Nouveaux programmes Histoire – Bac Pro 3 ans. Arnaud Rolland Lycée Charles de Gaulle - Sète « Les Lumières, la Révolution française et l’Europe: les droits de l’Homme ». L’intitulé de cette question du programme de seconde Bac Pro invite à formuler plusieurs réflexions. En effet, l’étude ne doit pas se cantonner à l’espace national mais doit se faire à une échelle européenne (On présente les idées des Lumières développées par les philosophe face à l’absolutisme – liberté de conscience, égalité des droits – et leur rayonnement en Europe). Le cadre chronologique, quant à lui, n’est pas donné. Il convient donc de réfléchir sur ce point. Enfin, les termes « Lumières » et « Révolution » étant accolés, une question émerge : quel lien établir entre eux ? Doit-on faire des philosophes des Lumières des précurseurs de la Révolution française ? 1 / Quel cadre chronologique choisir pour traiter la question : « Les Lumières, la Révolution française et l’Europe : les droits de l’Homme » ? L’abbé Sieyès écrivait dès 1788 : « … Le Tiers ne doit pas craindre de remonter dans les temps passés. Il se reportera à l’année qui a précédé la conquête ; et puisqu’il est aujourd’hui assez fort pour ne pas se laisser conquérir, sa résistance sera sans doute plus efficace. Pourquoi ne renverrait-il pas dans la forêt de la Franconie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d’être issues de la race des conquérants et d’avoir succédé à leurs droits ? La nation, alors épurée, pourra se consoler, je pense, d’être réduite à ne plus se croire composée que de descendants des Gaulois et des Romains ». (Qu’est-ce que le Tiers Etat ?, abbé Sieyès, 1788). Il est vrai qu’à partir de 1789, la hantise des origines, dont est tissée toute histoire nationale, s’investit sur la rupture révolutionnaire. Les grandes invasions constituaient le mythe fondateur de la société nobiliaire ; 1789 devenait la date de naissance, l’« année zéro du monde nouveau » (Furet), fondé sur l’égalité. Ainsi, cette date définissait temporellement une nouvelle identité nationale. « La Révolution française peut-être interprétée à la fois comme le produit de ce qu’elle a appelé l’Ancien Régime, et comme l’avènement de la civilisation où nous vivons depuis. » (François Furet, Penser la Révolution française) Cette phrase de François Furet, figurant sur la quatrième de couverture de son ouvrage, intitulé Penser la Révolution française, pose, comme postulat à toute étude de la Révolution française, la nécessité d’envisager celle-ci non comme un événement isolé mais bien une situation qui s’inscrit dans une période longue : de l’Ancien Régime à nos jours. Mais quelles bornes chronologiques choisir quand on songe au faible volume horaire imparti à cette question du programme ? 1 Nouveaux programmes Histoire – Bac Pro 3 ans. Arnaud Rolland Lycée Charles de Gaulle - Sète 1.1 / En amont ? Tocqueville questionnait ses contemporains: « Vous pensez que la Révolution française est une rupture brutale de notre histoire nationale ? ». Il a voulu montrer qu’en réalité, « elle est l’épanouissement de notre passé. Elle parachève l’œuvre de la monarchie. Loin de constituer une rupture, elle ne peut se comprendre que dans et par la continuité historique. Elle accomplit cette continuité dans les faits alors qu’elle apparaît comme une rupture dans les consciences ». Pour Tocqueville, la Révolution n’est qu’une accélération de l’évolution politique et sociale antérieure. Il pense donc la Révolution en terme de bilan et non en terme d’événement (excluant ainsi une étude centrée sur 1789); comme un procès, non comme une cassure. Tocqueville propose donc une étude plus large de la Révolution ; le règne de Louis XIV est constamment pris à témoin dans son travail… Pour lui, la Révolution est dans le droit fil de l’Ancien Régime. Même si, écoutant à la fois Tocqueville et Furet, nous proposons une étude recouvrant une vaste période, la question des bornes chronologiques reste ouverte… 1.2 / En aval ? F. Furet propose d’observer un instant le découpage académique des études historiques en France pour trouver la réponse à cette question: - « L’Histoire moderne » prend fin en 1789 avec la fin de l’Ancien Régime qui n’a pas d’acte de naissance clair mais un acte de décès, - La Révolution et l’Empire constituent un champ d’études séparé et autonome, - 1815 marque le début de l’époque contemporaine. Ainsi, 1789 est bien la « clé de l’amont et de l’aval » de notre Histoire nationale. Mais doit-on pour autant enfermer la Révolution à l’année 1789 ou bien choisir, pour l’aval, une autre périodisation parmi les suivantes ? - 1789 – 1794 (exécution de Robespierre en mettant l’accent sur la dictature des Comités et des sections…) ? - 1789 – 18 Brumaire 1799 (gouvernement des régicides et guerre avec l’Europe des Rois) ? - 1789 – 1815 (intégration de l’aventure napoléonienne) ? Furet, pour sa part, rêve d’une histoire de la Révolution infiniment plus longue et dont le terme n’intervient pas avant la fin du XIX° ou début XX° car l’histoire du XIX° n’est qu’une lutte entre Révolution et restauration (1815 – 1830 – 1848 - 1851 – 1870, la Commune, le 16 mai 1877… ) Pour l’historien, seule la victoire des républicains sur les monarchistes, au début de la III° République, constitue la victoire définitive de la Révolution dans les profondeurs du pays. 2 Nouveaux programmes Histoire – Bac Pro 3 ans. Arnaud Rolland Lycée Charles de Gaulle - Sète 2 / Si 1789 est bien une rupture, alors quelle rupture ? F. Furet rappelle que l’analyse marxiste de la Révolution situe la rupture au niveau économique et social alors que la société française sous louis XVI est sensiblement semblable à la société sous Louis-Philippe. Pour Furet, la rupture n’est ni économique, ni sociale, elle réside dans l’invention de la culture démocratique. En effet, ni capitalisme, ni bourgeoisie n’ont eu besoin de révolutions pour paraître et dominer. Mais la Révolution s’installe dans un espace vide du pouvoir. Dès 1787, le royaume de France est une société sans État. « Dès 1789, la conscience révolutionnaire est l’illusion de vaincre un État qui déjà n’existe plus, au nom d’une coalition de volontés bonnes et de forces qui figurent l’avenir. L’ancien régime était aux mains du roi, la Révolution est le geste du peuple. L’ancienne société était celle du privilège, la Révolution fonde l’égalité. Ainsi se constitue une idéologie de la rupture radicale avec le passé, un formidable dynamisme culturel de l’égalité. » 3 / Une rupture, fruit des Lumières ? 3.1 / Une définition des Lumières : Il convient de définir avant toute chose le terme « Lumières ». D. Roche propose une définition reposant sur trois idées : - C’est une audace de la pensée : sapere aude ou « ose penser par toi-même ». C’est l’émancipation de l’homme par la connaissance : oser critiquer la tradition, la vision commune, exercer une pensée critique… - Ensuite, cette pensée critique ne débouche pas sur un corps de doctrine universel. - Et, enfin, le travail pour éclairer l’humanité est toujours à recommencer. Quelle est donc l’influence de la philosophie des Lumières sur la Révolution française ? 3.2 / Les Lumières, légitimité de la Révolution François Furet et Mona Ozouf, dans leur Dictionnaire critique de la révolution française, relatent deux événements qui intéressent notre question : le transfert des mânes de Voltaire, le 11 juillet 1791, et celui des restes de Rousseau, le 11 octobre 1790, au Panthéon. Ces deux cérémonies avaient une signification symbolique commune : par elles la Révolution rendait hommage à ses précurseurs et inspirateurs. La Révolution ainsi se donnait des origines et un surcroît de légitimité… 3 Nouveaux programmes Histoire – Bac Pro 3 ans. Arnaud Rolland Lycée Charles de Gaulle - Sète De plus, comme le soulignent les auteurs, faire reposer Voltaire et Rousseau côte à côte c’était faire acte de réconciliation, passer outre les divergences, les querelles, les tenir pour secondaires par rapport à l’unité fondamentale des « Lumières » : fonds commun d’idées, de valeurs… La Révolution, en quête de légitimité, se réclame donc des Lumières ; mais, à l’instar de la vision simplifiée donnée par certains manuels, doit-on voir dans les philosophes des Lumières des précurseurs de la Révolution ? 3.3 / Les Lumières, partisans des réformes… La question a été posée pendant la Révolution elle-même et la réponse a été positive. En effet, on s’appuie alors sur des textes que l’on considère comme « prophétiques » : « Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions. Je tiens pour impossible que les grandes monarchies aient encore longtemps à durer ; toutes ont brillé, et tout État qui brille est sur son déclin ». (J.J Rousseau) L.-S. Mercier publie en 1791 un ouvrage dont le titre parle de lui-même : JJ Rousseau considéré comme l’un des premiers auteurs de la Révolution. L’abbé Barruel, un contrerévolutionnaire, quant à lui, développe la thèse de la responsabilité des philosophes, l’Idée d’un complot philosophique et maçonnique à l’origine de la Révolution. Rares, alors, sont ceux qui déchargent les philosophes. J.-J. Mounier, en 1801, dans De l’influence attribué aux philosophes, francs-maçons et illuminés, soutient que les philosophes n’ont jamais appelé à la révolte, leur objectif n’était guère de bouleverser l’ordre social mais au contraire de le protéger contre des cataclysmes en le modernisant et le réformant. Furet dit que Mounier avait certainement raison car le dénominateur commun des philosophes, malgré leurs divergences, était l’incitation aux réformes, celles d’un Turgot, d’un Joseph II. Les Lumières, opposées à la monarchie absolue, lorsqu’elle tend au despotisme, préfèrent un régime qui mêlerait l’autorité du monarque et des mesures libérales prenant en compte leur philosophie (« despotisme éclairé » incarné par Frédéric II de Prusse ou Catherine de Russie). Les philosophes ne seraient pas des précurseurs de la Révolution. Pour les philosophes des Lumières, les réformes étaient la solution ; elles incomberaient au pouvoir éclairé… c’était reconnaître ainsi la politique, et non la révolte, comme instance décisive de tout changement social. Joël Cornette cite Voltaire à propos de Frédéric II : « Il y a dans le monde un prince qui pense en homme, un prince philosophe, qui rendra les hommes heureux… » 3.4 / Influence des idées des Lumières… Cependant, on ne peut nier la forte présence des idées des Lumières dans les vifs débats des Révolutionnaires. On ne peut pas nier une évidence : l’existence de liens entre philosophie des Lumières et Révolution, même si cette philosophie dite des « Lumières » n’est ni un corpus univoque, ni uniformément ni complètement diffusée dans un royaume encore attaché aux traditions chrétiennes et monarchiques. 4 Nouveaux programmes Histoire – Bac Pro 3 ans. Arnaud Rolland Lycée Charles de Gaulle - Sète Il est vrai que la ville comme le souligne Daniel Roche est l’espace privilégié de la diffusion des Lumières ; « c’est là que se forme, au milieu du XVIII ème siècle, un « espace public », constitué par l’accès à la lecture, à l’écriture, à la discussion d’un nombre croissant d’individus. L’ensemble des écoles, encore contrôlées en majorité par l’Église, forme à peu près 10% des enfants ; c’est peu et beaucoup à la fois. C’est en tout cas suffisant pour former des élites cultivées. » Les salons (Mlle de Lespinasse, Mme Tencin), les cafés (Le Procope) et les journaux contribuent à faire connaître les idées des Lumières à un public plus large. Les Sociétés de pensée, lieu de rencontre entre élites bourgeoises et aristocratie (Franc-maçonnerie), la multiplication des bibliothèques ainsi que le développement des récits de voyages permettent que les idées des Lumières se diffusent. Mais qu’en est-il des campagnes ? [N.B : une France encore majoritairement rurale] Sans doute une fraction du clergé, de la noblesse, quelques seigneurs éclairés, abonnés aux journaux, les médecins, les chirurgiens ont accès aux idées nouvelles des Lumières. Mais dans les milieux populaires la diffusion reste beaucoup plus modeste et limitée (difficile à évaluer !). Ainsi, même si le XVIII° des élites est un temps d’optimisme, avec l’idée que l’homme par sa raison et son esprit critique, appliqué aux sciences, à la religion et à la politique, peut accéder au progrès et améliorer sa condition, la vie culturelle semble concentrée à Paris. Les Lumières ne concernent en fait qu’une élite, formée de la grande noblesse et de la haute bourgeoisie surtout financière, qui parvient parfois à propager ses idées dans certains milieux urbains intermédiaires attentifs à la vie politique. Pour certains historiens du XIX ème, Taine par exemple, la philosophie des Lumières reste la principale responsable de l’éclatement de la Révolution. Mais, même s’il existait des tensions entre l’esprit nouveau et la persistance de l’absolutisme du trône et de l’autel, l’Eglise conservait une forte influence sur les esprits surtout dans les paroisses rurales. 4 /Alors, comment expliquer cette explosion d’énergie spectaculaire que fut la Révolution ? Alphonse Dupront dans Qu’est-ce que les Lumières ? propose une réponse. Pour Dupront, la seconde moitié du XVIII° est un état de « pré-révolution ». Il y a bien dans la création des Lumières un besoin d’accomplissement mais celui-ci doit prendre soit la voie du « despote éclairé » soit celle d’une organisation d’une « société de pouvoir ». Il souligne le fait que, certes, les Lumières sont autre chose que spéculation ou définition doctrinale. Elles cherchent bien la transformation de la vie commune, un sens et elle tendent à la réalisation concrète…. Mais la République des Philosophes ne sera pas gouvernée directement par eux. Toutefois, même s’ils n’ont pas régné directement, les définisseurs des Lumières ont eu des truchements du règne et la Révolution paraît dans l’histoire quand l’ordre neuf, déjà mûri dans les têtes, n’a plus qu’à se manifester réalité commune. 5 Nouveaux programmes Histoire – Bac Pro 3 ans. Arnaud Rolland Lycée Charles de Gaulle - Sète « Monde des Lumières et Révolution française se situent ainsi comme deux manifestations (ou épiphénomènes) d’un procès plus entier, celui de la définition d’une société des hommes indépendante, sans mythes ni religions (au sens traditionnel du terme), société « moderne », c’est-à-dire société sans passé ni tradition, du présent, et tout entière ouverte vers l’avenir. Les véritables liens de cause à effet entre l’une et l’autre sont ceux de cette commune dépendance à un phénomène historique plus large, plus entier que le leur propre » (A. Dupront) Ainsi, les Lumières seules ne suffisent à expliquer la Révolution ; il faut, pour cela, prendre en compte ce que Dupront appelle les « révolution concomitantes ». Les « révolutions » concomitantes Trois mouvements d’ensemble se font jour dans 2 nde moitié du XVIII ème et, pour Dupront, œuvrent : - une pulsion collective de révolution politique et sociale, - les prodromes de ce que nous appelons « Révolution industrielle » La révolution industrielle s’inscrit dans un développement de puissance de la création humaine, dans la recherche permanente de la maîtrise des éléments et de l’action sur la matière. L’idée de progrès est liée à la puissance de l’homme sur la matière. - le préromantisme. Au XVIII ème, on assiste à une poussée des forces irrationnelles. A la suite de Rousseau, s’épanouissent les droits de la passion et du cœur mais aussi les prémisses de la « psychologie des profondeurs »… Il y a, alors, une « compénétration mentale entre expérience sur l’électricité, le magnétisme et toutes formes d’action psychique à distance (magnétisme, phénomène de voyance, spiritisme…) » On découvre des forces obscures qui sont autant de sources d’énergie secrète, demain exploitables pour la Révolution. 5/ La dimension européenne des Lumières : Les lumières, est-ce vraiment un phénomène européen ? 2ème ½ du XVIIIème - L’Encyclopédie, De l’esprit des lois, Histoire naturelle de Buffon = les lumières françaises = un modèle. Mais un modèle construit dans la confrontation avec des modèles européens ; jamais isolé. Ex Voltaire : lettres philosophiques nourries par son exil en Angleterre d’où il est revenu défenseur de Newton, porte-parole des idées de tolérance… l’unification intellectuelle est essentielle même s’il existe des décalages temporels et géographiques. Lumières = un phénomène totalement européen // république des lettres 6 Nouveaux programmes Histoire – Bac Pro 3 ans. Arnaud Rolland Lycée Charles de Gaulle - Sète L’Europe des Lumière = un réseau pas un seul centre et des périphéries ! D. Roche dit de ne pas confondre Lumières (Lumières + Aufklärung + Enlightenment…) et lumières françaises. Bibliographie : - 99 questions sur la Révolution française, Elie ALLOUCHE, CRDP académie de Montpellier, 2005. - Penser la Révolution française, François Furet, Gallimard, 1978. - Qu’est-ce que les Lumières ? Alphonse Dupront, 1996. - Dictionnaire critique de la Révolution française, Furet / Ozouf, 1992. - La Révolution française, Que sais-je ? F. Bluche, S. Rials et J. Tulard. - « Une révolution totale », entretien avec Daniel Roche, publié dans L’Histoire n°307. 7