Vers une reconnaissance légale des Professions de Soins de Santé Mentale? Point de vue de la Fédération Belge des Psychologues La Fédération Belge des Psychologues a suivi attentivement la préparation du colloque “Vers une reconnaissance légale des Soins de Santé Mentale? Pas de consensus!” Après avoir parlé avec les organisateurs du colloque et reçu un courrier de Mme Dohmen (Union Professionnelle des Psychologues), elle estime qu’il est opportun qu’elle diffuse elle-même un texte clair et précis expliquant ses points de vue en cette matière. La Fédération Belge des Psychologues La Fédération Belge des Psychologues (FBP) est l’association professionnelle nationale qui représente les psychologues en Belgique. Elle regroupe elle-même en son sein différentes organisations professionnelles représentatives des différents secteurs de la psychologie. Elle compte à l’heure actuelle quelque 2.200 psychologues dont la grosse majorité sont psychologues cliniciens. Contrairement à ce que prétend Mme Dohmen dans son courrier, la FBP ne représente pas uniquement le nord du pays. Elle regroupe même davantage d’organisations francophones que néerlandophones. Ses statuts prévoient d’ailleurs la sauvegarde des équilibres communautaires. L’objectif de la FBP, lors de sa création, était de mettre les connaissances psychologiques scientifiquement fondées à la disposition du public en général et de stimuler les intérêts professionnels des psychologues en Belgique et les droits de leurs patients. Par scientifiquement fondée on entend la psychologie telle qu’elle est enseignée aujourd’hui dans les facultés de sciences psychologiques et pédagogiques des universités belges. L’étude “des données basées sur l’évidence” repose sur une approche scientifique positiviste autant que sur une approche scientifique clinique réfléchie sur base épistémologique ou phénoménologique. C’est principalement la FBP qui a obtenu en 1993 la protection légale du titre de psychologue, basé sur des études universitaires en psychologie. La FBP entretient donc de très longue date des contacts étroits avec les universités. La psychologie est une discipline multidimensionnelle qui touche de nombreuses autres disciplines telles que l’orthopédagogie, la psychothérapie, la médecine, etc. La FBP a donc des contacts très fréquents avec d’autres organisations professionnelles étant donné que ses membres font souvent aussi partie d’autres organisations professionnelles. La FBP essaie d’être un lieu de rencontre où tous les psychologues se sentent chez eux sur base de leur formation initiale dans les sciences psychologiques et de leur exercice de la profession de psychologue. Ce n’est que par l’effort commun de tous que la FBP peut atteindre ses objectifs cités ci-dessus dans l’intérêt des psychologues et de leurs patients, ainsi que l’ont prouvé encore récemment un certain nombre d’actions de Mutualis. Cette mutualité a commencé à rembourser les suivis psychologiques en Wallonie mais a imposé unilatéralement les tarifs aux psychologues collaborant à ces actions. La FBP déplore dès lors qu’un certain nombre de collègues francophones se soient retirés de son association dans le passé. La FBP se penche actuellement sur des réformes internes afin que chaque psychologue puisse à nouveau se sentir chez lui au sein de la Fédération. Le psychologue clinicien, profession de soins de santé reconnue par l’AR 78 La reconnaissance du psychologue clinicien dans l’AR 78 constitue un des principaux dossiers sur lesquels la FBP travaille depuis une vingtaine d’années déjà. Les raisons pour lesquelles la profession de psychologue clinicien doit être reconnue sont multiples: Premièrement quelque 12.000 psychologues cliniciens travaillent actuellement dans l’illégalité parce que leur profession n’est pas reconnue dans les soins de santé. La recherche récente (Comment allez-vous? 2012) montre que seuls 5% des personnes ayant des plaintes psychiques trouvent le chemin vers un psychologue diplômé. La reconnaissance ouvre la voie vers le remboursement grâce auquel les personnes ayant des plaintes psychiques pourraient enfin avoir accès à un accompagnement psychologique à la portée de tous. La reconnaissance permet l’accès aux structures de concertation au sein des soins de santé publics, facilitant la transition d’un modèle essentiellement médical vers un modèle biopsycho-social. La FBP veut que le psychologue clinicien devienne un acteur indépendant et autonome dans le cadre des soins de santé. Elle a à cet effet mené des négociations pendant des années avec les médecins, ce qui a abouti à une définition-consensus reprise dans la proposition de loi Muylle (CD&V). “Par exercice de la psychologie clinique on entend: les actes autonomes ordinaires, dans un cadre de référence scientifique psychologique clinique, ayant pour objectif de dépister, rechercher, poser un diagnostic psychologique et de mettre au point la prévention, l’accompagnement ou le traitement y afférents.” En d’autrs termes, c’est la FBP qui a veillé à ce que la profession de psychologue clinicien ne soit pas paramédicalisée mais à ce que le psychologue clinicien obtienne un statut autonome propre dans le chapitre 1 de l’AR 78, à l’instar des médecins. La FBP n’a pas obtenu ce résultat en criant haut et fort sur le côté, ni en reprochant tout le temps aux médecins qu’ils étaient sur la mauvaise voie, mais en écoutant et discutant patiemment comme il est de mise en ce pays. La FBP est sur la même longueur d’ondes que les participants de ce colloque qui sont d’avis que notre service de soins de santé est orienté trop médicalement et elle tient à tendre vers un modèle bio-psycho-social adéquat. De manière pragmatique, la FBP pense pouvoir y arriver le mieux en changeant le système de l’intérieur plutôt que de manifester vainement de l’extérieur. La psychothérapie La FBP est une association de psychologues et non pas une association de psychothérapeutes. Un grand nombre de ses membres sont toutefois, comme nous l’avons dit plus haut, aussi psychothérapeutes et la ministre Onkelinx a lié le dossier de la psychothérapie à celui du psychologue clinicien de manière indissociable. Elle a ainsi obligé la FBP à rechercher des solutions grâce à ses bons contacts avec les différents acteurs du monde psychothérapeutique. La FBP avait plaidé en faveur d’une démarche pas à pas, en déterminant d’abord les professions de base et en définissant ensuite la pratique de la psychothérapie. La ministre n’a pas suivi cet avis. Au lieu de continuer à s’opposer de manière inutile à la ministre, la FBP a entrepris de collaborer de manière constructive à la recherche de solutions. Tout d’abord, contrairement à ce que Mme Dohmen prétend, la FBP n’oeuvre nullement pour que la psychothérapie soit considérée comme une spécialité réservée aux seuls psychologues. Comme point de départ pour un cadre légal, la FBP suit l’avis 7855 du Conseil Supérieur de la Santé sur la psychothérapie qu’elle trouve clair et bien fondé. L’avis définit en premier lieu 4 courants thérapeutiques considérés comme étant suffisamment fondés scientifiquement: La psychanalyse ou thérapie psychanalytique La thérapie comportementale La thérapie humanistique ou centrée sur le client. La thérapie systémique. La FBP marque son accord sur ce volet de l’avis, sans toutefois vouloir exclure des évolutions futures dans le domaine psychologique. L’avis définit la pratique de la psychothérapie comme un traitement spécialisé, et non pas comme une profession en soi. La psychothérapie est en plus une spécialité réservée à des personnes qui ont suivi une formation universitaire préalable (donc pas exclusivement des psychologues ou médecins) et elle spécifie le contenu de cette formation préalable dans un modèle bio-psycho-social. Ici aussi la FBP adopte l’avis. Le cadre universitaire est nécessaire si on souhaite avoir une pratique autonome. Si on veut continuer à suivre les développements et progrès scientifiques, il faut pouvoir étudier de manière critique les articles, disposer de suffisamment de connaissances des autres disciplines, avoir suivi déjà un stage clinique de longue durée, etc. La FBP est bien consciente de la situation actuelle dans laquelle de nombreux bacheliers arrivent dans des formations de psychothérapie. Elle ne voit cependant pas de problèmes à ce sujet par rapport à l’avis du Conseil Supérieur de la Santé. Un programme passerelle universitaire, flexible doit résoudre ce problème sans difficultés. Les universités se sont déjà montrées favorables à cette solution si le législateur venait à le demander. L’avis ne se prononce pas sur les personnes qui peuvent donner une formation en psychothérapie. Celle-ci ne doit pas se limiter aux universités. La FBP est convaincue que la formation peut également être donnée au sein des associations professionnelles. Jusqu’à présent il n’existe malheureusement pas encore d’organe indépendant pouvant contrôler la qualité de la formation de sorte que seules les universités valent comme référence en ce moment. La FBP plaide pour qu’un conseil national de psychothérapie soit reconnu comme compétent pour l’agréation de formations sur base des critères suivants: - Formation dans le cadre des quatre courants agréés - Formation théorique suffisante - Pratique supervisée suffisante - Y compris un trajet d’apprentissage thérapeutique propre. Ce conseil national doit être composé de manière équilibrée de représentants du monde académique et de représentants du monde professionnel psychothérapeutique. Si la formation garantit une qualité suffisante, alors le psychothérapeute ne doit aucunement être paramédicalisé. Le psychothérapeute peut en ce cas intervenir de manière autonome, tout comme le psychologue clinicien. La psychanalyse Les préparations de ce colloque et les entretiens avec les organisateurs de ce colloque ont révélé que les personnes travaillant dans le domaine psychanalytique ont des opinions partagées sur la matière dont question ci-dessus. La FBP le déplore vivement et elle a dès lors conseillé aux organisateurs de ce colloque de se mettre rapidement autour de la table avec d’autres associations psychanalytiques afin que la psychanalyse puisse exprimer son point de vue de manière unanime. La FBP est soucieuse en ce qui concerne un certain nombre de points de vue adoptés dans des textes préparatoires et elle espère que le colloque y réfléchira de manière approfondie. Un certain nombre de points de vue semblent particulièrement arrogants et hautains comme si la psychanalyse était une chose exceptionnelle, ne pouvant être comparée qualitativement à d’autres courants psychothérapeutiques (qui sont réduits de façon assez dénigrante à du ‘comportementalisme’) et qui ne veut pas se soumettre aux règles venant d’en haut. La FBP craint ainsi que les autorités réduisent la psychanalyse à un phénomène philosophique et qu’elle ne sera plus un acteur pertinent dans le cadre de la santé publique. Ce serait vraiment regrettable. Sur ce plan, la FBP est d’accord avec Mme Dohmen. Les membres du colloque devront se poser sérieusement la question s’ils souhaitent faire partie de la santé publique. Si oui, ils devront accepter de conclure des compromis avec d’autres acteurs du secteur des soins de santé, que les autorités exigeront un controle de qualité et que tout le monde (chaque courant thérapeutique) est égal devant la loi. Dans le cas contraire, ils risquent d’être exclus, marginalisés et de disparaître à l’ombre des autres courants. Nos entretiens avec d’autres associations psychanalytiques nous donnent l’espoir que la psychanalyse préférera quand même ne pas abandonner son histoire et ses liens avec le secteur des soins de santé et qu’elle optera pour le bien-être du patient. Nous n’avons pas encore entendu le point de vue du patient à l’approche de ce colloque. Si les professions de Soins de Santé Mentale sont reconnues, c’est essentiellement au bénéfice du patient , non? Koen Lowet Psychologue clinicien – psychothérapeute Fédération Belge des Psychologues Jean – Marc Priels Psychologue clinicien Fédération Belge des Psychologues