A4 LA PRESSE MONTRÉAL MERCREDI 9 AOÛT 2006 llllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll JOUR 28 LE PROCHE-ORIENT EN GUERRE PHOTO ANDRÉ TREMBLAY, LA PRESSE © Dimanche dernier, des musulmans et des juifs ont manifesté ensemble à Montréal pour la justice et la paix au Liban. Ces juifs qui s’opposent à Israël À Montréal comme à Londres, les citoyens s’étonnent de voir des juifs manifester aux côtés des Libanais. Non pas pour les affronter, mais pour protester avec eux contre les frappes israéliennes. La Presse en a rencontré quelques-uns à Londres afin de comprendre leur mouvement. M A L I I L S E PAQ U I N CO LL A B O R ATI O N S P ÉCI A LE LONDRES — Le 22 juillet dernier avait lieu une grande marche à Londres contre les frappes israéliennes au Liban. Au milieu des femmes voilées et des hommes portant le keffieh (foulard palestinien) se tenaient des juifs orthodoxes lourdement vêtus pour un temps de canicule. Des contre-manifestants ? Au contraire. Ces hommes en noir voulaient montrer leur appui aux Palestiniens et aux Libanais. L’un d’eux, le rabbin Elhanan Beck, tenait l’écriteau « Liberté pour la Palestine ». Il expliquait aux curieux qu’Israël devait rendre ses territoires aux Palestiniens. « Que Dieu vous bénisse ! » lui avait lancé un de ses interlocuteurs, ému. Ces juifs appartiennent à Neturei Karta (« Les Gardiens de la cité » en araméen), une secte créée en 1938 à Jérusalem. Au cœur de leurs dogmes se trouve la croyance pure et dure que les juifs n’ont pas le droit de fonder un État. Selon eux, la Torah (le texte fondateur du judaïsme) enseigne que leur place est en exil et doit le rester jusqu’à l’arrivée du messie. Les Israéliens et les sionistes, c’est-à-dire tous les sympathisants de l’État hébreu, sont à leurs yeux des hérétiques. « Il y a 90 ans, le sionisme n’existait pas, seulement les juifs ! La création d’Israël a fait couler beaucoup de sang et ne nous a apporté que des malheurs. Ce n’est pas notre destin d’avoir un État », affirme à La Presse le rabbin Israel Domb, dans sa demeure de Stamford Hill, le fief de Neturei Karta à Londres. L’homme de 90 ans est un des chefs spirituels du mouvement. « Ce qui se passe au Liban est terrible, poursuit-il. Le monde en est témoin et l’antisémitisme ne fait que grandir. » Pour se dissocier d’Israël et des sionistes, les disciples de Neturei Karta – dont on ignore le nombre dans le monde – vont jusqu’à la diplomatie, la flatterie pour calmer le jeu ? interroge le rabbin. Ils nous ont bien accueillis. » « Des traîtres » Les positions de Neturei Karta dérangent la diaspora juive. Selon Irene Lancaster, une spécialiste en théologie juive à l’Université de Manchester, ces juifs orthodoxes interprètent mal la Torah. Elle s’apprête elle-même à déménager à Haïfa, une ville du nord d’Israël qui est régulièrement la cible des roquettes du Hezbollah. « Notre devoir en tant que juifs est d’aller en Israël, expliquet-elle. C’est une élévation spirituelle pour nous de vivre sur la Terre promise. C’est en étant bons et serviables que nous pourrons amener la venue du messie. Pas en restant en exil ! » Le rabbin Barry Marcus, de la synagogue centrale à Londres, abonde dans son sens. « Rien ne nous empêche de vivre sur la terre de nos ancêtres. C’est notre droit. » « Je ne comprends pas pourquoi les membres de Neturei Karta sympathisent tant avec les ennemis d’ Israël, poursuit-il. C’est comme si les Américains s’assoyaient avec ben Laden ! Ce sont des traîtres. » frayer avec les ennemis jurés de l’État hébreu. Par exemple, dans les années 90, le rabbin Moshe Hirsch a agi à titre de ministre des Affaires juives auprès de Yasser Arafat en Palestine. Cette année, le rabbin Yosef Goldstein, établi en Angleterre, a comparu au procès de l’imam de Finsbury Park, Abou Hamza, pour témoigner de leurs relations cordiales. Hamza, qui a été reconnu coupable d’incitation à la haine raciale, était pourtant réputé pour ses prêches antisémites. Il traitait les juifs de « sales singes » et rêvait d’un immense cimetière juif en Palestine. Enfin, en mars dernier, une délégation de Neturei Karta s’est rendue en Iran pour y rencontrer l’élite politique. Ces démarches visent à apaiser les clans islamistes, affirme le rabbin Elrezer Hochhauser, qui était à Téhéran. « Quand quelqu’un est en colère contre nous, est-ce sage de répondre avec de la haine ? Ou est-ce mieux d’utiliser 32 Ce soir millions * *approximatif lotoquebec.com 3420724A L’ÉTAT D’ISRAËL Le sionisme s’organise sous la houlette du journaliste autrichien Theodor Herzl, en réaction à l’antisémitisme montant en Europe vers la fin du XIXe siècle. Le premier congrès juif mondial a lieu en 1897. Le premier pays à montrer son appui au projet sioniste est la Grande-Bretagne, par la déclaration Balfour en 1917. S’ensuivent alors des vagues d’immigration juive en Palestine jusqu’en 1939. À l’instar des rabbins de l’Europe centrale, l’important parti juif orthodoxe Agoudat, créé en 1912 en Pologne, est tout d’abord très hostile à la création de l’État hébreu, mais se rallie peu à peu au sionisme. Cette volte-face entraîne la création de Neturei Karta par d’anciens membres en 1938. Après l’Holocauste, la pression internationale pour former l’État d’Israël précipite sa création en 1948. Les juifs récoltent 55 % des territoires palestiniens alors que les Arabes héritent d’un peu plus de 40 %.