d'un diplôme» et 2. emprunt au français diplomate avec deux sens: a. «personne officiellement chargée de représenter son pays auprès d'un gouvernement étranger ou dans les affaires internationales» et b. «entremets froid servi avec une sauce aux fruits». Si le premier sens est presque absent dans la langue courante, les deux derniers sont d’un usage fréquent, même si, pour la dernière acception, le terme figure dans une collocation du type tort diplomat, prăjitură diplomat, dans le but d’éliminer toute ambiguïté de sens. 4.4. La nécessité des emprunts Un autre facteur qui fait la distinction néologismes vs. néonymes concerne la nécessite des emprunts: si les néonymes répondent à une nécessité d’ordre terminologique, imposés par les nouvelles réalités, les néologismes sont parfois des emprunts à la mode. Les néologismes qui ont une existence éphémère enregistrent des occurrences isolées sans avoir le pouvoir de pénétrer dans la langue courante. Il s’agit dans ce cas de xénismes ou pérégrinismes (Kocourek 1982: 133), des emprunts perçus par l’usager comme un élément étranger et qui ne sont pas encore intégrés par le système linguistique de la langue cible. À titre d’exemple, on peut citer Iordan (1954) qui relève dans la presse d’entre les deux guerres une série de mots empruntés au français qui ne correspondaient à aucune nécessité: aberant (aberrant), abhorat (abhorré), alert (alerte), angoasă (angoisse), aviva (aviver), bulversa (bouleverser), claca (claquer), compozit (composite), confesa (confesser), cozerie (causerie), curonament (couronnement), devanseur (devanceur), diurn (diurne), dompta (dompter), efasa (effacer), extravaga, flana (flâner), flaterie (flatterie), etc. Mais il faut remarquer que beaucoup de ces mots sont aujourd’hui parfaitement intégrés dans le roumain courant: aberant, alert, angoasă, a claca, compozit, confesa, diurn, etc. Si l’on fait référence à l’époque actuelle, beaucoup d’emprunts, surtout au français, ont un caractère livresque et ne sont pas entrés dans le circuit général de la langue. C’est, par exemple, le cas des mots : a lacera (lacérer), a lapida (lapider), a libela (libeller), a umecta (humecter), a uzita (usité), a oblitera (oblitérer), a cola (coller), a hanta (hanter), lancinant (lancinant), umanoid (humanoïde), obsecvios (obséquieux), etc. L’importation d’une nouvelle acception pour un mot existant dans une langue est parfois ressentie comme étrangère. C’est le cas du terme aplicaŃie (application) qui, sous l’influence de l’anglais, a acquis le sens de «demande, sollicitation», sens qui se superpose à ceux qui existaient dans la langue courante: «exercice militaire de lutte». Le DEX nous donne là-dessus une explication, en précisant que cette nouvelle acception a été reprise dans le Dictionnaire d’argot Daniela DINCĂ (2007), ce qui veut dire que la langue parlée peut être une source pour l’adjonction de sèmes aux unités lexicales qui existent dans une langue. Ces emprunts stylistiques sont aussi très utilisés dans le langage de la presse où les mots roumains sont doublés d’emprunts étrangers: a antama (entamer), a envisaja (envisager), a bulversa (bouleverser), a devoala (dévoiler), a se deroba (se dérober), lejeritate (légèreté), mefienŃă (méfiance), a stopa (stopper), ce qui s’explique soit par «un snobisme linguistique», soit par la recherche d’un style personnel. 5. En guise de conclusion La créativité lexicale reflète le développement scientifique, technique et culturel d’une société, car chaque langue dispose d’un ensemble de procédés morphologiques, morphosyntaxiques et morphosémantiques pour créer les nouvelles dénominations En ce qui concerne les mécanismes linguistiques de la création néologique, nous avons retenu les aspects suivants : (i) Chaque langue dispose de ses propres stratégies de formation dans le domaine de la néologie lexicale, même si le point de départ reste l’emprunt à d’autres langues. (ii) Le contact incessant des langues rend parfois très difficile le processus de distinction entre un mot dérivé ou un emprunt. Seule la documentation lexicographique peut nous rassurer et nous fournir les meilleures informations. (iii) Sur les trois procédés de création néologique pris en considération, nous pouvons affirmer que les deux premiers, en tant que procédés internes, utilisent des mots existant dans une langue et leur nouveauté consiste dans un changement de forme (néologie flexionnelle) ou de sens (néologie sémantique) tandis que l’emprunt, procédé externe d’enrichissement du vocabulaire, introduit une nouvelle lexie dans une langue, ce qui suppose, à la fois, une nouvelle forme avec un nouveau sens. (iv) Pour ce qui est du rapport néologismes vs. néonymes et les procédés de formation, nous avons retenu les idées suivantes: - la forme, en tant que critère de distinction, classifie les mots courts dans la classe des néologismes et les formes syntagmatiques dans celle des néonymes; - les néologismes privilégient la création morphologique par préfixation et par suffixation tandis que les néonymes favorisent la création syntagmatique; - la néologie sémantique se manifeste surtout dans le domaine des néonymes qui enregistrent un grand nombre de métaphores lexicalisées ou de siglaisons; - l’emprunt et le calque sont les moyens externes les plus fertiles pour la création des néonymes qui, après avoir subi une «socialisation» à l’intérieur de la langue cible, se divulguent et sont employés par un grand nombre de locuteurs. La Néologie Et Ses Mécanismes De Création Lexicale* NOTE * Cet article est publié dans le cadre du projet de recherche Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique (FROMISEM) financé par le CNCSIS (contrat no. 820/2008). BIBLIOGRAPHIE Ouvrages de référence Avram, Mioara, “Contacte între română şi alte limbi romanice”, Studii şi cercetări lingvistice, XXXIII, 3, 1982, p. 253-259. (Avram 1982) Busuioc, Ileana, Despre neologisme şi neologie, 1996, site: http://www. litere.uvt.ro/documente_pdf/articole/uniterm/uniterm4_2006/ileana_busuioc. pdf-Microsoft Internet (Busuioc 1996) Dănilă, Elena / Haja, Gabriela, “Neologismul din perspectivă lexicografică”, Studii şi cercetări lingvistice, LVI, 1-2, 2005, p. 71-78. (Dănilă / Haja 2005) Dimitrescu, Florica, Dinamica lexicului limbii române, Bucureşti, Logos, 1994. (Dimitrescu 1994) Goosse, André, La néologie française aujourd’hui, Paris, CILF, 1975. (Goosse 1975) Graur, Alexandru, “Etimologie multiplă”, Studii şi cercetări lingvistice I, 1, 1950, p. 2-34. (Graur 1950) Guilbert, Louis, La créativité lexicale, Paris, Larousse, 1975. (Guilbert 1975) Hristea, Theodor, Probleme de etimologie, Bucureşti, Editura ŞtiinŃifică, 1968. (Hristea 1968) Hristea, Theodor, “FranŃuzisme aparente şi pseudofranŃuzisme în limba română”, Limba română, XXVIII, 5, 1979, p. 491-503. (Hristea 1979) Hristea, Theodor (coord.), Sinteze de limba română, ed. a 3-a, Bucureşti, Editura Albatros, 1984. (Hristea 1984) Hristea, Theodor, “Neologisme de origine latino-romanică impropriu folosite”, Studii şi cercetări lingvistice, LI, 2, 2000, p. 335-348. (Hristea 2000) Iliescu, Maria, “Je sème à tout vent”, Mélanges en l’honneur de Lena Lofstedt, LXX, Helsinki, 2007, p. 131-136. (Iliescu 2007) Iordan, Iorgu, “Împrumuturile latino-romanice”, Limba română contemporană. Manual pentru instituŃiile de învăŃământ superior, 1954, p. 70-77. (Iordan 1954, Kocourek, Rostislav, 1982, La langue française de la technique et de la science, Wiesbaden, Oscar Brandstetter Verlag, 1982. (Kocourek 1982) Lerat, Pierre, Les langues spécialisées, Paris, PUF, 1993. (Lerat 1993) Mihailovici, Aurelia, “Neologia şi structura neonimelor”, Studii şi cercetări lingvistice, LVI, 1-2, 2005, 23-31. (Mihailovici 2005) Rondeau, Guy, Introduction à la terminologie, Québec, Gaetan Morin, 1984. (Rondeau 1984) Daniela DINCĂ Sablayrolles, Jean-François, La néologie en français contemporain, Paris, Champion, 2000. (Sablayrolles 2000) Sala, Marius, Connaissez-vous le roumain?, Bucarest, Editions de la Fondation Culturelle Roumaine, 2001. (Sala 2001) Dictionnaires DCR2 = Dimitrescu, Florica, DicŃionar de cuvinte recente, ed. a II-a, Bucureşti, Logos, 1997. DEX on line, http://dexonline.ro/ DLR = DicŃionarul limbii române, Serie nouă, Bucureşti, Editura Academiei Române, 1965-2002. TLFi = Trésor informatisé de la langue française, CNRS. ABSTRACT Lexical neology designates both the inventory of newly created words and their devices of formation by internal means (derivation, compounding, adding new senses) and external ones (borrowings and calques). From this perspective, the paper aims at presenting a general classification of the various devices, insisting mostly on borrowings, considered a very productive device in the field of lexical creativity. At the same time, the paper also underlines the relation established between the mechanisms of neologic creativity and the two sub-classes of words: neologisms and neonyms. Key words: neology, neonymy, lexical creativity