Des technologies végétales… pas toujours écolos! Les jardiniers et

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Des technologies végétales… pas toujours écolos!
Marianne Guilmette et Hélène Godmaire
Les jardiniers et les paysagistes croisent de plus en plus les domaines de l’horticulture et
de l’écologie. Leur connaissance du monde végétal est maintenant une compétence
essentielle à la résolution de nombreuses problématiques environnementales, en
particulier celles relatives à l’épuration de l’eau. Que ce soit pour protéger un lac, capter
les eaux de pluies ou traiter des eaux usées, les horticulteurs, les biologistes, les
paysagistes et les ingénieurs sont de plus en plus sollicités pour conseiller ou créer des
aménagements appropriés. En observant les riches enseignements de la nature, les
spécialistes des végétaux ont pu concevoir des technologies adaptées au mode de vie
contemporain. C’est ainsi que les milieux humides, souvent comparés aux « reins » de
la planète, sont devenus source d’inspiration.
L’homme n’invente rien ici, mais il est ingénieux! Plusieurs concepts d’aménagement
inspirés de ces lieux de grande productivité et de diversité biologique sont aujourd’hui
proposés pour solutionner divers types de pollution aquatique. Ces propositions vertes
variées remplissent différentes fonctions. Sans exception, elles utilisent toutes des
plantes de milieux humides pour leur potentiel épuratoire. Très souvent, ces
phytotechnologies ou phytofiltres, sont désignées comme marais filtrants et marais
épurateurs.
Bien que toutes les plantes vivant en milieu inondé possèdent des qualités épuratrices,
le choix des végétaux et le concept d’aménagement sont rigoureusement planifiés selon
la charge à épurer. Ainsi, le marais filtrant qui assainit les eaux de ruissellement ou
certains rejets agricoles diffère du marais épurateur utilisé pour assainir des eaux usées
sanitaires. Soulignons que dans les deux cas, ce ne sont pas les plantes mais bien les
bactéries qui effectuent l’essentiel du travail d’épuration. Les plantes fournissent plutôt
un habitat aux micro-organismes qui décomposent la matière organique en suspension
et dégradent l’azote et les nitrates.
Le développement de ces deux types de marais s’appuie principalement sur les
conditions bio-physico-chimiques (hydrologie, structure, activité microbienne) requises
pour métaboliser la charge polluante. Ainsi, pour filtrer des eaux de surface
(ruissellement, érosion ou charge polluante réduite), les aménagements s’inspirent des
marais naturels. À la fois esthétiques et écologiques, les marais filtrants intègrent une
diversité de plantes (Iris versicolor, Typha latifolia, juncus effusus, Sagitaire latifolia,
Scirpus lacustris, Nymphea sp., etc.) et offrent également des habitats fauniques de
qualité. En contrepartie, lorsque le marais doit remplir un rôle d’épuration d’eaux
chargées de coliformes et où l’espace est restreint, les spécialistes proposent alors des
marais très denses qui répondent aux normes du Bureau de la normalisation du
Québec. Dans le cas du marais épurateur pour résidence isolé, le choix des plantes est
limité; il se restreint bien souvent à Phragmites australis. Le phragmite possède un très
bon rendement « épurateur »; il pousse densément, oxygène le milieu et favorise le
travail des micro-organismes. D’ailleurs, cette technologie a fait ses preuves depuis
longtemps en Europe.
Il arrive qu’au Québec, le phragmite utilisé pour ces aménagements est une espèce
exotique (phénotype européen) très envahissante. Facilement identifiable, le phragmite
s’est imposé rapidement au cours des dernières décennies et continue de le faire le long
des routes et sur les terres agricoles. On a longtemps pensé que cette plante se
propageait uniquement par rhizomes, mais il a été démontré scientifiquement que ses
semences sont fertiles. Ainsi, le phragmite poursuit lentement mais sûrement sa
progression. Extrêmement difficile et coûteux à éradiquer, il inquiète sérieusement les
gestionnaires du territoire. Alors, comment concilier la protection de la flore locale
indigène et les nouvelles technologies vertes d’assainissement des eaux ? Un paradoxe
écologique qui fait réfléchir! À cet effet, les chercheurs et les entrepreneurs devront
rapidement investiguer sur l’utilisation d’autres plantes. C’est ce qu’a débuté l’équipe de
Jacques Brisson de l’Institut de recherche en biologie végétale, qui mène des
recherches sur la quenouille et le roseau commun indigène, qui lui, n’est pas
envahissant. Les réponses… dans quelques années!
En attendant que les spécialistes des végétaux et les phyto-ingénieurs suggèrent des
espèces « alternatives » qui n’interfèrent pas avec les écosystèmes naturels, il est tout
indiqué d’éviter de planter le phragmite à l’extérieur des zones déjà fortement envahies
(Montérégie, Laval, Lanaudière, sud des Laurentides et Estrie) (Lavoie 2007). Il faut
savoir que certaines régions du Québec sont encore ou presque exemptes de roseau
commun (phénotype européen). Dans ces lieux et dans le cas d’épuration domestique,
un choix écologique consisterait, par exemple, à opter pour une technologie
environnementale utilisant d’autres procédés que les phytofiltres.
L’utilisation de plantes exotiques envahissantes dans les marais artificiels est
particulièrement problématique parce que les milieux humides sont vulnérables aux
envahissements. Jolies et performantes, quelques espèces exotiques potentiellement
envahissantes sont encore utilisées dans ces types d’aménagements et risquent de se
disperser facilement dans les milieux naturels. En plus du phragmite commun
(Phragmites australis), on retrouve parfois le butome à ombelle (Butomus umbellatus), la
salicaire commune (Lythrum salicaria), l’hydrocharide grenouillette (Hydrocharis morsusranae), le phalaris roseau (Phalaris arundinacea), le myriophylle à épi (Myriophyllum
spicatum), la châtaigne d’eau (Trapa natans) et la renouée japonaise (Fallopia japonica).
Résistez! Car que ce soit en zone résidentielle ou naturelle, les plantes exotiques
envahissantes demeurent une menace à la santé de nos écosystèmes.
Pour d’information loin :
1. Claude Lavoie. 2007. Le roseau commun au Québec: enquête sur une invasion. Naturaliste
canadien, 131 (2), p. 5-9
2. Jacques Brisson. Institut de recherche en biologie végétale.
www.irbv.umontreal.ca/francais/personnel/brisson.htm
3. Robert Lapalme. 2006. Protéger et restaurer les lacs. Boucherville Qc. Bertrand Dumont éditeur.
4. Robert Lapalme et al. 2008. Algues bleues: des solutions pratiques. Boucherville (Québec).
Bertrand Dumont éditeur.
En partenariat avec Nature-Action Québec, Union Saint-Laurent Grands Lacs mène une campagne
d’éducation sur les plantes exotiques envahissantes via le projet Les horticulteurs en actions ! Le
Programme de partenariat sur les espèces exotiques envahissantes; une initiative parrainée par le
gouvernement du Canada, a assuré en partie le financement de ce projet ainsi que la Fondation HydroQuébec pour l’environnement.
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