Fédération Internationale des Universités Catholiques

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Fédération Internationale des Universités Catholiques
Actes du second Symposium du projet :
Université, Eglise, Culture
Les Universités Catholiques dans le Monde (1815-1962)
Institut Catholique de Paris
(23-25 avril 2001)
Centre de Coordination de la Recherche
FIUC
21, rue d’Assas,
75270 Paris Cedex 06
France
2003
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Traitement de textes et composition : Mme Marie-Louise Mougeot et M. Loïc ROCHE
Relecture : Mme Marie-Louise Mougeot et M. Loïc ROCHE
ISBN : 2-911048-24-5
©Fédération Internationale des Universités Catholiques
21, rue d’Assas, 75270 Paris Cedex 06
France
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TABLE DES MATIERES
CONTENTS
INDICE
Avant-Propos
Prof. Pierre HURTUBISE, o.m.i.
Le Rôle de l’Université Catholique envers la culture
S.E. M. le Cardinal Zenon GROCHOLEWSKI
Discours inaugural
Prof. Gérard CHOLVY
Les Instituts Catholiques en France. Pourquoi fonder une Université Catholique à
la fin du XIXème siècle ?
Mgr Claude BRESSOLETTE
Les Facultés de théologie allemandes et autrichiennes
Prof. Dr Dr h.c. Peter HUNERMANN
L’Università Cattolica di Milano : il Progetto di Padre Gemelli
Prof. Maria BOCCI
Les Universités Pontificales à Rome
Prof. Morand WIRTH
Une refondation de l’Université de Fribourg sous Pie XI
Prof. Francis PYTHON
Les Universités Catholiques de Louvain et de Nimègue
Prof. Emiel LAMBERTS
Contribution à l’étude du renouveau thomiste dans les Universités Catholiques
Frère Augustin LAFFAY, o.p.
La Fondation de l’Université Catholique de Lublin et son histoire jusqu’en 1962
Dr Hubert LASZKIEWICZ
Les Universités Catholiques dans l’espace lusitanien (Portugal)
Prof. Manuel Augusto RODRIGUEZ
4
La Facultad de Teología en España, de 1875 a 1962
Prof. Dr Francisco Martin HERNANDEZ
Newman, un projet d’université catholique
Prof Yves-Marie HILAIRE
Les Universités Catholiques en Asie
Prof. Jacques BESINEAU
L’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban
Prof. Jean DUCRUET, s.j.
Les Universités Catholiques au Canada
Prof. Pierre HURTUBISE, o.m.i.
American Catholic Higher Education : 1815-1962
Prof. Dorothy BROWN
Le Rôle des Universités Catholiques dans la préparation du Concile Vatican II
Prof. Etienne FOUILLOUX
Conclusion
Mgr Claude BRESSOLETTE
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AVANT-PROPOS
En 1999 avait lieu à l’Université Saint-Paul d’Ottawa (Canada), un symposium
portant sur l’histoire récente de l’université catholique, symposium dont les Actes ont été
publiés en 2001 par la FIUC sous le titre : D’un paradigme à un autre : l’université
catholique aujourd’hui. Ce symposium se situait de fait dans le cadre d’un projet mis sur pied
en 1996 par le Centre de Coordination de la Recherche de la FIUC et visant à retracer
l’histoire de l’université catholique depuis ses débuts, mais dans une perspective bien
spécifique, soit l’étude des rapports existant aux divers moments de son existence entre
l’université catholique et son environnement politique, socioculturel et religieux, d’où le
thème : Université, Église, Culture, retenu pour désigner l’ensemble de ce projet.
Il avait alors été convenu que ce dernier comporterait quatre volets représentant autant
de paradigmes à partir desquels l’université catholique s’était constituée ou reconstituée au fil
des siècles et que ces quatre volets seraient abordés dans l’ordre inverse de leur apparition
dans le temps, soit, tout d’abord, la période de l’après Deuxième Guerre mondiale, puis,
successivement, la période correspondant au «long dix-neuvième siècle», c’est-à-dire, en
gros, de la Restauration aux années soixante, la période moderne débutant avec la Réforme et
se terminant avec la Révolution française, enfin, la période médiévale.
Un deuxième symposium consacré au «long dix-neuvième siècle» eut donc lieu, tel
que prévu, à l’Institut catholique de Paris en avril 2001, sous la responsabilité du professeur
Gérard Cholvy de l’Université Paul Valéry de Montpellier. Ce sont les Actes de cet important
symposium consacré à une époque déterminante, voire cruciale, de l’histoire universitaire
catholique que nous vous présentons aujourd’hui.
En effet, pratiquement détruit par le raz-de-marée révolutionnaire qui déferla sur une
grande partie de l’Europe, plus tard sur l’ensemble de l’Amérique latine à la fin du XVIIIe et
au début du XIXe siècle, l’important réseau d’institutions universitaires depuis des siècles
implanté en terre catholique, dut être pratiquement reconstitué à neuf, mais dans un contexte
très différent et surtout particulièrement difficile, face à des États au mieux tolérants, au pire
hostiles à l’endroit du catholicisme, États qui, au surplus, entendaient de plus en plus se
réserver tout le domaine de l’éducation, enseignement universitaire compris. C’est donc très
souvent, sinon à rebours, du moins en marge de l’État que les catholiques, au cours des XIXe
et XXe siècles, chercheront à se doter à nouveau ou pour la première fois d’institutions
d’enseignement supérieur bien à eux et répondant à leurs besoins spécifiques. L’adjectif
«catholique» qu’avant la crise révolutionnaire on ne sentait pas le besoin d’ajouter au
substantif «université», tant le rattachement de celle-ci à l’une ou l’autre confession
chrétienne paraissait alors évident, devint après 1789, face à des États et à des institutions
sinon déjà «sécularisées», du moins en voie de l’être, un complément identitaire jugé
indispensable et souvent utilisé comme une sorte de signe de ralliement, voire d’arme de
combat.
On trouvera dans les pages qui suivent le récit, parfois épique, de la mise en place,
région par région, voire institution par institution de ces nouveaux modèles d’universités ou
de collèges universitaires catholiques, mais on y trouvera surtout la description des contextes
variés et variables à l’intérieur desquels cette mise en place eut lieu et l’analyse des facteurs
qui rendirent cette dernière plus ou moins ardue et plus ou moins réussie. Histoire complexe
6
qui n’avait été jusqu’ici que très imparfaitement racontée, mais qui - on aura tôt fait de le
constater - compte encore de larges zones d’ombre. Du moins les textes ici présentés ont-ils
le mérite de suggérer les directions dans lesquelles la recherche en ce domaine pourrait être
poursuivie.
Certains lecteurs seront peut-être surpris de ne pas trouver dans cet ensemble un texte
consacré spécifiquement à l’Amérique latine. Un tel texte avait été de fait initialement prévu :
il n’a pu malheureusement voir le jour. Il faut toutefois savoir que l’histoire de l’université
catholique latino-américaine pour la période ici considérée en est une d’absence plutôt que de
présence et qu’une première esquisse de cette histoire figure déjà dans les Actes du
Symposium d’Ottawa plus haut signalés.
Cela dit, nous tenons à remercier tous les auteurs des textes ici publiés qui se sont
intéressés, les uns, à certaines régions ou certaines institutions en particulier, et cela, aussi
bien en Europe et en Amérique qu’en Asie et au Moyen Orient, les autres, à des thématiques
liées à l’histoire de l’enseignement supérieur catholique à l’époque, notamment l’impact du
renouveau thomiste, l’influence de Newman et le rôle des universités catholiques dans la
préparation du Deuxième Concile du Vatican. Nous tenons à remercier de façon spéciale le
professeur Gérard Cholvy qui a assuré de main de maître la direction scientifique du
symposium et prononcé le discours inaugural dont on trouvera le texte dans le présent
volume.
Nos remerciements également à Mgr Guy-Réal Thivierge, secrétaire général de la
FIUC et à ses dévoués collaborateurs et collaboratrices qui se sont chargés de l’organisation
comme telle du symposium de même qu’aux membres du Comité ad hoc qui, durant deux
années, ont travaillé à sa préparation.
Un merci tout spécial à l’institution hôte, l’Institut Catholique de Paris, et, en
particulier, à son recteur, Mgr Patrick Valdrini, pour le chaleureux accueil reçu de leur part et
les nombreux services rendus tout au long du symposium.
Enfin, toute notre gratitude à Monsieur le Cardinal Zenon Grocholewski, Préfet de la
Congrégation pour l’Éducation Catholique, qui a bien voulu nous honorer de sa présence et
nous faire part de ses réflexions sur le rôle de l’université catholique, réflexions que l’on
trouvera en tête du présent ouvrage.
Notre prochain symposium, prévu pour mai 2003 au Mexique, portera sur
l’enseignement supérieur catholique aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
Pierre Hurtubise,
Directeur du projet.
Février 2002.
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LE RÔLE DE L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE ENVERS LA CULTURE
Cardinal Zenon GROCHOLEWSKI
Préfet de la Congrégation pour l’Education Catholique
Excellence, chers Recteurs, chers Pères, chers professeurs, chers amis,
Je tiens avant toute chose à remercier Mgr. Guy-Réal THIVIERGE, Directeur du Centre
de la Recherche de la Fédération Internationale des Universités Catholiques, et Mgr. Patrick
VALDRINI, Recteur de l’Institut Catholique de Paris, de leur invitation à ce deuxième colloque
sur « Les Universités Catholiques dans le Monde : 1815-1962 ». En tant que Préfet de la
Congrégation pour l’Education Catholique, je ne peux que me féliciter de cette initiative qui
se déroule dans le cadre du vaste projet de réflexion sur « Université, Eglise, Cultures ».
C’est un plaisir pour moi de dire, au nom de la Congrégation, ma grande gratitude
pour la FIUC et le travail qu’elle a accompli toutes ces années et qu’elle est appelée à
continuer à faire selon les orientations de la Magna Charta qu’est la Constitution apostolique
Ex corde Ecclesiae (15 août 1990).
L’Eglise nourrit un souci particulier pour l’Université depuis son origine. Ce souci
jaillit du coeur même de l’Eglise. Celle-ci est “dans le Christ, en quelque sorte le sacrement
de l’union” de l’homme “avec Dieu 1”. C’est dans cette perspective que Jean-Paul II disait au
Conseil Pontifical pour la Culture : “Toute réalité humaine, […] a été libérée par le Christ :
les personnes, comme les activités de l’homme, dont la culture est l’expression la plus
éminente et la plus incarnée 2.” Or, l’Université catholique constitue un moyen privilégié
pour permettre au Christ de toucher toutes les cultures.
Je voudrais brièvement réfléchir, avec vous, sur trois mystères de la vie du Sauveur
auxquels participe l’Université catholique et qui fondent sa raison d’être.
1. Le Mystère de l’Incarnation
Le Verbe s’est fait homme. Il a planté sa tente parmi nous (cf. Jn 1,14). De même,
l’Université catholique est-elle présente dans le monde ; elle est une des présences les plus
importantes de la vérité de la Révélation christique au sein de la culture.
Dans certaines régions du monde, cette présence est plus enfouie ; dans d’autres, elle
brille davantage. Que l’Université catholique opère dans un monde majoritairement chrétien
ou non, elle est là, comme le Christ venant chez les siens. “De la sorte, dit la Déclaration
Gravissimum educationis, se réalisera comme une présence publique, durable et universelle,
de la pensée chrétienne dans tout l’effort intellectuel vers la plus haute culture.” (n. 10)
La vérité du Christ, Dieu fait homme, n’est ni le dualisme des personnes prôné par le
nestorianisme, ni la fusion-confusion des natures défendue par le monophysisme. De même,
l’Université catholique est appelée à éviter la double tentation, d’un côté, d’un dualisme qui
1
2
Cf. CONCILE OECUMÉNIQUE VATICAN II, Constitution dogmatique Lumen gentium, n. 1.
Discours du 13 janvier 1989, n. 2, AAS 81 (1989), p. 857.
8
séparerait la théologie des autres champs du savoir, de l’autre côté, d’une fusion qui nierait la
légitime autonomie des rationalités diverses et des modes variés d’appréhension du réel.
L’Université, disait le cardinal Newman, “déclare assigner à toute étude qu’elle accueille sa
propre place et ses justes limites 3”.
La Constitution Apostolique Ex Corde Ecclesiae propose une quadruple manière de
concrétiser la participation de l’Université catholique au Mystère de la présence du Sauveur
dans le monde, cela, dans la recherche comme dans la communication du savoir (n. 15-20) :
•
•
•
•
pour la recherche, l’intégration des connaissances dans une unité vivante et
sapientielle, ce qui, au plan de l’enseignement, entraîne l’interdisciplinarité ;
pour la recherche, le dialogue entre foi et raison, dont l’origine commune est
Dieu, ce qui demande que l’enseignement mette en relief la manière dont la
raison humaine s’ouvre aux interrogations plus vastes et plus radicales que
celui qu’elle explore dans la spécialisation qui est la sienne ;
pour la recherche, la préoccupation éthique, ce qui, dans la communication
du savoir, suppose de montrer les implications morales de la discipline étudiée
et de favoriser non seulement l’instruction mais le développement intégral de
la personne ;
pour la recherche, la théologie qui enrichit les autres disciplines de sa synthèse
tout en se laissant enseigner par elles de leur compréhension du monde, ce qui,
au plan de l’enseignement, suppose que “chaque Université catholique”
possède “une Faculté ou, au moins, une chaire de théologie” (n. 19).
2. Le Mystère Pascal
Les Universités catholiques sont aussi appelées à vivre de la mort et de la
Résurrection du Christ. Le Fils de Dieu vient réconcilier l’homme avec son Père et le libérer
de ses péchés. “La Bonne Nouvelle du Christ, dit la Constitution Gaudium et spes, rénove
constamment la vie et la culture de l’homme déchu ; elle combat et écarte les erreurs et les
maux qui proviennent de la séduction permanente du péché. Elle ne cesse de purifier et
d’élever la moralité des peuples. […] elle féconde comme de l’intérieur les qualités
spirituelles et les dons propres à chaque peuple et à chaque âge, elle les fortifie, les parfait et
les restaure dans le Christ. Ainsi l’Eglise, en remplissant sa propre mission, concourt déjà
[…] à l’oeuvre civilisatrice”, c’est-à-dire à l’oeuvre de la culture (n. 58).
Nos Universités doivent d’abord se laisser toucher par cette force purificatrice qui
vient du Christ. Enseignants et personnel administratif sont traversés par diverses tentations.
Participer au mystère pascal, c’est, pour les membres de l’Université, redécouvrir “la joie
d’être sauvé” (Ps 51,14).
C’est parce que nous-mêmes, en nos institutions, nous nous sommes laissés toucher
par cette puissance pardonnante qui émane du Christ mort et ressuscité, que nous pouvons à
notre tour, jouer un rôle de purification dans la culture. En effet, la culture ne vaut pas par
elle-même, mais par la vérité qu’elle propose et le bien qu’elle promeut. Cette vérité, comme
ce bien, demandent à être émondés. Vivre du Mystère pascal, c’est, pour l’Université
catholique, porter au monde la Vérité qui guérit de l’erreur. Dans son encyclique Fides et
3
John Henry NEWMAN, The Idea of University, Londres, 1931, p. 457.
9
Ratio, le Saint-Père énumère certains des aveuglements du monde d’aujourd’hui :
l’éclectisme, l’historicisme, le scientisme, le pragmatisme, le nihilisme 4. Vous savez
combien les jeunes dont vos Universités ont la charge, sont tentés par ces attitudes contraires
à la vérité et au bonheur de l’homme. L’institution universitaire catholique doit être comme
un toucher de l’amour miséricordieux du Christ sur les blessures de l’intelligence humaine
contemporaine.
Singulièrement, le principal défi que l’homme de la post-modernité lance à
l’Université catholique est bien résumé par ce que le Saint-Père appela, lors de sa venue en
France, en 1980, la “méta-tentation” : “la tentation actuelle”, dit-il, “va au-delà de tout ce
qui, au cours de l’Histoire, a constitué le thème de la tentation de l’homme, et elle manifeste
en même temps, pourrait-on dire, le fond même de toute tentation. L’homme contemporain
est soumis à la tentation de refus de Dieu au nom de sa propre humanité 5.” Il s’agit du drame
de l’humanisme athée dont parlait le Cardinal de Lubac en un ouvrage célèbre 6. En termes
théologiques, l’homme d’aujourd’hui est tenté d’oublier qu’il est créé à l’image de Dieu. Les
biotechnologies, notamment, donnent à l’homme, un pouvoir jusque lors ignoré sur son
origine. Il lui semble qu’il peut enfin recréer un être humain à sa propre image. L’Université
catholique vient assainir en l’homme ce “ressentiment à l’égard de l’origine” où Hannah
Arendt discernait le mal récent de notre Occident 7.
3. Le Mystère de la Pentecôte
Les institutions universitaires catholiques, enfin, sont appelées à être une présence du
mystère pentecostal du Christ. Le Sauveur assis à la droite du Père envoie l’Esprit-Saint à son
Eglise. Et l’Université catholique participe à l’oeuvre évangélisatrice de l’Eglise.
L’Université catholique – en tant que catholique – reçoit sa mission d’enseigner non
pas d’elle-même, mais du Christ, par la médiation de l’Eglise. Et elle est envoyée pour
témoigner des valeurs de l’Evangile, selon sa nature propre. “Il s’agit, explique la
Constitution Ex corde Ecclesiae, d’un témoignage vital d’ordre institutionnel à rendre au
Christ et à son message, si nécessaire et si important pour les cultures marquées par le
sécularisme, et là où le Christ et Son message ne sont pas encore connues.” (n. 49)
L’Université catholique n’est pas seulement appelée à dialoguer avec la culture, mais à
annoncer clairement et explicitement l’Evangile ; et cette mission, sans laquelle elle serait
frustrée d’une finalité essentielle, vaut pour les étudiants comme pour les enseignants.
Elle se traduit, là encore, au double plan de la recherche et de la communication de la
vérité. L’Université catholique participe à la mission pentecostale de l’Eglise :
•
•
lorsque, au plan de la recherche, elle introduit les nouvelles découvertes dans
une vision de sagesse au service du bien de la société, et lorsque la théologie
aide la foi à s’exprimer dans un langage actuel ;
et lorsque, au plan de l’enseignement, elle vise une formation globale de
l’homme, c’est-à-dire lorsque la formation professionnelle propose et prend en
Encyclique Fides et ratio, 25 août 1998, n. 86-90.
Discours aux évêques de France , 1er juin 1980, n. 3, La Documentation catholique , n° 1788, 15 juin 1980, p. 590. C’est moi
qui souligne.
6 Cf. Henri de LUBAC, Le drame de l’humanisme athée, Paris, 1943.
7 Hannah ARENDT, Les origines du totalitarisme, Paris, 1ère éd., 1951, chap. 1.
4
5
10
compte les valeurs éthiques conformes à l’Evangile, notamment
l’enseignement social de l’Eglise, et lorsqu’elle rend la personne capable de
jugement raisonnable et autonome, l’ouvre à la dignité inaliénable de l’homme
et l’oriente vers la Transcendance divine.
Considérant la crise actuelle de la foi dans le monde, plus que jamais l’Université
catholique est appelée à s’insérer dans la mission évangélisatrice de l’Eglise et être un
instrument pour affermir la foi et rapprocher de Dieu les hommes et les femmes de notre
temps.
De fait, la déclaration conciliaire Gravissimum educationis, dans le passage déjà cité
sur la présence de l’Université catholique dans le monde de la culture, corrèle cette présence
avec l’évangélisation ; elle demande que les étudiants soient “formés à devenir des hommes
éminents par leur science, prêts à assumer les plus lourdes tâches dans la société, en même
temps que témoins de la foi dans le monde.” (n. 10)
En ce qui concerne la mission évangélisatrice à laquelle l’Université catholique est
appelée, Jean-Paul II note opportunément dans la Constitution Ex corde Ecclesiae : “Avec
tous mes frères évêques qui portent avec moi la charge pastorale, je désire vous faire part de
ma profonde conviction que l’Université catholique est sans aucun doute l’un des meilleurs
instruments que l’Eglise offre à notre époque, qui est en quête de certitude et de sagesse.
Ayant pour mission de porter la Bonne Nouvelle à tous les hommes, l’Eglise ne doit jamais
cesser de s’intéresser à cette institution.” (n. 10)
Respirant continuellement de l’Evangile, l’Université catholique doit aider les
étudiants à découvrir la foi et à réaliser une synthèse existentielle, vitale entre celle-ci et leur
future profession. Un tel objectif n’est pas secondaire, mais capital : les jeunes d’aujourd’hui
sont les acteurs du monde de demain ; ce sont eux qui annonceront le Christ, “Chemin, Vérité
et Vie” (Jn 14,6), dans les divers secteurs du savoir et du travail.
Conclusion
J’espère que les considérations historiques de ce colloque aideront à mieux
comprendre le rôle toujours actuel des Universités catholiques que je n’ai fait qu’effleurer, et
ainsi de rendre présent le Christ dans le monde de la culture, la purifier et lui porter
l’Evangile.
11
LA FOI ET LA SCIENCE SONT-ELLES INCONCILIABLES ?
LE CONTEXTE INTELLECTUEL EUROPEEN DE 1815 A 1962
Prof. Gérard CHOLVY,
Université Paul Valéry, Montpellier III, France.
« La question des universités catholiques est née au XIXe siècle » : ainsi s’exprimait le
recteur de l’Institut catholique de Paris, Mgr Alfred Baudrillart, dans un article du
Dictionnaire apologétique de la foi catholique au début des années 19201. Il signifiait par là
qu’il y eut un moment où furent perçues les conséquences de la sécularisation des universités
d’Ancien Régime, sécularisation qui s’était produite dans certains pays sous l’influence de la
Révolution française. Des croyants, considérant que le mouvement des idées faisait peser des
menaces sur la foi, furent incités à fonder « des universités à eux ».
C’est indiquer combien l’émergence et le développement de ces universités, que le
présent colloque va mieux faire connaître, sont à replacer avec soin dans les grands courants
d’évolution de la pensée, qu’il s’agisse de la philosophie, de l’histoire, de la littérature ou des
sciences. Décrire sommairement ces courants c’est l’ambition des propos qui suivent. Une
ambition limitée en ce qu’elle laissera de côté, pour l’essentiel, un autre volet important de la
question, l’évolution de la théologie et des sciences sacrées.
L’évolution des idées est souvent perçue selon un schéma linéaire de progrès continus
de la modernité, dont la sécularisation est l’un des aspects. Ce schéma découle lui-même de
la vision qu’avait un Condorcet des progrès indéfinis de la raison et de la science. On peut
penser que l’adhésion donnée à ce modèle d’interprétation de l’histoire est à l’origine de bien
des incompréhensions. En effet, y adhérer c’est méconnaître les difficultés rencontrées par la
confrontation entre la science et la foi. Ces difficultés sont-elles les mêmes selon que « l’air
du temps » incite à l’optimisme, un optimisme prométhéen, ou, au contraire, selon que les
hommes de pensée éprouvent des doutes sur les capacités de la raison individuelle à rendre
compte du monde et à le transformer ? Et, si l’on convient que les difficultés ne sont pas du
même ordre, il faut bien admettre aussi que diffèrent les réponses des croyants. Or, en la
matière, l’historien que je suis invite, au risque de trop simplifier, à formuler une hypothèse
en forme de flux et de reflux de la confiance plus ou moins grande placée dans les capacités
de la raison. C’est à décrire sommairement ces étapes que je vais procéder.
Dans sa version radicale, la philosophie des Lumières, idéologie dominante à la fin du
XVIII siècle, fait confiance à la seule raison pour expliquer et changer l’homme et le monde.
La religion « dans les limites de la raison » pour Kant, se doit d’être « raisonnable » pour être
utile. Elle est surtout utile au peuple pensent plusieurs de ces philosophes. S’il est un trait
caractéristique dans la longue durée, du François Victor Cousin à l’Italien Gentile, sous
Mussolini, c’est bien la place faite à la philosophie dans les systèmes d’éducation destinés
aux élites, mais, bien entendu, le contenu importe autant l’inscription au programme. Porté à
la tête du Conseil royal de l’instruction publique, au lendemain de la Révolution anticléricale
de juillet 1830, en France, le philosophe éclectique Victor Cousin affirme que « la
philosophie n’est pas, ou elle est l’explication dernière de toute chose ». Par ailleurs la
contestation du judéo-christianisme, plus virulente en France qu’ailleurs, n’a pu qu’accentuer
e
« Universités catholiques », col. 1015 à 1055, Dictionnaire apologétique de la foi catholique (s.d. d’A. d’Alès), t II, 4e édition
refondue, 1924. Baudrillart était l’auteur d’un ouvrage, publié en 1909, à Paris, chez Poussielgue, Les Universités
catholiques de France et de l’étranger.
1
12
la dérive déiste du christianisme occidental sur le continent comme en Angleterre, dérive qui,
on le sait, a marqué aussi la prédication.
Mais la déraison de la Raison, sa déification sous la Révolution française, ont entraîné
une inversion du balancier, ce qui, comme il arrive souvent, est allé jusqu’à susciter un
mouvement de défiance parfois extrême que l’on rencontre dans l’évangélisme wesleyen, des
groupes piétistes, des tendances fidéistes, et une partie du traditionalisme. L’intuition, le
sentiment, l’expérience sont opposés à la raison, le « sens commun » à la raison individuelle.
Le séminariste Renan se souviendra du jugement qui portait l’un de ses maîtres de SaintSulpice, M. Manier « L’Ecosse rassérène et conduit au christianisme »2. Ce qui renvoie à
Thomas Reid qui, s’étant convaincu de l’incapacité de la raison individuelle à atteindre la
certitude, a fait appel au « sens commun »3. L’Ecole écossaise, dont les principaux
représentants ont été les critiques de Locke et de Hume, Thomas Reid et Dugald Stewart,
souligne l’existence des faits de conscience qui s’imposent à la réflexion avec une évidence
suffisante pour emporter la certitude. Croyant tourner ainsi la raison individuelle, et très
ignorant d’une scolastique alors en déclin, Lamennais, dans l’Essai sur l’indifférence en
matière de religion (1817), fait appel, lui aussi, à une « raison générale », dont l’humanité
primitive est dépositaire et qui s’est transmise jusqu’à aujourd’hui : le « sens commun »
révèle l’existence de Dieu car l’idée de Dieu est universelle. La tradition étant l’organe
principal de la révélation, la révélation devient ainsi une loi générale de l’esprit humain.
L’Essai fut salué comme étant l'œuvre d’un « nouveau Pascal », la conception évolutive de
l’histoire de l’humanité qu’il développait, récupérait l’idée de progrès et semblait ainsi
dépasser l’idéologie des Lumières. Le fait que peu de théologiens réagirent traduit bien la
faiblesse dans laquelle se trouvait alors la pensée catholique en Europe. Il a fallu attendre
1832 pour trouver « le coup le plus dur » porté à la pensée mennaisienne4. Il vient d’un
professeur de droit canonique et d’histoire ecclésiastique de l’Université de Munich, Gengler,
dans la Tübinger Théologische Quartalschift « Le sens commun, en admettant qu’il existe,
comment recueillir son enseignement ? N’y a-t-il pas des erreurs universellement
admises ? ».
Lamennais cependant, et il ne faut pas l’oublier, eut du moins le mérite de grouper
autour de lui des disciples, ce qui est à l’origine d’un renouveau d’activité intellectuelle dans
le clergé français comme aussi au sein d’une élite de jeunes laïcs.
Par ailleurs, le romantisme, en retrouvant le Moyen Age, découvrait le catholicisme ;
l’histoire redécouvrait les richesses de la tradition. Dès 1799, Novalis avait fait un éloge
appuyé de la chevalerie5. Les critiques, le plus souvent justifiées, n’ont pas manqué qui visent
Le Génie du christianisme, que Chateaubriand a publié en 1802. Mais il faut dire que le livre
qui connut un succès si prolongé ne provoquait pas seulement une émotion esthétique. Il
ouvrait à une transcendance que les partisans de la Raison seule avaient récusée,
particulièrement sous la forme de la révélation judéo-chrétienne. Il proposait ainsi une
véritable alternative culturelle aux Lumières. Fontanes qui avait œuvré pour son édition et qui
devait jouer un rôle majeur dans l’organisation de l’Université impériale, devenant en
quelque sorte en France le chef laïque du parti catholique sous Napoléon, s’opposait aux
idéologues dont la première erreur, disait-il, « vient de ce qu’ils confondent sans cesse les
Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Ed. Rencontre, Lausanne, 1961, p. 185.
Dans Enquiry into human mind (1764).
4 Jean-René Derré, Lamennais et ses amis… 1824-1834, Paris, Klincksieck, 1962, p. 489.
5 Die christenheit oder Europa : le chevalier chrétien est supérieur au héros antique. L’ouvrage devait exercer une très
forte influence sur la jeune génération romantique outre-Rhin.
2
3
13
progrès des sciences naturelles avec ceux de la morale […]. Rien n’a moins de
ressemblance ». Ramener la raison à des prétentions raisonnables va être mieux reçu alors
qu’à la fin du XVIIIe siècle, le climat intellectuel étant tout différent,. Ainsi l’affirmation de
bon sens de l’abbé Bergier, dans son Dictionnaire de théologie, selon lequel « Les
philosophes ont supposé sans doute que la raison n’est jamais obscurcie ni égarée par les
passions, malheureusement l’expérience prouve qu’elle l’a été dans tous les temps », cette
affirmation n’avait guère alors rencontré d’écho. Au contraire, le succès du Génie fut
immédiat, dès 1804 l’ouvrage était traduit en cinq langues. Lacordaire va comparer son
auteur à saint Augustin et à saint Jean Chrysostome6. Le Génie est à l’origine du romantisme
chrétien en littérature, il a orienté vers « la cathédrale gothique » le courant rousseauiste de
réhabilitation du sentiment.
Le traditionalisme, avec de Bonald, de Maistre ou Lamennais, pouvait séduire la
génération romantique et il y parvint dans une certaine mesure, une fraction des élites
intellectuelles étant regagnée au catholicisme vers 1840 : la correspondance d’Ozanam,
durant les années 1837-1840 en révèle bien des indices, à Paris, en particulier. Mais la
méfiance que le traditionalisme manifestait à l’égard de la raison individuelle ne pouvait
répondre aux attentes des générations qui découvraient le positivisme.
Cette troisième période se place, à nouveau, sous le signe d’un optimisme fondé en
raison. Le tournant comme l’a bien montré Roger Aubert se situe vers 1860, époque où se
renouvelle les sources de l’incroyance, en liaison avec le progrès des sciences. Auguste
Comte avait développé une conception rationaliste de l’univers d’où tout surnaturel est exclu.
Le positivisme va avoir une fonction d’explication analogue à celle du marxisme un siècle
plus tard. L’âge théologique est relégué dans le fictif, l’âge métaphysique dans l’abstrait ;
l’âge positif, lui, est scientifique, donc définitif. Avec Renan, Taine, Littré ou Larousse, le
comtisme se durcit en scientisme. Dès 1848, Renan avait écrit L’Avenir de la science,
ouvrage qui ne sera publié qu’en 1890. S’impose alors le postulat de la supériorité de la
science qui est fondée sur l’observation expérimentale et non sur l’autorité d’une révélation.
Avec l’Essai sur l’origine des espèces de Darwin (1859) le débat n’est pas seulement
théologique ou philosophique. La question longtemps débattue est de savoir si l’évolution est
compatible avec la tradition chrétienne ? Auteur de l’imprudente formule « le monde est
aujourd’hui sans mystère »7, le chimiste ami de Renan, Marcellin Berthelot fait croire à
l’avenir radieux que la science promet à l’humanité, car, pour lui, progrès scientifique,
progrès matériel et progrès moral ne font qu’un8.
Une fois encore cependant, les excès de ce scientisme vont susciter des réactions et un
tournant s’amorcer avec la renaissance spiritualiste de la fin du XIXe siècle. Si le début des
années 1880 marquait, selon Claudel, « l’époque du plein épanouissement de la littérature
naturaliste », si « Tout ce qui avait un nom dans l’art, dans la science et dans la littérature
était irréligieux » en France9, en 1886 sont convertis et Paul Claudel et le normalien Maurice
Blondel, lequel va écouter cet ancien normalien devenu prêtre, l’abbé Huvelin, auprès duquel,
en cette même année Charles de Foucauld veut prendre « des leçons de religion catholique ».
On notera qu’en 1875 Huvelin avait décliné l’offre que lui avait faite l’abbé d’Hulst de
devenir professeur d’histoire à l’Institut catholique de Paris qui venait d’être fondé. Alors que
à Notre-Dame de Paris.
Les Origines de l’Alchimie, 1885.
8 Ce qui conduira Brunetière au non moins imprudent constat de « la faillite de la science » (1895), cf. Jean Jacques,
Berthelot, autopsie d’un mythe, Paris, Belin, 1986.
9 Paul Claudel, Contacts et circonstances, Ed. La Pléïade, t IV.
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7
XVe Conférence
14
Le Roman russe (1886) fait connaître Dostoïevski qui va libérer bien de ses lecteurs d’un
scientisme pesant, son auteur, Eugène Melchior de Vogüé, est considéré peu après par le
pasteur genevois Edouard Rod comme un « maître de la jeunesse », au côté de Tolstoï et de
Paul Desjardins. Il est de ceux qui donnent une réponse positive au pessimisme qui gagne
alors une partie de l’intelligentsia10. Deux jeunes philosophes, Bergson et Blondel contribuent
à structurer intellectuellement ce renouveau. Alors que les débuts du XXe siècle correspondent
en France à une seconde vague de conversions d’intellectuels, les Maritain, Massignon,
Péguy, Joseph Lotte11, la crise moderniste a-t-elle contrarié ce mouvement ? Il ne semble
guère. D’une part, il y eut peu de défections, d’autre part le « pic » des conversions
d’intellectuels se situe entre 1905 et 1915 : Frédéric Gugelot en a recensé 69. De son côté,
Roger Aubert pense que si la Belgique n’a pas été atteinte par la crise, cela est dû à la qualité
de l’enseignement donné à Louvain par et autour de Désiré Mercier avec la Revue néoscolastique (1894) et l’Institut supérieur de philosophie et de science12. Alors que Georges
Goyau faisait connaître l’Allemagne religieuse (1905-1909), Paul Thureau-Dangin, avec La
Renaissance catholique en Angleterre (1899-1906) accompagnait la redécouverte d’un
« précurseur longtemps méconnu »13 John-Henry Newman dont l’audience devient alors très
grande. Quant au conflit entre la science et la foi, il entrait dans la voie de l’apaisement. En
1907, c’est le géologue Albert de Lapparent, professeur à l’Institut catholique de Paris, qui
succède à Marcellin Berthelot comme secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences14. De
leur côté, le cardinal Maffi et Pierre Duhem recherchent une coordination entre la foi et
l’esprit scientifique : on aura compris que coordination n’est pas synonyme de concordisme.
Il est encore plus important, sans doute, de souligner que des philosophes des sciences
(Lachelier, Boutroux) et des scientifiques (Henri Poincaré) précisent la nature de la certitude
scientifique et en marque les limites15.
De même, le renouveau au sein des élites se manifestait-il au tournant du siècle dans
la société britannique. Si le projet d’une université catholique n’aboutit pas en Allemagne, du
moins Georg Von Hertling fit de la société Görres pour le progrès de la science un lieu de
rencontre entre savants catholiques et parvint à acquérir une réelle audience chez les
spécialistes, en particulier les historiens. Pour autant l’infériorité culturelle des catholiques
d’outre Rhin persistait, en parfait contraste avec des engagements sociaux et paroissiaux qui
permirent le maintien d’une religion populaire capable de résister aux crises après 1918
comme après 1933.
Les décennies qui suivent l’après Première Guerre mondiale sont loin de redonner des
couleurs au scientisme. Celui-ci, « ébranlé par un retour imprévu du spirituel, perd de sa force
et de son agressivité ». Aucune des mises à l’Index du XXe siècle ne concerne un ouvrage
proprement scientifique et le prestige de l’Académie pontificale des sciences grandit. Etienne
Fouilloux considère ainsi comme une « étape majeure » le fait que dans l’encyclique Humani
Edouard Rod, Les Idées morales du temps présent, Genève, 1891.
Frédéric Gugelot, La Conversion des intellectuels au catholicisme en France 1885-1935
, Préface d’Etienne Fouilloux,
CNRS-Editions, 1998. Les cas examinés s’échelonnent de la façon suivante :
1885-1894 : 9 conversions
1916-1924 : 16
1895-1904 : 13
1925-1935 : 31
1905-1915 : 69
Près de 80 % des convertis ont moins de 40 ans.
12 Le Cardinal Mercier, 1881-1926. Un prélat d’avant-garde. Hommage au professeur Roger Aubert, Louvain, 1994.
13 Roger Aubert, Storia della Chiesa, t XXII-2, p. 226-228.
14 Outre ses ouvrages de géologie, il écrivait Science et apologétique en 1905 et La Providence créatrice, en 1907.
15 Henri Poincaré, La Science et l’Hypothèse (1902), La Valeur de la science (1905), Science et Méthode (1909).
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15
generis (1950) l’Eglise n’interdise pas la doctrine de l’évolution16. Les catholiques avaient
fait alors un retour en force dans le monde des lettres, ce que symbolise deux prix Nobel de
littérature : en 1928, celui de la Norvégienne Sigrid Undset (convertie en 1924) et en 1952
celui de François Mauriac. Les conversions de Chesterton (1922), de Gertrud Von Le Fort
(1926), de Graham Greene, attestent d’un mouvement qui n’était pas uniquement français.
L’influence d’un Romano Guardini sur la jeunesse catholique allemande, et au-delà,
témoignait aussi d’un rayonnement intellectuel que le catholicisme allemand n’avait guère
connu encore. Dans la France des années 1930-1960, l’Eglise catholique « forme une part
accrue des futurs cadres de la nation. La proportion des fidèles est suffisante pour que le
catholicisme effectue un retour en force parmi les élites culturelles et morales de la nation »17.
Il serait imprudent toutefois de transposer, sans examen suffisant, une chronologie
particulière. Le retard pris dans le domaine de la culture par les catholiques est plus accusé en
Italie, et l’exemple de l’Espagne est particulièrement frappant. Après la mort de Menendez y
Pelayo, en 1912, la culture universitaire espagnole est dominée par les influences allemandes
qui jouent en faveur d’un rationalisme établissant, dans le meilleur des cas, deux domaines
distincts entre la culturelle intellectuelle et la religion. La « génération de 1898 » qui veut
laver l’Espagne d’une série de désastres dont la défaite de Cuba est le symbole, compte
quatre grands noms et aucun n’apporte une contribution à la pensée catholique, qu’il s’agisse
de l’Andalou Angel Ganivet, de l’Aragonais Joachim Costa, du Basque Miguel de Unamunó
et du Madrilène José Ortega y Gasset. La Institución Libre de Enseñanza est une pépinière
d’où sont sorties des générations de professeurs anti-catholiques. Elle exerça une grande
influence sur le Junta para la Ampliación de Estudios (Conseil pour le développement des
études). C’est dans ce contexte qu’il faut situer la naissance de l’Opus Dei de José-Maria
Escriva de Balaguer, en 1928. Sa grande ambition n’était-elle pas de christianiser la science
et la culture en exerçant un apostolat parmi les intellectuels ? Mais l’Université de Navarre
n’a été constituée qu’en 196018. On peut dire que la présence catholique au renouveau
intellectuel de l’Espagne commençait à peine à se manifester durant la décennie qui précède
Vatican II. Dans la Pologne indépendante à côté des facultés de théologie dans les Universités
d’État, l’Université catholique de Lublin connaît un bel élan, mais à partir de 1918 seulement.
Quant à la formation des laïcs en Italie, elle doit beaucoup à un docteur de Louvain, le Père
Agostino Gemelli, mais l’Université du Sacré-Cœur n’est inaugurée à Milan que le
7 décembre 1921. Pour autant, on ne peut affirmer que l’influence de quelques universitaires
catholiques ait pu équilibrer, dans l’intelligentsia, celle d’un Benedetto Croce ?
A vrai dire, le souhait qu’exprimait le jeune abbé Gerbet en inaugurant, à Paris, en
1832, des cours qui voulaient « préfigurer les futures universités catholiques et libres », fut
long à se réaliser, la Belgique exceptée. « Vous êtes », disait-il à ses premiers auditeurs, au
nombre desquels un garçon de 19 ans qui arrivait de Lyon, Frédéric Ozanam, « les prémices
de cette jeunesse avide de foi et de science, qui se pressera un jour dans des écoles encore
inconnues ».
Quand Pie VII rentra dans Rome, il ne tarda pas à se préoccuper de réformer les
Universités et les écoles dans les États pontificaux. Mais il dût se contenter de demi-mesures.
Le collège romain ne fut rendu aux jésuites qu’en 1824. La Question romaine entrava
sérieusement tout effort de renouveau, après 1870, la Sapienza passa sous le contrôle du
Etienne Fouilloux, Histoire du christianisme, t 12 ((1914-1958), p. 144.
Id., ibidem, p. 477.
18 Gérard Cholvy, « La chiesa e l’educazione »,
Storia della Chiesa , XIII, I Catholici nel mondo contemporanéo (1922-1958) ,
Ed. Paoline, 1991, p. 624-625. Cf. Juan Pablo Fusi, Un siglo de España. La Cultura, Madrid, 1999.
16
17
16
royaume d’Italie. La bibliothèque du Collège romain fut confisquée… Si l’on se souvient que
la France est durant tout le X I Xe siècle, et de loin, la première nation catholique de la
chrétienté, « la Fille aînée de l’Église » reprendra Léon XIII, après Lacordaire ; si l’on sait
qu’en 1900, sur cent missionnaires catholiques dans la mission lointaine, les deux-tiers sont
des Français, on prend conscience des répercussions considérables que le retard français à
rétablir des solides études ecclésiastiques et à innover dans la formation de l’élite des laïcs
ont pu avoir. Ce retard n’est pas imputable aux catholiques français mais d’abord à une classe
politique durablement marquée par le libéralisme anticlérical. La liberté d’enseignement eut,
de ce fait, les plus grandes difficultés à voir le jour. Napoléon 1er, en créant l’Université en
1808, avait fait prévaloir un double monopole étatique : celui des lieux d’enseignement, avec
une tolérance pour les séminaires ; et celui de la collation des grades, baccalauréat, licence et
doctorat. La lutte entreprise en 1830 par Montalembert et Lacordaire, avec le premier
Lamennais, pour abolir ce monopole, fut longue et difficile : liberté de l’enseignement
primaire en 1833 (loi Guizot) ; liberté de l’enseignement secondaire en 1850 (loi Falloux) ;
liberté de l’enseignement supérieur en 1875 seulement (loi Laboulaye). On vit alors naître les
premières Universités catholiques, la présence de jurys mixtes créant des conditions de
recrutement favorables pour le droit ou la médecine. Mais, dès 1880 les établissements
supérieurs fondés furent combattus : interdiction de se parer du nom d’Université ; et, plus
grave encore, suppression des jurys mixtes. En 1885, par ailleurs, les Facultés de théologie de
l’Université d’État furent supprimées. Néanmoins, pour les sciences ecclésiastiques les
progrès furent réels : le pape Montini, Paul VI, l’ami de Jacques Maritain, allant jusqu’à dire
que c’était la France « qui cuisait le pain intellectuel de la chrétienté ». En Suisse, Fribourg
prit naissance en 1889. En Espagne, l’Université jésuite de Comillas (1892) ne dépassa guère
le domaine des sciences ecclésiastiques. Les encouragements venant de Rome furent tardifs,
pour diverses raisons : l’encyclique Acterni Patris, de Léon XIII , date de 1879 ; la
Constitution apostolique Deus scientiarum dominus de Pie XI, de 1931, au demeurant limités
au domaine des sciences ecclésiastiques. Il n’y eut une Fédération internationale des
Universités catholiques, à l’initiative du Père Gemelli et de Mgr Schryner, le recteur de la
toute nouvelle université de Nimègue, qu’en 1924.
Alors que les craquements annonciateurs d’une nouvelle crise étaient décelables chez
les intellectuels et dans la jeunesse étudiante au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
sinon même chez quelques-uns un peu auparavant, la mutation culturelle des Sixties
introduisait un air du temps porté à nouveau à l’optimisme. Dans le monde occidental la
consommation chassait la contemplation, et ceux qui en contestaient les effets étaient fascinés
par les solutions que proposait le marxisme. Un transfert du sacré allait s’opérer du religieux
vers le politique. A nouveau, mais ceci concerne l’après Vatican II il allait devenir fort
difficile de concilier la foi avec une modernité sûre de ses triomphes.
Que la tension ait été permanente n’aurait certes pas surpris ce bon histoire de
l’histoire des idées qu’était Etienne Gilson, dont on rappellera qu’il fut, en 1928, le cofondateur de l’Institut pontifical d’études médiévales à Toronto (Canada). Pour lui, mais il est
aisé de transposer « La question est de savoir si l’on veut faire tenir la religion dans les
limites de la raison, ou la raison dans les limites de la révélation » (1949).
17
LES 125 ANS DES INSTITUTS ET UNIVERSITES CATHOLIQUES
DE FRANCE
Mgr Claude BRESSOLETTE,
Institut Catholique de Toulouse, France.
Le 12 juillet 1875, en troisième lecture, est votée, par 316 voix contre 266, la loi sur la
liberté de l’enseignement supérieur. Elle rend possible la fondation des cinq universités
catholiques, qui ont célébré cet anniversaire à l’UNESCO, le 29 mars 2001.
Acquise par 50 voix de majorité dans l’Assemblée nationale de l’époque, cette liberté
enfin conquise par les catholiques est le fruit d’un long effort. Mais cette conquête est fragile
et bientôt menacée, avant d’être restreinte, cinq ans plus tard, par la loi du 18 mars 1880.
Surmontant les restrictions législatives et les difficultés de tous ordres, les universités
catholiques parviennent à se constituer en ensembles cohérents d’enseignement supérieur
libre et à se développer en agrégeant aux Facultés traditionnelles, des Ecoles professionnelles.
Dans quel contexte furent-elles donc fondées ?
Une conquête longue et difficile
Créée par Napoléon Ier, l’Université avait reçu le monopole de l’enseignement et de
la collation des grades. C’est contre ce monopole que les catholiques ont revendiqué la liberté
tout au long du siècle.
En 1833, au début de la Monarchie de Juillet, la loi Guizot l’accorde pour
l’enseignement primaire. En 1850, sous la Seconde République, la loi Falloux l’autorise pour
l’enseignement secondaire.
Reste l’enseignement supérieur. Depuis les dénonciations de Lamennais, on est
sensible à l’insuffisance de la formation intellectuelle du clergé. Il existe bien des Facultés de
théologie d’Etat, voulues par Napoléon dans l’Université, à Paris, Lyon, Aix, Toulouse,
Bordeaux, Rouen ; mais comme elles ont été créées par l’autorité politique sans accord avec
le Saint-Siège ni les évêques de France, on se méfie de leur enseignement, suspecté de
gallicanisme. Diverses autres solutions ont été cherchées, parmi lesquelles l’Ecole des
Carmes, fondée en 1845, par l’archevêque de Paris, Mgr Affre.
Il faut attendre les dernières années du Second Empire pour que la revendication se
fasse à nouveau entendre avec force. Le 7 juin 1867, une pétition soutenue par une campagne
des journaux, est soumise au Sénat ; elle est écartée, mais d’autres suivent. Le grand ministre
libéral, Victor Duruy, saisit alors le Conseil Supérieur de l’Instruction Publique d’un projet
de loi ; le 1er mars 1870, une commission présidée par Guizot étudie le projet, déposé le 28
juin. La déclaration de guerre de la France à la Prusse de Bismarck interrompt la procédure
parlementaire.
Le 31 juillet 1871, devant l’Assemblée nationale élue après la chute de l’Empire, la
proposition est reprise par le comte Jaubert, membre de l’Institut. Deux ans plus tard, en
18
juillet 1873, Laboulaye dépose son rapport. Les discussions sont vives ; il faut l’insistance de
Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, pour qu’on passe à une seconde lecture. Le vote de
l’amendement Paris, le 16 juin 1875, permet enfin l’adoption de l’ensemble de la loi, le 12
juillet.
D’où sont venues les difficultés ? Il convient d’évoquer brièvement le climat de
l’époque. Après la « fête impériale », et la défaite militaire de la France occupée, s’affirme un
désir général de moralité austère, qui, chez les croyants, peut aller jusqu’à une volonté de
réparation, voire d’expiation. Les Français sont unanimes à souhaiter un ordre moral, mais
deux conceptions s’opposent, qui soulignent le clivage entre les « deux France » :
•
•
la France républicaine, libérale, influencée par la libre pensée, dont l’idéal est une
société sécularisée, issue de la Révolution française ; elle désire un ordre
« républicain » ;
l’autre France, pour qui l’Evangile est le principe directeur des sociétés, et Dieu, le
maître de l’histoire ; les conservateurs, qui ne sont pas tous des catholiques militants,
estiment que l’influence de la religion est capitale pour la destinée des sociétés et la
défense de l’ordre social : c’est l’ordre « moral ».
En outre, parmi les catholiques, des conflits passionnés séparent les intransigeants,
partisans d’appliquer le Syllabus, ce catalogue des 80 erreurs du monde moderne promulgué
par Pie IX en 1864, et les libéraux, soucieux d’une conciliation avec la civilisation moderne ;
mais les uns et les autres réclament que soient reconnues la place et l’influence de l’Eglise
dans la société.
Les débats sur la liberté de l’enseignement sont révélateurs de l’opposition entre les
républicains laïques et les catholiques intransigeants. Le 16 mars 1873, reprenant les thèses
de ces derniers, Martial Delpit dépose sur le bureau de l’Assemblée nationale quatre voeux :
« Suppression du monopole universitaire que devaient signifier les universités libres
pourvues du droit de conférer les grades ; ces grades devaient avoir l’équivalence de ceux de
l’Etat ; les universités libres recevraient la personnalité civile ; enfin toutes les lois,
ordonnances et décrets interdisant les congrégations religieuses ou portant atteinte à leurs
droits seraient abrogés ». Après la parution du rapport Laboulaye, l’assemblée générale du
comité catholique parisien, en avril 1874, entend un violent réquisitoire du Père Marquigny,
jésuite, qui regrette « que la future loi relative à la liberté de l’enseignement supérieur,
répétant en cela même les traditions de la législation française, soit fondée sur le principe de
la liberté pour tous de tout enseigner ». Enfin, au début de 1875, le Père d’Alzon, fondateur et
supérieur des Assomptionnistes, rédige une adresse au pape, qui souligne l’opportunité de la
fondation d’universités catholiques pour créer des chaires d’où les doctrines romaines
seraient propagées, avec un objectif social et politique nettement défini : « Tout le monde
voit aujourd’hui combien, cette infaillibilité proclamée (celle du pape le 18 juillet 1870), il est
opportun que les papes, par les universités, ressuscitent dans le haut enseignement les
principes vrais et s’emparent, par elles, de la direction des idées dans les classes supérieures
du monde social ». En juin 1875, Jules Ferry commente ces diverses interventions et dénonce
le péril : « On commence par demander le partage du monopole avec l’Etat ; mais comme on
nie foncièrement le droit de l’Etat et sa compétence…ce n’est qu’une première étape à
franchir, et quand on aura partagé le monopole de l’Etat, un jour on lui dira : Ce n’est pas à
vous qu’il a été dit : Allez et enseignez !… ».
19
Avec l’appui de Mgr Dupanloup, représentant prestigieux des catholiques libéraux, le
rapporteur Laboulaye rassure les libéraux en précisant que les catholiques ne demandent
aucun privilège, mais la liberté pour tous, la liberté commune des citoyens ; il ajoute que l’on
a la liberté de tout enseigner hormis ce qui est contraire à l’ordre public, à la morale publique
et religieuse, et constitue un délit suivant les lois. Reste la question si sensible du monopole
de l’Etat touchant la collation des grades, que défend Jules Ferry ; une transaction est
proposée par le député Paris, qui institue les jurys mixtes, et l’amendement est voté le 16 juin,
après le ralliement de Mgr Dupanloup qui le juge équitable en ce qu’il fait la part de la liberté
et celle de l’Etat. Une autre condition est ajoutée : seule une université, comportant trois
Facultés, celle de théologie n’étant pas comprise, peut bénéficier des jurys mixtes.
Finalement la loi est adoptée le 12 juillet.
Des fondations rapides, presque hâtives
Pressentant la probable victoire des républicains aux prochaines élections de 1876,
certains députés pressent les évêques d’appliquer aussitôt les dispositions de la loi. Il en est
ainsi à Paris, où le cardinal Guibert, pourtant porté à temporiser, est convaincu d’aller vite :
dès le 11 août, il réunit archevêques et évêques des diocèses voisins pour décider de fonder
une université catholique ; l’annonce en est faite en septembre, et l’abbé d’Hulst, vicaire
général, est chargé de la mise en œuvre. Le 15 novembre, puis le 15 décembre sont créées les
Facultés de droit et des lettres ; celle des sciences doit attendre que les laboratoires soient
prêts. Le 15 mars 1876, le gouvernement reconnaît l’Université catholique de Paris.
A Lille, des prêtres, des militants catholiques, des industriels avaient pris les devants,
en organisant un enseignement du droit dans les premiers mois de 1874 ; ils obtiennent
l’autorisation légale en novembre 1875, au moment où est prise la décision de fonder une
université, précisément le 18. La Faculté des lettres ouvre le 25 novembre 1876, et celle des
sciences le 22 décembre.
Mgr Freppel, évêque d’Angers, ancien professeur de la Faculté de théologie de la
Sorbonne, est résolu a créer une université dans sa ville. Le 1er octobre 1875, il ouvre la
Faculté de droit ; celle des lettres, héritière de l’Ecole Saint-Aubin, suit le 4 décembre 1876,
et celle des sciences en 1877.
Un groupe de prêtres et de laïcs lyonnais décident de fonder, dans leur région, une
université catholique « sous la haute protection des évêques » ; inaugurée le 22 novembre
1875, la Faculté libre de droit amène l’Université à créer, à son tour, une Faculté publique,
qui n’existait pas encore. Durant l’année 1877, sont ouvertes les Facultés des lettres et des
sciences.
A Toulouse enfin, la décision est prise le 8 décembre 1875, mais des difficultés
diverses retardent la réalisation jusqu’au 15 novembre 1877 pour la Faculté de droit et au 16
décembre 1878 pour celle des lettres. Un an plus tard, le 25 novembre 1879 est ouverte la
Faculté de théologie.
Il est remarquable que, dans les cinq universités catholiques, les fondateurs aient
commencé par organiser une Faculté de droit ; sans doute était-on soucieux de former des
avocats et des magistrats favorables à la cause catholique. Seule l’université de Lille parvient,
non sans mal, à fonder une Faculté de médecine et de pharmacie le 6 juillet 1877, peu après
20
que l’hôpital tout neuf, Sainte-Eugénie, a été mis à sa disposition. A Paris comme à Lyon, le
terrain est acheté pour un futur hôpital, condition nécessaire pour ériger une Faculté de
médecine ; mais elles ne verront jamais le jour.
D’autre part, dans les cinq universités, les Facultés de théologie viennent en dernier.
Les évêques, en général satisfaits de la formation théologique donnée dans les grands
séminaires, n’avaient pas accordé la priorité aux Facultés de théologie : ils craignaient de
diviser leur clergé en envoyant des séminaristes et des jeunes prêtres dans d’éventuelles
Facultés, situées souvent hors de leur diocèse. De plus, comme il existait des Facultés de
théologie d’Etat, ils ne voulaient pas susciter des difficultés au gouvernement, au moment où
l’existence de ces institutions contestées était mise en question. Il faut l’insistance de Rome,
qui ne conçoit pas qu’une université catholique n’ait pas de Faculté de théologie : ce serait un
« corps sans tête » répète-t-on aux évêques français. Aussi à Paris, par prudence, est fondée, à
l’automne 1878, une simple Ecole de théologie, qui ne sera reconnue comme Faculté
canonique qu’en décembre 1889. A Lyon, l’Ecole supérieure de théologie, ouverte en 1878,
est érigée en Faculté canonique en 1886. Le chanoine Hautcoeur, de Lille, fait approuver par
Rome, dès le 11 novembre 1876, les statuts d’un Collège théologique, inauguré le 13
novembre 1877, qui deviendra la future Faculté canonique. Mgr Freppel obtient pour Angers
une Faculté de théologie, le 14 décembre 1879. Toulouse l’a ouverte quelques jours avant, le
25 novembre.
Une conquête fragile et menacée
Les prévisions des politiques se réalisent : aux élections du 20 février 1876, les
républicains remportent une large majorité à la Chambre des députés. Durant la campagne,
Gambetta avait dénoncé la « loi désorganisatrice » : « Cette loi n’est pas française, elle est
romaine. Je me propose de la faire abroger ». De fait, dans sa déclaration ministérielle du 15
mars, Dufaure annonce une révision de la loi. Le 24 mars, le ministre de l’Instruction
publique, Waddington, dépose donc un amendement qui supprime les jurys mixtes, alors qu’
ils n’ont pas encore fonctionné ! La Chambre l’adopte par 357 voix contre 123, mais le Sénat
le repousse par 144 voix contre 139, à la suite des interventions de Mgr Dupanloup et
d’Albert de Mun. Un répit est accordé aux jurys mixtes…
Aux élections de janvier 1879, les républicains gagnent aussi la majorité au Sénat, et
le Maréchal de Mac-Mahon est contraint de démissionner de la présidence de la République.
Dès le 23 janvier, Paul Bert demande l’abolition de la loi du 12 juillet 1875. Le 15 mars,
Jules Ferry défend le droit exclusif du pouvoir civil sur la collation des grades ; un article 7
est prévu contre le droit des congrégations à enseigner. Le projet soulève des discussions
passionnées pendant des mois. Le Sénat adopte le projet, mais rejette l’article 7. Finalement
la loi du 18 mars 1880 supprime les jurys mixtes, interdit l’usage du titre d’université par les
établissements libres, prévoit pour tous la gratuité des inscriptions.
Devant les évêques réunis en assemblée générale, à Paris, les 1er et 2 avril, M. Hamel,
au nom des administrateurs, souligne « le préjudice porté par la législation nouvelle aux
établissements libres d’enseignement supérieur, atteints dans leur considération par la
suppression du titre d’Université, dans leur indépendance par l’abolition du jury spécial, dans
leurs intérêts par la gratuité des inscriptions, dans leur recrutement par les avantages que les
étudiants trouveraient à suivre les cours des maîtres qui devraient être désormais leurs seuls
21
juges, sans parler des mesures administratives qui menaçaient de fermer les carrières
publiques aux élèves de l’enseignement libre ».
Quel titre choisir désormais pour les établissements d’enseignement supérieur libre ?
Parmi plusieurs propositions, on retient, à Paris comme à Toulouse, celle d’ Institut
catholique ; à Lyon, à Angers, à Lille, on adopte celui de Facultés catholiques, tout en
conservant, par la suite, celui d’Université catholique.
Un plaidoyer de Mgr d’Hulst
La loi nouvelle oblige à réformer les institutions, en fonction des moyens dont on
dispose ; c’est la condition pour éviter leur suppression pure et simple, à laquelle certains
songeaient. A Paris, par exemple, les Facultés des lettres et des sciences sont transformées en
une Ecole supérieure des études scientifiques et littéraires, qui exige moins de chaires et donc
moins d’argent.
Il faut aussi rassurer l’opinion catholique et tous ceux qui ont financé les nouvelles
« universités ». On a recours à Mgr d’Hulst, qui s’acquitte aussitôt de cette mission avec
autant de précision et de profondeur que d’éloquence : Que vont devenir les Facultés libres ?
Tel est le titre de la brochure qui paraît bientôt. Dans l’analyse qu’il donne de la loi Ferry, il
rejoint les observations faites par l’administrateur Hamel devant les évêques ; mais il
souligne que la perte du titre d’université, qui implique l’universalité de l’enseignement, la
communication des disciplines et des intelligences, est grave si l’on conclut que l’on peut
impunément amputer de telle ou telle Faculté un établissement d’enseignement supérieur.
Constatant que la grave question de l’époque est celle de l’alliance de la science et de la foi, il
élève le débat en recherchant les causes d’une antinomie passée à l’état d’axiome et propose
le remède : un enseignement supérieur, conforme au dogme chrétien, mais dont l’orthodoxie
ne coûte rien ni à la valeur des leçons, ni à la hardiesse des recherches, ni à la liberté des
méthodes, où toutes les garanties religieuses se rencontrent avec toutes les garanties
scientifiques, et qui soit « un acte de vitalité de la société chrétienne dans l’ordre du haut
savoir ». Il poursuit en traçant une sorte de programme : « Prendre résolument sa place dans
ce vaste atelier de la science ; emprunter les méthodes nouvelles, mais les manier avec
discernement, dans la sphère qui leur est propre ; n’abjurer du passé que ses erreurs, garder
ses vraies conquêtes, sa psychologie, sa métaphysique, sa morale et rapprocher ces vérités
supérieures, patrimoine antique de la pensée, des vérités nouvellement acquises par où se
grossit son héritage, tel apparaissait à l’avance le rôle glorieux et fécond des Universités
libres ».
La preuve était à faire. Cent vingt cinq ans plus tard, peut-on estimer qu’elle est faite ?
D’incessantes difficultés financières
Les conséquences de la loi du 18 mars se font aussitôt sentir dans l’ordre financier. A
un moment où se met en place l’enseignement obligatoire, laïc, gratuit, les catholiques font
un effort considérable pour créer des écoles et des collèges libres ; il est difficile de leur
demander un effort comparable pour les universités libres, qui souvent n’ont pas la même
urgence à leurs yeux. Les recteurs et les chanceliers sont amenés à envisager toutes sortes
d’expédients. En général, on demande aux professeurs de renoncer à une partie, parfois
22
importante, de leurs honoraires, car on ne peut imposer des droits d’inscription trop élevés
qui feraient fuir les étudiants.
A Paris, le recteur d’Hulst engage sa fortune personnelle, et le cardinal Richard
augmente la contribution du diocèse. L’évêque d’Angers, Mgr Freppel, complète les dons des
familles avec ses propres deniers, et multiplie les publications dont la vente pourvoit aux fins
de mois difficiles ; comme il est propriétaire des immeubles et meubles, ses héritiers pensent
d’abord continuer à assurer le financement, mais ils renoncent bientôt : le 19 mai 1892, les
professeurs sont prévenus qu’il est impossible de prendre « un engagement qui assure
l’existence de l’Université pour la nouvelle année scolaire ». L’Association des Facultés
catholiques de l’Ouest prend le relais et obtient des contributions de milliers de familles,
jusqu’à ce que, le 6 juillet 1893, les évêques décident de prendre la responsabilité financière
de l’Université. Mais la loi de séparation des Eglises et de l’Etat fragilise à nouveau la
situation financière, au point que les évêques, à Angers comme à Paris, envisagent la
suppression de Facultés et la réduction des Universités au seul enseignement de la
théologie…Nouveau recteur de l’Institut catholique de Paris, Mgr Baudrillart obtient, en
1907, 100 000 francs or du pape Pie X qui marque ainsi son souhait que les Instituts
catholiques soient non pas supprimés ou amoindris, mais développés. Les recteurs de Lyon et
de Toulouse connaissent des difficultés analogues.
Seules les Facultés catholiques de Lille jouissent d’une situation enviable, grâce à la
générosité des catholiques du Nord et surtout à la participation des entreprises industrielles
des deux départements. Aves ses cinq Facultés, ses bâtiments vastes et spécifiques, ses
maisons d’étudiants et ses annexes, l’Université catholique de Lille apparaît aux quatre
autres, comme le modèle à la fois magnifique et inaccessible. En 1885, l’archevêque de
Reims évoque sa visite à Lille au Conseil de l’Institut catholique de Paris : « J’ai vu là-bas
des bâtiments d’une splendeur inouïe, cinq Facultés complètes, un budget de 700 000 francs
qu’on ne songe pas à réduire. Et Lille n’est alimentée que par deux diocèses… ».
De nos jours, il faut toujours compter sur des legs et des dons, sur des campagnes
d’aide, pour tenter d’équilibrer les budgets. Les cinq Universités catholiques se partagent, au
prorata du nombre des étudiants, une subvention accordée par le gouvernement ; mais celleci, toujours aléatoire, suit difficilement le coût de la vie. Et il faut bien constater que, pour la
formation d’un étudiant, l’Etat verse aux établissements libres 7000 francs et plus de 45 000
aux Universités publiques.
Des Ecoles professionnelles et des Instituts spécialisés
Du fait des contraintes financières, les responsables sont invités à la créativité et à
l’inventivité pour développer les Universités en recrutant de nouveaux étudiants. Jusqu’à la
guerre de 1914, il faut reconnaître que les Facultés ecclésiastiques (Théologie, droit
canonique, philosophie) ne sont fréquentées que par un petit nombre de clercs. Pour les autres
Facultés (lettres, droit, sciences), l’obligation de passer les examens dans les Facultés d’Etat
limite sérieusement le nombre des étudiants.
C’est l’attention aux besoins de la société et de son évolution qui donne l’idée de créer
des Ecoles professionnelles pour former des ingénieurs et des cadres. Au sortir de la guerre,
on voit ainsi apparaître l’Ecole de Chimie à Lyon, l’Ecole Supérieure des sciences
économiques et commerciales (ESSEC) à Paris, l’Ecole supérieure d’agriculture de Purpan
23
(ESAP) à Toulouse. A Lille, les responsables s’étaient engagés dans cette voie dès le début,
avec une école de sages-femmes en 1882, une Ecole des hautes études industrielles en 1885.
Après la deuxième guerre mondiale, les fondations se multiplient dans toutes les
Universités. A Lyon, par exemple, le « couloir de la chimie » suscite de nouvelles écoles
spécialisées à côté de la première Ecole de chimie ; d’autres écoles forment des
professionnels en commerce et management, en traduction et relations internationales, et des
instituts de recherche s’intéressent aux grandes questions de la société contemporaine : droits
de l’homme, famille, éthique, etc. Aujourd'hui, l’Université catholique de Lille constitue un
véritable site pluridisciplinaire, au cœur d’un quartier de la ville, avec six Facultés (celle de
médecine est la seule Faculté privée), six grandes Ecoles d’ingénieurs, quatre Ecoles de
commerce et de gestion, des Ecoles sanitaires et sociales, des Ecoles du secteur tertiaire et
des centres de recherche. L’ Institut catholique de Toulouse a pu fonder un Institut Supérieur
de la communication, de l’audiovisuel et du multimedia (ISCAM) et une Ecole de
journalisme (EJT) qui vient de recevoir l’agrément national. L’Université catholique de
l’Ouest connaît un développement analogue avec l’Ecole supérieure agricole et ménagère, le
Centre d’Etudes psychopédagogiques, l’Ecole supérieure d’électronique, l’Institut des
sciences sociales parmi bien d’autres. Mais la mise en place à Angers, d’une Université
d’Etat de plein exercice, oblige les responsables à réorienter les activités de l’Université
catholique vers des filières de formation neuves. En 1970 est donc prise la décision de créer
des Instituts spécialisés capables d’assurer une formation d’enseignement supérieur de type
pluridisciplinaire en vue de préparer à certaines professions : Instituts de formation des
professeurs, de perfectionnement en langues vivantes, de mathématiques appliquées, de
recherches fondamentales et appliquées, etc. Comme à Lyon, pour répondre aux besoins de la
région, sont fondées l’Ecole supérieure des sciences commerciales d’Angers, l’Ecole
technique supérieure de chimie de l’Ouest, l’Ecole supérieure d’électronique de l’Ouest.
Quant à l’Institut catholique de Paris, dans le domaine de la théologie et des sciences
religieuses, se multiplient les Instituts spécialisés : en pastorale catéchétique, en liturgie, en
science et théologie des religions, en études œcuméniques. En même temps, le
développement des écoles professionnelles oblige, vu l’exiguïté de l’espace, à installer à
Cergy Pontoise le groupe ESSEC puis le Centre Polytechnique Saint-Louis, qui regroupe les
écoles scientifiques. Lyon envisage pour 2004 une extension analogue dans deux autres lieux.
Remarquons, enfin, que dans les cinq Universités catholiques, les Facultés de
théologie s’ouvrent largement à des étudiants laïcs, auxquels elles proposent des formations
qui tiennent compte de leur vie familiale et professionnelle. En même temps s’ouvrent partout
des Instituts de formation pastorale et de théologie pratique.
Délocalisations, réseaux, relations internationales
La volonté de se rendre proche des publics potentiels amène les recteurs à créer, sous
la responsabilité de l’Université catholique, des centres universitaires dans d’autres villes.
C’est notamment le cas pour Lyon (antennes à Dijon et Marseille), pour Toulouse (antennes à
Rodez et Perpignan), pour Angers (antennes à Vannes et Saint-Brieuc).
La diversification des enseignements et des formations n’est pas sans risque
d’éclatement. Pour y faire face, on constate partout la constitution de « réseaux », de
« pôles », de « centres polytechniques » qui, par delà les anciennes divisions administratives,
tentent de coordonner les activités d’enseignement et de recherche, selon des axes de
24
proximité. L’Université catholique de Lille s’est même constituée en Fédération Universitaire
et Polytechnique de Lille dès 1973.
La construction européenne ne peut qu’accélérer l’ouverture internationale des
Universités catholiques. Depuis longtemps, elles ont fondé des Instituts de langue et de
civilisation françaises à l’intention des étudiants étrangers qui viennent par centaines ; à
Angers s’est établie une tradition d’échanges d’étudiants avec l’université américaine de
Notre-Dame, dans l’Indiana. Maintenant, des conventions prévoient des échanges de
professeurs et d’étudiants avec les universités européennes.
Tradition et modernité
Depuis les années 1970, les cinq Universités catholiques ont constitué une Union des
Etablissements d’Enseignement Supérieur Catholique (UDESCA), qui leur permet de
s’informer mutuellement et de faire face, ensemble, aux mêmes défis. C’est l’UDESCA qui
se charge des relations avec le gouvernement.
Outre les difficultés financières, les cinq Universités catholiques de France se heurtent
à un même obstacle : la non reconnaissance par l’Etat français des diplômes qu’elles
délivrent.
Malgré cela, depuis 125 ans, elles sont restées fidèles aux intuitions de leurs
fondateurs : assurer une présence universitaire chrétienne dans la société et la culture. De là
cet effort sans cesse renouvelé pour moderniser les instruments de travail, bibliothèques et
laboratoires, ainsi que les méthodes pédagogiques ; de là cette volonté de répondre aux
besoins de chaque génération par des formations adaptées et des enseignements nouveaux. En
tant qu’universités catholiques, elles ont l’ambition d’assurer le service de la foi et de la vie
de l’Eglise, mais aussi d’être présentes aux débats contemporains et de répondre, pour leur
part, aux requêtes de la cité.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
L’Eglise de France sous la troisième République, Les dernières années du pontificat de Pie
IX, 1870-1878, E. Lecanuet, Paris, Félix Alcan, Nouvelle édition, 1931, 579 p.
La pensée et l’action politiques des évêques français au début de la IIIe République, 18701883, Jacques Gadille, Paris, Hachette, 1967, 2 tomes.
Les débuts de la IIIe République, 1871-1898, Jean-Marie Mayeur, Nouvelle histoire de la
France contemporaine, Paris, Seuil, 1973, 254 p.
Les Universités catholiques, René Aigrain, Paris, Auguste Picard, 1935, 79 p.
Vie de Mgr d’Hulst, Alfred Baudrillart, Paris, de Gigord, 4ème éd., 1928, 2 tomes.
Monseigneur d’Hulst et la science chrétienne, Portrait d’un intellectuel, Francesco Beretta,
Paris, Beauchesne, 1996, 501 p.
25
Monseigneur d’Hulst, fondateur de l’Institut Catholique de Paris, sous la direction de Claude
Bressolette, Paris, Beauchesne, 1998, 296 p.
Documents et notices fournis par chacune des Universités.
26
LES FACULTES DE THEOLOGIE ALLEMANDES ET AUTRICHIENNES
Prof. Dr. Dr. h.c. Peter Hünermann,
Eberhard – Karls – Universität, Tübingen, Allemagne.
Il sera ici question des Facultés allemandes et autrichiennes, en particulier de leur
place et signification dans le contexte de la relation Eglise – Culture aux XIXème et XXème
siècles, dans ce dernier cas, jusqu’au début du Concile Vatican II. On peut aborder ce vaste
thème, si riche en perspectives, sous différents angles. Naturellement, on ne peut les aborder
tous. Aussi je me limiterai à donner d’abord un bref aperçu de la situation et du nombre des
facultés à la fin du XVIIIème siècle et de la réduction de ce nombre après l’ère
napoléonienne, due à la sécularisation et à l’abolition des principautés ecclésiastiques. Puis,
je décrirai en gros l’évolution des facultés pendant le XIXème siècle, les nouvelles fondations
et surtout l’évolution intérieure, la restructuration et la modernisation de la théologie liée à ce
changement. Dans un troisième temps, je parlerai des nouvelles disciplines intégrées dans les
facultés. Ces changements sont à mon avis intimement liés au mouvement culturel moderne
et représentent une réponse importante à ce mouvement. En quatrième lieu, je chercherai à
montrer la différence profonde existant entre la néo-scolastique et la conception de la
théologie qu’on avait à la curie romaine ainsi que les frictions qui ont découlé de cette
discordance. Enfin, je traiterai brièvement de l’interaction entre les disciplines théologiques
et les autres sciences, la culture et la pastorale.
1. La situation des facultés de théologie en Allemagne et en Autriche à
la veille de l’ère napoléonienne
A la fin du XVIIIème siècle, l’Allemagne et l’Autriche comptent 17 facultés de
théologie catholique. Parmi elles, des facultés anciennes et célèbres comme Vienne, Prague,
Erfurt. La faculté d’Erfurt comprend des professeurs catholiques, mais aussi des professeurs
protestants pour assurer la formation des pasteurs protestants dans le territoire de Thüringen.
L’Aufklärung inspire de nombreux essais de réorienter l’enseignement théologique. Suite à
une initiative de Marie Thérèse d’Habsbourg, la théologie pastorale devient obligatoire dans
les pays de la couronne autrichienne. C’est la réforme de Rautenstrauch.
En même temps s’annonce une réorganisation des facultés. En 1774, les professeurs
de la faculté d’Erfurt proposent au Prince électeur de Mayence, leur évêque, le plan suivant :
les études de théologie s’étendraient sur 12 semestres et les professeurs se spécialiseraient
dans différentes disciplines réparties en douze chaires 1:
•
•
•
•
•
•
•
une chaire pour l’introduction à la théologie (Prolégomènes) ;
une chaire pour les langues orientales ;
deux chaires pour l’Ancien et le Nouveau Testament ;
une chaire pour l’histoire de l’Église ;
une chaire pour la Patristique et l’Histoire des Conciles ;
deux chaires pour la Théologie dogmatique ;
une chaire pour la Théologie morale ;
Voir Erich Kleineidam, Universitas Studii Erffordensis IV (Erfurter Theologische Studien 47) Leipzig 1981; le plan
se trouve en: Hessisches Staatsarchiv Darmstadt, Abt. VI, 1 Konv.10 Fasc. 4 fol. 59-84.
1
27
•
•
•
une chaire pour la Controverse ;
une chaire pour l’Homilétique ;
une chaire pour la Théologie pastorale.
A cette époque, la chaire de droit canon faisait partie de la faculté de droit. Notons
qu’Erfurt était alors l’une des facultés les plus importantes d’Allemagne. Avec son plan, la
faculté optait pour un autre type de théologie, assez différent du type traditionnel qui liait les
chaires de théologie aux grandes écoles théologiques. Ainsi, à la faculté d’Innsbruck, existait
une chaire augustinienne à côté de la chaire suarésienne. Pratiquement, on suit partout en
Europe la ligne de la scolastique baroque. La théologie est enseignée par un généraliste qui,
comme Suarez, traite de la métaphysique aussi bien que de la théologie morale ou assure les
grands traités : de Deo Uno et Trino, de mysteriis vitae Christi, de Fide, etc. C’est une
conception de la théologie qui trouve sa source dans les « Loci theologici » de Melchior
Cano, englobant la connaissance de l’Ecriture et de la Tradition, le recours à l’histoire et au
droit, etc. Le professeur doit traiter ainsi « de universa theologia » . Généralement, les
professeurs titulaires des différentes écoles utilisaient des manuels correspondants. L’une des
premières spécialisations fut l’introduction des chaires d’Ecriture Sainte, déjà au XVIIème
siècle. À Erfurt par exemple, ce n’est qu’à la fin du XVIIIème siècle qu’on créa une chaire
spéciale pour la théologie morale.
Le Prince électeur de Mayence n’accepta pas le plan de sa faculté pourtant indicatif
d’une volonté d’innovation unique en Europe à cette époque. Le général des Augustiniens par
exemple, Vasquez, qui proposera une réforme des études en 1773, se contentera d’améliorer
un peu l’enseignement théologique sans toucher aux structures.2
À la fin du règne de Napoléon, il ne restait que quatre facultés en Allemagne. Les
autres avaient été fermées ou transformées en lycées. En Autriche, l’université de Salzburg
avait disparu. Il y avait encore des facultés de théologie à Vienne, Innsbruck, Graz, sans
compter celles de Prague, Krakow, Czernowice et Lemberg (Lwow).
2. Le développement des facultés théologiques catholiques pendant le
XIXème siècle
Au début du XIXème siècle, deux fondations nouvelles voient le jour en Allemagne :
Bonn et Tübingen. La première est une fondation prussienne pour assurer l’éducation
académique du clergé en Rhénanie3. En Prusse l’Etat obligeait le clergé à faire des études
académiques pendant au moins trois ans. La fondation d’une faculté à Tübingen s’explique
par la croissance énorme du Württemberg. De larges territoires catholiques des Habsbourg
avaient été intégrés à ce nouveau royaume. Les deux facultés furent organisées dès le début
selon la formule de la différenciation des disciplines.4 Si pour des raisons financières un
professeur de Tübingen était responsable de deux disciplines, ces deux disciplines étaient
Voir Williges Eckermann, Entwurf einer augustinischen Studienreform aus der Zeit der Aufklärung, Aug.(L) 28
(1978) 353-372.
3 Voir Heinz Mussinghoff, Theologische Fakultäten im Spannungsfeld von Staat und Kirche (Veröffentlichungen
der Kommission für Zeitgeschichte, Reihe B: Forschungen, Bd. 27) Mainz 1979, 31-39.
4 Voir Josef Rief/Max Seckler, Eine Liste der Tübinger, ThQ 150 (1970)177-186; voir aussi Norbert Wolff, Peter
Alois Gratz (1769-1849). Ein Theologe zwischen „falscher Aufklärung“ und „Obskurantismus“ (Trierer
Theologische Studien 61) Trier 1998, 88-92. 126-133. 192.
2
28
énumérées à part. Avec une grande rapidité cette forme d’organisation fut imitée dans les
autres facultés.
Comment expliquer et que signifiait cette évolution ? L’explication, on la trouve
autant en « dehors » de la théologie que « dans » la théologie elle-même. La transformation
rapide des philologies à travers des méthodologies nouvelles5, comme l’accroissement des
sciences historiques en général, la découverte de l’hellénisme, l’essor des sciences
orientalistes, le renouveau philosophique jouent à cet égard un très grand rôle. Mais il faut
aussi noter une dynamique à l’intérieur même de la théologie. Johan Adam Möhler, par
exemple, parle dans son célèbre livre L’unité dans l’Eglise6 de la révélation qui doit
s’« individualiser » dans la foi de chacun. L’unité dans la foi est toujours liée à la pluralité
d’expression et à l’appropriation de la foi. La révélation et la foi sont présentes dans une
pluralité de formes et d’expressions. Certes, Möhler était animé par la pensée romantique et
organique de son époque. Il n’était peut-être pas suffisamment sensible aux ruptures de
l’histoire, aux échecs, aux lignes de conflits. Mais sa vision reste quand même fondamentale.
Elle ouvre la possibilité d’envisager la théologie comme une pluralité de disciplines. Ici il ne
s’agit pas de formes individuelles, mais des formes et des conceptions de la foi, ainsi que des
formes vitales de la foi, lesquelles s’expriment dans les différentes dimensions de la vie.
L’axiome de Möhler sur l’unité et la pluralité ouvre la porte à une conception historique de la
foi, laquelle oblige à penser les différents faits et objets dans leur singularité et leur
irréductibilité, comme dans leur jonction et leur unité, qui ne se laissent pas construire d’une
manière abstraite.
La différence traditionnelle entre théologie « positive » et « spéculative » prit un sens
nouveau. Le principe d’unité dans cette pluralité des formes de la foi, c’était Dieu lui-même,
se révélant.
Ainsi la théologie, définie au Moyen Age comme une science, existait désormais dans
la pluralité des disciplines. Chaque discipline portait une responsabilité par rapport à
l’ensemble des autres disciplines. L’exégèse, par exemple, devenait un point de référence
indispensable à toutes les disciplines. La dogmatique devait élaborer une conception
cohérente de la foi face à toutes les disciplines théologiques. Mais aucune discipline ne
pouvait prétendre représenter toute la « science théologique ».
Les disciplines qui prendront forme au cours des XIXème et XXème siècles, seront
marquées par des méthodologies différentes. En intégrant les innovations méthodologiques
en cours à l’époque, que ce soit au niveau de l’histoire, de la philologie, de la critique des
formes, de la critique littéraire ou de l’herméneutique, des progrès qualitatifs importants en
exégèse biblique et néo-testamentaire seront réalisés7. La même chose se passe dans les
autres disciplines. Ainsi, en dogmatique, on trouve des formes différentes de réflexion, une
certaine variabilité des instruments de conceptualisation et de formation des catégories. Les
dogmaticiens apprennent peu à peu à travailler aussi selon des méthodes historiques et
Voir August Boeckh, Enzyklopädie und Methodologie der philologischen Wissenschaften. Ernst Bratuschek (éd.)
Leipzig 1877.
6 Johann Adam Möhler, Die Einheit in der Kirche oder das Prinzip des Katholizismus
dargestellt im Geiste der
Kirchenväter der drei ersten Jahrhunderte, Tübingen 1825.
7 Voir Henning Graf Reventlow, Katholische Exegese des Alten Testaments zwischen den Vatikanischen Konzilien,
dans Hubert Wolf (éd.) Die katholisch-theologischen Disziplinen in Deutschland 1870-1962, 15-38; Hans-Josef
Klauck, Die katholische neutestamentliche Exegese zwischen Vatikanum I und Vatikanum II, ibd. 39-70.
5
29
philologiques. La théologie pratique s’approprie les méthodologies naissantes des sciences
sociales.
Cet enrichissement méthodologique ne se fait pas simplement par acquisition de la
part des sciences non théologiques. Le processus est marqué par un va-et-vient, un donner et
un recevoir. Les philologies profitent énormément de l’exégèse ; la philosophie de
l’idéalisme allemand, le romantisme, la philosophie de Dilthey ne sont pas pensables sans le
secours de la pensée théologique.
Si, d’un côté, la théologie se déploie dans une série de disciplines, de l’autre, les
disciplines sont marquées par un pluralisme méthodologique. Cela se manifeste dans de
nombreuses recherches, lesquelles traitent de thèmes qui sont entièrement nouveaux. Il suffit
de se reporter aux différents types de dissertations qui se font dans une même discipline. Par
la combinaison des différentes méthodologies, une foule de desiderata naissent, comme par
exemple, une théologie où l’intellectus fidei apparaît beaucoup plus qu’auparavant comme
«scientia quaerenda», c’est-à-dire essentiellement «en marche». La théologie est de moins en
moins un ensemble de doctrines fixes qu’il suffirait d’enregistrer. C’est plutôt un «habitus
scientiae», qui doit être exercé en utilisant les différentes disciplines et méthodologies, pour
servir ainsi à l’élaboration de l’intellectus fidei. Naturellement, cet «habitus» comprend aussi
les vieilles formulations de la foi, comme les énoncés des conciles, ce qui pose une foule de
questions.
La caractérisation formelle de la théologie, proposée par saint Thomas dans la Somme
Théologique et qui s’exprime aussi dans le terme « intellectus fidei », suggéré par Anselme,
constitue un dernier horizon de travail dans les diverses disciplines théologiques. Il leur
permet d’être et en même temps les oblige à être solidaires. Là où cet horizon commun n’est
plus considéré comme constitutif, la théologie se dissout dans un amas de particularités. Les
facultés comme associations de professeurs prennent ainsi une nouvelle signification. C’est
un groupe de chercheurs et d’enseignants, doués de l’« habitus scientiae », de la compétence
du jugement théologique. C’est au sein des facultés que le travail dans les différentes
disciplines se structure. Cela se manifeste clairement dans la nouvelle manière d’organiser
l’examen de doctorat. Le candidat doit présenter une thèse hautement spécialisée, il doit aussi
passer un examen oral « rigorosum » qui porte sur les différentes disciplines. Ainsi peut-il et
doit-il manifester sa compétence théologique.
3. De nouvelles disciplines théologiques
Au cours des XIXème et XXème siècles, un certain nombre de disciplines nouvelles
naissent dans les facultés de théologie d’Allemagne et d’Autriche.
A la faculté de Prague, la première chaire de théologie fondamentale est érigée en
1856 pour le professeur Johann Nepomuk Ehrlich. Auparavant on parlait de chaire
d’apologétique. Il est intéressant de noter que cette évolution dans les facultés catholiques a
provoqué un écho analogue dans les facultés protestantes, mais beaucoup plus tard.
A la faculté de Münster en Westphalie deux nouvelles chaires sont inaugurées pour
deux nouvelles disciplines : la missiologie et l’éthique sociale. La missiologie comme
discipline théologique apparaîtra d’abord dans les facultés protestantes. Déjà Schleiermacher
avait fait la promotion de cette discipline. C’est seulement au cours de la deuxième moitié du
30
XIXème siècle, après la fondation d’une chaire protestante à Edimburgh, qu’une chaire
correspondante est érigée à Halle en Allemagne. Au cours des deux « Katholikentage » en
1909 et 1910, on a beaucoup discuté sur la théologie de mission et au cours du semestre de
l’hiver 1910-1911, Schmidlin a commencé ces cours à Münster. A partir de 1914, il enseigne
comme professeur ordinaire. L’introduction de cette discipline était dictée autant par des
intérêts ecclésiastiques que par des intérêts étatiques8.
La mise en place de l’éthique sociale comme discipline théologique précède
l’introduction de la missiologie. Franz Hitze, politicien et théoricien des questions sociales,
donna des cours en éthique sociale à Münster dans la faculté de théologie à partir de 1885. En
1893, la faculté obtient la possibilité d’intégrer une chaire pour la « doctrine sociale
chrétienne » et Hitze sera le premier représentant de cette nouvelle discipline. La diffusion de
cette nouvelle discipline est très lente : avant la Deuxième Guerre mondiale, seules la faculté
de Bonn à l’université d’Etat et les deux facultés des jésuites à Pullach et Frankfurt, comptent
de telles chaires. Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale que les facultés en
Allemagne et Autriche comporteront de telles chaires régulières.9
Autre discipline nouvelle : la théologie liturgique. Dans la conception de la théologie
pastorale de l’époque, il y avait déjà une place pour la liturgie, avec la catéchétique et
l’homilétique. Dès le début du XIXème siècle, apparurent de nombreux manuels pour
l’enseignement liturgique. À partir de 1921, Maria Laach publia le « Jahrbuch für
Liturgiewissenschaft ». Dans le premier numéro, Romano Guardini y allait d’une
contribution : «Sur la méthode systématique de la science liturgique». Finalement après la
Deuxième Guerre mondiale, en 1947, fut fondé à Trier un institut liturgique. Son directeur
était en même temps professeur de la faculté de théologie de Trier. Cet exemple sera suivi par
les jésuites à Frankfurt en 1953, puis à Münster en 1959.10
Le mouvement oecuménique conduisit à la fondation de plusieurs Instituts
oecuméniques dans les facultés les plus importantes. On n’entendait pas par là créer une
nouvelle discipline. C’était presque toujours un professeur de dogmatique ou de théologie
fondamentale qui, tout en continuant à enseigner sa propre discipline, était chargé de la
direction d’un tel Institut. Aujourd’hui on considère que toutes les disciplines doivent être
marquées par une perspective oecuménique.
Terminons ce survol par une brève énumération des facultés existant à la fin du
XIXème siècle, puis de celles créées au siècle suivant. En Allemagne, il y avait six facultés, y
compris Strasbourg devenue faculté allemande à l’occasion de la guerre de 1870-71. Pendant
le XXème siècle, seront érigées six facultés dans des universités d’Etat : à Bochum, à Mainz,
puis, en Bavière, à Regensburg, Bamberg, Augsburg, et Passau. De plus, on transforma
plusieurs institutions de formation théologique en facultés de droit ecclésiastique : Paderborn,
Trier, Eichstätt, Fulda. Enfin, fut créée la faculté de théologie des jésuites à Frankfurt.
Voir Giancarlo Collet, Katholische Missionswissenschaft, dans Hubert Wolf (éd.), Die katholisch-theologischen
Disziplinen in Deutschland 1870-1962, 291-320.
9 Voir André Habisch, Christliche Sozialethik im Prozeß gesellschaftlicher Modernisierung, dans Hubert Wolf (éd.),
Die katholisch-theologischen Disziplinen in Deutschland 1870-1962, 243-262.
10 Voir Benedikt Kranemann, Liturgiewissenschaft angesichts der „Zeitenwende“, dans Hubert Wolf (éd.), Die
katholisch-theologischen Disziplinen in Deutschland 1870-1962, 351-375.
8
31
En Autriche les vieilles facultés de Vienne, Graz, Innsbruck avaient survécu. Celle de
Salzburg, refondée en 1850, puis supprimée par les Nazis, reprendra vie après la Deuxième
Guerre mondiale.
4. La Néo-scolastique et la conception de la théologie à la Curie romaine
Pour apprécier cette évolution des facultés allemandes et autrichiennes, et
conséquemment ce que cela a pu signifier pour l’Eglise, il nous paraît important de rappeler
brièvement ce qu’a été la Néo-scolastique et de présenter rapidement quelques documents
romains concernant les études théologiques.
À partir du milieu du XIXème siècle, les facultés de théologie romaines et celles des
pays de langue française, italienne et espagnole sont elles aussi en voie de transformation. Ce
renouveau porte le nom de Néo-scolastique et conduit à une restructuration des facultés. Les
chaires jusque-là identifiées aux grandes écoles théologiques, sont remplacées par des chaires
liées aux traités dogmatiques comme le De Deo Uno, De Deo Trino etc. À côté de ces
chaires, il y a des professorats pour les matières collatérales ou auxiliaires : exégèse, histoire
ecclésiastique, droit canon. La valeur de celles-ci reste secondaire. Cela se manifeste
clairement dans l’organisation des examens. Le grand examen « de universa theologia » porte
exclusivement sur des matières dogmatiques, élargi parfois à quelque thèse d’apologétique.
Cette apologétique sera appelée plus tard théologie fondamentale, malgré le fait que ce type
de théologie était d’un caractère complètement différent de ce qu’on appelait théologie
fondamentale à Prague, à Tübingen ou à Bonn.
Quelle était l’idée directrice de ce changement néo-scolastique ? Les protagonistes de
la Néo-scolastique partaient du présupposé que l’évolution théologique depuis le Nouveau
Testament jusqu’à nos jours est un processus d’explication en continu. Matthias Josef
Scheeben, qui n’enseignait pas dans une faculté mais qui donnait des cours au Séminaire de
Cologne, ajoute au premier tome de sa dogmatique un survol de l’histoire de la théologie.
Selon lui, le Nouveau et l’Ancien Testament enseignent la doctrine de la foi d’une manière
narrative et diffuse. Les grands conciles de l’époque patristique expliquent les matières
principales de cette doctrine à travers l’élaboration conceptuelle. Nicée, Ephèse, Chalcédoine
sont les piliers de cette élaboration. À partir du Moyen Age, autant les papes que les conciles
et la théologie tirent au clair les concepts moins centraux, qui sont aussi inclus dans le
patrimoine de la foi. L’enseignement théologique, comme l’évolution de la doctrine proposée
par le magistère, est un processus d’explication linéaire ou, pour ainsi dire, d’une seule
dimension.11 C’est exactement la manière avec laquelle le porte-parole de la commission
théologique explique aux Pères du Premier Concile Vatican l’évolution de la doctrine sur la
primauté et l’infaillibilité de l’évêque de Rome.
La sensibilité historique qui sait valoriser les différentes formes historiques et
culturelles de la foi n’est pas admise dans la Néo-scolastique. D’où selon elle, la voie que
doivent emprunter la théologie et la recherche. Il leur faut tout d’abord partir de
l’enseignement du magistère actuel pour remonter jusqu’à la Bible, car dans le magistère
actuel, on trouve la vérité originaire de la foi dans sa forme la plus explicite. La tâche
fondamentale des théologiens est donc de montrer la consonance, voire l’identité même de la
Voir Matthias Joseph Scheeben, Handbuch der katholischen Dogmatik I: Theologische Erkenntnislehre. 3ème éd.
Martin Grabmann (Gesammelte Schriften III) Freiburg 1959.
11
32
doctrine actuelle avec les diverses instances de la foi telles la Bible, les conciles, la théologie
des Pères. Comme ce travail se fait essentiellement dans les grands traités dogmatiques, il est
évident que les matières annexes comme l’exégèse, l’histoire ecclésiastique, etc., sont des
sciences auxiliaires qui ne participent pas formellement de la prérogative de la théologie
comme telle. Aussi peut-on appliquer dans ces domaines les méthodes modernes de la
critique historique, les méthodes philologiques, etc. pourvu que les résultats ne contredisent
pas la dogmatique. Avec la Néo-scolastique disparaît le pluralisme théologique qui avait
caractérisé le Moyen Age et l’ère baroque. Un esprit d’uniformité et de centralisation
commence à s’imposer. Cela se traduit en particulier par la diffusion des mêmes manuels
partout dans le monde.
Les grands documents romains, qui encadrent et réglementent les facultés
théologiques, sont imprégnés de cette conception théologique. «Deus scientiarum Dominus»
en est un très bel exemple.12 «Dans la faculté de théologie, la théologie sacrée doit obtenir la
première place. Cette discipline doit être enseignée selon la méthode positive et scolastique.
Ainsi, après la présentation des vérités de la foi et leur vérification par la Bible et la tradition,
la nature de ces vérités et leur sens intime doivent être scrutés et présentés selon les principes
et la doctrine de saint Thomas d’Aquin.» Cette conception persiste dans les déclarations de
Pie XII comme dans les écrits de Paul VI.13
Cette vision de la théologie est également dominante en France. Vers les années vingt
du XIXème siècle, un conflit public éclate entre le roi et les évêques au sujet de la formation
des futurs prêtres : cela doit-il se faire à l’université ou dans les séminaires ecclésiastiques ?
En Allemagne, on suit cette discussion avec un oeil critique. Johann Adam Möhler publie des
observations négatives sur la formation cléricale en France et favorise un système plus ouvert
et académique.14 Il caractérise la situation française comme un isolement volontaire de
l’Eglise face aux changements rapides de la société française. Une adaptation au présent, ditil, serait nécessaire pour rejoindre les contemporains: «Die Unangemessenheit desselben [des
Unterrichts für Theologen, P.H.] zu den gegenwärtigen Bedürfnissen überhaupt, und den
Forderungen der Wissenschaft insbesondere ist von Serbet trefflich gezeigt. [...] will
demnach die Kirche der gegenwärtigen Bildung ihr Wesen [...] einprägen, so muss sie von ihr
auch etwas annehmen, die Form nämlich, und kann nicht umhin, sich mit den
wissenschaftlichen Bedürfnissen der Gegenwart zu befreunden.»15 Möhler rejette une
restauration des formes anciennes comme réponse à la crise contemporaine : il faut, écrit-il,
redécouvrir l’idée qui sous-tendait cette forme. C’est cela qui manque souvent dans la
réponse néo-scolastique : «Wer ist denn ein Scholastiker ? Ist es nicht derjenige, der euch nur
Begriffe, Formen und Formeln, seyen es theoretische oder praktische, aber keine Leben giebt
und keinen Geist ? […] So scheint denn die Nothwendigkeit einzuleuchten, daß auf Mittel
gesonnen werden müsse [...] wie zur Klarheit die Tiefe, zur Besonnenheit die Begeisterung,
zu den Formen das Leben gesellet werden könne»16
Voir AAS 23 (1931) 241-262.
Voir l’allocution au séminaristes du 24 juin 1939, AAS 31(1939) 245–251; Humani generis, AAS 42 (1950) 561578.
14 Voir Joachim Köhler, Priesterbild und Priesterausbildung bei Johann Adam Möhler (1796-1838). Ein Kommentar
zu Möhlers kirchengeschichtlicher Antrittsvorlesung „De seminariorum theologicorum origine et progressu“ aus
dem Jahre 1829. In: R.Reinhardt (Hg.), Tübinger Theologen und ihre Theologie: Quellen und Forschungen zur
Geschichte der Katholisch-Theologischen Fakultät Tübingen (Contubernium Bd. 16) Tübingen 1977, 176-180.
15 Johann Adam Möhler, De l’Enseignement de la Philosophie en France, au dix-neuvième siècle, par l’Abbé Bautin,
Professeur de Philosophie à la Faculté des lettres de Strasbourg, docteur en Médecine etc. etc. à Strasbourg, 1833.
Recension dans ThQ16 (1834) 144-146.
16 Johann Adam Möhler, Einige Gedanken über die zu unserer Zeit erfolgte Verminderung der Priester, und damit
12
13
33
Möhler était aussi informé du conflit existant entre l’Etat et l’Eglise aux Pays-Bas au
sujet de la formation philosophique du clergé et il commentera cette situation dans la revue
théologique de Tübingen. Reconnaissant le danger que représentait pour le catholicisme une
philosophie empiriste ou positiviste, il proposait la recherche d’une concordance entre le
catholicisme et la vraie philosophie. Stratégie offensive donc, et de dialogue face à la science
moderne : «Das beste Mittel, schlechte Bücher unschädlich zu machen, besteht darin, daß
man gute schreibt. Wenn die Philosophen und Gelehrten keine Christen werden wollen, so
müssen nur Christen Philosophen und Gelehrte werden. [...] wer eine wissenschaftliche Zeit
und die Wissenschaft selbst gewinnen will, muß Wissenschaft besitzen.»17
Dans la théologie française, la conception néo-scolastique restera en place jusqu’à la
célèbre publication du livre de Chenu: Une école de théologie (Le Saulchoir, 1937). Mais,
cette conception faisait peur aux milieux romains. Au début de l’année 1942, Mgr Pio Parente
la critique sévèrement dans un article de l’Osservatore Romano et Chenu perd sa chaire.
Aussi tard qu’en 1962, des professeurs jésuites d’Espagne publient une Sacrae theologiae
summa, en quatre volumes, présentant des Traités de théologie fondamentale et dogmatique
dans le style classique. Jusque dans les années soixante-dix, cet ouvrage continuera à être
édité.
La théologie néo-scolastique reste ainsi une science uniforme, fondée sur le magistère
romain. Cette conception est parfaitement compatible avec la fondation d’Institutions
spécialisées comme le « Biblicum », l’ «Orientale», qui ne sont pas liées à une faculté de
théoogie. On érige même des facultés d’histoire ecclésiastique, de droit canon, etc. On crée
des doctorats en histoire ecclésiastique, etc.
Si on considère les grands conflits qui ont eu lieu entre le magistère et la théologie en
Allemagne et en Autriche, force est de constater que les racines, je ne dis pas les causes
immédiates, sont toujours les mêmes. Et ces racines, ce sont les conceptions différentes de la
théologie que nous avons vu se mettre en place à partir du XIXème siècle. Cela est vrai pour
les frictions auxquelles ont donné lieu le Syllabus, le Münchner Gelehrtenversammlung, le
modernisme, mais aussi pour les querelles autour de Humani generis de Pie XII.
Je laisse de côté la situation actuelle, cela n’étant pas le thème de notre symposium
Mais, me limitant à la période ici considérée, il ne fait pas de doute que les facultés de
théologie allemandes et autrichiennes ont beaucoup souffert, comme le montrent les
recherches historiques sur l’évolution des différentes disciplines, qui font état de frictions
continuelles, souvent traumatisantes.18
D’autre part, ce n’est pas par hasard que les professeurs de ces mêmes facultés ont
contribué au renouveau théologique de Vatican II.
5. Les facultés allemandes et autrichiennes et leur interaction culturelle
et pastorale
in Verbindung stehende Punkte. ThQ 8 (1826), 441.
17 Johann Adam Möhler, Ein Wort in der Sache des philosophischen Collegiums zu Löwen. ThQ 8(1826), 87-88.
18 Voir Hubert Wolf, Die katholisch-theologischen Disziplinen in Deutschland 1870 – 1962. (Programm und
Wirkungsgeschichte des II. Vatikanums, hrsg. v. Peter Hünermann, Bd. 3) Paderborn, München, Wien, Zürich 1999.
34
L’évolution des facultés de théologie dont nous venons de faire état montre bien que
ces facultés étaient en phase avec le mouvement général de la modernisation des universités
et des sciences. Mais ces facultés devaient par ailleurs faire face à la contestation
d’adversaires académiques qui considéraient qu’elles étaient des corps étrangers dans les
universités. Corps étrangers qui, à leurs yeux, étaient synonymes d’ultramontanisme, d’esprit
rétrograde et de manque de liberté académique. Leur scepticisme rejoignait de fait celui des
catholiques restaurateurs qui eux craignaient une contamination protestante des étudiants et
une perte du « sentire cum ecclesia militante ». Mais, de fait, les facultés réussiront à
s’affirmer comme des lieux propices à un dialogue ouvert mais critique avec les autres
facultés et confessions19. Les facultés étaient conscientes de leur rôle au sein du milieu
académique, de leur devoir de rendre l’Evangile présent au monde intellectuel et culturel
moderne, par leur travail scientifique. Cette conviction trouvera aussi à s’exprimer dans le
grand débat sur le besoin ou non d’une université catholique en Allemagne au milieu du
XIXème siècle. Un groupe de laïques était à l’origine de ce projet. En 1852, le Baron de Buß
publie « Die Reform der katholischen Gelehrtenbildung in Deutschland» et la Conférence
Episcopale discute son plan avec sympathie. Il y a des difficultés politiques, mais il y a aussi
l’opposition de nombreux catholiques, celle, par exemple, de Johann Baptist von Kuhn,
théologien à Tübingen, qui affirme que la pensée catholique ne doit pas se créer en vase clos,
qu’elle doit rester le levain dans la pâte, et qui ne craint pas, pour appuyer son argumentation,
de faire appel à la doctrine de la grâce. Ce débat fera que l’Eglise en Allemagne renoncera à
cette fondation. Vingt-cinq années plus tard, sera créée la Görresgesellschaft, une association
de professeurs catholiques vouée à la promotion du travail scientifique et au soutien des
milieux intellectuels catholiques. Dans la même veine naîtra après la Deuxième Guerre
mondiale la fondation du Cusanuswerk, en vue d’accorder des bourses aux étudiants
catholiques hautement qualifiés. Ce n’est qu’en 1980 que sera fondée l’université catholique
d’Eichstätt, avec l’appui important du gouvernement bavarois.
L’idée que les facultés doivent jouer le rôle de ferment dans l’université, la culture
contemporaine et la société, a donné des fruits multiples. Je me limiterai à en évoquer
quelques-uns ici à titre d’exemples.
Dès le début du XIXème siècle, on assiste à un dialogue permanent entre la théologie
et la philosophie. Qu’il suffise de mentionner ici Staudenmaier et son œuvre sur Hegel20, la
réception critique de Schelling par Kuhn21, etc., jusqu’à Bernhard Welte, l’interlocuteur de
Heidegger, qui, à la demande de celui-ci, célébrera ses funérailles22.
A existé aussi une interaction continuelle entre historiens et théologiens enseignant
l’histoire ecclésiastique. On peut constater la même chose au niveau d’autres sciences
humaines. La recherche sur l’antiquité a été énormément enrichie par la patristique et la
recherche liturgique. La «médiévistique» a profité des grands projets de recherche sur Albert
le Grand, Eckart, Nicolas de Kues.
Voir Sebastian Merkle, Die Theologischen Fakultäten und der religiöse Friede : Vortrag gehalten am 17. Februar
1905 in der Vereinigung für staatswissenschaftliche Fortbildung an der Universität Berlin. Dans: S. Merkle,
Ausgewählte Reden und Aufsätze. Éd. Theobald Freudenberger (Quellen und Forschungen zur Geschichte des
Bistums und Hochstifts Würzburg Bd. 17) Würzburg 1965, 545-559.
20 Franz Anton Staudenmaier, Darstellung und Kritik des Hegelschen Systems, Mainz 1844.
21 Johannes Evangelist Kuhn, Katholische Dogmatik I/1 und 2, Tübingen 1846; Katholische Dogmatik II 1857;
Johannes Evangelist Kuhn, Die Schellingsche Philosophie und ihr Verhältnis zum Christentum. 1. Die negative
Philosophie, ThQ 26(1844), 57-88; 2. Die positive Philosophie, ThQ 26(1844), 179-221; 3. Die Philosophie der
Offenbarung, ThQ 27(1845), 3-39.
22 Bernhard Welte, Religionsphilosophie, Freiburg 1978.
19
35
Déjà au XIXème siècle, la législation sociale a été largement préparée par les travaux
de théologiens comme Franz Hitze23. Après la Deuxième Guerre mondiale, la réorganisation
sociale sera fortement influencée par des professeurs d’éthique sociale chrétienne comme
Oswald von Nell-Breuning et Joseph Höffner24. Dans le domaine de la réforme du système
d’éducation, la théologie a tenu une part considérable.
Que dire du grand débat avec le marxisme porté par des théologiens comme Marcel
Reding, Karl Rahner, Herbert Vorgrimmler et Johann Baptist Metz dans la
Paulusgesellschaft25, débat qui ouvrira les portes à une reconnaissance des éléments
humanistes du marxisme mais, en même temps, à une critique de tous les éléments étouffants
du système.
Il faudrait aussi parler du travail œcuménique des facultés, commencé déjà au début
du XIXème siècle avec la symbolique de Möhler26 et qui conduira aux recherches de Lortz 27
sur Luther et la réforme, et à la fondation, par exemple, du Jäger-Stählin Kreis28 à Paderborn.
Et comment ne pas souligner l’influence de nombreux théologiens sur le mouvement
liturgique et biblique. Ce sont là des mouvements qui ont profondément marqué la vie de foi
des catholiques avant le concile. Enfin, il importe de rappeler le travail que les facultés ont
investi dans la formation des instituteurs et institutrices, enseignants et enseignantes, vicaires
et curés.
Bibliographie
August Boeckh, Enzyklopädie und Methodologie der philologischen Wissenschaften.
(éd.Ernst Bratuschek) Leipzig 1877.
Giancarlo Collet, Katholische Missionswissenschaft. Zwischen kolonialer Ideologie und
theologischem Anspruch, dans Hubert Wolf (éd.), Die katholisch-theologischen Disziplinen
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Wirkungsgeschichte des II. Vatikanums, éd. Peter Hünermann, Bd. 3) Paderborn, München,
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Williges Eckermann, Entwurf einer augustinischen Studienreform aus der Zeit der
Aufklärung, dans Aug.(L) 28 (1978) 353-372.
André Habisch, Christliche Sozialethik im Prozeß gesellschaftlicher Modernisierung, dans
Hubert Wolf (éd.), Die katholisch-theologischen Disziplinen in Deutschland 1870-1962: ihre
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Hünermann, Bd. 3) Paderborn, München, Wien, Zürich 1999, 243-262.
Franz Hitze, Kapital und Arbeit und die Reorganisation der Gesellschaft, Paderborn 1880
Voir Franz Hitze, Kapital und Arbeit und die Reorganisation der Gesellschaft, Paderborn 1880; Franz Hitze, Die
Arbeiterfrage und die Bestrebungen zu ihrer Lösung, Mönchengladbach 1891.
24 Oswald v. Nell-Breuning, Gerechtigkeit und Freiheit. Grundzüge katholischer Soziallehre, München 21985; Joseph
Höffner, Christliche Gesellschaftslehre. Éd. Lothar Roos, Kevelaer 1997; voir aussi la bibliographie de Höffner:
Winfried Weyand, Schriftenvezeichnis Joseph Höffner 1933-1983, Köln 1986.
25 Voir Dokumente der Paulus-Gesellschaft, München 1961ff.
26 Voir Johann Adam Möhler, Symbolik oder Darstellung der dogmatischen Gegensätze der Katholiken und
Protestanten nach ihren öffentlichen Bekenntnisschriften. Mainz 1832.
27 Joseph Lortz, Die Reformation in Deutschland, Freiburg 1939.
28 Voir B. Schwahn, Der Ökumenische Arbeitskreis evangelischer und katholischer Theologen von 1946-1975,
Göttingen 1996.
23
36
Franz Hitze, Die Arbeiterfrage und die Bestrebungen zu ihrer Lösung, Mönchengladbach
1891.
Joseph Höffner, Christliche Gesellschaftslehre. Éd. Lothar Roos, Kevelaer 1997
Peter Hünermann, Theologie als Wissenschaft und ihre Disziplinen. In: Hubert Wolf (ed.),
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Zeitbezug. (Programm und Wirkungsgeschichte des II. Vatikanums, éd. Peter Hünermann,
Bd. 3) Paderborn, München, Wien, Zürich 1999.
Hans-Josef Klauck, Die katholische neutestamentliche Exegese zwischenn Vatikanum I und
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Deutschland 1870 – 1962: ihre Geschichte, ihr Zeitbezug. (Programm und
Wirkungsgeschichte des II. Vatikanums, éd. Peter Hünermann, Bd. 3) Paderborn, München,
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Erich Kleineidam, Universitas Studii Erffordensis IV (Erfurter Theologische Studien 47)
Leipzig 1981.
Joachim Köhler, Priesterbild und Priesterausbildung bei Johann Adam Möhler (1796-1838).
Ein Kommentar zu Möhlers kirchengeschichtlicher Antrittsvorlesung „De seminariorum
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Benedikt Kranemann, Liturgiewissenschaft angesichts der „Zeitenwende“. Die Entwicklung
der theologischen Disziplin zwischen den beiden Vatikanischen Konzilien, dans Hubert Wolf
(éd.) Die katholisch-theologischen Disziplinen in Deutschland 1870-1962: ihre Geschichte,
ihr Zeitbezug. (Programm und Wirkungsgeschichte des II. Vatikanums, éd. Peter
Hünermann, Bd. 3) Paderborn, München, Wien, Zürich 1999, 351-375.
Johannes Evangelist Kuhn, Die Schellingsche Philosophie und ihr Verhältnis zum
Christentum. 1. Die negative Philosophie, ThQ 26(1844), 57-88; 2. Die positive Philosophie,
ThQ 26(1844), 179-221; 3. Die Philosophie der Offenbarung, ThQ 27(1845), 3-39.
Johannes Evangelist Kuhn, Katholische Dogmatik I/1 und 2, Tübingen 1846; Katholische
Dogmatik II 1857.
Joseph Lortz, Die Reformation in Deutschland, Freiburg 1939.
Sebastian Merkle , Die Theologischen Fakultäten und der religiöse Friede : Vortrag gehalten
am 17. Februar 1905 in der Vereinigung für staatswissenschaftliche Fortbildung an der
Universität Berlin. In: Ders., Ausgewählte Reden und Aufsätze. Éd. Theobald Freudenberger
(Quellen und Forschungen zur Geschichte des Bistums und Hochstifts Würzburg Bd. 17)
Würzburg 1965, 545-573.
Johann Adam Möhler, Die Einheit in der Kirche oder das Prinzip des Katholizismus
dargestellt im Geiste der Kirchenväter der drei ersten Jahrhunderte, Tübingen 1825.
Johann Adam Möhler, Einige Gedanken über die zu unserer Zeit erfolgte Verminderung der
Priester, und damit in Verbindung stehende Punkte. ThQ 8 (1826), 414-451.
Johann Adam Möhler, Ein Wort in der Sache des philosophischen Collegiums zu Löwen.
ThQ 8(1826), 77-110.
Johann Adam Möhler, Symbolik oder Darstellung der dogmatischen Gegensätze der
Katholiken und Protestanten nach ihren öffentlichen Bekenntnisschriften. Mainz 1832.
Johann Adam Möhler, De l’Enseignement de la Philosophie en France, au dix neuvième
siècle, par l’Abbé Bautin, Professeur de Philosophie à la Faculté des lettres de Strasbourg,
docteur en Médecine etc. etc. à Strasbourg, 1833. Recension dans ThQ16 (1834) 137-152.
Heinz Mussinghoff, Theologische Fakultäten im Spannungsfeld von Staat und Kirche
(Veröffentlichungen der Kommission für Zeitgeschichte, Reihe B: Forschungen, Bd. 27)
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37
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Friedrich Paulsen, Geschichte des gelehrten Unterrichts auf den deutschen Schulen vom
Ausgang des Mittelalters bis zur Gegenwart. Mit besonderer Rücksicht auf den klassischen
Unterricht. 2. Bd., 3. erw. Aufl. Leipzig 1921.
Henning Graf Reventlow, Katholische Exegese des Alten Testaments zwischen den
Vatikanischen Konzilien, dans Hubert Wolf (éd.), Die katholisch-theologischen Disziplinen
in Deutschland 1870 – 1962: ihre Geschichte, ihr Zeitbezug. (Programm und
Wirkungsgeschichte des II. Vatikanums, éd. Peter Hünermann, Bd. 3) Paderborn, München,
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Matthias Joseph Scheeben, Handbuch der katholischen Dogmatik. Erstes Buch: Theologische
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Augustin Theiner, Geschichte der geistlichen Bildungsanstalten. Mit einem Vorworte,
enthaltend: Acht Tage im Seminar zu St. Euseb in Rom. Mainz 1835.
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Bernhard Joseph Welte, Religionsphilosophie, Freiburg 1978.
Hubert Wolf (éd.), Die katholisch-theologischen Disziplinen in Deutschland 1870 – 1962:
ihre Geschichte, ihr Zeitbezug. (Programm und Wirkungsgeschichte des II. Vatikanums, éd.
Peter Hünermann, Bd. 3) Paderborn, München, Wien, Zürich 1999.
Norbert Wolff, Peter Alois Gratz (1769-1849). Ein Theologe zwischen „falscher Aufklärung“
und „Obskurantismus“ (Trierer Theologische Studien 61) Trier 1998.
38
L’UNIVERSITA CATTOLICA DI MILANO: IL PROGETTO DI PADRE GEMELLI
Prof. Maria BOCCI,
Università Cattolica del Sacro Cuore, Milano, Italia.
Fino a non molto tempo fa, se si escludono gli importanti contributi di Giorgio Rumi1
e gli accenni di Nicola Raponi nella sede dei dizionari storici2, non si può certo dire che
l’impresa messa in campo da padre Agostino Gemelli sia stata fatta oggetto dell’attenzione
degli storici. E’ anzi successo che, nonostante il materiale documentario conservato
dall’Università e le innumerevoli pubblicazioni sfornate sin dalle origini a ritmo battente
dall’editrice Vita e Pensiero, le caratteristiche e le vicende di quella che per molti versi si
può considerare la «creatura» di padre Gemelli sono state emarginate dal novero dei soggetti
storicamente rilevanti, restando confinate o nel campo dell’apologetica o in quello,
altrettanto distorcente, della polemica politica. Eppure da tempo Rumi aveva rilevato
l’opportunità di sottoporre ad attenta indagine un’impresa tanto singolare e, nel panorama
italiano, pressoché unica, indicando opportune linee interpretative che avrebbero dovuto
presiedere a una rivisitazione del progetto gemelliano libera da impacci celebrativi o da
interessi pratico-partitici. Gli studiosi che si sono confrontati con l’Università milanese
hanno invece ampiamente risentito di impulsi politici attualizzanti, producendo lavori
essenzialmente incentrati su quella che sarebbe una «sequenza obbligata volonterosamente
costruita tra l’impegno patriottico del francescano nella Grande Guerra e la “collaborazione”
col Regime»3. In sostanza Renato Moro, nel volume dedicato alla formazione della classe
dirigente cattolica e concentrato sulla Federazione Universitaria guidata da Igino Righetti e
da Giovanni Battista Montini, sembra aver pronunciato un giudizio definitivo, che
squalificherebbe il progetto gemelliano: «Il ruolo formativo dell’Università Cattolica –
scrive Moro - era stato profondamente condizionato dai limiti politici lungo i quali l’ipotesi
gemelliana si era mossa negli anni Trenta e cioè dal rapporto stretto con il regime e dal
tentativo di “cattolicizzazione” di esso»4. A questa stregua, a poco servirebbe riservare uno
spazio di indagine alle caratteristiche impresse dall’ateneo milanese alla frangia della futura
classe dirigente educata sotto i suoi portici, se non per sottolineare le collusioni perduranti
col regime e la tabe fascista che connoterebbe indelebilmente il disegno del primo rettore5.
G. R UMI, Padre Gemelli e l’Università Cattolica , in Modernismo, fascismo, comunismo. Aspetti e figure della cultura e della politica
dei cattolici nel ’900 , a cura di G. Rossini, Bologna, Il Mulino, 1972, pp. 151-179; ID., Dalle carte di Armida Barelli. L’
«immensa opera» di una donna ambrosiana, in Milano cattolica nell’Italia unita, Milano, NED, 1983, pp. 209-238; ID., «Il vero
rettore». Spiritualità del S. Cuore e Università Cattolica, in Lombardia guelfa 1780-1980, Brescia, Morcelliana, 1988, pp. 197211; ID., Il cuore del Re. Spiritualità e progetto da Benedetto XV a Pio XI, in Santità sociale in Italia fra Otto e Novecento, Torino,
SEI, 1995, pp. 23-38.
2 N. R APONI, Università Cattolica, in Dizionario storico del movimento cattolico in Italia. 1860-1980 , diretto da F. Traniello e
G. Campanini, I/1, I fatti e le idee, Torino, Marietti, 1981, pp. 264-272. Si veda anche ID ., Gemelli, Agostino, in
Dizionario Biografico degli Italiani, vol. LIII, Roma, Istituto della Enciclopedia Italiana fondata da Giovanni Treccani,
1999, pp. 26-36.
3 G. R UMI, Padre Gemelli e l’Università Cattolica tra storia e storiografia
, in L’Università Cattolica a 75 anni dalla fondazione.
Riflessioni sul passato e prospettive per il futuro. Atti del 65° corso di aggiornamento culturale dell’Università Cattolica,
Milano, 30 gennaio – 1° febbraio 1997, Milano, Vita e Pensiero, 1998, p. 49. Si veda anche M. TRUFFELLI,
L’Università Cattolica del Sacro Cuore nella storiografia italiana, in «Rivista di storia della Chiesa in Italia», L (1996), 2, pp.
434-488.
4 R. M ORO, La formazione della classe dirigente cattolica (1929-1937) , Bologna, Il Mulino, 1979, p. 18. A detta di Moro, per
Gemelli la «soluzione cattolica» si identificherebbe con un fascismo cattolicizzato (ibidem, p. 427).
5 In questo senso si vedano anche R. A. W EBSTER, La croce e i fasci. Cattolici e fascismo in Italia , Milano, Feltrinelli, 1964;
F. SCHIANCHI, La Università Cattolica del Sacro Cuore, Milano, Mazzotta, 1974; P. RANFAGNI, I clerico-fascisti. Le riviste
dell’Università Cattolica negli anni del regime, Firenze, Cooperativa Editrice Universitaria, 1975; G. P. OPPEZZO, Le riviste
dell’Università Cattolica, in Cultura politica e partiti nell’età della Costituente, tomo I, L’area liberal-democratica. Il mondo cattolico e
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Anche la biografia dedicata da Giorgio Cosmacini al fondatore della Cattolica6, per quanto
abbia emancipato da una lunga dimenticanza il caso del rettore e della «sua» Università,
delineando in pagine davvero notevoli il Gemelli medico e scienziato, non si è poi saputa
sottrarre alla tentazione di ingigantire quelli che a molti sembrano i caratteri meno
confessabili dell’opera dell’impetuoso francescano, finendo però per deformare la figura del
Gemelli rettore e specialmente la specificità del suo complesso progetto. Certamente chi
voglia affrontare la storia dei primi decenni dell’Università milanese deve interrogarsi sul
problema del fascismo; l’analisi richiede però necessari riscontri archivistici e documentari,
di cui la ricostruzione di Cosmacini è pericolosamente sfornita. Peraltro l’urgenza di
disegnare gli imponenti contorni di un rettore «fascistissimo» - che per lo studioso sarebbe
rimasto tale anche dopo la caduta del regime7 - ha impedito a Cosmacini di mettere in luce la
portata dell’impresa gemelliana, in realtà non del tutto appiattita sul fascismo e certamente
non in ritardo con gli appunti della storia, compresi il luglio 1943 e l’aprile 1945.
Solo ultimamente, sollecitati dai settantacinque anni dell’ateneo milanese, un gruppo
di studiosi appartenenti a diverse discipline ha contribuito a un volume che affronta diversi
aspetti dell’ormai lunga vita dell’Università del Sacro Cuore. Siamo però ancora nel campo
delle «riflessioni sul passato» e delle «prospettive per il futuro»8, che certamente additano
strade percorribili, ma che ancora non costituiscono una vera e propria storia dell’ateneo. In
ogni caso la vistosa lacuna storiografica, riconducibile a quelli che, specie a storici di parte
cattolica, appaiono i lati scomodi di un rettore improponibile in un contesto politico
democratico e nella nuova temperie postconciliare, ha pesato sul passato dell’Università e
probabilmente sulla sua stessa identità, finendo per condizionare la percezione del proprio
vissuto di coloro che della storia della Cattolica hanno fatto parte. Opportuni, allora, i
contributi, liberi da presupposti ideologici, che possono illuminare le vicende dell’Università
e il progetto che – perlomeno durante il rettorato di Gemelli – le è stato affidato, da rivedere
certamente nel paragone col contesto politico, ma pure da ripensare per la sua intrinseca
valenza, dovuta non soltanto alle successive emergenze politiche, ma anche alla peculiare
spiritualità che ispirava l’operato dei fondatori e alle preferenze scientifiche e dottrinali che
sin dalle origini l’hanno improntato9.
Un «gran corpo con piccolissima testa»10: così, all’inizio degli anni Venti, padre
Agostino Gemelli definiva il cattolicesimo italiano, pensando alla lunga storia di un
movimento cattolico che aveva saputo dare molteplici esperienze associative, ma che
la Democrazia Cristiana, a cura di R. Ruffilli, Bologna, Il Mulino, 1979, pp. 363-424; L. MANGONI, L’Università cattolica.
Una risposta della cultura cattolica alla laicizzazione dell’insegnamento superiore, in Storia d’Italia. Annali, IX, La Chiesa e il potere
politico dal Medioevo all’età contemporanea, a cura di G. Chittolini e G. Miccoli, Torino, Einaudi, 1986, pp. 977-1014; M.
FRANZINELLI, Padre Gemelli per la guerra, Ragusa, La Fiaccola, 1989.
6 G. COSMACINI, Gemelli. Il Machiavelli di Dio, Milano, Rizzoli, 1985.
7 L’atteggiamento del rettore verso il fascismo sarebbe per Cosmacini oscillato «tra un interessamento partecipe e un
fervoroso consenso». Nell’elaborazione culturale di Gemelli cattolicesimo e fascismo sarebbero anzi
«complementari». Sul finire degli anni Trenta, inoltre, la «tendenza oltranzista [di Gemelli], più che essere
ultracattolica, appar[irebbe] pigmentata di nero fascismo», tanto che lo stesso rettore sarebbe stato «tra coloro che
ved[evano] possibile una via d’uscita fascista dal lungo viaggio attraverso il fascismo» (ibidem, p. 213, p. 233 e p. 243).
8 L’Università Cattolica a 75 anni dalla fondazione. Riflessioni sul passato e prospettive per il futuro, cit.
9 Rumi auspica appunto una «storiografia finalmente libera dagli impacci derivanti dall’ansia di rimuovere la colpa
oscura dei compromessi col Regime o di contrastare le contaminazioni col potere democristiano» (Padre Gemelli e
l’Università Cattolica tra storia e storiografia, cit., p. 55).
10 La frase di Gemelli è riportata in una lettera indirizzata da Arturo Carlo Jemolo al rettore il 7 dicembre 1949:
«Quanto alle masse cattoliche – rammentava Jemolo – ricordo che circa un quarto di secolo fa udii dalle Sue labbra
un paragone molto sapido tra cattolicesimo politico francese ed italiano: il primo una gran testa senza corpo, il
secondo un gran corpo con piccolissima testa» (Archivio dell’Università Cattolica del Sacro Cuore, Milano, Fondo
Agostino Gemelli, Corrispondenza, b. 220, f. 384, c. 2811).
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sembrava pericolosamente sfornito sul lato dell’elaborazione culturale. Assorbendo
dall’amico Giuseppe Toniolo l’amarezza difficilmente assimilabile suscitata dalle critiche
indirizzate dal congresso internazionale di Friburgo agli intellettuali cattolici italiani11,
Gemelli ripensava criticamente alla storia del cattolicesimo organizzato, mettendo a
confronto la fecondità culturale del cattolicesimo francese – che pure gli sembrava privo di
un «corpo» in cui le elaborazioni dei vertici potessero essere capillarmente diffuse – e le
capacità associative del vecchio movimento cattolico legato all’italiana e intransigente Opera
dei congressi, un tronco massiccio da cui erano germinati innumerevoli polloni, ma al tempo
stesso un «corpo» che ancora mancava di menti capaci di indirizzare le masse cattoliche, non
soltanto alla conquista della società civile, ma pure a un fertile incontro tra prospettiva
religiosa e cultura moderna. Certo, il panorama cattolico nazionale, per opera dello stesso
intransigentismo, era stato connotato da uno sforzo notevole nel campo dell’istruzione
confessionale, indirizzato soprattutto a sottrarre la gioventù italiana alla formazione laicistica
che imperava nelle scuole di Stato. Il fervore educativo che da sempre caratterizzava la storia
dell’associazionismo cattolico non era però approdato - a differenza di quanto era successo
all’estero - a iniziative che mirassero a conferire ispirazione cattolica agli studi di livello più
elevato. Anche perché le riflessioni che tra Otto e Novecento avevano impegnato una parte
degli intellettuali cattolici non avevano saputo superare il dilemma del confronto con la
modernità, dando spazio in certi casi a vie d’uscita eterodosse e in altri a dure reazioni di
segno opposto, che lasciavano però irrisolto il problema del rapporto che doveva sussistere
fra pensiero cattolico e mondo moderno.
Se la crisi modernista aveva funzionato da blocco frenante la maturazione della
cultura cattolica italiana, Gemelli, che da neo-professo francescano aveva vissuto nel
convento di Dongo una breve sbandata modernista12, da tempo si stava interrogando
sull’inquietante interrogativo lasciato aperto dal paragone fra cattolicesimo e cultura
moderna, e specialmente sulla difficile connessione da istituirsi tra sapere scientifico e
appartenenza religiosa. Il giovane frate psicologo, che poteva vantare un curriculum
scientifico piuttosto notevole e che viveva in prima persona il problema di conciliare la
specializzazione acquisita alla scuola di Camillo Golgi e nelle università italiane e straniere
con la conversione al cattolicesimo e con una scelta francescana maturata piuttosto
repentinamente, si faceva dunque carico delle ansie culturali che albergavano in seno al
cattolicesimo organizzato sin dal congresso di Venezia del 187413 e soprattutto del problema
di svecchiare la cultura cattolica italiana, cui era sensibilissimo per il fatto che il suo
temperamento intrecciava inestricabilmente una vocazione religiosa senza dubbi e senza
ripensamenti e una passione scientifica altrettanto inestirpabile. Il futuro rettore del resto
ereditava un’esigenza assai sentita dalla generazione che si era formata nel clima di
Come ha scritto Nicola Raponi, durante il congresso internazionale degli scienziati cattolici svoltosi a Friburgo
nell’agosto 1897 «si erano levate delle gravi e pesanti accuse alla cultura cattolica italiana», che sottolineavano la
«modestia degli studi cattolici in Italia» e la mancanza di un’alta scuola di studi e di pubblicazioni scientifiche
rilevanti. Al congresso erano presenti alcuni italiani - tra cui Achille Ratti, Giovanni Semeria, Salvatore Minocchi e
Giuseppe Toniolo -, dolorosamente impressionati dalle critiche e riunitisi in adunanza separata per discutere sulla
necessità di far progredire gli studi tra i cattolici italiani e sull’opportunità di istituire un ateneo cattolico (N. RAPONI,
Le origini e la preparazione. L’idea e il progetto di Università Cattolica tra Ottocento e Novecento, in L’Università Cattolica a 75 anni
dalla fondazione, cit., pp. 31-32).
12 La «tentazione modernista» era stata vissuta dal futuro rettore Agostino Gemelli - al secolo un brillantissimo
Edoardo laureato in medicina nell’Università di Pavia alla scuola del premio Nobel Camillo Golgi - come tensione
fra i principi di una filosofia della religione intenta ad assimilare la scienza moderna e i problemi emergenti dalla
sfera scientifica, in particolare dall’evoluzionismo e dalla nuova biologia vitalista (G. COSMACINI, Gemelli, cit., pp. 8389).
13 In quella occasione i cattolici intransigenti avevano appunto auspicato la creazione di un ateneo confessionale. Si
veda N. RAPONI¸ Università Cattolica, cit., p. 264.
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imperante positivismo di fine Ottocento, senza trovarvi una solida base per lo sviluppo della
propria personalità e per la costruzione di un edificio scientifico che tenesse conto non
soltanto del vulnerabile dato «positivo»14. Lo confessava lo stesso francescano in un articolotestimonianza in cui tracciava il proprio percorso culturale e spirituale, iniziato con lo
scientismo positivista della Facoltà di medicina pavese, continuato con la «tortura» per i
«problemi massimi» cui il positivismo non forniva alcuna risposta, rinsaldato dal bisogno di
intravedere un «principio di unità» che rinvigorisse dall’interno il sapere accumulato dal
giovane scienziato e infine approdato a una dottrina - quella che faceva capo al dottore
medioevale - che gli sembrava poter dare «reale» fondamento alla conoscenza. L’incontro
con Tommaso e il ripensamento delle acquisizioni scientifiche alla luce del «realismo»
medioevale avevano pacificato le due urgenze peculiari alla vocazione gemelliana, quella per
una fede davvero integrale e quella per una conoscenza propriamente scientifica. Ne
discendeva una «cultura organica» che superava l’ «erudizione del vocabolario» essendo il
frutto, non dell’accostamento meccanico e «atomistico» di diverse discipline – peccato
d’origine individuato da Gemelli nell’approccio moderno al problema della conoscenza –, ma
dell’organico contemperamento tra i diversi saperi attorno a un centro vivificante. A giudizio
del futuro «rettore a vita» dell’ateneo milanese, era questo l’unico modo non soltanto per
salvare la fede, ma pure per acquisire definitivamente i risultati della ricerca scientifica,
rianimando con nuova linfa l’arido abito mentale contemporaneo e allo stesso tempo
rileggendo la scolastica in funzione di esigenze tutte moderne, quasi fosse un ordito
trascendente capace di assimilare nel proprio orizzonte i «germi di vero» presenti nel
pensiero post-cartesiano e le valenze positive del progresso scientifico e tecnologico. Dare
un’ «anima»15 alla cultura moderna era insomma il compito che Gemelli si addossava,
facendone anzi l’obiettivo dell’Università che si apprestava a mettere in campo. L’incontro
con il cardinale Mercier rafforzava le sue propensioni, convincendolo dell’opportunità di
fondare un istituto superiore di studi che, su modello di quello di Lovanio, desse impulso al
sapere scientifico coltivato in campo cattolico, collegando le scienze umane-naturali al sapere
teologico attraverso la filosofia neoscolastica e la sua capacità di armonizzare i progressi
delle prime con la perennità del secondo16.
Per Cosmacini il rettore della Cattolica rimaneva un «uomo di scienza deluso dalla filosofia monista, ma che
continua[va] ad amare la scienza di vero amore e a cercare per essa un’àncora di salvezza, un nuovo ancoraggio
filosofico, non vulnerabile come il materialismo haeckeliano» (Gemelli, cit., p. 47).
15 «Vita e Pensiero», 20 aprile 1919, Cultura è religione , di A. Gemelli. Si veda anche il noto articolo Medioevalismo, sorta
di «manifesto» programmatico di «Vita e Pensiero», apparso sul primo numero del periodico in data 1° dicembre
1914 e firmato dallo stesso Gemelli. Il gruppo che Gemelli aveva costituito, e che era composto da suoi strettissimi
collaboratori (come Francesco Olgiati, Armida Barelli e l’antico compagno di studi Ludovico Necchi), si indirizzava
a creare un «movimento medioevalista nella sostanza» ma «modernissimo nella forma» («Civitas», 16 gennaio 1924,
Gli obiettivi del movimento neo-scolastico, di A. Gemelli), con l’intenzione, non di sottrarsi al fascino che il rettore della
Cattolica avrebbe sempre nutrito nei confronti della modernità, né di contrabbandare una dottrina superata
attraverso un travestimento sensibile ai dettami dell’ultima moda culturale, ma di «tornare all’antico per tornare al
moderno», dove per moderno si intendeva una «modalità di presenza disinvolta e sanguigna nei punti vitali della
società». Se dunque il relativismo post-medioevale e l’ «antropologia borghese» - agnostica sul terreno della religione
e fautrice di una deprecabile ingiustizia nel campo dei rapporti sociali - incorrevano nella condanna dei
medioevalisti, ciò non significava che i promotori dell’ateneo del Sacro Cuore rinnegassero in tutto e per tutto i
lasciti positivi individuabili nella modernità. L’ «innesto tecnologico» sembrava ad esempio indispensabile anche ai
fini del «disegno di neosacralizzazione della società» perseguito con convinzione dall’Università milanese (A.
FERRARI, La civiltà industriale. Colpa e redenzione. Aspetti della cultura sociale in età degasperiana, Brescia, Morcelliana, 1984,
pp. 37-39). Sull’argomento si veda anche A. GIOVAGNOLI, Le premesse della ricostruzione. Tradizione e modernità nella classe
dirigente cattolica del dopoguerra, Milano, Nuovo Istituto Editoriale Italiano, 1982, pp. 91 ss.
16 G. C OSMACINI, Gemelli, cit., p. 103. Si veda anche
C. V ASOLI, I neoscolastici e la cultura italiana , in «Itinerari», IV
(1956), 19, pp. 118-133.
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Le prime pietre dell’edificio universitario sarebbero state poste alle soglie del conflitto
mondiale, con la Società italiana per gli studi filosofici e psicologici, con la «Rivista di
filosofia neoscolastica»17 e con «Vita e Pensiero». La guerra, prova tragicamente palpabile
del fallimento della civiltà moderna, doveva accelerare i tempi, ponendo le premesse per il
superamento della frattura creatasi alle origini della storia unitaria tra specificità religiosa e
cittadinanza politica, e allo stesso tempo radicalizzando le scelte di Gemelli e dei suoi
collaboratori. La «conciliazione in grigio-verde»18, in effetti, dava modo al francescano di
svolgere un ruolo di primo piano come capitano medico presso il Comando Supremo,
osservatorio di eccezione che gli permetteva di interloquire attivamente con la costruzione di
quella rinnovata identità patriottica di cui l’esercito italiano sembrava avere davvero bisogno.
La riscoperta dei connotati cristiani dell’identità nazionale, rinnegati dopo il crollo del sogno
neoguelfo al prezzo di una sconfessione che aveva negativamente pesato sul sentimento di
appartenenza alla casa comune di moltissimi italiani19, appariva il passo necessario da
compiere sulla strada del rafforzamento di una «nazione» il cui contenuto era stato
specialmente culturale e religioso. Il conflitto veniva dunque interpretato da Gemelli non
soltanto come «castigo divino» comminato a popoli dimentichi del vero Dio, ma anche come
provvidenziale occasione per ridefinire gli ingredienti del sentire nazionale, riavvicinando le
masse impegnate nello sforzo bellico alle radici religiose della «nazione» italiana e
conferendo un contenuto cristiano all’involucro politico risorgimentale, sino ad allora
mancante di un’ispirazione francamente cattolica. Si spiega così l’intensa attività promossa
dal gruppo milanese a favore della consacrazione dell’esercito italiano al Sacro Cuore20, una
devozione che Gemelli sceglieva perché gli sembrava particolarmente adatta a coinvolgere
affettivamente l’uomo moderno e a dettare i principi ispiratori del «nuovo ordine»
postbellico. Soprattutto, si trattava di porre su fondamenta rinnovate lo Stato italiano.
Traguardo, quest’ultimo, che il gruppo di Gemelli perseguiva con ostinazione, intendendo
sottrarre l’organismo statuale all’originaria ispirazione liberale per dotarlo di nuovi punti di
riferimento desumibili, senza mediazioni di sorta, dal «codice sociale» del Vangelo. La
fondazione di un ateneo cattolico si inseriva in tale prospettiva, dovendo assolvere all’ufficio
– stabilito dai suoi promotori – di formare una classe dirigente nazionale molto diversa da
quella che fino ad allora aveva governato il paese.
Pertanto Gemelli raccoglieva il lascito di Giuseppe Toniolo che nel 1918, sul letto di
morte, gli aveva affidato la realizzazione del progetto a lungo coltivato in campo cattolico21.
Nel 1919 il futuro rettore, in sintonia con il cardinale di Milano Andrea Carlo Ferrari,
convocava un comitato promotore che era formato dai compagni di sempre – in primis
Francesco Olgiati22 e Armida Barelli 23 - e da Filippo Meda, avvocato che poteva seguire con
M. M ANGIAGALLI, La «Rivista di Filosofia neo-scolastica» (1909-1959) , I, Il movimento neoscolastico e la fondazione della
Rivista, II, La riflessione filosofica dalle pagine della Rivista, Milano, Vita e Pensiero, 1991.
18 Per l’approccio cattolico al conflitto e per una lettura della prima guerra mondiale come tappa decisiva nel
percorso verso la pacificazione di Stato e Chiesa , si vedano G. DE R OSA , I cattolici, in Il trauma dell’intervento:
1914/1919, Firenze, Vallecchi, 1968, pp. 165-201, e L. BRUTI L IBERATI , Il clero italiano nella grande guerra, Roma,
Editori Riuniti, 1982.
19 Si veda G. RUMI, Gioberti, Bologna, Il Mulino, 1999.
20 Per la consacrazione dei soldati italiani al Sacro Cuore si fa riferimento a
G. R UMI, Profilo culturale della diocesi
ambrosiana fra le due guerre, in Chiesa, Azione Cattolica e fascismo nell’Italia settentrionale durante il pontificato di Pio XI (19221939). Atti del quinto Convegno di storia della Chiesa, Torreglia, 25-27 marzo 1977, a cura di P. Pecorari, Milano,
Vita e Pensiero, 1979, pp. 330-332, e a R. MOROZZO DELLA ROCCA, La fede e la guerra. Cappellani militari e preti-soldati
(1915-1919), Roma, Studium, 1980, pp. 201-210.
21 N. R APONI, Toniolo e la preistoria dell’Università Cattolica , in «Bollettino dell’Archivio per la storia del movimento
sociale cattolico in Italia», XX (1985), 2, pp. 248-283.
22 Francesco Olgiati nel I centenario della nascita, Milano, Vita e Pensiero, 1986.
23 Armida Barelli nella società italiana , Milano, Opera della Regalità, 1983, e
L’opera di Armida Barelli nella Chiesa e nella
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la necessaria competenza le questioni legali connesse alla fondazione dell’ateneo. L’obiettivo
era quello di conseguire il riconoscimento giuridico ed ecclesiale. A tal fine veniva creato
l’Istituto G. Toniolo di studi superiori, che doveva diventare l’ente morale promotore
dell’ateneo cattolico. In effetti il Toniolo otteneva per il proprio statuto l’approvazione del R.
D. 24 giugno 1920, firmato dal ministro della Pubblica Istruzione Benedetto Croce nella
convinzione che la concorrenza di un ateneo privato avrebbe potuto rivitalizzare
un’istruzione pubblica per molti versi sclerotizzata e inaridita. Anche dalla Santa Sede
sarebbe giunta ben presto l’attesa approvazione: il breve Cum semper che Benedetto X V
siglava nel 192124 segnava il vincolo – da allora molto solido – che avrebbe collegato
l’ateneo intitolato al Sacro Cuore al pontefice romano. I consensi delle gerarchie
ecclesiastiche si dovevano probabilmente anche alla considerazione che in un dopoguerra
dilaniato da opposti estremismi e da una crisi dello Stato liberale che appariva irreversibile
fosse necessario dotare il mondo cattolico italiano di nuovi strumenti non solo politici, ma
anche e soprattutto culturali, che permettessero di porre in essere un progetto alternativo e
capace di superare pericolose emergenze sociali, realizzando in un futuro più o meno lontano
una compagine politica non conquistabile da violente sopraffazioni. La vecchia classe
dirigente liberale sembrava del tutto inadeguata a far fronte ai problemi del «biennio rosso»,
apparendo anzi – nell’opinione cattolica – responsabile del possibile epilogo dittatoriale, di
destra o di sinistra che fosse. Un sistema incentrato sull’individualismo si orientava infatti
fatalmente o verso l’anarchia rivoluzionaria o verso l’assolutismo politico, esito inevitabile
del continuo alternarsi di «reazione e demagogia» che sarebbe stato superato dallo «Stato
onnipotente». Al gruppo di Gemelli la crisi liberale pareva inevitabile date le errate premesse
dottrinali e l’instabilità sociale che ne derivava, la quale lasciava dolorosamente presupporre
sgradite involuzioni autoritarie. Dunque il fallimento dell’Italia liberale, prossima a
soccombere perché incapace di opporsi alla rivoluzione di sinistra e alla reazione di destra,
non trovando in se stessa le forze morali e materiali per rigenerarsi, induceva l’ateneo
milanese a mobilitarsi per predisporre uno Stato fondato su qualcosa di diverso dal
contrattualismo liberale e per inserire nell’involucro statuale una sostanza vitalmente
cristiana25.
L’Università cattolica, ufficialmente inaugurata il 7 dicembre 1921 alla presenza del
cardinale Achille Ratti e del segretario del Partito popolare don Luigi Sturzo, incominciava
pertanto la sua vita appropriandosi sia della tradizionale richiesta, alimentata dal
cattolicesimo organizzato, della libertà di insegnamento, sia dell’altrettanto tradizionale
critica antiliberale che aveva contrassegnato l’intransigentismo cattolico. Se al momento della
fondazione l’antiliberalismo veniva temporaneamente accantonato, tale tendenza rimaneva
però un punto fermo nel patrimonio culturale dei promotori dell’ateneo, riemerso poi con una
certa irruenza nel momento più cruciale della crisi liberale. In sostanza lo Stato liberale
continuava a non piacere perché i suoi costruttori gli avevano conferito un carattere agnostico
e anticlericale e soprattutto per i connotati sociali, economici e politici di cui aveva dotato
l’Italia unita. Specialmente le sperequazioni sociali provocate dal sistema liberale si
guadagnavano il biasimo dei promotori dell’Università, il cui obiettivo non era
semplicemente quello di migliorare una costruzione che, per le sue intime e connaturate
contraddizioni, sembrava destinata a scomparire. Non si trattava cioè di salvare quel «vecchio
gottoso e decrepito» che era lo Stato liberale, bensì di affrettarne la fine, per edificare, sulle
sue spoglie, un organismo statuale il cui contenuto cristiano doveva essere ben distinguibile
società del suo tempo, Roma, AVE, 1983.
24 G. RUMI, Santità sociale in Italia tra Otto e Novecento, cit., pp. 39-45.
25 Si rimanda a M. B OCCI, Oltre lo Stato liberale. Ipotesi su politica e società nel dibattito cattolico tra fascismo e democrazia
Roma, Bulzoni, 1999, pp. 54 ss.
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per assetti economici e sociali modellati sulla base della giustizia evangelica. Proprio per
questo il gruppo del nascente ateneo accettava solo parzialmente la prospettiva di don Sturzo,
scorgendo in essa l’intempestivo tentativo di ridar vita a un organismo che era destinato a
morte certa26. L’auspicio era invece quello di una trasformazione radicale, che sostituisse alla
compagine liberale uno Stato, non nella forma, ma nella sostanza, integralmente cattolico. La
creazione di un ateneo cattolico si configurava allora come una tappa intermedia e
indispensabile per rimpiazzare la vecchia classe dirigente liberale con quadri rinnovati, che si
facessero carico del difficile compito di rifondare lo Stato italiano su basi ben più solide di
quelle, incerte e malsicure, su cui i vecchi padroni della politica nazionale l’avevano
poggiato. L’ateneo milanese sarebbe insomma divenuto il crogiuolo di una «élite culturale,
sociale e religiosa» capace di guidare la rinascita cristiana della società e di dirigere la
nazione27.
L’Università di Gemelli nasceva dunque con la dichiarata intenzione di interloquire
attivamente nella crisi del primo dopoguerra: una scuola di alto livello, integralmente
cattolica tanto da intitolarsi – a dispetto degli ostacoli che ne potevano venire al
riconoscimento giuridico - a quel Sacro Cuore che doveva fungere da immancabile punto di
riferimento per la ricostruzione del paese, avrebbe predisposto sia il progetto di uno «Stato
nuovo», delineato in base a coordinate attinte alla «perenne dottrina» tomista, sia una
generazione di giovani preparati e competenti che quel progetto ponessero concretamente in
essere per dare definitiva soluzione ai problemi che angustiavano la vita italiana. Non era
cioè soltanto la preparazione di tecnici e professionisti che stava a cuore al gruppo di
Gemelli: quei tecnici delle scienze sociali e quei professionisti del diritto e della politica
avrebbero dovuto apprendere dai loro colleghi filosofi28 quali dovevano essere le coordinate e
i fini di una struttura statuale funzionante, col compito poi di dare ad essa effettiva attuazione
nella compagine italiana, sottraendola all’instabilità del «biennio rosso» e ai pericoli di
un’involuzione autoritaria. Le Facoltà di scienze sociali e filosofia29, Lettere e Magistero,
ristrutturate poi in Facoltà di giurisprudenza, Lettere e filosofia, Scienze economiche e sociali
e Magistero, avrebbero appunto funzionato da vivaio di giovani pronti ad essere lanciati alla
conquista delle professioni e dei posti chiave nella formazione delle coscienze e attrezzati per
scalare tutte le tappe della grande politica nazionale.
Il vecchio disegno intransigente, che aveva previsto un’università cattolica quale
fulcro e simbolo della libertà d’insegnamento, si coloriva allora di nuovi attributi, che
Si veda la polemica suscitata da Gemelli e da Olgiati con l’opuscolo pubblicato da Vita e Pensiero nel 1919 e
intitolato Il programma del Partito Popolare Italiano. Come non è e come dovrebbe essere, di cui danno conto A. MAJO, L’anima
cristiana del Partito Popolare. Una polemica stimolante, Milano, NED, 1980, G. VECCHIO , I cattolici milanesi e la politica.
L’esperienza del Partito Popolare. 1919-1926, Milano, Vita e Pensiero, 1982, pp. 45 ss., e M. BOCCI, Oltre lo Stato liberale,
cit., pp. 39 ss.
27 «Vita e Pensiero», 20 luglio 1919, Perché i cattolici italiani debbono avere una loro università, di A. Gemelli.
28 «I cattolici che vogliono rinnovare cristianamente la società – scriveva Gemelli nel 1921 in un articolo pubblicato
su “Vita e Pensiero” -, sapendo che tale rinnovamento non si potrà avere che fra due generazioni, hanno posto
mano ad una facoltà di filosofia fedeli in questo alle ragioni ideali che guidano il loro agire» e consapevoli che «anche
i più minuti meccanismi della società obbediscono alle concezioni filosofiche». Il brano è riportato da Michele
Lenoci, che opportunamente sottolinea il ruolo assunto dalla Facoltà di filosofia nel progetto di formare una «classe
dirigente preparata e affidabile nei settori della pubblica amministrazione, del commercio, dell’industria privata, delle
banche e, eventualmente, anche dell’impegno politico diretto». Da quella Facoltà dovevano infatti provenire i
«contenuti ideali, organici e ben fondati, capaci di contrastare l’impostazione teorica dominante e di riproporre quel
patrimonio filosofico, scolastico e tomistico, che la dottrina della Chiesa [aveva] fatto proprio e che con l’enciclica
Aeterni Patris [era] stato ufficialmente raccomandato per l’insegnamento nelle scuole cattoliche» (M. L ENOCI , Le
discipline filosofiche, in L’Università Cattolica a 75 anni dalla fondazione, cit., pp. 73-74).
29 L. G ERONICO, L’eredità di Giuseppe Toniolo. La Facoltà di Scienze sociali dell’Università cattolica (1921-1924)
, in
«Bollettino dell’Archivio per la storia del movimento sociale cattolico in Italia», XIX (1994), 3, pp. 286-328.
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dilatavano di molto i compiti che l’istituzione universitaria doveva avere. La riorganizzazione
della realtà sociale e la rifondazione della classe dirigente italiana ampliavano infatti il
progetto cattolico, il quale si dotava dei moderni strumenti e si appropriava del mondo delle
professioni per poi affrontare le successive emergenze che il ventennio fascista avrebbe
drammaticamente riproposto30. Giornalisti e scrittori cattolici, insegnanti e docenti cattolici,
avvocati ed economisti cattolici, sociologi e psicologi cattolici – e possibilmente, in un futuro
che Gemelli sperava molto prossimo, anche medici dell’auspicata Facoltà romana di Monte
Mario – sarebbero state le avanguardie di un esercito che avrebbe avuto l’importante
missione di realizzare il progetto di società civile plasmato con sollecitudine e perizia negli
ambulacri e nei laboratorio dell’Università milanese. Al centro di quel progetto vi era la
volontà di dar corpo a una compagine politica e a relazioni sociali diverse da quelle che
l’Italia aveva conosciuto e sensibili alle aspettative che l’uomo contemporaneo – indagato
dallo psicologo Gemelli a partire da una prospettiva antropologica peculiare e con l’ausilio di
una strumentazione tecnica modernissima – rivolgeva con sempre maggiore insistenza a chi
avrebbe dovuto esercitare l’arte del governo. Da subito i «neoscolastici» che gravitavano
attorno alla Cattolica, tra cui vi era il professore di filosofia del diritto Francesco Olgiati,
consigliere personale del rettore, individuavano in quello che chiamavano lo «Stato organico»
l’obiettivo da perseguire, portando avanti una battaglia che, se era rivolta contro l’
«atomismo» liberale, non risparmiava nemmeno il partito di Sturzo, accusato, secondo una
prospettiva tutta «massimalista», di perseguire obiettivi troppo modesti e di essersi inserito
nel gioco liberale. Era di uno «Stato nuovo» che i tempi abbisognavano, e non del soccorso
cattolico che trasformasse, con riforme giunte troppo tardi, l’edificio ormai logorato costruito
dai liberali; uno «Stato nuovo» perché totalmente impregnato di quell’organicismo sociale
che la dottrina medioevale sembrava suggerire a questi moderni cultori di Tommaso.
L’organicismo correlava strettamente tutte le membra del corpo sociale e le privava
dell’arbitrio di danneggiarsi vicendevolmente e di contrapporsi ai fini perseguiti dalla classe
politica investita del compito di impregnare di cristianesimo i rapporti sociali. Ciò significava
subordinare l’individuo al bene comune, sottoponendo la libertà personale ad obiettivi di
giustizia. L’organicismo fungeva insomma da «terza via» che superava l’antitesi di
individualismo e collettivismo, valorizzando allo stesso tempo l’istanza libertaria dell’uno e
l’esigenza sociale dell’altro. Lo «Stato organico», retto da quella classe politica che
l’Università milanese intendeva preparare, sarebbe intervenuto nel contesto socioeconomico
più di quanto finora era successo, a cominciare dalla promulgazione di una legislazione che
cancellasse le più stridenti disuguaglianze, infondendo negli equilibri sociali la permeazione
cristiana che tutto doveva pervadere31.
Ecco perché gli studenti della Cattolica erano chiamati anzitutto a misurarsi con le
discipline sociali: occorreva che si appropriassero di un sapere tecnico che avrebbe loro
permesso di riordinare la compagine sociale in base al modello di «società perfetta» elaborato
sulla scorta di una rilettura piuttosto attualizzante del tomismo. Se un diritto liberato da
ipoteche positiviste sarebbe servito a elaborare una rinnovata regolamentazione dei rapporti
di Stato e cittadini e a stabilire un ordinamento finalmente «cristiano», le scienze economiche
L’articolo 1 dello Statuto dell’Università dichiarava appunto che la Cattolica aveva lo «scopo di contribuire allo
sviluppo degli studi e di preparare i giovani alle ricerche scientifiche, agli uffici pubblici e alle professioni libere con
una istruzione superiore adeguata e una educazione morale informata ai principi del cattolicesimo».
31 Per l’organicismo sociale elaborato dai neotomisti dell’ateneo milanese e per questa lettura piuttosto attualizzante
del pensiero del dottore medioevale si rimanda a M. BOCCI, Oltre lo Stato liberale, cit., specie alle pp. 54-63, 177-197 e
326-333. Spunti anche in V. PEREGO, Il nodo organicismo-pluralismo nel pensiero politico dei cattolici, in Le idee costituzionali
della Resistenza. Atti del Convegno di studi, Roma, 19-20-21 ottobre 1995, a cura di C. Franceschini, S. Guerrieri e G.
Monina, Roma, Presidenza del Consiglio dei Ministri, Dipartimento per l’informazione e l’editoria, 1997, pp. 160171.
30
46
avrebbero riformulato gli assetti sociali liberandoli dal materialismo e dallo sfruttamento e
rendendoli immuni dalla lotta di classe. I promotori dell’Università erano ben consapevoli del
fatto che mancava ancora una scienza economica cattolica idonea a tradurre il magistero in
una concreta prospettiva sociale. A questa carenza, insoddisfatta dallo stesso «codice di
Malines», intendeva rispondere l’attenzione che in Cattolica si sviluppava per il mondo
dell’economia e del lavoro, un’attenzione molto dilatata che avrebbe spinto gli studiosi
dell’ateneo a misurarsi con il problema di apprestare un ordine sociale rinnovato.
Da piazza Sant’Ambrogio sarebbe dunque provenuto un complessivo progetto sociale
che, alternativo allo Stato liberale, avrebbe sostenuto un confronto non molto pacifico con lo
stesso regime fascista. L’Università del Sacro Cuore, nata per essere una delle voci in un
contesto culturale che prevedeva la democratica partecipazione di diverse forze sociali32, si
trovò effettivamente, come ateneo «libero» all’interno di un sistema dittatoriale, ad operare in
condizioni eccezionali. Nel 1924 otteneva infatti il riconoscimento giuridico. La riforma
Gentile aveva aperto la strada alla costruzione di università non statali, promosse da enti
morali e finanziariamente autonome, che potevano essere abilitate a rilasciare titoli con
valore legale a patto di adeguare il proprio ordinamento didattico a quello vigente negli atenei
di Stato. Il R. D. del 2 ottobre 1924 riconosceva dunque l’ateneo di Gemelli come
«Università libera», retta da un proprio statuto ma fornita ora di una configurazione didattica
assimilabile a quella delle università statali. Il riconoscimento, che era esteso all’Istituto
superiore di Magistero, implicava la ristrutturazione dell’originario impianto accademico:
nascevano la Facoltà di Giurisprudenza e quella di Lettere e filosofia. Nel 1926 sarebbe stata
creata una Scuola di scienze politiche, economiche e sociali, divenuta poi Facoltà di scienze
politiche abilitata a rilasciare lauree anche in Economia e commercio33. Lo status privilegiato
di «libera Università» abilitata a competere con gli atenei statali conferiva alla Cattolica, sia
pure in un contesto progressivamente segnato dalle pretese monopolistiche avanzate dal
regime in campo educativo, una certa libertà di manovra, particolarmente importante perché
l’impresa di Gemelli, lungi dall’essere un’esperienza isolata dal mondo cattolico italiano, ne
era anzi una sorta di primizia amata e difesa, sostenuta attivamente dalla mobilitazione delle
masse cattoliche che materialmente la tenevano in vita. La propaganda organizzata
dall’infaticabile «cassiera» Armida Barelli raggiungeva capillarmente i cattolici di tutta Italia,
Nota Giorgio Rumi che «a molta storiografia è sostanzialmente sfuggita una periodizzazione efficace che
restituisca le origini dell’Ateneo alla stagione “democratica” dell’ultima Italia liberale, al 1919-1921, al pontificato di
Benedetto XV e al consenso-appoggio della Santa Sede al popolarismo sturziano. L’iniziativa di Gemelli non nasce
né pro né contro il fascismo, ma appartiene di buon diritto ad un universo pluralista e dialettico che precede
l’autoritarismo intitolato al maestro romagnolo» (Padre Gemelli e l’Università Cattolica tra storia e storiografia, cit., p. 50).
33 Piero Zerbi ha sottolineato le conseguenze della scelta fatta dai vertici dell’ateneo, sostenuti dall’autorevole parere
di Pio XI, di perseguire il riconoscimento giuridico e di trasformare, sulla base dell’ordinamento didattico vigente
nelle università di Stato, l’impianto originario della Cattolica. A suo giudizio, se l’Università non si fosse sottoposta
alle condizioni indispensabili per ottenere l’approvazione del proprio statuto, sarebbe stata più libera e avrebbe
potuto concentrarsi maggiormente nella ricerca scientifica. La strada prescelta permetteva invece uno sviluppo in
estensione e una più larga penetrazione nel corpo sociale. Peraltro il controllo dello Stato riguardava specialmente
l’aspetto amministrativo ed «esteriore» della vita accademica, che riusciva a conservare una certa autonomia
nell’ordinamento degli studi e una relativa libertà nella nomina dei professori. Si veda P. ZERBI, Cinquant’anni di vita
dell’Università Cattolica, in «Vita e Pensiero», LIV (1971), 9, pp. 21-23. Bisogna tuttavia chiedersi quale sarebbe stata la
possibilità di sopravvivere e di svilupparsi dell’Università del Sacro Cuore in un contesto che non era più quello
liberale: probabilmente, senza un riconoscimento giuridico che mettesse l’ateneo al riparo da possibili intemperanze
del regime e che allo stesso tempo salvaguardasse lo statuto peculiare dell’Università e il legame che essa aveva con
la Santa Sede, Gemelli non avrebbe goduto della libertà di manovra che sostanzialmente gli permetteva di fare il
bello e il cattivo tempo in piazza Sant’Ambrogio e di rendere la Cattolica un interlocutore assai attivo con cui le
autorità fasciste dovevano confrontarsi. Per la Facoltà di scienze politiche si vedano L. ORNAGHI, Le scienze sociopolitiche, e C. MOZZARELLI, La storia, entrambi in L’Università Cattolica a 75 anni dalla fondazione, cit., rispettivamente
alle pp. 279-294 e 208-210.
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47
i quali dimostravano, con un flusso ininterrotto di offerte, di condividere il progetto di padre
Gemelli. Peraltro l’affluenza degli studenti continuava ad aumentare, sintomo, quest’ultimo,
che l’istituzione si stava guadagnando consensi generalizzati34. Vi era poi il sostegno
incondizionato della Santa Sede, cui il Concordato avrebbe garantito il diritto di nulla osta
sulle nomine dei docenti e che poteva governare l’Università attraverso l’Istituto Toniolo. Il
comitato permanente del Toniolo era infatti nominato dal Vaticano e costituiva la
maggioranza nel consiglio di amministrazione dell’ateneo. Soprattutto, vi era il legame molto
stretto che univa Pio XI a Gemelli, il quale aveva voluto mantenere l’Università indipendente
dai vescovi italiani e dagli ordini religiosi per sottoporla in sostanza, attraverso la Segreteria
di Stato e la Congregazione dei seminari e delle università, alla sola autorità del centro della
cattolicità. Il rettore e il pontefice avevano del resto contatti epistolari e personali piuttosto
frequenti, a garanzia non soltanto dell’appoggio di Pio XI all’ateneo e di una protezione
necessaria a superare gli ostacoli frapposti allo sviluppo della «creatura» di Gemelli, ma pure
del contributo che il rettore dell’Università milanese poteva dare al magistero di Achille
Ratti.
Il solido collegamento che l’ateneo vantava nei confronti delle masse cattoliche e dei
vertici vaticani, la febbrile attività promossa da Gemelli e il progressivo ampliarsi dei settori
culturali di cui l’Università si interessava si guadagnavano però l’attenzione preoccupata del
regime, alimentata anche dal fatto che la Cattolica si dotava dei mezzi indispensabili a fare
una concorrenza serrata agli atenei di Stato. In effetti il rettore aveva voluto realizzare un
istituto al passo con i tempi, se non decisamente all’avanguardia, provvisto degli strumenti
scientifici che gli permettessero di competere con le altre università: laboratori attrezzati con
una strumentazione moderna, istituti efficienti, biblioteche aggiornate, insegnamenti
incentrati su nuove discipline, allievi che si specializzavano all’estero e riviste scientifiche
prestigiose dovevano mettere l’Università del Sacro Cuore al centro del panorama culturale
italiano, suscitando l’apprensione degli atenei di Stato che si sentivano defraudati della
propria clientela, a cominciare naturalmente dalla Regia Università di Milano, che si
rivolgeva alle autorità fasciste per fermare la scalata di Gemelli. Quest’ultimo poi si attirava
l’ostilità di Giovanni Gentile, indispettito sia per la costante propaganda anti-idealista
organizzata dai neoscolastici milanesi nel momento in cui il filosofo si stava candidando a
divenire il fornitore ufficiale del contenuto ideologico di cui il regime era sprovvisto, sia per
la concorrenza spietata che la Cattolica faceva all’Università commerciale «Luigi Bocconi»,
di cui lo stesso Gentile era vice-presidente35.
Il crescente peso che la Cattolica e il suo ingombrante rettore cominciavano ad avere
nello scenario italiano non poteva non impensierire un regime che pretendeva di avere un
diritto esclusivo sulle coscienze dei cittadini e che si poneva – subito dopo quella
Conciliazione che tante speranze aveva suscitato nel mondo cattolico – come la vera «chiesa»
cui gli italiani dovevano far riferimento. Gli intenti monopolistici coltivati dal fascismo sul
terreno educativo, che costituivano il punto nevralgico dei rapporti tra Chiesa e regime,
L’affluenza degli studenti subiva un incremento costante attestandosi, alla fine della seconda guerra mondiale, sulla
cifra di 6780 iscritti. Anche la sede materiale dell’ateneo doveva nel corso degli anni Trenta ingrandirsi, trasferendosi
da via Sant’Agnese, domicilio originario, all’antico monastero di Sant’Ambrogio, opportunamente ristrutturato. I dati
sull’andamento delle iscrizioni e sullo sviluppo dell’ateneo venivano annualmente pubblicati dall’«Annuario»
dell’Università.
35 Per il confronto tra neoscolastici milanesi e idealismo gentiliano, centrale nel congresso filosofico del 1929, si
rimanda comunque a M. BOCCI, Oltre lo Stato liberale, cit., pp. 139-160. Per l’ostilità di Gentile vice-presidente della
Bocconi a Gemelli rettore dell’ateneo del Sacro Cuore si veda la corrispondenza pubblicata in Faremo grande
Università. Girolamo Palazzina – Giovanni Gentile. Un epistolario (1930-1938), a cura di M. A. Romani, Milano, E.G.E.A.,
1999.
34
48
dovevano inevitabilmente confrontarsi con la più alta istituzione culturale dei cattolici
italiani, non per nulla al centro delle preoccupazioni fasciste sia per il profilo tutto particolare
di «Università libera» di cui godeva, sia per i profondi addentellati che aveva con i cattolici e
con le gerarchie vaticane. In sostanza il regime intuiva le pesanti ipoteche sul controllo delle
coscienze che l’ateneo di Gemelli accendeva e il pericolo che derivava alla propria durata
dall’obiettivo – platealmente dichiarato dai vertici dell’Università – di formare una nuova
classe dirigente. La pretesa totalitaria, che «esclude[va] altre visioni del mondo», implicava
«un certo qual contrasto»36 con un ateneo che protestava di continuo la propria autonomia e
che faceva concorrenza alle università incaricate dallo Stato di formare la gioventù italiana
sulla base del modello educativo predisposto dal regime. E infatti, malgrado gli ufficiali
buoni rapporti tra le autorità accademiche e i vertici politici, le imprese di Gemelli venivano
attentamente sorvegliate dalla polizia37. Gli informatori fascisti credevano in realtà che il
progetto gemelliano, ulteriormente rafforzato dalla garanzia del Concordato, potesse
ostacolare lo sviluppo totalitario del regime, debordando pericolosamente sul terreno
sociale38. Anche la Prefettura milanese, allertata dall’interpretazione «sociale» che in
Cattolica si accreditava della dottrina della regalità di Cristo, registrava con notevole
apprensione l’obiettivo di plasmare la classe dirigente del futuro, scorgendovi intenti
successori che non potevano piacere alle autorità fasciste. In sostanza sembrava che la
Cattolica, legata a filo doppio a personaggi giudicati assai sospetti come il direttore dell’
«Osservatore Romano» Giuseppe Dalla Torre, si stesse adoperando per costruire un «altro
regime», i cui orientamenti politici e sociali non erano sovrapponibili a quelli della
costruzione fascista. Pertanto le spie fasciste, accreditando l’ipotesi di una profonda
discrepanza tra l’ufficiale posizione del rettore, da una parte, e le autentiche convinzioni e la
portata del progetto di Gemelli, dall’altra, trasferivano di gradino in gradino, sino ai vertici
della gerarchia politica, l’impressione che i consensi della Cattolica fossero strumentali e
opportunistici. L’accusa di falso lealismo investiva specialmente Gemelli, persuadendo lo
stesso Mussolini dell’immaturità fascista del rettore dell’Università milanese39.
Per parte sua Gemelli, che aveva adottato la strategia del «primum vivere» e
dell’acquiescenza formale per evitare contrapposizioni rischiose ai fini della sopravvivenza
dell’ateneo40 e per coltivare con una certa tranquillità il suo progetto di lunga durata,
comunicava reiteratamente al Vaticano le proprie preoccupazioni dovute all’infiltrazione
fascista nell’ateneo e i motivi di contrasto che sussistevano tra il regime e la Cattolica, a
cominciare dall’ostilità dei Gruppi Universitari Fascisti suscitata dalla renitenza del personale
a iscriversi al partito e dalla convinzione – esplicitata dall’organo del GUF milanese «Libro e
Moschetto» - che la Cattolica «non educa[sse] fascisticamente»41. Vi era poi la questione del
mancato giuramento di fedeltà del rettore42 e di diversi professori a far pensare male i vertici
fascisti. Avvalendosi di un articolo del Concordato, i numerosi sacerdoti che insegnavano
G. RUMI, Santità sociale in Italia, cit., p. 49.
Si veda F. M OLI NARI , La figura di P. Gemelli (1878-1959), fondatore dell’Università Cattolica di Milano, attraverso i rapporti
della polizia fascista, in «La Scuola Cattolica», CXIV (1986), 4, pp. 459-493.
38 Le opinioni espresse dalle spie fasciste e le preoccupazioni manifestate dalle autorità del regime nei confronti di
Gemelli e della sua Università sono analizzate in un volume in corso di elaborazione da parte di chi scrive.
39 Nel 1939, rispondendo a Roberto Farinacci che aveva suggerito di nominare Gemelli accademico d’Italia, il duce
respingeva la proposta, osservando appunto che il rettore non era «ancora maturo» (commento apposto da
Mussolini sulla lettera di Farinacci del 19 marzo 1939, in Archivio Centrale dello Stato, Roma, Segreteria Particolare
del Duce, carteggio riservato (1922-1943), fascicolo 242/R «Farinacci avv. Roberto», sottofascicolo 39, varie dal 1935
al 1940, inserto E 1939).
40 G. RUMI, Santità sociale, cit., p. 49.
41 M. BOCCI, Oltre lo Stato liberale, cit., pp. 96-99.
42 H. G OETZ, Agostino Gemelli ed il giuramento del 1931 , in « Quellen und Forschungen aus Italienischen Archiven und
Bibliotheken», LIX (1979), pp. 421-435.
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37
49
nell’ateneo del Sacro Cuore si erano infatti sottratti all’obbligo stabilito dal governo fascista
nel 1931. E con loro anche alcuni docenti laici, come Giovanni Soranzo e Mario Rotondi,
quest’ultimo accolto nel corpo accademico della Cattolica perché allontanato dall’Università
di Pavia a causa del suo rifiuto di prestare il giuramento prescritto. In ogni caso quasi la metà
del personale non avrebbe mai avuto la tessera del PNF. E’ pur vero che nel corso degli anni
Trenta anche la Cattolica, che precedentemente aveva battagliato con i Gruppi Universitari
Fascisti, avrebbe dovuto far spazio al GUF e avrebbe inviato i propri studenti ai Littoriali. Le
tensioni con le organizzazioni del regime non erano però del tutto scomparse: latenti nel
periodo del «consenso», sarebbero riemerse sulla stampa fascista alla fine del decennio e
soprattutto nel corso della seconda guerra mondiale.
Indubbiamente del regime il gruppo dell’Università – negativamente impressionato
dagli orientamenti materialistici osservati all’estero e dalla piega paganeggiante del nazismo
– apprezzava le «crociate» di Spagna e di Etiopia, la lotta antiliberale e quella antibolscevica,
la «pace religiosa» e la ratifica che il Concordato aveva dato al legame tra l’ateneo e la Santa
Sede. Gli apprezzamenti erano però proporzionali all’idea che tali aspetti del regime
potessero essere utilizzabili all’interno di un più vasto combattimento a favore della «civiltà
cristiana», la quale costituiva, al di là della contingenza politica, l’obiettivo precipuo
dell’ateneo43. Dello stesso corporativismo, valutato positivamente dalle riviste della Cattolica,
i professori davano un’interpretazione peculiare che finiva per deformarlo, scorgendo in esso,
non la realtà del corporativismo fascista, ma l’utopia che esso si prestasse a realizzare ansie di
solidarietà e di giustizia sociale dedotte direttamente dal Vangelo. Con la medesima lente
filtrante, che pescava molto spesso in una durevole attitudine anticapitalistica, il gruppo
milanese guardava del resto alle realizzazioni dell’economia regolata d’oltre confine, non
escluse quelle ascrivibili al New Deal statunitense e alle teorie keynesiane44. In entrambi i
casi in Cattolica si pensava infatti di essere di fronte all’auspicabile tentativo, raccomandato
anche dalla Quadragesimo anno, di potenziare l’intervento statale per neutralizzare gli effetti
dannosi della libera concorrenza, i quali venivano attribuiti all’ «egoismo» individualistico
che sembrava connesso all’economia capitalistica. A raccogliere le simpatie degli economisti
dell’ateneo erano allora tutti gli esperimenti sociali che, sollecitati dagli effetti della crisi
economica del ’29, incaricavano lo Stato di disciplinare l’intera struttura socioeconomica in
nome della giustizia sociale. Allo «Stato di solidarietà» spettava insomma il compito di
attingere dalla «perenne dottrina» le norme superiori che ne avrebbero orientato la
pianificazione, mettendo in relazione il processo economico con l’ordine morale.
Gli studiosi dell’ateneo milanese imboccavano comunque l’ardua strada di agire
dall’interno del regime, tentando di influire sui suoi indirizzi e specialmente di frenarne
sgraditi scivolamenti totalitari, nella speranza di edificare un ordine socioeconomico più
conforme ai valori religiosi. A costruire il modello del futuro «Stato cattolico» interveniva
non soltanto una lettura piuttosto attualizzante della dottrina di San Tommaso, ma pure la
linfa metafisica ricavata dall’intreccio peculiare tra regalità divina e Sacro Cuore che
costituiva la devozione prediletta dal gruppo milanese. Ne discendeva una spiritualità che
intendeva rispondere all’ansia per un’idea religiosa totalizzante, capace cioè – perlomeno così
Giorgio Rumi ha scritto che il gruppo di Gemelli si illudeva di «condurre innanzi il proprio lavoro con un minimo
di concessioni al potente di turno, anzi di approfittare della tabula rasa fatta degli antichi avversari» per rendere la
propria impostazione l’ «unica cultura legittima del Paese» (Chiesa ambrosiana e fascismo, in ID ., Milano cattolica, cit., p.
128).
44 Per la lettura del corporativismo operata dagli economisti della Cattolica e per il loro approccio agli sviluppi
dell’economia moderna, che lasciava spazio a prospettive non del tutto assimilabili all’interno della medesima scuola,
si vedano P. RANFAGNI, I clerico-fascisti, cit., M. BOCCI, Oltre lo Stato liberale, cit., pp. 197-230, F. DUCHINI, L’economia,
in L’Università Cattolica a 75 anni dalla fondazione, cit., pp. 237-277 e la bibliografia ivi richiamata.
43
50
si auspicava - di procurare il pieno coinvolgimento intellettuale ed affettivo dell’uomo
contemporaneo e di fungere da punto di riferimento per la costruzione del «nuovo ordine»
sociale. La signoria di Cristo, che raggiungeva i fedeli attraverso la «regalità dell’amore»
dimostrata sulla croce dal Cuore del Re, doveva infatti esercitarsi non soltanto come dominio
spirituale, ma anche all’interno della compagine civile, impregnando di sé le leggi dello Stato
e i costumi dei cittadini. Da Milano si intendeva dimostrare che per riedificare la società
occorreva porre a fondamento la divina regalità, unica base sulla quale l’autorità potesse
poggiare sicura di non essere scossa. Occupare i gangli vitali dello Stato significava allora,
nella prospettiva di Gemelli, affrettare l’avvento del Regno nei gradini più bassi come in
quelli più alti della scala sociale. Tuttavia l’insistenza con la quale il gruppo dell’Università
sottolineava l’appartenenza a un sovrano che, essendo divino, non poteva mai coincidere con
i grandi della terra, veniva registrata con fastidio dalle autorità del regime, consapevoli che la
protesta dei sudditi cattolici a favore del «gran Re» poteva venire interpretata come
un’indiretta presa di distanza dalle autorità terrene.
Anche il rigore dimostrato dall’entourage del rettore quando si trattava di difendere
l’ortodossia cattolica e l’interpretazione del tomismo che era stata prescelta come l’unica
ufficialmente professabile aveva un risvolto politico di cui le autorità fasciste si accorgevano.
Ben nota è la rigidità di Gemelli e dei suoi collaboratori in campo dottrinale, e lo
testimoniano il comportamento tenuto dal rettore come rappresentante del pontefice presso
46
Ernesto Buonaiuti45 e l’allontanamento di Giuseppe Zamboni
dall’insegnamento che
svolgeva in Cattolica con l’accusa di deviazione dal tomismo. Se tale intransigenza aveva
costi pesanti e risvolti discutibili, bisogna però osservare che essa va collocata nella
prospettiva del consolidamento di un ateneo che dipendeva direttamente dalla Santa Sede.
Soprattutto, la serrata battaglia dottrinale doveva avere anche la funzione di argine nei
confronti di aperture pericolose in un settore assai difficile da controllare come quello della
collocazione politica e culturale di una «libera Università» in età dittatoriale. La scelta per la
rigorosa ortodossia, che si intensificava man mano che il regime si consolidava, il rifiuto
delle concezioni filosofiche che alimentavano la modernità e la professione di
«medioevalismo» che i fondatori dell’Università avevano pronunciato sin dalla nascita di
«Vita e Pensiero», per poi ripeterla in più occasioni durante il ventennio, divenivano
insomma, non soltanto un limite alla ricerca individuale, ma pure una sorta di difesa dal
mondo che Gemelli si augurava funzionasse anche nei confronti della dittatura. Lo dimostra il
secco discorso pronunciato dal rettore durante il congresso filosofico del 1929 contro alcune
osservazioni del duce, discorso che può essere considerato una delle pochissime prese di
distanza pubbliche dal capo del Governo formulate durante il ventennio fascista. In quella
occasione Gemelli decideva di abbandonare gli equilibrismi che connotavano il suo
comportamento ufficiale di rettore della Cattolica perché era in gioco la «purezza» dottrinale
Si veda G. B OATTI, Preferirei di no. Le storie dei dodici professori che si opposero a Mussolini , Torino, Einaudi, 2001, pp.
257 ss.
46 Pur ricordando la preoccupazione dei vertici dell’ateneo di «offrire alle alte autorità della Chiesa le maggiori
garanzie sull’indirizzo di pensiero dell’ateneo», Zerbi sottolinea l’ «impoverimento» cha dall’allontanamento di
Zamboni è venuto agli studi filosofici coltivati in Cattolica (Cinquant’anni di vita dell’Università Cattolica, cit., pp. 26-27).
Si veda anche G. BONTADINI, Gemelli, Agostino, in Dizionario storico del movimento cattolico in Italia. 1860-1980, diretto da
F. Traniello e G. Campanini, II, I protagonisti, Torino, Marietti, 1982, p. 228. Bontadini è convinto che l’accusa di
deviazione dal tomismo rivolta a Zamboni fosse infondata e che la stretta ortodossia imposta ai professori della
Cattolica comportasse un pericoloso isolamento culturale dell’ateneo milanese. Pure Michele Lenoci ritiene che le
posizioni teoriche difese da Zamboni non fossero tali da pregiudicare l’ortodossia del loro autore e sottolinea
l’impoverimento venuto alla Cattolica dalla perdita dello studioso. «Forse sulle esigenze di un pluralismo accettabile
dal punto di vista dogmatico – aggiunge – ha prevalso il desiderio di offrire le maggiori garanzie sull’indirizzo di
pensiero professato nella nostra Università» (Le discipline filosofiche, cit., pp. 111-113, cui si rimanda per ulteriori
notizie e riferimenti sul caso Zamboni).
45
51
degli insegnamenti impartiti dalla sua Università. E infatti, intervenendo al congresso,
attaccava pubblicamente Mussolini, che aveva «offeso» l’ateneo dei cattolici italiani con la
notazione che al suo interno si coniugavano San Tommaso e i filosofi idealisti47.
Del resto l’Università del Sacro Cuore, per quanto rigidamente attestata su posizioni
dottrinali che volevano essere inattaccabili, non sposava l’autarchia culturale che il regime
intendeva imporre all’intellettualità italiana e dimostrava una certa apertura che le permetteva
di mantenere qualche contatto con la cattolicità d’oltre confine. La presenza dei professori
dell’ateneo alle Settimane Sociali di Francia e i puntuali resoconti che essi ne davano sulla
stampa dell’Università a beneficio dei cattolici italiani, i contatti con Jacques Maritain che
interveniva ad alcune iniziative dell’ateneo e la cui firma compariva sulla «Rivista di filosofia
neoscolastica», l’attenzione per le elaborazioni della cattolicità tedesca e la volontà di
Gemelli di affidare a Vita e Pensiero la traduzione di Der Herr di Romano Guardini,
l’interesse per gli esperimenti economici e sociali in corso all’estero e i viaggi dei laureati per
specializzarsi nelle università straniere sono sintomi dell’esistenza quanto meno di qualche
varco nell’orizzonte culturale della Cattolica, varco che in un certo senso faceva della
progettualità gemelliana il collettore delle ansie di svecchiamento culturale alberganti in seno
ai suoi più giovani collaboratori. La paradossale eterogenesi dei fini che avrebbe interessato
le esperienze prodotte dall’ateneo milanese soprattutto con la rinascita democratica,
indirizzandole a una prospettiva aperturista nei confronti del mondo moderno e del
rinnovamento ecclesiale, era in qualche modo implicita nell’assai problematico equilibrio che
Gemelli aveva stabilito tra la personale attitudine a gettarsi a capofitto in una modernità che
per lui significava evoluzione tecnologica e scientifica e progresso sociale, e l’esigenza altrettanto sentita dal «rettore a vita» - di assicurare al proprio ateneo l’appoggio
incondizionato delle gerarchie vaticane come avamposto italiano dell’ortodossia cattolica.
Nella prospettiva di Gemelli si trattava però soprattutto di fare dell’Università del Sacro
Cuore il luogo privilegiato di un’elaborazione culturale che doveva liberarsi dal
soggettivismo moderno per poggiare le proprie fondamenta sul solido «realismo» medioevale
e sulle garanzie che esso poteva dare a un’indagine scientifica tutta protesa al significato del
«dato» positivo, ma non per questo inficiata dai vizi del relativismo materialista48.
L’inamovibilità dottrinale diventava insomma il robusto sostrato che permetteva esperimenti
scientifici e sociali eventualmente anche azzardati, i quali non spaventavano affatto il rettore,
ma anzi sollecitavano la sua inesauribile brama conoscitiva. Dunque non la difesa del passato
in quanto tale, bensì l’intenzione di conquistare il futuro, innestando sul tronco della
modernità valori antichi ma sempre rigogliosi, stava al centro del progetto gemelliano, che
«Il Capo del Governo, nel suo recente discorso al Senato – aveva detto Gemelli -, ha affermato che anche alla
Università Cattolica, “così cara alla Suprema Gerarchia Ecclesiastica” si leggono Kant, Hegel, ecc. e si mettono
d’accordo con S. Tommaso. Innanzitutto noi non mettiamo d’accordo Kant con S. Tommaso, ma studiamo l’uno e
l’altro, perché è nostro dovere; ma poi io debbo respingere queste parole, in quanto suonano lode, perché queste
parole del Capo del Governo sono un’offesa». Interrotto a questo punto da «voci confuse» e da un «tumulto», il
rettore riprendeva poco dopo imperterrito: «Io intendo dire che le parole del Capo del Governo sono una offesa per
la purezza della fede religiosa della Università Cattolica, assai gelosa su questo punto e, anche per ciò, cara alla
Suprema Gerarchia Ecclesiastica, perché sarebbe strano che una Università Cattolica facesse professione di
idealismo e di kantismo: essa mancherebbe al suo fine» (Replica del P. Gemelli al Sen. Gentile, in Il VII congresso nazionale
di filosofia, Milano, Vita e Pensiero, estratto dal fascicolo del maggio-agosto 1929 della «Rivista di filosofia
neoscolastica», pp. 46-47).
48 Nota Cosmacini che la neoscolastica, tentando di rispondere ai «fremiti del pensiero moderno» che avevano
scosso anche alcuni intellettuali cattolici, rivalutava il «metodo positivo» nel suo «vero» significato, estensibile dalle
scienze sperimentali alla filosofia speculativa. La metodologia scientifica veniva collocata sulle fondamenta
dell’oggettività dei principi dell’ordine ideale. La scienza moderna era cioè innestata nell’ontologia scolastica,
fondamento «positivo» del valore oggettivo del pensiero e dell’esistenza dell’universo. Gemelli intendeva dunque
salvare lo «scientificismo» positivista, purificandolo attraverso la metafisica tomista (Gemelli, cit., pp. 116-118).
47
52
leggeva anche il fascismo come un frutto del percorso politico contemporaneo e come
un’espressione della modernità che andava ricondotta all’universo cristiano per non sfociare
in un sistema politico pagano e totalizzante.
A metà degli anni Trenta a pesare sulle convinzioni degli studiosi legati alla Cattolica,
indirizzati ora a guardare con favore ad alcune realizzazioni del regime, sarebbe stato
soprattutto il paragone con il duplice pericolo ‘rosso’ e ‘nero’ che minacciava l’Europa e che
confluiva nel bagno di sangue spagnolo, pericolo rispetto al quale l’ipotesi di un fascismo
cattolicizzato – oltre che immune da odiose alleanze – sembrava forse poter preservare.
Bolscevismo e nazismo apparivano inficiati dalla medesima tara materialistica e da
un’analoga concezione pagana dello Stato, che in entrambi i casi asserviva la persona a ferree
dittature. Le nubi minacciose che si stavano accalcando sull’orizzonte europeo facevano
apprezzare agli uomini di Gemelli la relativa calma italiana. Le persecuzioni anticattoliche
che si stendevano a macchia d’olio sulla cartina non soltanto del vecchio continente
rendevano cioè la «pace» italiana ancor più encomiabile, anche perché le democrazie europee
sembravano paralizzate dalla crisi del capitalismo e incapaci di frapporre un solido argine
all’avanzata dei totalitarismi. L’avvicinamento italiano alla Germania nazista avrebbe però
acceso consistenti sospetti nell’opinione del gruppo, ostile alla prospettiva di un fascismo
messosi al carro del tiranno tedesco anche per via dell’antisemitismo razzista, che i volumi
pubblicati da Vita e Pensiero avevano osteggiato sin dal 193449. Dunque il regime perdeva,
sul finire del decennio, le sembianze di «male minore» suscettibile di essere cristianizzato. Il
baluardo al riparo del quale la «civiltà cristiana» aveva trovato un qualche riparo si era infatti
incrinato definitivamente, aprendo il passo all’epidemia nazista. Fattosi complice delle
malefatte hitleriane, il fascismo stava rovinosamente degenerando. Per di più si apprestava a
gettare il paese nella tempesta di un nuovo conflitto. Pertanto il progetto coltivato sotto i
portici della Cattolica si separava irrevocabilmente dallo strumento fascista.
Pur mostrandosi pronta a collaborare con spirito patriottico agli sforzi della nazione in
armi , l’Università non coltivava alcuna tendenza guerrafondaia, organizzando anzi a
beneficio dei propri studenti corsi di morale cattolica improntati a uno spirito antibellicista51.
Peraltro il gruppo capitanato dall’attivismo rettore non si appartava dagli eventi nazionali e
non attendeva passivamente l’esito del conflitto. La nuova guerra veniva anzi interpretata
come occasione per dar corpo al disegno di sempre, quello di un radicale cambiamento
dell’ordine sociopolitico del paese da affrettare attraverso la preparazione di una classe
dirigente cattolica che ora, man mano che il conflitto piegava a sfavore dell’Italia fascista,
sembrava davvero potersi candidare alla successione. A partire dall’autunno 1940, e dunque
50
Si vedano in particolare H. BELLOC, Gli ebrei, traduzione di A. Marioli ( M. Bendiscioli), Milano, Vita e Pensiero,
1934, e W. H. FRIEDEMANN , La Croce e la stella di Davide, versione dal tedesco di G. Di Fabio, Milano, Vita e
Pensiero, 1938.
50 «In questo momento nel quale la Patria nostra è chiamata a gravi cimenti – scriveva il rettore in una circolare del
16 giugno 1940 - fa bene all’anima riaffermare la solidarietà nostra nell’adempimento del nostro dovere, la nostra
solidarietà nei sacrifici, la nostra solidarietà nelle speranze, soprattutto la nostra solidarietà nella preparazione della
vittoria […]. Noi ci sentiamo solidali nel quadruplice programma: credere; pregare; obbedire; vincere. Crediamo nella
missione di incivilimento del nostro Paese; vogliamo rendere più splendido di bellezza il volto di questa nostra
grande Madre, l’Italia, affinché essa possa nel mondo riacquistare la sua posizione promotrice di civiltà. Preghiamo
Iddio perché ci protegga […]. Obbediamo ai Capi di Stato, a coloro che in ogni settore ci sono superiori, perché
dalla cooperazione degli sforzi vengono moltiplicate le energie della Nazione […]. Vinceremo se sapremo
subordinare i nostri interessi ai supremi interessi della Patria. Vinceremo se avremo fiducia nel governo
Provvidenziale del mondo» (Archivio dell’Università Cattolica del Sacro Cuore, Milano, Fondo Agostino Gemelli, b.
101, f. 169, c. 1450).
51 Al proposito si veda G. B IANCHI, Cultura e vita nell’impegno dell’Università Cattolica di P. Gemelli (1921-1945) , in Studi
sulla cultura lombarda in memoria di Mario Apollonio, vol. II, Milano, Vita e Pensiero, 1972, p. 293.
49
53
piuttosto precocemente rispetto alla mobilitazione antifascista del cattolicesimo italiano,
collocabile nel periodo della caduta del governo mussoliniano, un ristretto cenacolo di
professori convocati e presieduti da Gemelli si confrontava sui contorni del futuro organismo
politico, che si voleva dotare di connotati francamente democratici. Le appartate riunioni del
gruppo, continuate sino alla primavera del ’44, avevano lo scopo di elaborare un progetto
complessivo da mettere in campo in previsione di possibili cambiamenti politici e si
indirizzavano a stilare un «codice sociale» che fornisse le coordinate fondamentali del futuro
Stato democratico. Quest’ultimo, se si distanziava dalla dittatura per il concorso della libera
partecipazione dei cittadini, ereditava però dagli anni Trenta l’esigenza di una
razionalizzazione economica ampiamente pianificata. Tale propensione, ben documentabile
sia nelle elaborazioni che avevano impegnato l’Università nel corso del ventennio, sia nelle
riflessioni del periodo bellico, collegava la vecchia guardia «medioevalista» ai più giovani
professori e laureati dell’Università milanese, formatisi nell’ateneo durante il regime e poi
capaci di pesare, al momento della ricostruzione democratica, nel dibattito costituzionale,
soprattutto attraverso l’impegno profuso in seno all’Assemblea Costituente dal gruppo
raccolto attorno all’assistente della Cattolica Giuseppe Dossetti52. Il punto di congiunzione tra
prospettive che la storiografia ha piuttosto rigidamente differenziato53 è appunto individuabile
sia nell’idea della perfettibilità dell’ordine sociale, mutuata in Cattolica dalle elaborazioni
neotomiste che avevano riletto Tommaso alla luce delle emergenze del ventennio, sia in un
personalismo che, acquisito nel patrimonio culturale dell’ateneo milanese attraverso spunti
proveniente d’oltralpe, ma anche ripensato sulla scorta delle riflessioni dedicate al
corporativismo, implicava la trasformazione globale del sistema economico, incaricando lo
Stato del compito di promuovere la giustizia sociale con una complessiva pianificazione di
interventi. La persona umana infatti – così sembrava a «medioevalisti» e «professorini» - non
era difendibile se non all’interno di una compagine politica che fosse in grado di organizzare
la vita sociale riplasmando gli assetti di potere esistenti e non era salvabile se non attraverso
l’organismo statuale, che avrebbe trasfigurato un «individuo» sospettato di atomismo liberale
in un membro solidale della convivenza terrena e in un probabile candidato alla città celeste.
Lo Stato democratico, conferendo un contenuto assai concreto alla libertà personale, avrebbe
guadagnato l’individuo a una più dignitosa esistenza materiale e spirituale. Quando in
Cattolica si auspicava lo «Stato forte», erede di una tendenza ventennale che aveva indotto a
fare dell’organismo statuale il primo attore sulla ribalta della convivenza civile, ci si riferiva
M. B OCCI, Stato e democrazia. Un dibattito culturale nell’Università Cattolica al tramonto del regime
, in «Annali di storia
moderna e contemporanea», III (1997), pp. 51-85. E’ bene osservare che le riunioni convocate e presiedute da
Gemelli non coincidono con quelle del più famoso gruppo di casa Padovani, noto agli studiosi per essere stato il
primo nucleo dello schieramento dossettiano e artefice tra il 1941 e la primavera del 1943 - secondo il ricordo dei
protagonisti - di alcuni incontri dedicati a riflettere sulla situazione italiana. Anche se, per volontà di Gemelli, alcuni
partecipanti degli incontri di casa Padovani (Dossetti, Lazzati, La Pira, Fanfani e Amorth) parteciparono all’iniziativa
promossa dal rettore.
53 Alcuni studiosi hanno appunto sottolineato la distanza, in qualche caso abissale, che esisterebbe tra diverse
generazioni di cattolici italiani, accreditando l’immagine di un mondo cattolico diviso tra vincenti e perdenti, i primi,
clandestini nel ventennio e quindi protagonisti della rinascita democratica, i secondi, accecati dall’illusione clericofascista, e poi inevitabilmente emarginati. Si è anche parlato di una «seconda generazione» di giovani probabilmente
incompresa dai più anziani promotori dell’Università. In questo senso si vedano P. POMBENI, Il gruppo dossettiano e la
fondazione della democrazia italiana (1938-1948), Bologna, Il Mulino, 1979, pp. 56 ss., e R. MORO, Il contributo culturale e
politico dei cattolici nella fase costituente, in M. C. GIUNTELLA – R. MORO, Dalla FUCI degli anni ’30 verso la nuova democrazia,
Roma, AVE, 1991, p. 48. Attenua, ma solo esteriormente, l’idea di una netta divisione tra vecchi e giovani, accreditata
in sede storiografica anche per evitare che le nuove leve cattoliche e democratiche siano coinvolte negli addebiti di
filofascismo e di conservatorismo religioso riservati al rettore della Cattolica, lo stesso Guido Formigoni, che pure
non può non registrare la fitta corrispondenza che a lungo ha collegato Gemelli ai suoi «professorini» (Padre Gemelli e
i «professorini» dell’Università Cattolica nel secondo dopoguerra: note su un carteggio, in Temi e questioni di storia economica e sociale in
età moderna e contemporanea. Studi in onore di Sergio Zaninelli, a cura di A. Carera, M. Taccolini e R. Canetta, Milano, Vita e
Pensiero, 1999, pp. 503-534).
52
54
allora a un complesso politico che con metodo democratico desse concreta attuazione a una
libertà del tutto consistente, e cioè concretamente palpabile nella struttura socioeconomica del
paese. Solo a questo patto lo «Stato nuovo» sarebbe risultato anche cristiano, e non
semplicemente per una patina ufficiale di cattolicità che non bastava a chi sin dal 1919 aveva
atteso con impazienza massimalista la completa metamorfosi del corpo sociale.
Il progetto di Gemelli, che aveva affidato l’edificazione di una società cristianamente
ispirata alla formazione dei suoi quadri, dopo la Liberazione si sarebbe almeno formalmente
concretizzato. Con il crollo della dittatura l’obiettivo per cui l’Università era nata sembrava
infatti potersi realizzare attraverso una classe politica cattolica e democratica che in molti casi
proveniva dall’ateneo milanese o che aveva intrattenuto con esso solidi legami. Specialmente
i giovani che davano vita all’esperienza dossettiana, per quanto prendessero le distanze da
quello che agli occhi di molti studiosi è apparso il cattolicesimo passatista di Gemelli,
ereditavano poi il progetto di uno Stato «chiave di volta»54 del vivere associato che era stato
elaborato in piazza Sant’Ambrogio e tentavano, con ardui esiti teorici e pratici, di attuarlo
nella concreta dinamica politica. L’intervento dello Stato nella promozione del bene comune,
la democrazia sociale e il rafforzamento delle capacità contrattuali dei lavoratori provenivano
dalla scuola degli economisti della Cattolica, mentre i presupposti dottrinali che stavano a
monte degli indirizzi economici e sociali del gruppo di «Cronache sociali» trovavano
parecchi agganci con le riflessioni dei neotomisti milanesi. In ogni caso la Cattolica, uscita
immune dall’epurazione essendo stata assolta dalle accuse di filofascismo con una conferma
indiretta della discrepanza tra gli ufficiali cedimenti e la portata dell’iniziativa e con il
riconoscimento dell’impegno profuso nella campagna resistenziale a favore di ebrei e
ricercati politici55, sembrava assolvere la funzione che Gemelli le aveva attribuito: se l’ateneo
aveva sfornato laureati inseritisi nell’insegnamento medio e accostatisi alle carriere
universitarie e alle libere professioni, ora si dimostrava anche una riserva di giovani che
entravano nella pubblica amministrazione, nelle istituzioni economiche e sindacali e nella
politica nazionale56, travasandovi i punti di vista che avevano presieduto alla loro formazione.
Tra questi vi erano anche la fiducia nelle virtù salvifiche dello Stato cristianizzato - che si
sarebbero dovute manifestare tramite un dettato costituzionale non insensibile ad esigenze di
giustizia - e la speranza riposta nelle capacità realizzative di una classe politica che si era
incaricata di interpretare il «codice sociale» del Vangelo. In quella nuova «anima cristiana»
dello Stato democratico e nel suo acceso progressismo evangelico Gemelli riponeva allora la
sua fiducia, se si dà credito alla paternità spirituale che continuava ad esercitare - attraverso
contatti personali ed epistolari - nei confronti di questi protagonisti del primo decennio
democratico e a una osservazione che il rettore faceva a beneficio di quell’attento osservatore
del mondo cattolico italiano che era Maurice Vaussard. Quest’ultimo, nel settembre 1948,
aveva chiesto a Gemelli «ragguagli precisi» sull’attività dei professori della Cattolica che
avevano preso parte alla redazione della Costituzione italiana. Il rettore gli faceva allora
sapere che proprio a Dossetti si doveva il fatto che la «costituzione italiana [aveva] avuto un
carattere cristiano». Insieme con La Pira - per Gemelli «un altro dei nostri» -, Dossetti era
stato il vero «sostenitore dello spirito cristiano nella formazione della Costituzione»57.
G. R UMI, Il magistero e il moderno. Tre Encicliche sociali: 1891, 1931, 1987 , in Cultura, etica e finanza. A cento anni dalla
Rerum novarum. Continuità, modernizzazione, etica del progresso, Milano, NED, 1991, p. 22.
55 Si vedano G. B IANCHI, I cattolici, in Azionisti cattolici e comunisti nella Resistenza , Milano, Angeli, 1971, pp. 149-300; E.
FRANCESCHINI, Un anno difficile per P. Gemelli e per la sua Università: il 1945, in «Aevum», LV (1981), 3, pp. 395-480; ID.,
L’Università Cattolica del Sacro Cuore nella lotta per la Liberazione, in Uomini liberi. Scritti sulla Resistenza, a cura di F. Minuto
Peri, Casale Monferrato, Piemme, 1993, pp. 259-290; G. RUMI, In margine al centenario di Agostino Gemelli: due documenti
su Università Cattolica e fascismo, in ID., Milano cattolica, cit., pp. 179-208.
56 N. RAPONI, Università Cattolica, cit., p. 270.
57 Archivio dell’Università del Sacro Cuore, Milano, Fondo Agostino Gemelli , b. 200, f. 355, c. 2595, lettera di Vaussard
54
55
L’utopia dello «Stato cattolico», a lungo coltivata sotto i portici di piazza
Sant’Ambrogio, affidava insomma le sorti del Regno al rinnovato organismo politico,
trasferendo la «buona battaglia» del cristiano nel campo della lotta di civiltà e subordinandola
al progetto di un’era cristiana sempre inedita e sempre vagheggiata. Si scorgono proprio qui
le origini di quella specie di gigantismo della politica ereditato da parte della classe dirigente
democristiana58, non esclusi coloro che il guelfo antifascista Piero Malvestiti, divenuto
ministro della Repubblica democratica, avrebbe polemicamente chiamato i «fiori di padre
Gemelli», individuando i pericoli per le sorti della città terrena che potevano provenire da tali
«arcangeli dalla spada fiammeggiante investiti di un mandato superiore e che non
sbaglia[va]no mai»59. Per quanto Gemelli avesse scommesso soprattutto sulla cultura,
accettando la sfida lanciata ai cattolici dagli intellettuali di estrazione laica e anticlericale, gli
esiti del percorso imboccato dalla sua Università per molti versi si biforcavano rispetto agli
intenti iniziali, premiando da una parte un indirizzo di dilatazione e di espansione in
superficie delle strutture universitarie che non coincideva con l’opzione originaria a favore di
un ateneo dedicato a ristrette élites cattoliche60, dall’altra un’immersione in quella prassi
politica da cui i cattolici erano stati tenuti lontani durante il ventennio fascista, ma che poi
diventava l’orizzonte quasi obbligato per chi aveva imparato a riversare sull’organismo
statuale le speranze palingenetiche provenienti dal modello di perfezione sociale elaborato
dal gruppo milanese. La politica come luogo del dover essere diveniva cioè la prospettiva
ricavabile dalla spiritualizzazione del «reale» operata in campo neotomista, con la
conseguenza di puntare – nell’ottica di alcuni rivoli scaturiti dal fiume dell’Università – su un
presenzialismo nei luoghi della gestione del potere che al contrario avrebbe dimostrato la
distanza che continuava a sussistere tra modello ideale e Stato reale.
a Gemelli del 25 settembre 1948 e risposta del rettore datata 29 settembre 1948.
58 Scrive Ada Ferrari che la «cultura riformatrice» degli anni Cinquanta obbediva al «“primato del politico”
largamente affidato all’iniziativa centrale dello Stato», primato che si doveva alla «saldatura eccezionalmente stabile
fra certa formazione filosofica tomista, sentire antiliberale e convinzione che il pensiero keynesiano […] costituisse
in termini analiticamente fondati e scientificamente espressi la sistemazione di quanto la Chiesa aveva già da un
secolo sostenuto circa la fragilità della visione liberale dell’economia e della società» (La cultura riformatrice. Uomini,
tecniche, filosofie di fronte allo sviluppo (1945-1968), Roma, Studium, 1995, pp. 20-21).
59 Lettera di Malvestiti a Francesco Olgiati del 6 gennaio 1950, citata da
C. BELLÒ, L’onesta democrazia di Piero
Malvestiti, Milano, NED , 1985, p. 241, e lettera di Malvestiti a Olgiati del 14 giugno 1949 (conservata nell’Archivio
Piero Malvestiti, Milano, b. «Malvestiti dal 1939 al 1950», f. 5).
60 Si veda P. Z ERBI, L’Università Cattolica di fronte ai problemi degli anni Cinquanta e Sessanta , in L’Università Cattolica a 75
anni dalla fondazione, cit., pp. 59-72. A questo contributo si rimanda per l’analisi delle caratteristiche assunte
dall’Università nel secondo dopoguerra e soprattutto per l’individuazione dei problemi rimasti aperti dopo la
scomparsa, nel 1959, del «rettore a vita».
56
LES UNIVERSITES PONTIFICALES A ROME DE 1815 A 1962
PERE MORAND WIRTH,
UNIVERSITA PONTIFICIA SALESIANA, ROME, ITALIE.
Il m’a été demandé de vous parler des Universités pontificales à Rome de 1815 à
1962. Pour éclairer le sujet de mon intervention, il convient de souligner avant toute chose la
grande différence entre la situation actuelle de ces institutions romaines et celle qui prévalait
durant la période en question.
Il existe actuellement à Rome six institutions d’enseignement supérieur qui portent le
nom d’Universités pontificales1. Chacune a son histoire particulière et sa spécificité. La plus
connue est l’Université Grégorienne, qui continue la prestigieuse tradition du Collège romain,
dont le fondateur des Jésuites jeta les bases en 1551. Elle veut être «l’Université des nations»,
au service de l’Église catholique et du Saint-Siège, pour la défense et la propagation de la foi.
À la Grégorienne sont associés, tout en restant distincts, l’Institut biblique et l’Institut
oriental. L’Université du Latran, dont les origines remontent à 1773, date de la suppression de
la Compagnie de Jésus, à laquelle le clergé de Rome succéda dans la direction du Collège
romain, est considérée comme l’Université du pape et du diocèse de Rome, l’auxiliaire de la
Curie, connue pour ses études juridiques et pastorales (et récemment pour les études sur le
mariage et la famille). L’Université Urbanienne, qui fait suite au Collège De propaganda fide
créé en 1627 par le pape Urbain VIII pour former les futurs missionnaires, est l’Université
missionnaire par excellence.2 L’Université Saint-Thomas d’Aquin, appelée naguère
Angelicum, héritière du Studium général fondé à Rome au moyen âge par l’Ordre de saint
Dominique, et plus récemment du Collège Saint-Thomas installé en 1577 dans le couvent près
de S. Maria sopra Minerva, se situe dans la mouvance de la pensée thomiste. L’Université
Salésienne, qui prolonge la mission de l’Athénée pontifical fondé par les religieux de Don
Bosco à Turin en 1940, porte une attention particulière aux problèmes de l’éducation et de la
pastorale de la jeunesse. Quant à la dernière-née, l’Université Sainte-Croix, issue de
l’Université de l’Opus Dei de Navarre, elle se veut au service de l’œuvre d’évangélisation de
l’Église.
Il existe aussi d’autres institutions pontificales de type universitaire qui portent les noms
d’Athénées, d’Instituts, de Facultés ou de Collèges. La plupart d’entre elles appartiennent aux
principales familles religieuses, qui n’ont pas d’Université proprement dite, mais qui tiennent
à avoir à Rome un centre d’études universitaires. En suivant l’ordre de l’Annuario pontificio,
nous trouvons d’abord l’Athénée Saint-Anselme des Bénédictins, qui a ses racines dans
l’institut d’études théologiques de la congrégation bénédictine du Mont-Cassin érigé en 1687.
La tradition intellectuelle franciscaine est représentée par l’Antonianum des Frères mineurs,
spécialisé dans la spiritualité de saint François. Érigé en 1993, l’Athénée Regina Apostolorum,
de la congrégation des Légionnaires du Christ, d’origine mexicaine, est soucieux d’une
annonce efficace du Royaume de Dieu aux hommes de notre temps. L’Institutum altioris
latinitatis, voulu par Jean XXIII et incorporé par Paul VI dans la Faculté des lettres
On trouve la liste des institutions ecclésiastiques d’études supérieures avec les notices historiques dans l’
Annuario
Pontificio per l’anno 2000, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, p. 2008-2017. Voir également une présentation
actuelle rapide dans G. GA__ZKA , Pontificie Università e Atenei Romani, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana
2000. On peut consulter en outre les notices historiques dans les Annuaires de chacune de ces institutions.
2 Pour donner une idée de l’importance du réseau international des Universités romaines, signalons d’emblée le cas
typique de cette Université, qui compte actuellement dans le monde 89 instituts qui lui sont affiliés.
1
57
chrétiennes et classiques de l’Université Salésienne, travaille à la promotion du latin.
L’Institut de musique sacrée et celui d’archéologie chrétienne cultivent leur domaine
respectif. La Faculté de théologie Saint-Bonaventure des Conventuels, qui continue elle aussi
la tradition scientifique franciscaine, en particulier celle du l’ancien Collège du même nom
fondé à Rome en 1587, a comme spécialisations la christologie et la spiritualité
franciscaine. Le Teresianum des Carmes déchaux est spécialisée dans la recherche et la
formation dans le secteur de la théologie spirituelle. Le Marianum de l’Ordre des Servites
développe les études de mariologie. L’Institut des Études arabes et islamologiques a pour but
de former des témoins du Christ auprès des musulmans. La Faculté des sciences de
l’éducation Auxilium des Filles de Marie Auxiliatrice (ou Sœurs salésiennes), unique Faculté
pontificale romaine dirigée par des femmes, étudie les questions de l’éducation féminine et de
la promotion de la femme.
Il existe encore d’autres centres d’études, qui ont été placés sous le patronage d’une
Université ou d’une Faculté. C’est ainsi que la Congrégation pour l’éducation catholique a
inséré dans la Faculté de théologie du Latran trois centres spécialisés : l’Académie
Alphonsienne de théologie morale des Rédemptoristes, l’Institut patristique Augustianum de
l’Ordre de saint Augustin et l’Institut Claretianum où la théologie de la vie consacrée est
enseignée par les Pères Clarétins. Quant à l’Institut de théologie pastorale sanitaire des
Camilliens, il a été incorporé dans la Faculté de théologie du Teresianum. Signalons pour
terminer les Instituts qui préparent les futurs enseignants de religion à la maîtrise en sciences
religieuses.
Si je m’en tenais strictement à l’appellation «Universités pontificales», je vous parlerais
presque uniquement de la Grégorienne, la plus ancienne et la plus prestigieuse des Universités
pontificales, la seule qui, au dire de Pie XI, méritait le titre d’Université pontificale.
J’évoquerais assurément l’ancienne Université de Rome La Sapienza, qui suivit les directives
pontificales jusqu’en 1870. Il serait à peine question du Latran, qui fut érigée en Université en
1959 par le pape Jean XXIII, qui y avait étudié et enseigné, et presque pas du tout de
l’Urbanienne, devenue Université en 1962, dix jours avant l’ouverture du concile Vatican II.
Mais je suppose qu’il convient d’évoquer ici à grands traits l’histoire de l’ensemble des
institutions romaines d’études supérieures dépendant du pape et de la Curie romaine.3 Étant
donné que leurs développements et leurs vicissitudes suivent de près les évolutions de la
position institutionnelle du Saint-Siège entre 1815 et 1962, il m’a semblé qu’on pouvait
diviser le parcours en trois périodes successives : de la Restauration jusqu’à la fin du pouvoir
temporel des papes (1815-1870) ; de la fin du pouvoir temporel à l’avènement de Pie XI, le
pape de la Conciliazione et des accords du Latran (1870-1922) ; et de Pie XI au concile
Vatican II (1922-1962).
De la Restauration à la fin du pouvoir temporel (1815-1870)
Rentré en possession de ses États, le pape bénédictin Pie VII s’intéressa sans tarder à
la réforme des études. Le 14 septembre 1815, trois mois après Waterloo, il se rendit au
Collège romain, encore aux mains du clergé séculier depuis le départ des Jésuites quarante ans
plus tôt, prodiguant encouragements et aides matérielles. Le 20 juillet 1816, avec l’aide de son
Pour les liens des Universités avec la Curie romaine, voir N. DEL RE, La Curia Romana. Lineamenti storicogiuridici, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana 41998. Sur l’histoire des rapports entre l’Église et les Universités
en général, voir l’article de M. FOIS , La Chiesa e le Università. Lineamenti storici del rapporto tra Chiesa e Università, in
«Seminarium» 35/1 (nouvelle série), Cité du Vatican, Congrégation pour l’éducation catholique 1995, p. 47-61.
3
58
secrétaire d’État, le cardinal Consalvi, il institua une commission de cinq cardinaux à laquelle
il confia l’étude d’un vaste plan de réforme dans les Universités et les écoles des États
pontificaux. Après de nombreuses séances, qui s’étalèrent sur près de trois ans, la commission
présenta au pape, le 10 janvier 1819, une «Méthode générale», concernant l’organisation et le
programme des études, la situation du personnel, les lois et les privilèges de l’Université. Le
projet fut en partie modifié, en partie complété sous l’influence de la Secrétairerie d’État au
cours de diverses délibérations qui se poursuivirent jusqu’en 1823. Consalvi voulait
l’uniformité et la concentration entre les mains de l’État, en se rattachant à la tradition
ancienne, mais en s’adaptant aussi à l’évolution du temps. Cependant, c’est la tendance
conservatrice des zelanti qui l’emporta, surtout dans les sciences philosophiques et
théologiques.4 Tout cela aboutira en 1824 à la constitution
Quod divina sapientia de Léon
XII.5
Le nouveau cours des choses se fit sentir sans tarder à l’Université de Rome L a
Sapienza (appelée aussi Studium Urbis ou Archigymnasium romain), fondée par Boniface
VIII en 1303. Celle-ci retrouva au temps de la Restauration son caractère mixte, à la fois
religieux et profane, comme aux origines.6 L’État pontifical étant de nature théocratique,
l’enseignement comportait naturellement et nécessairement un caractère confessionnel, avec
une prééminence du religieux. Les Facultés y étaient au nombre de quatre : théologie, droit,
philosophie et médecine-chirurgie, auxquelles sera ajoutée une cinquième de philologie en
1826. Dans le domaine de la théologie, on en restait plus ou moins au statu quo ante :
scolastique de saint Thomas, de Duns Scot ou de Suarez, avec cependant un intérêt nouveau
pour les «lieux théologiques», c’est-à-dire pour la théologie polémique dont l’ennemi numéro
un était le rationalisme voltairien. On est étonné par les pratiques religieuses exigées des
étudiants : messe obligatoire les jours de cours, «congrégation» les jours de précepte, office
des défunts pour la mort d’un membre de l’Université, exercices spirituels à la fin du carême.
Un traitement spécial avec des restrictions était réservé aux juifs et aux autres «hétérodoxes».
Les professeurs étaient tenus d’endosser les toges traditionnelles dont le port avait été aboli
par les lois françaises. Aux étudiants on inculquait des principes de la bonne éducation :
respect envers les professeurs et les supérieurs, interdiction de toute action ou discours
irreligieux, indécent ou incivil, défense de venir aux cours avec des armes ou des bâtons…
Une autre grande nouveauté au temps de la Restauration fut le retour des Jésuites au
Collège romain. Les origines de cette institution remontaient au temps de saint Ignace de
Loyola et de saint François Borgia, qui fondèrent à Rome une école qui deviendra le fameux
Collegio romano.7 Le titre d’Université lui avait été attribué dès 1556 par Paul IV et c’est
Grégoire XIII qui ordonna la construction du monumental édifice qu’on peut encore admirer.
Après le rétablissement de la Compagnie de Jésus en 1814, le Collège romain commença une
nouvelle carrière quand le pape Léon XII le rendit aux Jésuites en 1824.
Cf. J. S CHMIDLIN, Histoire des Papes de l’époque contemporaine, t. I: Pie VII, le pape de la Restauration (18001823), Lyon - Paris, Emmanuel Vitte 1938, p. 215-216.
5 Sur cette réforme des études universitaires, voir A. GEMELLI - S. V ISMARA, La riforma degli studi universitari negli stati
pontifici (1816-1824), Milan, Società Editrice «Vita e pensiero» 1933. Voir aussi R. COLAPIETRA, La Chiesa tra Lamenais
e Metternich. Il pontificato di Leone XII, Brescia, Morcelliana 1963, p. 221-223.
6 Voir par exemple L.
PAZZAGLIA (éd.), Chiesa e prospettive educative in Italia tra restaurazione e unificazione,
Brescia, La Scuola 1994.
7 Sur le Collège romain / la Grégorienne voir G
. F ILOGRASSI, Teologia e filosofia nel Collegio Romano dal 1824 ad oggi:
Note e ricordi, in «Gregorianum» 35 (1954) 3, p. 512-540; G. MARTINA, art. «Grégorienne (Université)», in Dictionnaire
d’histoire et de géographie ecclésiastiques, sous la direction de R. Aubert, assisté de J.-P. Hendrickx et J.-P. Sosson, t. XXII,
Letouzey et Ané, Paris 1988, col. 81-88.
4
59
D’une manière générale, écrit le P. Martina, les Jésuites se distinguèrent par un solide
ultramontanisme, en forte réaction contre le naturalisme, le laïcisme et le rationalisme
moderne. Plusieurs de leurs professeurs, en particulier le moraliste Antonio Ballerini,
menèrent la lutte contre Rosmini au point que Pie IX dut imposer le silence en 1851. En
morale, ils restèrent fidèles au probabilisme et en assurèrent le succès au cours du XIXe siècle.
La Grégorienne eut un rôle de premier plan dans la préparation de la définition du dogme de
l’Immaculée Conception, dont l’un des protagonistes fut le P. Giovanni Perrone (1794-1876),
qui rédigea le premier schéma de la bulle. Perrone est l’auteur des Praelectiones theologicae,
très répandues dans les séminaires en Italie et au-delà des Alpes, mélange de théologie
scolastique et positive. Il est connu aussi pour sa lutte contre Hermes et l’hermésianisme. Bien
qu’éloigné de Rosmini, Perrone eut des contacts amicaux avec Newman, reconnaissant la
validité substantielle de sa thèse sur l’évolution du dogme catholique. Les Jésuites eurent leur
part dans la préparation du Syllabus (1864). Les premiers schémas des deux constitutions de
Vatican I furent l’œuvre des professeurs Perrone, Franzelin et Schrader. Le ferme attachement
des Jésuites aux principes les rendait alors peu sensibles au développement historique. En
exégèse, ils ne surent pas donner une réponse adéquate aux thèses de Wellhausen sur le
Pentateuque et aux prises de position des écoles protestantes. Ses canonistes restaient attachés
à l’idée de chrétienté. Dans le domaine des sciences positives, le Collège romain ne manqua
pas de professeurs de valeur, comme De Marchi, précurseur du renouveau de l’archéologie
chrétienne et maître de Giovanni Battista De Rossi. Il ne faut pas oublier le grand astronome
jésuite Angelo Secchi, qui créa la spectroscopie stellaire et découvrit les canaux de Mars.
Quant au drame de conscience des intellectuels de l’époque à propos de la question
romaine, il est parfaitement illustré par les péripéties du P. Carlo Passaglia. Disciple du P.
Perrone, ultramontain convaincu, ce Jésuite avait accédé en 1845 à la chaire de théologie
dogmatique de La Sapienza. Après les bouleversements de 1848, qui l’avaient contraint à
l’exil, il enseigna au Collège romain. Son enseignement se caractérisait par une «retour aux
sources», grâce notamment à l’utilisation des Pères de l’Église. C’est lui qui fournit à la
définition dogmatique de 1854 les appuis historiques souhaités. En 1857, à la suite d’une
maladie, il ne retrouva pas sa chaire au Collège romain, et quitta la Compagnie. En 1859, il
retournait à La Sapienza, où cette fois il se laissa entraîner dans la cause de l’Italie nouvelle.
Ses écrits, où il démontrait la nécessité «relative» du pouvoir temporel du pape et où il
exhortait les évêques à cesser de se montrer hostile à la patrie italienne reconstruite, furent
bientôt mis à l’index. Il s’enfuit à Turin où il continua sa propagande. Mais bientôt sa
popularité baissa. Être catholique contre le pape était une gageure, à laquelle il ne résista pas
au temps du Syllabus. Le silence se fit autour de lui. Il mourra à Turin en 1887 après s’être
rétracté entre les mains du cardinal Alimonda.
Après le retour des Jésuites au Collège romain en 1824, le clergé de Rome qui les avait
remplacés lors de la suppression de la Compagnie en 1773, transféra les Facultés de théologie
et de philosophie, embryon de la future Université du Latran, dans le palais jouxtant l’église
Saint-Apollinaire.8 C’est là qu’eut lieu l’inauguration officielle de l’année académique le 4
novembre en présence de Léon XII. En 1848, quand les Jésuites se virent contraints à nouveau
de vider les lieux, on occupa de nouveau pour un temps le Collège romain. Ce furent deux
Sur les origines de l’Université du Latran, voir A. PIOLANTI (dir.), La Pontificia Università Lateranense. Profilo della sua
storia, dei suoi maestri e dei suoi discepoli, Rome, Pontificia Università Lateranense 1963, p. 3-18 ; V. PAGLIA, Note sulla
formazione culturale del clero romano tra Otto e Novecento, in «Ricerche per la storia religiosa di Roma» 4, Rome, Edizioni di
storia e letteratura 1980, p. 175-211 ; F. IOZZELLI, Roma religiosa all’inizio del Novecento, Rome, Université Grégorienne
1985, p. 111-147 (la formation du clergé au Séminaire romain).
8
60
années difficiles : on mit le feu au Collège et dans l’incendie disparurent de précieux appareils
de l’observatoire astronomique. Après le retour à l’Apollinaire en 1850, Pie IX s’intéressa de
près à cette institution, qui devait former des prêtres, dont un bon nombre serait appelé à
gouverner l’Église ou à représenter le Saint-Siège dans le monde.9 Ses élèves provenaient
principalement du séminaire romain, dont l’existence remontait à 1565, et du nouveau
séminaire créé par Pie IX en 1853 pour accueillir les clercs provenant des 68 diocèses des
États Pontificaux. Dans l’optique du temps où la position institutionnelle du pape et de ses
États était menacée, l’enseignement du droit ne pouvait manquer, aussi bien pour défendre les
droits de l’Église, que pour former de futurs enseignants dans cette discipline. C’est pourquoi
Pie IX y fonda en 1853 une Faculté où l’on enseignerait à la fois le droit canonique et le droit
civil.10 Pie IX faisait appel fréquemment aux professeurs de l’Apollinaire comme
collaborateurs pour les actes de son pontificat. Plusieurs travaillèrent à la rédaction du
Syllabus, ainsi qu’à la préparation du concile Vatican I. Ce qui devait distinguer les maîtres de
l’Apollinaire, c’étaient le sens de la «romanité», impliquant une forte adhésion au Magistère
suprême et à la tradition de l’Église.
En ce qui concerne le Collegio Urbano de la Propagande, qui avait été supprimé sous la
révolution française comme «un établissement fort inutile», il rouvrit ses portes en 1818 dans
des conditions très diminuées.11 Il connut une nouvelle jeunesse sous la direction du
camaldule Mauro Cappellari (1826-1831), futur Grégoire XVI, qui donna une forte impulsion
aux missions. Le préfet des études était alors le grand érudit Angelo Mai, le «Christophe
Colomb des manuscrits antiques», qui découvrit 359 inédits. De 1836 à 1848 Grégoire XVI
confia le Collège aux Jésuites, qui comptèrent alors parmi leurs élèves le futur cardinal John
Henry Newman.
De la fin du pouvoir temporel à l’avènement de Pie XI (1870-1922)
La prise de Rome en 1870 par les troupes du nouvel État italien et la fin du pouvoir
temporel du pape provoquèrent de grands bouleversements dans la vie des institutions de
formation supérieure.12 L’antique Université La Sapienza passa intégralement sous le contrôle
du nouvel État italien, ce qui entraîna non seulement la démission d’un certain nombre de
professeurs, mais aussi la suppression des Facultés de théologie et de droit canonique. Les
institutions ecclésiastiques les plus touchées furent celles des Ordres religieux, en particulier
des Jésuites, alors que l’Apollinaire du clergé de Rome y gagnait un afflux de nouveaux
étudiants clercs et laïcs. Le Collège romain fut réquisitionné, sa bibliothèque confisquée et
intégrée en bonne partie dans la Bibliothèque nationale à Rome. Ses professeurs et ses
étudiants trouvèrent refuge dans le palais Borromeo voisin. Ils y resteront jusqu’en 1930, date
à laquelle le P. Ledochowsky, préposé général de la Compagnie, trouva le siège actuel, piazza
della Pilotta.
Les autres religieux présents à Rome ne furent pas mieux lotis. Les Franciscains
Le futur Jean XXIII fut élève du séminaire romain de 1901 à 1905 et fréquenta les cours de l’Apollinaire, avant d’y
devenir professeur de patrologie et d’éloquence sacrée en 1924-1925.
10 Sur les études de droit au Latran (anciennement Saint-Apollinaire) voir O.
BUCCI, Lo Studium Romanae Curiae
Lateranense e l’insegnamento del diritto, in «Apollinaris» 63 (1990) 3-4, p. 729-868 ; 64 (1991) 1-2, p. 151-226 ; 3-4, p. 549647.
11 Sur l’histoire de cette institution voir la notice de S. GAROFALO, L’Università Urbaniana : un lungo cammino nella storia ,
in «Euntes et docete. Commentaria Urbaniana» 30 (1977), Rome, Pontificia Universitas Urbaniana, p. 538-544.
12 Voir G. MARTINA, Roma, dal 20 settembre 1870 all’11 febbraio 1929 , in Storia d’Italia, Annali 16 : Roma, città del papa , a
cura di L. Fiorani e A. Prosperi, Turin, Einaudi editore 2000, p. 1059-1100.
9
61
conventuels perdirent leur Collège Saint-Bonaventure. Le Studium des Frères mineurs de S.
Maria in Ara Coeli au Capitole dut laisser la place pour permettre la construction du
Monument national à Victor-Emmanuel II. Les Dominicains furent contraints d’abandonner
leur Collège près de S. Maria sopra Minerva avec sa bibliothèque, héritage précieux du
cardinal Casanate, et de se mettre à la recherche d’un refuge provisoire. L’Ordre de saint
Augustin perdit son siège central et sa fameuse bibliothèque «Angelica». L’Ordre des Servites
perdit son Collège S. Marcello.
Peu à peu on assista cependant à un renouveau des études ecclésiastiques et à une
refondation de certaines institutions académiques. Les Jésuites ajoutèrent en 1876 aux
Facultés traditionnelles de philosophie et de théologie celle de Droit canonique. Léon XIII
favorisa le Collège Saint-Thomas, en lui attribuant une Faculté de philosophie en 1882 et une
Faculté de droit canonique en 1896, si bien qu’en 1909 le centre romain des Dominicains se
transformera en Institut pontifical international Angelicum sous l’impulsion du P. Cormier,
maître général de l’Ordre.13 Celui-ci fera appel au P. Garrigou-Lagrange qui, pendant près
d’un demi-siècle, y sera l’un des maîtres du renouveau thomiste et l’adversaire de
l’eclectisme. Quant aux familles franciscaines, elles connurent un nouveau départ après les
convulsions de l’unité italienne. Les Mineurs établissaient en 1887 près de Saint-Jean de
Latran leur Collège international Saint-Antoine de Padoue, Studium général de l’Ordre pour la
philosophie, la théologie et le droit canonique, avec une spécialisation pour la formation des
futurs missionnaires. Les Conventuels, quant à eux, ouvrirent en 1894 leur «Collège
séraphique international», destiné à remplacer l’ancien Collège Saint-Bonaventure ; il obtint
du Saint-Siège en 1905 le droit d’ériger une Faculté de théologie. Le Collège Saint-Anselme,
autrefois centre d’études théologiques de la Congrégation bénédictine du Mont-Cassin, fut
restauré en 1887 pour les étudiants de toutes les Congrégations bénédictines et Léon XIII lui
accorda en 1891 le droit de conférer les grades académiques en philosophie, théologie et droit
canonique. Les Augustins se fixèrent en 1882 dans leur siège actuel et reprirent leurs études,
particulièrement dédiées à saint Augustin et aux Pères de l’Église. Le Collège des Servites fut
recréé en 1895.
C’était l’époque où Léon XIII consacrait le renouveau du thomisme. Après
l’encyclique Aeterni Patris de 1879, qui recommandait aux philosophes et aux théologiens
l’aurea sapientia de saint Thomas comme le moyen le plus sûr pour combattre et vaincre les
erreurs modernes, l’enseignement théologique à la Grégorienne, plutôt de type éclectique dans
la ligne de Francisco Suarez, devint ardemment thomiste, sous l’influence en particulier du
futur cardinal Louis Billot.14 À l’Apollinaire, c’est un P. Tabarelli qui au nom du thomisme
pourfendra le rosminianisme, le positivisme, le rationalisme et l’antithomisme, mais il sera
aussi l’un des premiers à établir la thèse de la distinction entre l’essence et l’existence, que les
études ultérieures sur la structure théorique du thomisme indiqueront comme la clef de toute
la métaphysique thomiste.
Le retour au thomisme et à la philosophie médiévale eut aussi ses contrecoups. Au
début du vingtième siècle, Rome – qui l’eût cru ? – devint un des foyers du modernisme.15
Voir F. CENTO, Storia e missione del Pontificio Ateneo Angelicum [discours prononcé à l’occasion du cinquantenaire de
l’Athénée le 10 mars 1960].
14 Sur les retombées en France du renouveau thomiste voir par exemple S.-T.
BONINO (dir.), Saint Thomas au XX e
siècle. Actes du colloque du Centenaire de la «Revue thomiste» (25-28 mars 1993, Toulouse), Paris, Éditions SaintPaul 1994.
15 Voir une étude sur le modernisme à Rome de L. FIORANI, Modernismo romano 1900-1922 , in «Ricerche per la storia
religiosa di Roma» 8, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1990, p. 75-170.
13
62
L’on suspecta notamment deux institutions de formation du clergé : le collège Capranica, dont
les séminaristes issus de l’élite fréquentaient la Grégorienne, et le Séminaire romain, qui
formait ses élèves à l’Apollinaire. Certains parmi les futurs prêtres trouvaient, dit-on, que le
climat culturel dans lequel on les entretenait était trop fermé, trop étranger aux débats qui
agitaient le monde universitaire et la société. Formalisme aride de la scolastique, abus de
l’argument d’autorité, manque du sens de l’histoire, méconnaissance de la philosophie
moderne, tels étaient les griefs les plus souvent adressés à l’encontre de l’enseignement. Les
uns, comme Ernesto Buonaiuto, lisaient avidement Kant, Loisy ou Blondel et se passionnaient
pour les méthodes nouvelles en exégèse, d’autres comme Romolo Murri cherchaient une
nouvelle approche dans les questions sociales. Ce furent notamment les problèmes du
modernisme, spécialement en exégèse, qui déterminèrent Pie X en 1909 à fonder l’Institut
biblique pontifical, pour l’étude de la Bible et de l’Ancien Orient. Celui-ci passera d’ailleurs
peu à peu d’une attitude purement défensive à un dépassement de cette position, sous
l’impulsion en particulier du futur cardinal Augustin Bea.16 En 1910, Pie X fonda également
l’École supérieure de musique sacrée, qui reçut en 1914 la possibilité de conférer les grades
académiques. En 1908 il avait accordé au Collège international de l’Ordre de saint Augustin
les Facultés de théologie et de droit canonique.
L’époque de la première guerre mondiale ne fut guère favorable aux études et aux
Universités. Signalons cependant quelques événements marquants. Le rôle des Jésuites fut
important dans la préparation du code de droit canonique, qui sera publié par Benoît XV en
1917. On peut conjecturer, dit le P. Martina, que seul un jésuite a pu avoir l’idée de mettre à la
fin du code le sigle typique de la Compagnie : A.M.D.G. (Ad majorem Dei gloriam). La
même année, Benoît XV fonda l’Institut oriental, peu de temps après la création de la S.
Congrégation pour l’Église d’Orient, signe d’un intérêt nouveau pour la réalité de l’Orient
chrétien. À l’Angelicum, vers la même époque, le P. Garrigou-Lagrange, pionnier de la
«restauration mystique», fondait la première chaire de théologie spirituelle dans l’histoire de
l’enseignement de la théologie.
De Pie XI au concile Vatican II (1922-1962)
Avec l’avènement de Pie XI, pape savant et pape des missions, et grâce au règlement
des questions litigieuses entre le Saint-Siège et l’État italien par le moyen des accords du
Latran et du concordat, les études supérieures connurent un accroissement notable et une
organisation précise et centralisée. Une des premières initiatives du pape fut la création en
1925 de l’Institut pontifical d’archéologie chrétienne, dont le but était triple : d’abord réunir
tout le matériel scientifique pour l’étude complète des monuments et des inscriptions du
christianisme primitif, puis promouvoir des études sur les monuments chrétiens de Rome et
du monde antique, et enfin former des spécialistes dans le domaine de l’archéologie
chrétienne à partir d’une connaissance de visu de ces monuments. A la Grégorienne le pape
voulut que l’on associât en 1928 deux autres institutions pontificales confiées dorénavant à la
Compagnie de Jésus: l’Institut biblique et l’Institut oriental.
Le 24 mai 1931, Pie XI promulgua la constitution Deus scientiarum Dominus, qui eut
des répercussions durables sur le développement des études ecclésiastiques dans toutes les
Universités et écoles supérieures dépendant du Saint-Siège. Celui-ci se réservait le droit
À l’occasion des 90 ans de cette institution, voir l’exposé historique de G. MARTINA, A novant’anni dalla fondazione
del Pontificio Istituto Biblico, in «Archivum Historiae Pontificiae» 37 (1999), Rome, Université Grégorienne, p. 129-160.
16
63
d’habiliter les instituts et de conférer la mission canonique aux professeurs. Au sein de la
Grégorienne naquirent en 1932 deux Facultés nouvelles, une dédiée à l’histoire de l’Eglise et
l’autre à la missiologie. L’Athénée pontifical établi à Saint-Apollinaire fut transféré dans son
nouveau siège, tout près de la basilique du Latran.17 Ses Facultés de droit canonique et de
droit civil deviendront en 1937 l’Institut pontifical utriusque juris, une institution que l’on dit
unique au monde. Le Collegio Urbano de la Propagande, qui s’était installé dans un nouvel
édifice situé sur le Janicule en 1926, solennellement inauguré par Pie XI lui-même le 24 avril
1931, se dota de nouveaux statuts pour se conformer aux directives pontificales et créa en son
sein en 1933 un Institut missionnaire scientifique. L’École supérieure de musique sacrée
devint l’Institut pontifical de musique sacrée et fut comptée parmi les Universités et Facultés
pontificales. Les Franciscains obtinrent en 1933 que leur Collège international Saint-Antoine
de Padoue ou Antonianum fût érigé en Athénée, avec le droit de conférer les grades
académiques,18 mais le titre «pontifical» ne lui serait accordé qu’en 1938, après l’approbation
définitive des statuts, sans doute parce qu’on craignait que les Franciscains ne fussent pas
assez thomistes. On prêtait à Pie XI ce mot : «Faites bien attention que l’Athénée SaintAntoine ne devienne pas une académie scotiste». Les Conventuels virent leur Collège SaintBonaventure reconnu comme Faculté de théologie pontificale en 1935. Pareillement la
Faculté de théologie des Carmes déchaux fut reconnue officiellement en 1935 ; connue
aujourd’hui sous le nom de Teresianum, elle se dotera en 1957 d’un Institut de spiritualité
destiné à approfondir la dimension spirituelle de la Révélation dans la ligne de sainte Thérèse
d’Avila et de saint Jean de la Croix. L’Institut Saint-Anselme des Bénédictins, qui reçut le
titre «pontifical» en 1933, allait se spécialiser dans les études liturgiques et monastiques.
Sous le pontificat de Pie XII, l’influence de la Grégorienne devint particulièrement
marquante. Ce pape fit largement appel à ses services pour la préparation non seulement du
dogme de l’Assomption, mais aussi de ses discours, de ses encycliques et de nombreux autres
documents. Le P. Leiber fut le secrétaire du pape pour les affaires allemandes ; le P. Hürth
prépara nombre de ses discours ; le P. Tromp fut le premier rédacteur de Mystici corporis et le
P. Bea passe pour le principal rédacteur de Divino afflante Spiritu. La Grégorienne se dotera
en 1958 d’un Institut de spiritualité. Le Collège de la Propagande créa en 1949 une section de
langues, et en 1959 un Institut supérieur pour l’étude de l’athéisme. À l’Angelicum, le futur
cardinal Paul Philippe fonda en 1950 un Institut de spiritualité, qui sera approuvé en 1958.19
Un Institut de pastorale vit le jour au Latran en 1957. L’étude des problèmes sociaux
progressa grâce à la création en 1952 d’un Institut de Sciences sociales à l’Angelicum, suivi
par la Grégorienne en 1955. Les autres familles religieuses établies à Rome développèrent
également leurs centres de formation. Les Rédemptoristes fondèrent en 1949 l’Académie
Alphonsienne, ou Institut supérieur de théologie morale, qui sera approuvée en 1957 et
insérée en 1960 dans l’Université du Latran. Du côté des Bénédictins, il faut signaler la
création au sein de la Faculté de théologie de l’Anselmianum d’un Institut d’études
monastiques, puis en 1961 d’un Institut pontifical de liturgie, avec ses statuts particuliers qui
l’autorisaient à conférer la licence et le doctorat en théologie avec spécialisation liturgique.
Dans le climat marial de l’époque fut érigée en 1955 la Faculté pontificale de théologie
Marianum, héritière du Collège de théologie de l’Ordre des Servites, spécialisée dans les
problèmes de mariologie. En 1960, l’ancien Institut des Belles-Lettres Arabes (I.B.L.A.) des
L’installation eut lieu en 1937. Voir la brochure Pontificio Ateneo Lateranense. La nuova sede, Rome, S. Michele 1937.
Voir AA.VV., Pontificium Athenaeum Antonianum ab origine ad praesens , Rome, Ed. Antonianum 1970. Voir aussi un
chapitre sur l’activité scientifique et artistique des familles franciscaines dans L. IRIARTE, Storia del francescanesimo,
Rome, Edizioni Dehoniane 21994, p. 477-481.
19 Quelques années plus tôt, de 1946 à 1948, le futur Jean-Paul II avait fréquenté l’ Angelicum et obtenu le doctorat en
théologie avec une thèse sur le concept de foi chez saint Jean de la Croix.
17
18
64
Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs), dont les origines remontent à la fondation en 1926 à
Tunis d’une maison pour la formation des missionnaires en contexte musulman, devint un
Institut pontifical spécialisé dans les études arabes et les sciences islamiques ; il sera transféré
à Rome en 1964.
Jusqu’à la veille du concile prévaudra dans les Universités pontificales une approche
sévèrement critique des problèmes du temps, encore marquée par les condamnations
antimodernistes des débuts du siècle. En 1946, le P. Garrigou-Lagrange publia dans la revue
«Angelicum» un article qui devait faire du bruit : «La Nouvelle Théologie où va-t-elle ?» La
méthode théologique de son confrère Marie-Dominique Chenu lui paraissait en effet semimoderniste.20 L’annonce par Jean XXIII en 1959 d’un concile œcuménique aura donc des
conséquences difficilement prévisibles. Le 18 juin 1959, les Universités catholiques et les
Facultés ecclésiastiques furent invitées à présenter leurs studia et leurs vota à la Congrégation
du concile, c’est-à-dire les sujets qu’elles aimeraient voir discuter lors du prochain concile.21
Leurs contributions, nombreuses et variées, reflètent l’état des esprits à cette époque, partagés
entre le souci de réaffirmer la tradition de l’Église et de répondre aux nouvelles requêtes qui
se faisaient jour.
Les Jésuites de la Grégorienne envoyèrent un long document traitant de la théologie, du
droit canonique, de la missiologie et des sciences sociales, ainsi que les propositions émanant
de l’Institut biblique et de l’Institut oriental. Dans la masse des contributions retenons la
question herméneutique dans l’approche de la Bible, une étude sur le principe de subsidiarité,
la défense du célibat des clercs, une proposition sur l’amovibilité des curés et une autre sur la
possibilité de modérer le taux de natalité. Le Latran insista sur la juridiction du Pontife
romain, sur l’enseignement du thomisme face à la crise de l’autorité et au refus du Magistère,
en même temps qu’il prônait une réforme du droit canonique et une saine «adaptation» dans
l’annonce de l’Évangile. L’Athénée de la Propagande souleva le problème de l’athéisme
contemporain, insista lui aussi sur la nécessité d’une «adaptation» missionnaire, ainsi que sur
la connaissance des cultures et des religions non chrétiennes. Les Dominicains de l’Angelicum
s’en prirent au relativisme moderne et à la théorie de l’évolutionnisme, tout en soulignant la
nécessité d’un nouveau Code de droit canonique mieux adapté au temps. Les Bénédictins de
Saint-Anselme dénoncèrent le matérialisme et l’irrationalisme moderne en matière de foi,
suggérant par ailleurs la restauration du baptême des adultes. Les Franciscains de
l’Antonianum firent des propositions variées allant de la définition de la maternité spirituelle
de Marie et du rétablissement du diaconat permanent à l’affirmation des principes de la
morale catholique et de l’unité de la discipline ecclésiastique. Les Salésiens, pour leur part,
intervinrent dans les domaines de la théologie morale et pastorale, soulignant la nécessité des
études de pédagogie (ainsi que de psychologie et de sociologie) et des moyens de
communication sociale ; en liturgie ils prônèrent entre autres choses le rétablissement de la
concélébration. L’Institut de musique sacrée plaida pour le latin et le chant grégorien dans la
liturgie, tandis que celui de l’archéologie chrétienne se désolait de l’indifférence des clercs
pour les témoignages de l’antiquité. Les Franciscains Conventuels de Saint-Bonaventure
rappelaient la médiation universelle de Marie, ainsi que la dignité et la mission de saint
Joseph, sans oublier de signaler par ailleurs les bienfaits de l’exemption des religieux. Les
Carmes déchaux souhaitaient une condamnation du «naturalisme historico-psychologique»
Cf. É. FOUILLOUX, Courants de pensée, piété, apostolat, in J.M.
MAYEUR et al., Histoire du christianisme des
origines à nos jours, t. XII, Desclée - Fayard 1990, p. 155.
21 On peut lire leurs contributions dans les Acta et documenta Concilio Oecumenico Vaticano II apparando, series I
(antepraeparatoria), vol. IV : Studia et vota Universitatum et Facultatum in Urbe, 1-2, Typis Polyglottis Vaticanis 1
961.
20
65
de H. Duméry et du «naturalisme cosmologique» de P. Teilhard de Chardin, mais laissaient
une porte ouverte pour le salut des athées de bonne foi. Enfin le Marianum rappela la mission
singulière, les privilèges et le culte de Marie dans l’Église.
De l’époque qui précéda immédiatement le concile on a retenu surtout la polémique qui
opposa quelques professeurs du Latran à ceux de l’Institut biblique. Mgr Romeo publia en
1960 un article très critique dans la revue «Divinitas» à l’encontre des opiniones novae
professées au Biblique.22 Suivit un monitum du Saint-Office le 20 juin 1961. L’Institut
biblique réfuta en 1962 les «accusations gravissimes» portées contre lui, disait-il, avec une
«véhémence inouïe». On écarta de l’enseignement biblique les professeurs Zerwick et
Lyonnet. La polémique ne s’apaisera qu’après le discours tenu par Paul VI au Latran le 31
octobre 1963. Le pape souhaita à cette occasion que l’affirmation de l’Université du Latran
dans le concert des grands instituts romains de haute culture ecclésiastique fût «celle de la
sincère reconnaissance, de la fraternelle collaboration, de la loyale émulation, de la mutuelle
révérence et de l’antique concorde, et jamais celle d’une polémique désagréable».
Le 22 février 1962, quelques mois avant l’ouverture du concile Vatican II, Jean XXIII
signait solennellement sur la tombe de saint Pierre la constitution apostolique Veterum
sapientia, qui réaffirmait le latin comme la langue de l’Église, en ordonnait l’apprentissage
aux futurs clercs et l’usage dans l’enseignement de la théologie, et interdisait les discussions
sur son utilité. À la suite de cette intervention magistérielle fut créé l’Institut de latinité, dont
la réalisation sera confiée par Paul VI aux Salésiens. Mais le concile qui allait s’ouvrir, sans
renier les acquis du passé, s’apprêtait à ouvrir des pistes inédites de réflexion, qui allaient
transformer la vie des Universités pontificales durant les dernières décennies du vingtième
siècle.
Sur cette polémique voir M. PESCE, Il rinnovamento biblico, in A. FLICHE – V. M ARTIN, Storia della Chiesa , t. XXV/2,
Cinisello Balsamo, Edizioni San Paolo 1994, p. 168-186.
22
66
FONDATION (1889-1896) ET "REFONDATION" (1936-1941)
DE L'UNIVERSITÉ DE FRIBOURG
Prof. Francis PYTHON,
Université de Fribourg, Suisse.
Hormis l'Université de Bâle, création de la papauté au XVème siècle, les universités
en Suisse datent du XIXème siècle. Elles ont été érigées par des cantons et le projet d'une
Université fédérale, inscrit dans la Constitution de 1848, n'a donné le jour qu'à une Ecole
polytechnique (1854). Les Hautes-Ecoles cantonales ont été greffées sur des Académies, de
type réformé, plus ou moins affranchies du moule religieux (Zurich 1833, Berne 1834,
Genève 1872, Lausanne 1890 et Neuchâtel 1909). Même si Fribourg érige sa petite Ecole de
droit (1763) en Faculté autonome en 1882, la création de son Université, en 1889, malgré la
coïncidence temporelle, se démarque en plusieurs aspects du processus d'édification des
autres universités du pays.
1. Conditions lointaines et circonstances immédiates
Le projet qui se concrétise à Fribourg a été longuement rêvé et progressivement mûri
par les catholiques suisses depuis la Réforme. La formule des collèges tenus par les jésuites
puis par d'autres réguliers n'avaient pas pu être dépassée pour de multiples raisons dont,
parmi elles, la faiblesse et la rivalité des cantons ne doivent pas être sous-estimées. Avec le
développement économique et culturel de la Suisse industrielle et commerçante du XIXe,
basée en terre protestante, l'infériorité intellectuelle des catholiques suisses devint de plus en
plus insupportable. La défaite de l'Alliance séparée des sept cantons catholiques en 1847
suivie de l'expulsion et de l'interdiction des jésuites la manifesta très crûment. Les catholiques
suisses entraient dans un ghetto comme l'a montré Urs Altermatt1. Ce fut aussi un moment de
réorganisation qui devait déboucher, après l'épreuve du Kulturkampf, sur une réaffirmation
identitaire et une créativité socio-culturelle revigorée.
C'est dans ce cadre général que s'insère la fondation de l'Université de Fribourg, mais
si l'on examine de plus près les circonstances de son émergence, on peut distinguer divers
niveaux de réalité où l'idée d'ouvrir une université catholique rencontre adhésions, réticences,
contre-propositions et oppositions.
Dans ce moment de repli et de réorganisation des catholiques suisses entre 1848 et la
fin du Kulturkampf, virulent vers 1880, plusieurs cantons vivent à des rythmes différents le
choc de la domination libérale et l'édification d'une contre-culture catholique. Fribourg, par
exemple, avait affronté, entre 1848 et 1856, une sorte de Kulturkampf avant l'heure2 et sa
restauration conservatrice s'était affirmée dès la fin des années 1860. Le canton vécut alors,
pour ainsi dire par procuration, les effets du véritable Kulturkampf qui se donna libre cours à
Genève et dans le diocèse de Bâle, notamment dans le Jura, une décennie plus tard. Ce fut
l'occasion de mettre en place un catholicisme qui prenait très au sérieux l'inflexion doctrinale
du Syllabus. A l'instigation du chanoine Schorderet, un sectateur de Louis Veuillot, des
Altermatt Urs: Le catholicisme au défi de la modernité. L'histoire sociale des catholiques suisses au XIXe et XXe
siècles. Lausanne, Payot, 1994.
2 Python Francis: Mgr Etienne Marilley et son clergé à Fribourg en temps du Sonderbund, 1846-1856. Intervention
politique et défense religieuse. Fribourg, Ed. Univ., 1987.
1
67
œuvres de presse (La Liberté) et de rassemblement des élites (cercle catholique, société
d'instituteurs, société d'étudiants catholiques) et des masses (Association de Pie IX) se
développent. Cet ensemble allait conquérir pleinement, dès 1881, le pouvoir cantonal en
réaction au centralisme de l'Etat fédéral, qui après avoir modifié la constitution dans un sens
anti-catholique (1874), commence à s'essouffler (échec au bailli scolaire en 1882).
Les autres cantons catholiques connaissent une évolution semblable mais seuls
Fribourg et Lucerne, de par leur force relative, pouvaient prétendre à fournir les bases d'une
Haute-Ecole. Or Lucerne est davantage imprégné de libéralisme et son leader, Philip-Anton
von Segesser, éprouve des réticences devant l'évolution du mouvement ultramontain sous Pie
IX. Cela n'est pas le cas de Fribourg, un canton bilingue, où les liens avec Rome semblent
encore renforcés par l'accession au siège épiscopal de Mgr Mermillod en 1883. Cette
proximité avec les impulsions romaines n'ira pas d'ailleurs sans contradictions. Dès 1878,
Léon XIII avait fait connaître aux évêques suisses son souhait de voir ériger une université
catholique mais la conférence épiscopale avait jugé le moment inopportun et affirmait n'avoir
besoin, en premier lieu, que d'un établissement destiné uniquement à la formation
théologique.
2. Les acteurs et les étapes
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le rôle de Mgr Mermillod dans la
fondation de cette université à caractère catholique et international ne fut pas décisif en tant
que tel et, paradoxalement, c'est par opposition à ses conceptions et à ses projets que
l'institution vit le jour.
Il faut distinguer dans cette phase de lancement deux processus très enchevêtrés et
plusieurs étapes3 concernant d'une part, les érections des Facultés de droit et de lettres (1889),
puis de sciences (1895-96) et, d'autre part, la mise en place d'une Faculté de théologie et
surtout le choix de son corps enseignant. Il faut aussi prendre en compte plusieurs milieux et
groupes d'acteurs qui cherchent à imposer et à réaliser leurs projets en tentant d'obtenir
l'assentiment et l'appui de Rome.
On peut ramener ceux-ci à quatre intervenants principaux rayonnant en cercles
concentriques autour de Fribourg, sans compter de multiples interférences entre eux et hors
d'eux. Le cercle le plus large est constitué par le milieu catholique suisse, socialement et
politiquement organisé, représenté par les leaders des partis conservateurs cantonaux, députés
aux Chambres fédérales. Ces derniers peuvent faire fond sur un tissu associatif dense et bien
irrigué. Ils savent surtout ce qu'il est possible de réaliser sur le plan politique suisse alors que
se règlent les plus grosses séquelles du Kulturkampf et qu'une coalition s'esquisse avec les
forces radicales dominantes pour faire front à la poussée socialiste (premier conseiller fédéral
conservateur catholique élu en 1891).
L'étude de la genèse de l'Université de Fribourg a été menée sous plusieurs angles dans la monumentale
Histoire de
l'Université de Fribourg Suisse, 1889-1989 – Geschichte der Universität Freiburg Schweiz. Instituions, enseignements, recherches.
Institutionen, Lehre und Forschungsbereiche. Fribourg, Ed. Univ. 1991. 3vol. 1199 p. Cet ouvrage constitue la base
essentielle de notre contribution.
Les débuts de l'Université ont été abordés sous l'angle de sa préhistoire dans l'aire germanique par Heribert Raas,
vol. 1, pp. 4-32; sous l'aspect helvétique du processus de son érection par Urs Altermatt, vol. 1, pp. 32-74; à travers
le prisme de ses fondements idéologiques par le P. Dominique Barthélemy, vol. 1, pp. 141-148.
Les débuts de la Faculté de théologie ont été analysés par le P. Vicaire, vol. 2, pp. 483-513, et la naissance de la
Faculté des sciences a été traitée par Edgard Giovannini, vol. 2, pp. 775-798.
3
68
Le deuxième et le troisième cercle sont constitués par les évêques suisses qui sont
organisé en conférence et par l'évêque de Lausanne et Genève, résidant à Fribourg, Mgr
Mermillod. Ce dernier est sans doute le plus illustre des prélats mais il n'est ni le plus écouté
ni le plus influent malgré ses attaches romaines. Ses liens étroits avec la France et son
absentéisme expliquent en partie cette marginalisation.
Le dernier cercle est composé du gouvernement cantonal fribourgeois dont l'homme
fort est, depuis septembre 1886, Georges Python. Ce dernier est le produit et le maître d'un
régime qu'on appellera "République chrétienne" par référence à l'idéal de l'union de l'Eglise et
de l'Etat réalisé en Equateur par Garcia Moreno.
3. Des stratégies entrecroisées et contradictoires4
A peine arrivé au pouvoir, Georges Python va tout mettre en œuvre pour réaliser à
Fribourg un des projets longtemps caressés et toujours en discussion dans le milieu
catholique suisse, mais qui se heurtait à un défaut chronique de ressources financières et au
manque d'une volonté politique clairement affirmée. Une base financière, certes trop faible,
est obtenue du législatif cantonal en décembre 1886 déjà, puis confirmée en 1887. Un capital
de 2,5 millions de francs est destiné à la fondation et des pleins-pouvoirs sont accordés à G.
Python pour mener des négociations avec les autorités ecclésiastiques intéressées.
A partir de l'estimation d'un revenu annuel nécessaire au fonctionnement de
l'Université s'élevant à 250'000 francs, G. Python chercha à doubler ce capital initial pour
mettre l'affaire sur les rails. Son premier projet, un peu utopique, fut d'offrir au Pape le
contrôle d'une société anonyme qui posséderait l'Université si Rome achetait pour 2 millions
de francs d'actions. Léon XIII fit rapidement comprendre qu'il n'avait pas les moyens de
s'engager financièrement. Placer le projet de l'Université des catholiques suisses sous
l'autorité du Pape, ce qui lui donnerait un caractère orthodoxe et international, était cependant
de bonne stratégie. Réaliste, G. Python amenda son plan. Etant donné la situation helvétique,
cette université ne pouvait pas être totalement libre et devait revêtir un caractère étatique, ce
que le canton de Fribourg pouvait offrir. Pour les mêmes raisons et vu l'existence d'une
minorité réformée dans le canton, la Haute Ecole ne pouvait pas être catholique de jure, mais
elle le serait de facto, le sort de la Faculté de théologie étant réservé.
Ces trois caractéristiques de l'institution projetée par Georges Python: une université
d'Etat, à dimension internationale et à vocation catholique, ne convergeaient pas avec le plan
esquissé par l'évêque Mermillod. L'Ordinaire, qui avait souffert à Genève de la tutelle de
l'Etat sur l'Eglise et qui appréciait peu l'édification politique d'une "République chrétienne" à
Fribourg, imaginait une université catholique libre dépendant entièrement et directement des
évêques sur le modèle de Louvain ou de ce qui venait d'être réalisé par l'épiscopat français.
Les leaders politiques catholiques suisses redoutaient, par ailleurs, qu'une telle université ne
pût procéder à la collation de grades académiques reconnus par l'Etat fédéral et les autres
cantons. Avec les évêques suisses, ils craignaient aussi que l'érection d'une Haute Ecole,
juridiquement confessionnelle, ne fît rebondir le Kulturkampf. De plus, les ressources
financières manquaient aussi bien à Mgr Mermillod qu'à l'épiscopat helvétique.
Les sources de cette histoire ont été rassemblées par le P. Dominique Barthélemy: Etudes et Documents sur l'histoire de
l'Université de Fribourg /Suisse. Fribourg, Ed. Universitaires 1991. Etudes 1: Idéologie et Fondation, 176 p. Documents 1:
I. Sur la préparation et les vingt-cinq premières années. II. Correspondance Schorderet-Python, 542 documents, 396 p.
4
69
La canton de Fribourg n'en avait pas beaucoup plus mais avec l'habile création de
quelques nouvelles sources de financement, les encouragements de Léon XIII et le soutien
des autres évêques du pays, Georges Python prit de vitesse les opposants en lançant les
Facultés de droit et des lettres à l'automne 1889. La résistance de Mgr Mermillod fut plus
difficile à vaincre à propos de la création d'une Faculté de théologie où la juridiction des
évêques suisses et surtout de l'Ordinaire ne pouvait être ignorée.
4. Les enjeux de la Faculté de théologie
Là encore, les positions de Mgr Mermillod et de Georges Python étaient antagonistes,
comme cela apparaît dans leurs démarches visant à obtenir l'aval du St-Siège pour leur projet.
Pour l'homme politique fribourgeois, qui avait défendu les prérogatives de l'Etat en ce
qui concernait le Droit et les Lettres, la Faculté de théologie pouvait dépendre directement du
Pape. Il suggère même à Léon XIII de faire donner l'enseignement dans une stricte
perspective thomiste, recommandée depuis Aeterni Patris. Son envoyé, C. Decurtins,
proposera de faire appel aux dominicains, sans craindre la Constitution fédérale interdisant la
fondation de nouveaux couvents.
G. Python s'engage à financer l'établissement avec l'aide des Evêques suisses, ce qui
n'était pas formellement garanti, mais il pouvait compter sur leur soutien et plus
particulièrement sur celui de l'influent Mgr Egger de Saint-Gall qui n'avait plus de séminaire
et qui promettait d'envoyer ses futurs prêtres à Fribourg.
Pour un Mermillod, en revanche, dont l'ultramontanisme était patent et qui avait fait
montre d'un certain internationalisme avec l'Union de Fribourg, l'enseignement théologique
de la future Faculté devait être dispensé, en partie tout au moins, par des prêtres séculiers
pour tenir compte des "intérêts religieux nationaux de la Suisse et de [sa] situation
démocratique". L'évêque était encore échaudé par le mauvais accueil réservé par ses
confrères à son plan de Séminaire national qui aurait dû être érigé selon une formule
sulpicienne et avec des "abbés français" dont on se méfiait en Suisse allemande.
Là encore, Rome suivit plutôt G. Python et son émissaire C. Decurtins, en confiant la
Faculté à l'ordre des dominicains. Un contrat fut promptement rédigé entre l'ordre et le
gouvernement fribourgeois, le 24 décembre 1889, qui précisait l'engagement des religieux
dans les 5 chaires de la Faculté qui allait ouvrir ses portes au semestre d'hiver 1890. Trois
autres pères allaient être détachés pour enseigner la philosophie en Faculté des lettres dès
Pâques 90. Le gouvernement fribourgeois devait pourvoir au traitement et au logement des
religieux enseignants.
Mgr Mermillod n'obtint que des atténuations de pure forme à la solution favorable au
gouvernement fribourgeois adoptée par Rome. La Faculté de théologie lui échappait
complètement. Car Georges Python avait eu l'habilité de signer la convention avec l'ordre
dominicain en s'appuyant sur les autres évêques suisses qui étaient dans le même état d'esprit
face au projet de Mgr Mermillod. On vit alors ce dernier défendre son Séminaire diocésain et
refuser de l'intégrer à la nouvelle institution.
70
L'université prit corps alors que les moyens financiers manquaient encore pour cette
Faculté. G. Python obtint habilement de la ville de Fribourg un capital de 500'000 francs mais
l'hébergement des dominicains et l'instauration d'un convict pour les étudiants en théologie
fut financé par l'ordre qui investit une somme de même valeur. La nouvelle institution
pouvait fonctionner mais les rapports entre le gouvernement fribourgeois et Mgr Mermillod
avaient souffert. Là encore, Rome manifesta sa préférence. S'il n'accorda pas à G. Python un
nouvel évêque totalement dévoué à la "République chrétienne" et à son œuvre universitaire, il
retira Mgr Mermillod du siège de Fribourg en lui conférant, en 1890, le chapeau de cardinal
"promoveatur ut amoveatur".
5. La Faculté de théologie, moteur de l'Université naissante
La fondation de l'Université avec les Facultés de droit et de lettres avait été menée au
pas de charge en 1889. Encore fallait-il trouver professeurs et étudiants dans une Suisse
catholique culturellement anémiée. Georges Python pouvait espérer compter sur les étudiants
issus des collèges catholiques du pays, mais les professeurs de qualité manquaient, ce qui
pouvait compromettre le lancement d'une Université à qui ses voisines protestantes et
libérales ne feraient pas de cadeau. Son émissaire, C. Decurtins, sillonna l'Europe,
particulièrement l'Allemagne, l'Autriche et la France pour composer un corps professoral de
haut niveau et confessionnellement orthodoxe. Son choix fut discuté sous l'angle quantitatif
surtout car on avait vu grand : au premier semestre les deux Facultés de droit et des lettres
comptabilisaient 29 étudiants pour 27 professeurs. Quant à la Faculté de théologie, son
rapport étudiants / professeurs était plus équilibré: 70 étudiants à la rentrée de 1890 pour 8
professeurs dont un seul n'était pas dominicain, le Luxembourgeois, J.-P. Kirsch. Un
deuxième séculier vint renforcer le corps professoral de la Faculté en 1891, l'abbé Joseph
Beck, d'origine lucernoise.
Le pari et la promesse de Georges Python d'ériger une université d'Etat sans lever des
impôts dans un canton rural de 120'000 habitants dépourvu d'industrie étaient évidemment
intenables à moyen terme. Durant un demi-siècle l'université n'eut pas de locaux propres,
cohabitant avec les collégiens de St-Michel, pour les sciences morales. Seule la Faculté des
sciences eut son propre site, une ancienne usine de wagons qui avait servi un temps d'arsenal
pour le canton.
Si l'Université ne put s'établir dans ses propres locaux avant un demi-siècle, les
professeurs et les étudiants marquèrent pourtant la ville de leur empreinte, en renforçant
l'image de citadelle catholique que revêtait Fribourg depuis l'arrivée des jésuites et du Père
Canisius au XVIe siècle. Les dominicains acquirent un bâtiment majestueux au centre de la
ville, l'Albertinum, pour y loger leurs enseignants, et de nombreuses maisons ou pensions
religieuses furent édifiées qui gravitaient autour de la Faculté de théologie. Les difficultés des
congrégations religieuses en France au début du XXe siècle provoquèrent l'arrivée de
nombreuses communautés, avec leurs étudiants5. Cela ne fit qu'ajouter au caractère
international de l'Université et renforcer le pôle français qui avait été majorisé par les
professeurs allemands jusqu'à la crise de 1898 où 8 professeurs s'étaient retirés avec fracas de
l'institution fribourgeoise.
Jenny Nicole: L'immigration des ordres et congrégations français dans le canton de Fribourg au début du XXe
siècle: établissement et impact. Fribourg, mém. de licence, 1994.
5
71
Si l'on examine les effectifs estudiantins une vingtaine d'années après la fondation, la
progression est remarquable. On passe de 168 étudiants en 1891/92 à 587 en 1910/11. A cette
date, la Faculté de théologie avec 248 étudiants immatriculés, forme les deux cinquièmes de
l'effectif, les trois autres facultés constituant chacune environ un cinquième du total. Mais
l'origine des étudiants est plus significative encore. Les Fribourgeois d'origine ne représentent
que le 8,5 % de l'effectif, concentrés surtout en Droit. Les Confédérés constituent le 21,3 %
alors que les étudiants étrangers forment une forte majorité avec le 70,2 % des immatriculés.
Sur les soixante-dix professeurs actifs en 1910/11, une quinzaine seulement étaient
citoyens helvétiques, parmi lesquels six Fribourgeois dont quatre enseignaient le droit.
L'Université de Fribourg par ses étudiants et son corps professoral revêtait donc un
caractère vraiment international. Elle était également bilingue avec une nette prédominance
de l'allemand et son caractère catholique, de jure en Faculté de théologie et de facto dans les
trois autres Facultés, constituait le ciment de l'institution6. Ce dernier caractère la spécifiait et
l'isolait en Suisse, ce qu'elle compensait par sa dimension européenne. Tous ces traits, en
revanche, l'exposaient à de sérieuses attaques de l'opposition politique de tendance laïque à
l'intérieur du canton. On s'insurgeait contre les charges budgétaires d'une institution qui
servait peu à la population fribourgeoise. Cette opposition se fit plus vive dès 1910 avec
l'ébranlement du régime de G. Python7, miné par les difficultés financières causés par le
financement de l'Université, et par la désunion des conservateurs qui ne comprenaient pas
toujours la "mission de Fribourg" portée par une "République chrétienne" contestée.
La seconde "fondation" (1936-1941)8
A la mort de Georges Python en 1927, l'institution ressent le besoin de nouvelles
impulsions. Ses effectifs n'ont guère augmenté (635 étudiants immatriculées en 1930/31) et si
la part des étrangers s'abaisse à 46,2% après la Grande Guerre, ce qui aboutit à une certaine
helvétisation de l'Université (42,4% d'étudiants suisses), la part des Fribourgeois ne s'élève
qu'avec peine (11,4%). L'Université n'a toujours pas de bâtiments en propre et l'économie du
canton est durablement affaiblie par la crise agricole, comme ses rares industries le seront par
la grande crise des années trente. La Faculté des sciences dont le canton attendait des
retombées économiques, n'a guère pu se développer et la Faculté de médecine reste un
mirage. L'idéal religieux certes est encore bien présent et c'est sur cette base que les
successeurs de G. Python, Ernest Perrier et Joseph Piller, vont renforcer la Haute Ecole.
1. Un temps d'affirmation et d'ordre
L'action d'E. Perrier, qui agissait déjà au gouvernement comme suppléant de G.
Python à la Direction de l'Instruction publique, s'inscrit dans la continuité mais n'a guère le
temps de s'imposer car le leader quitte le monde politique pour se faire bénédictin à l'abbaye
Beretta Francesco: "L'Université de Fribourg, la science et le Saint-Siège (1896-1898): le discours du nonce
Lorenzelli sur la vraie science", in Guy Bedouelle et François Walter: Histoire religieuse de la Suisse. Présence des
catholiques. Fribourg, Editions universitaires, 2000, pp. 387-394.
7 Sur ces oppositions voir Bugnard Pierre-Philippe: Le machiavélisme au village. La Gruyère face à la République chrétienne de
Fribourg, 1881-1913. Lausanne, Le Front Littéraire, 1983.
8 Sur cette période voir la contribution de Roland Ruffieux: "D'une guerre à l'autre" in
Histoire de l'Université de
Fribourg Suisse, op.cit., pp. 154-207.
6
72
de la Pierre-qui-Vire en 1932. Son successeur, en revanche, sera appelé le "second fondateur"
de l'Université de Fribourg et son empreinte marquera fortement l'institution. En tant que
président de l'Association des Amis de l'Université, il reçoit, déjà en 1928, de la commune de
Fribourg un vaste terrain au cœur de la ville pour y implanter les bâtiments d'une véritable
cité universitaire. Son plan de développement de l'Alma Mater est plus vaste en fait et se
déploie sur plusieurs fronts, mais selon deux idées-forces précises.
Il s'agit dans un premier temps en 1936-37 de fournir à la Faculté des sciences de
nouveaux locaux et laboratoires pour y élargir les études de base en médecine (deuxième
propédeutique). Dans un deuxième temps (1938-41) suit l'édification du bâtiment central
voué aux services généraux et aux Facultés de sciences morales. La période est critique pour
les finances cantonales et l'idée est de recourir à l'aide de tiers: l'Association des Amis de
l'Université et la Conférence des évêques qui organise, dès 1934, une collecte annuelle dans
tout le pays. Les bâtiments seront ensuite remis au canton qui en assumerait les charges
d'exploitation. Le calcul était habile et propre à désarmer les oppositions politiques mais les
rentrées d'argent se firent mal. En plus de l'utilisation des subsides fédéraux destinés à la lutte
contre le chômage, l'Etat dut intervenir pour prendre la relève du financement privé qui
couvrit, en fin de compte, le 67% des 7,3 millions de francs du coût global.
La cause de l'Université catholique restait fortement contestée dans les débats suscités
par ces dépenses mais le régime conservateur issue de la "République chrétienne" était encore
assez robuste pour la défendre. Ce qui était aussi en cause et qui se manifestait d'ailleurs dans
l'architecture remarquable des nouveaux bâtiments centraux c'était la finalité de l'institution
pour laquelle le nouvel homme fort du régime voulait donner un cadre approprié. A l'image
de G. Python qui était parvenu à réaliser une Haute Ecole dans un canton pauvre et rural en
développant l'idée d'un service rendu à l'Eglise et au catholicisme suisse, Joseph Piller
déploya un semblable argumentaire sur la "mission spirituelle" de Fribourg. Mais
l'environnement idéologique était différent. Il s'agissait toujours de défendre la vérité mais
aussi l'ordre chrétien qui en découlait. Homme de conviction et d'autorité, Joseph Piller peut
être situé dans la mouvance d'une révolution conservatrice et antilibérale. Partisan de la
corporation dans le droit fil de Quadragesimo Anno et d'un renforcement de l'union entre
l'Eglise et l'Etat, l'homme politique qui admirait l'œuvre d'un Salazar, tenta de faire de
l'Université un rempart contre les erreurs qui minaient, selon lui, la société de l'époque. Il fit
participer d'une certaine manière l'Université à ce vaste mouvement appelé de "rénovation
nationale" qui entendait lutter, selon le slogan consacré, pour une "Suisse fédéraliste,
chrétienne et corporatiste" ainsi que pour une démocratie bien encadrée qui ne devait rien au
libéralisme. Cet engagement s'observe surtout dans les tentatives de révision de la
Constitution fédérale en 1933-35 où les professeurs de droit de l'Université de Fribourg se
montrèrent actifs et, de manière plus floue, en 1940-42. Il s'inscrit dans un nouvel
environnement européen autoritaire sur le plan politico-religieux, ce qui ne fut pas sans
conséquences pour l'avenir de l'homme politique et de l'Université qu'il orientait. La carrière
politique cantonale de J. Piller fut brisée en 1946 par un mouvement de balancier électoral
penchant temporairement à gauche.
Quant au développement de l'institution, son bilan est loin d'être négatif en cette phase
de seconde "fondation", même si les liens paraissent se relâcher entre l'Université et le peuple
fribourgeois au sortir de la guerre.
73
2. Un moment de renforcement confessionnel
Au début des années 1930 déjà, à propos du statut d'un Institut interfacultaire de droit
canonique, on se posa la question d'une révision de la convention de 1889 qui régissait
l'existence de la Faculté de théologie et qui avait été signé par l'ordre des dominicains et l'Etat
de Fribourg. Sans rien changer dans la pratique, une nouvelle convention fut élaborée en
1936 et signée, cette fois-ci, par le St-Siège et le gouvernement cantonal. Rome instituait le
Maître Général de l'ordre, Grand chancelier de la Faculté, chargé de veiller à l'orthodoxie de
l'enseignement selon la constitution Deus scientiarum Dominus de 1931. Pas plus les évêques
suisses que l'Ordinaire n'eurent voix au chapitre, alors que la politique de J. Piller sollicitait
l'aide pécuniaire des catholiques suisses.
C'est pour remédier aux difficultés financières qui s'accroissent au lendemain de la
Deuxième Guerre, alors que l'Etat fédéral refuse de venir en aide aux universités cantonales,
que la Conférence des évêques suisses sera plus intimement associée à l'évolution de
l'Université. Une convention est signée entre l'épiscopat et le gouvernement cantonal en 1949
qui ouvre la voie à une co-responsabilité, en fait sinon en droit, des évêques et des milieux
catholiques suisses représentés dans un Conseil de l'université. Dans la mesure où l'Université
de Fribourg conserverait le caractère d'une Haute Ecole catholique, ce dont les évêques
étaient seuls juges, une contribution annuelle de 4 à 500'000 francs lui était promise.
L'alliance privilégiée entre l'Eglise qui était en Suisse et le gouvernement cantonal
fribourgeois, en vigueur depuis l'époque héroïque de la création de l'Université, prenait ainsi
un tour plus juridique à la veille de son ébranlement qui allait s'observer vingt ans plus tard.
Mais on se trouvait encore dans cette sub-culture catholique qu'a décrite Urs Altermatt et qui
brillait encore de tous ses feux.
Le sceau catholique marquait encore fortement, au lendemain de la Seconde Guerre,
les enseignements hors de la Faculté de théologie. On le constate particulièrement dans les
efforts tentés pour favoriser une conception religieuse de la culture et de la société. La
philosophie enseignée en Faculté des lettres est encore l'apanage des dominicains et
l'orientation des études juridiques et des sciences exactes fait grand cas des positions de
l'Eglise. L'évolution toutefois n'est pas toujours linéaire et se heurte à l'absence de moyens
matériels ou de volonté politique. En 1930, une pétition d'étudiants demandant la création
d'une chaire de sociologie chrétienne ne parvint pas à décider le directeur de l'Instruction
publique, E. Perrier, à faire appel à l'abbé André Savoy, leader des corporations chrétiennessociales, et cela malgré l'esprit de rénovation sociale qui régnait à cette époque. J. Piller, en
revanche, œuvrera avec succès pour mettre sur pied au lendemain de la Guerre un Institut
interfacultaire9 regroupant économistes et théologiens, afin d'approfondir et d'actualiser la
pensée sociale de l'Eglise à partir des grandes encycliques pontificales.
Ce renforcement confessionnel connaît ses limites, toutefois, qui ne sont pas sans
liens avec les premières lézardes qui apparaissent dans la sub-culture catholique. La
proportion des étudiants en théologie passe de 43,9 % en 1930/31 à 30,2 % en 1940/41, pour
descendre à 26 % en 1950/51. Un mouvement de sécularisation s'esquisse qui est encore
masqué par la forte proportion d'étudiants étrangers composant le 71,3 % de l'effectif en
théologie en 1960/61. Tout en épousant les caractéristiques idéologiques de son temps, la
Python Francis: "La doctrine sociale de l'Eglise dans l'enseignement à l'Université de Fribourg. Approche
thématique et essai de périodisation, 1889-1956", in Revue d'histoire ecclésiastique suisse 83, 1989, pp. 83-119.
9
74
phase de "seconde fondation", animée par J. Piller, a certainement contribué à renforcer le
caractère catholique et à maintenir sa dimension internationale qui en était le corollaire,
même si l'helvétisation des autres facultés s'accélère. Entre 1930 et 1960, l'Université dans
son ensemble voit faiblir la part des étudiants étrangers qui s'abaisse de 46,2% à 40,1%. Mais
dans la décennie suivante, cette proportion descendra brutalement à 30,5%.
Fidélité romaine et dimension internationale ont marqué les cinquante premières
années de l'Université qui se voulait être celle des catholiques suisses. Son originalité
provient surtout de sa base institutionnelle. Université d'Etat, elle s'affirme catholique alors
que seule la Faculté de théologie l'est juridiquement parlant. Sa catholicité repose en fin de
compte sur une collaboration voulue entre l'Eglise et l'Etat cantonal de Fribourg qui était, lui,
l'émanation d'une société fortement charpentée par une tradition et une culture religieuses.
Malgré les turbulences du début, la formule s'imposa mais elle ne put durer que dans la
mesure où la population du canton était convaincue de la mission ecclésiale dont elle était
porteuse.
75
LA TRANSFORMATION DE LA ‘CATHOLICITE’
DES UNIVERSITES DE LOUVAIN ET DE NIMEGUE (1834-1970)
Prof. Emiel LAMBERTS,
Katholieke Universiteit Leuven, Belgique.
Il n’est pas évident de grouper, dans un même récit, l’histoire des universités
catholiques de Louvain et de Nimègue. La fondation de l’Université catholique de Louvain
(1834) précède de loin celle de l’Université catholique de Nimègue (1923). En outre, les deux
universités ont été implantées dans des pays avec une constellation culturelle tout à fait
différente. En Belgique, avant la Deuxième guerre mondiale, la vie intellectuelle était
nettement orientée vers la France, bien que sa population fût en majorité néerlandophone.
Aux Pays-Bas, l’influence culturelle du monde germanique était plus tangible. En ce qui
concerne la situation religieuse, la Belgique était un pays profondément catholique, tandis
que les catholiques étaient minoritaires aux Pays-Bas, où le calvinisme occupait une position
dominante. Mais il y avait quand même des similarités. Les deux régions ont connu une
histoire commune entre 1384 et 1585 et, une nouvelle fois, à l’époque du Royaume-Uni des
Pays-Bas (1815-1830). La révolution belge a fait éclater cette construction politique et a
conduit à la formation d’un état indépendant belge. Néanmoins, les deux pays connurent un
développement parallèle après leur séparation1. Ils établirent des sociétés très prospères et
essentiellement bourgeoises, avec un système constitutionnel, libéral et parlementaire. En
plus, ils évoluèrent progressivement vers des sociétés ‘pilarisées’, fragmentées sur des bases
religieuses (ou philosophiques) aux différents niveaux de la vie sociale et politique. Or, le
développement de l’enseignement catholique, y compris le niveau universitaire, a joué un
rôle de premier ordre dans ce processus de ‘pilarisation’ dans les pays du Benelux. Ce n’est
qu’à partir des années 1960 qu’une ‘dépilarisation’ s’est peu à peu dessiné, avec des
répercussions inévitables sur la constellation universitaire 2.
En général, l’Université catholique de Louvain a été un modèle important pour les
universités catholiques nouvelle formule qui ont été créées en Europe au cours du 19e siècle.
A côté des universités publiques, qui pour la plupart perdaient leur caractère confessionnel,
apparaissaient en effet progressivement des universités catholiques qui s’intégraient dans le
climat constitutionnel et libéral de l’Europe moderne. Ce qui caractérisait en outre
l'Université catholique de Louvain, c'est que, dès sa création (1834), elle était une université
‘complète’, où pouvait s'exercer l'interaction entre sciences exactes et sciences humaines.
L'Université catholique de Nimègue, elle aussi, s'est largement inspirée de l’exemple de
Louvain, mais elle n'est devenue université ‘complète’ qu' après 1945. Néanmoins, on peut
dire que les deux universités ont connu une évolution parallèle, même dans les dernières
Voir, en général, sur l’évolution politique et sociale des pays du Benelux: J.C.H. Blom et E. Lamberts, History of the
Low Countries, New York – Oxford, 1999.
2 Voir, en général, sur la “pilarisation” : A. Lijphart,
The Politics of Accommodation. Pluralism and Democracy in the
Netherlands, Berkeley, 1975 _ ; H. Post, Pillarization. An Analysis of Dutch and Belgian Society, Gower, 1989; G.
Therborn, “Pillarization” and “Popular Movements”, dans F.G. Castles (ed.), The Comparative History of Public Policy,
Cambridge, 1989; R. Steininger, Polarisierung und Integration. Eine vergleichende Untersuchung der strukturellen Versäulung der
Gesellschaft in den Niederlanden und Österreich, Meisenheim am Glan, 1975; H. Righart, De katholieke zuil in Europa. Het
ontstaan van verzuiling onder katholieken in Oostenrijk, Zwitserland, België en Nederland, Meppel-Amsterdam, 1986; S.
Hellemans, Strijd om de moderniteit. Sociale bewegingen en verzuiling in Europa sinds 1800, Louvain, 1990; “Pilarisation en
Belgique”, dans Revue belge d’histoire contemporaine, 13 (1982) 3-176 ; J. Billiet (ed.), Tussen bescherming en verovering.
Sociologen en historici over zuilvorming, Louvain, 1988.
1
76
décennies, où les répercussions de la ‘dépilarisation’ et l’interventionnisme de l’Etat croissant
ont changé peu à peu leur caractère d’universités ‘catholiques’ et ‘libres’.
L'Université catholique de Louvain (U.C.L.) (1834-1940) 3
La naissance relativement précoce de l'U.C.L. était due à la rapide ‘libéralisation’ des
Pays-Bas méridionaux.à partir de la domination française (1795- 1815). L'Ancien Régime
était balayé. La coopération entre l'Eglise et l'Etat devenait de plus en plus difficile.
L'ancienne Université de Louvain (fondée en 1425), qui avait été à la fois université publique
et université catholique, était abolie pendant le Directoire (1797). Par la suite, pendant le
Royaume-Uni des Pays-Bas, sous le règne de Guillaume Ier, trois universités d'Etat (Gand,
Liège et Louvain) étaient créées dans les Pays-Bas méridionaux. Si elles n'étaient pas
animées par un esprit anticlérical, elles échappaient néanmoins à la tutelle de l'Eglise. De
plus, elles recevaient une orientation régaliste qui était diamétralement opposée aux
sympathies ultramontaines du clergé. En effet, depuis les années 1730, l' Eglise locale
présentait des tendances ultramontaines, c'est-à-dire antigallicanes. Elle s'engageait avec
vigueur pour la défense de sa liberté et de son indépendance vis-à-vis du gouvernement4. Au
début du 19e siècle cet "ultramontanisme" a encore été activé par le réveil religieux ( lié au
romantisme), qui renforçait la combativité de l'Eglise. Une grande partie du clergé catholique
s'est alors lancée dans la lutte contre la politique régaliste de Guillaume Ier et a même conclu
une alliance avec la bourgeoisie libérale (le phénomène de l’unionisme). Les catholiques
semblaient disposés à intégrer la liberté de l'Eglise dans la notion des libertés “modernes”.
Ainsi, les Pays-Bas méridionaux sont devenus à la fin des années 1820 un foyer important du
catholicisme libéral 5.
En 1830 la Révolution de septembre conduisit à l'éclatement du Royaume-Uni des
Pays-Bas et à la création de l'Etat belge. Le clergé et la population catholique ont joué un rôle
important dans cette révolution, qui a donné naissance à un régime libéral et constitutionnel.
L'Eglise a profité de la liberté acquise pour remettre en état ses structures. Ainsi elle a
invoqué la liberté d'enseignement pour créer des écoles primaires et secondaires privées. La
formation sacerdotale était réorganisée dans les diocèses. En outre un plan était mis au point
pour créer un séminaire provincial. En même temps, on reprenait des tentatives antérieures de
rouvrir l'ancienne Université de Louvain. Finalement les évêques décidèrent d' intégrer le
séminaire provincial envisagé comme Faculté de Théologie dans une Université catholique,
qui serait créée par eux. Cette université serait en quelque sorte le couronnement de
l'organisation de l’enseignement catholique, fondée sur la liberté d'enseignement garantie par
la Constitution. Ce n'est que sous la pression de la fraction conservatrice du clergé que le
projet fut soumis pour approbation au pape Grégoire XVI (Bref du 13 décembre 1833).
Comme il y avait encore une université d'Etat à Louvain, l'Université catholique s'installa
provisoirement à Malines, où elle ouvrit ses portes le 8 novembre 1834.
Voir, en général, sur l’histoire de l’Université de Louvain: R. Aubert e.a. (eds),
L’Université de Louvain (1425-1975),
Louvain, 1976; E. Lamberts et J. Roegiers (eds), Leuven University (1425-1985), Louvain, 1990.
4 J. Roegiers, ‘De gedaantewisseling van het Zuidnederlands ultramontanisme’, - E. Lamberts (ed.),
De kruistocht tegen
het liberalisme, Louvain, 1984, 11-36.
5 Sur l’interaction entre les catholiques libéraux belges et Félicité de Lamennais, voir: S. Simon,
Rencontres
mennaisiennes en Belgique, Bruxelles, 1963; K. Jürgensen, Lamennais und die Gestaltung des Belgischen Staates, Wiesbaden,
1963.
3
77
L'Université catholique doit donc sa naissance à un attachement sentimental à
l'ancienne Université de Louvain, au réveil religieux et en même temps à la liberté
d'enseignement. Cela a eu des conséquences pour le statut de la nouvelle institution. Elle a été
créée avec l'approbation du Saint-Siège, mais c'étaient les évêques ( belges) qui en assuraient
la direction concrète. En outre, elle était tout à fait indépendante par rapport à l'Etat, quoi
qu'elle dût se soumettre dans une certaine mesure à la législation concernant l'enseignement
supérieur, surtout en ce qui concerne l’organisation des jurys et l’octroi des grades
universitaires. Son statut libre n'avait pas que des avantages; il entraînait aussi des
inconvénients, surtout dans le domaine financier. Elle ne pouvait compter sur aucun subside
de la part de l'Etat et devait donc tirer tous ses revenus des droits d'inscription des étudiants et
surtout de collectes auprès des croyants. Elle n'avait pas de personnification civile et ne
pouvait donc pas acquérir un patrimoine.
L'Université fit ses premiers pas à Malines. Entre-temps, et en guise de réaction, une
Université libre (U.L.B.) avait été créée à Bruxelles par un groupe de libéraux anticléricaux.
Ainsi le jeune Royaume de Belgique comptait tout à coup cinq universités, ce qui était
vraiment trop. Aussi, dès l'année suivante, le législateur imposa un assainissement. Les
hommes politiques catholiques firent en sorte que l'Université d'Etat à Louvain fût supprimée,
alors que celles de Gand et de Liège étaient maintenues. Aussitôt après l'abolition de
l'Université d'Etat à Louvain, l'Université catholique vint s'installer dans cette ville, à
l'invitation des autorités municipales.
L'U.C.L., sous la direction dynamique de son premier recteur magnifique, l' historien
Pierre de Ram (1834-1865), connut des débuts pleins de promesses. Le recteur pouvait
vraiment déterminer dans une large mesure la gestion de l'Université. Il agissait en tant que
mandataire des évêques – en premier lieu de l’archevêque de Malines, le cardinal Sterckx - et
il exerçait à l'intérieur de l'université un pouvoir quasi absolu ou monarchique. Il était un
administrateur très doué et un historien de qualité. Son intérêt pour l'histoire le poussa à
reprendre autant que possible les coutumes et l'organisation de l'ancien ‘Studium generale’.
De plus, selon l'attente des évêques, il fit de la nouvelle Université un institut solide
d'enseignement et de formation. A cette époque l'Université formait surtout des théologiens,
des juristes et des médecins. Comme dans les autres universités belges du moment,
l'enseignement était avant tout théorique et encyclopédique, en partie à cause du système
d'examens imposé par la loi. L'Université surveillait de près l'orthodoxie de l'enseignement et
la conduite morale des professeurs et des étudiants.
Assez rapidement l'Université de Louvain devint un pôle d'attraction pour de jeunes
catholiques des pays voisins où les universités étaient marquées du sceau du protestantisme:
les Pays-Bas, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la Suisse. Le nombre d’étudiants étrangers
atteignit bientôt environ 15 % des inscrits. Surtout la Faculté de Théologie acquit en peu de
temps un caractère international, qu'elle a toujours su garder. En même temps l'Université
devenait une source d'inspiration pour des évêques et laïcs d'autres pays, qui s'efforçaient de
créer dans leurs propres pays des universités et des facultés catholiques, d'abord en Irlande,
ensuite en Angleterre, en France, en Suisse, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et en Italie.
En Belgique l' U.C.L. devint très vite l'université la plus fréquentée. En 1839 elle
comptait 490 étudiants, alors que Gand en avait 296, Liège 331 et Bruxelles 279. La
conjoncture politique favorable contribua dans une large mesure à ce succès. Pendant les
premières décennies après la Révolution belge, les unionistes (catholiques et libéraux)
conservateurs étaient au pouvoir, aussi bien au niveau local que national, et ils favorisaient de
78
différentes manières l' Université de Louvain et ses diplômés. Cependant petit à petit la
bourgeoisie libérale se détournait de l'unionisme, qui semblait servir surtout les intérêts de
l'aristocratie des campagnes et du haut clergé. Cela conduisit à la formation d'un parti libéral
anticlérical, qui prit le pouvoir au niveau national en 1847 et à Louvain l'année suivante.
L'Université de Louvain subit le contre-coup de cette évolution et perdit plusieurs avantages
qu'elle avait conquis dans la pratique. En outre elle devait faire face à des conflits intérieurs,
qui allaient gravement hypothéquer son développement ultérieur, et cela pendant plusieurs
décennies.
De Ram avait fait de son université une forteresse catholique, mais non
ultraconservatrice. Pendant sa jeunesse il s'était enthousiasmé pour les idées de Lamennais, et
tout au long de sa vie il a manifesté des sympathies catholiques libérales. Sous son influence,
l'Université de Louvain devint un foyer du catholicisme libéral. En même temps il tolérait à
l'Université l'enseignement du semi-traditionalisme propagé par CasimirUbaghs et son ecole.
D’une part, cette philosophie avait subi l'influence du système philosophique de Lamennais,
qui avait été condamné par le Saint-Siège en 1834, mais d'autre part elle avait aussi repris des
éléments de l'ontologisme, qui était tout aussi suspect. La philosophie louvaniste tendait à
nier la possibilité de connaître Dieu par la voie rationnelle, naturelle, ce qui suscitait la
méfiance du Saint-Siège 6.
L'orientation de l'U.C.L. était progressivement contestée par le clergé ultramontain7,
qui établissait un rapport entre les modernismes politiques et philosophiques propagés à
l'Université. Après 1840, les conflits se multipliaient et s’aggravaient, dans la mesure où les
ultramontains, qui étaient soutenus par la Compagnie de Jésus et qui avaient l'oreille de
Rome, renforçaient leur position au sein de l'épiscopat. C'étaient surtout l'évêque de Bruges,
Jean-Baptiste Malou, et l'évêque de Liège, Théodore de Montpellier, qui partaient en guerre
contre le semi-traditionalisme et qui se formalisaient de l'attitude évasive de P. de Ram et du
cardinal Sterckx. En 1863 ils rompirent avec l'Université. Ils retiraient même leurs prêtresétudiants et interdisaient les collectes annuelles dans leur diocèse. Le conflit put finalement
être aplani après une intervention du Saint-Siège en faveur des ultramontains. En 1864
l'enseignement du semi-traditionalisme fut interdit. Cette dispute a étouffé, non seulement la
réflexion philosophique, mais aussi la réflexion théologique à l'Université de Louvain. La
modestie des prestations de la Faculté de Théologie dans le domaine de la théologie
spéculative est due en partie aux interventions disciplinaires d' en haut. La formation
théologique se caractérisait surtout à Louvain par la grande importance accordée aux langues
orientales et à l'étude philologique.
Les années 1860 furent donc difficiles pour l'Université de Louvain. Sous les
gouvernements libéraux successifs, elle devait affronter une forte opposition politique. Les
divisions internes compromettaient en outre le climat intellectuel au sein de l'institution.
Après la mort de P. de Ram, les évêques ultramontains obtinrent explicitement le droit de
Voir sur la querelle autour du semi-traditionalisme: J. Henry, ‘Le traditionalisme et l'ontologisme à l'Université de
Louvain (1845-1865)’, - Annales de l'Institut Supérieur de Philosophie, 5 (1922) 41-149; L. Kenis, De Theologische Faculteit te
Leuven in de negentiende eeuw, 1834-1889, Bruxelles, 1992; J. Ickx, “In attesa che Roma parli..." La causa di Gerard Casimir
Ubaghs, professore all' Università Cattolica di Leuven, presso la S. Congregazione dell' Indice e la Suprema Congregazione del Sant'
Offizio (1837-1867), Rome, Pontificia Universitas Gregoriana, 2000.
7 Après 1830, les notions ‘ultramontanisme’ et ‘ultramontains’ furent rétrécies en Belgique. A partir de ce moment,
seulement les catholiques antilibéraux, qui s’attachaient à une forme de coopération entre l’Eglise et l’Etat, seraient
désignés par cette appellation. Ils s’opposaient aux catholiques libéraux. Voir: E. Lamberts, ‘Het ultramontanisme in
België, 1830-1914’, - Id. (ed.), De kruistocht, 38-39; V. Viaene, Belgium and the Holy See From Gregory XVI to Pius IX
(1831-1859). Catholic Revival, Society and Politics in 19th-Century Europe, Louvain, 2001, 37-112.
6
79
surveiller de plus près les nominations et l'enseignement à l'Université. Leur vigilance
constante, qui fut encore aiguisée par le Vatican à cette époque-là, ne favorisait pas les
aventures intellectuelles, surtout pas dans le domaine des sciences humaines. Celui qui
propageait des idées plutôt progressistes se faisait rappeler à l'ordre, éventuellement même
exclure 8.
C'est. dans le secteur des sciences exactes qu'une évolution importante a démarré à
partir des années 1860. En 1865 l’Université a lancé un programme de formation
d'ingénieurs. Un peu plus tard, elle a fondé une Ecole supérieure d'agriculture (1878). Sous
l'influence des universités allemandes, la Faculté des sciences a fait ses premiers pas dans la
recherche expérimentale, grâce à la création des premiers laboratoires. En 1871 elle a
introduit, à côté du programme légal, un programme “scientifique”, qui imposait la
spécialisation, des épreuves pratiques et une thèse de doctorat. L’évolution vers une
‘scientificité’ plus marquée était encore favorisée par une modification de la législation
universitaire (la loi du 20 mai 1876), qui permettait aux professeurs d' accorder dorénavant
plus d'importance aux exercices pratiques et à la recherche personnelle.
Un peu plus tard, dans les années 1880, un nouveau climat politique et intellectuel
s'est développé à l'Université de Louvain. Les différends entre catholiques libéraux et
ultramontains s' apaisaient à cause de la guerre scolaire (1879-1884), qui nécessitait
l'unanimité des catholiques contre les libéraux. C'est en partie à cause de cette guerre scolaire
qu'un gouvernement catholique a pu prendre le pouvoir et qu’une période de trente ans de
gestion catholique a été inaugurée en Belgique. En même temps l’épiscopat était renouvelé
par la nomination d'évêques plus jeunes et plus progressistes. Ainsi la pression conservatrice
sur l'Université diminuait, grâce aussi au nouveau Pape, Léon XIII. Le renouveau scientifique
se manifestait maintenant également dans les sciences humaines. C'est à la demande de Léon
XIII lui-même que fut créée en 1882 une chaire de philosophie thomiste. Le titulaire en
devenait Désiré Mercier, dont l'enseignement connaîtrait un grand succès 9. Une nouvelle loi
sur l'enseignement supérieur (1891) vint enfin offrir de nouvelles possibilités de
développement aux Facultés des Lettres et des Sciences.
Un observateur étranger, l'orientaliste anglais L. Casartelli, écrirait en 1899 dans The
Tablet: "Le Louvain de 1899 a franchi tout un siècle par rapport à celui de 1874. En ce
moment, il règne à Louvain un esprit tout à fait scientifique; on observe un souci constant de
recourir aux méthodes scientifiques les meilleures et les plus modernes dans le domaine de la
biologie, de la philosophie et de l'histoire" 10. C'est surtout sous le rectorat de J.B. Abbeloos
(1887-1898) que de grands progrès ont été réalisés. Cet orientaliste est apparu comme
l'homme qu'il fallait pour stimuler l'esprit scientifique et critique à l'Université. Pendant son
rectorat l'enseignement de la théologie prit un nouvel élan, grâce à la nomination de quelques
jeunes professeurs, tels que Albin Van Hoonacker et Paulin Ladeuze, qui parvinrent à porter
l'exégèse biblique à un niveau nettement supérieur. Alfred Cauchie, le fondateur de la Revue
d'histoire ecclésiastique, posa les fondements de l'école historique de Louvain. Désiré
Mercier, de son côté, transforma le néo-thomisme en une philosophie capable d'entrer en
discussion avec les sciences historiques et positives. Le fait que l'Université de Louvain était
Entre autres, le théologien Th. Lamy, les juristes J.J. Thonissen et L. Mabille, le philologue P. Willems et le
canoniste F. Moulaert furent réprimandés. Le philosophe J.B. Lefebve fut même révoqué.
9 L. De Raeymaeker, Le cardinal Mercier et ‘Institut supérieur de Philosophie de Louvain,
Louvain, 1952; ‘Centenaire de la
fondation de l’ Institut supérieur de Philosophie’, - Revue philosophique de Louvain, 88 (1990) 143-310.
10 Cité par J. de Groutaers dans
Annuaire de l’Université catholique de Louvain, 64 (1900) 37. L. Casartelli (1852-1925)
serait nommé évêque de Salford en 1903.
8
80
une université "complète" s'est révélé très fructueux dans cette évolution. L'orientalisme
recevait de nouvelles impulsions. Les sciences sociales commençaient, elles aussi, à se
développer. En 1892, une Ecole des sciences politiques et sociales était créée au sein de la
Faculté de Droit. Dans les sciences exactes, c'était surtout l' Ecole de biologie de J.-B. Carnoy
qui faisait un travail novateur. Carnoy favorisait la recherche expérimentale aussi bien dans la
Faculté de Médecine que dans celle des Sciences.11
Dans cette même période, l’ Université était aussi le théâtre de nombreuses activités
estudiantines, souvent houleuses. Les étudiants - en 1880 leur nombre était de 1450, en 1889
ils étaient déjà 2000 - ne restaient pas à l'écart des événements politiques et sociaux.
Beaucoup d'entre eux souscrivaient à l'exigence de démocratisation de la vie politique ou
s’engageaient dans le mouvement social catholique. Les étudiants flamands participaient
intensément à la lutte d' émancipation flamande, et entraient souvent en conflit avec les
étudiants wallons. A partir de 1907 ils se sont engagés avec ardeur en faveur de la
transformation de l' U.C.L. en une université bilingue et de la création progressive de cours
néerlandais à côté des cours français.
Vint alors la Première guerre mondiale. L’Université de Louvain a fort souffert des
opérations de guerre. Dans la nuit du 25 août 1914, la ville fut pillée par les troupes
allemandes. Plusieurs quartiers furent systématiquement incendiés. Les Halles universitaires avec leur bibliothèque précieuse - furent complètement détruites. L'Université ferma ses
portes pour la durée de la guerre. Elle subit de grandes pertes matérielles, mais moralement
elle sortit grandie de la guerre. Grâce à la propagande alliée, elle acquit dans le monde entier
la renommée d'une “université prestigieuse, séculaire ", qui avait été victime de la barbarie
allemande. Après la guerre, un comité américain finançait la reconstruction de la bibliothèque
universitaire; un comité international rassembla une nouvelle collection de livres. De plus un
article spécial du Traité de Versailles (l’ article 247) imposa à l'Allemagne de dédommager
l'Université pour les dégâts causés par l'incendie.
De plusieurs autres côtés aussi, l’Université reçut de l'aide matérielle. Ainsi des dons
importants lui furent attribués par la Commission for Relief of Belgium, créée par Herbert
Hoover. Le mécénat industriel ne l'oublia pas non plus. Mais il importe surtout de signaler
qu'à partir de 1922 - et pour la première fois depuis sa création - elle recevait chaque année
un subside de la part des autorités civiles. Cependant cette contribution restait encore assez
modeste: environ 25 % du budget global. Si l'on tient compte en plus du fait qu'en 1911
l'Université s'était vu accorder la personnification civile, il est clair que sa situation financière
s'était considérablement améliorée. Les nouveaux moyens disponibles lui permettaient de
construire, à partir de 1924, un nouveau campus pour la Faculté de Médecine et un autre pour
les Sciences exactes. Ils permettaient en outre l'aménagement de nouveaux laboratoires et le
recrutement de plus de personnel. Pendant l'entre-deux-guerres le nombre de professeurs
augmenta de 130 à 244; pour le personnel auxiliaire, l'accroissement était encore plus net.
Le recteur Paulin Ladeuze (1909-1940) était tout indiqué pour stimuler de façon
judicieuse la recherche scientifique et l'enseignement. C'était un homme de culture et de
science. Pendant son rectorat de nouveaux instituts importants furent créés: une Ecole de
pédagogie et de psychologie (1923), un Institut de recherches économiques (1928) et un
Institut orientaliste (1936). Dans la Faculté de Théologie, la tradition des recherches positives
J.B. Carnoy a formé dans ses laboratoires toute une pléiade de professeurs, parmi lesquels il convient de
mentionner surtout le botaniste Victor Grégoire, le bactériologue Joseph Denys et le neurologue Pierre-Arthur van
Gehuchten.
11
81
et historiques était respectée. N'empêche que la Faculté était moins bien armée pour engager
le dialogue avec la philosophie des religions et l'herméneutique. A l'Institut supérieur de
philosophie, la majorité des professeurs suivaient les traces de Mercier, mais peu à peu
l'Institut s'ouvrait à la philosophie contemporaine et à la philosophie des sciences. Dans la
Faculté des Sciences, Georges Lemaître acquit une grande autorité dans le domaine de la
physique théorique 12. Dans la Faculté de Médecine, les professeurs étaient plutôt des
virtuoses de la pratique que des hommes de science. N'empêche que, dans un certain nombre
de laboratoires on se livrait à des recherches très méritoires, ce qui conduirait en 1974 à un
Prix Nobel pour Christian de Duve.
Pendant l'entre-deux-guerres l'Université parvint dans la plupart des domaines à
confirmer sa réputation scientifique. De ce point de vue le rectorat de Ladeuze peut être
considéré comme un succès. Malheureusement le recteur, en tant que Wallon, ne réussit pas a
entretenir de bonnes relations avec les étudiants flamands. Ceux-ci exigeaient, avec une
insistance toujours plus grande, la ‘néerlandisation’ des cours. Pour des motifs avant tout
financiers, le recteur ne se montrait pas très accommodant. Ce n'est qu'après la
néerlandisation complète de l'Université de Gand en 1930 que les choses se sont débloquées.
En 1935 tous les cours étaient doublés, sauf dans les facultés ecclésiastiques (Institut
supérieur de philosophie et Théologie ).
A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, l'Université de Louvain était donc
devenue une université bilingue. Elle comptait alors 244 professeurs et 4610 étudiants, parmi
lesquels il n'y avait que 437 jeunes filles (soit à peu près 10%). L'Université avait acquis une
grande renommée pour les sciences ecclésiastiques et - en général – pour les sciences
humaines. Pour les sciences exactes et bio-médicales son palmarès était plus modeste, faute
de moyens financiers, malgré les nets progrès 13.
L’Université catholique romaine de Nimègue (R.K.U.N.) (1923-1940) 14
Aux Pays-Bas, où les catholiques représentaient une minorité non négligeable
(environ 35 % de la population) et où ceux-ci menaient une lutte difficile pour obtenir leur
émancipation, on avait, dès le 19e siècle, entendu formuler le souhait qu' une université
catholique pût être créée. Cela se produisait surtout à des moments où l’assurance des
catholiques grandissait. Peu à peu cette ‘université catholique’ en vint à prendre une valeur de
symbole de la véritable émancipation catholique. Des exemples étrangers (entre autres celui
de l' U.C.L.) étaient des sources d'inspiration. En outre, les Réformés avaient fondé en 1880
une Vrije Universiteit à Amsterdam. Elle était la première à provoquer une brèche dans le
monopole scientifique des libéraux. Après 1900 la V.U. acquit une réputation assez solide,
ce qui contribuait à affaiblir la résistance contre la fondation d’universités libres. En 1905 une
modification de la loi sur l'enseignement supérieur (Hoger Onderwijs-novelle d’ Abraham
Kuyper) élargit considérablement les droits des universités libres (ou “particulières”). En
effet, les diplômes de ces universités se voyaient accorder les mêmes droits que ceux des
L’astronome Georges Lemaître (1894-1966) formulait la théorie moderne du big bang relativement aux origines de
l’Univers. Voir sur lui: A. Berger (ed.), The Big Bang and Georges Lemaître, Dordrecht, 1984; D. Lambert, Un atome
d'univers: la vie et l'oeuvre de Georges Lemaître, Bruxelles, 2000.
13 Une comparaison avec les Universités d' Etat révèle qu'en 1940 l' U.C.L. comptait 54 % de la population
estudiantine globale, mais ne disposait que de 38 % des moyens financiers.
14 Voir, en général, sur l’histoire de l’Université de Nimègue: J. Brabers et O. Schreuder,
Proeven van eigen cultuur.
Vijfenzeventig jaar Katholieke Universiteit Nijmegen, 1923-1998, 2 t., Nimègue, 1998.
12
82
universités publiques. Il devenait aussi plus facile de créer des chaires ‘particulières’ dans les
universités publiques.
Parmi les catholiques deux tendances se manifestaient. Certains optaient pour
l'isolement. Vivre dans l'isolement était en effet devenu une espèce de deuxième nature pour
la plupart des catholiques néerlandais, et c'était précisément dans cet isolement qu'ils
cherchaient leur force. D'autres étaient d'avis que les catholiques devaient rattraper leur retard
culturel et scientifique en participant plus activement à la vie culturelle et scientifique
nationale. Ils préféraient donc la création de chaires ‘particulières’ (catholiques) dans les
universités publiques. Ceux qui optaient pour l'isolationnisme étaient cependant les plus
nombreux.
Deux mois après la publication de 1a Loi-Kuyper, les évêques créèrent la Fondation
Saint-Radboud, qui devait préparer la fondation d'une université catholique. En attendant, on
optait pour la création de chaires particulières dans les universités publiques. Les évêques,
qui occupaient une position dominante dans la Fondation, ne se montraient pas pressés. Ils
craignaient de se lancer dans une aventure financière et préféraient rassembler les fonds
nécessaires pour pouvoir créer un jour une université ‘complète’ , comportant aussi une
Faculté de Médecine. Mais avant la Première Guerre mondiale ils n'étaient pas parvenus à
rassembler des fonds financiers suffisants.
Après la Guerre mondiale, une conjoncture nouvelle et plus favorable se présentait.
Les partis confessionnels, parmi lesquels le parti catholique (Rooms-Katholieke Staatspartij)
dominaient dorénavant la scène politique néerlandaise. La guerre scolaire, qui avait duré
plusieurs décennies, s'était terminée au profit de l'enseignement primaire libre. La confiance
en soi des catholiques ne cessait de se renforcer. En union avec une tendance internationale
dans le monde catholique, on vit naître une volonté de propager la foi de façon énergique et
confiante. Le nouveau Codex canonicus (1918) encourageait d'ailleurs la création
d'universités catholiques, là où les universités publiques n'étaient pas imprégnées de la
doctrine et de la mentalité catholiques. En outre, la Fondation Saint-Radboud reçut, au début
de l'an 1919, de la part de la ville de Nimègue, des promesses matérielles et financières
concrètes pour le cas où l'université catholique envisagée s'établirait dans cette ville.
Nimègue disposait d'un certain nombre d'atouts. La ville était située dans un diocèse
méridional (le Limbourg), mais en même temps dans une province du Nord (la Gueldre), de
sorte que cette localisation convenait pour l'ensemble des Pays-Bas. En outre la ville occupait
une position centrale par rapport aux provinces catholiques du Brabant du Nord, de la
Gueldre, du Limbourg et de Twente. Les promesses faites facilitaient grandement la
fondation de l'université. Une collecte exceptionnellement fructueuse parmi les fidèles rendait
l'entreprise financièrement faisable.
N'empêche que, provisoirement, on devait s'en tenir à la création de facultés "peu
onéreuses". La création d'une Faculté de Médecine se révélait impossible. On opta donc pour
les Facultés de Théologie, de Lettres et de Droit. Au début, les évêques étaient peu favorables
à la création d'une Faculté de Théologie. Ils étaient d'avis que l'enseignement des séminaires
suffisait largement pour la formation du clergé. Des séminaristes très doués pourraient
continuer leurs études à l'étranger, de préférence à Rome. N'empêche que les évêques finirent
par accepter la création d'une Faculté de Théologie, parce que le législateur exigeait au moins
trois facultés pour la création d'une université privée. Mais la Faculté de Théologie n'offrirait
qu'un cursus major, de sorte que toute concurrence avec les séminaires devînt impossible.
83
La Faculté de Théologie, tout comme celles de Louvain et de Fribourg, était créée
conformément aux règles du droit canonique (erectio canonica). Légalement néanmoins, elle
ne dépendait pas du Saint-Siège mais elle relevait directement de l'épiscopat néerlandais. La
Curie romaine, qui avait été informée très tard de la création imminente d'une université
catholique, désirait d'abord que l'université tout entière fût érigée canoniquement par le SaintSiège, mais la législation néerlandaise prévoyait que seule une personne juridique, reconnue
par la Couronne, pouvait posséder une université délivrant des diplômes légaux. L'Université
fut donc fondée, conformément à la législation néerlandaise, par la Fondation Saint-Radboud,
qui en assurerait la direction suprême.
En réalité c'étaient les membres ‘permanents’ de la Fondation Saint-Radboud, à savoir
les évêques, qui assuraient la gestion. Les membres ‘non permanents’ étaient pour la plupart
des laïcs exerçant des fonctions publiques importantes, mais ils agissaient plutôt comme
récepteurs des décisions prises par les évêques. Par ailleurs l'Université de Nimègue ne
reprenait pas le modèle de gestion louvaniste (très centralisé) mais le modèle collégial
néerlandais, dans lequel le Curatorium (constitué par des laïcs) jouait un rôle prépondérant.
La fonction de recteur magnifique était confiée à tour de rôle pour un an. Les évêques
nommaient les professeurs et ils exerçaient le dernier contrôle, mais il était rare qu'ils se
mêlaient du contenu de l'enseignement ou de la recherche. Seuls les enseignements
philosophique et théologique étaient surveillés d'un peu plus près.
Pendant l'entre-deux-guerres, la Rooms-Katholieke Universiteit van Nijmegen
(l'Université catholique romaine de Nimègue) resterait une institution modeste. Les trois
Facultés comptaient initialement 32 professeurs; à la fin des années 1930 ils étaient au
nombre de 38. Une bonne moitié d’entre eux étaient des clercs, et parmi ceux-ci, les deux
tiers étaient des religieux. Par là l'Université de Nimègue avait un caractère nettement plus
clérical que celle de Louvain, où seulement 20% des professeurs étaient prêtres, parmi
lesquels il n'y avait aucun religieux. Le nombre d'étudiants avait nettement augmenté au
cours de la première décennie (de 189 à 470), mais stagnait pendant les années 1930. En
comparaison avec les autres universités néerlandaises, Nimègue connaissait un recrutement
remarquablement démocratique. En outre il va de soi qu'elle attirait surtout des étudiants
originaires des provinces ‘catho1iques’. Sur l'ensemble des étudiants catholiques néerlandais
(17,5% du total), seul un quart optait pour la R.K.U.N. Mais 71,7 % des étudiants catholiques
en Lettres et 60,5 % des étudiants catholiques en Droit choisissaient pour Nimègue. Il
apparaît donc que, tout compte fait, l'université catholique de Nimègue était un instrument
fonctionnel au service de l'émancipation catholique.
La R.K.U.N. avait été conçu comme la clef de voûte culturelle et scientifique de
l'émancipation catholique. En même temps elle devait être un vivier d'une ‘culture catholique
propre’. Elle voulait être un foyer de culture où la pensée catholique pourrait se développer
en vue de l'intégration complète dans la nation. Globalement l'Université était caractérisée par
une subculture catholique quelque peu fermée sur elle-même. D'autre part, elle connaîtrait,
surtout dans ses Facultés profanes, un climat de recherche assez libre. L'enseignement
philosophique recevait de larges possibilités. Comme si cela allait de soi, le néo-thomisme
devenait la philosophie propre à l'Université 15. Mais on attachait aussi beaucoup
d'importance aux sciences pédagogiques et psychologiques. Sous l'influence de Louvain, un
cours de psychologie expérimentale était inscrit au programme. Dans la Faculté des Lettres,
O. Schreuder, ‘Wijsbegeerte aan de Katholieke Universiteit Nijmegen, 1923-1995’, Documentatiecentrum, 26 (1996) 107-124.
15
Jaarboek van het Katholiek
84
l'enseignement des langues (en particulier des langues classiques) prenait une place
importante. L'histoire aussi se voyait accorder une place respectable, mais elle prenait parfois
une tournure quelque peu apologétique.
Avant 1940 la R.K.U.N. était donc une institution universitaire de dimensions
réduites. Elle fonctionnait surtout comme centre de formation d'une future élite catholique
(avant tout de juristes et de professeurs de l’enseignement secondaire). Dans le domaine
scientifique elle avait conquis une modeste place dans le paysage universitaire néerlandais,
mais celle-ci n'était pas comparable au prestige que l'Université de Louvain avait acquis
entre-temps, tant en Belgique que dans le milieu catholique international.
Expansion et transformation après la Deuxième Guerre mondiale (1940-1970)
Les deux grandes universités catholiques des pays du Benelux ont beaucoup souffert
de la Deuxième Guerre mondiale, mais par la suite elles ont connu, l'une et l'autre, une forte
expansion. La R.K.U.N. (dorénavant K.U.N.) est devenue une université ‘complète’. A la
suite de la croissance économique des années 1950 et 1960 et de la démocratisation de
l'enseignement supérieur, aussi bien l’U.C.L. que la K.U.N. ont connu une croissance
exponentielle de leur nombre d’étudiants et d’enseignants. Dès lors, les structures de gestion
devaient être adaptées. En même temps les laïcs prenaient une place de plus en plus
importante au sein des deux établissements et un processus de décléricalisation était entamé.
En outre, le caractère idéologique (catholique) des deux universités s'affaiblissait peu à peu.
A mesure que le financement par l'Etat devenait plus important, l'ingérence des pouvoirs
publics se renforçait progressivement.
A. L'Université catholique de Louvain (1940-1968)
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, l'Université de Louvain eut encore plus à
souffrir que pendant les hostilités de 1914. La bibliothèque était détruite une nouvelle fois, et
de nombreux autres bâtiments étaient gravement endommagés. Cependant l'Université ne
fermait pas ses portes cette fois-ci. Elle essayait de s'accommoder de l'occupation allemande,
quoique cela entraînât des tas de problèmes. En juin 1943 le recteur Honoré van
Waeyenbergh (1939-1962) était interné par l'occupant à cause de son attitude patriotique. La
direction de l'Université était alors assurée par le vice-recteur, le futur cardinal Léon Suenens.
Après la libération, il fallait réparer bien des dommages. En outre l'expansion rapide
de l'institution, due à une démocratisation croissante de l'enseignement supérieur, devait être
résorbée. Le recteur Van Wayenbergh s'est montré capable de trouver des solutions à ces
problèmes. Il s'est lancé dans une intense politique de construction; le patrimoine immobilier
de l'Université s'est enrichi dans une mesure importante. Quoique les subsides de l'Etat ne
cessaient de s'accroître, les moyens financiers nécessaires continuaient à provenir surtout de
sources particulières. Les programmes d'enseignement étaient, eux aussi, multipliés. De
nouveaux instituts, le plus souvent à objectifs pratiques, étaient créés, parmi lesquels on peut
mentionner entre autres l'Institut de sciences religieuses (1941), celui d' Education physique
(1942), de Sciences familiales et sexologiques (1961). Une autre réalisation importante, qui
s'intégrait parfaitement dans la grandiose vision mondiale du Recteur, était la création de
l'Université Lovanium à Kinshasa (1954), qui deviendrait rapidement la principale institution
universitaire de l’Afrique centrale.
85
La forte expansion de l'Université catholique de Louvain se manifeste clairement dans
l'augmentation du nombre des membres du personnel. De 244 en 1939, le corps académique
passait à 750 en 1968. Le personnel scientifique, qui avait toujours été sous-représenté, se
multipliait encore plus rapidement: en 1953 il n'y avait que 95 assistants et en 1968 déjà
1090. Le personnel administratif et technique connaissait une croissance comparable: en 1965
cette section du personnel comptait 2400 salariés. Cette expansion était due principalement à
la croissance du nombre d'étudiants, à la suite de la démocratisation de l' enseignement
supérieur. L'Université devenait une institution de masse: en 1939 elle comptait 4.610
étudiants et en 1967 déjà 20.729, dont 2.232 étrangers (soit 10% du total). Elle était à cette
époque de loin la plus grande université belge: en 1967 l’université de Bruxelles comptait
8.784 étudiants, celle de Liège 6.637 et celle de Gand 7.464.
Avant 1960 le caractère catholique de l'Université n’a pas été modifié radicalement.
La structure de direction ‘cléricale’ n'a évolué que très peu pendant cette période. Quoique les
Facultés ‘profanes’ eussent pris une plus grande importance, la Faculté de Théologie et l'
Institut supérieur de philosophie continuaient à occuper une place de prééminence. L'intérêt
des philosophes louvanistes s'orientait de plus en plus vers la philosophie moderne.
Néanmoins, la réflexion sur la relation entre la foi et le monde gardait une place importante
dans leurs travaux. Surtout Albert Dondeyne s'est montré une source d'inspiration dans ce
domaine 16. Il a contribué à préparer ainsi les options fondamentales du Concile Vatican II.
La participation très active de théologiens louvanistes à ce Concile saute d'ailleurs aux yeux.
Dans les secteurs qui leur étaient familiers par leurs travaux (l’exégèse, l’ecclésiologie,
l’oecuménisme et le droit canon ), leur influence était manifeste (G. Philips, J. Moeller, W.
Onclin, A. Descamps, Ph. Delhaye, E. Lamotte)17. L’intérêt pour les aspects religieux était
encore présent dans les sciences historiques et littéraires et en sociologie. Le corps
professoral dans son ensemble restait catholique, et ‘sociologiquement’ la majorité des
étudiants pouvait encore être caractérisé comme telle. Une nouvelle guerre scolaire, qui s'est
déroulée en Belgique au cours des années 1950 à propos du financement par l'Etat des écoles
secondaires libres, est encore venue consolider pour un certain temps le ‘pilier’ catholique,
qui ne commençait qu’à présenter des fissures à partir des années 1960.
C’est en effet dans les années 1960 qu'un véritable glissement de terrain va se
produire. L'Université de Louvain passait alors par une crise grave. Sous de nombreux
aspects, elle ne semblait plus adaptée à la réalité changeante. Son organisation ne pouvait être
qualifiée autrement que d'archaïque et d’autoritaire. Elle continuait à porter un caractère
clérical dans une société de plus en plus laïcisée. En tant qu'institution bilingue elle
constituait une menace permanente pour l'homogénéité culturelle du Brabant flamand. Aussi
les flamingants y voyaient un renforcement de l’influence francisante de Bruxelles. C'étaient
donc les différends linguistiques (‘communautaires’) qui sont venus mettre le feu aux
poudres. Bien vite la situation devenait explosive et après quelques années turbulentes, la
décision fut prise de scinder la Katholieke Universiteit Leuven et ‘l’Université catholique de
Louvain’ et de transférer cette dernière à Ottignies, dans le Brabant wallon (automne 1968).
En même temps les structures des deux universités étaient démocratisées et laïcisées 18 .
Voir sur Albert Dondeyne (1901-1985): G. Buyse, A. Wylleman, H. Servotte e.a. (eds.), In dienst van geloof en wereld.
A. Dondeyne, Louvain, 1985.
17 Voir la contribution d’Etienne Fouilloux dans ce volume, infra, ***
18 W. Jonckheere et H. Todts, Leuven Vlaams: splitsingsgeschiedenis van de Katholieke Universiteit Leuven, Louvain, 1979; A.
D’Haenens (ed.), L'université catholique de Louvain. Vie et mémoire d'une institution, Louvain-la-Neuve, 1992, 350-380.
16
86
Dans la ligne de Vatican II les deux universités se défaisaient de leur caractère
clérical, quoique au fond elles soient restées des centres de réflexion et de vie catholiques.
Mais dorénavant, elles s’ouvraient toutes larges à des professeurs et des étudiants noncatholiques, et elles permettaient de grandes confrontations d'idées à l'intérieur de la
communauté universitaire. Une autre modification importante était constituée par le fait que
désormais les deux universités dépendaient presque complètement de l'Etat, qui augmentait
considérablement les subsides aux universités libres. En échange de ces subsides généreux,
les deux universités ont dû accepter une intervention plus nette des pouvoirs publics dans
l’organisation de l’enseignement et de la recherche, ce qui a réduit considérablement leur
liberté d'action 19.
B. L’Université catholique de Nimègue (1940-1970)
La K.U.N., elle aussi, a beaucoup souffert de la Deuxième Guerre mondiale. Un
certain nombre de ses professeurs ont été déportés et sont morts dans des camps de
concentration (entre eux Titus Brandsma, qui fut béatifié en 1985). Quand, au début de 1943,
les étudiants ont été obligés à signer une déclaration de loyauté, les autorités académiques ont
décidé de ne pas soumettre cette déclaration aux étudiants et de fermer les portes de
l'Université (avril 1943). En juin 1943 les bâtiments universitaires ont été confisqués par les
troupes d'occupation allemandes. La ville de Nimègue a subi de grands ravages pendant les
bombardements de février 1944 et les combats qui se sont poursuivis par la suite. La plupart
des bâtiments universitaires ont été détruits à cette occasion-là.
Par là, la Deuxième Guerre mondiale signifie pour de nombreux aspects une césure
dans l'histoire de la K.U.N. Les dégâts matériels devaient être réparés. Il fallait compléter et
renouveler le corps professoral. Par contre, la guerre avait augmenté le prestige de
l’Université dans les milieux non-catholiques. La K.U.N. avait fait bonne figure par son
attitude à l'égard de l'occupant et avait gagné en respect.
Dès 1948 les pouvoirs publics ont accordé aux universités libres d'importants subsides
(la loi-Gielen)20. Les autorités semblaient vouloir prendre solidement en main les rênes de
l'enseignement pour soutenir ainsi l’expansion économique et le développement de l'EtatProvidence. L'intervention croissante de l'Etat risquait cependant aussi d'exercer une
influence nivelante et constituait dans une certaine mesure une menace pour le caractère
propre, catholique de l'Université (abandon progressif de l'idéal de formation).
Les quinze premières années après 1945 sont appelées parfois les ‘années les plus
heureuses’ dans l’histoire de la K.U.N. La situation financière améliorée permettait de passer
à la création d’une Faculté de Médecine (octobre 1951). Pour les membres du Curatorium
cette Faculté profane, qui ferait croître le nombre de médecins et de psychiatres catholiques,
devait manifester de la façon la plus évidente la ‘catholicité’ de l’Université. Six ans plus
tard, c'était une Faculté de Mathématiques et de Physique qui ouvrait ses portes. En 1964 un
curriculum normal de Théologie, avec cinq années pour le cycle de candidature et deux
années pour le cycle du doctorat, est venu s'ajouter aux programmes existants. Pendant la
E. Lamberts, ‘De Leuvense universiteit tijdens het rectoraat van P. de Somer’, - M. Depaepe et M. D'hoker (eds),
Onderwijs, opvoeding en maatschappij in de 19de en 20ste eeuw. Liber amicorum M. de Vroede, Louvain, 1987, 227-239; L. Vos,
‘Verdampende identiteit? De confessionele legitimering van de Leuvense universiteit’, - Trajecta, 7 (1998) 339-368.
20 Les Facultés profanes seraient financées pour 85 %. En 1956 le pourcentage est passé à 90 % et en 1960 même à
95 % (avec effet rétroactif jusqu'en 1957.
19
87
même période l'Université a aussi posé les fondements d'une Faculté de Sciences sociales, qui
compterait rapidement le plus grand nombre d'étudiants. Ainsi la K.U.N. devenait une
université ‘complète’ à part entière. En 1960 elle comptait 3000 étudiants (six fois plus
qu'avant la guerre) et plus de 100 professeurs et maîtres de conférence. Cette même année 35
% de tous les étudiants catholiques aux Pays-Bas suivaient une formation à la K.U.N.
Après la guerre l'emprise des évêques sur la gestion de l'Université s'est
substantiellement relâchée. En même temps le pouvoir du Curatorium augmentait. Cette ligne
serait prolongée dans la réorganisation administrative qui a été réalisée en 1961. A ce
moment-là, l'épiscopat perdait pratiquement toute influence sur la K.U.N.21 L'Université de
Nimègue franchit alors en même temps un grand pas en direction d'une ‘université de
professeurs’ (au lieu d'une ‘université de Curateurs’). A partir de 1970 les collaborateurs
scientifiques et administratifs ainsi que les étudiants obtiendraient une plus grande
participation dans les structures dirigeantes.
La génération de professeurs, qui entrait en service immédiatement après la guerre,
était encore inspirée par un humanisme chrétien. Elle propageait un catholicisme ouvert et
recherchait une synthèse entre foi et science. Sous son influence, l’Université devenait en
quelque sorte ‘plus catholique’ que du temps où elle était dominée par des clercs. Elle
devenait un foyer de disputes entre novateurs (l’homme de lettres W. Asselbergs et l’historien
L.J. Rogier) et conservateurs, qui tous se prévalaient de leur catholicisme. Mais à la fin des
années 1950 l'idéalisme de l’après-guerre s’est peu à peu érodé. Le devoir de
rechristianisation, que les intellectuels catholiques se plaisaient à proclamer avec ferveur
immédiatement après la Libération, glissait progressivement vers l'arrière-plan pour la plupart
des professeurs de ces années-là.
Le néo-thomisme perdait aussi de son autorité. A cause de son essentialisme, de son
caractère universel et statique, il ne pouvait plus garder le contact avec la dynamique du
temps. La philosophie de Nimègue quitterait progressivement les chemins tracés par la
tradition catholique. Cependant il restait provisoirement une frontière que l'on ne franchissait
pas: le respect de la métaphysique. Dans cette période, la Faculté de Théologie, qui
recruterait plus largement dans les années 1960, connaissait un certain épanouissement. Des
théologiens de Nimègue, tels que Ed. Schillebeeckx, joueraient un rôle important au Concile
Vatican II, dans la revue Concilium et lors du Concile pastoral néerlandais (1966-1970) 22.
Vers 1960, au moment où la “pilarisation” catholique atteignait son point culminant,
la conscience catholique était encore nettement présente à la K.U.N. Le corps professoral
était encore quasi complètement catholique. Mais il était significatif qu'à ce moment-là déjà
plus de la moitié des étudiants se distanciaient de l'Eglise catholique comme symbole de
religion. De plus, il était déjà question d'un pluralisme politique prononcé parmi les étudiants:
la plupart d'entre eux étaient de tendance libérale. Pendant la décennie suivante, les trois
quarts d'entre eux montreraient une préférence politique de gauche. La K.U.N. subirait dans
une mesure croissante l'influence d'une sécularisation externe et interne. Elle deviendrait de
plus en plus une université ‘normale’, pour laquelle la liberté scientifique constitue la norme
la plus haute, mais qui, pour des motifs historiques, continuait à se sentir proche des milieux
catholiques aux Pays-Bas. Cependant la catholicité ne ferait plus partie intégrante du ‘projet
Cela se produisit plus tôt qu’à Louvain, où l’ingérence des évêques ne fut réduite qu’après 1968.
L. Winkeler, ‘De Theologische faculteit van de Katholieke Universiteit Nijmegen. Een beknopte geschiedenis
(1923-1992)’, - Jaarboek van het Katholiek Documentatiecentrum, 27 (1997) 94-139.
21
22
88
central’, de la ‘mission’ de l'Université. La sécularisation s’avérait donc plus poussée à
Nimègue qu' à Louvain.
Conclusions
Les Universités catholiques de Louvain et de Nimègue ont joué un rôle important
dans la formation et le maintien du ‘pilier catholique’, et cela aussi bien en Belgique qu’aux
Pays-Bas. En Belgique, où le catholicisme occupait une position dominante, la ‘pilarisation’
était surtout une stratégie de défense contre l'étatisme laïcisant des libéraux et des socialistes.
Aux Pays-Bas, elle voulait réaliser l'émancipation du peuple catholique dans une société à
dominance calviniste. La création d' universités catholiques avait été rendue possible par le
fait que dans les deux pays un régime de liberté avait été introduit assez précocement (bien
que plus tôt en Belgique qu’aux Pays-Bas). Grâce à leur position dominante, les catholiques
belges avaient été en mesure de créer une université immédiatement après la révolution de
1830, en reprenant ainsi le flambeau d’un précédent historique important.
L'Université de Louvain a rempli un rôle important dans la formation de cadres
supérieurs pour l'Eglise (théologiens) et pour la société (juristes et médecins). Comme institut
de formation et d'enseignement, elle a pu acquérir une réputation solide dans le milieu
catholique international, et cela malgré la méfiance à laquelle elle a dû faire face pendant le
pontificat de Pie IX à cause de son orientation catholique libérale. Son profil plutôt
‘progressif’ a été déterminé dans une large mesure par le contexte politique et social dans
lequel elle fonctionnait. L'attitude ouverte et critique de l'Université s'est encore accentuée à
la fin du 19e siècle, lorsqu'elle était devenue un centre de recherche scientifique assez
important, surtout dans le domaine des sciences religieuses et humaines. Ses prestations dans
le domaine des sciences exactes et bio-médicales étaient moins impressionnantes, mais
l’interaction entre sciences humaines et sciences exactes se montrait assez fructueuse.
La catastrophe de la Première Guerre mondiale a curieusement contribué dans une
large mesure à la renommée mondiale de Louvain. Pendant l'entre-deux-guerres l'Université a
continué sur sa lancée, et après la Deuxième Guerre mondiale elle a connu une forte
expansion. Peu à peu les sciences médicales et exactes y ont pris une importance
grandissante, grâce à la croissance des subsides de l’Etat.
La K.U.N., de son côté, a connu des débuts modestes, dans une période où le ‘pilier’
catholique commençait à se développer pleinement aux Pays-Bas. Plus que l’U.C.L., elle était
au début une ‘université cléricale’, aux dimensions nettement plus réduites. N'empêche que,
conformément à ses ambitions, elle a contribué à l'émancipation des catholiques aux PaysBas. Après la Deuxième Guerre mondiale, elle a atteint son plein épanouissement. A cette
époque elle a connu une forte expansion, tant pour ses programmes d'études que pour ses
étudiants et professeurs. La recherche scientifique a pris alors une plus grande importance.
Des phénomènes tels que la démocratisation et la sécularisation se sont manifestés
plus rapidement à la K.U.N. qu'à l'U.C.L., parce que l'Université de Nimègue a vécu une
transformation plus radicale après 1945. Louvain a subi à ce moment-là les effets de la ‘loi de
l'avance paralysante’. En outre, la ‘dépilarisation’ s'est propagée plus rapidement aux PaysBas qu'en Belgique. Pendant les décennies suivantes la K.U.N. a su garder un caractère plus
démocratique et plus sécularisé que les deux universités louvanistes (la K.U. Leuven et
l’U.C.L).
89
N'empêche que nous pouvons conclure que les grandes Universités catholiques des
pays du Benelux ont connu une évolution analogue. Elles ont été fondées en tant que centres
catholiques de formation et d'enseignement, mais elles sont devenues progressivement, et de
plus en plus, des centres d’enseignement et de recherche scientifiques, soutenus et contrôlés
par les pouvoirs publics. Par la force des choses elles ont dû s'assimiler à leur environnement.
Elles sont devenues moins ‘libres’ et ‘catholiques’. Quant à leur ‘catholicité’, on pourrait
conclure que celle-ci est devenue plutôt une donnée historique qu'une mission consciente et
un but à poursuivre.
90
LA CONTRIBUTION DOMINICAINE
E
A LA NAISSANCE DES UNIVERSITES CATHOLIQUES EN FRANCE AU XIX SIECLE
Fr. Augustin LAFFAY, o.p.
Toulouse, France.
« Les Frères-Prêcheurs ont toujours considéré comme révélateurs de leur destinée, de
leur constitution et de leur esprit deux traits de leur plus primitive histoire : c’est dans les
villes universitaires que les premiers Frères établissent leur couvent, - et saint Dominique, en
les y envoyant, leur donne la consigne de suivre régulièrement les cours des Universités
naissantes, où bientôt d’ailleurs, ils seront officiellement agrégés parmi les maîtres1. » Sous la
plume du P. Chenu, le rappel du lien étroit qui unit l’Ordre des Prêcheurs avec les universités
frappe comme un paradoxe : le manifeste Une école de théologie, Le Saulchoir n’est-il pas la
preuve que la contribution doctrinale des dominicains au renouveau théologique du XXe
siècle est passée en dehors des facultés d’Église ou d’État, ou du moins sur leurs marges ? En
1875, deux événements avaient pourtant fait naître de grandes espérances chez les
dominicains français. La loi du 12 juillet 1875, établissait enfin une brèche dans le monopole
étatique de l’enseignement universitaire. Elle annonçait la naissance d’universités catholiques
qui nécessiteraient le recrutement d’un corps professoral qualifié. Les dominicains étaient
doublement forts de leur implantation dans les principales villes universitaires françaises et
de la tradition retrouvée des studia pour la formation des jeunes religieux. Comment auraientils pu rester étrangers au mouvement intellectuel qui se faisait jour dans l’Église de France ?
Un deuxième espérance s’ajoutait à celle-ci. En 1875, le mouvement thomiste gagna en
ampleur en Italie : on passait de la renaissance thomiste, circonscrite à quelques cercles
proches des dominicains, au renouveau thomiste, d’ampleur universelle. L’archevêque et le
collège théologique napolitain lancèrent une initiative d’ampleur internationale afin d’obtenir
du Saint-Siège, pour le Docteur angélique, le titre de « Patron et de Guide de toutes les
universités catholiques » 2. Le mouvement initié en ce sens fut encore renforcé par l’accession
de Léon XIII au souverain pontificat. En 1879, une adresse du chapitre provincial de la
province de France envoyée au nouveau pape reprit la demande napolitaine : « Nous nous
laissons déjà aller, avouons-le ingénument, à cette douce espérance qu’un jour, grâce à Vous,
lorsque le concile reprendra ses solennelles réunions, la Somme du saint Docteur apparaîtra
de nouveau à côté des Saints Livres, et qu’on verra déclarer enfin Patron en quelque sorte de
toutes les Universités, celui que les oracles mêmes du Christ, les approbations répétées de
l’Église, les éloges des académies et des docteurs, non moins que l’incroyable autorité de son
propre génie ont sacré le Maître sans égal du monde entier3. » Le 4 août 1880, le pape
proclamait saint Thomas d’Aquin patron des écoles catholiques4.
Ni l’existence d’un corps de professeurs aguerris ni le retour en grâce de saint Thomas
n’entraînèrent pourtant après 1875 une invasion de frocs blancs dans les locaux des facultés
Marie-Dominique CHENU, Une école de théologie, Le Saulchoir, Kain-lez-Tournai - Étiolles, Le Saulchoir, 1937, p. 11.
L’Année dominicaine, t. 14 (1875), p. 235. Traduction de la supplique de la province ecclésiastique de Naples adressée
au Saint Père « Les malheurs des temps où nous vivons semblent réclamer un remède contre les doctrines erronées
dont se trouve infestée, dans les écoles publiques, la jeunesse qui va étudier la philosophie. La doctrine de saint
Thomas d’Aquin offre, pour arriver à un but si désirable, des ressources efficaces et complètes : l’antique et célèbre
université de Paris le proclamait jadis. »
3 L’Année dominicaine, t. 19 (1880), p. 105-106. Texte de l’adresse signé par le P. Chocarne, provincial, le P. Monsabré
etc.
4 Ibid., p. 388-393.
1
2
91
de philosophie ou de théologie. Les dominicains avaient-ils pris la mesure de l’enjeu
représenté par la fondation des universités (puis instituts) catholiques ? Les évêques, le clergé
séculier voulurent-ils faire appel à eux ? Accueillir des dominicains, c’était accueillir saint
Thomas : l’adhésion de l’Ordre à la synthèse doctrinale du docteur médiéval représenta-t-elle
un obstacle à leur intégration universitaire ? L’histoire intellectuelle de l’Ordre des Prêcheurs
à l’époque contemporaine est encore à l’état de friche ; on se limitera ici à quelques
réflexions sur la contribution dominicaine, en idées et en hommes, lors de la fondation des
cinq universités catholiques françaises5.
L’enseignement de la théologie tel que le conçoivent les dominicains
La famille religieuse de saint Thomas était au XIXe siècle le milieu dans lequel le
thomisme continuait à se transmettre avec le plus de pureté, encore que de façon un peu terne.
Renaissance dominicaine et renaissance thomiste allèrent donc de pair. Dans la tradition
dominicaine, les frères devaient se livrer pendant leurs années de formation à une étude
directe du texte de saint Thomas. Pour cela, la Somme de théologie devait être étudiée
articulatim, dans son articulation. En restaurant l’Ordre en France, le P. Lacordaire avait
donc réintroduit l’enseignement de saint Thomas6. Son noviciat italien avait été l’occasion
d’une teinture thomiste. Les centres d’études des Prêcheurs français furent placés à Chalais
puis à Saint-Maximin. Faute de professeurs, on dut faire appel dans un premier temps à des
maîtres italiens (les PP. Quaglia, Lepidi).
Malgré les efforts des nouvelles générations dominicaines, plusieurs facteurs
conjugués ralentirent et limitèrent le rayonnement doctrinal des religieux français. En premier
lieu, on doit souligner que le thomisme personnel du P. Lacordaire n’avait rien d’une
adhésion rigoureuse et exclusive. Il portait principalement sur des positions apologétiques et
concernait fort peu les questions métaphysiques. Lacordaire redoutait dans celles-ci étroitesse
de vue et archaïsme intellectuel. Étienne Vacherot voit juste quand il parle du grand
prédicateur comme d’une « âme sincère et loyale [… que] le salut du dogme en lui-même
préoccupe bien moins que le salut du dogme par la liberté » (…) avec « plus d’élévation que
de justesse dans les idées, parce qu’il avait plus d’imagination et de sentiment que de raison
et de logique » 7. De manière significative, Lacordaire plaça les studia dans des lieux retirés,
loin des grands foyers de la vie intellectuelle : à Chalais, dans les Alpes, puis à SaintMaximin, en Provence. Éloigné des perspectives spéculatives, Lacordaire concevait la
mission dominicaine moderne comme avant tout centrée sur la prédication oratoire. Les
éléments les plus brillants (le P. Didon, le P. Monsabré) furent tôt arrachés à l’étude pour
prêcher dans les chaires prestigieuses. C’est l’âge d’or de ce que Roger Aubert appelle la
Le fr. Henry DONNEAUD o.p. travaille les questions d’histoire intellectuelle de l’Ordre des Prêcheurs au XIX e et au
XXe s. Nous le remercions pour ses conseils et pour nous avoir donné accès à ses travaux. Dans le cadre restreint de
cet exposé, on n’essayera pas de vérifier, pour les dominicains, l’intéressante hypothèse sur le rôle des religieux dans
le combat contre l’Université qu’a avancée Bruno NEVEU dans sa thèse Les facultés de théologie catholique de l’Université de
France (1808-1885), « Mélanges de la Bibliothèque de la Sorbonne n° 27 », Paris, Klincksieck, p. 572 : « Rien
n’interdit de penser que ces instituts [religieux masculins], vivant plus ou moins dans une clandestinité propice en
l’absence d’un statut défini des congrégations masculines, aient été les principaux inspirateurs du combat sans merci
livré contre l’Université. Pour l’enseignement supérieur même, l’action de la Compagnie de Jésus s’est certainement
fait sentir dans la création et l’organisation des universités catholiques. »
6 Le P. Lacordaire reçut l’habit des Prêcheurs à Rome le 9 avril 1839. La province de France fut restaurée en 1850
avec les quatre couvents de Nancy (1843), Chalais (1844), Flavigny (1848) et Paris (1849).
7 Étienne VACHEROT, « La théologie catholique en France », dans Revue des Deux-Mondes , 15 juillet 1868, vol. 76, p.
294-318. Cité dans Bruno NEVEU, Les facultés de théologie catholique de l’Université de France (1808-1885), p. 584.
5
92
« théologie oratoire8 ». Dans ces conditions, les provinces françaises peinèrent pour acquérir
un corps de lecteurs compétents.
L’absence d’une tribune dominicaine dans les milieux des hautes études
ecclésiastiques constitue un deuxième handicap. A Rome, par manière d’exception, le collège
Saint-Thomas de la Minerve accueillait le premier grand acteur dominicain du renouveau
thomiste, le P. Thomas Zigliara (1833-1893). Celui-ci fut, de 1870 à 1879, le régent d’une
institution qui était alors le seul lieu en Europe dans lequel un étudiant étranger à l’Ordre des
Prêcheurs pouvait étudier philosophie et théologie intégralement à l’école de saint Thomas.
Peu de Français en profitèrent. En France, les facultés de théologie catholique de l’Université
de France, créées en 1808, restèrent fermées aux religieux. Il ne faut pas y voir un
antithomisme de principe mais, outre les obstacles juridiques, l’éclectisme professé par les
clercs les plus savants, le rapport entre philosophie et théologie s’avérait incompatible avec le
type de synthèse doctrinale de la tradition dominicaine. Le discours-programme prononcé par
l’abbé Maret le 4 mars 1854 pour promouvoir le développement des facultés de théologie
catholique illustre cette difficulté : « L’École de Paris ! Ses gloires immortelles, saint Thomas
d’Aquin, Bossuet, seront nos maîtres, nos guides et nous aideront à accomplir notre mission
difficile […]. Nous ne prétendons point nous inféoder exclusivement ni à l’un ni à l’autre. Au
besoin nous saurons compléter l’un par l’autre, car nous ne reconnaissons qu’une seule règle
de foi, une seule autorité à laquelle nous devions une obéissance absolue, celle de l’Église et
de son chef9. » La nouvelle « École de Paris » se donnait pour difficile mission « de respecter
l’équilibre entre les diverses traditions théologiques, entre la foi catholique et les
revendications d’une société attachée aux libertés modernes10 ». Il n’y avait pas là de place
pour un saint Thomas redécouvert par des traditionalistes, des ultramontains ou des religieux
étrangers au système concordataire.
Le thomisme professé par les dominicains n’eut donc pour destinataires directs que
les dominicains eux-mêmes. Le dommage était double. Ad extra, la renaissance thomiste ne
put féconder une culture ecclésiastique qui végéta dans de nombreux diocèses jusqu’à la fin
du XIXe siècle. « Elle n’a pas pu surmonter les effets entraînés par la disparition des
universités d’Ancien Régime, des ordres et des congrégations voués à l’étude, des
bibliothèques d’érudition11. » Les conséquences furent également sensibles ad intra : sans
lien avec le monde universitaire, le niveau du thomisme des dominicains resta très scolaire.
Aucune grande œuvre ne fut publiée par eux avant la fin du XIXe siècle. Le seul effort de
publication proprement thomiste réalisé par les dominicains semble avoir été la traduction du
manuel de philosophie de Goudin par le P. Thomas Bourard en 186412.
En 1875, le P. Didon mit une nouvelle fois son talent de prédicateur et de polémiste
au service de son Ordre en multipliant les mises en garde aux évêques et au public catholique
quant à l’usage qu’il convenait de faire de la loi du 12 juillet sur la liberté de l’enseignement
Roger AUBERT, Le pontificat de Pie IX, Paris, Bloud et Gay, 1952, p. 212-214.
Discours d’ouverture du nouvel amphithéâtre et des cours de la faculté de théologie de Paris
, prononcé le 4 mars 1854 par M.
l’abbé Maret, doyen de la faculté de théologie, vicaire général de Paris, Paris, J. Delalain, 28 p. Cité dans Bruno
NEVEU, op. cit., p. 269.
10 Bruno NEVEU, op. cit., p. 368.
11 Ibid., p. 570.
12 Antoine GOUDIN, Philosophie suivant les principes de S. Thomas , trad. française par le P. Thomas BOURARD o.p., 4 vol.,
Paris, 1864 ; 2e éd., 1865. A. Goudin (1639-1695), dominicain du couvent de Limoges, enseigna la philosophie au
couvent d’Avignon puis la théologie dans les couvents parisiens du noviciat général et de Saint-Jacques. Son manuel,
publié à Lyon en 1671, avait connu de nombreuses rééditions au XVIIIe siècle.
8
9
93
supérieur13. Dans l’euphorie de la victoire enfin acquise, de nombreux projets naissaient dans
les cercles catholiques. Prélats et opinion catholique visaient en priorité la création de facultés
professionnelles de droit et de médecine, envisageaient dans un deuxième temps les lettres et
les sciences et, plus tard, l’érection de facultés canoniques de philosophie et de théologie. En
point d’orgue à ses interventions, le P. Didon publia dans les premiers mois de l’année 1876
un volume de 310 pages de réflexions sous le titre : L’enseignement supérieur et les
universités catholiques14. L’effort du dominicain consiste à dégager l’enjeu majeur du débat :
« une grande question doctrinale est en jeu », ne cesse-t-il de marteler15. Il faut, affirme-t-il
encore, libérer la « haute doctrine religieuse » des ténèbres dont elle est captive. Pour arriver
à ce but, l’exposé procède en deux temps : la dénonciation du mal et une série de
propositions.
Le P. Didon dirige tout d’abord ses critiques en direction de l’Université de France.
Le monopole dont elle a été investie à l’époque de Napoléon – « à l’encontre du droit des
pères de famille et de la conscience religieuse16 » - n’a abouti qu’à une misérable parodie de
science. Jamais, s’indigne le P. Didon, la place véritable de la raison n’a été aussi
méconnue qu’au sein de l’Université de France : qu’elle soit idolâtrée par les rationalistes ou
niée par ceux « qui prétendent étudier la pensée, la conscience, les faits de l’âme, comme on
étudie le mouvement mécanique et les phénomènes de la matière » 17. La philosophie
spiritualiste qui tend à prendre la place d’une juste conception de la raison représente certes
un moindre mal que le matérialisme, mais note le Père, si la religion est bannie aujourd’hui
de l’esprit, elle le sera demain du cœur18. Le scepticisme et l’anarchie sont devenus le lot
commun des esprits formés à une telle école.
Le P. Didon porte aussi son appréciation critique du côté des catholiques. Il se réjouit
du « mouvement unanime qui entraîne vers Rome tout l’épiscopat, sans la moindre
exception », et du « dévouement expansif qui y porte les fidèles à la suite des évêques » ; il se
réjouit encore du « rare déploiement du sentiment religieux, de la piété et du culte » qui
caractérise le catholicisme de son temps mais dénonce les lacunes dans l’enseignement de la
religion19. Sorti affaibli de la Révolution, le catholicisme s’est porté aux œuvres les plus
urgentes, celles du ministère sacerdotal : « avant de philosopher, il fallut vivre » 20. Aussi,
« au lieu de se consacrer à l’obscure mais féconde mission de la science divine, les sujets
éminents du clergé prirent la voie brillante de l’administration et des honneurs » 21. Le
fidéisme qui stérilise nombre d’écrits apologétiques est un signe de l’impasse dans laquelle le
catholicisme s’est engagé : « Qu’on fasse taire, si c’est possible, tous ces parleurs de religion,
ces apologistes sans mandat qui ne l’ont étudiée que dans les journaux ou dans leur petit
esprit22 […]. » Le P. Didon reproche encore aux catholiques de défendre, à travers leurs
institutions, une logique de préservation morale23. « Nous allons donc voir se fonder, à côté
Henri Didon (en religion fr. Martin) est né en 1840 au Touvet, en Isère. Il prend l’habit de l’Ordre le 10 octobre
1856. Lecteur à Saint-Maximin à l’issue de ses études, il prêche dans de grandes chaires à partir de 1865. Son désir de
réconcilier le catholicisme avec la société moderne lui vaudra un temps une interdiction de prêcher et un exil à
Corbara. En 1890, il est prieur de l’école Albert-le-Grand, à Arcueil. Il meurt à Toulouse en 1900.
14 Père DIDON, L’enseignement supérieur et les universités catholiques, Paris, Librairie académique Didier et Cie, 1876, 310 p.
15 Ibid., p. vi.
16 Ibid., p. 3.
17 Ibid., p. 16-17.
18 Ibid., p. 36.
19 Ibid., p. 54-56.
20 Ibid., p. 97.
21 Ibid., p. 98.
22 Ibid., p. 28.
23 Ibid., p. 140.
13
94
des universités de l’État, une ou plusieurs universités libres où l’on enseignera les mêmes
sciences : le droit, la médecine, les mathématiques et l’histoire naturelle. Rien ne sera changé.
[…] Dieu me garde de méconnaître les avantages d’un pareil enseignement ; mais il y aurait
une grande illusion à appeler une telle université du nom de catholique. » Ce seraient, conclut
le P. Didon, des « universités fondées et régies par des catholiques » plutôt que des
« universités catholiques » 24. La conclusion s’impose : ce n’est « pas assez de préserver nos
fils ; il faut les former » 25.
Où pourrait-on puiser l’instruction religieuse supérieure, s’interroge l’auteur ? Quatre
lieux sont examinés à tour de rôle. Les grandes conférences, « surtout celles de Notre-Dame
de Paris », jettent un vif éclat mais présentent de nombreux obstacles pour devenir un
enseignement complet. Faute d’institution canonique, les facultés de théologie de l’Université
« se sont trouvées désertes au lendemain de leur ouverture, et dans plus d’une il a fallu
donner l’accès aux femmes pour compléter un public que de rares hommes ne parvenaient
pas à former » ; elles sont une « usine sans ouvriers », un « commerce sans acheteurs »26.
Dans les séminaires, les élèves ne manquent pas mais bien plutôt les professeurs capables :
« Je suis convaincu que les prêtres qui possèdent les qualités et le degré de science que je
viens de rappeler sont rares en ce moment dans les rangs du clergé français », regrette le P.
Didon en prenant appui sur une lettre adressée le 8 septembre 1874 par Mgr Turinaz, évêque
de Tarentaise, au cardinal archevêque de Paris27. Plus encore que le manque de capacité, la
méthode fait défaut au corps professoral des séminaires : « La vraie méthode catholique, dit
encore l’évêque de Tarentaise, que nous ne nous lassons point de citer est la méthode
scolastique. […] Elle seule a formé les grands docteurs du moyen âge28. » Il faut donc,
poursuit le P. Didon « que les professeurs eux-mêmes soient formés à cette méthode si
longtemps méprisée. Il faut qu’ils rétablissent ces argumentations serrées qui, chaque
semaine, soumettent les thèses à l’épreuve des objections. Il faut qu’ils possèdent cette
méthode à un degré supérieur et qu’ils soient capables de soutenir les attaques de quelque
part qu’elles viennent29. » Un dernier lieu d’enseignement de la théologie est étudié par le P.
Didon, les « noviciats des ordres apostoliques voués à l’enseignement religieux ». Ce sont,
explique-t-il, « autant de foyers vivants où les plus solides traditions de la méthode
scolastique et le plus pur enseignement de la doctrine de saint Thomas sont conservés avec un
vrai culte. Ces foyers dont la flamme est captive ne demandent qu’à rayonner ; ils sont de
vraies facultés de théologie auxquelles ne manque pas l’institution canonique. Pourquoi n’y
ferait-on pas appel le jour où, convaincus de la nécessité de restaurer la grande science
théologique, nous rendrons à saint Thomas d’Aquin la place qui lui est due dans le haut
enseignement religieux ? Il en est la seule base possible, et c’est en vain qu’on voudrait en
poser ou en chercher d’autres30. »
Une fois précisée la gravité de l’enjeu doctrinal, le P. Didon peut expliciter le remède
qu’il propose pour réduire la crise intellectuelle de l'Église de France : le retour à saint
Thomas. « Ce vaste génie, qui n’a été étranger ni à la science, ni à la philosophie, ni à la
tradition, qui n’a rien exclu, qui a tout embrassé et tout harmonisé, restera le type du docteur
chrétien. On pourra perfectionner, modifier la lettre de ses ouvrages, on n’aura rien à changer
Ibid., p. 142-143.
Ibid., p. 119.
26 Ibid., p. 77-79.
27 Ibid., p. 83.
28 Ibid., p. 85.
29 Ibid., p. 86.
30 Ibid., p. 87-88.
24
25
95
à son esprit : il est dans la vraie synthèse où toute la science, toute la philosophie et toute la
foi se rencontrent pour mêler, sans les confondre, leurs splendides enseignements31. » Les
catholiques doivent résister à la tentation de conquérir le monopole de l’enseignement
supérieur à la place de l’État si c’est pour perpétuer le type d’enseignement auquel se livrait
le personnel de l’État, même si c’est dans le respect de la foi catholique. L’enjeu doctrinal
auquel est lié la fondation d’universités libres consiste à changer les programmes32. Le P.
Didon appelle de ses vœux des « maîtres de la doctrine » qui étudient les grandes questions
théologiques pour elles-mêmes, car la théologie doit être comme la clef de voûte du système
universitaire catholique. Un chapitre entier du livre consacré à l’exposition de « ce que doit
être l’enseignement supérieur » (chap. 5) développe la théorie des trois synthèses doctrinales.
L’auteur montre que sans la synthèse théologique – et donc sans la foi requise pour faire de la
théologie - la synthèse scientifique et la synthèse philosophique s’égarent. « La théologie est
la science synthétique par excellence33 » ; l’enseignement supérieur ne peut donc l’exclure,
sous peine d’être mutilé. « La théologie est dédaignée, méconnue, incomprise : relevons-la ;
donnons-lui la place qu’elle mérite. Qu’elle sorte enfin des séminaires et qu’elle paraisse au
grand jour34. »
Étudiant enfin « l’organisation pratique des universités catholiques » (chap. 7),
l’auteur passe en revue quatre grandes questions : l’argent (« si la foi est la première
puissance de la terre, l’argent est son premier esclave35 »), l’organisation matérielle
intelligente (pour laquelle l’université de Louvain est présenté comme un modèle), le corps
professoral dont le dernier défaut doit être la médiocrité et les élèves. Ce dernier point offre
une nouvelle occasion de placer les évêques devant leurs responsabilités : « Il appartient à
eux et à eux seuls de réunir un auditoire sérieux autour des chaires théologiques36. »
Le programme intellectuel du P. Didon peut être résumé en deux mots : fides et ratio.
Il procède d’un amour de la vérité et d’une grande confiance dans l’intelligence purifiée par
la foi qui trouvent leur fondement dans la tradition thomiste intellectualiste : « Ce n’est pas la
science, c’est l’ignorance qui tue la foi ; et c’est la doctrine savante qui contribuera le plus à
la maintenir prospère dans l’âme des jeunes générations37. » Adopter saint Thomas comme
maître des nouvelles facultés de théologie, ce n’est donc pas regarder en arrière ! « Il y a du
nouveau à faire », assure le P. Didon. Les hommes du XIXe siècle vivent dans l’idée (fausse)
que si la science est vraie, la foi est fausse. Contre cette illusion, les instruments
métaphysiques élaborés par saint Thomas doivent permettre de découvrir l’harmonie qui
existe, en fait, dans tout le savoir humain. « L’unité est le premier besoin de notre esprit. Or
qu’est-ce que la doctrine théologique ? la synthèse de la science, de la raison et de la foi38. »
Pour d’évidentes raisons pratiques, le P. Didon pense donc qu’il faut édifier l’enseignement
supérieur libre en commençant par l’institution d’ « une faculté de théologie bien au point, ce
qui permettrait de refaire autour d’elle une synthèse doctrinale comme celle qu’avait réussie
le XIIIe siècle, en accord avec les besoins d’aujourd’hui et les progrès de la science » 39.
Ibid., p. 88.
Ibid., p. 48.
33 Ibid., p. 130-131.
34 Ibid., p. 148.
35 Ibid., p. 159.
36 Ibid., p. 179.
37 Ibid., p. 233.
38 Ibid., p. 277.
39 Article du Père
DIDON dans le Correspondant du 10 décembre 1875. Cité dans René
catholiques, Paris, Auguste Picard, 1935, p. 28.
31
32
AIGRAIN, Les Universités
96
La mise en œuvre presque simultanée, dans cinq villes françaises, de facultés libres
dans les disciplines profanes ruina cette idée. Mais l’offre de services discrètement exposée
dans le livre de bons maîtres de doctrine formés à l’école de saint Thomas pouvait servir dans
un second temps, lors de la création des facultés canoniques.
La présence dominicaine dans l’enseignement libre théologique
Jésuites et dominicains, maîtres en scolastique, étaient théoriquement les mieux à
mêmes de fournir les cadres des facultés libres de théologie qu’on s’apprêtait à créer après
1875. La mise en place prit plusieurs années et c’est au cas par cas que l’on fit une place aux
dominicains pour enseigner la philosophie et la théologie.
Partout ailleurs qu’à Poitiers, c’est la faculté de droit que l’on ouvrit la première : la
théologie n’était pas une priorité pour des évêques riches de séminaires aux effectifs
pléthoriques. À Poitiers, cependant, Mgr Pie accueillit après la prise de Rome le P. Schrader,
chassé du Collège romain, puis son confrère le P. Tedeschi. Il leur confia, à partir de 1872,
les cours de dogme et de philosophie dans son séminaire. Comme il l’écrivait alors à Mgr
Fillion, évêque du Mans, son dessein était arrêté : « C’est une prise de possession secrète de
la future Faculté[...]40. » Un bref du 1 er octobre 1875 accorda au Mgr Pie l’érection d’une
faculté de théologie qui suivrait les méthodes du Collège romain et conférerait les grades au
nom de l’Université grégorienne41. Onze professeurs jésuites investirent les nouveaux locaux.
C’était à cette date la seule faculté libre de théologie en France. Dominicains et séculiers en
étaient par principe exclus ; les mesures prises contre les jésuites en 1880 condamnèrent donc
définitivement cet établissement42.
Lille fut la première université catholique qui obtint la reconnaissance pontificale par
une bulle du 16 décembre 1876. Pour cela, il avait fallu ouvrir des facultés canoniques. Par
décret du 11 novembre 1876, la congrégation des Études approuva pour cinq ans les statuts
de la faculté de théologie, « qui reçut ainsi une constitution avant même d’exister » 43. Un
« collège théologique » - ce terme avait été préféré par prudence à celui de faculté fonctionnait sous forme de cours isolés dès la rentrée de 187744. Les dominicains
s’associèrent immédiatement à une initiative destinée à encadrer les étudiants de l’université :
« Quatre internats viennent d’être fondés à Lille pour les étudiants de l’Université
catholique : deux de ces internats sont placés sous le patronage direct de l’Université […] ;
les deux autres sont : la maison Saint-Bertin, […] fondée par la Société des prêtres de SaintBertin, et la maison Albert-le-Grand, façade de l’Esplanade, 46, fondée par les RR.PP.
Dominicains45. » Comme à Poitiers, on avait eu l’idée de confier à la Compagnie de Jésus
l’enseignement de la faculté libre de théologie. Les évêques y renoncèrent rapidement,
« surtout en raison de l’effet que ce choix aurait produit sur l’opinion. En revanche il fut
prévu que les chaires pouvaient être confiées à des réguliers comme à des séculiers. On prit
des renseignements à Angers, où la faculté de théologie n’existait pas encore46. » Un
Louis BAUNARD, Histoire du Cardinal Pie, Évêque de Poitiers , 5 e éd., t. 2, Poitiers, Oudin – Paris, Poussielgue, 1893, p.
490, lettre du 12 septembre 1872.
41 Ibid., t. 2, p. 595.
42 René AIGRAIN, op. cit., p. 33.
43 Bruno NEVEU, op. cit., p. 459.
44 René AIGRAIN, op. cit., p. 35.
45 L’Année dominicaine , t. 16 (1877), p. 473-474. Reprise d’un article paru dans la
Semaine religieuse de Cambrai du 13
octobre 1877.
46 B. NEVEU, op. cit., p. 459.
40
97
dominicain, le P. Pierre Monvoisin, occupait sans bruit, en 1879, la chaire de théologie47. De
son rayonnement, on n’a pas trouvé trace. En 1879, le collège théologique de l’Université se
joignit cependant aux dominicains pour fêter le 7 mars, en grand apparat, « le plus grand des
Frères-Prêcheurs et le prince de la théologie »48. L’abbé Louis Baunard prononça le
panégyrique latin de l’Aquinate49.
A Lyon, une « école supérieure de théologie » ouvrit ses portes en 1878 dans le cadre
de l’Université catholique50. Le P. Marie-Joseph Belon, dominicain de la province
d’Occitanie, y enseigna le dogme de 1878 à 1903. Comme à Lille, L’Année dominicaine
mentionne en 1880 la participation de l’université à la célébration de la fête de saint Thomas
d’Aquin en l’église d’Ainay : la messe fut célébrée par le cardinal et le panégyrique donné
par le P. Belon51.
A Paris, au terme de longs débats pour prévenir la concurrence avec les séminaires et
les facultés universitaires de théologie, les évêques protecteurs – à l’instigation de Rome décidèrent en juillet 1878 de créer une « école de théologie »52. Le 16 août 1878, le vicerecteur de l’université catholique de Paris avertit le secrétaire de la congrégation des Études :
« Le conseil supérieur qui s’est réuni le 31 juillet a tranché la question de la faculté de
théologie. On a décidé l’ouverture immédiate d’une école supérieure de théologie qui se
composerait des chaires suivantes : dogme, Écriture sainte, histoire ecclésiastique, droit
canon, introduction à saint Thomas. Ce sera comme le noyau d’un haut enseignement qui se
développera successivement. Le point essentiel est de commencer cette année même53. » Il
fallut embaucher quatre professeurs54. On retint l’abbé Duchesne pour l’enseignement de
l’histoire ; un jeune jésuite napolitain, le P. Jean-Baptiste Jovene, devait enseigner le dogme ;
l’abbé Paulin Martin se vit confier l’Écriture sainte et les langues orientales. Si l’on en croit
le rédacteur de la revue L’Année dominicaine, c’est dès 1873 que les promoteurs de l’œuvre
universitaire avaient fait appel aux ordres religieux capables de fournir des professeurs55 .
Aux ouvertures faites auprès des supérieurs de la province dominicaine de France pour une
chaire de philosophie, la congrégation intermédiaire de cette province réunie en juillet 1873
avait répondu par le choix du P. Ceslas Bayonne56. Un supérieur lui écrivit à cette date cette
Voir Les sciences religieuses , [François LAPLANCHE dir.], « Dictionnaire du monde religieux dans la France
contemporaine n° 9 », Paris, Beauchesne, 1996, 678 p. Une mention « Monvoisin, o.p., Introduction philosophique à
la théologie, 1880-1881 » dans les annexes. Eugène Monvoisin, né dans la Somme en 1841, était déjà prêtre du
diocèse d’Amiens lors de son entrée dans l’Ordre. Il reçut l’habit le 13 avril 1864 à Flavigny. Il enseigne à Lille de
1878 à 1893. Son nom ne figure plus sur le catalogus de la province de France à partir de 1894. Renseignements
communiqués par le fr. André DUVAL o.p..
48 L’Année dominicaine, t. 18 (1879), p. 177.
49 Louis BAUNARD, Oratio solemniter habita in festo doctoris angelici Sancti Thomae Aquinatis collegii theologici insulensis patroni
,
Arras, 1879, 14 p.
50 Bruno NEVEU, op. cit., p. 441. La déclaration d’ouverture fut faite le 29 octobre 1878. La transformation en faculté
n’eut lieu que neuf ans plus tard.
51 L’Année dominicaine, t. 19 (1880), p. 176.
52 Institut catholique de Paris. Le livre du centenaire . Contribution de Henri HOLSTEIN S .J., « La faculté de théologie. Une
longue adolescence 1878-1913 », Paris, Beauchesne, 1975, p. 61-92.
53 Cité dans Bruno
NEVEU, op. cit. , p. 453. L’institution canonique fut obtenue en 1889. L’école supérieure de
théologie prit alors le titre de faculté.
54 Henri HOLSTEIN, art. cit., p. 67. A l’origine, le cardinal Guibert aurait voulu confier l’entière responsabilité de la
Faculté à la Compagnie de Saint-Sulpice. Mais il se rallia à la suggestion de Mgr Richard et de Mgr d’Hulst de « faire
appel à tous, religieux de différents ordres et séculiers. Ce sera disait Mgr Richard, une source féconde d’émulation,
surtout en un temps où les diverses branches de l’enseignement sont appelées à prendre de nouveaux
développements, et où il ne convient de se priver d’aucun concours utile.» Cf. Alfred BAUDRILLART, Vie de Mgr
d’Hulst, 2e éd., t. 1, Paris, Éd. de Gigord, 1912, p. 371.
55 L’Année dominicaine, t. 25 (1886), p. 12-13.
56 La congrégation intermédiaire réunit les principaux supérieurs d’une province entre deux chapitres provinciaux.
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98
lettre : « La Société générale d’éducation procède à un essai d’enseignement supérieur à
Paris. Il est certain que nous touchons à la liberté d’enseignement supérieur ; le rapport sur
cette question a été déposé sur le bureau de la Chambre dans la séance d’hier. Paris aura son
Université libre. Il est plus que probable que l’essai tenté en ce moment sous les yeux et avec
la bénédiction de l’archevêque est le germe de la future Université. C’est ce qui fait
l’importance de cet essai. Vous êtes comme moi de ceux qui pensent que notre place est
marquée dans ces combinaisons de haut enseignement. Or, l’abbé d’Hulst, vice-promoteur du
diocèse, vient de nous demander notre concours, nous laissant le choix entre la chaire de
dogme et la chaire de philosophie. La Congrégation pense que ce poste vous conviendrait et
que vous y feriez honneur ainsi qu’à nous57. » Le P. Bayonne avait accepté. Les cours publics
qui furent dispensés avant 1875 n’eurent guère d’auditeurs : aucun examen ni aucun grade ne
les sanctionnait. Ils ne manquèrent cependant pas de produire un certain effet58. Une fois
fondée l’école de théologie, le P. Bayonne enseigna encore un an la philosophie de saint
Thomas (1878-1879).
Une succession jésuite se mit en place pour la chaire de dogme après le P. Jovene.
« Par un accord passé entre Mgr d’Hulst et le P. Chambellan, provincial des Jésuites de la
Province de Paris (accord que le cardinal Richard fera connaître à l’assemblée des évêques en
1907) les chaires de théologie proprement dites sont confiées à la Compagnie de Jésus. Les
titulaires, présentés par le provincial et agréés par le chancelier, sont nommés par entente
mutuelle, et ne peuvent être retirés qu’à la suite d’un accord bilatéral59. » Au contraire, aucun
dominicain n’enseigna plus à l’Institut catholique de Paris avant le P. Sertillanges, professeur
de morale de 1900 à 1924. Les dominicains en corps, le P. Bayonne en particulier, semblent
s’être éloignés des préoccupations de l’université. Quand Alfred Loisy, dans ses Mémoires,
passe en revue les premiers maîtres parisiens, il ne trouve rien à dire du P. Bayonne60. Le
religieux dominicain disparaît de la scène discrètement sans qu’on trouve une justification
précise de cette retraite prématurée. Son enseignement fut-il un échec ?
On le pressent, le dominicain n’était pas l’homme de la situation : bon prédicateur,
historien consciencieux, son zèle intellectuel allait ailleurs qu’à la métaphysique. Sa
formation thomiste à Rome offrait cependant une caution utile aux dirigeants de l’université
catholique pendant la « longue adolescence » de l’école de théologie. Le P. Ceslas Bayonne
(1834-1886) avait en effet complété ses études initiales en France par un séjour romain
pendant lequel il avait suivi les cours du collège de la Minerve. A son retour, on l’avait
nommé professeur de philosophie scolastique au couvent d’études de Chalais, puis à SaintMaximin. Le P. Lacordaire le libéra bientôt de ces charges pour le donner à la prédication. Le
refus adressé en juillet 1887 par la congrégation des Études à la demande d’institution
canonique de l’école de théologie repose sur l’absence de la condition suivante : fonder
l’enseignement tout entier sur saint Thomas, comme dans les universités romaines61. Objet
de la méfiance romaine, la faculté de théologie n’obtint le droit de nommer un doyen que le 7
février 1913. Pour le P. Holstein, la suspicion romaine s’explique par « le mécontentement de
ne pouvoir obtenir, à Paris, la réalisation de ce que Rome souhaitait alors si fortement : une
réplique, aux bords de la Seine, des universités romaines, dont le programme serait
franchement inspiré de saint Thomas, la méthode d’enseignement un commentaire de la
L’Année dominicaine, t. 25 (1886), p. 13. Document cité dans la notice nécrologique du P. Ceslas Bayonne.
René AIGRAIN, op. cit., p. 25.
59 Henri HOLSTEIN, art. cit., p. 67. Parmi les successeurs jésuites du P. Jovene, on peut citer les PP. Airiault, Bainvel,
Lebreton, Adhémar d’Alès etc.
60 Alfred LOISY, Mémoires pour servir à l’histoire religieuse de notre temps, t. 1 (1857-1900), Paris, Émile Nourry, 1930, p. 68.
61 Henri HOLSTEIN, art. cit., p. 76.
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Somme, et la clientèle de jeunes clercs qui accompliraient, d’un seul tenant, toute leur
formation sacerdotale à l’Université » 62. La difficulté persistante entre Rome et Paris, qui
retarda l’institution canonique, venait principalement de la place faite à la philosophie. Rome
avait en cette matière des ambitions et des exigences. « Ne souhaitait-on pas que, dans les
Universités catholiques, on imitât l’exemple de la Minerve, où tout l’enseignement était
donné sous forme de commentaires de saint Thomas ? Ne comptait-on pas sur les Universités
reconnues par Rome pour être, dans leurs pays respectifs, les moteurs du renouveau thomiste
cher au cœur du Souverain Pontife63 ? » Mgr Baudrillart rapportait ces propos du cardinal
Richard dans une réunion des évêques fondateurs : « La vraie pensée de Léon XIII est de
restaurer la philosophie thomiste et d’en faire la base de l’enseignement théologique : il ne se
contentera pas d’apparences et ce ne serait pas entrer dans l’esprit du Saint Père que de lui
donner un semblant de satisfaction64… » Nommer un dominicain, c’était donner des gages de
thomisme ; ce n’était cependant ni le propos de l’Ordre des Prêcheurs ni le propos romain que
d’entrer dans la voie d’un éclectisme philosophique en offrant un cours isolé de
métaphysique thomiste en dehors de la perspective d’une synthèse à l’école de l’Aquinate.
Par ailleurs, le P. Bayonne semble avoir développé ses centres d’intérêt les plus profonds
ailleurs qu’en philosophie. Quand il fut plus libre de ses travaux intellectuels, il manifesta un
grand intérêt pour l’histoire des temps primitifs de l’Ordre et – surtout – pour la vie de
Savonarole. De son passage à l’Université, on ne peut guère retenir que deux ou trois articles
dans le Correspondant sur les hautes études ecclésiastiques65. Pour succéder au religieux
dominicain et délivrer un enseignement de philosophie thomiste, on confia alors une chaire
de philosophie ad mentem sancti Thomae au P. Bulliot, mariste66.
Des couvents dominicains existaient à Lille depuis 1868, à Lyon depuis 1856 et à
Paris depuis 1849. Ce n’était pas le cas à Angers. Une maison y fut fondée par la province
d’Occitanie en 1877 ; on l’érigea en couvent en 1898. Lors du vote de la loi de 1875, un
projet d’enseignement supérieur catholique mûrissait depuis plusieurs années. Mgr Angebault
avait préparé un plan complet pour une école des Hautes-Études ; il n’eut pas le temps de le
réaliser entièrement. Repris par son successeur, l’établissement de Saint-Aubin devint le
noyau de l’université catholique67. La faculté de théologie d’Angers n’ouvrit ses portes qu’en
1879, sans déclaration officielle. « L’enseignement du dogme y fut partagé entre deux
professeurs dont l’un était le P. Billot, jésuite, bientôt appelé par Léon XIII à l’Université
Grégorienne et plus tard cardinal ; l’autre était un dominicain, le P. Ceslas Ruby, et cette
tradition qui associe les deux grands ordres en évitant de donner la prépondérance à l’un ou à
l’autre dans les disputes d’école a toujours été continuée68. » Le P. Ruby enseigna la
théologie jusqu’en 1884. Un autre dominicain, le P. Clément Cosandey prit alors la relève.
Un point important doit être noté : il existait à Angers et dans sa région un réseau de
thomistes proches des dominicains. Le centre et l’origine de ce foyer résident peut-être dans
la personne de l’abbé Henri Sauvé (1817-1895), prêtre du diocèse du Mans et premier recteur
de l’université catholique d’Angers69. Ultramontain, correspondant de dom Guéranger, Henri
Sauvé avait tenté en 1846, au lendemain de son ordination, un essai au noviciat dominicain
Ibid., p. 62.
Ibid., p. 75.
64 Alfred BAUDRILLART, op. cit., t. 1, p. 437.
65 L’Année dominicaine, t. 25 (1886), p. 10-16. Notice nécrologique par le fr. A. REYNAUD o.p.
66 Henri HOLSTEIN, art. cit., p. 77.
67 René AIGRAIN, op. cit., p. 24.
68 Ibid., p. 37.
69 Gustave BARRIER, Un ami de Rome et du Pape au XIX e siècle, Mgr H. Sauvé , 2 vol., Laval, Chaillard et Paris, Lecoffre,
1898.
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de Chalais. En 1852, il était parti à Rome pour trois années d’études. Il avait alors découvert
le thomisme au collège de la Minerve en suivant les cours du P. Guidi, tout en préparant un
doctorat de droit canonique à la Sapience. A son retour en France, on le nomma chanoine du
chapitre cathédral de Laval. Prédicateur et théologien de renom, il fut invité comme expert au
concile du Vatican, sur une suggestion de Mgr Pie70. Avec le soutien de Mgr Pie et l’aide de
deux dominicains, le P. Bourard (éditeur de Goudin) et le P. Berthier (du studium de la
province de Lyon), il entreprit de lancer une Revue scolastique qui ne put voir le jour, faute
d’un nombre suffisant de souscripteurs. Il fut cependant l’un des principaux artisans du
renouveau thomiste en France. Mgr Freppel l’avait rencontré au concile et l’appela comme
premier recteur de l’université catholique d’Angers. Dans cette charge, Mgr Sauvé eut à cœur
de proposer un enseignement thomiste approfondi, dans une perspective de synthèse. Outre la
chaire de dogme, confiée au P. Ruby, la chaire de philosophie fut confiée à un thomiste de
stricte observance, l’abbé Laurent-Casimir Bourquard (1820-1900). Ce dernier était doté des
talents d’un polémiste71. « Les premiers élèves de notre faculté des Lettres n’ont pas oublié ce
grave professeur de philosophie, ce champion de la Scolastique, qui, dans notre Université
renaissante, fut l’adversaire des cartésiens et des libéraux. Quels anathèmes il leur jetait du
haut de sa chaire ! Durant ces années, grâce à lui, il y eut des disputes célèbres. On discutait
ferme sur les principes de l’esthétique, sur la matière et la forme, sur le libéralisme, sur la
thèse et l’hypothèse. C’était le temps où Mgr Sauvé et l’intrépide chanoine Picherit entraient
volontiers en lice et venaient à la rescousse, quand les attaques dirigées contre le thomisme
leur semblaient trop vives72. »
L’abbé Sauvé avait semé plusieurs disciples, professeurs ou élèves, dans les
séminaires de Laval et du Mans. Parmi eux, l’abbé Thuault, décédé en 1870, qui fut
professeur de philosophie et maître en thomisme de l’abbé Henri Coconnier, plus tard
dominicain. Un autre disciple de Mgr Sauvé était l’abbé Pierre Bouvier, professeur au grand
séminaire, vicaire général de Laval puis évêque de Tarentaise en 1888. Un dernier membre de
ce foyer thomiste de l’Ouest fut lui aussi professeur au grand séminaire de Laval. le 8 juillet
1878, ce chanoine Huchedé passa à Flavigny son examen de docteur en théologie. « La
démarche qu’il a faite, commente le chroniqueur dominicain, prouve que la doctrine de saint
Thomas est remise en honneur dans nos grands séminaires, et qu’on s’estime heureux d’en
devenir le docteur. Puissent cet exemple être suivi et cette doctrine trouver tous les jours de
nouveaux maîtres et de nouveaux disciples73. »
La ville de Toulouse avait retrouvé un couvent dominicain en 1853. En 1865, une
province de Toulouse voyait le jour. Le centre de gravité de cette province méridionale se
trouvait en Provence, autour de Marseille, résidence choisie par le provincial, et de SaintMaximin, couvent d’études de la province. Le corps professoral se trouvait loin des facultés
libres créées dans la métropole toulousaine à partir de 1875. La déclaration d’ouverture de
l’« école supérieure de théologie » intervint le 16 novembre 187974. Comme à Angers, le
recrutement de professeurs fut marqué par des préoccupations doctrinales. Ainsi que
l’expliqua ultérieurement Mgr Battifol, « Les Évêques administrateurs de l’Institut catholique
avaient tenu, au début, à confier les chaires magistrales à des religieux, délicat hommage à de
grands ordres qui, dans l’indigence doctrinale et scientifique des Catholiques, avaient su le
Louis BAUNARD, Histoire du Cardinal Pie, Évêque de Poitiers, t. 2, p. 330.
Son livre : Doctrine de la connaissance d’après Saint Thomas d’Aquin
, Paris, Lethielleux, 1877, 234 p. contribua au
déclenchement en France de la controverse sur la forme substantielle du composé humain.
72 Revue des facultés catholiques de l’Ouest, t. X (1901), p. 248-249.
73 L’Année dominicaine, t. 17 (1878), p. 345.
74 Bruno NEVEU, op. cit., p. 441. L’érection canonique n’eut lieu que neuf ans plus tard.
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101
prix et gardé la tradition des fortes études ecclésiastiques. Nos Évêques, pour reprendre une
image de saint Paul, entaient l’olivier sauvage sur l’olivier franc. Les PP. Ramière et
Desjardins, de la Compagnie de Jésus, les PP. Guillermin et Coconnier, des Frères Prêcheurs,
se partagèrent la morale, le droit, le dogme, la philosophie75 […]. »
Deux thomistes de valeur reçurent donc les chaires de philosophie et de théologie76.
C’était un lourd sacrifice que consentit le provincial. Le P. Henri Guillermin (1845-1903),
entré dans l’Ordre au noviciat de Flavigny, avait fait ses études à Saint-Maximin puis à
Rome. Ordonné prêtre en 1869, il fut lecteur à Saint-Maximin jusqu’en 1878, date à laquelle
on l’appela pour enseigner le philosophie scolastique (1878-1879) puis la théologie
dogmatique, jusqu’en 1902. Il fut vice-doyen de la faculté de théologie en 1895 et doyen en
1898. En 1882, le P. Guillermin fut promu maître en théologie. L’occasion était bonne pour
L’Année dominicaine de saluer les mérites d’un professeur qui, à ses yeux, perpétuait la
tradition thomiste toulousaine d’Ancien régime77. A la différence de ses confrères des
facultés de Lille, Paris et Lyon, le P. Guillermin semble avoir exercé une très forte influence
sur ses étudiants. Deux témoignages tirés de la chronique de la revue L’Année dominicaine
semblent en donnent un indice. En 1879, l’archevêque de Toulouse chargea le P. Guillermin
de prêcher la retraite pascale aux étudiants de la ville. « Cette retraite a eu lieu du 31 mars au
4 avril ; elle a été suivie avec une édifiante piété par les étudiants de l’Université catholique
et par un bon nombre d’élèves de l’Université de l’État78. » La même année, le chanoine
Laprie, professeur à la faculté de théologie de Bordeaux, fut chargé de prononcer le
panégyrique de saint Thomas d’Aquin, à Saint-Sernin, pour la fête liturgique du saint. Il s’en
acquitta en une heure cinquante minutes, « montre en main »79. En entendant cet orateur,
poursuit le chroniqueur, je me disais : « C’en est fait, la cause de saint Thomas est à jamais
gagnée dans notre ville. Le R.P. Guillermin fera le reste. Les vieux thomistes peuvent
entonner le Nunc dimittis. Le Révérend Père, cet ardent et savant disciple de saint Thomas,
était là, comme on peut bien le penser, portant sur ses épaules, à la procession qui a suivi le
discours, la belle châsse où est enfermé le crâne du maître. Un autre Dominicain et deux
professeurs de l’Institut supportaient avec lui ce précieux fardeau80. » Un ancien élève a
caractérisé ainsi l’enseignement du P. Guillermin : « Pour le R.P. Guillermin le programme
n’existait qu’à titre de direction. Il savait ce qu’il valait, disait-il, l’ayant fait lui-même. Son
programme à lui, c’était le texte même de la Somme théologique qu’il suivait pas à pas,
laissant à l’élève le soin de préparer seul les questions qui ne seraient pas vues en classe. Car
ce qui le préoccupait avant tout, et qui pourrait l’en blâmer ? c’était la formation de l’esprit,
l’enseignement de la méthode, beaucoup plus que la quantité des connaissances81. » Dans le
vibrant hommage qu’il lui rendit post mortem, Mgr Battifol, écrivit : « On peut douter que la
Minerve ou le Collège romain aient compté beaucoup de maîtres de cette trempe82. » On
aurait tort de n’y voir qu’une exagération lyrique : Mgr Battifol était en effet conscient des
lacunes de « ce moine à l’abord glacial », à commencer par sa connaissance insuffisante – qui
Bulletin de Littérature Ecclésiastique , 1903, p. VII. Notice nécrologique du P. Henry Guillermin. Le texte qui n’est pas
signé, a été rédigé par Mgr Battifol.
76 Le P. Yves CONGAR a signé les deux notices Coconnier et Guillermin des tables du Dictionnaire de théologie catholique.
77 L’Année dominicaine , t. 21 (1882), p. 37 : « Le R.P. Professeur, par la clarté et la vigueur de son enseignement,
perpétuera à l’Institut les traditions établies dans l’ancienne Université de Toulouse par les Massoulié, Vincent
Baron, Capréolus et tant d’autres disciples de l’angélique Docteur. »
78 L’Année dominicaine, t. 18 (1879), p. 224.
79 Ibid., p. 224-225.
80 Ibid., p. 226.
81 Bulletin de Littérature Ecclésiastique, 1903, p. VIII. Citation de M. Lalaguë, professeur au grand séminaire d’Auch.
82 Bulletin de Littérature Ecclésiastique, 1903, p. XIII.
75
102
n’était pas mépris – de la théologie positive83 ; il sut cependant reconnaître les qualités de ce
professeur à la doctrine conquérante. Le P. Guillermin fut en effet un homme d’initiatives :
« Nul n’était plus réfractaire aux romances sans paroles que l’on prend parfois pour la piété.
Il entendait que la foi très ferme fût l’armature de la vie intérieure. » Il multiplia pour cela les
conférences doctrinales, données par cycles dans la chapelle du Saint-Nom de Jésus, à
l’intention d’auditrices qu’il voulait élever « du catéchisme à la théologie, parce que la
théologie, leur disait-il, est non plus une initiation à la vérité, mais un resplendissement de la
vérité, la science de Dieu et de ses rapports avec la création et avec l’homme, la science qui
inonde nos esprits de clartés divines » 84. Une autre innovation a été relevée par un de ses
anciens élèves : « Il faisait ses cours en français. peut-être les lapsus qui lui avaient échappé
dans la chaleur de la discussion au début de son professorat et dont quelques-uns étaient
restés légendaires, lui avaient-ils fait prendre cette détermination. Pour ma part, je croirais
plutôt que c’était le besoin de clarté. Il dut s’apercevoir que ce langage scolastique, si plein de
sens quand on l’entend bien, n’était pas compris par l’auditoire jeune qui l’écoutait et dont la
formation philosophique reçue au Grand-Séminaire était parfois insuffisante. Le français lui
permettait de mieux faire saisir sa pensée85. »
Le P. Coconnier (1846-1908) est la deuxième grande figure dominicaine des
premières années de l’Institut catholique de Toulouse86. Né dans la Mayenne, Henri
Coconnier fit ses études au grand séminaire puis chez les sulpiciens d’Issy. Jeune professeur
de philosophie dans son diocèse, il fut initié plus ou moins officieusement à saint Thomas par
un disciple de l’abbé Henri Sauvé. La rencontre d’un dominicain toulousain, le P. Doussot,
puis le départ pour le noviciat d’un de ses dirigés, l’abbé Gallais, déterminèrent sa vocation
dominicaine. En attendant son entrée dans l’Ordre, l’abbé Coconnier résolut de compléter ses
études théologiques. En octobre 1875 il commença à suivre, au collège de la Minerve, les
cours du P. Zigliara. Pourvu d’un doctorat en théologie, il revint en France et prit l’habit à
Saint-Maximin en novembre 1876. Appelé à Toulouse avec le P. Guillermin, le P. Coconnier
enseigna dix années durant la philosophie à l’Institut catholique. En 1880, il inaugura une
« chaire française de S. Thomas ». L’Écho de la Province, journal toulousain, publie le texte
de la première conférence de ce cours consacré, pour la première année, à l’anthropologie. Le
but du professeur est de « compléter et vulgariser, en le mettant à la portée de tous,
l’enseignement qu’il donne déjà, sous une autre forme plus scholastique, dans la chaire
latine » 87. En 1890, le P. Coconnier fut appelé à l’université de Fribourg, récemment fondée
par Léon XIII, pour y enseigner la théologie dogmatique. En 1893, l’année de son rectorat
suisse, il fonda la Revue thomiste.
Le P. Guillermin et le P. Coconnier eurent des disciples : après un intermède assuré
par le P. Pègues, l’abbé Hourcade prit la suite du maître à Toulouse. Le P. Ambroise
Bulletin de Littérature Ecclésiastique , 1903, p. VIII, n. 1 . Mgr Battifol, citant le P. Guillermin : « Je suis trop vieux, me
disait-il un jour, pour commencer un travail si difficile et si long : mais je sens que quelque chose me manque de ce
côté ; et si je devais refaire mon éducation théologique, je ferais, dans mes études, une plus grande part à la théologie
positive. »
84 Bulletin de Littérature Ecclésiastique, 1903, p. XV.
85 Bulletin de Littérature Ecclésiastique , 1903, p. IX. Citation de M. Lalaguë, professeur au grand séminaire d’Auch. En
1882, une chaire de philosophie thomiste est fondée par les évêques belges à Louvain. Elle est confiée à l’abbé
Désiré Mercier. « Le programme de l’enseignement fut arrêté en accord avec Léon XIII ; ce fut le pontife qui voulut
que les cours fussent donnés en français, pour mieux marquer qu’il ne s’agissait pas d’une doctrine morte, mais
d’une pensée bien actuelle et vivante ; l’abbé et le pape voulaient également que la philosophie, et la psychologie en
particulier, fût appuyée sur une solide connaissance des sciences biologiques […]. » Cf. René AIGRAIN, op. cit., p. 12.
86 M.-François CAZES, Le T.R.P. Coconnier des frères prêcheurs. Quelques notes sur sa vie, ses œuvres et sa mort
, Toulouse,
Privat, 1908, 72 p.
87 L’Année dominicaine, t. 19 (1880), p. 219.
83
103
Montagne succéda de son côté au P. Coconnier jusqu’au départ des religieux pour l’exil, en
1903. Les dominicains possédaient des amis au sein de l’université toulousaine. Le très érudit
abbé Célestin Douais, professeur d’histoire ecclésiastique de 1879 à 1897 et tertiaire
dominicain, en est une belle illustration88.
Un bilan de la présence dominicaine dans les Instituts catholiques à la fin du XIXe
siècle
En 1879, cinq écoles supérieures de théologie ou collèges théologiques avaient été
constitués dans le cadre des nouvelles universités. Quel bilan peut-on tirer de la présence
d’une poignée de dominicains dans le corps professoral de ces nouveaux établissements ?
La fidélité proclamée de l’Ordre des Prêcheurs à saint Thomas ne représenta pas une
objection de principe au recrutement de professeurs dominicains. Dans les facultés libres de
théologie, comme dans les facultés d’État, l’Aquinate était l’objet d’un grand respect. La
lettre pathétique adressée par Mgr Maret au cardinal Jacobini, secrétaire d’État, le 18 juillet
1882 en témoigne : « Notre vieille Sorbonne, dont l’autorité fut si grande, et qui fut tant
honorée par les souverains pontifes ; l’École de saint Thomas d’Aquin, de saint Bonaventure,
de Bossuet, deviendra le siège de l’hérésie ; son église, qui rappelle les plus grands souvenirs
de notre histoire religieuse, sera démolie ou transformée en prêche calviniste89. » La valeur
du thomisme est universellement reconnue en théologie mais, bien souvent, vidée de sa
substance car privée d’une intelligence métaphysique. Dans les facultés d’Angers et de
Toulouse, la greffe du thomisme des dominicains prit mieux qu’ailleurs – la constitution
d’écoles autour de maîtres indiscutés en est la preuve – parce que les professeurs de
métaphysique et de dogme vont dans le même sens. Partout ailleurs, le renouveau thomiste se
fit attendre : on étudiait dans les ouvrages de l’Aquinate les solutions de problèmes
théologiques sans chercher à acquérir une méthode d’investigation thomiste.
La fécondité de la présence dominicaine et thomiste fut de plus limitée par trois sortes
de difficultés intraecclésiales. Le développement des facultés de théologie fut entravé en
premier lieu par le manque d’intérêt des évêques et la divergence de vues qui les opposait à la
congrégation romaine des Études. Les thomistes étaient persuadés que seule la fidélité à saint
Thomas pouvait armer l’Église dans ses combats contemporains. Cette conviction n’était pas
partagée par des prélats français parfois superficiellement instruits et, surtout, « préoccupés
d’action politique et satisfaits dans le domaine théologique ou spirituel par de vagues
effusions oratoires ou par des assertions provocatrices contre le progrès et ses ravages » 90.
L’unanimité était loin de régner dans le camp catholique non seulement pour défendre la
cause thomiste mais déjà pour promouvoir un enseignement supérieur de la théologie de
valeur universitaire. En témoigne une lettre écrite en 1879 par Mgr Besson, évêque de Nîmes
au secrétaire de la congrégation des Études : « Le nécessaire, c’était l’école de médecine,
l’utile l’école de droit, l’agréable les facultés des sciences et des lettres, le superflu la
théologie. Il y a de la hardiesse à le dire mais il faut le dire sans respect humain91. » On hésita
longuement, en second lieu, entre deux formules d’enseignement : « celle des Universités
romaines où l’on achevait en quatre ans l’étude de la théologie entière, celle des Facultés
Sur Mgr Douais (1848-1915), voir
Les sciences religieuses , [François LAPLANCHE dir.], « Dictionnaire du monde
religieux dans la France contemporaine n° 9 », p. 199-200.
89 Cité par Bruno N EVEU, op. cit., p. 534.
90 Bruno NEVEU, op. cit., p. 570.
91 Ibid., p. 441.
88
104
françaises où les étudiants n’arrivent qu’après avoir accompli le cycle des études secondaires,
en l’espèce au grand séminaire92. » La conception dominicaine de l’enseignement de la
théologie avait été forgée dans des studia où l’enseignement thomiste était dispensé d’une
manière organique et homogène, à l’instar des facultés romaines. En troisième lieu, il faut
souligner la crainte des évêques d’introduire dans leurs établissements des querelles d’école,
spécialement entre jésuites et dominicains. Quelque chose de cette crainte apparaît dans un
discours du cardinal Guibert en janvier 1878. A la fin de la séance, rapporte un chroniqueur,
le cardinal Guibert « engagea les étudiants à demeurer bons catholiques, catholiques… sans
épithète […] » 93. Un précédent avait pu impressionner les évêques fondateurs : vers 1878,
une vive querelle opposa, sur la question de la composition des corps, les jésuites de Poitiers,
partisans de « l’école chimico-physiologique », à plusieurs dominicains ou thomistes, tenants
de l’école du « thomisme péripatéticien »94.
La présence de religieux dans l’enseignement supérieur catholique eut également à
souffrir du climat de lutte anticongréganiste. A partir de 1876, une majorité républicaine fut
acquise à la Chambre des députés. Le ciment de l’extrême-gauche parlementaire résidait dans
un anticléricalisme qui trouva une cible de choix dans la situation des congrégations
religieuses non autorisées. Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique sous la présidence
de Jules Grévy, déposa le 15 mars 1879 un projet de loi qui réduisait à néant les résultats de
la loi de 1875 en restituant à l’État le monopole de la collation des grades, en supprimant les
jurys mixtes (art. 5) et surtout en interdisant l’enseignement de quelque ordre que ce fût, dans
tout établissement public ou privé, à quiconque appartiendrait à une congrégation non
autorisée (art. 7). A l’issue d’une bataille farouche, la loi fut votée par la chambre des députés
le 9 juillet 1879. Au Sénat, on élimina cet article 7. En guise de représailles, les radicaux
prirent les décrets du 29 mars 1880 contre les congrégations non autorisées, et spécialement
les jésuites95. A partir de 1880 et jusqu’après la première guerre mondiale, les dominicains
subirent expulsions et spoliations. Le climat ne se prêtait pas à une collaboration harmonieuse
avec des Instituts catholiques eux-mêmes menacés dans leur existence.
***
Le renouveau thomiste amorcé avant Aeterni Patris dans les universités catholiques
françaises n’eut pas l’ampleur qu’attendait le P. Didon en 1875. La présence modeste et, dans
la plupart des cas, marginale d’une poignée de dominicains français des trois provinces dans
les facultés de théologie marque cependant un tournant dans l’histoire de l’Ordre au XIXe
siècle : elle oblige les frères de saint Thomas d’Aquin à confronter leur doctrine aux idées de
l’époque et annonce le temps des revues doctrinales et des débats théologiques. Par ailleurs,
l’échec d’une faculté de théologie française entièrement placée à l’école de saint Thomas
d’Aquin prépare indirectement le projet réalisé ultérieurement par Léon XIII à Fribourg.
René AIGRAIN, op. cit., p. 47.
L’Année dominicaine, t. 17 (1878), p. 117. La remarque vaut même s’il il n’y a pas encore de faculté ni même d’école
de théologie à Paris. Des cours de théologie sont, à cette date, déjà dispensés de manière sporadique.
94 Cf. L’Année dominicaine , t. 17 (1878), p. 80 et 454. Le P. Bottalla S.J., professeur à Poitiers, avait prétendu que
l’aristotélisme donnait prise au matérialisme, qu’il était en contradiction évidente avec les expériences scientifiques,
qu’il avait été condamné et combattu par les plus illustres docteurs et universités, qu’il créait des difficultés insolubles
dans le domaine des dogmes etc. Le P. Vincent de PASCAL o.p. répondit par un énergique plaidoyer : Saint Thomas et
le R.P. Bottalla S.J., Professeur à la Faculté de Poitiers, Paris, Baltenweck, 1878, 80 p. Un des censeurs dominicains était le
P. Guillermin, alors régent des études au couvent de Saint-Maximin.
95 René AIGRAIN, op. cit., p. 40-41.
92
93
105
HISTOIRE DE L'UNIVERSITE CATHOLIQUE DE LUBLIN (1918-1962)
Hubert Laszkiewicz,
Institut d'Histoire,
Université Catholique de Lublin, Pologne.
1. La naissance de l'Université
L'idée de fonder un établissement catholique d'enseignement supérieur fut lancée par
l'abbé Idzi Radziszewski (1871-1922), le dernier recteur de l'Académie Ecclésiastique
(catholique romaine) de Petersbourg. En février 1918, fut créé à Piotrograd le Comité
d'Organisation chargé de la mise sur pied de l'université. Karol Jaroszynski (1877-1929), en
tant que président, fut à la tête de ce Comité, l'abbé Idzi Radziszewski en fut le vice-président
et Franciszek Skapski, le trésorier. Et aussitôt on s’intéressa au statut de l'établissement et à la
constitution de sa bibliothèque. Tout cela eut lieu dans une Russie déjà secouée par la
révolution bolchevique. Pour avoir le droit de collecter des livres, il fallut une autorisation
délivrée par le pouvoir bolchevique (Commissariat National d'Instruction). L'abbé
Radziszewski obtint une telle autorisation du commissaire Anatol Lunczarski. En juin 1918,
le statut de la future université était prêt, ainsi que le projet d'organisation administrative et la
bibliothèque universitaire prenait forme. Les 26 et 27 juillet 1918, l'abbé Radziszewski
présenta le projet de fondation de l'université catholique à la Conférence des Evêques du
Royaume de Pologne et de la Russie qui s'était réunie autour de Mgr Achille Ratti, envoyé du
Saint Siège (futur pape Pie XI). La Conférence accepta le projet et donna à l'abbé
Radziszewski l'autorisation de continuer les démarches afin de le mener à son terme.
L'Université devait avoir son siège à Lublin qui, à l'époque, était une ville d’environ cent
mille habitants. L'Université devait porter le nom de Sacré Cœur. Le 6 septembre 1918 arriva
l'autorisation officielle de la part de l'Etat ; l'établissement devait porter le nom de Université
de Lublin. Il faut souligner que cette autorisation fut signée par le Ministre des Confessions et
de l'Instruction Publique auprès du Conseil des Régents (gouvernement créé par l'Empire
Allemand et l'Empire Austro-Hongrois) qui, à l'époque, dirigeait le Royaume de Pologne.
L'Etat polonais n'existait pas encore. Le 27 septembre 1918, on ouvrit les inscriptions pour la
première année d'études et le 8 décembre 1918, on organisa la première session du Sénat
Académique de l'Université Catholique. Le 9 décembre 1918 commencèrent les cours mais
seulement pour des femmes et des ecclésiastiques. En effet, même si le 27 novembre 1918
avait été prévu pour l’ouverture de l'année académique, celle-ci n'eut pas lieu, car le 11
novembre 1918, l'Etat polonais avait retrouvé sa liberté et la plupart des étudiants s’étaient
engagés dans la nouvelle armée polonaise. D’où leur absence le 9 décembre dans les salles de
cours.
2. L'abbé Idzi Benedykt Radziszewski : fondateur de l'Université Catholique de Lublin
La création de l'Université n’aurait pas été possible sans l'abbé Radziszewski. Ce fut
lui qui convainquit un riche compatriote, Karol Jaroszynski, de fournir des fonds pour la
future université. De plus, il lança l'idée d'une université catholique dans un contexte
politique assez complexe. En 1918, la Grande Guerre durait encore ; la révolution
bolchevique secouait la Russie ; l'Etat polonais ne fut recréé que le 11 novembre 1918 après
123 ans de non-existence. Il fallait un visionnaire pour lancer l'idée de créer un établissement
106
d'enseignement supérieur dans une ville sans aucune tradition universitaire. Pour comprendre
son audace, il est important de suivre son curriculum vitae intellectuel.
L'abbé Radziszewski était né en 1871. En 1889, il était entré au Séminaire de
Wloclawek où, en 1896, il allait être ordonné prêtre. La même année, il s’inscrivait en
philosophie à l'Université Catholique de Louvain, en vue d’un doctorat obtenu en 1900. Sa
thèse portait sur l’évolutionnisme chez Darwin et Spencer. Après son doctorat, il visita
quelques centres universitaires en Europe (Oxford, Cambridge, Paris, Rome, Innsbruck,
Vienne). A Louvain, il découvrit l'idée d'Université Catholique développée par le cardinal
Désiré Mercier. Plus tard, en France, visitant les Instituts Catholiques de Paris, Lille, Angers
et Lyon, il approfondit ses connaissances en la matière.
Après une année de voyage, l'abbé Radziszewski revint au Royaume de Pologne pour
devenir professeur au Séminaire de Wloclawek. Il y enseigna de 1901 à 1905. Essayant de
renouveler les études au séminaire, il rentra en conflit avec son milieu et en 1905 quitta de
nouveau le pays. Il séjourna alors une fois de plus en France, travaillant à la Bibliothèque
Nationale et observant le mode de fonctionnement des écoles supérieures : Sorbonne, Institut
Catholique de Paris, Collège de France. Entre 1908 et 1914, de retour en Pologne, il fut
recteur du Séminaire de Wloclawek et, en 1914, reconnaissant ses capacités intellectuelles,
on lui ofrit le poste de recteur de l'Académie Ecclésiastique de Petersbourg.
Formé dans l'esprit du renouveau catholique, il était d'avis que seule une base solide
en philosophie pouvait donner une formation intellectuelle adéquate à une intelligentsia
catholique. Il était thomiste et s’efforçait de combattre les préjugés existant à l’endroit de la
scolastique. Il était en outre d’avis que la théologie n’avait pas à s'opposer aux sciences
naturelles. Très ouvert aux nouveaux courants des sciences sociales, il alla même jusqu’à
donner des cours de sociologie au Séminaire de Wloclawek. Mais, il s'opposait au
modernisme. La Grande Guerre et la révolution en Russie, l'observation des changements
brusques qui avaient alors cours et ne pouvaient pas ne pas affecter la formation intellectuelle
des catholiques, lui inspirèrent un grand projet pour le renouvellement intellectuel du
catholicisme. L’un des éléments principaux de ce projet était la création d'une université
catholique. C'est à cette idée qu'il consacra les dernières années de sa vie ; jusqu'à sa mort
prématurée en 1922, il allait être président (recteur) de l'université en question.
3. Les premières vingt années d'existence : 1919 – 1939
Dès le début, l'Université disposera de quatre facultés : Faculté de Droit Canon et des
Sciences Morales, Faculté de Droit et des Sciences Socio-Economiques, Faculté des Lettres
et Faculté de Théologie. En principe, elle était donc conçue comme une université humaniste.
Les études y duraient quatre ans. Au fur et à mesure que croissait le nombre de professeurs,
l’éventail des matières enseignées fut élargi. Pourtant, dès le départ, il avait été difficile de
recruter des enseignants. En 1918, alors qu’il était encore à Piotrogrod, l'abbé Radziszewski
avait réuni une première équipe de collaborateurs venant de l'Académie Ecclésiastique de
Petersbourg et de l'Université Jagellonne de Cracovie. S’ajoutèrent par la suite des
professeurs venus d'autres centres académiques (Varsovie, Lvov), et des enseignants du
secondaire, pour la plupart oeuvrant en Russie et en Autriche-Hongrie. Mais les difficultés
financières de l'Université firent que les enseignants y étaient moins bien rémunérés que dans
les universités d'Etat, ce qui ne facilitait pas le recrutement et provoquait des changements
107
fréquents dans le corps enseignant : certains quittèrent la KUL après quelques années
seulement de travail.
A l’origine, l'Université fonctionna comme une fondation privée. Fondation alimentée
par les avoirs de Karol Jaroszynski. Mais avec la révolution bolchevique en Russie, la fortune
de Jaroszynski s’écroula. C'est alors que l’Université se tourna vers l'Eglise catholique de la
Pologne reconstituée. Les évêques polonais décidèrent que chaque diocèse se cotiserait pour
la KUL. L’Université put aussi compter sur des subventions de l'Etat et des autorités
territoriales, des dons des Polonais vivant aux Etats Unis et d'autres personnes. Mais il lui
faudra attendre vingt ans avant de réussir à se donner des bases financières stables.
La reconnaissance des diplômes fut un autre problème. Dès 1920, les facultés
ecclésiastiques (Faculté de Droit Canon et des Sciences Morales, Faculté de Théologie)
obtenaient l’autorisation de Rome de délivrer des titres de niveau licence et doctorat. Mais
ces diplômes, tout comme ceux délivrés par les autres facultés de la KUL, n'étaient pas
entièrement validés par l'Etat. Pour avoir un titre pleinement reconnu, les étudiants de la KUL
devaient passer l'examen d’équivalence (nostryfikacja) à l'Université Jean Casimir de Lvov.
Pendant plusieurs années, l'Université mena une campagne pour échapper à ce contrôle.
Successivement, une à une, les facultés obtinrent le plein droit de délivrer des diplômes, puis
de promouvoir des docteurs et des docteurs habilités. Finalement, le 9 avril 1938, la Diète de
la République de Pologne reconnut à l'Université la totalité des droits lui revenant en tant
qu’établissement d'enseignement supérieur.
Après la mort de l'abbé Radziszewski, fondateur et premier recteur de l'Université, la
structure administrative de l’institution changea. Le "Curatorium de l'Université", composé
du président et des co-fondateurs de l'établissement : Karol Jaroszynski et Franciszek
Skapski, fut supprimé. L'Université devant rester sous "l'autorité et la protection" des évêques
de Pologne, le premier recteur fut donc nommé par ces derniers, puis, suivant la tradition
universitaire, le plus haut pouvoir fut confié au Sénat Académique duquel relèverait par la
suite la désignation du recteur et des vice-recteurs, le contrôle épiscopal étant assuré par
l’évêque de Lublin en tant que Grand Chancelier de l'Université Catholique de Lublin et le
Conseil Universitaire Episcopal dirigé par le Primat de Pologne.
Durant les vingt premières années, le nombre des facultés de l'Université resta le
même, par contre on changea leur dénomination et leur organisation interne.
Au début de l’année académique 1919-1920, la Faculté de Théologie comptait deux
sections : section dogmatique et section biblique ; en 1920-1921, elle fut réorganisée et
divisée en trois sections : dogmatique, fondamentale et pédagogie-éthique. En 1922-1923, on
créa la section d'histoire de l'Eglise, qui disparut en 1929. La Faculté de Droit Canon et des
Sciences Morales fut initialement composée de trois sections : juridico-sociale, juridicohistorique, juridico-éthique. En 1923, on fit disparaître ces sections. Ces deux facultés
connurent de graves problèmes de recrutement. Leurs étudiants étaient essentiellement des
religieux, mais comme les universités d'Etat possédaient aussi des facultés de théologie, avec
un corps enseignant réputé et l’avantage de jouir de la totalité des droits accordés aux
établissements d'enseignement supérieur, les prêtres étaient plutôt réticents à l'idée d’étudier
la théologie ou le droit canon à l'Université Catholique de Lublin. A la fin des années 30,
l'existence même de la Faculté de Théologie devint problématique, compte tenu du nombre
insuffisant d'étudiants: 15 en 1935-36, 9 en 1936-1937 et 8 en 1937-38. L'évêque de Lublin,
Marian Leon Fulman, Grand Chancelier de l'Université Catholique, décida, le 27 mai 1939,
108
de fusionner la faculté de théologie avec le Séminaire de Lublin. Les deux établissements
garderaient leurs propres cursus, avec le même corps enseignant. Mais cette décision ne fut
effective qu'après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, par décision du Conseil de la
Faculté de Théologie, en date du 15 juillet 1945.
En 1922-1923, la Faculté de Droit et des Sciences Socio-Economiques fut divisée en
deux sections : juridique et économique, division qui sera maintenue jusqu'en 1939.
Au début, la Faculté des Lettres fut composée d’une section philosophique (qui, en
1935-1936, devint la "section des sciences philosophiques"), puis de sections de philologie
classique, d’histoire, de philologie polonaise et de philologie romane (qui, à partir de 19341935, devint la section de philologie française). Il y avait encore une section des langues
anciennes et une section des langues modernes (vivantes) qui furent éventuellement
transformées en "studium des langues".
En 1930-1931, on dut fermer l'Institut Pédagogique (créé pourtant en 1918) par
manque de professeurs. La même année 1930-31, on ferma la section d'histoire de l'art et
celle de philologie allemande (cette dernière fut réactivée en 1938).
Durant les quatre premières années, l'Université fonctionna dans les locaux du
Séminaire. En 1922, terminés les travaux de réaménagement d’une partie de l'ancien couvent
des dominicains, elle put enfin s’installer dans des locaux qui lui étaient propres mais à cause
de problèmes budgétaires, ces travaux se poursuivirent jusqu'en 1939. D’où la situation de la
bibliothèque universitaire qui, dans l’intervalle, ne put compter sur un bâtiment bien à elle et
devra se résigner à ce que ses fonds les plus précieux soient gardés dans l'ancien couvent des
franciscains dans des endroits non prévus à cet effet.
Les premières années, le nombre d'étudiants de la KUL ne fut pas très élevé. Il n’y
avait que 399 inscriptions pour la première rentrée (1918-1919). A cette époque, les
universités d'Etat comptaient environ 2500 étudiants chacune. Le nombre d'étudiants de la
KUL s'accrut lentement ; souvent, après une année ou deux passées à la KUL, les étudiants
partaient vers d'autres centres universitaires tels que Varsovie, Cracovie, Vilnus, Lvov.
Pendant les vingt premières années, l'effectif de la KUL oscilla entre 315 étudiants en 19251926 et 1400, en 1937-1938. Les étudiants en droit et sciences socio-économiques furent les
plus nombreux ; ils constituèrent de 60 à 80% de tous les étudiants de l'établissement sans
doute parce que la formation offerte par cette faculté (formation en droit ou en économie)
donnait le plus de possibilités de travail à la fin des études.
Du point de vue confessionnel, le public recruté était très homogène : les catholiques
romains y étaient largement majoritaires. Pourtant, au fil des ans, on note la présence de
quelques dizaines de représentants d'autres confessions (orthodoxes, luthériens, calvinistes).
Par contre, le dossier de candidature exigeant l'attestation du baptême, l'Université Catholique
de Lublin ne comptera pas de représentants des confessions non-chrétiennes.
Le développement de l'Université et son originalité par rapport à d'autres écoles
d’enseignement supérieur de Pologne seront liés avant tout aux recherches entreprises en son
sein sur l'enseignement social de l'Eglise. On pense ici inévitablement à des professeurs tels
que l’abbé Antoni Szymanski (1881-1942), recteur de la KUL de 1933 à 1939, Czeslaw
Martyniak (1906-1939), Ignacy Czuma (1891-1963), Czeslaw Strzeszewski (1903-2000).
L'abbé Stefan Wyszynski (1901-1981), futur évêque de Lublin, Primat de Pologne et
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cardinal, personnage clé de l'histoire de l'Eglise catholique en Pologne d'après la Deuxième
Guerre mondiale, fut un de ces pionniers en matière d’enseignement social de l’Eglise. Le
père Jacek Woroniecki (1878-1949) mérite aussi d’être mentionné : dominicain, il fut recteur
de la KUL pendant deux ans (1922-1924) ; son activité académique resta très importante pour
le renouvellement de la théologie morale, mais aussi de la philosophie, de l’éthique, de la
pédagogie, de l’histoire de l'Eglise et de l’hagiographie. L'abbé Wladyslaw Kornilowicz
(1884-1946) fut également de la KUL pendant un certain temps ; il y donna des cours de
théologie morale et de liturgie. Son rôle dans le renouvellement intellectuel du catholicisme
polonais fut important non seulement grâce à ses recherches, mais aussi par son activité
pastorale auprès de l’intelligentsia polonaise ; il s'y consacra entièrement après 1930, année
où il arriva à Laski près de Varsovie et y créa un centre de pensée catholique qui d'ailleurs
rayonne encore de nos jours.
A la fin des années 30, la stabilité des bases administratives et financières de
l'Université permit d'entreprendre certaines démarches en vue de changer le profil de
l'établissement. En 1939, on devait ouvrir une Faculté de Médecine et donner une plus grande
autonomie à l'enseignement de la philosophie par la création de la Faculté de Philosophie
Chrétienne. Le caractère rural de la région de Lublin fit penser à l'organisation de cours en
agriculture, mais la Deuxième Guerre mondiale mit fin à tous ces projets.
4. La Deuxième Guerre mondiale : 1939 – 1944
Le 1er septembre 1939, l'Allemagne nazie attaqua la Pologne. Le 17 septembre,
l'URSS, alliée d'Hitler, en fit tout autant. Le 2 octobre, l'Armée Polonaise déposa les armes. A
partir du 18 septembre, le gouvernement polonais fonctionna à l'étranger : en Roumanie
d'abord, puis en France et, après la défaite de ce dernier pays, en Grande Bretagne.
Les autorités de l'Université tentèrent de lancer l'année académique et les cours eurent
lieu du 6 octobre au 17 novembre, mais les autorités allemandes, installées sur le territoire
polonais, s’y opposèrent. Les bâtiments de l'Université furent réquisitionnés par l'armée et on
ferma la bibliothèque. Pratiquement, pendant les six années de l'occupation allemande,
l'activité de l'Université fut interrompue. On arrêta de nombreux professeurs, quelques-uns
furent fusillés ou envoyés dans les camps de concentration. Suite à la suppression totale de
l'activité académique officielle, des efforts furent faits pour assurer officieusement du moins
une partie des cours. On créa des groupes d'enseignement clandestins à Lublin, à Kielce et à
Varsovie. On y donna des cours de droit, de sciences socio-économiques, de théologie et de
droit canon.
5. L'Université en Pologne gouvernée par des communistes : 1944 – 1962
En juillet 1944, Lublin fut occupée par l'Armée Soviétique. La situation politique de
la Pologne était alors très complexe. D'un côté, il y avait le gouvernement polonais exilé à
Londres, de l’autre, l'Armée Soviétique qui avait installé des communistes au pouvoir.
L'Eglise de Pologne et les autorités de l'Université se retrouvèrent face à un problème d'ordre
politique: le fait de commencer les cours pouvait être considéré comme une reconnaissance
du nouveau pouvoir communiste en Pologne, le fait de rester inactif pouvait provoquer une
réaction des communistes aboutissant à la fermeture de l'Université. La décision d’une
nouvelle rentrée pour l’automne 1944 fut prise par l'abbé professeur Antoni Slomkowki
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(1900-1982), recteur à l'époque. C'est lui qui arriva à convaincre le gouvernement de Londres
et l'Episcopat polonais de procéder ainsi. La situation de l'Université était dramatique :
bâtiments démolis ou encore occupés par l'Armée Soviétique, bibliothèque éparpillée,
manque de fonds et, fait plus grave, un corps professoral extrêmement réduit. Des efforts
énormes permirent de surmonter ces difficultés et l'Université put reprendre son activité.
L'enseignement s'organisa dans les quatre Facultés existantes. Suite à la décision de
1939, une cinquième faculté fut mise en place : la Faculté de Philosophie Chrétienne (en
1946). La Faculté des Lettres proposa une nouvelle formation en philologie anglaise.
Jusqu'en 1949, malgré des problèmes matériels considérables et un corps enseignant limité,
l'Université fonctionna sans trop de difficultés, y compris de la part des autorités
communistes polonaises. L'année académique 1949-50 marqua par contre le début de l'action
de liquidation systématique de l'Université menée par l'Etat communiste sous différentes
formes jusqu'en 1989. La politique de l'Etat était de transformer la KUL en université formant
essentiellement le clergé, avec des matières étroitement liées à l'activité de l'Eglise (théologie,
droit canon). Pour cette raison, en 1949-50, la Faculté des Sciences Juridiques et SocioEconomiques fut fermée ; de cette façon, la KUL ne pouvait plus former ni juristes ni
économistes. En 1952, on introduit des quota pour les candidats admis en première année
d'études ("numerus clausus") comme dans les universités d'Etat. Mais en 1960, ces quota
pour la KUL étaient si ridiculement bas qu'il devint clair qu'ils visaient la liquidation totale de
certains types d'études. Pour la philologie classique, par exemple, la limite imposée
("numerus clausus") était de 5 personnes pour la première année d'études. Mais comme les
membres du clergé pouvaient être admis au-delà des quota imposés par le Ministère de
l'Education, certains types d'études purent être sauvés. Néanmoins, en 1956, on dut fermer la
section de pédagogie, faute d’un nombre suffisant d'étudiants. En 1961, le pouvoir officiel
interdit les inscriptions en section de philologie romane et de philologie allemande et, en
1963, en philologie anglaise. Suite à cette politique, en 1964, toutes les sections de langues
vivantes ("néo-philologies": anglaise, romane, allemande) suspendirent leur activité. Une
autre restriction imposée en 1958 fut la suspension du droit de délivrer des diplômes de
docteur et docteur habilité dans toutes les sections autre que la théologie et le droit canon. La
mort lente des facultés "civiles" fut bien visible à travers le nombre d'étudiants inscrits en
première année : en 1950-1951, il y avait 988 étudiants inscrits en première année ; l'année
suivante, 952. Après l'introduction des quota en 1952, il n'y eut que 272 inscrits dans les
premières années de la session académique 1952-1953. Aussi, après la liquidation des
sections de langues vivantes et l'introduction de "numerus clausus" très bas, dans la deuxième
moitié des années 60, le nombre d'étudiants inscrits en première année baissa-t-il jusqu’à 100
environ.
Les limites imposées par l'Etat touchèrent à tout sauf à la recherche. En fait, on liquida
systématiquement l'autonomie matérielle de l'Université ; on la priva de ses biens
immobiliers, on supprima les fondations qui la financaient. En 1951, de fausses accusations
firent que l'on arrêta et jugea l'abbé Antoni Slomkowski : on accusa ce recteur d’opérations
financières illégales. Perdant son autonomie financière, l'Université dut se tourner de plus en
plus vers l'Episcopat de Pologne.
La Faculté de Théologie, la moins touchée par l'intervention de l'Etat, fut
profondément réorganisée entre 1944 et 1962. D'abord en 1945, elle fut incorporée au Grand
Séminaire de Lublin. En 1957, on y créa un cycle à part pour les laïques, futurs enseignants
de catéchèse. Entre 1955 et 1957, la faculté fut agrandie ; on ajouta des sections dans les
domaines apologétique, biblique, dogmatique, moral, pastoral, historique. En 1956, on érigea
111
la Chaire de Musicologie Sacrée, transformée ensuite en Institut de Musicologie Sacrée.
Enfin, en 1963, suite au Concile Vatican II, on réorganisa de nouveau l'ensemble de la
Faculté.
Malgré les limites imposées et les persécutions de la part de l'Etat communiste,
malgré une situation financière très instable et malgré une liquidation systématique de
certaines sections, la KUL continua à exister et ses chercheurs à travailler. Cela, elle le doit
aux fortes personnalités et aux intellectuels hors du commun qui la soutinrent au cours de ces
années difficiles. Pendant cette période cruciale pour l'Université et pour toute la Pologne, ces
intellectuels réussirent à garder, développer et transmettre les meilleures traditions
scientifiques en matière de philosophie, de sociologie et de lettres. Ils réussirent également à
rester en contact avec les meilleurs centres universitaires en Occident. Tout cela se passa dans
des conditions extrêmement difficiles, mais c’est ainsi que l'Université Catholique de Lublin
trouva sa place dans la tradition intellectuelle non seulement de la Pologne, mais de toute
l’Europe.
En 1962, l'Université, malgré les limites imposées, continuait à mener son activité
didactique et scientifique et, dans la mesure du possible, se préparait à introduire dans l'Eglise
catholique en Pologne la pensée de Vatican II.
6. La signification de l'Université Catholique de Lublin pour le développement de la
science et de la culture catholique en Pologne
Le premier signe indiscutable du rôle joué par la KUL dans le développement de la
science et de la culture catholique en Pologne est le nombre de ses diplômés. Entre 1918 et
1962, vingt mille personnes furent formées à la KUL. Ce nombre peut paraître modeste par
rapport à celui des universités d’Etat, mais il est loin d’être négligeable. Mise à part la
formation purement professionnelle, les étudiants de la KUL reçurent également une
formation spirituelle qui leur fut d’un grand secours pendant la Deuxième Guerre mondiale et
à l'époque de la Pologne communiste. La KUL eut le privilège de compter parmi ses
professeurs deux personnalités importantes de l'Eglise catholique romaine de Pologne : le
cardinal Stefan Wyszynski et le cardinal Karol Wojtyla (futur pape Jean-Paul II). Après la
Deuxième Guerre mondiale, nombre de ses étudiants devinrent évêques. Et en ce qui
concerne la théologie, la KUL fut le principal centre intellectuel de l'Eglise catholique de
Pologne. Après la Deuxième Guerre mondiale, à la Faculté de Philosophie, on renouvela les
études thomistes. Les philosophes travaillant à la KUL (le père professeur Mieczyslaw
Krapiec, o.p., le professeur Stefan Swiezawski, l'abbé professeur Stanislaw Kaminski, l'abbé
professeur Karol Wojtyla, le professeur Jerzy Kalinowski) introduisent une dimension
chrétienne dans la pensée philosophique polonaise. Leurs travaux, durant des décennies,
donnèrent la réplique à la philosophie officielle de l'Etat communiste : le marxismeléninisme. En ce qui concerne les lettres (littérature et histoire surtout), l'Université promut
une pensée libre et une réflexion non-conformiste sur l'œuvre de l'Homme et sur l'Homme
lui-même. Les recherches portant sur l'histoire de l'Eglise catholique romaine et sur celle
d'autres églises chrétiennes furent toujours développées dans un large contexte européen.
Pour ce qui est de l'histoire, il faut souligner l’apport du père professeur Mieczyslaw
Zywczynski, du père Boleslaw Kumor et du professeur Jerzy Kloczowski.
112
L'Encyclopédie Catholique publiée par la Société des Sciences de l'Université
Catholique de Lublin (8 volumes jusqu'en 2001), est un puissant symbole de la présence des
catholiques dans la culture intellectuelle polonaise.
Même au cours des années les plus difficiles, l'Université resta ouverte sur le monde
extérieur et ne refusa jamais un dialogue intellectuel honnête, fût-ce avec des personnes
intellectuellement neutres, voire même hostiles au message chrétien.
Mais le rôle le plus important de l'Université, surtout au cours des années 1944-1962,
en fut un de témoignage. La seule présence d'une Université catholique dans une Pologne
communiste, d'une Université où les recherches sur le rapport homme - Dieu et sur la
présence du christianisme dans l'histoire et dans la culture polonaises purent être menées
librement, constitua une valeur en soi, une valeur dont on ne saurait mesurer le prix..
Traduit du polonais par Urszula Paprocka-Piotrowska (KUL, Lublin)
BIBLIOGRAPHIE
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113
LES SCIENCES RELIGIEUSES AU PORTUGAL
AUX XIXEME ET XXEME SIECLES
Dr Manuel Augusto RODRÍGUEZ,
Université de Coimbra, Portugal.
1.
Théologie et Droit Canonique à l’Université de Coimbra de la Réforme de Pombal
(1772) jusqu’en 1910
Entre 1815 et 1962, le Portugal n’avait pas vraiment d’université catholique.
Cependant, on peut dire qu’existaient déjà les bases de la future université catholique qui sera
créée en 1967 avec les facultés de théologie et de droit canonique de l’université d’Etat de
Coimbra et de celle d’Evora. On ne peut, par ailleurs, oublier le rôle joué par les séminaires,
créés après le Concile de Trente ainsi que par les universités et instituts de Rome autour du
collège pontifical portugais et de l’église Saint-Antoine des portugais, comme centres
d’études pour la formation surtout du clergé.
La période qui a précédé la création de l’université catholique peut être considérée
comme la pré-histoire de l’université catholique. De façon très brève, je vais présenter les
traits essentiels de cette histoire qui est de fait celle des facultés de théologie et de droit
canonique de l’université d’Etat et de l’université d’Evora.
En 1288, le clergé du Portugal, de même que les prieurs des monastères, les chanoines
réguliers de saint-Augustin de Sainte Croix et les moines cisterciens d’Alcobaça, prirent
l’initiative de solliciter du roi Dinis, grand-fils d’Alfonse X de Castille, l’établissement au
Portugal d’une «école générale ou universelle». Le roi accepta cette demande et, le 1er mars
1290, par le document «Scientiae thesaurus mirabilis», fut créé à Lisbonne un «Studium
Generale» que le Pape Nicolas IV reconnut le 9 août 1290 par la bulle «De statu regni
Portugalliae». Telle fut l’origine de la célèbre université qui, après avoir fonctionné entre
Lisbonne et Coimbra, se fixa finalement à Coimbra en 15371.
Sur l’histoire de l’université au Portugal, voir: Chartularium universitatis portugalensis , Lisbonne, 1966-2001; Auctarium
universitatis portugalensis, 3 vols., Lisbonne, 3 vols., 1973-89; Livro verde da universidade de Coimbra, reéd., Coimbra, 1992;
J. M. DE ABREU, T. BRAGA, História da universidade de Coimbra, 4 vols., Lisbonne 1892-1902; ID., D. Francisco de
Lemos e a reforma da Universidade de Coimbra. Memoria servindo de introdução à Relação do estado da universidade de Coimbra de
1772 a 1777, Coimbra, 1894, reéd., ibid.; M. BRANDÃO - M. L. DE ALMEIDA, A Universidade de Coimbra. Esboço
da sua História, Coimbra, 1937; A. DE VASCONCELOS, Escritos Vários relativos à Universidade dionisiana, vol. I,
Coimbra, 1938; M. A. RODRIGUES, A Universidade de Coimbra. Marcos da sua história, Coimbra, 1991. – Sur la faculté
de théologie: M. E. da MOTA VEIGA, Esboço histórico-litterario da Faculdade de Theologia da Universidade de Coimbra em
commemoração do centenario, reforma e restauração da mesma Universidade effeituada pelos sabios estatutos de 1772, Coimbra, 1872.
– Sur l’histoire de l’église et la biographie des auteurs mentionnés dans ce travail, vid. J. SILVESTRE RIBEIRO,
História dos estabelecimentos scientificos, artisticos e literarios de Portugal nos successivos reinados da monarchia, 16 vols, Lisbonne,
1871-89; I. F. da SILVA, Dicionário bibliográfico português, 22 vols., Lisbonne, 1858-1908; H. HURTER, Nomenclator
literarius theologiae catholicae, 6 vols., Innsbruck, 1903-13; FORTUNATO DE ALMEIDA, História da Igreja em Portugal,
8 vols., Coimbra, 1910-12; BARBOSA MACHADO, Biblioteca Lusitana, 4 vols., Lisbonne, 1920-25, reéd., Coimbra,
1965-67; Grande enciclopédia portuguesa e brasileira, Lisbonne; História religiosa de Portugal, éd. de l’université catholique
portugaise, 2 vols., Lisbonne, 2000; Dicionário de história religiosa de Portugal, éd. de l’université catholique portugaise, 3
vols., Lisbonne, 2000-01; Histoire du christianisme, dir. de J.-M. Mayeur – Ch. (+) et L. Pietri – A. Vauchez – M.
Venard, vol. 10: Lumières, Révolution, Restauration (1750-1830), Paris, 1994; vol. 11: Libéralisme, industrialisation, expansion
européenne (1830-1914), ibid., 1995; vol. 12: Guerres mondiales et totalitarisme (1914-1958), ibid., 1990; J. VERÍSSIMO
SERRÃO, História de Portugal, 15 vols., Lisbonne, 1976 et suiv.
1
113
114
Au début, il y eut des facultés de droit canonique, de droit civil et de médecine, ainsi
qu’un enseignement des arts (le trivium et le quadrivium). L’importance du droit canonique a
été notable pendant toute l’histoire de l’université avec une grande fréquentation d’étudiants.
La théologie qui était initialement enseignée dans les couvents des frères franciscains et
dominicains, a été introduite en faculté seulement à la fin du XIVème siècle2. Comme nous
l’avons indiqué plus haut, jusqu’en 1537, l’université fonctionna alternativement à Lisbonne
et à Coimbra, puis, cette même année, à la demande du roi Jean III, s’installa définitivement à
Coimbra. Elle fut la seule au Portugal jusqu’en 1911, lorsque furent créées les universités de
Lisbonne et de Porto.
Le XVIème siècle sera marqué par un grand essor dans tous les domaines, surtout en
exégèse biblique et en dogmatique. Le droit canonique connut aussi un développement
extraordinaire. La théologie bénéficia de l’influence de l’école thomiste de Salamanca, et la
connaissance des langues bibliques ajouta une dimension nouvelle à l’étude de l’Ecriture
Sainte. La néo-scolastique s’imposera avec Francisco Suárez et d’autres penseurs de cette
tendance, mais, au XVIIème siècle, elle était déjà en plein déclin.
La période qui s’étend jusqu’à la réforme de Pombal (1772) en fut une d’une énorme
pauvreté comme pour presque toutes les universités européennes. Il faut quand même
signaler l’apparition d’une discipline nouvelle connue sous le nom de « Controverses » en
1664.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier la création, au XVIIIème siècle, de quelques
académies, comme celle d’Histoire Ecclésiastique à Lisbonne (1715), celle de Liturgie à
Coimbra (1747), la Mariana à Lisbonne (1756), et une autre, ecclésiastique, à Beja par
l’évêque Manuel do Cenáculo, OFM (1793). La création de l’Academia Portuguesa da
História en 1720 fut particulièrement importante.
Mais le grand coup de barre sera donné par la réforme de 1772 qui introduisit des
changements profonds dans toutes les facultés, notamment dans celles de théologie et de droit
canonique, dans la ligne de ce que Luis António Verney3 avait proposé dans son Verdadeiro
método de estudar (1746), et en accord avec la mentalité de l’époque décrite dans le célèbre
Compêndio geral do estado da universidade (1771). Les statuts de 1772 sont dictés par le
plan de réforme du Marquis de Pombal, fortement appuyé par le recteur de l’université et
futur évêque de Coimbra, Francisco de Lemos de Faria Pereira Coutinho. En 1777, après la
mort du roi, Pombal perdit de son influence et sa réforme, de son élan. Mais, grâce à
l’influence de Lemos, les nouvelles orientations furent maintenues, avec quelques
aménagements, il est vrai, mais toujours dans l’esprit régalien. L’Eglise au Portugal, sous la
forte influence de la France, était très dépendante de l’Etat et les relations avec Rome
s’avéraient de plus en plus difficiles.
Avec la réforme de Pombal, le plan d’études de la faculté de théologie changea
complètement. Pierre Lombard, par exemple, n’était plus l’auteur de référence en théologie.
Au lieu des chaires de Prima, Vespera, Tertia et autres, on introduisit la division par année.
Les études de théologie duraient de fait cinq années.
Les textes suivis en théologie étaient essentiellement les
Sententiae de Pierre Lombard et la
Bible et en droit
canonique le Decretum de Gratien et les Decretales. C’était la tradition médiévale que l’on trouvait partout.
3 Dans le domaine philosophique, Verney et Inácio Monteiro, anciens élèves de l’université d’Evora, ont évolué vers
la philosophie éclectique et dans la ligne du dialogue scientifique promu par Locke et Newton.
2
114
115
En lisant les textes les plus importants de la réforme pombalienne, le Compêndio
geral do estado da universidade, les statuts et la Relação geral do estado da universidade, de
Francisco de Lemos, écrite en 1777 pour défendre la réforme en question contre un fort
mouvement d’opposition, on prend conscience des changements importants apportés aux
programmes des facultés de théologie et de droit canonique. Par exemple, l’importance
donnée à l’histoire, aux langues bibliques, aux sources théologiques, à la liturgie, à l’exégèse,
au droit naturel, à la législation portugaise, etc. Mais en même temps la mise à l’écart totale
de la philosophie scolastique, et la domination de l’approche régalienne en théologie et en
droit canonique et civil.
Le cours de théologie était distribué sur cinq années: histoire ecclésiastique et histoire
littéraire de la théologie, méthodologie et étude des lieux théologiques (1ère); théologie
« théorétique » ou dogmatique symbolique-polémique, rappel des matières de la première
année (2e); théologie mystique et théologie pratique ou morale (3e); théologie canonique ou
droit public ecclésiastique et institutions de droit canonique (4e); exégèse de l’ancien et du
nouveau testament (5e).
Avec la réforme du 5 décembre 1836, les études furent réduites à quatre ans et
organisées autour de six chaires: histoire ecclésiastique et lieux théologiques (1ère); théologie
morale et droit naturel (2e); théologie dogmatique et liturgique et institutions canoniques (3e);
exégèse de l’ancien et du nouveau testament (4e).
La réforme du 20 septembre 1844 introduisit un autre plan d’études, réparti sur cinq
années et 9 chaires: histoire ecclésiastique et première chaire de théologie dogmaticopolémique pour l’étude des lieux théologiques (1ère); seconde chaire de théologie dogmaticopolémique pour les leçons de théologie symbolique et droit naturel (2e); théologie dogmaticopolémique pour les leçons de théologie mystique (3e);. théologie liturgique (4e); ancien et
nouveau testament (5e). Une chaire d’hébreu fut ajoutée comme subsidiaire de la théologie.
On étudiait la théologie surtout à travers les œuvres du bénédictin Martin Gerbert4,
mais également, entre autres, celles de l’augustinien Berti et de Fleury; pour le droit
canonique, on recourait surtout à Bachius, Van Espen, Bohmer, Carl Martini, Heinecius,
Hertalo et, de nouveau, Fleury. Les idées régaliennes dominaient et continueront de le faire
durant tout le XIXème siècle.
D’autres auteurs seront aussi éventuellement adoptés pour l’enseignement de la
théologie: par exemple, Buzius, Collet, Fr. Joaquim de Azevedo5, Daniel Christof Ries 6,
Johannes Coccejus7, Reineccio 8, Matthias Johannes Dannemmayr 9, Franz X. Gmeiner 10,
12
Johannes Leusden11, Fr. Joaquim de Santa Clara
, Francisco António Rodrigues de
L’œuvre de Gerbert, Principia theologiae exegeticae, dogmaticae, symbolicae, mysticae, moralis, liturgicae et sacramentalis, auctore
P. Martino Gerbert, monacho O. S. B. e Congr. D. Blasii in Silva Nigra. Les cinq premières parties ont été imprimées à
Lisbonne en 1771; les parties 6 et 7 à Coimbra en 1790.
5 In saram historiam veteris et novi testamenti exercitationes theologico-criticae, Coimbra, 1801.
6 On se sait pas s’il s’agit de
l’Epitome philologiae, critices et hermeneutices sacrae, Moguncia, 1789 ou de Linguae hebraicae
philologia critice exposita, ibid., 1785.
7 Lexicon et commentarius sermonis hebraici et chaldaici, 5e ed., Leipzig, 1777.
8 Biblia hebraica, Leipzi, 1739.
9 Institutiones historiae ecclesiasticae, Vienne, 1783.
10 Institutiones iuris ecclesiastici, Graecium, 1782.
11 Biblia hebraica secundum ultimam editionem Jos. Athiae, Londres, 1846.
12 Conspectus hermeneuticae sacrae novi testamenti, Coimbra, 1807.
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116
Azevedo13, Francisco Alexandre Lobo 14, E. Klupfel 15, A. Luby 16, J. Pruny 17, F. L. B.
19
Liebermann18, Maurus von de Schenkl
. Les Institutiones theologicae auctoritate d.
archiepiscopi lugdunensis20 finiront par remplacer Gerbert. Plusieurs des livres adoptés
avaient été imprimés en latin à Coimbra.
Le triomphe du libéralisme en 1820 et l’expulsion des ordres religieux en 1834
entraîneront des changements importants dans la vie politique du Portugal, changements dont
aura à souffrir en particulier l’Eglise. L’esprit régalien, l’anticléricalisme et la laïcisation
croissante n’aideront en rien les choses et les sciences religieuses elles-mêmes feront
difficilement face au surgissement du positivisme et des nouveaux courants de pensée.
Pendant le XIXème siècle, l’université de Coimbra, toujours la seule au Portugal,
connut plusieurs changements, dont une baisse significative du nombre d’étudiants. Le
niveau de l’enseignement était faible, surtout en théologie21. En 1836, la faculté de droit
canonique et la faculté de droit civil fusionnèrent au profit de celle de droit, dans laquelle
existait déjà une chaire de droit canonique22.
Après les réformes de 1805, 1836, 1844, 1845 et 1862, intervint la réforme de la
faculté de théologie en 1901, qui apporta quelques modifications importantes. Dans
l’introduction du décret n∞ 4, du 21 décembre, imposant cette réforme, on peut lire que, dans
les pays où les facultés de théologie ont été abolies, comme en France et en Italie, on souffre
déjà de cette absence, non seulement pour l’éducation supérieure du clergé, mais aussi pour
l’étude de nombreux problèmes importants sur le plan social. Le texte dit encore qu’en
Allemagne les facultés de théologie ont coopéré de façon brillante au mouvement scientifique
dans ce pays, fait reconnu par Rougier Bonghi qui ne craignait pas d’affirmer devant le
parlement italien que c’était grâce aux facultés de théologie que l’Allemagne avait trouvé sa
place dans le monde intellectuel. On ne pouvait donc douter de l’importance des facultés de
théologie et si quelqu’un osait en proposer l’abolition, cela provoquerait l’indignation des
savants aussi bien que du peuple.
Le décret soulignait aussi l’importance de la théologie dogmatique, partie la plus
essentielle de la théologie d’après Sabatier, à la différence des facultés protestantes, où la
critique et l’exégèse occupaient la première place.
Synopsis sacrae hermeneuticae, Coimbra, 1858.
Resumo da historia da Igreja do antigo testamento, Coimbra, 1822.
15 Engelberti Klüpfel augustiniani theologicae doctoris, eiusdemque professoris pub. Ordin. In universitatie friburgensi, institutiones
theologiae dogmaticae in usum auditorum, Vienne, 1789.
16 Theologia moralis in systema redacta ab admodum reverendo ac clariss. Domino Antonio Luby A. A. L. L. Et philos.
S. S. Theol.
Doctore, quondam moralis et pastoralis theologiae professore, nunc ces. Reg. Parocho Graecii ad S. Mariam Succurre, 3ª ed., Graecii,
1787.
17 Systema theologiae dogmaticae christiano-catholicae, quod elucubravit Josephus Pruny SS. Theologiae dogmaticae doctor, in licaeo
archiepiscopali strigoniensi dogmaticae professor P.O, consistorialis consiliarius, Vienne, 1842 (Coimbra, 1848).
18 Institutiones theologicae, auctore F. L. B. Liebermann, SS.
Theologiae doctore, diocesi argentoratensis vicario generali, Mogunce,
1844.
19 Ethica cristiana..., 3 vols. En 6 tomes, Ingolsatdt, 1800-04.
20 Institutiones theologicae auctoritate d. archiepisopi lugduunensis, ad usum scholarum suae diocesis editae,
Lion, 1788. L’auteur est
Joseph Valla.
21 Voir sur ce point Memoria professorum universitatis conimbrigensis, vol. I: 1772-1937, Coimbra, 1992.
22 La fréquentation des étudiants était faible: en théologie, entre 1790-91 et 1835-36, leur nombre oscilla entre 1 et
62. Et dans les années suivantes la situation resta pratiquement la même.
13
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116
117
Mais le document ne négligeait pas pour autant le développement des études bibliques
jugées de grande importance pour une faculté de théologie moderne, compte tenu surtout du
fait que les rationalistes, avec les travaux de Strauss, Baur, Renan, Reville, Reuss, Graf,
Kuenen et Welhausen, avaient accordé une place toute spéciale à l’exégèse et à la critique des
textes. Les théologiens ne pouvaient se soustraire à cette tâche comme l’avaient très bien
compris, entre autres, un Broglie, un Vigouroux, un D’Hulst, qui n’avaient pas hésité à
s’investir en ce domaine à l’égal de leurs adversaires.
Afin d’accorder plus d’importance aux études bibliques, un article du décret précisait
que seule l’écriture sainte serait enseignée dans les chaires d’exégèse à la faculté de
théologie. Une chaire d’éthique chrétienne appliquée fut donc ajoutée aux chaires existantes.
Cela paraissait nécessaire pour assurer que la faculté de théologie puisse préparer
adéquatement ses étudiants aux fonctions ecclésiastiques, tout en éclairant les consciences,
face aux tendances de la société du temps.
Le même décret établit une chaire de droit ecclésiastique commun, la chaire de droit
ecclésiastique public de la faculté de droit ayant été supprimée. Sans cet ajout, la faculté de
théologie aurait été dans une situation d’infériorité par rapport aux séminaires, ce que le
gouvernement ne pouvait admettre.
Autre disposition importante du décret : les étudiants des séminaires, avec trois années
d’études, pouvaient intégrer la première année de la faculté de théologie après un examen
d’admission. Une disposition semblable existait à l’université de Neuchâtel qui permettait
aux professeurs d’instruction primaire d’intégrer la première année de la faculté de lettres,
sans le baccalauréat en lettres exigé pour les autres élèves.
En 1902 et 1903, après la réforme de 1901, les manuels suivants furent adoptés: en
première année, pour la chaire d’histoire de l’Eglise, le Compendium historiae ecclesiasticae,
de Franciscus Zeibert, et le Resumo de história da Igreja do Antigo Testamento, de 1822;
pour la chaire de théologie fondamentale, les Institutiones theologiae fundamentalis, de A.
Eduardo Nunes, et la Biblia sacra vulgatae editionis, Sixti V Pontificis Maximi jussu
recognita, et Clementis VIII auctoritatie edita; et pour la langue grecque, l’Avviamento allo
studio della lingua grega, de Giuseppe Müller; et la Prosa e poesia greca, de C. Tincani. En
deuxième année, pour la chaire de théologie dogmatique (1ère partie), la Synopsis theologiae
dogmaticae specialis ad mentem S. Thomae Aquinatis, hodiernis moribus accomodata (t. I)
de A. Tanquerey; et pour la langue hébraïque, la Grammaire hébraïque, de Strack, et les
Exercises hébreux, de Perrochet. En troisième année, pour la chaire de théologie dogmatique
(2e partie), la suite du livre de Tanquerey. En quatrième année, pour la chaire de théologie
dogmatique (3e partie), la Synopsis theologiae dogmaticae specialis (suite), de A. Tanquerey;
et pour les études bibliques (isagogique générale et archéologie), l’Historicae et criticae
introductionis in utriusque Testamenti libros sacros compendium, S. theologiae auditoribus
accomodatum, de R. Cornely. En cinquième année, pour la chaire d’études bibliques
(isagogique spéciale, herméneutique et exégèse), la Synopsis biblicae hermeneuticae et
exegeseos, de Manuel de Jesus Lino, et la Biblia biglotta, de Tischendorf; et pour le droit
ecclésiastique portugais, les Elementos de direito eclesiástico português, de Bernardino
Carneiro, et les Documentos comprovantes de alguns pontos da doutrina dos elementos de
direito eclesiástico português, du même Bernardino Carneiro (éd. revue par de José de Paiva
Pita), et le Novo apêndice aos mesmos elementos, dudit Paiva Pita.
117
118
Qu’en était-il du contenu des programmes liés à ces différentes chaires? A titre
d’exemples, notons qu’António Garcia Ribeiro de Vasconcelos, titulaire de la chaire
d’isagogique générale et d’archéologie, accordait une attention particulière à l’histoire du
texte biblique, à l’archéologie et à la vie domestique, sociale, religieuse et culturelle des
hébreux; et que dans la chaire d’isagogique spéciale, Manuel de Jesus Lino consacrait une
partie significative de son cours au rationalisme biblique, à Lessing et Reimarus et aux
fragments de Wolfenbüttel, à Reuss, Kuenen, Renan et Welhausen, mais aussi à l’encyclique
Providentissimus Deus du pape Léon XIII. Mais on ne retrouve chez ces professeurs aucune
allusion à l’encyclique Aeterni Patris de Léon XIII, ni à la restauration du thomisme. Ce qui
ne veut pas dire que les professeurs de l’université ne tenaient pas compte de la célèbre
encyclique de Léon XIII. Ils avaient après tout adopté pour l’enseignement un manuel
d’inspiration thomiste, celui de Tanquerey.
Les professeurs les plus réputés de la faculté furent sans nul doute le bibliste Joaquim
de Azevedo23, auteur d’un Pro Vulgata sacrorum librorum latina editione contra Sixtinum
Aman. Liber apologeticus (Lisbonne, 1792), et le dogmaticien António Augusto Nunes, futur
évêque d’Evora, dont on il sera parlé plus loin.
Avec l’avènement de la République (1910) qui conduisit à la séparation de l’Eglise et
de l’Etat, la faculté de théologie cessa de faire partie de l’université de Coimbra. A sa place
fut créée en 1911 une faculté des lettres. Le premier directeur de la nouvelle faculté fut le
professeur de théologie, António Garcia Ribeiro de Vasconcelos, et les premiers professeurs
vinrent aussi de la faculté de théologie. L’université de Coimbra fut ainsi privée d’une faculté
qui avait été autrefois l’une de ses plus importantes.
2. Les Séminaires au Portugal
Le premier séminaire du Portugal fut inauguré en 1572 à Braga par l’archevêque
Bartolomeu dos Mártires, o.p. Celui-ci est l’auteur d’Annotationes à la Suma, qui seront
éditées dans ses Theologica scripta24. Au XVIème siècle, existait aussi le séminaire d’Evora,
fondé en 1575 par le cardinal Henrique sous le nom de séminaire de Notre Dame de la
Purification qui, fermé en 1759, sera restauré en 1850 ; mais il y eut également celui de Viseu
(fondé en 1587) connu sous le nom de séminaire de Notre Dame de l’Espérance; celui de
Portalegre, fondé en 1590 par le célèbre évêque carme, Fr. Amador Arrais et celui du
Funchal, créé par l’évêque Luis de Figueiredo de Lemos (1586-1608).
Au XVIIème siècle, viendront s’ajouter le séminaire de Miranda do Douro né en 1600
grâce à Diego de Sousa, transféré à Bragança en 1766, puis le séminaire de Leiria créé en
1674 par D. Pedro Vieira da Silva.
Le XVIIIème siècle verra apparaître le séminaire de Macau fondé par les jésuites en
1728; celui de Coimbra, créé en 1765 par l’évêque Miguel da Anunciação25; celui d’Elvas,
Joaquim DE AZEVEDO (1746-1808), augustinien, a été professeur d’exégèse biblique à la faculté de théologie.
Les Scripta theologica furent publiées par Raul Rolo en 6 vols, Lisbonne, 1973-1977.
25 Le séminaire n’a été fondé qu’au XVIIIème siècle. Mais déjà en 1665, l’évêque Álvaro de S. Bonaventura écrivait
au Saint Siège: «Dans cette ville, les évêques n’ont pas créé de séminaire, parce qu’il y avait une université
remarquable où l’on enseignait toutes les sciences. Cependant, les évêques avaient deux chaires de théologie morale,
dont ils assuraient le financement ; les pères de la Compagnie de Jésus avaient des écoles mineures dans leur collège;
et dans le cloître de la cathédrale, il y avait une chaire de grammaire, payée par le maître d’école pour former les
jeunes du choeur.» - Le séminaire de Coimbra fut l’un des grands centres de diffusion du thomisme au Portugal,
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inauguré en 1759 par l’évêque Lourenço de Lencastre. Celui de Rachol (Goa), né en 1762,
constitua un important centre de diffusion du christianisme en Orient26. Quant à celui de
l’Algarve, créé en 1767 par l’évêque Francisco Gomes do Avelar; il proposera dès 1783 un
cours ecclésiastique de quatre ans. Celui de Lamego établi à la fin du XVIIIème siècle par
l’évêque João Binet Píncio, sera détruit par un incendie et rebâti en 1853-54 par le prélat José
de Moura Coutinho.
Au XIXème siècle furent établis les séminaires de Porto et de Luanda pour l’Angola,
le Congo et S. Tomé; et ceux d’Angra do Heroismo, Cabo Verde, Beja et Damão.
3. Le Séminaire de Coimbra et la Rénovation du Thomisme au Portugal
C’est au séminaire de Coimbra que se fit surtout l’implantation du thomisme, dans la
ligne de l’encyclique Aeterni Patris de Léon XIII (1879)27. Selon le pontife romain, la
philosophie devait être subordonnée à la foi, contrairement à ce qu’affirmait la philosophie
moderne dont l’influence néfaste, selon le pape, fournissait des armes aux ennemis de
l’Eglise. Il fallait retourner à saint Thomas, dont la pensée n’était en rien opposée au progrès
des sciences. L’encyclique fut suivie par la création, à Rome, d’une Académie de saint
Thomas. Elle provoqua surtout dans les universités et séminaires du monde catholique une
véritable floraison du néo-thomisme.
Le mouvement était né en Italie avec V. Buzzetti (1777-1824) et ses deux disciples S.
et D. Sordi particulièrement actifs à Naples. Leur succédèrent L. Taparelli, D’Azeglio (17931862), M. Liberatore (1810-1865), G. Sanseverino (1811-865), Tongiorge (1820-1865) et D.
Palmieri (1818-1878) à la Grégorienne. Fut aussi important l’apport des dominicains A.
Lepidi et Zigliara (1833-1893). En Espagne, J. Balmes (1810-1848), le dominicain Z.
González et le jésuite J. Urraburu (1854-1904) et, en Allemagne, J. Kleutegen (1811-1883)28
furent également d’éloquents promoteurs du mouvement.
Dès 1879 avait été créée au séminaire de Coimbra une chaire de philosophie thomiste
confiée à Luis Maria da Silva Ramos29. Ce professeur, outre la direction de plusieurs revues,
comme cela a déjà été dit.
26 Mais dès le XVIème siècle existait à Goa une école pour la formation des prêtres.
27 L’encyclique de Léon XIII a été publiée en portugais dans la revue
O progresso catholico (vol. I, nº 21, du 31 août
1879) avec un commentaire du comte de Samodães paru dans le nº 24, du 15 octobre 1879. Mais déjà avant la
publication de l’encyclique, le père jésuite Francisco Xavier Rondina, professeur de philosophie au séminaire de
saint-Joseph de Macau entre 1862 et 1871, avait produit les deux volumes de son Compendio de philosophia theorica e
practica para uso da mocidade portugueza na China (1862-1871). Il avait traduit également le Liberatore qui, quelques mois
plus tard, fut utilisé au Portugal comme texte pour l’enseignement. Sur l’étude de saint Thomas à cette époque, cf. A.
A. DE ANDRADE, « A sorte de S. Tomás de Aquino na filosofia portuguesa », in Filosofia, nº 9 (1956), p. 39-64; et
“S. Tomás de Aquino no período áureo da filosofia portuguesa », ibid., nº 20 (1959), p. 220-239; A. de BRITO
CARDOSO, “A filosofia neo-escolástica no Seminário de Coimbra”, in Estudos, XLV, 5 (1967), p. 410-420;
MANUEL A. RODRIGUES, “O ensino de S. Tomás na Universidade de Coimbra”, in Didaskalia, IV, 2 (1974), p.
297-320; P. GOMES, Professores de Filosofia da Universidade de Évora (1559-1759), Lisbonne, 1961 ; « Para a história do
tomismo em Portugal », in Cartório Dominicano Português, Porto, 1980.
28 Voir LÚCIO CRAVEIRO DA SILVA, “A Neo-Escolástica contemporânea”, in
História do pensamento filosófico
português, dir. de PEDRO CALAFATE, vol. V, Tome 1, 2000.
29 LUIS MANUEL DA SILVA RAMOS (1841-1921) fut professeur de la faculté de théologie entre 1873-74 et
1903-04 et publia plusieurs livres, comme Dignidade da razão perante a fé (Porto, 1873), Reflexões ao livro “A reforma da
Carta e o beneplácito régio” (Coimbra, 1885), Afirmações católicas contra os erros de um apóstata (Coimbra, 1889). Il fut
membre des associations : « Academia Filosófica de S. Tomás de Aquino de Bolonha», “Sociedade FilosóficoEscolástica de S. Tomás de Aquino de Barcelona” et “Sociedade de S. Paulo para a Difusão da Imprensa Católica de
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assurera la traduction des conférences de Monsabré, Exposição do dogma católico (Coimbra,
1887ss.), afin de « restaurer au Portugal la doctrine de l’Angélique docteur”.
La tradition thomiste au Portugal avait des racines anciennes. Deux dominicains,
António de Sena30 et João de S. Tomás 31, en sont les représentants les plus connus. Dans la
bibliothèque du monastère de Alcobaça, existent plusieurs manuscrits contenant des œuvres
très importantes sur saint Thomas. Les statuts universitaires du roi Manuel (vers 1503 ?)
mentionnent la célébration de la fête de saint Thomas, mention qui s’est maintenue dans les
statuts de 1559, de 1591 et de 1653. Dans ceux de 1559, on parle de la lecture de « partes da
Summa Theologica ». Dans ceux de 1591 et de 1653, il est fait mention de « hua catedrilha de
Santo Thomás que se lerá depois da de véspera », créée en 1542. Et il est dit que le recteur
doit agir contre « os estudante theologos que não tiverem a Bíblia, Mestre das sentenças, e as
partes de Santo Thomas (º) & ainda que depois de serem achados sem os ditos livros os ajão,
ou alleguem que os tinhão fora da casa, & peção ao Reitor que os admita à Universidade, não
serão admittidos”.
La Suma fut introduite par Martinho de Ledesma en 1541. À partir de 1547-48, les
actes du conseil parlent explicitement de l’enseignement de la Suma.
Mais ce fut au collège des arts que la doctrine thomiste trouva le meilleur accueil.
Pedro da Fonseca et les auteurs du cours des « conimbricences » furent d’importants artisans
de ce renouveau de la scolastique.
En 1880, grâce à l’évêque Manuel Correia de Bastos Pina32, fut fondée au séminaire
épiscopal de Coimbra, l’«Academia Conimbricence de Santo Tomás de Aquino», destinée à
promouvoir l’étude du grand docteur médiéval par les moyens les plus divers, notamment des
conférences publiques. A cette même fin, la revue Instituições cristãs commença à être
publiée tous les quinze jours à partir du 5 janvier 1883, quelques mois avant l’inauguration
proprement dite de l’«Academia Conimbricense de Santo Tomás de Aquino». Onze volumes
parurent entre 1883 et 1893.
Dans le premier numéro, on annonça qu’il s’agirait d’une revue religieuse,
scientifique et littéraire, sous la direction de l’archidiacre António José da Silva, avec, comme
rédacteurs, les professeurs de la faculté de théologie de l’université de Coimbra, Luis da Silva
Ramos, Damázio Jacinto Fragoso, Bernardo Augusto Madureira, Manuel de Jesus Lino,
Roma”. Il dirigea diverses revues, comme Instituições Cristãs, Revista das Ciências Eclesiásticas, Revista Teológica, Civilização
Católica, A Ciência Católica-Revista mensal de propaganda escholastico-thomista (3 vols., Coimbra, 1884-89) et Revista
Contemporânea de Questões Religiosas, Científicas, Filosóficas, Históricas e Sociais.
30 ANTÓNIO DE SENA, o.p. ( ?-1584), étudia à l’université de Coimbra et de Louvain, où il a reçu le grade de
docteur en théologie. Il a écrit plusieurs œuvres, surtout sur la doctrine thomiste. Voir cet auteur J. M. DA CRUZ
PONTES, « António de Sena, um português na história do tomismo”, in Actas do congresso histórico de Guimarães e sua
colegiada, vol. 4, Guimarães, 1981.
31 JOÃO DE S. TOMÁS, o.p. (1589-1644), a commencé ses études de philosophie et théologie à Coimbra et a
poursuivi sa formation théologique à Louvain. Il a enseigné à Placencia, Madrid et Alcalá (Espagne). On peut dire
sans aucun doute qu’il fut l’un des thomistes portugais les plus célèbres de tous les temps. Il a été la dernière étoile
du thomisme de la seconde scolastique des XVIème et XVIIème siècles. Son œuvre vaste et riche a exercé une
grande influence sur les Salmanticenses, Gonet, Billuart et Contenson. Pinharanda Gomes a publié sur João de S.
Tomás: João de São Tomás na filosofia do séc. XVII, Lisbonne, 1980; João de São Tomás: antologia de estudos, ibid., 1985.
32 L’évêque Bastos Pina (1872-1913) a beaucoup contribué au progrès spirituel, culturel et matériel de son diocèse,
dans tous les domaines, et il a supporté le choc provoqué par l’implantation de la République. Voir note 54.
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Joaquim Alves da Ora33, Augusto Eduardo Nunes, Manuel d’Azevedo Araújo Gama et
António Alves Mendes da Silva Ribeiro, ce dernier de Porto.
On rappela aussi que, déjà en 1879, l’évêque de Coimbra avait demandé au pape Léon
XIII la création, au séminaire de Coimbra, d’une chaire de philosophie chrétienne selon la
pensée de saint Thomas d’Aquin, dans la ligne de l’encyclique Aeterni Patris ; que deux
séances solennelles34 avaient eu lieu et qu’il avait été décidé de créer une Académie
permanente afin de contribuer plus efficacement à la promotion de la restauration de la
science chrétienne au Portugal ; tout cela imposait l’existence d’une revue comme organe de
l’Académie.
L’inauguration solennelle eut lieu le 20 mai 1883, en présence de plus de 500
personnes, parmi lesquelles de nombreux professeurs d’université. Dans une note incluse
dans les Instituições cristãs, le directeur écrit que l’Académie philosophico-scientifique de
saint Thomas d’Aquin avait vu le jour, la première au Portugal, grâce au zèle infatigable de
l’illustre prélat, successeur et émule de D. Fr. Miguel da Anunciação35 et d’autres personnes
renommées, dont les vertus, lettres et services avaient donné renom au siège épiscopal de
Coimbra. L’œuvre de Bastos Pina représente de fait, par sa dimension religieuse, scientifique
et sociale, l’une des pages les plus brillantes de l’histoire de son épiscopat.
L’évêque de Coimbra fit un important discours lors de la session inaugurale, et un
autre lors de la clôture. Quelques orateurs présentèrent des communications, entre autres,
Siva Ramos sur l’origine de l’homme, A. J. da Silva, sur la religion et l’art, Augusto Eduardo
Nunes, sur l’importance sociale du clergé et Alves Mendes, sur l’influence du christianisme
sur les principaux aspects de l’activité humaine36.
Lors de la session du 29 mai 1887, on lut une poésie du célèbre poète Eugénio de
Castro37 qui fut ensuite publiée dans les Instituições cristãs38.
En 1885, l’évêque Bastos Pina demanda au pape Léon XIII un professeur de
philosophie pour le séminaire de Coimbra. Ce fut le prélat italien, Mons. Tiago Sinibaldi, qui
fut choisi. Celui-ci publiera en portugais les Elementos de philosophia tomista (vol. I, 1ª éd.,
Coimbra, 1891 et 5ª éd., Rome, 1927; vol. II, 1ª éd., ibid., 1892 et 4ª éd., Rome, 1916).
Sinibaldi sera par la suite recteur du Collège Pontifical Portugais à Rome de 1900 à 191339.
Sur ce professeur de la faculté de théologie, voir J. Pinharanda Gomes, Joaquim Alves da Hora, ou a crítica teológica do
positivismo, Matosinhos, 1980.
34 Au cours de la première séance, réalisée le 2 mai 1880, intervinrent les professeurs universitaires Silva Ramos,
Eduardo Nunes et Araújo Gama; dans la deuxième séance, le 14 mai 1882, Silva Ramos, Eduardo Nunes et le futur
professeur Porfírio António da Silva. Il y eut aussi des récitations de poésie en portugais, grec, latin et espagnol.
35 D. MIGUEL DA ANUNCIAÇÃO fut évêque de Coimbra entre 1739 et 1779. Il a été sans aucun doute l’un des
prélats les plus apostoliques de toute l’histoire. Le marquis de Pombal l’a emprisonné pendant sept ans parce qu’il
avait publié une lettre pastorale sans autorisation royale.
36 José Manuel de Morais, Camilo Augusto Ferrão e Aníbal de Almeida Azevedo ont récité quelques poésies en
portugais et en latin.
37 EUGENIO DE CASTRO E ALMEIDA (1869-1944) fut professeur et directeur de la faculté des lettres de
l’université de Coimbra. Il a écrit de remarquables travaux d’ordre littéraire. Voir Memoria professorumº, op. cit., p. 65.
38 1ª série, nº 12, 1887, p. 379-382.
39 MONS. TIAGO SINIBALDI, né à Civitella S. Paolo le 11 octobre de 1856, a étudié les humanités au séminaire
d’Orte, la philosophie et la théologie à l’abbaye de S. Paul « extra muros », où il a eu comme collègues Plácido
Riccardi et le futur cardinal Schuster, archevêque de Milan. Sur proposition du père Cornoldi, président de
l’Académie de Saint Thomas, il fut envoyé par le Pape Léon XIII au séminaire de Coimbra, où il est resté 15 ans.
Parmi ses livres, on compte Elementos de Filosofia, Lógica, Ontologia, Cosmologia Geral (1891) (5ª ed., Roma, 1927) et
Cosmologia Especial, Psicologia, Theodiceia (1892) qui ont été adoptés au Portugal et au Brésil. Mons Sinibaldi fut recteur
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Une chaire de philosophie thomiste fut créée en 1896 au séminaire de Braga sous la
direction de Martins Capela40 qui publia quelques conférences et dirigea la revue Escholio (6
numéros, Braga, 1888).
Au cours de cette période de renouveau thomiste se distinguèrent, outre les
personnages déjà nommés Augusto Eduardo Nunes41, Bernardo A. Madureira 42 et Luís Maria
da Silva Ramos43, Ferreira Deusdado 44 et Manuel F. Santana 45. Augusto Eduardo Nunes
publiera Institutiones theologiae fundamentalis quas juxta probatissimos auctores
concinnavit Augustus Eduardus Nunes46. A la même époque, la Philosophia fundamental (4
volumes, Porto, 1876) et le Curso de philosophia elementar (2 vols., Porto, 1878), de Balmes
et le Curso de Filosofia (6 vols., Viseu, 1904), de Mercier, paraîtront en version portugaise.
Au XXème siècle, Manuel Ribeiro (dans A colina sagrada), Leonardo Coimbra47,
Alfredo Pimenta48 et Cabral de Moncada 49 manifesteront un grand intérêt pour saint Thomas.
du séminaire régional de Catanzaro et évêque titulaire de Tiberiades (1913), secrétaire de la nouvelle congrégation
des séminaires et universités (1913). Il est mort le 19 août 1928. Sur Mons. Sinibaldi, voir « Morte de Mons.
Sinibaldi », in Civiltà Cattolica, 79 (1928), III, 453-456.
40 MANUEL MARTINS CAPELA (1842-1925), grand divulgateur du thomisme au Portugal, a écrit :
Oportunidade da
filosofia tomista em Portugal (1892), Noção sumaríssima dos princípios da ética (Aditamento aos Elementos de filosofia do dr.
Sinibaldi) (1893) pour ses élèves du lycée Viana do Castelo; De sapientia (1898). Voir sur cet auteur « Martins Capela,
divulgador do Neotomismo », in Revista Portuguesa de Filosofia, 48 (1992), p. 321-326.
41 AUGUSTO EDUARDO NUNES (1849-1920), professeur de faculté à l’université de Coimbra, sera nommé plus
tard archevêque du diocèse d’Évora. Il fut professeur de philosophie thomiste au séminaire de Coimbra et a laissé
d’importantes œuvres, comme Socialismo e Catolicismo. Ensaio crítico sobre as soluções da questão social (Coimbra, 1881). Son
livre le plus remarquable est celui mentionné dans le corps du texte.
42 BERNARDO A. DE MADUREIRA (1842-1926), professeur à la faculté de théologie de l’université de Coimbra,
puis à la faculté des lettres, est l’auteur de Institutiones Theologicae Dogmaticae specialis (3 vols., Coimbra, 1885 ; 2ª ed.,
1890-93) et Compêndios e programas no seu confronto (ibid., 1899).
43 LUIS MARIA DA SILVA RAMOS, professeur à la faculté de théologie de l’université de Coimbra, a subi
l’influence de Kleutegen et de Balmes. Avec José Maria Rodríguez, il a dirigé la revue Sciencia catholica. Revista mensal de
propaganda escholastico-thomista.
44 M. A. FERREIRA DEUSDADO (1860-1918), penseur et écrivain, fut professeur au “Curso Superior de Letras
de Lisbonne” et fonda la revue Educação e Ensino (1887). Docteur honoris causa de l’université de Louvain, il suivit
dans un premier temps le néo-kantisme pour passer ensuite au néo-thomisme. Il a laissé plusieurs travaux sur la
pensée philosophique et pédagogique portugaise.
45 MANUEL FERREIRA SANTANA (1864-1910), père jésuite, ordonné prêtre à Valkenburg, s’est beaucoup
intéressé aux langues orientales et à l’exégèse biblique. A une époque de changement matérialiste et positiviste
encouragé par Miguel Bombarda, Santana a écrit deux tomes de Questões de biologia (Lisbonne, 1899-1900). Bombarda
écrivit alors Ciência e jesuitismo (ibid., 1900) auquel Santana fit une réplique intitulée « O materialismo em face da
sciência. A propósito da consciência e livre arbítrio dos srs. Profs. Miguel Bombarda » dans la revue Revista de
Educação e Ensino (mai 1900, p. 336-340). Ce grand défenseur de la pensée catholique s’est consacré à la presse et à
l’organisation de plusieurs mouvements sociaux. Parmi ses publications, on compte Curso de religião : Apologética I,
Bases científicas da religião (Lisbonne, 1901).
46 La première édition date de 1897.
47 LEONARDO JOSE COIMBRA (1883-1936) fut l’une des personnalités les plus remarquables de la pensée
portugaise contemporaine. En tant qu’homme de lettres, politique et philosophe, il a laissé une œuvre notable. Les
livres A luta pela imortalidade (Porto, 1918), A razão experimental (1923), A filosofia de Henri Bergson (1934) et A Rússia de
hoje e o homem de sempre (1935) témoignent de ses profondes préoccupations philosophiques et culturelles. La solution
thomiste de J.-Maréchal à la rencontre de la vérité ontologique a été éveillée dans son esprit par la lecture de
Sertillanges. Mais les horizons de Leonardo Coimbra ont connu d’autres perspectives, surtout le créationnisme et le
panthéisme.
48 ALFREDO AUGUSTO LOPES PIMENTA (1882-1950) s’est consacré surtout à la politique, au journalisme et
aux recherches sur le Moyen Age. Il est l’auteur d’une oeuvre importante dans le domaine de l’histoire médiévale.
49 LUIS CABRAL DE OLIVEIRA MONCADA (1888-1974), professeur de la faculté de droit à l’université de
Coimbra, a laissé d’importants travaux, comme A reserva hereditária no direito romano, peninsular e português (Coimbra,
1916-17), Elementos de história do direito romano (ibid., 1922-23), Do valor e sentido da democracia (1930), Lições para uma
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La faculté de philosophie de Braga, créée en 1947 par les jésuites, contribuera de façon
significative au développement du thomisme au Portugal50 avec la Revista portuguesa de
filosofia (1945 et ss.), et certaines autres publications et activités.
On ne peut par ailleurs oublier le rôle important joué par plusieurs centres catholiques
créés au Portugal en premier lieu pour des raisons sociales, mais dans lesquels on accordait
aussi une attention particulière à l’enseignement de la théologie aux laïcs51. La fondation à
Coimbra en 1901 du «Centro Académico de Democracia Cristã» auquel ont appartenu
beaucoup d’étudiants universitaires, constitua un fait remarquable dans la vie académique
comme centre dynamisateur de la vie religieuse, intellectuelle et sociale52. Ce Centre publiait
la revue Estudos Sociais (après Estudos) dans laquelle on proposait les grandes lignes de la
pensée catholique dans une perspective thomiste.
La loi de séparation du 20 avril 1911 faisait suite à une série d’attaques contre l’Eglise
et les ordres religieux, attaques dénoncées avec véhémence par l’encyclique «Jamdudum in
Lusitania», du pape Pie X, du 24 mai 1911. D’autres lois encourageaient la violence contre
l’Eglise53. L’intention était manifestement de détruire le travail des évêques et des
catholiques portugais et d’en finir avec la vie religieuse au Portugal. Dans l’article 102 de la
loi de séparation, l’Etat autorisait l’enseignement de la théologie pendant encore cinq ans
dans les séminaires de Braga, Porto, Coimbra, Lisboa et Évora. Mais le 22 février 1918 fut
história da filosofia do direito em Portugal (1938), Um iluminista português do séc. XVIII: Luís António Verney (1941), O
liberalismo de Vicente Ferrer de Neto paiva (1947), Estudos de história do direito (3 vols., 1948-50), O problema do direito natural
no pensamento contemporâneo (1950) et Mística e racionalismo em Portugal no século XVIII (1952).
50 On peut encore ajouter la création de la revue Filosofia, par A. Banha de Andrade à Lisbonne (32 nrs., 1954-61), la
publication des œuvres São Tomás de Aquino, iniciação ao estudo da sua figura e da sua obra, de João Ameal (Porto, 1938, 5ª
éd., 1960)) et Lições de filosofia tomista, de Corrêa de Barros (Porto, 1945, 2ª éd., rév., 1969), et les versions de As
grandes teses da filosofia tomista, de Sertillanges (Braga, 1951), de O tomismo, de Grenet (Lisbonne, 1970) et du livre, avec
le même titre, de Van Steenberghen (Lisbonne, 1990), la biographie de saint Thomas écrite par Chesterton (Braga,
1945). – Sur le thomisme au Portugal, voir M. A. Ferreira Deusdado, A filosofia tomista em Portugal, traduite, préfacée,
annotée et revue par J. Pinharanda Gomes, Porto, 1978; et Prudêncio Quintino Garcia, A teologia tomista em Portugal,
Porto, 1979 ; Pinharanda Gomes, Formas de pensamento filosófico em Portugal (1850-1950), Lisboa, 1986; Id., A renovação
escolástica (1879-1967), Braga, 1993.
51 Voir J. PINHARANDA GOMES, Os congressos católicos em Portugal (Subsídios para a história da cultura católica portuguesa
contemporânea, 1870-1980), Lisbonne, 1984.
52 Le « Centro Académico de Democracia Cristã » a été créé en 1901 et son centenaire a été fêté cette année.
53 Voir Pastoral colectiva do episcopado português ao clero e aos fiéis de Portugal, Guarda, 1911; M. de O.
CHAVES E CASTRO, A pastoral collectiva do episcopado português ao clero e fiéis de Portugal de 24 de Janeiro de 1910 e o
beneplácito do estado, Coimbra, 1911; J. A. MOREIRA D’ALMEIDA, A separação do estado e das egrejas (lei de 20 de Abril
de 1911), Lisbonne, 1911; D. PINTO COELHO, As reclamações dos católicos, Lisbonne, 1913; JOAQUIM MARIA
LOURENÇO, Situação jurídica da Igreja em Portugal, 2ª ed., Coimbra, 1943; J. F. A. DE POLICARPO, O pensamento
social do grupo católico “A Palavra” (1872-1913), 2 vols., Coimbra-Lisbonne, 1977.1992; ID., “Anteprojecto de um
laicismo cristão”, in Revista Cultura-História e Filosofia, Lisbonne, IV, 1985, p. 143-218; M. BRAGA DA CRUZ, As
origens da democracia cristã e o salazarismo, Lisbonne, 1980; M.-C. VOLOVITCH, Le catholicisme social au Portugal de
l’encyclique Rerum Novarum aux débuts de la République (1891-1913), Paris, 1983; A. DE JESUS RAMOS, “A Igreja e a I
República – a reacção católica em Portugal às leis persecutórias de 1910-1911”, in Didaskalia, Lisbonne, XIII, 1 e 2,
1983; ID, O bispo de Coimbra D. Manuel Correia de Bastos Pina, Coimbra, 1995; J. PINHARANDA GOMES, Os
congressos católicos em Portugal, Lisbonne, 1984; ID., As duas cidades (estudo sobre o movimento social cristão em Portugal),
Lisbonne, 1990; ID., “A recepção da encíclica Rerum Novarum em Portugal (1891-1900), in Humanística e Teologia,
Porto, XII-2, 1991; VÍTOR NETO, “A questão religiosa na 1ª República. A posição dos padres pensionistas”, in
Revista de História das Ideias, Coimbra, 11, 1989, p. 373-443; ID, O estado, a igreja e a sociedade em Portugal (1832-1911),
Lisbonne, 1998; R. M. AFONSO DA COSTA, “O Mundo” e a questão religiosa (1900-1927), Lisbonne, 1990.
MANUEL JOSÉ MACÁRIO DO NASCIMENTO CLEMENTE, Nas origens do apostolado contemporâneo em Portugal.
A sociedade católica (1843-1853), Braga, 1993.
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publié le «décret Moura Pinto» annulant certaines dispositions de la loi de séparation. Petit à
petit, l’Eglise retrouvait une certaine liberté d’action.
Avec le concordat du 7 mai 1940, on ira beaucoup plus loin : il sera à nouveau
possible de créer des séminaires et des établissements d’enseignement supérieur ou de
formation ecclésiastique.
4. Le Collège Pontifical Portugais de Rome (1900-2000)
La création du Collège Pontifical Portugais à Rome en 1898 inaugura une nouvelle
période pour les études ecclésiastiques. De nombreux évêques et ecclésiastiques portugais
seront formés à Rome, spécialement à l’Université Pontificale Grégorienne, où
l’enseignement du thomisme occupait une place spéciale.
Le Collège Pontifical Portugais de Rome comme lieu de résidence pour les étudiants
fréquentant les institutions d’enseignement supérieur catholiques de la ville, en particulier la
Grégorienne, sera un lieu important de formation du clergé portugais, ce qui n’excluait pas le
recours à d’autres centres universitaires comme, par exemple, Louvain. Le projet de création
de ce Collège date du 28 avril 1898, et fut l’initiative d’António José de Sousa Barroso, alors
évêque de Meliapor, du vicomte et de la vicomtesse de S. João da Pesqueira, de Mons. José
d’Oliveira Machado, recteur de l’église de S. António dos Portugueses, des pères Pio
Gurisatti et Ricardo Tabarelli, de la congrégation des pères stigmatins, et du chevalier
António Brás54. Le Pape Léon XIII et les évêques portugais appuyèrent fortement ce projet et
dès l’année 1899, les premiers étudiants commençaient à résider au casino de la chapelle de
la Villa Borghèse.
La fondation officielle eut lieu le 20 octobre 1900 par un bref de Léon XIII : Rei
catholicae apud lusitanos. Le Pape donna au collège le vieux palais Albertini (ou Senni),
situé Via del Banco di Santo Spirito, 12. Les élèves y entrèrent au début de l’année 19001901.
Jusqu’en 1964, 425 étudiants ont fréquenté le collège, parmi lesquels 27 deviendront
évêques dans l’un ou l’autre des diocèses du Portugal. Beaucoup d’entre eux enseigneront
dans les séminaires et autres établissements d’Eglise.
En 1976 fut inauguré le nouveau Collège Pontifical Portugais de Rome, situé via
Nicolò V.
5. L’Université Catholique de Lisbonne de 1967 à nos jours
Après la fermeture de la faculté de théologie de l’université de Coimbra, on
commença à envisager la création d’un centre d’études théologiques, voire même d’une
université catholique, ce qui fut fait en 1967 55.
Voir sur le Collège Pontifical Portugais de Rome: JOSÉ DE CASTRO,
Portugal em Roma , vol. II; Appunti per la
storia della fondazione del collegio portoghese in Roma, Roma, Tip. Forenase, 1901; M. d’ALMEIDA TRINDADE, «A
projecção da Universidade Gregoriana em Portugal», in Lumen, vol. 18, 1954; A.A., O pontifício colégio português em
Roma. Subsídios para a sua história, Roma, 1984.
55 Voir SERAFIM LEITE, « Portugal. Sciences sacrées au Portugal », in Dictionnaire de Théologie Catholique , vol. XII, 2,
54
124
125
Le projet d’une telle université remonte au Concile Plénier Portugais (1922), mais
c’est seulement le 13 octobre 1967 que le décret Lusitanorum nobilissima transforma la
faculté de philosophie de Braga en université catholique portugaise (A.A.S., 59, 1967, 106869). Le tout en accord avec le concordat de 1940 entre le Saint-Siège et l’Etat portugais.
L’Université catholique portugaise naquit donc à Lisbonne en 1967. Une faculté de
théologie fut créée en 1968, à titre expérimental, comme première faculté de l’Université.
Puis vint s’ajouter la faculté de philosophie des jésuites qui existait déjà à Braga.
Le 1er octobre 1971, la faculté de théologie sera érigée canoniquement, en même
temps que celle des sciences humaines, par le décret Ampla cum sedes de la Congrégation de
l’Education Catholique et elle sera reconnue officiellement par le gouvernement portugais par
le décret-loi nº 309/71, du 15 juillet. L’Etat reconnaîtra par la suite la personnalité juridique
de l’Université catholique par le décret-loi nº 128/90, du 17 avril. Des extensions de la faculté
de théologie sont présentes à Braga et à Porto, mais l’Université fonctionne aussi dans
d’autres villes portugaises.
L’Université catholique compte présentement cinq facultés: théologie, sciences
humaines, droit, sciences économiques, et ingénierie ; on y trouve aussi les Instituts d’études
politiques (IEP), d’éducation (IE), d’études européennes (IEE) et de développement,
coopération et formation continue (IDFC).
Comme unités de recherche, méritent mention l’Institut de coordination de la
recherche scientifique (ICIC), et les Centres d’études appliquées (CEA), de droit canonique
(CDC), d’histoire religieuse (CEHR), des peuples et cultures d’expression portugaise
(CEPCEP), de problèmes d’information (CEFI), d’études et sondages d’opinion (CESOP),
d’études en philosophie et citoyenneté (GEPOILIS), d’études sociales et politiques (CESP),
le cabinet de recherche et de projet en systèmes (GIPSI), le cabinet de littératures et cultures
portugaise et brésilienne (CLCPB).
La faculté de théologie publie la revue Didaskalia depuis 1971, et la faculté de
philosophie de Braga, la revue Revista Portuguesa de Filosofia depuis 1945. A signaler
également : Lusitania Sacra publiée par le CEHR et Forum Canonicum, par le CDC. Existent
aussi les séries Fundamenta, Nova Spes, Semaines de Théologie et Épheta.
En 1999-2000, l’Université comptait à Lisbonne 218 étudiants en théologie et 125 en
sciences religieuses, à Porto, 188 étudiants en théologie et 105 en sciences religieuses, à
Braga, 88 étudiants en théologie. 56
L’université catholique a des centres régionaux à Braga, Porto, Figueira da Foz et
Viseu. Elle est membre de la Fédération Internationale des Universités Catholiques (FIUC) et
de la Conférence Permanente des Recteurs et Vice-Chanceliers Européens (CRE).
vols. 2633-2634; M. A. RODRIGUES, «Teologia em Portugal», in Dicionário de História de Portugal, dir. de Joel Serrão,
vol. IV, Lisbonne, 1971, p. 150-155.
56 A noter qu’à Porto, on publie la revue
Humanistica e Teologia de même que la collection Bibliotheca Humanistica e
Teologia e Mediaevalia, et à Braga, la revue Theologica.
125
126
LA FACULTAD DE TEOLOGIA EN ESPAÑA, DE 1875 A 1962
Prof. Francisco Martín Hernández,
Universidad Pontificia de Salamanca, España.
Hablo en este tema de los estudios eclesiásticos superiores que se imparten en España
en los seminarios diocesanos, en conventos y en las Facultades de Teología, las cuales
subsistieron en las Universidades del Estado hasta mediados del siglo XIX y fueron más tarde
patrimonio exclusivo de la Iglesia.
El tema de la enseñanza clerical vino a convertirse en este siglo de conservadores,
progresistas y liberales, tanto para la Iglesia como para el Estado en verdadero campo de
Agramante, como si en él se jugaran el destino político y religioso de la nación. No en vano
uno de los inspiradores laicos de la reforma educativa en España, Antonio Gil de Zárate,
escribiría por aquel tiempo que “la cuestión de enseñanza es cuestión de poder; el que enseña
domina; entregar la enseñanza al clero es querer que se formen hombres para el clero y no
para el Estado”1. Los estudios superiores eclesiásticos, de teología, derecho y filosofía,
estaban todavía en manos del Estado. Se trata ahora de un Estado liberal, que en ocasiones
acoge a profesores y legisladores laicos y arreligiosos. La Iglesia trata, pues, de defenderse.
“La obligación de los obispos, escribe a mediados de siglo en un famoso discurso el arzobispo
de Sevilla don Judas José Romo, es indudablemente más grave en estos tiempos que en los
precedentes respecto a la enseñanza de los clérigos... [y] ninguna potestad temporal se halla
facultada para impedirles el uso de su derecho”2. Al contrario, otro de los reformadores laicos
de turno, don José de la Revilla, luego de reconocer que “de las universidades, de los colegios
mayores y de los seminarios conciliares salían todos los alumnos con una misma educación,
unas mismas enseñanzas y unos mismos hábitos de discurrir”, aconsejaba que no se
robusteciera el estudio de la teología, pues de lo contrario “el clero se hará dueño de la
enseñanza y no debemos perder de vista que quien de ella se apodere se hará igualmente
dueño del Estado”3.
Se abría el período de una lucha desigual, entre el Estado y la Iglesia, por motivo de la
enseñanza superior eclesiástica en España.
l. Se inicia el proceso de secularización de la Universidad
A principios del siglo XIX, cuando van prevaleciendo en España los liberales y
progresistas, se explicaban artes u filosofía, cánones y teología en 24 facultades teológicas
españolas, en 45 seminarios y en numerosos estudios generales de religiosos. Con el plan de
estudios de l807, estructurado “bajo los auspicios del ministro Caballero por los volterianos
de la Universidad de Salamanca, que no eran pocos ni encogidos”, como escribe Vicente de
La Fuente4, además de quedar suprimidas no pocas Universidades y algunos Colegios
universitarios, se imponen en la Facultad de Teología textos de tendencia galicana y
GIL DE ZÁRATE, De la instrucción pública en España, vol. l ( Madrid l855) p. ll7.
Discurso pronunciado por el Excmo. El Ilmo Sr. Arzobispo de Sevilla…. ( Sevilla l848) pp. 34-36
3 Breve reseña del estado presente de la instrucción pública en España… (Madrid l854) pp. 55,52.+
4 Historia eclesiástica de España t. 5 ( Madrid l874) p. 90. Cf. C.M. AJO,
Historia de las Universidades Hispánicas , t. 5 (
Madrid l968) pp. 507-58.
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jansenista: las Institutiones Eclesiásticas del dominico Gazzaniga, los de Escritura de Lamy y
Wouters, la Historia y la Disciplina Eclesiástica del español Félix Amat, la moral a base del
Compendio de los Salmanticenses de Roselli, los Concilios por Baylli, etc. En sustancia,
todos textos extranjeros, fuera del de Amat, conocido también como jansenista, y que en ese
mismo año acababa de publicar en Madrid su Tratado de la Iglesia de Jesucristo o Historia
Eclesiástica5.
Tales textos y autores iban a irrumpir en las aulas universitarias de teología, derecho
canónico y filosofía eclesiástica, siendo motivo de preocupación y llegando a poner en alerta a
las autoridades de la Iglesia. Buscando las últimas raíces, aquí encontramos sin duda el
origen, causa y razón de la decadencia y posterior supresión de la facultas de teología, junto
con las demás eclesiásticas, en las Universidades españolas.
Con el ocaso del Antiguo Régimen y el alumbramiento de un nuevo orden liberal, se
suceden una a una las reformas y se acentúa cada vez más el predominio del Estado en
materia de enseñanza, sin que la Iglesia, que va perdiendo cada vez más el predominio que
antes ejerciera en la sociedad, pueda hacer nada en los cambios que se van operando en el
Alma mater española, a la que durante siglos había tenido bajo su tutela. Durante todo el siglo
tanto los seminarios como la teología que se imparte en la universidad se verán envueltos en
una incesante tolvanera de disposiciones legislativas o, como diría don Miguel de Unamuno,
en el “tejer y destejer desde el ministerio la tela de Penélope de nuestra enseñanza oficial”6.
En l8ll las Cortes nombran una comisión para que estudie la reforma eclesiástica; en
uno de sus apartados se habla de la “educación, régimen y gobierno del clero secular”,
inspirándose en principios filojansenistas. Otra se nombra en l8l3, que al año siguiente da un
famoso dictamen donde se insiste en la unidad de enseñanza en toda la monarquía. Durante el
Trienio liberal, siempre en el reinado de Fernando VII, se recogen planes antiguos y el
proyecto de l8l4, que adquieren forma definitiva en el plan de l82l, por el que se crea la
Universidad de Madrid con todas las facultades, se señalan nuevas asignaturas para la teología
(liturgia, práctica pastoral y ejercicios de predicación), con academias programadas desde la
Universidad y se instituye la Dirección General de Instrucción Pública en el Ministerio de
Gracia y Justicia, de la que dependerá, como todas las demás, la facultad de teología7.
Cuando se inicia la “década ominosa” del nuevo absolutismo fernandino, una nueva
Comisión presidida por el mercedario Manuel Martínez y avalada por obispos regalistas tan
significados como Inguanzo, Cavia, Castillón y Pérez de Celis, prepara otro nuevo plan para
universidades y seminarios. Conocido como plan de Calomarde y publicado en l824, no acabó
de gustar a los liberales que lo tacharon de escolástico y clerical, aunque bien poco difiera de
las ideas absolutistas, galicanas y jansenistas de los planes anteriores. Se determina que los
cursos de filosofía duran tres años. Entre los txtos se señalan las Instituciones de Andrés de
El plan de l807 en Real Cédula de S. M.. y Señores del Consejo, por la cual se reduce el número de Universidades literarias del
Reino…., y se manda observar en ellas el plan de estudios aprobado para la de Salamanca en la forma que se expresa (Madrid l807),
reimpresa varias veces. Sobre el papel que juega la Uni- versidad de Salamanca, véase Mercedes GÓMEZ MARTÍN,
Las reformas educativas de principios del siglo XIX y la Universidad de Salamanca ( Salamanca. Centro de Estudios
Salmantinos, XXV), l974). D. Félix Amat y Palau (l750-l824), arzobispo de Palmira, fue acusado de afrancesado y
filojansenista.
6 M. DE UNAMUNO, De la enseñanza superior en España, en Obras completas, t. 3 ( Madrid l963) p. 83.
7 Dictamen y proyecto de decreto sobre el arreglo general de la enseñanza pública…, s.l.,s.a.,
aunque fechado el 7 de marzo de l8l4 ( cita de M. Y J. PESET, La Universidad española. Siglos XVIII y XIX. Despotismo
ilustrado y revolución liberal ( Madrid l974) p. 407, n.l5). Cf. A. ÁLVAREZ DE MORALES, Génesis de la Universidad
española contemporánea (Madrid l972) pp. 72s.
5
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Guevara y la ética y filosofía del P. Jacquier. Al llegar al tratado De officiis se procurará que
los alumnos estudien “singularmente lo que deben a Dios, a el Rey y a las autoridades, que a
nombre de Dios y del Rey nos gobiernan en lo espiritual y temporal (arts. 32-34,38). Los
cursos de teología duran siete años hasta el grado de licencia, y para ellos señalan textos de
Bailly, Lamy, Wouters, Berti, Fernández Larrea, Villanuño y Manuel Villodas, bien
conocidos por su tendencia galicana y jansenista. Con cierta preferencia se han de estudiar
“los Concordatos celebrados entre la Santa Sede y los Reyes de España y las novísimas
constituciones de la Iglesia y providencias de su Majestad, como protector de la España”
(arts. 44-53). Los mismos años dura la carrera de cánones, con Selvaggio y Berardi como
principales maestros 8.
En definitiva, un regalismo llevado hasta las últimas consecuencias, con la puesta al
día de viejos textos de filiación galicana y jansenista. Por otro lado, se excluye de los grados a
los numerosos externos que había entonces en los seminarios, con el deseo incontenido, que
se irá haciendo más patente conforme pasen los años, de sustraerlos de la formación
eclesiástica y aumentar de paso el número de los que acudan a la Universidad9
El proceso de secularización de la Universidad se agudiza durante el período de las
regencias, que de l833 a l843 dominan los progresistas de tono más o menos elevado. Antes
se habían suprimido los cancelarios (que solían ser los obispos de las respectivas diócesis,
representantes natos de la Santa Sede), el fuero académico y hasta el traje talar, por
considerarlos demasiado clericales. Por Real Orden de l835 se insiste nuevamente en que “la
enseñanza de la filosofía y teología se haga en los seminarios [que incorporan sus estudios
teológicos a la Facultad de Teología de la Universidad] en un todo con arreglo a lo que se
ejecute en las universidades del Reino, tanto respecto a la duración de los estudios, academias,
actos y ejercicios universitarios…, como de los libros de su asignatura”; y escojan sus
catedráticos entre los que más merezcan “por su adhesión al trono de la Reina, nuestra Señora,
y a las libertades patrias”. De la elección que hagan “darán cuenta los prelados a su Majestad
por el ministerio de mi cargo”; y “una vez obtenida la real aprobación, los catedráticos no
podrán ser removidos ni por el prelado que los hubiere nombrado, ni por ninguno de sus
sucesores en la mitra, ni por los cabildos en sede vacante sin previo consentimiento de su
Majestad”. Por otra parte, los obispos habían de remitir al ministerio una terna para que de
ella elija el Gobierno a los rectores y vicerrectores, que “reúnan una firme y sincera adhesión
al Gobierno de su Majestad y a las libertades patrias”10.
En el mismo año se confecciona un nuevo plan, conocido como del duque de Rivas11,
que no llega a tener vigencia, pero que en adelante va a servir de modelo para planes
posteriores por su acentuado sabor galicano y centralista12. Eran años de desamortización y de
continuas humillaciones para la Iglesia. Los “demócratas de la cátedra” dominan la
universidad, por la que corren las obras de Proudhon, Toland, Hegel, Fichte, Saint Simon o
Colección legislativa de España , 9 (l824) 230-296.El tono jansenista de las Institutiones philosophicae y de las obras de Berti,
etc., no dejaban lugar a dudas.
9 Cfr. A. MARTÍNEZ DE VELASCO, El Plan de Estudios de l824 y su aplicación en la Universidad de Alacalá de Henares ,
en Hispania Sacra ll3 ( l969) 562 s.
10 Real orden de l2 de octubre:
Colección legislativa , 20 (l835) 460-463. Cf. M. DE CASTRO ALONSO,
Enseñanza
eclesiástica en España (Valladolid l898) pp. l33s.; V. DE LA FUENTER, Historia de las Universidades, Colegios y demás
Establecimientos de enseñanza en España, t.4 (Madrid l889)p. 39
11 Colección legislativa, 2l (l835) 30l-328.
12 Comenta el conocido ideólogo de aquel tiempo Antonio Gil de Zárate que “el Plan de l835, a pesar de su efímera
vida, ha tenido una grande influencia en el porvenir de la enseñanza” ( GIL DE ZÁRATE, De la instrucción pública en
España t.l (Madrid l955) p. l00. De hecho, influiría notablemente en el plan Pidal de l845
8
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Fourier, del ecléctico Victor Cousin, del teísta y panteísta Krause, del positivista Compte,
etc13, con evidente deterioro de los estudios teológicos. De aquí se deduce que cuando se
suprima la facultad de teología de la universidad, no se llevará a cabo, aunque
lamentablemente, sin manifiesta satisfacción de los propios obispos.
2. Los “moderados” en el poder (reinado de Isabel II)
Cuando el general Narváez sucede al general Espartero, se forma un gobierno moderado
con González Bravo, una especie de “centro equilibrado”, entre conservador y progresista,
que trata de reconciliarse con la Iglesia si abandonar por ello los logros obtenidos por el
liberalismo anterior. Con la Constitución de l845, se da a conocer un nuevo plan de estudios,
atribuido al ministro de la Gobernación don Pedro José Pidal, pero que más bien se debe al
conocido Antonio Gil de Zárate. En él se hacen algunos arreglos al estudio de la teología, sin
que, ni por asomo, se tengan en cuenta las directrices que podía dar la Iglesia en este sentido.
“El Gobierno – leemos en la Introducción – al emprender [la reforma* no ha querido
fiarse de sus propias luces, sino que, para verificarla con el debido acierto y no omitir medio
alguno de ilustración, ha acudido a las corporaciones que se hallaban en el caso de
aconsejarle, y aún a personas particulares versadas en tan delicadas materias. Se ha
preocupados por oír a las universidades del Reino. Sus informes han pasado luego a una
comisión especial, que los ha examinado y comparado detenidamente, formando a su vista un
bien meditado proyecto.
Reducir la enseñanza de la teología a lo que exigen la naturaleza y objeto de esta
ciencia; desterrar de las aulas muchas cuestiones puramente escolásticas para explicar con
más amplitud y extensión los misterios de nuestra fe; procurar que el estudio se haga en sus
propias fuentes, que son la sagrada Escritura, los concilios y la tradición, y exponer el orden
de las materias según el orden más lógico, natural y metódico: tales son los principios que
para el logro de tan importante objeto se han seguido”.
De las diez universidades que quedan, la teología se enseña únicamente en las de
Madrid, Oviedo, Sevilla, Valladolid y Zaragoza; y sólo en la primera se podía obtener el
grado de doctor. Los externos no podían convalidar sus estudios sino en los seminarios de
aquellas ciudades donde se había suprimido la universidad (Barcelona, Granada, Salamanca,
Santiago y Valencia). Cinco serían en adelante los cursos institucionales, en los que se darían
las siguientes asignaturas: en el lº: Fundamentos de religión, Lugares teológicos y
Prolegómenos de la S. Escritura; en el 2º: Teología dogmática (especulativa) y Teología
moral; en el 3º: Teología dogmática (práctica), Elementos de historia eclesiástica y
Continuación de teología moral; en el 4º: Historia de las Instituciones de derecho canónico; y
en el 5º:Sagrada Escritura. Para el grado de bachiller se necesitaban dos cursos; se daba en el
primero: Historia eclesiástica general, y particular de España, y Examen de la influencia del
cristianismo en la sociedad civil; y en el segundo: Disciplina general de la Iglesia y de
España, y Colecciones canónicas. Otro más se exigía para el grado de licencia, en el que se
daba: Estudios apologéticos de la religión, Historia literaria de las ciencias eclesiásticas y
Métodos de Enseñanza. No se señalan las asignaturas que habían de darse para el grado de
doctor.
Sobre el tema, véase entre otros: V. CACHO VIU, La Institución Libe de Enseñanza , t. 1. Orígenes y etapa universitaria,
l860-l88l (Madrid 1962); M.D. GÓMEZ MOLLEDA, Los reformadores de la España contemporánea (Madrid l966).
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Volvían de nuevo los antiguos manuales de Valla, Bailly, Opstraet, etc, y no se
incluyen, ni siquiera se citan, las Prelecciones teológicas del P. Perrone (+ l876), considerado
entonces como autor de primera línea14. De las diez universidades que quedan, sólo puede
enseñarse teologia en las de Madrid, Oviedo, Sevilla, Valladolid y Zaragoza; y sólo en la
primera podrá obtenerse el grado de doctor. Para justificar esta medida se aducen razones,
más especiosas que legales, sobre la escasez de alumnos15 o que los teólogos preferían seguir
la carrera en los seminarios, que estaban incorporados a la universidad y en los que, como
veremos, se irían dando alguna que otra norma acerca del estudio de la teología.
En los años siguientes se dan nuevos planes de estudio. En el de l847 se conserva el
programa anterior, al que se añade únicamente el estudio de las lenguas griega y hebrea a
partir del curso tercero institucional, y en los de bachiller y licencia. Lo mismo ocurre en el de
l850, donde se regulan otra vez los cursos: siete para los institucionales, uno para licencia y
otro para doctorado; en el de licencia se incluye la asignatura de “Estudios apologéticos de la
religión”, y en el de doctorado se da únicamente la lengua griega. Una nueva modalidad se
añade en este último plan de estudios, que va a tener serias consecuencias para los estudiantes
de teología. Se habla otra vez de los alumnos externos, que eran entonces muy numerosos, y
se determina que “si quisieran pueden hacer sus estudios en los seminarios, pero no les
aprovechará para carrera alguna ni para obtener grados” 16. Con esta medida se daba un duro
golpe al reclutamiento de vocaciones sacerdotales, pues gran número de alumnos dejaron
entonces las aulas del seminario para acudir a institutos y universidades. Queda malparada
también la enseñanza de la teología y de ello se quejan los obispos, quienes empiezan a hablar
del derecho que tiene la Iglesia a impartir su propia enseñanza independientemente del
Estado. Escribe a este respecto el obispo de Salamanca:
“En el reciente plan de estudios, se hace una gran herida a la libertad de enseñanza,
disponiendo que, si bien los seminaristas pueden ganar curso académico estudiando en los
seminarios los cuatro primeros años de la segunda enseñanza, no así respecto del quinto y otro
de ampliación, que los habrán de seguir para matricularse en teología, sino que tendrán que
salir a estudiarlos en un instituto”.
“Otra herida es el negar el carácter de académicos a los cursos ganados en los
seminarios por los estudiantes externos, medida que retraerá a muchos de estudiar teología en
los seminarios y que imposibilita a los que lo hagan para recibir los grados académicos…
Entiendo, pues, que los obispos estamos en el caso de impetrar de la Silla Apostólica la
facultad de conferir grados académicos teológicos y canónicos, reduciéndose de este modo las
ciencias eclesiásticas, respecto de este punto, al que tenían en su origen y que deben tener
siempre”17.
El Real Decreto de l7 sept.l845 y el siguiente Reglamento de Estudios , en Colección legislativa, 35 (l845) l97-246, 400475. Las Prelecciones, que alcanzaron 34 ediciones entre l835 y l842, estaban “escritas con singular erudición y claridad,
según las normas de la antigua teología controversiata” (M. GRABMANN, Historia de la teología católica, edic. esp.
(Madrid l940) p. 3l8.
15 En el Real Decreto se dice que la facultad de teología era la menos concurrida, sin que sus alumnos sobrepasaran
los 400.
16 Art. 90: Colección legislativa, 50 (l850) 772-806.
17 Carta al nuncio Brunelli del obispo A. Lorenzo Varela: Arch. Vat. Nunc. Madrid, caja 3l7. Del mismo modo se
expresaba el arzobispo de Sevilla, don Judas José Romo, en el Discurso que pronuncia en la inauguración de su
seminario (Sevilla, Imprenta Librería Española y Extranjera, l848, pp. 34-36).
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Se imponía, por tanto, tomar medidas para evitar la intromisión de la autoridad civil en
materias que eran de competencia de la Iglesia, y alejar de la teología, que se daba tanto en las
universidades como en los seminarios, las ideas subversivas que la estaban mancillando. El
remedio no podía ser otro que el de recabar la propia libertad de enseñanza, a sabiendas de
que quitando de la universidad el único tinte eclesiástico que le quedaba, es decir, la facultad
de teología, habría de aceptarse el mal menor de suprimir la facultad de teología de los planes
de estudio de la universidad. Se lograría con el Concordato de l85l y el nuevo plan de estudios
de l852.
Sin embargo, algo se había venido haciendo en los seminarios, que tenían
incorporados sus estudios de teología a las facultades de la Universidad.
3. Los estudios de teología en los seminarios
A principios de siglo sigue gozando de gran prestigio el Seminario de Salamanca, que
había sido fundado por el obispo ilustrado don Felipe Bertrán en l779 y lo incorpora a la
Universidad salmantina. En las Constituciones que le dio y que copian después no pocos
seminarios, trata extensamente de los estudios de teología, a los que añade la liturgia, la
oratoria, ritos y homilías. De antemano, pide una buena formación humanística y filosófica
para llegar mejor al conocimiento de la Escritura, de los Padres y de la Suma de Santo Tomás,
elemento indispensable para llegar a ser “verdadero teólogo”, como él mismo dice. Quiere
que los alumnos, alejados de cuestiones inútile - que “era bien de desear que jamás se
hubiesen movido”, pues en ellas “ no son ciertamente los herejes los que se procuran rebatir,
sino los partidos opuestos de otras escuelas teológicas” – mantengan “tiempo y proporción
para saber fundamentalmente la teología moral cristiana con la extensión correspondiente a la
que se llama mística para el gobierno de las almas, leer con inteligencia las santas Escrituras y
escritos de los santos Padres, informarse de los puntos más útiles de la disciplina y liturgia: lo
que forma todo el caudal de un ministro de Dios y digno cura de las almas”18.
Tanto en éste como en los demás seminarios se procuraba seguir lo indicado en la Real
Cédula, que había dado Carlos III el l4 de agosto de l768 para el estudio de la teología en
seminarios y universidades. Era lo siguiente: “Se ha de enseñar la doctrina pura de la Iglesia,
siguiendo la de San Agustín y santo Tomás; y sin adoptar sistemas particulares que formen
sexta y espíritu de escuela, se reduzcan a un justo límite de sutilezas escolásticas, desterrando
el laxo modo de opinar en lo moral y cimentando a los jóvenes en el conocimiento de la
sagrada Biblia, conocimiento del dogma y de los errores condenados, de la Jerarquía y
disciplina, y en los ritos, con la progresión de la liturgia y un resumen de la historia
eclesiástica”19. Se añaden otras innovaciones, como aquellas que leemos en el
Reglamento
que da a su seminario de Canarias el obispo Tavira en l796, por el que dará a este centro aires
de seminario moderno20. Pide que se dé una “teología varonil, seria y útil”, lejos de “las
infinitas puerilidades y ridiculeces a que ha estado reducida esta facultad desde el siglo XII”.
Pone en el seminario más cátedras de Escritura y recomienda nuevos textos como los de
Lamy, Calmet o Concina, acérrimos impugnadores de la escuela jesuítica y más o menos en la
línea del jansenismo.
Constituciones del Real Seminario de San Carlos, de la ciudad de Salamanca ( Madrid l783, pp. l02,l51, l59, l63,
Real Cédula: Erección de Seminarios Conciliares para la educación del clero : Novísima Recopilación, 3l, 8, tit.ll, ley l.ª. A esta
Cédula había de atenerse en adelante la enseñanza de la teología y demás ciencias eclesiásticas en seminarios y
universidades.
20 Arch. Secretaría de Cámara de Obispado de Canarias.
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También el obispo de Murcia, don Valeriano López Gonzalo pretende renovar los
estudios de teología en su seminario, e igualmente don Félix Torres Amat en el suyo de
Astorga. Recomienda éste, para el estudio de la teología, las Institutiones theologicae
dogmaticae del profesor de la Universidad de Friburgo Engelberto Klüpfel (+ l9ll) para que,
en cierta manera, suplan a la Suma de Santo Tomás; el “precioso librito” Regula fidei de
Veronio junto al De locis de Melchor Cano; el Promptuorio de Lárraga, junto a los
Salmanticenses, para la moral; a Selvaggio para las instituciones canónicas; el Sumario de su
tío don Félix, arzobispo de Palmira, para historia y disciplina general de la Iglesia…21.
Así andaba el estudio de la teología casi en las vísperas del Concordato de l85l que se
va a firmar entre España y la Santa Sede, y que tantas consecuencias iba a tener para las
facultades de Teología en España. A principios de siglo todavía se recogen aires de la
Ilustración y aún se quieren adaptar los estudios teológicos a las corrientes modernas; pero
luego se muestran incapaces para seguir adelante, anclados en aquellos moldes dieciochescos,
antes tan innovadores y ahora ya pasados de moda. Corren años de cansancio y aun de
indiferencia. Años de perturbaciones políticas, de desamortizaciones y exclaustraciones. El
intervencionismo-regalismo estatal ahoga cualquier intento de liberar a la facultad de teología
de ingerencias foráneas. Es verdad que se vuelve a las fuentes de la teología: la Escritura, los
Padres, la Tradición, los concilios y Santo Tomás; pero todo se queda en el simple aprendizaje
de una ciencia que se vuelve atemporal, sin capacidad para recrear una nueva visión teológica
de la vida y de las realidades cristianas. En los planes de estudio, fuera de algunas intuiciones
de un Tavira o de un Torres Amat, no encontramos obras originales de teología con las que se
pudiera hacer frente a las ideas modernistas o disolventes que ya corrían por Europa. Cada
vez se iba haciendo más ostensible el divorcio que se producía entre la ciencia profana y la
teológica que se daba en la universidad y en los seminarios.
Los textos siguen siendo la mayoría de ellos extranjeros: Lamy, Cazzaniga, Besombes,
Cavallario, Berti, las Institutiones Lugdunenses; las ideas, constreñidas en una lucha estéril
entre las distintas escuelas, una casuística decadente, y una cerrazón ante las nuevas ideas
innovadoras. Sólo en el plan de estudios de l845 vemos una nueva asignatura con cierto aire
moderno; también se da en los seminarios de Valencia y Toledo22: “Examen de la influencia
del cristianismo en la sociedad civil”, para sexto de teología; pero se recomienda que se dé
por autores como Lebayeu y Raymod23, que estaba en la línea de Guizot, tan combatido en
aquel tiempo por el ilustre pensador don Jaime Balmes.
4. El Concordato de l85l y el Plan de Estudios de l852
El 8 de mayo de l849 se había tratado, en conversaciones preliminares para un nuevo
Concordato con la Santa Sede, de “establecer convenientemente la enseñanza e instrucción
del clero…, dotar de un clero ilustrado…” a la nación, etc.24. El entonces nuncio en España
Mons, Brunelli pide a los obispos que emitan su parecer sobre este punto. La mayoría
Disposición del Ilmo. D. Félix Torres Amat , l834 ( en Colección de Cartas pastorales de D. Félix T. Amat , Astorga, Bibl.
Seminario, 48/2/4). Cf. F. MARTÍN HERNÁNDEZ, “Estudios eclesiástico españoles en la primera mitad del siglo xix”, en
La cuestión social en la Iglesia española contemporánea (Madrid l98l) l79-224
22 Constituciones de Toledo (Arch. Sem. Toledo, ms.) y Valencia ( V. CÁRCEL ORTI,
Segunda época del Seminario… de
Valencia ( Castellón de la Plana l969) p. l8.
23 Colección legislativa, 38 (l846) 258-262
24 M, DE CASTRO ALONSO, Enseñanza eclesiástica; o.c., p. l44. Cf. J. PÉREZ DE ALHAMA,
La Iglesia y el Estado
español. Estudio histórico-jurídico a través del Concordato de l85l (Madrid l967).
21
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coincide en recabar plena libertad de enseñanza en los seminarios, sin que por ello deje de
funcionar la facultad de teología en la universidad. Se aboga por la plena autonomía de los
estudios eclesiásticos, y esto tendría que chocar necesariamente con la política de sujeción y
de control que tenía el Estado respecto a la facultad de teología de sus universidades.
Veladamente se aludía a la supresión en éstas de la facultad.
Así podemos entender el art. 28 del Concordato que dice:
“El Gobierno de S.M. Católica, sin perjuicio de establecer oportunamente, previo
acuerdo con la Santa Sede y tan pronto como las circunstancias lo permitan, seminarios
generales en que se dé la extensión conveniente a los estudios eclesiásticos, adoptará por su
parte las disposiciones oportunas…”25.
Para la aplicación de dicho artículo, el 2l de mayo del año siguiente, y con aprobación
del nuncio, se da una disposición de gran envergadura, con dos reales decretos, emitidos por
el Ministerio de Gracia y Justicia, Las supresiones que suponen estas medidas, sin duda que
necesarias para evitar otros males y salvaguardar la ortodoxia en la enseñanza de la teología,
vinieron a consumar el divorcio de ambas potestades en el campo de la enseñanza.
El primero declaraba en su art. 10:
“Los grados de teología y cánones se conferirán exclusivamente en los seminarios
centrales. Ïnterim éstos se establezcan se conferirán estos grados en los seminarios de Toledo,
Valencia, Granada y Salamanca, en la forma que se determine, desde principio del curso
académico próximo venidero de l852 a l853”.
El segundo determinaba en el art. l:
“Terminado el presente curso académico, quedarán suprimidas las facultades de
teología existentes en las Universidades del reino”26.
Tal medida fue por entonces del gusto de todos, sobre todo de la Iglesia, sin darse
cuenta, quizás, de que con ella quedaba consumada la secularización de las universidades
estatales. Caro le iba a costar a ésta su propia libertad, pues la secularización de la enseñanza
era un hecho y las facultades de teología y cánones, antes tan esplendorosas y preeminentes,
quedaban relegadas a los seminarios, fuera ya de los claustros universitarios y del prestigio y
significación que se daba a los títulos universitarios de otras facultades. “Triste estado de la
Iglesia en estos tiempos, que jamás ha de conseguir el que se la reconozca un derecho sin que
vaya mezclado con una vejación”27.
El plan de estudios eclesiásticos, con los correspondientes a la facultad de teología,
elaborado por el nuncio Brunelli y sancionado por la Corona fue, sin duda, la piedra angular
de toda la reforma docente eclesial, que permaneció en España, como su homónimo civil,
V. DE LA FUENTE, Historia de las Universidades, Colegios y demás Centros de formación en España , t.3 (Barcelona l855)
pp. 597 s.
26 J.M. CUENCA, Notas para el estudio de los seminarios españoles en el pontificado de Pío IX , Separata de Saitabi (Valencia
l973 p.p. 73-74. También en CASTRO ALONSO, Enseñanza religiosa: o.c., p. l53. Estudia el tema M. ANDRÉS
MARTÍN, La supresión de las facultades de teología en las Universidades españolas (l845-l855) (Burgos l976).
27 Ib. p, l54.
25
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134
durante más de un siglo.28 Durante siete cursos se estudiaría la teología, a los que se unían las
Academias” o “Conferencias”, dirigidas a conseguir una formación armónica y equilibrada,
pero que en la práctica continuaron con la vieja metodología de “argumentos” y “disputas”,
destinada a formar más controversistas que pastores.
Los libros de textos, fijados en el plan, fueron cuidadosamente expurgados de todo lo
que pudiese alterar las relaciones entre la Iglesia y el Estado. Se acudía al predominio de
viejos moldes intelectuales, en su mayoría extranjeros (Jacquier, Bonelli, Liberatore, Pacetti,
Soglia, Tricalet…), dejando a un lado la vieja tradición española. Sólo hubo una pequeña
excepción: se acepta, como signo de cierta modernidad, el texto de Perrone.
Algo se tuvo que luchar para que la clase dirigente legalizara la eliminación de la
teología de las universidades. Por fin se logra su completa extinción al recibir del papa un
breve, por el que se facultaba a todos los obispos y arzobispos de España para que pudieran
conferir en su respectivo seminario los grados de bachiller en teología y cánones, y a los de
Toledo, Granada, Valencia y Salamanca la facultad de dar grados de licencia y doctorado
hasta que se implantasen los seminarios centrales, circunstancia que no se llegaría a lograr del
todo. El paso no es que beneficiara mucho a la enseñanza de la teología, porque los
seminarios centrales, allí donde pudieron erigirse, no dejaron de ser unos simples seminarios
mayores, a los que acudían numerosos jóvenes de la región, y que extendían sus rayos de
acción poco más allá de sus propias diócesis. Por otra parte, debido a la baja dotación de las
cátedras, no poco de sus titulares consideraron la docencia como un trampolín hacia cargos
eclesiásticos más remunerados. Ocupan las cátedra profesores jóvenes, que tenían a la
docencia como algo transitorio; o por profesores mayores, que no querían o no podían ocupar
otro cargo. Esta crónica inestabilidad, padecida por los seminarios a lo largo de todo un cuarto
de siglo, fue una de las causas principales de su escaso rendimiento, aún en la enseñanza de la
teología.
5. “Bienio progresista” y Revolución
En julio de l854 vuelve al poder el general Espartero, progresista y de tendencias
claramente anticlericales. En entonces cuando se dan cuenta los liberales de que la política
proteccionista que los anteriores gobiernos habían seguido respecto de la Iglesia, habían
ayudado a la labor educativa de la misma contra los propósitos que ellos tenían de aumentar el
número de alumnos en los institutos y en la universidad. Se imponía, por tanto, hacer lo que
fuera necesario para apartar a la juventud española de la tutela eclesiástica, lo que, por otra
parte, ayudaría a reforzar la gran ofensiva que, no pasando mucho tiempo, iban a desatar
contra la Iglesia.
Un primer paso fue la restauración de la facultad de teología en las Universidades de
Madrid, Santiago, Sevilla y Zaragoza (Real Decreto, 25-VIII-l854). Se preveía una enconada
lucha entre la Iglesia y el Estado y éste no quiere dejar a la Iglesia la educación del clero, pues
necesitaba de teólogos y prelados adictos, aptos para las sillas episcopales. Renunciar a la
instrucción del clero (aún cuando éste jurase la Constitución) podía redundar en perjuicio del
Estado… La universidad había fundado el alto clero y debía continuar su función.. De pasada,
se eludía el compromiso adquirido por el Estado (art. 28 del Concordato) de erigir cuanto
antes los seminarios centrales o generales, que debieran convertirse en las auténticas
28
Texto íntegro, en ib. pp. l58-l68.
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instituciones universitarias de la Iglesia, con la facultad de teología como cabeza de ellas. Por
real orden de 29 de septiembre de l855 se suprimen en los seminarios los cursos superiores de
teología y de derecho canónico. Quienes quisieran cursarlos, habían de ir a la universidad y
someterse, por tanto, a la tutela del Estado29. El resto de los estudios teológicos quedaba en
los seminarios, pero con la obligación de incorporarse a las universidades si es que querían
alcanzar los grados efectos académicos.
Cuando vuelven a poder los moderados otra vez se vuelve a destejer la madeja. El 24
de octubre de l856 un real decreto anulaba el de 29 de septiembre del año anterior y ponía a
poner en vigor el de 2l de mayo de l852, sí como el plan de estudios de septiembre del mismo
año. Sin embargo, se seguía manteniendo la enseñanza en la universidad. Con la ley de
Moyano de l857 se reconoce el derecho que tiene la Iglesia para libremente impartir su propia
enseñanza y no se retocan los programas de teología, dejándolo “para cuando se verifique el
arreglo definitivo de lo mismos estudios en los seminarios conciliares o antes si pareciere
conveniente”. En el art. 3l, cap l del tít.3, de la secc.l, se enumera entre las facultades que
había de haber en la universidad la de teología, colocándola la última30. A pesar de ellos,
parecían asegurarse mejores tiempos, pero todo se viene abajo con la revolución de
septiembre, llamada La Gloriosa, l868.
El art. l9 del decreto dado por el Sr. Ruiz Zorrilla como ministro de Fomento del
Gobierno provisional, el2l de octubre de l868, dice literalmente: “Se suprime la facultad de
teología en las universidades; los diocesanos organizarán los estudios teológicos en los
seminarios, del modo y en la forma que lo tengan por más conveniente”31. Las razones que se
dan para justificar esta medida, no dejan de ser significativas. Eran éstas:
“Expuesto nuestro pensamiento acerca de la libertad de enseñanza, objeto de este
decreto, diremos sólo algunas palabras sobre una alteración que es de la mayor gravedad y
trascendencia: la facultad de teología, que ocupaba el puesto más distinguido en las
universidades cuando eran pontificias, no puede continuar en ellas”.
“El Estado, a quien compete únicamente cumplir fines temporales de la vida, debe
permanecer extraño a la enseñanza del dogma y dejar que los diocesanos la dirijan en sus
seminarios con la independencia debida. La ciencia y la teología tienen cada cual su criterio
propio y conviene que ambas se mantengan independientes dentro de su esfera de actividad.
Su separación, sin impedir las investigaciones que exige el cumplimiento de sus fines, no sólo
servirá para que no se embaracen mutuamente, impidiendo luchas peligrosas, sino también
para evitar conflictos que la enseñanza teológica `puede producir al Gobierno”.
“Suprimida la facultad de teología en las universidades, el Estado deja de responder de
los errores de sus catedráticos y cierra la puerta a reclamaciones enojosas que tiene el deber
de evitar. La política, pues, de acuerdo con el derecho, aconseja la supresión de una facultad
en la que sólo hay un corto número de alumnos, cuya enseñanza impone al tesoro público
sacrificios penosos, que ni son útiles al país, ni se fundan en razones de justicia”32.
Texto de los decretos: Colección legislativa 62 ( l854) 303-5 y revista La Cruz 2 (l860) 368, Sobre el tema, ve J.M.
SÁNCHEZ, La instrucción pública en España (Madrid l854) pp. l07 s.
30 Colección legislativa 70 (l856) l52-l54 y revista La Cruz 2 (l858) 524-543.
31 Colección legislativa l000 (l868) p. 422.
32 Ib.
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Sobre este asunto se puntualiza durante la República ducal del general Serrano, por
medio del decreto que se da el 29 de julio de l874, donde se dice que “en el caso de que los
prelados quieran dar carácter académico a los cursos que se sigan en sus escuelas, habrán de
sujetarlos a las mismas condiciones que los demás establecimientos no dirigidos por el
Gobierno”33.
No se reconocían, pues, los grados eclesiásticos que pudieran darse en los seminarios
centrales; únicamente los estudios que se presentaran para integrarlos después en las carreras
civiles. La facultad de teología, como las de filosofía y derecho canónico, quedaba relegada a
los estrechos límites d los seminarios, con vida tan pobre como la que arrastraban estos
establecimientos de enseñanza, aunque, eso sí, con completa libertad y estabilidad, rigiéndose
sus estudios por el plan del año l852. Plan, que seguía siendo interino en cuanto a los
seminarios centrales hasta que se estableciese de un modo definitivo por acuerdo de ambas
potestades; estos seminarios eran los de Toledo, Granada, Salamanca y Valencia, a los que se
agrega después el de Santiago de Compostela. Habría de esperarse a l896 y l897, para que
tanto éstos como otros seminarios españoles fueran elevados, por disposición de la Santa Sede
al rango de Universidad Pontificia, por lo que la facultad de teología adquiría otra vez, como
las demás, rango universitario.
6. Los Seminarios-Universidades
El cambio se produce cuando en España se restaura la monarquía de los Borbones. Se
reorganizan de nuevo los estudios de los seminarios y se impulsan los estudios superiores en
los llamados seminarios centrales de Toledo, Valencia, Granada y Salamanca, que, con los de
Santiago, Sevilla, Tarragona, Valladolid, Burgos y Zaragoza fueron elevados por la Santa
Sede, en l896-97, a la categoría de Universidades Pontificias, con facultad de dar grados en
teología, filosofía y derecho canónico34.
Factores importantes de esta renovación fueron, además, el Colegio de Calatrava, en
Salamanca, donde el obispo Cámara funda un centro de Estudios Eclesiásticos Superiores, de
poca duración, sin embargo35; y la Pontificia Universidad de Comillas, dirigida por la
Compañía de Jesús, erigida primero como seminario pontificio en l89l y como universidad
pontificia en l904, siguiendo el modelo de la Universidad Gregoriana de Roma, con las
facultades de teología, filosofía y derecho canónico. Un signo de vitalidad de este nuevo
Centro de Estudios Superiores es el considerable número de graduados que han salido de sus
aulas: de l904 a l93l fueron 443 licenciados y 296 doctores los que salieron de la facultad de
teología36. En el intento de trasladar la Universidad a Madrid, en el curo de l96l-l962 ya se
estableció en esta ciudad el doctorado en teología, al que en l963 se añaden los curso
complementarios para obtener la licenciatura. En el curso l967-l968 se traslada toda la
facultad de teología, coincidiendo con la celebración del 75 aniversario de su fundación. Sal
Terrae y Miscelánea Comillas son las revistas que más directamente dependen de esta
facultad.
Ib. ll3( l874) p. 206.
.M. DE CASTRO ALONSO, La enseñanza:o.c., pp. l70 s.
35 Cf. A. VÁQUEZ GARCÍA, “
El P. Cáma, fundador de los Estudios Eclesiásticos Superiores de Calatrava”, en Hispania
Sacra, 7 (l954) 327-358.
36 Cf. N. GONZÁLEZ CAMINERO, La Pontificia Universidad de Comillas. Semblanza histórica (Comillas 1942).
33
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Volviendo a los nuevos seminarios-universidades, su mérito fue el de uniformar, bajo
las directrices que llegaban de Roma (Encíclicas Aeterni Patris y Providentissimus Deus,de
l879 yl893; las Cartas Plane quidem, Depuis le jour y Fin da principio, del885,l899 y l902, de
León XIII), la enseñanza superior de la teología y ponerla a cubierto de las ingerencias
estatales y dándole, con la estabilidad. Una mayor garantía. A este respecto, es de gran interés
la Instrucción que manda a los obispos españoles la S. Congregación de Estudios y
Universidades el 30 de junio de l896. Declara en ella que se les ha dado el título de
Universidades Pontificias “para distinguirlas de las establecidas por la autoridad civil y de las
que, habiendo sido fundadas por la benignidad de la Santa Sede, habían convertido este
carácter en meramente profano, consintiendo la secularización”, y prescribe la formación de
estatutos y de bases “a que han de sujetarse los nuevos planes de estudios”, llevando consigo
“importantísima reformas”, como la reducción del estudio de la teología a cuatro o a lo más
cinco cursos, creación de una nueva facultad, la de filosofía escolástica, la creación de un
bienio – “solido biennio” – para obtener grados en teología, la imposición de que los
profesores sean doctores en su propia facultad, entren por oposición, sean inamovibles y estén
bien dotados, etc.37 En una Carta circular del año siguiente (l5 sept. l897), el mismo
Dicasterio recalcaba la firme voluntad que tenía el Sumo Pontífice de que para la teología
dogmático-escolástica se tomara como texto la Suma de Santo Tomás, y en la dogmáticapositiva se prefirieran aquellos autores que, Bellarmini more, tratan las cuestiones con amplia
y profunda razón. Igualmente, que la Sagrada Escritura se explicara no por meros
compendios, sino a base siempre de las fuentes38.
Eso pretendieron hacer las nuevas universidades pontificias. En la de Toledo,
concretamente, se busca que los clérigos de toda España, sobresalientes en ingenio y en
piedad, tengan todo lo necesario para llevar a cabo los estudios eclesiásticos superiores y de
ese modo, con las armas de la ciencia y de la verdad, puedan luchar fuertemente contra los
innumerables enemigos que los tiempos difíciles puedan presentarles39. A todos se les dio sus
correspondientes Estatutos, y así seguirían funcionando hasta l93l. Pero la pobreza de medios,
la diversidad de programas de estudios, la anárquica distribución y extensión de asignaturas
que imposibilitaba su recta coordinación, unido a la falta de profesores y a la facilidad y
abundancia de los grados que se concedían, todo ello hizo que quedaran muy por debajo de
sus primeros objetivos.
La Constitución apostólica Deus scientiarum Dominus de Pìo XI que impuso más
exigente normativa a las universidades y facultades eclesiásticas (24 mayo l93l)40 puso de
manifiesto la precariedad de estas facultades, puesto que ninguna, fuera de la de Comillas)
pudo responder a las exigencias impuestas, y todas desaparecieron a un tiempo como tales.
También sucumbió la de Salamanca, a pesar de su intento de adaptar Estatutos y normas con
un “Specimen Statutorum Pontificiae Universitatis Catholicae Salmanticensis”, y en el art. l
se designara a sí misma como “ Pontificia studiorum ecclesiasticorum Universitas
Salmanticensis”.
Este recentísimo fracaso fue subsanado apenas concluida la guerra civil española
(l936-l939) en el 25 de sept. de l940, Pío XII, a petición del episcopado español, erigió las
facultades de teología y derecho canónico en Salamanca, quedando restaurada de este modo la
El texto en CASTRO, La enseñanza: o.c., pp. l74-l80.
Ib., pp. l84-l87.
39 Estatutos aprobados el 30 sept. L896, cap. I, n.3 ( Ib. p. l89).
40 Enchiridion Clericorom, nn. 176l-l807. Cf. F. MARTÍN HERNÁNDEZ, La formación clerical en la Iglesia
l966) pp. l56 s.
37
38
(Barcelona
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vieja universidad pontificia. El acto inaugural se tuvo el 6 de noviembre siguiente, y tuvo el
discurso de apertura el obispo de Salamanca don Enrique Plá y Deniel y en él dejó plasmados
el carácter y las peculiaridades que habría de tener en adelante la universidad. “Nuestro
intento –dijo- es empalmar con las facultades del siglo XVI, continuar la antigua tradición
salmantina”, para lo cual contamos con “maestros el clero secular y regular de toda España,
alumnos también de uno y otro clero de toda España y de naciones hermanas, sobre todo de
Portugal y de América española”. Es necesario, continuó diciendo, “laborar por el
reflorecimiento de los estudios eclesiásticos en España, según la doctrina católica; dar a los
alumnos no sólo una instrucción más elevada, sino formarles para el magisterio y la
investigación científica”, siguiendo “ al Angélico Doctor en cuanto al método, doctrina y
principios, en los estudios de teología”. Preocúpense – se dirige especialmente a los
profesores- de que la antigua sabiduría se confronte con los nuevos inventos”, evitando “todo
contagio de modernismo dogmático y de relativismo o modernismo moral, jurídico y social”,
Hemos de trabajar, siguiendo la consigna de Pío XII, “ ilustrados por la verdad de Cristo y
encendidos de la caridad de Cristo”.
En su primer año de vida –curso l940-l94l- se matricularon en la facultad de teología
22 alumnos y solamente eran l3 los profesores, En el curso l963-l964, sin contra los institutos
y centros afiliados, el número subió a 485. A partir de l943 se organizan los llamados cursos
complementarios o superiores para los alumnos que habiendo estudiado ya la teología en
seminarios o casas religiosas de estudios, desearan acceder a los grados académicos. Se crean
también una serie de centros e institutos agregados a la facultad. El primero fue el Centro de
Estudios de Espiritualidad, en l95l, que desde el principio fue organizando semanas y
congresos de espiritualidad y publica la colección titulada “Espirituales españoles”, que
cuenta ya con numerosos volúmenes. Poco más tarde, en l955, se crea el Centro de Estudios
Bíblicos y Pastorales. A fines de este mismo año nace el Instituto de Pastoral, que más tarde
pasará a Madrid, en l964, que pasará más tarde a Madrid, en l964, y es incluido en la facultad
de teología por decreto de la S. Congregación de 3l de mayo de l967, con facultad para dar
grados académicos.
En noviembre de l957 se crea el Centro femenino de Estudios Teológicos, que es
agregado poco después al pontificio instituto “Regina mundi” de Roma, con facultad para
conceder diplomas para enseñar religión en las escuelas primarias y secundarias. En
diciembre de l963 se instituye el Instituto de Historia de la Teología Española, para promover
estudios de investigación y activar publicaciones. Conviene mencionar también el Instituto de
Ciencias Religiosas “San Pío”, perteneciente a los Hermanos de las Escuelas Cristianas,
inaugurado en Salamanca en l955, y que por decreto de la S. Congregación de l9 de abril de
l965, es incorporado a la facultad de teología para conferir los grados de bachiller y licenciado
en ciencias religiosa. Asimismo, el Centro Ecuménico “Juan XXIII”, el cual inicia sus
actividades en noviembre de l962 y en l967 es erigido en Centro Ecuménico de la Universidad
Pontificia. Finalmente, han de añadirse las filiaciones que se hacen, hasta l962, a la facultad
de teología de los seminarios de Vitoria (l956), León (l959) y Zaragoza (l960). En virtud de
esta filiación los alumnos de estos centros, que sigan el plan de estudios aprobado por la
Universidad, podían obtener el título de bachiller en teología. Sin embargo, para los cursos de
licenciado y doctorado, “habrán de cursar los años correspondientes, bien sea en Salamanca,
bien en otra universidad canónicamente elegida”. La revista Salmanticensis corre, desde un
principio a cargo de la facultad 41.
Datos recogidos en F. MARTÍN HERNÁNDEZ, “ La Universidad Pontificia ”, en Salamanca. Goegrafía. Historia.
Arte. Cultura (Salamanca l986) pp. 20l-2l6.
41
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7. Otros centros de estudios superiores (hasta l962)
Una breve reseña.
a) Convento-facultad de San Esteban, de Salamanca.
El convento de dominicos de Salamanca, estuvo muy unido siempre a su célebre
universidad. Restaurado el convento en l880, después de la exclaustración, volvió a ser en
l892 la sede de los estudios teológicos de la provincia dominicana de España. El l5 de nov. de
l947 era erigido en Facultad Pontificia de Teología para los estudiantes dominicos en aquel
momento42.
b) Oña (Burgos), después Bilbao (de PP. jesuitas)
Los Estudios flosófico-teológicos de Oña tienen su primera apertura de curso el 3 de
oct. De l880. Desde sus comienzos podían conferir, y de hecho conferían, los grados
académicos en filosofía y teología. Cuando en l932 se decreta la disolución de la Compañía
de Jesús en España, los Estudios se trasladan a Marneffe (Lieja, Bélgica). En agosto de l938
vuelven los estudiantes a España; siguen en Oña hasta que en el verano de l966 la facultad de
teología se traslada a Bilbao, integrándose en la universidad de la Iglesia de Deusto,
concediéndose la apertura total a toda clase de alumnos. Junto con la facultad de filosofía
publica la colección Estudios Onienses, cuyo primer volumen apareció en el año l940. Desde
entonces, hasta el año l963, han visto la liz pública l6 volúmenes, con diversos estudios de
filosofía o de ciencias sagradas.
c) San Cugat del Vallés ( Barcelona)
Su fundación data de l864 en que comenzó el curso escolar en el arrabal del Jesús, de
Tortosa (Tarragona). Como consecuencia de la revolución de l868, la facultad, con los
estudiantes jesuitas, anduvo errante por diversas ciudades de Francia y España. Pasaron
después a Sarriá, Barcelona. Volvieron al destierro en l932, y en agosto de l939 otra vez se
instalaron en Sarriá, hasta que en l949 se inaugura su nueva sede en San Cugat del Vallés,
cerca de Barcelona. A pesar de las disposiciones dadas en la Deus Scientiarum Dominus, fue
reconocida por la Santa Sede como facultad para dar grados de dostorado en teología.. Entre
sus publicaciones periódicas se cuentan las revistas Unitas y Selecciones de Teología.
d) Granada
Fue erigida el 3 de diciembre de l939 para los alumnos de la Compañía de Jesús, que
es la que rige la facultad. A petición de algunos obispos andaluces, extendió la potestad de
concede grados (licenciatura y doctorado) a los alumnos de las diócesis que componen la
provincia eclesiástica de Granada, así como los provenientes de otras órdenes religiosas..
Dentro de la facultad se fueron integrando: el Instituto de Estudios postridentinos, cuyo
órgano es el anuario Archivo Telógico Granadino; el Instituto de Pegagogía religiosa, el
Centro de Estudios Patrísticos, etc. Publica las colecciones siguientes: Biblioteca Teológica
VV AUTOTES, La Facultad Teológica de San Esteban en Salamanca. Memoria de su erección e inauguración
l948).
42
(Salamanca
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Granadina, empezada en l939; Cuadernos de Teología, empezada en l962; Centro de Cultura
Religiosa Superior, empezada en l940; Discursos inaugurales, empezada en l939. También
edita, además de Archivo Teológico Granadino que empezó en l938, la revista Proyección, de
proyección teológica, que comenzó en l954.
e) Avila
Como insatituto fue erigido por los PP. dominicos en el convento de Santo Tomás de
Ávila en l963, en cuanto agregado a la Universidad de Manila en su facultad de teología:
Pasaría después al convento de San Pedro Mártir de Madrid. Tiene la publicación periódica
Studium, junto con la facultad de filosofía de los mismos dominicos.
f) Otras instituciones.
Conviene señalar el Instituto Francisco Suárez de Teología, dentro del Consejo
Superior de Investigaciones Científicas, de España, de l940, el de Enrique Flórez, con su
departamento de Misionología, del mismo Consejo, de l944, con revistas especializadas como
Revista Española de Teología, Estudios bíllicos, Hispania Sacra y Missionalia Hispánica. En
la iglesia de Montserrat, de Roma, se constituyó el año 1950, un Instituto de Estudios
Eclesiásticos que, posteriormente, en l962, se convirtió también en Instituto Español de
Historia Eclesiástica, continuadores ambos, de alguna manera, de la Escuela Española de
Teología, Historia y Paleografía. Su revista especializada lleva por título Anthologica Annua.
Estos centros de estudio e investigación, con los que les siguen desde l962, fueron
adquiriendo renombre y favorecieron grandemente a los estudiosos de teología en España y
fuera de ella.
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FONDATION DE L’UNIVERSITE CATHOLIQUE DE DUBLIN
Prof. Yvette HILAIRE,
Université Charles de Gaulle, Lille III, France.
Lorsque John Henry Newman est pressenti, en 1851, pour fonder l’Université
catholique de Dublin, le climat politique de l’époque est marqué par une certaine tolérance à
l’égard des catholiques irlandais. En effet, Robert Peel a fait voter par le Parlement anglais
l’Acte d’Emancipation des Catholiques, en 1829. Et O’Connell, après avoir dirigé dans les
années quarante une agitation qui aurait pu mener à la révolution, dira finalement : « Notre
religion est de Rome, notre politique d’Irlande ». Religion de Rome car, en Angleterre, la
hiérarchie catholique, avec treize évêchés, sera rétablie par Pie IX en 1850. D’autre part, le
Cardinal Wiseman, ancien Directeur du séminaire anglais de Rome, rentré en Angleterre en
1835, est alors archevêque titulaire de la Cathédrale de Westminster et, en raison de ses liens
avec le Saint-Siège, a une influence prépondérante sur le renouveau religieux.
Dans son Idée d’Université (II), au chapitre sur l’Impiété contemporaine, Newman
écrit : « En une telle époque il est possible de fonder une université ostensiblement
catholique ». Mais avant de la fonder, il devra, malgré la tolérance qu’il constate, malgré des
circonstances politiquement plus favorables, prendre en compte la réalité du système éducatif
universitaire tel qu’il est alors en Irlande. C’est par rapport à cette réalité qu’il va élaborer sa
propre conception de l’université et, tout particulièrement, de l’Université catholique de
Dublin.
Son projet est exposé, essentiellement, dans ce qui deviendra, en 1889, l’édition
définitive, revue par Newman (il meurt en 1890), de L’Idée d’Université. Ce volume réunit,
en deux parties, des conférences demandées en 1851 par le Dr Cullen qui sera à l’origine de
l’idée de fondation de l’Université de Dublin. Les cinq premières de ces conférences ont été
rédigées et prononcées entre le 10 mai et le 7 juin 1852 ; elles deviendront, sous le titre
University teaching, la première partie de L’Idée d’Université. Quatre autres conférences les
complèteront, rédigées entre le 31 juillet et le 20 novembre de la même année (1852). Elles
deviendront, sous le titre University subjects la deuxième partie de L’Idée d’Université. La
première publication de ces neuf conférences aura lieu en février 1853 avec pour titre :
Discourses on University education. Dans ces discours, Newman va développer ce qu’est
pour lui l’Université, en partant de l’état des lieux en Irlande, puis en exposant ce que devrait
être, à ses yeux, une Université. Il présentera enfin ce qu’est l’Université catholique selon son
cœur et en accord avec sa foi.
Paradoxalement, c’est un texte rédigé par Newman, avec recul et sérénité, vingt ans
après la fondation de l’Université de Dublin, qui sera notre point de départ. En effet le
Memorandum sur ma relation avec l’Université catholique, écrit entre 1870-73, retrace les
différentes étapes du parcours effectué par Newman de 1851 à 1858.
La première de ces étapes est sa rencontre avec Paul Cullen, alors Recteur du Collège
irlandais de Rome. En effet, en 1846-47, Newman fait dans cette ville son noviciat
d’Oratorien au monastère de Santa Croce. Le Dr Cullen deviendra, en 1849, archevêque
d’Armagh et d’Irlande puis, en 1852, évêque de Dublin. C’est alors qu’il fait à Newman la
proposition de fonder l’Université catholique de Dublin. « Quand on décida de créer en
Irlande une université catholique, il [Cullen] m’envoya une lettre pour me consulter ». En
142
1851, « il me demanda par écrit de le conseiller … et m’invita à venir donner une série de
conférences à Dublin sur l’éducation mixte » - c’est-à-dire la même éducation religieuse pour
tous, quelle que soit la religion de chacun. Après ce coup d’envoi, divers épisodes vont
retarder la fondation de l’Université, comme le rapporte Newman lui-même : « Nommé
recteur en 1851, c’est seulement en novembre 1854 que j’ai pu organiser la première rentrée
universitaire ».
Il est impossible de mentionner tous les obstacles que rencontre Newman au cours de
ces trois années. Nous négligerons les divergences concernant le lieu d’implantation, la
désignation du corps professoral et retiendrons deux des difficultés rencontrées, les plus
sérieuses en fait. Difficultés qui tiennent, tout d’abord, à Newman lui-même : il est converti
de fraîche date (1845), d’où la méfiance des catholiques convaincus d’Irlande. De plus, il ne
connaît pas le pays où il va se fixer, il arrive en parfait étranger et mentionne « son
ignorance ». Ceci ne peut manquer de susciter « suspicion et préventions », comme il le dit
lui-même, dans une population qui ne lui est pas acquise, non plus d’ailleurs qu’à l’idée de la
fondation d’une université. Population qui « pour être catholique n’en était pas moins
indifférente à cette entreprise ».
D’autre part, la hiérarchie catholique irlandaise était divisée quant à l’opportunité
d’un tel projet. Chacun de ses membres a son propre point de vue et Newman se voit
confronté à des prises de position contradictoires. Au sommet de cette hiérarchie locale, se
trouve l’évêque catholique de Dublin, le Dr Murray qui, selon Newman, manifeste de
« l’hostilité » à l’égard de l’entreprise. Providentiellement, notons-le au passage, le Dr
Murray mourra en 1852. « Il levait un sérieux obstacle placé sur notre route », écrira
Newman. Cullen remplacera le Dr Murray le 1er mai de la même année comme évêque de
Dublin.
Mais revenons un peu en arrière. Le 12 novembre 1851, la Commission universitaire
en charge de désigner un président pour l’Université catholique décide de demander à
Newman d’accepter cette fonction, et Newman de conclure simplement : « J’acceptai ce
poste ». Cette acceptation ne règle malheureusement pas tous les problèmes. En effet, avant
de prendre ses fonctions, Newman souhaite être « reconnu officiellement » et ceci « dès à
présent ». Il réclame une autorisation formelle d’ouvrir l’université car, dit-il : « Toute
université est un organisme public. En fonder une constitue donc un acte public ». La
reconnaissance officielle doit, bien entendu, venir du Saint-Siège. Commence alors une suite
d’hésitations, d’atermoiements, voire de réticences, que l’on peut suivre à travers la
correspondance que reçoit Newman de divers évêques, dont Cullen, qui est le premier à
manifester des réserves ; lorsque Newman propose de se rendre immédiatement à Rome,
Cullen lui répond que ce n’est pas souhaitable.
C’est donc vers les Cardinal Wiseman que Newman va alors se tourner. Il lui écrit à
Rome, le 2 janvier 1854. Or, avant la réception de cette lettre, Wiseman, lors d’une audience
accordée par le Pape, a déjà abordé le sujet de l’université nouvelle. Il en rend compte à
Cullen, le 27 décembre 1853, en ces termes : « Sa Sainteté … m’a entretenu à plusieurs
reprises de l’université en manifestant à son égard le plus vif intérêt et même une certaine
inquiétude. Il a grande envie de la voir ouvrir et est disposé à faire jouer son autorité pour
venir à bout de tous les obstacles ». On pourrait donc croire que tout est réglé. En fait, il
faudra attendre encore quelques mois pendant lesquels on parlera beaucoup d’un bref qui doit
être rédigé et qui, pour de multiples raisons, ne l’est toujours pas. Wiseman, le meilleur
informateur et le plus favorable à Newman, résume la situation dans une lettre de février
143
1954 : « J’espère que vous garderez bon moral et ne vous laisserez pas décourager ». Sans
commentaire !
Suit un nouvel imbroglio ; le Pape projette de nommer Newman évêque mais on y
sursoit. Dans une lettre du 12 juin 1954, Newman écrit : « On a estimé préférable d’attendre
que l’université ait une existence officielle ». Les choses n’ont donc pas beaucoup avancé
malgré les démarches et les interventions. Newman reste serein cependant et avec le recul
juge ainsi la situation : « Je me demande ce qui se serait passé si j’avais refusé … d’être
installé dans mes fonctions de recteur tant que je n’étais pas consacré évêque », et d’ajouter :
« finalement, j’y vois la main de Dieu … Je n’aurais jamais eu la possibilité de démissionner
si j’avais accepté une telle récompense ».
En effet, après quatre ans de dévouement à l’Université catholique de Dublin, enfin
fondée par le bref du 20 mars 1854, Newman démissionnera en 1858, et ce, sept ans jour pour
jour après sa nomination comme Recteur en 1851. Le bref était « la quatrième intervention
officielle du Saint-Siège manifestant sa volonté de créer une Université ». Le moment est
donc venu pour Newman de s’exprimer, comme le lui a demandé Cullen, sur l’éducation
mixte, système qui prévaut alors dans les universités anglaises et irlandaises comme nous
allons le voir.
Qu’est-ce donc que cette éducation mixte qui va fournir l’occasion à Newman de
développer ce que ne doit pas être une université ? L’éducation mixte est celle que reçoivent,
sans distinction aucune, protestants et catholiques dans les universités anglaises existant
alors. En effet, à Oxford et Cambridge, les « religious tests » imposés à tous les étudiants,
catholiques inclus, portent sur la religion officielle, l’anglicanisme. Pour accéder à ces
universités, les catholiques sont donc obligés de se conformer aux principes d’une religion
qui n’est pas la leur. En Irlande, cette éducation mixte est aussi dispensée à Trinity College,
Dublin. L’université, mise en place en 1831, est le seul établissement existant jusqu’en 1845,
date à laquelle le gouvernement britannique fera un geste de bonne volonté à l’égard des
Irlandais en créant, à Belfast, cette fois, la Queen’s Univesity of Ireland que l’on peut
qualifier d’université laïque. Néanmoins malgré la tolérance dont procède cette fondation, le
caractère séculier des Collèges de la Reine ne règle que partiellement le problème, les
catholiques ne recevant toujours pas d’enseignement religieux qui leur soit propre.
Devant cet état de fait, Rome réagit et voit la nécessité de fonder une Université
catholique. Dans son Memorandum, Newman écrit : « En guise de remontrance à l’égard de
ceux des évêques qui se montrent peu disposés à faire du zèle contre les Collèges de la
Reine … le bref exhorte les évêques à ne reculer devant aucun effort pour mettre le plus vite
possible à exécution le projet d’Université catholique ». Il s’agit là du bref publié deux ans
avant celui de la fondation de cette université, en 1854, à la faveur duquel Newman se rendit
en Irlande pour prendre ses fonctions et combattre l’éducation mixte dans la série de
conférences que Cullen lui avait demandé de faire, à l’inverse, en vue de prôner cette
éducation.
L’éducation mixte n’est cependant pas la seule caractéristique négative et néfaste que
Newman va dénoncer car il va se trouver confronté à d’autres théories en matière
d’éducation. Dès le Discours V, il va s’élever contre la « philosophie de l’utilité » dont
Jeremy Bentham a été le théoricien le plus en vue. Le principe fondamental de cet utilitarisme
est que l’essentiel de la vie est « d’ajouter au bonheur des autres », comme l’a dit Hume, ou,
selon la formule consacrée, de procurer « le plus grand bonheur possible au plus grand
144
nombre ». Newman considère Francis Bacon comme le prophète de cette philosophie, reprise
par Locke en 1693. Ce dernier l’appliquera à l’éducation dans Some thoughts concerning
Education de la façon suivante : « faire acquérir aux enfants ce qui leur sera utile dans la vie
… dans leur profession ou leur future occupation » (Discours VII).
Dans le prolongement de cette philosophie, au début du 19e siècle se situe la
controverse qui s’est établie entre la Revue d’Edinburgh qui faisait alors autorité et les
tenants de la tradition d’Oxford, et à laquelle réagira Newman. Pour lui, les rédacteurs de la
Revue sont des disciples de Locke qui déclarent que « rien de bon ne sortirait d’un système
qui ne se fonderait pas sur l’utilité ». En 1809, ils ont attaqué ce qui est la base du système
d’éducation à Oxford, c’est-à-dire les études classiques auxquelles Newman sera tellement
attaché, comme fellow puis tutor à Oxford. La Revue d’Edinburgh aurait pu faire sienne cette
phrase de Locke : « Quoi de plus ridicule … que faire étudier la langue des Romains … que
[l’élève] n’utilisera jamais durant tout le cours de sa vie ».
Enfin, plus près du Newman fondateur de l’Université, l’inauguration de la
Bibliothèque de Tamworth lui donnera l’occasion de s’exprimer sur ce que ne doit pas être
l’Université. Le 19 janvier 1841, Robert Peel, plusieurs fois député de Tamworth
(Staffordshire) est chargé de faire le discours d’inauguration. Il y développe une « théorie
morale et religieuse » de l’Université. Pour Peel, au savoir est associée la vertu. C’est ce
contre quoi va s’élever Newman, dans une suite de lettres adressées au Times, réfutant l’idée
que « en devenant plus sage, c’est-à-dire plus instruit, mieux informé, un individu devient
meilleur » et que « les joies du savoir contribuent au progrès intellectuel et moral de la
communauté ». Evidemment Newman ira au-delà de cette position négative et, dans les
Discours qui traiteront de la fondation de l’Université catholique de Dublin, il élaborera un
vaste projet nuancé, longuement médité, qui prendra en compte les divers aspects de
l’Université catholique qu’il envisage de créer.
Quelle devrait donc être l’Université selon Newman ? Il en donne plusieurs
définitions, il y revient maintes fois dans ses écrits, les Sermons universitaires, L’Idée
d’Université (II), aussi bien que dans son Memorandum de 1870-73. Une des formulations
qui résume sa conception peut être cette phrase tirée de la neuvième conférence de L’Idée
d’Université (II) : « L’Université doit être un endroit où l’on met des hommes du monde en
condition d’affronter le monde … Nous pouvons les préparer à affronter l’inévitable, c’est-àdire Babel », ce monde où il faut éviter de « lancer libres » les étudiants au milieu de
l’impiété multiforme de l’époque.
Newman va donc exposer sa conception de l’université comme institution, mais
surtout l’idée qu’il se fait de l’homme qu’elle doit former. Le terme d’éducation libérale
résume l’idéal newmanien. « Que signifie exactement cet épithète ? se demande-t-il. « Dans
son sens, grammatical, répond-il, elle est l’antithèse du mot servile » ; par œuvre servile, on
entend, comme nos catéchismes l’enseignent, le labeur corporel, le travail manuel et toute
activité de ce genre où l’esprit a peu ou point de part ». C’est ce qu’Aristote, dans sa
Rhétorique (I5) a déjà dit :« Parmi les biens que nous possédons, sont plus particulièrement
utiles ceux qui produisent du fruit et libèrent ceux qui procurent du plaisir ». Ainsi
l’éducation libérale repose sur le sens de la gratuité dans l’acquisition d’une connaissance qui
se suffit à elle-même, sans référence à quelque objectif intéressé. Cette position va bien à
l’encontre du savoir utile.
145
Newman abordera l’éducation libérale de façon plus positive dans le Discours VI :
« L’éducation libérale, considérée en elle-même, n’est rien d’autre que la culture de l’esprit
comme telle et ne vise à rien de plus ou de moins qu’au perfectionnement de l’intelligence » ;
il va plus loin encore, explicitant ce qu’est « l’élargissement de l’esprit », formulation chère à
Newman. Cet élargissement n’existe que « lorsqu’il y a cette puissance d’envisager plusieurs
objets d’un seul coup et comme un tout. C’est le pouvoir de mettre chaque chose à sa vraie
place dans un système universel » (Sermons Universitaires, XIV-29). Qui détient donc cette
puissance, ce pouvoir ? C’est la philosophie au sens newmanien du terme, c’est-à-dire non
pas la philosophie en tant que matière enseignée, comme nous l’entendons aujourd’hui, mais
« la saisie intellectuelle des choses », dit Newman, « elle est la raison qui s’exerce sur nos
connaissances ». L’ensemble des sciences est une philosophie qui embrasse toutes les vérités
et enseigne la méthode à suivre pour atteindre chacune. Elle est « une sorte de science des
sciences » ; la conception de Newman est ici fortement inspirée par Aristote dans sa
Métaphysique (I2).
Nous sommes au cœur de la conception newmanienne de l’université dont les
caractéristiques à rechercher sont Universalité et Unité : « Représentez tout ce que peut être
une science des sciences, vous aurez une juste idée de ce qu’une université cherche à
réaliser ». Autour de cette science supérieure viendront se rassembler les autres sciences pour
faire un cercle parfait, celui de la connaissance universelle. Ainsi se crée une organisation
interne des parties en un tout, en un système, comme le dit souvent Newman. Il faut
considérer « les sciences comme si elles n’en formaient qu’une », elles sont interdépendantes
mais ne doivent pas empiéter les unes et les autres, car alors l’équilibre serait rompu, le cercle
parfait se briserait, et la recherche de la Vérité en souffrirait si « l’affinité intime entre les
branches du savoir » était détruite. « La seule garantie de la vérité est de prendre en compte
toutes les sciences, chacune à sa place », c’est là le rôle d’une Université.
Une telle conception est, évidemment, sous-tendue par l’idée de Culture, qui va bien
au-delà de la simple acquisition du savoir. Elle est l’assimilation du savoir par l’esprit, grâce
à la formation diversifiée que dispense l’Université. Transmission du savoir et éducation de
l’intelligence ont leur point de jonction dans la culture, cette culture qui, pour Newman, se
fonde essentiellement sur la notion de Civilisation. Il développe cette idée fondamentale, en
particulier dans L’Idée d’Université (II), chapitre I : « Nous ne faisons que perpétuer les
vénérables méthodes destinées à élargir l’esprit, cultiver l’intelligence et affiner les
sentiments, ce qui a toujours constitué le processus de la Civilisation ». L’idée de Civilisation
domine toute la deuxième partie de L’Idée d’Université et il est impossible de la développer
dans le cadre de cette communication. Pour faire bref, disons que c’est l’enracinement de la
civilisation qui retient ici notre attention. Newman la localise dans l’espace et constate qu’elle
se confond, dans ses origines, avec le classicisme. La source et l’école de la culture de l’esprit
sont en Grèce, à Athènes, avec Homère et Aristote. Mais une autre source, plus lointaine, plus
au sud et d’un ordre différent se trouve à Jérusalem : « Jérusalem est la source de la
connaissance religieuse comme Athènes celle du savoir séculier ». Enfin, ces deux savoirs,
profane et sacré, vont se rencontrer à Rome « héritière de la tradition de Moïse et de David
dans l’ordre surnaturel et de la tradition d’Homère et d’Aristote dans l’ordre naturel »,
« séparer ces enseignements distincts, l’humain et le divin qui se rejoignent à Rome, c’est
régresser ».
Pour que ces deux enseignements ne soient pas séparés une Université catholique est
indispensable. Les analogies que Newman voit entre la Civilisation telle qu’il la conçoit et le
christianisme doivent permettre cette cohabitation car, même si la première est antérieure au
146
second, le christianisme « ne tarda pas à s’intégrer à la Civilisation qui l’accompagne ».
Chacun a, dès l’origine, ses propres livres qui sont à la fois le fondement et les instruments de
l’éducation qu’il dispense : les classiques d’une part, les textes inspirés de l’autre. Une
université catholique se doit donc de faire la synthèse entre ces deux courants fondamentaux
si elle veut remplir son rôle propre. « Certains disent qu’il faut supprimer la religion de
l’enseignement universitaire … ils ne savent pas ce qu’est une université », (Discours VIII :
« Le savoir et le devoir de religion »). Et Newman, dans le Discours IX, 8, se montre
véhément : « Je ne me satisferai pas de deux systèmes autonomes, l’intellectuel et le
religieux, se développant côte à côte et rapprochés de manière accidentelle ». « Je veux loger
sous le même toit la discipline intellectuelle et morale ». « Je veux que l’intellectuel laïc soit
religieux et que le pieux ecclésiastique soit intellectuel ».
Nous sommes loin de l’idée du Dr Cullen disant que l’Université catholique de
Dublin doit viser à former des laïcs pour qu’ils deviennent « de bons paroissiens soumis au
clergé » c’est-à-dire sans grande personnalité, sans liberté de penser par eux-mêmes.
Dans cette perspective de la formation d’un intellectuel ayant reçu une solide
éducation religieuse, Newman va donner sa place à la théologie considérée comme une
branche du savoir, au même titre que les autres disciplines profanes. Aucun traitement de
faveur n’est réservé à la théologie dans cette université catholique, car la notion d’ensemble
qui fait l’unité de l’enseignement est à respecter ; je cite : « Posons en règle générale
qu’aucun système de régence purement religieux, au mépris de la raison, ne réussira à
s’imposer contre l’école ». En conséquence, science et religion ne s’opposeront pas et
« comme elles ne peuvent entrer en conflit, elles n’ont pas besoin d’être réconciliées ». Quant
aux disciplines littéraires, elles incluront la littérature catholique, ce qui ne veut pas dire une
littérature traitant de sujets catholiques. C’est la façon de la traiter qui différera lorsqu’un
catholique aura la charge de l’enseigner. Et là une distinction s’impose : « un catholique ne
veut pas obligatoirement dire un ecclésiastique ; si c’était le cas, une Université serait un
séminaire ou une école de théologie », ce que le Dr Cullen aurait souhaité qu’elle fût.
Enseignement profane et enseignement religieux iront de pair sur un pied d’égalité, et
sans décalage entre connaissances profanes et connaissances religieuses, comme c’était le cas
pour les catholiques dans le cadre de l’éducation mixte. Pareil décalage les met en état
d’infériorité lorsqu’ils affrontent le monde extérieur, « monde de protestants invétérés qui,
dans la mesure où ils sortent d’établissements protestants connaissent bien,
proportionnellement à l’ensemble de leur savoir, les doctrines et les thèses du
protestantisme ». Il est donc capital pour les catholiques d’avoir « une large connaissance de
sujets doctrinaux tels qu’on les trouve dans les catéchismes de l’Eglise ».
Le Discours IX, dans L’Idée d’Université, qui a pour titre Obligations de l’Eglise à
l’endroit du savoir, pose la question des rapports Eglise-Université. Newman est clair : « là
où est la théologie, là doit être l’Eglise », et il insiste sur la présence de cette dernière dans
l’Université. Présence ne signifie pas que des ecclésiastiques soient physiquement présents,
elle ne signifie pas non plus que l’Université doive « foisonner en chaires de théologie ».
Cette présence serait plutôt un « éclairage religieux » du savoir profane, ou un souffle venant
se poser sur l’enseignement donné. Enseignement religieux en particulier au sujet duquel
Newman dit : « J’aimerais que les établissements appliquent leur esprit à des sujets religieux
tels qu’en traitent réellement des laïcs ».
147
Dans cette perspective, le choix des professeurs est capital et Newman, dans le
chapitre IX de L’Idée d’Université (II) évoquera, devant les étudiants des cours du soir, ce
qui caractérise à ses yeux les professeurs de l’université catholique : « leur amour du bien
public, leur noble et libre dévouement à l’Université », leur rôle sera de faire « de la
population des grandes villes, des chrétiens exemplaires et éclairés ». Les enseignés seront la
preuve vivante que les connaissances profanes et l’intelligence ne sont pas incompatibles
avec une foi solide dans les mystères de la Révélation. Révélation qui, dans le siècle de
Newman, est confrontée au progrès dans de nombreux domaines, aux rapides avancées de la
science. C’est pourquoi ce que Newman appelle « une juridiction active et directe dans et sur
l’université » est nécessaire en raison du but même qu’ont le Saint-Siège et l’Eglise
catholique en fondant des universités, à savoir : « réunir des valeurs que Dieu, au
commencement, avait jointes et que les hommes ont séparées » (Discours IX). Enfin
Newman précise l’idéal qu’il prône : « Si la foi catholique est l’expression de la liberté, il ne
saurait exister d’Université en dehors du giron de l’Eglise car n’enseignant pas la théologie
catholique, une telle université n’enseignerait pas le savoir universel ». Cette conception
intégraliste correspond certes à la pensée de Newman mais elle lui permet aussi de rassurer
ses interlocuteurs catholiques.
Tout n’est pas dit dans cette communication sur Newman et l’Université. En
particulier le contenu des différentes disciplines et la création des diverses facultés ne sont
guère évoqués. Il aurait aussi fallu développer les rapports des enseignants et des enseignés et
dégager davantage les traits spécifiques des professeurs laïques, intellectuels et religieux.
Nous avons préféré privilégier les rapports de l’Université, de la Culture et de l’Eglise
entre elles, en fonction du titre général du Colloque. Dans cette perspective deux mots
semblent devoir être retenus : Universalité et Unité, pour résumer la conception
newmanienne de l’Université et l’ambition qui la caractérise. La signification et l’ampleur du
programme que ces mots suggèrent nous amène à nous demander si le projet de Newman
n’est pas un idéal hors de portée, une sorte d’utopie, ou de vision, comme il l’écrit dans une
phrase extraite du Discours V de la première édition des Discours : « La majestueuse vision
que s’était fait de l’Université le Moyen Age, vision qui s’était perfectionnée au cours des
siècles, comme on l’a vu, à Paris, Bologne ou Oxford s’est presque perdue dans la nuit …
parce que [les hommes] ne savent plus ce que c’est que l’Unité ».
L’idéal newmanien a donc déjà été réalisé avant même la fondation de l’Université de
Dublin et, qui plus est, dans trois pays différents. Pourquoi alors ne pas espérer qu’à nouveau
l’expérience se réalise, même si les temps ont changé depuis le XIIIe siècle ? Pour nous
conforter dans cet espoir, tournons-nous vers la Constitution apostolique du 15 août 1990 sur
les Universités catholiques. Le Pape Jean-Paul II y reprend une citation de Newman qui trace
une ébauche de ce que l’enseignement universitaire doit apporter aux étudiants, à savoir :
« une mentalité qui dure toute la vie, dont les attributs sont la liberté, l’équité, la tranquillité,
la modération et la sagesse ».
148
LES UNIVERSITES CATHOLIQUES DANS L’ASIE EXTREME-ORIENTALE
Père Jacques Bésineau, s.j.
Sophia University, Tokyo, Japon
Faute de pouvoir couvrir l’ensemble de l’Asie, ma réflexion se limitera, au moins
géographiquement, à la chaîne d’archipels et de presqu’îles située sur les marches de ce que
nous appellerons, sans vouloir heurter les opinions politiques de quiconque, l’espace sous
influence américaine, c’est-à-dire les quatre pays de l’Asie extrême-orientale, partant des
Philippines, dans le Sud du Pacifique, pour aboutir dans le Nord, après l’île de Taïwan et la
Corée du Sud, aux îles du Japon, où se lève, comme on sait, le Soleil. On trouvera par ailleurs
en annexe les renseignements essentiels concernant les institutions créées avant 1962 aussi
bien dans cette région particulière que dans le reste de l’Asie.
Les quatre pays, qui vont servir de cadre à notre réflexion, présentent plusieurs traits
semblables. Suivant les mêmes principes d’une démocratie qui se veut libérale, ils ont plus ou
moins adopté un système d’éducation supérieure, proche de celui des États-Unis. C’est dire
trois choses : d’une part, parallèlement aux universités publiques, les universités privées,
catholiques ou autres, ont un droit légal d’existence et la possibilité dans certains cas de
recevoir, plus ou moins directement, une aide financière de l’État. D’autre part, toutes ces
universités sont structurées sur le même modèle, qui propose, à l’issue du secondaire, quatre
années de «college» (under-graduate studies), suivies, s’il y a lieu, de deux ou cinq années
d’études proprement universitaires (post-graduate studies). Enfin, sur le modèle anglo-saxon,
les universités favorisent et patronnent, outre les tâches de recherche et d’éducation, une large
variété d’activités extra-scolaires propres à chaque institution.
À ces similarités structurelles, s’ajoute une double particularité. C’est d’une part le
fait que l’anglais est la lingua franca des régions du Pacifique, et ensuite que beaucoup
d’universitaires de ces pays ont bénéficié de séjours d’études aux États-Unis. Tout cela crée
dans cet ensemble une certaine facilité de communication, qui avantage les universités
catholiques, déjà proches l’une de l’autre dans la communauté d’une même foi et d’une
semblable orientation apostolique.
Jetons d’abord nos regards sur l’archipel des Philippines. C’est là que vit la seule
nation d’Asie dont on peut dire qu’elle soit catholique religieusement et socialement parlant.
La foi y est en effet étroitement liée à la culture du pays, marquée par une souriante dévotion
et une patience inaltérable face à l’adversité. Aussi doit-on classer à part les universités
catholiques des Philippines dans l’Asie d’aujourd’hui et de demain; dans le cas précis,
l’adjectif «catholique» y garde son sens le plus pleinement authentique.
L’Université d’État de Manille est de toutes, cela va sans dire, la plus nombreuse et la
plus importante. Mais elle est entourée d’un grand nombre d’universités privées, surtout
catholiques. La plus ancienne est l’Université de Santo Tomas, dont la fondation remonte
jusqu’au temps de la colonisation espagnole et de la mission des Dominicains. Elle réunit
aujourd’hui à Manille plus de 30.000 étudiants. Ensuite s’étend une palette de huit universités
de plus de dix mille étudiants sous la responsabilité de nombreuses sociétés religieuses :
Récollets, Augustiniens, Frères des Écoles chrétiennes, sans oublier, à Manille, la plus
modeste des grandes universités, l’Ateneo de Manille, prise en charge par la Province jésuite
des Philippines, et de nombreux autres «colleges».
149
On s’étonnera peut-être de ce système de division du travail entre sociétés religieuses.
Il se trouve en fait que les structures universitaires ont épousé les structures de la très
ancienne évangélisation des Philippines, où pendant quatre siècles ont coexisté tous les
grands ordres missionnaires des Églises d’Europe. La coexistence ordinairement pacifique
connaît néanmoins des crises dont l’une, sans grande gravité, n’est autre que la finale de
basket-ball entre les équipes de La Salle et de l’Ateneo. Pour les autres, un même
attachement à l’Église tout entière, et une même fidélité au charisme propre à chaque Institut,
résolvent, disons, dialectiquement, les problèmes hérités d’une histoire longue, fervente et
respectable.
L’enseignement, donné jusqu’ici en anglais, à partir du secondaire, tend assez
rapidement à se faire en tagalog, adopté en 1946 comme langue nationale. Ce choix, fait par
un peuple libéré des contraintes d’un double passé colonial, mérite, il est bien clair, d’être
respecté. Pourtant on doit aussi remarquer que, dans l’ensemble de l’Asie, où l’Église
catholique est minoritaire, les Philippines ont souvent servi de refuge, d’ancrage, de foyer de
rencontre, à l’ensemble du monde catholique. L’évolution linguistique limitera, on peut le
craindre dans les perspectives actuelles, les possibilités d’échanges culturels qu’offraient
jusqu’ici les universités catholiques de l’accueillant archipel.
Quittons ces multiples rivages d’une nation qui nous est chère à plus d’un titre et
montons vers le Nord du Pacifique et un groupe de trois pays, l’île de Taïwan, longtemps
connue sous le nom approprié de Formose, la Corée, le Pays du Matin calme, qui l’est moins
depuis qu’il se trouve divisé entre deux régimes encore opposés l’un à l’autre, et le Japon.
Les deux premiers de ces pays, pour le meilleur et pour le pire, ont eu et ont encore avec le
troisième des relations privilégiées. Une même tradition confucéenne y anime en effet leur
vie sociale; leurs langues respectives ont de nombreux traits communs. Enfin, dans les trois
cas, un système centralisé régit l’ensemble des institutions scolaires, tout en laissant une large
autonomie aux établissements privés.
Taïwan a assuré la difficile et coûteuse mission de poursuivre, dans un pays où le
christianisme est très minoritaire, l’oeuvre des grandes universités chinoises d’avant le
régime de Mao Tse Tung, Universités de Beijing, de Tianjin et de l’Aurore à Shanghaï. Leur
oeuvre sembla anéantie, mais nous nous souvenons avec émotion du témoignage d’héroïque
fidélité à l’Église, de prêtres et de laïques chinois, anciens de ces Universités.
L’ancienne Université Catholique de Beijing s’est reconstituée à Taibei, sous le même
nom, Fujen, «Témoin du Jen». Le «Jen» est cette vertu fondamentale des éthiques
confucéennes, que chrétiens et non chrétiens assimilent aisément à la charité évangélique.
Sous l’autorité des évêques taïwanais, diverses congrégations religieuses, Verbe divin et
Jésuites en particulier, se partagent la responsabilité des différentes Facultés.
Est-il besoin de souligner l’importance de la mission de Fujen et des institutions qui
lui sont proches? Puisque le pire n’est jamais sûr, on peut imaginer un retour de Fujen dans la
patrie de sa naissance, dans une Chine rénovée et rajeunie.
La Corée du Sud a une population chrétienne proportion-nellement plus importante
que celle du Vietnam, mais jouit du privilège inappréciable de la liberté. Ce pays charnière
entre la Chine, le Japon, la Russie fut successivement colonie, théâtre d’un conflit
international, enfin victime d’un règlement diplomatique inique, qui soumet un même peuple
150
à deux États encore hostiles l’un à l’autre, mais ce pays se relève et se développe avec le
succès que mérite son énergie et sa courageuse fierté.
Dans ce cadre, l’Église prend sa part de l’effort commun. Deux universités
catholiques y sont nées après la guerre. L’une se situe à Séoul sous la direction de l’épiscopat,
en union avec l’Université du Sacré-Coeur, l’autre, grâce à l’aide initiale des Jésuites
américains du Wisconsin et de ceux de Tôkyô, s’est établie près de la Rivière de l’Ouest,
d’où son nom, Sogang, avec aujourd’hui dix mille étudiants. Dans un système très proche du
cursus académique du Japon, ces deux universités assumeront la tâche de former les élites de
la jeune Église coréenne et de soutenir son étonnant dynamisme.
C’est avec une satisfaction particulière que je vais maintenant vous présenter
rapidement les universités catholiques du Japon. En effet, très tôt après mon arrivée dans ce
pays, il m’a été donné de participer à l’effort considérable de ces universités dans le monde
japonais de l’après-guerre, avec le soutien exceptionnel de l’Église de ma génération,
notamment du très généreux archidiocèse de Cologne.
Dès la période de Meiji, vers la fin du 19ème siècle, de nombreuses Églises
protestantes fondèrent des universités au sens large du mot, et certaines sont encore
aujourd’hui florissantes. Ce n’est qu’au début du 20ème siècle, donc, si l’on peut dire, avec
un certain retard, que sur la demande expresse du pape Pie X, les Jésuites fondèrent à Tokyo
un Institut d’études supérieures. Vu les moyens dont ils disposaient et le climat politique qui
leur était alors peu favorable, cet Institut n’eut pas l’expansion qu’on lui souhaitait.
La fin de la guerre du Pacifique créa les conditions qui permirent un développement
remarquable des collèges et universités catholiques. Elles sont au nombre de seize, bien
davantage si l’on compte les «colleges» de deux ans, 28 environ. Peu de chose. Mais appuyé
sur un réseau dense d’établissements catholiques au niveau secondaire et primaire, cet
ensemble a un rayonnement moral, et une influence que je crois, en connaissance de cause,
pouvoir dire considérables.
Je ne mentionnerai concrètement que deux universités, de plus de dix mille étudiants,
celle de Jôchi (Sagesse) à Tokyo confiée aux Jésuites, et celle des Pères du Verbe Divin,
l’Université Nanzan à Nagoya. Ces universités ont atteint une sorte de sommet il y a une
dizaine d’années. Depuis lors, les conditions économiques et démographiques ont
doublement affecté le pays tout entier et la crise ne pouvait pas épargner l’ensemble de
l’enseignement supérieur, et donc les universités catholiques. La récession sévit, les
générations en âge d’aborder l’éducation universitaire ont diminué de près de moitié en un
demi-siècle, alors que l’aide de l’État en personnel et en ressources financières comme celles
des Églises diminue en raison inverse. De nombreuses universités publiques et surtout privées
seront obligées de fusionner ou de disparaître.
Les plus solides, par exemple celles que j’ai mentionnées, sont fermement disposées à
tenir bon dans cette crise qui ne peut être que passagère. Car elles ont conscience d’assurer un
service d’Église dans ce monde asiatique, où elles portent un indispensable témoignage.
Partout dans le monde d’aujourd’hui, où la vie publique est de plus en plus étrangère
aux valeurs spirituelles, à des degrés variables, il est difficile aux universités catholiques de
l’être, si l’on peut dire, intégralement. Le pluralisme, entendu en son meilleur sens, est
devenu la règle. Mais ce qui est déjà vrai dans les pays de tradition chrétienne l’est
151
incomparablement plus dans l’immense univers de l’Asie orientale, en deçà et au delà du
Gange, comme le disaient les missionnaires du 16ième siècle.
L’université catholique est un signe de la volonté des chrétiens de soutenir l’Église, et
les communautés, même très minoritaires, souhaitent que des instituts d’études supérieures
affermissent leur témoignage apostolique. Car le problème n’est pas directement d’ordre
religieux; le bouddhisme, le confucianisme font face aux mêmes difficultés. La vision du
monde, que véhicule la globalisation des connaissances, élimine, en fait plus encore qu’en
théorie, toute référence aux valeurs transcendantes qui fondent la foi religieuse de toutes les
croyances et le jugement éthique de toute l’humanité. L’Église, pour faire entendre le
message de salut universel qui lui est propre, se doit d’être aussi présente dans le monde des
lettres, des arts, des sciences et des techniques. Aucune discipline ne peut lui être étrangère.
C’est alors que le message évangélique, qui lui inspire sa vision du monde, pourra rayonner,
motiver et justifier sa recherche philosophique et théologique où chrétiens et surtout nonchrétiens reconnaîtront alors un message vraiment universel.
Dans ma conclusion, je voudrais rappeler le souvenir de Matteo Ricci, dont l’Asie
confucéenne fête deux anniversaires, en 2001 celui de son établissement à Beijing en 1601,
en 2002 celui de sa naissance en 1552. Il n’y a fondé aucune université, mais il a vécu,
malgré ou à cause de multiples expériences de pauvreté et d’humiliations, une existence qui
unit, en une vivante synthèse, la recherche scientifique et le zèle catéchétique. En grand
intellectuel de la Renaissance chrétienne, il ne voyait aucune contradiction entre sa foi, sa
prière, et sa recherche en philosophie morale et en mathématiques très largement appliquées.
Je ne sais s’il goûtait beaucoup la boutade célèbre qui invitait l’apôtre missionnaire à entrer
par la porte d’autrui pour le faire sortir par la sienne. Boutade certes, qu’il faut prendre
comme telle, et dont on peut sourire; mais prise à la lettre, elle justifierait aisément une
certaine habileté apostolique, une pieuse ruse, une manoeuvre détournée, en somme tout ce
qu’un Jésuite bien né abhorre dans le jésuitisme. Ricci quant à lui n’a jamais cru qu’il était
moins apôtre en partageant le savoir scientifique de l’Europe de son temps, et moins savant
en offrant dans son enseignement et dans sa vie un témoignage évangélique.
L’harmonisation des connaissances, ou pour mieux dire, leur récapitulation à la
lumière du Verbe divin, cet idéal de l’université catholique, est particulièrement nécessaire
dans le monde culturel de l’Asie extrême-orientale. Car, une longue tradition de syncrétisme
religieux et culturel a développé dans les cultures extrême-orientales une allergie à toute
pensée ou solution qui paraisse exclusive, à toute prétention à la vérité absolue, ce qui justifie
aisément un refus poli mais ferme de tout dogmatisme, ou de ce qu’on appelle ainsi. Et si l’on
estime l’Église pour son idéal moral et ses oeuvres, où l’éducation tient une large part, on la
soupçonne aussi volontiers d’intransigeance dans la possession exclusive de la seule vérité et
de secrètes velléités d’impérialisme culturel.
C’est ici qu’une relecture de la Constitution Apostolique Ex Corde Ecclesiae, reste
encore utile. «La recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si elle est menée
d’une manière vraiment scientifique et si elle suit les normes de la morale, ne sera jamais
réellement opposée à la foi : les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans
le même Dieu.» Longtemps, la philosophie (au Moyen Âge, une philosophie aux larges
frontières) passa pour l’«ancilla theologiae». À mon sens, l’image un peu vieillie devrait être
ainsi corrigée : lettres, arts, sciences, intelligence ecclésiale de la Parole sont toutes soeurs
d’une même famille où la théologie n’est pas tant la maîtresse de maison que la soeur aînée
aussi indispensable que leur mère commune, la Vérité. L’interaction vitale des deux ou mieux
152
des multiples niveaux de connaissance de l’unique vérité conduit à un plus grand amour de la
vérité elle-même, et contribue à une compréhension plus large du sens de la vie humaine et
de la fin de la création, dans une problématique accessible à cette condition à tout esprit
humain et à tous les cœurs de bonne volonté.
Cette conviction fut celle d’un Ricci, et de ceux qui l’ont suivi et ont témoigné à son
exemple de l’harmonie fondamentale entre les sciences et la foi chrétienne dans la société
chinoise. Ce qu’elle signifie encore aujourd’hui dans le monde immense des peuples
asiatiques, plus des deux tiers de l’humanité, représente une tâche qui requiert des témoins de
l’Évangile une puissante grâce d’espérance. Cette grâce exceptionnelle ne peut être autre que
celle de l’Église universelle agissant à travers ceux qu’elle envoie aux nouvelles frontières de
la Chrétienté.
153
ANNEXE
UNIVERSITES OU COLLEGES UNIVERSITAIRES
ETABLIS AVANT 1962
CATHOLIQUES D’ASIE
CHINE
La première institution d’enseignement supérieur catholique de Chine, l’Université
«l’Aurore» de Shanghaï, fut créée par les Jésuites en 1903. Reconnue par l’État en 1932, elle
comptait en 1937, 368 étudiants. La seconde fut l’Institut supérieur de Tianjin établi en 1923
à l’initiative encore une fois des Jésuites. La dernière, l’Université «Fu-Jen» de Pékin, ouvrit
ses portes en 1928. D’abord confiée aux Bénédictins, elle fut en 1933 prise en charge par les
Verbites. Elle comptait en 1937, 749 étudiants. Les trois institutions seront supprimées en
1950 par le nouveau gouvernement communiste. L’Université «Fu-Jen» sera reconstituée en
1961 à Taipei, capitale de la république de Taïwan.
CORÉE DU SUD
L’Université Sogang de Séoul fut établie par les Jésuites en 1960. Il existait déjà à ce
moment une université (Hyosong University) fondée en Taegu en 1952 par l’évêque du lieu.
INDE
Il n’existe pas en Inde d’universités catholiques comme telles : il n’existe que des
collèges universitaires tous ou presque affiliés à des universités d’État. Plus de 125 au total.
Seuls 65 de ces collèges existaient avant 1962, la très grande majorité d’ailleurs nés au
lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Avant 1939, les catholiques indiens ne
disposaient que de 18 institutions du genre, dont six seulement remontant au XIXe siècle et
parmi elles, le St. Joseph’s College (Trichinopoly), le St. Xavier’s College (Calcutta), le St.
Xavier’s College (Bombay), le St. Aloysius College (Mangalore) et le St. Joseph’s College
(Bangalore) établis respectivement en 1844, 1860, 1869, 1880 et 1882 par les Jésuites.
INDONÉSIE
La première université catholique d’Indonésie fut celle de Bandung (Universitas
Katholik Parahyangan) créée par l’évêque du lieu en 1954; la seconde, celle de Yogyakarta
(Sanata Dharma) mise sur pied par les Jésuites en 1955; les troisième et quatrième, celles de
Jakarta (Atma Jaya) et de Sarabaya (Widja Mandala), nées toutes deux en 1960 à l’initiative
de laïcs catholiques indonésiens.
JAPON
154
L’Université catholique de Tôkyô (Sophia Daigaku) fut fondée en 1913 par les
Jésuites et obtint la reconnaissance civile en 1930. L’Université du Sacré-Coeur, également
de Tôkyô, fut établie en 1948 par les Dames du Sacré-Coeur à l’intention d’une clientèle
exclusivement féminine. Une année plus tard naissait à Nagoya l’Université Nanzan (Nanzan
Daigaku) dirigée par les Verbites.
PHILIPPINES
Le pays compte une vingtaine d’universités catholiques, dont cinq nées avant 1962.
La plus ancienne institution existante est l’Université pontificale Santo Tomas à Manille
créée par les Dominicains dès 1611. Les Jésuites possédaient déjà à l’époque un collège, mais
celui-ci disparut en 1768 lors de leur expulsion des territoires espagnols. Revenus aux
Philippines au XIXe siècle, ils y créèrent l’Ateneo de Manila (Quezon City) reconnu comme
université en 1959. Une année plus tôt, une autre de leurs fondations, l’Ateneo de Cayagan
(Cayagan City), datant de 1933, avait obtenu ce même statut et avait pris le nom de Xavier
University. L’Université San Augustin (Iloilo City), dirigée par les Augustins, a été créée en
1904 et l’Université San Carlos (Cebu City) confiée aux Verbites remonte à 1948. Les quinze
autres universités établies par la suite, à trois exceptions près, existaient déjà en 1962 comme
collèges, entre autres, la future St. Paul University of Tuguegarao (Cagayan) établie en 1907
par les Soeurs de St Paul de Chartres, St. Louis University (Baguio City) fondée par les Pères
de Scheut en 1911, De la Salle University (Manille) créée la même année par les Frères des
Écoles chrétiennes, Adamson University (Manille) mise sur pied en 1932 par les Lazaristes,
Holy Angel University (Angeles City) établie en 1933 par la famille Nepomuceno et
l’University of Negros Occidental (Bacolod City) fondée en 1941 et, depuis 1962, confiée
aux Augustins récollets.
Les Philippines comptent par ailleurs quelque 140 collèges catholiques, dont une
cinquantaine nés avant la Deuxième Guerre Mondiale.
Bibliographie
A Directory of Catholic Universities and Other Catholic Institutions of Higher Learning..
Annuaire des universités catholiques et des autres instituts catholiques d’études supérieures,
Cité du Vatican, 1990.
Annuaire des missions catholiques de Chine, Shanghaï, 1937.
E.M. SETIADARMA, M. CAUDRON, éd., Catholic Higher Education in Asia and the
Pacific Region, Jakarta, 1993.
R. AIGRAIN, Les universités catholiques, Paris, 1935.
155
LES MOTIVATIONS DES PREMIERES FONDATIONS
DE L’UNIVERSITE SAINT-JOSEPH DE BEYROUTH
Jean Ducruet, s.j.,
Recteur émérite,
Université Saint-Joseph de Beyrouth.
L’Université Saint-Joseph, au regard de ses structures, connaît deux périodes dans son
histoire. La première période, de 1875 à 1975, est l’histoire d’institutions aux fondations et
dépendances diverses dont l’existence collective est légalement couverte par les firmans
ottomans puis par la loi libanaise du 26 décembre 1961 autorisant la Compagnie de Jésus à
créer et développer des institutions d’enseignement. La seconde période s’ouvre en juin 1975
avec l’adoption de la charte et des statuts de l’Université unifiée : la charte exprime, en
continuité avec le passé, la raison sociale et la mission de l’Université : les statuts mettent en
place une administration centrale de ce qui n’était jusque là qu’une simple fédération
d’établissements et donnent à l’Université une réelle autonomie administrative, financière et
académique.
Les institutions qui composent l’Université Saint-Joseph durant la première période
de son histoire sont de deux sortes : les unes sont de fondation et de préoccupations
ecclésiales ; les autres sont « civiles » tant par leurs objectifs professionnels que par les
autorités extérieures à la Compagnie de Jésus dont elles dépendent jusqu’en 1975. Les unes et
les autres connaissent des préoccupations qui ont évolué au cours du temps. Les institutions
ecclésiales de l’Université répondent aux désirs des Souverains Pontifes d’aider d’une part les
Églises Orientales et de les préserver de l’expansion du protestantisme, de développer d’autre
part la connaissance des langues orientales nécessaires à la connaissance des textes bibliques
et de l’histoire de l’Église sur lesquels se maintenaient les polémiques entre catholiques et
protestants ; ces préoccupations seront relayées à partir des années 1940 par une attention
portée aux relations islamo-chrétiennes jusque là assez marginale. Les institutions civiles de
l’Université, de leur côté, outre leurs objectifs professionnels qui resteront dominants, doivent
tenir compte, en raison de leurs fondations et de leur financement français, de
l’anticléricalisme qui caractérise le Gouvernement français des vingt-cinq années qui
précèdent la première guerre mondiale ; le souci de la liberté de conscience qui marqua ces
institutions et qui contraste quelque peu avec le climat de leurs relations avec les fondations
protestantes, ne sera pas sans influence sur l’importance accordée à cette liberté dans les
statuts et la pratique de l’Université Saint-Joseph dans la seconde partie de son histoire.
Les fondations ecclésiales
A partir du milieu XIX° siècle et sous le pontificat de Léon XIII, les préoccupations
de l’Église concernant le Proche-Orient paraissent très proches de celles de la fin du XVI°
siècle, sous les pontificats de Grégoire XVIII et de Paul V ; identiques sont les moyens pour y
répondre mais leur mise en œuvre ne se limite plus à Rome mais s’étend à ces régions.
Suivant l’inspiration du Concile de Trente, l’Église à la fin du XVI° siècle entend
soutenir les chrétiens orientaux et leur éviter la sécession protestante. L’expérience des
collèges-séminaires érigés en Europe pour former des prêtres instruits et aptes à mener une
156
campagne anti-réformiste avait été concluante. Le Collège Maronite, fondé en 1584 par
Grégoire XIII et fermé en 18081, répondit à cet objectif et son influence fut immense tant sur
le plan pastoral que sur le plan culturel2. D’autres fondations, celle du Collège des Néophytes
pour les juifs convertis, en 1577, et celle du Collège Athanasien pour les grecs, en 1582,
marquent aussi la volonté de Grégoire XIII de promouvoir les langues orientales. L’hébreu, le
grec, l’arabe et le syriaque sont désormais enseignés à Rome et, en 1610, Paul V, par la bulle
« Foelicis recordationis » demande aux Ordres religieux d’introduire l’enseignement de ces
langues dans leurs universités en vue d’une meilleure connaissance des Saintes Écritures sur
lesquelles s’affrontent catholiques et protestants. Les diplômés des collèges concernés sont
des enseignants tout indiqués des langues orientales dans ces universités ; ils sont aussi les
bibliothécaires spécialisés pour les manuscrits orientaux que recherchent et se disputent la
Vaticane pour les catholiques et la Bodléienne pour les protestants ; ils sont enfin les
traducteurs et correcteurs des livres donnés à l’impression aux nouvelles imprimeries
polyglottes également concurrentes3.
Nous allons retrouver à partir du milieu du XIX° siècle les mêmes préoccupations
ecclésiales qui viennent d’être explicitées concernant l’insuffisance de la formation des
clercs, l’expansion du protestantisme, la montée du rationalisme et donc l’attention portée
aux séminaires-collèges, aux universités, aux moyens de travail intellectuel : langues
orientales, bibliothèques, manuscrits à rassembler, imprimeries polyglottes. Une chose a
changé d’un siècle à l’autre : le Proche-Orient est devenu sur tous les plans un champ
d’action accessible. Le Hatti Chérif de Gülhamé, rescrit promulgué par le Sultan le 3
novembre 1839, et le Hatti Humayoun du 18 février 1856 font figure de charte ottomane des
droits de l’homme et du citoyen, même s’il n’y avait ni règlements d’application ni volonté
de faire passer les nouveaux principes dans la réalité4. L’intervention militaire française au
Liban en 1860, la commission européenne qui l’année suivante y met en place une nouvelle
administration et, à plus forte raison, la période des mandats qui suivra la première guerre
mondiale soulignent la nouvelle situation politique5. Sur le plan économique, cette région du
monde devient un chantier ouvert aux capitaux européens en mal d’emploi6. Protestants et
catholiques partagent cette euphorie comme en témoignent les nombreuses institutions
protestantes qui s’installent alors au Liban et en Syrie7et les non moins nombreuses
congrégations religieuses catholiques qui viennent y créer des œuvres d’enseignement ou la
Fondé le 27 juin 1584, le Collège Maronite était un « convict » où était assurée la formation humaine et spirituelle de
séminaristes maronites qui suivaient leurs cours de philosophie et de théologie au Collège Romain avec les
séminaristes des autres nations. La direction du Collège Maronite, comme celle du Collège Romain, était confiée aux
Jésuites ; après la suppression de l’Ordre en 1773, elle passa au clergé séculier romain. Confisqué lors de l’occupation
de Rome par les troupes de Napoléon en 1798, le Collège Maronite fut définitivement fermé en 1808.
2 cf. Pierre RAPHAEL, Le rôle du Collège Maronite Romain dans l’orientalisme aux XVII° et XVIII° siècles, Beyrouth,
1950.
3 SAVARY de BREVE installa, par exemple, à Rome une imprimerie arabe, la Typographia savariana, qui publia en
1613 et 1614, avec l’approbation de Paul V, un psautier et la « Doctrine chrétienne » de Bellarmin traduits en arabe
par deux diplômés libanais du Collège Maronite. cf. sur cette période Le livre et le Liban, Unesco 1982 notamment
« Du livre religieux à l’orientalisme » pp. 159-216 et « Défense de l’Orthodoxie et lutte d’influences » pp. 265-273.
4 cf. Ed. ENGELHARDI, La Turquie et le Tanzimat ou Histoire des réformes de l’Empire ottoman depuis 1826 jusqu’à nos
jours. Paris 1882. Appendice 1, texte du Hatti Chérif ; appendice 2, texte du Hatti Humayun.
5 Sur les problèmes politiques de cette période, on peut par exemple consulter Édouard DRIAULT, La question
d’Orient, depuis ses origines jusqu’à la paix de Sèvres, Paris 1921 et La question d’Orient 1918-1937. Paris, 1938.
6 Jean DUCRUET, Les capitaux européens au Proche-Orient, P.U.F. 1964.
7 A Beyrouth, les Presbytériens s’installent dès 1825, la Société des Écoles anglaises de Syrie en 1860, la société des
Diaconesses prussiennes en 1862. Dans les mêmes années, s’installent les Quakers de la Société des Amis à
Broumana, la Société anglaise pour l’éducation à Chemlan, les Presbytériens irlandais à Damas et les Presbytériens
réformés à Lattaquieh.
1
157
charité8. Parmi ces dernières, la Compagnie de Jésus, rétablie par Pie VII en 1814 et de retour
au Liban en 1831, est appelée à y jouer un rôle important en raison de son passé dans cette
région mais aussi en raison de son expulsion de France en 1880 qui libéreront des hommes
pour les missions.
Le Collège Central d’Asie, le Séminaire Oriental et la Faculté de Théologie
Au début du XVIII° siècle, la seule maison de formation pour des candidats au
sacerdoce au Proche-Orient arabe était le Collège de la Propagande à Rome. Au cours du
XVIII° siècle et au début du XIX° siècle, les séminaires se multiplient au Liban . Il faut citer
l’ouverture en 1786, du séminaire de Charfé pour les Syriens catholiques, celle, en 1789, du
séminaire patriarcal maronite de Aïn-Warka, celle, en 1791, du séminaire de Bzoummar pour
les Arméniens catholiques et celle, en 1811, du séminaire patriarcal de Aïn-Traz pour les
Grecs catholiques.
Les projets pour établir un séminaire interrituel pour cette région ne manquèrent pas ;
mais aucun n’aboutit. Parmi ces projets, celui, en 1838, du Collège Central d’Asie du P.
Maximilien RYLLO est significatif de cette période en raison de ses motivations ; elles
peuvent se résumer ainsi : le moyen utilisé par le Saint-Siège pour établir la foi catholique, la
fortifier ou la rétablir a toujours été l’éducation de la jeunesse notamment ecclésiastique ;
cette éducation si elle est faite en dehors de la région concernée n’est pas sans inconvénients ;
le Saint-Siège n’a pu tenir compte de ces inconvénients pour l’Asie Mineure en raison de la
situation politique ; aujourd’hui l’Empire Ottoman se modernise et se libéralise ; cette région
est à la disposition de celui qui se rendra maître de l’éducation ; les protestants l’ont compris
et sont à l’œuvre. L’importance du Collège à fonder, destiné à la Syrie et la Palestine, la Perse
et la Chaldée, l’Arménie et l’Égypte, n’est pas dissimulée : « La miséricorde de Dieu saura
donner à notre Séminaire Grégorien de l’Asie une ampleur égale à celle du Séminaire
Grégorien de Rome 9».
Le P. Jean ROOTHAN, Supérieur Général de la Compagnie de Jésus soutient le projet
du Collège Central Asiatique en raison notamment « du péril que les biblistes, méthodistes et
autres semblables parviennent à faire avec leurs établissements pour la ruine des âmes10» ;
il entend collaborer à sa fondation mais pas en porter l’entière responsabilité et laisse à Rome
la décision. Le Pape Grégoire XVI ayant approuvé le projet, le Père Maximilien RYLLO est
nommé Supérieur de la Mission en vue de réaliser la fondation ; tandis qu’il la prépare,
éclate l’insurrection libanaise contre le Gouvernement égyptien d’Ibrahim Pacha puis contre
l’émir Béchir. Le P. RYLLO ne parvient pas à garder son indépendance dans cette crise et il
est rappelé en Europe. Le projet du Collège Central d’Asie est mis alors en veilleuse et le
terrain qu’avait acquis pour lui à Beyrouth le P. RYLLO en janvier 1841 est destiné à une
école et à une résidence jésuite11.
Le P. Benoît PLANCHET, successeur du P. RYLLO, reprend plus modestement le
Les fondations des Sœurs de Saint Vincent de Paul et des Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition datent de 1847, les
Dames de Nazareth de 1868, les Frères des Écoles Chrétiennes de 1886, les Sœurs du Bon Pasteur de 1893, les
Sœurs de la Sainte Famille de 1894, les Frères Maristes de 1895 et les Sœurs de la Charité de Besançon de 1904.
9 Sami KURI, Une histoire du Liban à travers les archives des Jésuites, Volume I 1816-1845. Beyrouth, 1985 . Arch. doc. 96,
Projet d’un collège en Asie.
10 Lettre du P. ROOTHAN à Mgr CADOLINI, Secrétaire de la Propagande, 11 septembre 1838. Arch. ibid. doc.
113.
11 Arch. Ibid. doc. 159-163.
8
158
projet du séminaire et, en juin 1843, achète à cet effet le palais de l’Émir Abdallah CHEHAB
à Ghazir. Dans l’immédiat, une petite école d’arabe et d’italien est ouverte en septembre 1843
pour les enfants de Ghazir mais dès le 19 mars 1845, le P. Louis CANUTI accueille quelques
séminaristes à ce qui devient le Séminaire Oriental12. La guerre druze de 1845 suspend
l’activité de la Maison. La véritable ouverture du séminaire a lieu le 2 février 1846 et compte
alors 22 séminaristes. La guerre civile meurtrière de 1860 qui dévaste le Bekaa et le Mont
Liban et coûte la vie à cinq Jésuites épargne Ghazir. En 1864, selon un rapport du P. Louis
CANUTI13, le séminaire-collège compte environ 120 pensionnaires dont 70 parcourent le
cursus des études ecclésiastiques ; ces derniers viennent de tous les pays de la région et
appartiennent à tous les rites : la moitié d’entre eux sont maronites, l’autre moitié arméniens,
grecs, syriens, chaldéens ou latins. En 1866, le P. François-Xavier GAUTRELET , qui
succède au P. CANUTI comme Supérieur de mission, donne sur les études les précisions
suivantes : « Cette maison renferme un Séminaire et un Collège. Elle est divisée en deux
parties distinctes : on y trouve, d’un côté les jeunes gens qui se destinent à l’état
ecclésiastique, et qui, après leurs études préliminaires de français, d’arabe et de latin, font
leur cours de philosophie et de théologie ; de l’autre les enfants que leurs parents destinent à
des carrières libérales dans le monde, et qui se perfectionnent dans la connaissance des
langues arabe et française, ainsi que dans les mathématiques. Quelques-uns étudient aussi le
latin, et tous trouvent dans cet établissement la facilité d’apprendre les langues qui
pourraient leur être utiles plus tard, comme l’italien, l’anglais, le turc, le grec, sans parler du
syriaque, de l’arménien et du bulgare14».
En fait le caractère mixte, séminaire-collège, instauré en 1855 fait problème pour de
nombreux responsables et amène le P. Pierre BECKX, Supérieur Général, à poser la question
en 1868, au P. GAUTRELET : « Serait-il possible et avantageux de n’avoir à Ghazir que le
séminaire ecclésiastique et de transporter à Beyrouth le pensionnat laïc, au moins pour ceux
qui n’étudient pas le latin !15 ».
La nécessité de renforcer sur le plan de l’enseignement la présence de la Compagnie
de Jésus à Beyrouth s’impose à tous entre 1860 et 1870 tant en raison du développement
rapide de la ville que de l’expansion du protestantisme américain que vient confirmer la
fondation en 1863 du Syrian Protestan College qui deviendra en 1920 l’American University
of Beirut. Trois citations extraites de lettres de responsables jésuites respectivement d’août
1862, novembre 1863 et juillet 1869, rendent suffisamment compte des convictions de leurs
auteurs :
« Beyrouth est à présent une ville importante qui exigerait un cycle d’écoles plus élevé que
celui que nous y avons présentement. Nos écoles sont misérables, en comparaison de celles
des schismatiques, qui font tout leur possible pour attirer les gens à leurs écoles par le moyen
de professeurs recherchés et de constructions somptueuses. Cependant nous avons dans nos
écoles beaucoup d’écoliers, soit dans celles d’arabe, soit dans celles de français, mais tous
de petite condition… et le programme des classes est trop restreint aux seuls premiers
éléments…16 ».
Michel JULLIEN, La nouvelle mission de la Compagnie de Jésus en Syrie (1831-1895), Tome 1, Tours 1898 . ch.X, La
création d’un séminaire oriental à Ghazir.
13 Lettre du P. CANUTI au Cardinal BARNABO, Préfet de la Propagande, 8 décembre 1864. In Sami KURI, op.
cit. Volume III 1863-1873, Beyrouth, 1996. Arch. doc. 79.
14 Lettre du P. GAUTRELET au P. BECKX, 9 décembre 1866. Arch. ibid. doc.110.
15Lettre du P. BECKX au P. GAUTRELET, 17 janvier 1868. Arch. ibid. doc. 136.
16 Lettre du P. CANUTI au P. BECKX, août 1862. Arch. ibid. doc. 21.
12
159
« Les protestants nous serrent de si près, et le collège qu’ils ont ouvert depuis seulement
quelques mois prend des proportions si colossales puisqu’ils ont déjà 120 pensionnaires,
sans compter les externes, que si nous ne prenons pas des moyens énergiques, ils pourront
bien attirer à eux toute la population. Or, à mon avis, le moyen le plus efficace d’arrêter leur
progrès, c’est d’abord et avant tout d’offrir à cette même population trop engouée, une
collection de professeurs de choix qui fixent l’attention des habitants de Beyrouth sur nos
classes en l’empêchant désormais de la porter sur celles des protestants…17 ».
« Un grand nombre de familles de tous les rites, maronites, melkites, schismatiques,
arméniens, latins etc. ne cessent de manifester leur regret que notre établissement d’études
supérieures soit si éloigné de ce port, d’environ six heures d’un chemin difficile et de
montagne, comme celui de Ghazir où nous n’avons pas plus de 20 à 30 élèves de Beyrouth.
Toutes ces familles assurent que nous les aurions bientôt par centaines dans un établissement
semblable, à Beyrouth ou dans les environs… J’attribue tant d’importance à l’éducation et à
l’instruction convenablement faites en cette ville devenue le centre de la Syrie, que je n’hésite
pas à y rattacher l’avenir du catholicisme sur ces contrées…18 ».
La décision de transférer à Beyrouth le Collège de Ghazir entraîne celle d’y transférer
également le séminaire oriental malgré les regrets du P. GAUTRELET. Le P. Sébastien
GAILLARD, provincial, s’en explique auprès du P. BECKX : « Ma pensée est d’accéder au
transfert du collège et même du séminaire pour les raisons alléguées : la concentration de
nos forces et la diminution des charges ; il vaut mieux une œuvre importante que deux
lambeaux19 ». Les terrains qu’occupait alors à Beyrouth la Compagnie de Jésus étaient mal
situés et de superficie insuffisante pour le projet auquel le P. BECKX donne son accord le 3
février 1870 ; à cette même date, il autorise le P. Ambroise MONNOT à acheter le terrain
nécessaire20. Cet achat fut effectué les 23 et 25 juillet 1870 et porte sur 18.000m2 unissant
des parcelles appartenant à 5 ou 6 personnes21.
Il restait à trouver des ressources pour la construction. La France sortait épuisée par la
guerre de 1870. Le P. MONNOT songea à s’adresser aux catholiques américains et
canadiens. Il quitte Beyrouth le 19 février 1871, passe par Rome pour se munir de lettres de
recommandation et s’adjoint à Lyon le P. François-Xavier PAILLOUX, futur architecte de la
construction. Les deux quêteurs parcourent durant plus de deux ans les États-Unis et le
Canada ; les archives conservent les noms de 80.000 personnes qui ont accepté de contribuer
aux « missions orientales de la Compagnie de Jésus » ; ils rentrent à Beyrouth le 18
novembre 1873. Mgr Joseph DEBS, archevêque maronite de Beyrouth procède, le 24 mai
1874, à la bénédiction de la première pierre de la construction dont les fondations sont alors
déjà terminées. Le bâtiment central et l’Église sont achevés dix sept mois plus tard. Le 10
octobre 1875, les Jésuites quittent leur résidence de Beyrouth cédée aux Sœurs des Saints
Cœurs pour s’établir dans ce nouveau bâtiment ; les pensionnaires de Ghazir descendent à
Beyrouth le 30 octobre. La rentrée des cours a lieu le 3 novembre. La première messe est
célébrée dans la nouvelle Église en la nuit de Noël 1875 .
Lettre du P. MONNIER au P. BECKX, 1° novembre 1863. Arch. ibid. doc. 53.
Lettre du P. BADOUR au P. BECKX, 9 juillet 1869. Arch. ibid. doc. 168.
19 Lettre du P. GAILLARD au P. BECKX, 18 juin 1870. Arch. ibid. doc. 200.
20 Lettres du P. BECKX au P. GAILLARD et au P. MONNOT, 3 et 5 février 1870. Arch. ibid. doc. 186. Cette
autorisation d’achat sera confirmée a posteriori le 2 août 1870, doc. 212.
21 Lettre du P. MONNOT au P. GAILLARD, 30 juillet 1870, Arch. ibid. doc. 210.
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18
160
Suite à une note du P. BECKX, la Congrégation de la Propagande pour les Affaires
des Rites Orientaux, le 28 juin 1873, avait approuvé le projet du transfert à Beyrouth du
séminaire-collège de Ghazir : « Les notables progrès des Protestants dans l’œuvre qu’ils ont
entreprise au dommage des Catholiques et même de tous les Chrétiens d’Orient, ont attiré
dans le passé l’attention de la S. Congrégation. Mais les développements que les mêmes
Protestants ont voulu donner au Collège malheureusement fondé par eux à Beyrouth, ont fait
sentir la nécessité de lui opposer un Collège Catholique qui ne pourrait être dit en aucune
façon inférieure au premier sur le plan scientifique… Les Éminentissimes Pères composant
cette Sacrée Congrégation… ont décidé que l’on fonde à Beyrouth un collège catholique
confié aux soins de la Compagnie de Jésus qui en a conçu l’idée… Ils ont ensuite permis que
le collège ecclésiastique de Ghazir soit transféré à Beyrouth, tout en conservant son
caractère ecclésiastique et en demeurant entièrement séparé du collège22. »
A la requête de la Congrégation de la Propagande, le Pape Léon XIII, le 25 février
1881, « décore le séminaire de Beyrouth du nom et du rang honorable d’Université et lui
accorde la faculté de conférer les grades académiques et la palme de doctorat en philosophie
et en sacrée théologie23 ». Ce privilège donnait son fondement légal au titre « d’Université »
qu’avait adopté l’Institution à son installation à Beyrouth24. « Université Saint-Joseph »
désigna désormais le collège, le séminaire et les Facultés de Théologie et de Philosophie.
Le patronage de Saint-Joseph est hérité de la maison de Ghazir qui elle-même l’avait choisi
en mémoire de la résidence et du séminaire Saint-Joseph d’Antoura fondés par les Jésuites de
l’ancienne Compagnie25. Pour l’année universitaire 1881-82, le collège secondaire comptait
362 élèves (157 internes, 170 externes et 35 petits séminaristes)26, le Séminaire Oriental qui
ne peut être alors distingué des Facultés, outre 24 jeunes jésuites expulsés de France, compte
15 séminaristes maronites, 6 grecs catholiques, 6 latins, 4 coptes et 4 chaldéens27. En 1914, à
la veille de la première guerre mondiale qui allait disperser les séminaristes, la Faculté de
philosophie, depuis 1881, avait décerné 37 diplômes de doctorat et la Faculté de Théologie
31. Durant cette période, le séminaire oriental avait formé 243 prêtres dont 24 évêques et 3
patriarches : Mgr Elias HOYEK, Patriarche maronite, Mgr Emmanuel THOMAS, Patriarche
chaldéen et Mgr Cyrille MACAIRE, Patriarche copte catholique.
Le 1er octobre 1919, les Facultés ecclésiastiques de l’Université Saint-Joseph
reprennent leurs activités. Le 24 mai 1931 paraît la Constitution « Deus scientiarum
Dominus » qui réforme les études ecclésiastiques. La Faculté de théologie adapte ses statuts
et ses enseignements ; ses titres sont confirmés par le Pape Pie XI le 6 septembre 1932 : elle
décerne désormais le doctorat au terme de cinq années d’études et une soutenance de thèse.
La Faculté de philosophie ne bénéficie pas de la même confirmation ; l’enseignement
philosophique n’en demeure pas moins la préparation normale de l’enseignement théologique
mais ne fait plus l’objet d’un diplôme ecclésiastique. Pour l’année universitaire 1935-36,
Billet de Mgr JACOBINI au P. BECKX, 28 juin 1873, Arch. ibid. doc. 259.
Citation du texte du diplôme de doctorat approuvé par la Congrégation de la Propagande et transmis à Beyrouth
le 17 juin 1881. Le diplôme devra porter le sceau de l’Université « Universitas Catholica Berytensis Societatis Jesu ». Le
texte latin de la supplique et celui de la concession faite lors de l’audience du 25 février 1881 sont reproduits in
Michel JULIEN, op. cit. Tome 2 p.57 et en annexe des Statuts de la Faculté de Théologie.
24 Lorsque, le 6 novembre 1901, le Gouvernement ottoman confirma, par iradé impérial, l’existence légale de
l’Université, il retint le titre « Université Saint-Joseph des Pères Jésuites ». Ministère français des Affaires Étrangères.
Documents diplomatiques, Turquie 1900-1901. Paris 1992 et annexe. 25 Michel JULIEN, op. cit. Tome 1 p. 138. Le Séminaire Oriental n’en conserve pas moins le patronage de Saint
François Xavier qu’il avait à Ghazir et l’Église de l’Université Saint-Joseph n’en fut pas moins dédiée au Sacré-Cœur.
26 Cinquantenaire de l’Université Saint-Joseph, Beyrouth, 1925. p.40.
27 Faculté de Théologie. Livre d’Or 1881-1956, Beyrouth 1956 p. 12.
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23
161
l’enseignement de théologie et de philosophie réunissait 44 séminaristes dont 26 maronites, 8
grecs catholiques, 4 arméniens catholiques, 3 coptes catholiques, 1 chaldéen et 2 latins.
L’effectif habituel fut accru pendant la guerre 1939-1945 par des scolastiques jésuites et
lazaristes et par des séminaristes polonais. Cette période mise à part, l’effectif des étudiants
ecclésiastiques, jusqu’à la prise en charge, en 1974, du cycle d’études des ecclésiastiques par
l’Université Saint-Esprit, est d’environ 70 sur six ans d’études (2 ans en philosophie et 4 en
théologie), avec en moyenne : 50 étudiants maronites, 13 grecs catholiques, 5 latins et 2
arméniens ou copte catholiques.
La Faculté Orientale et l’Institut de Lettres Orientales
Dès 1863, le P. Jean BOLLIG suggère au P. BECKX de fonder à Ghazir une
Académie orientale « dans laquelle, en face des protestants… de jeunes professeurs et
écrivains seraient formés aux études orientales… Certains resteraient à Ghazir ; certains
rentreraient dans leurs provinces, les uns afin d’y être professeurs d’Écriture Sainte et de
langues orientales, d’autres afin d’écrire des livres contre les protestants… qui sont seuls
dans ce domaine scientifique28 ». La suggestion est prématurée : en 1881, l’étude de la
littérature arabe fait l’objet d’une sollicitude spéciale dans les classes secondaires de
l’Université ; le syriaque et l’hébreu sont enseignés aux étudiants de théologie ; mais les
Jésuites sont trop accaparés par la nouvelle Faculté de Théologie et par des démarches
amorcées en 1880 en vue de créer une Faculté de Médecine, pour songer dans l’immédiat à
une nouvelle fondation.
Cédant aux sollicitations de plus en plus pressantes29 et aux directives de Rome, c’est
en août 1902 que le P. Marius BOUILLON, Supérieur Provincial, demande au P. Lucien
CATTIN, Supérieur de la Mission de Syrie, d’ouvrir à l’Université Saint-Joseph dès la
rentrée suivante des cours publics sur les langues sémitiques et les sciences orientales. Ce
dernier lui ayant fait remarquer qu’il existe une École des Pères Dominicains à Jérusalem
pour les études bibliques30, le P. BOUILLON précise qu’il ne s’agit pas directement d’études
bibliques : « Nous voulons embrasser dans notre enseignement toutes les branches des
sciences orientales : - Langues arabe, syriaque, hébraïque, - Histoire, Géographie et
Géologie locales, - Archéologie et Épigraphie, - Antiquités et Institutions grécoromaines…qui sans doute serviront beaucoup indirectement l’intelligence des textes sacrés ».
L’approbation de ce projet par le Supérieur Général est transmise au P. CATTIN ; il est luimême Chancelier de la nouvelle Institution, avec le P. Louis CHEIKHO comme ViceChancelier31. Le P. Sébastien RONZEVALE, l’un des promoteurs de la fondation, la
commente ainsi :
« Il fallait à notre mission une Faculté de médecine catholique pour l’opposer à celle
de l’Université protestante, l’Université Saint-Joseph l’a créée… Il fallait aussi une Faculté
orientale catholique, capable de représenter dignement la science catholique sur ce sol, que
28 Lettre
du P. BOLLIG au P. BECKX, 24 janvier 1863. Sami KURI, op. cit. vol. III, Arch. doc. 44.
En 1898 et en 1901, dans l’Orientalistische Litteraturzeitung, par exemple, le Professeur M. HARTMANN réclame la
fondation en Syrie d’un institut oriental pour l’étude de l’arabe, et dans la même revue, en 1903, le Professeur G.
KAMPFFMEYER rend hommage à la Faculté Orientale de l’avoir réalisée (Cinquantaine op. cit. p. 57 sous la plume
du P. LAMMENS).
30 L’ École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem, souhaitée par Léon XIII dès 1882, ouvre ses cours le 15
novembre 1880.
31 Histoire et Documents divers de la Faculté Orientale de Beyrouth 1902-1914 (registre manuscrit ou Diaire où sont relevés au
jour le jour des événements ou des documents jugés importants).
29
162
l’orientalisme neutre ou rationaliste menace d’envahir à bref délai (…) L’Université SaintJoseph l’a également fondée32 ».
L’Institution fut d’abord intitulée « Institut Oriental » ; ce titre fut mal perçu : on y vit
à Paris un titre concurrent à l’Institut français d’archéologie orientale du Caire. On renonça
aussi à « École Orientale » qui évoquait l’École Biblique. Le catalogue interne de la
Compagnie de Jésus avait donné à l’Institution le titre de « Facultas Scientiarum
Orientalium » ; il en demeura l’abrégé de Faculté Orientale.
Les cours s’ouvrirent le 2 décembre 1902 ; ils étaient répartis sur trois années. Leurs
enseignements couvraient les disciplines qu’avaient énumérées le P. BOUILLON, auxquelles
il faut ajouter, pour les langues, le copte et l’éthiopien. Dans ces enseignements, s’illustrèrent
notamment les Pères Maurice BOUYGE, Louis CHEIKHO, Louis JALABERT, Paul
JOÜON, Henri LAMMENS, Alexis MALLON, Joseph NEYRAND, Louis et Sébastien
RONZEVALLE, Antoine SALHANI. En principe, les cours étaient donnés en langue
française. Les cours des deux premières années constituaient par eux-mêmes un ensemble
dont pouvaient se contenter des candidats qui ne disposaient que d’un temps restreint. Au
terme de la troisième année d’études, un diplôme était délivré à l’auditeur régulier qui avait
subi avec succès les examens. Un doctorat de la Faculté Orientale fut institué en faveur des
candidats qui après leur diplôme soutenaient une thèse. Deux thèses de doctorat furent
soutenues en 1906 par les P. P. Edmund POWER et Austin HARTIGAN. Cette année là parut
le premier volume des Mélanges de la Faculté Orientale qui complète la revue Al Machriq
fondée en 1898.
Au seuil de l’année 1907-1908, la Faculté Orientale envisagea un nouveau
développement de ses activités, comme le manifeste une circulaire signée du Recteur de
l’Université :
« En 1902, la Compagnie de Jésus a créé dans son Université de Beyrouth une
Faculté Orientale dont l’enseignement supérieur embrasse les principales branches de
l’Orientalisme.
Elle s’est proposée de contribuer ainsi, pour sa part, à réaliser le vœu de Léon XIII et
de Pie X, qui est de voir les études orientales fournir aux sciences sacrées un appui et des
armes chaque jour plus nécessaires.
De 1902 à 1906, la Faculté Orientale de Beyrouth s’est attachée à organiser ses
cours de langues et de sciences profanes, pour lesquels elle se trouvait, à ses débuts, mieux
préparée.
En 1906, le R.P. Wernz, Supérieur Général de la Compagnie de Jésus, jugea que le
temps était venu pour cette Faculté de donner à son enseignement un couronnement
indispensable ; et elle ouvrit des cours d’Exégèse.
La Lettre Apostolique, du 27 Mars 1906, sur l’Enseignement de l’Écriture Sainte nous
conviait à nous engager dans cette voie nouvelle ; et de hautes approbations nous ont
encouragés depuis à nous y avancer résolument... Au mois d’octobre prochain, notre Faculté
32
Rapport du P. Sébastien RONSEVALE, 25 mars 1903, Hist. et Doc. Op. cit. p.24.
163
Orientale donnera plus d’importance à ses cours d’Exégèse, et plusieurs de ses autres cours
toucheront aux questions bibliques…33 ».
Il ne fut pas donné suite à cette nouvelle orientation et le P. WERNZ fit suspendre la
diffusion de cette circulaire. Il fut jugé sans doute inopportun de disperser les efforts au
moment où Pie X avait des difficultés pour fonder à Rome l’Institut Biblique Pontifical dont
le projet remontait à Léon XIII34. A la veille de la première guerre mondiale, la Faculté
orientale avait en tout cas réduit ses cours à l’enseignement de l’arabe, de l’hébreu, du
syriaque, de l’épigraphie et de l’archéologie orientale ; elle ne survécut pas à cette guerre.
Ce n’est qu’en 1933 qu’est repris un enseignement dans la ligne de celui de la Faculté
Orientale sous forme de « Leçons de Lettres Orientales ». Le Recteur de l’Université SaintJoseph annonçait en ces termes leur ouverture pour le 22 novembre 1933 : « Grâce à la
diffusion de l’enseignement secondaire, l’histoire et les littératures orientales apparaissent
désormais à la jeunesse comme un patrimoine admirable, dont elle ne saurait abandonner
l’exploitation aux seuls savants étrangers. Il convient dès lors de mettre à la portée de cette
élite les conclusions déjà acquises par l’orientalisme, ainsi que les procédés de recherche
érudite qui permettront de nouveaux progrès. C’est le premier but des « Leçons de lettres
orientales ». Elles intéresseront aussi quelques Européens séjournant au Levant; de même,
les professeurs des collèges, que les programmes des baccalauréats libanais et syriens
obligent à enseigner l’histoire locale, la littérature et l’histoire de la philosophie arabes 35 ».
Le P. René MOUTERDE, déjà Chancelier de l’École Française de droit, assurait la
direction de ces Leçons avec notamment la collaboration de M. Fouad Ephrem BOUSTANY,
du P. Jean MECERIAN et de l’Emir Maurice CHEHAB. Les leçons étaient délivrées dans les
locaux de l’École de droit, à raison de 2 à 4 heures par semaine. Elles étaient regroupées sous
quatre rubriques: - Philosophie et littérature arabes, - Histoire et archéologie de la Syrie et de
la Phénicie, - Arménologie, - Histoire et institutions des anciennes Églises orientales.
Au programme des « Leçons de Lettres Orientales » de l’année universitaire 19361937, le P. René MOUTERDE invita le Professeur Charles DUGAS, professeur à la Faculté
des Lettres de Lyon, à donner du 5 au 22 mars 1937 cinq leçons sur la sculpture grecque. Le
6 mai 1937, celui-ci fit rapport à son Doyen, le Professeur KLEINCLAUSZ, sur
l’organisation des Lettres Orientales et l’intérêt de participer à leur développement 36. En août
1937, le Père MOUTERDE et le Doyen se mirent d’accord pour placer sous le patronage de
l’Université de Lyon ce qui devint « l’Institut de Lettres Orientales » au seuil de l’année
universitaire 1937-1938 . Des Maîtres de conférences de la Faculté des Lettres de Lyon
participent alors à son enseignement et, sous l’égide de cette Faculté cet enseignement fut
sanctionné par des certificats de licence. Par la suite, l’Institut reprit la délivrance de ses
propres diplômes et fut intégré en 1976 dans la nouvelle organisation des structures de
l’Université Saint-Joseph.
Circulaire du 5 juin 1907, signée du P. Henri GRESSIEN, Recteur de l’Université Saint-Joseph. (Hist. et Doc. Op.
cit. p. 145).
34 L’Institut Biblique Pontifical a été fondé à Rome le 7 mai 1909 et confié à la Compagnie de Jésus. Le P. LAMMENS
y enseigne de 1910 à 1911 et le P. MALLON de 1920 à 1927, tandis que le P. RONZEVALLE et le P. Guillaume de
JERPHANION enseignent à l’Institut Oriental de Rome fondé en 1917 et également confié à la Compagnie. Plusieurs
autres Jésuites formés à la Faculté Orientale donnèrent ensuite des enseignements dans ces deux institutions.
35 Circulaire du 10 octobre 1933, signée du P. COSTA de BEAUREGARD, Recteur de l’Université Saint-Joseph.
Archives Leçons de Lettres Orientales.
36 Charles DUGAS, Rapport sur un voyage au Liban, 6 mai 1937, ibid.
33
164
Il n’est pas sans intérêt de relever le jugement que portait en 1955 le Cardinal
PIZZARDO, Préfet de le Congrégation des Séminaires et Universités sur les liens entre la
Faculté de Théologie et l’Institut de Lettres Orientales :
« A la Faculté de Théologie est joint intimement l’Institut Supérieur de Lettres
Orientales où ont reçu leur formation scientifique de célèbres Biblistes et Orientalistes de la
Compagnie de Jésus, dont certains ont hautement honoré l’Église catholique dans les chaires
même des Athénées romains. La Faculté de théologie de Beyrouth, collaborant intimement
avec cet Institut Orientaliste très méritant, est vraiment désignée comme centre et base pour
étudier la pensée et l’histoire du Proche-Orient dans les champs théologique et religieux,
avec toute l’aide subsidiaire de la philologie et de l’histoire dont elle dipose37 ».
La Bibliothèque Orientale
En 1875, la bibliothèque de l’Université Saint-Joseph, au deuxième étage de son
pavillon central, est constituée par celle du séminaire-collège de Ghazir et celle de la
résidence de Beyrouth. Des ouvrages d’arabe, de syriaque, d’hébreu et de grec et
d’archéologie avaient par ailleurs été rassemblés de 1863 à 1868 par le P. Alexandre
BOURQUENOUD, alors Préfet des études à Ghazir et confiés, la décennie suivante au P.
Joseph Van HAM. En 1894, ce fonds prenant de l’importance, on lui assigne dans la
bibliothèque générale une place séparée de la grande salle par une cloison ajourée ; cet
emplacement reçoit le nom de Bibliothèque Orientale confiée aux soins du P. Louis
CHEIKHO rentré cette année-là d’Europe et qui en aura la charge jusqu’à sa mort en 1927.
En 1905, le P. Henri GRESSIEN, nouveau Recteur de l’Université et Chancelier de la Faculté
Orientale, consacre à la Bibliothèque Orientale tous les locaux de la bibliothèque générale.
Une salle est, en outre, réservée aux manuscrits orientaux que le P. CHEIKHO avait
commencé à récolter en cours d’un voyage en Mésopotamie en 1895. La Bibliothèque
Orientale devient le complément de la Faculté Orientale et un trait d’union entre les érudits
orientaux et les orientalistes de formation occidentale. Son rapide développement est aidé par
des dons importants de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, des Académies de
Bruxelles, de Rome, de Berlin et de Munich et de l’orientaliste Antonin GOGUYER qui lui
lègue sa bibliothèque. Les Mélanges de la Faculté Orientale et le Machriq lui voudront
ensuite l’envoi de nombreuses publications en échanges ou en demandes de comptes rendus.
Lors de la première guerre mondiale, la Bibliothèque Orientale a déjà une telle réputation que
les Ambassadeurs d’Allemagne, d’Autriche et des États-Unis à Constantinople interviennent
auprès du Gouvernement Turc pour qu’elle soit préservée et obtiennent des assurances qui
furent respectées. La commission militaire aux ordres de DJEMAL-PACHA autorisa le P.
CHEIKHO à s’y installer durant la guerre avec le fameux mot d’ordre : « Laissez-le, c’est le
Sultan de la langue arabe 38 ». Finalement, un bâtiment spécial fut construit pour la
Bibliothèque Orientale par l’architecte de CIDRAC et inauguré le 18 mars 1939 par le P.
Christophe de BONNEVILLE. La Bibliothèque compte aujourd’hui 400.000 volumes, 1.800
périodiques et 3.500 manuscrits39.
Lettre du Cardinal PIZZARDO au P. Charles CHAMUSSY, 29 décembre 1955, cité par le Livre d’Or de la Faculté
de Théologie 1881-1956, Beyrouth 1956 p.18.
38 Henri JALABERT, Jésuites au Proche-Orient, Notices bibliographiques. Beyrouth, p. 169.
39 cf. notamment La bibliothèque de l’Université Saint-Joseph in Les Jésuites en Syrie, 1831-1931, vol.IX pp.7-21.
37
165
L’Imprimerie Catholique et ses éditions
L’« Imprimerie Catholique 40» de Beyrouth et ses éditions sont l’indispensable
instrument de l’activité des Jésuites au Liban jusqu’à la première guerre mondiale dans leur
lutte contre l’expansion protestante et plus durablement dans leur promotion de
l’enseignement scolaire et universitaire et dans le développement de l’orientalisme en ses
diverses branches.
L’histoire au Liban du livre imprimé commence au monastère Saint-Antoine de
Qozhaya qui domine la vallée de Qadisha, avec l’impression en 1585 et 1610 de psautiers de
langue arabe en caractères syriaques sur des presses mobiles apportées d’Europe pour des
travaux ponctuels. Les premiers livres imprimés en caractères arabes les furent au couvent
Saint-Jean de Choueir en 1733, les caractères étant importés de Rome41. Les missionnaires
protestants de l’American Board of Commisioners for Foreign Missions installés à Malte y
montent en 1822 une imprimerie pour des livres religieux destinés à la Grèce, la Turquie et la
Palestine ; en 1834, cette imprimerie est transférée à Beyrouth. Dès les premières années de
leur installation, les jésuites du Liban souhaitent à leur tour avoir leur imprimerie pour éditer
des manuels scolaires et surtout des livres religieux catholiques face à la propagande
protestante par l’imprimerie : « Nous avons été tourmentés par le manque de livres . Je vais
demander au P. Provincial une pierre lithographique 42 », écrit le P. PLANCHET en 1846.
Le P. JORDAN l’envoie en 1847. Elle permettra d’éditer quinze livres religieux ou scolaires
en arabe entre 1848 et 1853. « Toute imparfaite qu’elle est, elle est très utile dans ce pays où
on ne trouve pas d’autre presse catholique43 », écrit le P. BILLOTET en 1851. En 1852, M.
de TREMOND, en souvenir d’un pèlerinage en Terre Sainte, souhaite faire imprimer en
arabe l’Imitation de Jésus-Christ ; il fait acheter une presse à Paris à cet effet ; elle est
installée à Beyrouth en août 1853 et fait paraître l’Imitation en 1854. « Nous avions mis en
œuvre toutes les ressources de la lithographie écrit le P. BADOUR … Cependant la
propagande protestante ne semblait que plus active à répandre les produits hérétiques d’une
double presse anglaise établie en cette ville ; les écoles, les maisons particulières et
publiques en sont inondées…44 ». Une seconde presse à bras est expédiée par le Comité des
Écoles d’Orient en 1855. La même année arrive le F. Antoine TALLON45 qui dirigera
l’atelier de l’Imprimerie jusqu’en 1887, et avec lui les premiers lots de caractères latins.
A partir de 1870, l’Imprimerie Catholique cesse d’être artisanale et devient une
véritable entreprise : elle acquiert des moteurs, lance la galvanoplastie, installe une presse à
vapeur. Le F. Antoine TALLON s’entoure de Frères techniciens dont le F. Marie Elias qui
fait un stage en France à l’Imprimerie Nationale. Le P. Jean-Baptiste BELOT qui avait pris
en main la direction administrative de l’Imprimerie en 1868, la gardera durant vingt ans.
L’Imprimerie s’installe en 1875 dans de nouveaux locaux sur le terrain de l’Université SaintJoseph. En 1882, l’entreprise compte 80 ouvriers et employés, effectif qui se maintiendra
jusqu’à la première guerre mondiale46. Parmi les nombreuses éditions de cette époque il faut
Le nom d’Imprimerie Catholique, au lieu d’ « Imprimerie des Pères Jésuites », fut utilisé pour la première fois en
novembre 1857 pour la publication d’un vocabulaire français-arabe ; mais il ne s’imposa que lentement surtout en
arabe.
41 Le livre et le Liban, op. cit. pp.297-313.
42 Lettre du P. PLANCHET au P. ROOTHAN, 16 avril 1846. Sami KURI, op. cit. Vol. II. Arch. doc. 2.
43 Lettre du P. BILLOTET au P. ROOTHAN, 4 janvier 1851. Arch. ibid. doc.45.
44 Lettre du P. BADOUR au P. BECKX, 3 septembre 1853. Arch. ibid. doc.68.
45 Le F. Antoine TALLON écrivit en 1886 un mémoire sur la fondation et les premières années de l’Imprimerie des
Pères Jésuites que publie le P. Sami KURI, op. cit. Vol.III pp. 425-432.
46 Pour l’organisation de l’Imprimerie à cette période et ses éditions, cf. Sami KURI, « Esquisse d’un catalogue des
40
166
au moins citer la traduction arabe de la Bible dont les volumes parurent de 1876 à 1880 et,
suite à l’hebdomadaire « Le Concile du Vatican » qui dura le temps du Concile, le journal
« Al Bachir » lancé le 1° septembre 1870 et qui paraît jusqu’en 1947 ; pour l’Orientalisme,
les deux revues toujours éditées « Al Machriq » dont les premiers directeurs furent le P.
CHEIKHO de 1818 à 1927 et le P. LAMMENS de 1927 à 1934 et les « Mélanges de la
Faculté Orientale » qui paraissent en 1906 et qui deviendront à partir de 1922 les « Mélanges
de l’Université Saint-Joseph » ; parmi les ouvrages classiques de l’enseignement, il faut au
moins citer le « Majani » (ou Fleurs de la littérature arabe) du P. CHEIKHO parus de 1882 à
1888 et le « Mounged » dictionnaire arabe du P. MAALOUF édité pour la première fois en
1908. Rééquipée après la fermeture de la première guerre mondiale, l’Imprimerie Catholique
reprendra ses activités au service des anciennes et des nouvelles fondations de l’Université 47.
Parmi les motivations des fondations ecclésiales de l’Université Saint-Joseph, l’une
des plus déterminantes, au terme de plusieurs décennies d’émulation dans la fondation des
écoles, fut donc la crainte de l’extension du protestantisme. L’aide aux Églises Orientales et
le développement de l’orientalisme en furent les bénéficiaires, chacune des fondations,
Faculté de Théologie, Faculté Orientale, Imprimerie Catholique, ayant par ailleurs leurs
objectifs et leurs identités propres. Le Supérieur provincial reconnaissait cette motivation,
lors du Centenaire de la Mission des Jésuites au Liban : « Nos œuvres d’enseignement
primaire, secondaire et supérieur ont été fondées à Beyrouth après les œuvres protestantes et
parce que ces œuvres existaient… Notre urgent devoir était de créer un enseignement
catholique de tous les degrés, qui assure dans les âmes les plus humbles la fermeté de la
doctrine et qui affirme dans les hautes sciences l’autorité intellectuelle de l’Eglise48 ».
Il est difficile aujourd’hui de savoir si les Jésuites de la fin du XIX° siècle ont
surestimé la menace qu’au Liban constituait pour les Catholiques le prosélytisme protestant.
Il est encore plus difficile d’estimer la part qui revient spécifiquement à l’Université SaintJoseph dans le relatif insuccès des missions protestantes au Liban49 ; par sa seule présence
elle a en tous cas occupé une place qu’il eût été bien risqué pour le catholicisme de laisser
libre. Lors d’une vue rétrospective des résultats acquis par les missions protestantes au Liban,
le Pasteur Jean-Michel HORNUS a donné une synthèse des jugements des historiens sur ce
relatif insuccès :
« Il est certain que la Mission protestante a porté des fruits spirituels authentiques…
Cela dit, il est non moins sûr que les résultats concrets de près d’un siècle et demi de travail
manifestent un échec quasi total… Les missionnaires eux-mêmes indiquent qu’une première
cause de cet échec a été leur approche trop combative à l’égard des anciennes Églises… et la
présence d’un fort élément catholique, solidement appuyé sur le monde latin…Une autre
raison de cet échec a été l’émigration qui a proprement vidé de leur substance quantité de
villages qui avaient jadis été des forteresses du protestantisme libanais… Enfin une dernière
imprimés de l’Imprimerie Catholique de Beyrouth 1848-1888 » in Annales de l’Institut de Lettres Orientales, vol.7 19931996, Beyrouth 2000 pp.75-137.
47 cf. notamment Bibliographie de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth par les bibliothécaires de la Bibliothèque Orientale
Beyrouth, 1951.
48 Relations d’Orient, 1931 p.262. Les historiens protestants notent de leur côté : « Quelques écoles existaient depuis
longtemps, fondées par les Jésuites et les Lazaristes, mais elles étaient de bas niveau jusqu’à ce que la concurrence des Américains les
obligent à progresser » (Stephen B.L. PENROSE. That may have life ! The story of the Americain University of Beirut 1866-1941.
New Jersey 1941, p.55).
49 « L’Université a opposé une digue solide à l’envahissement du protestantisme… » (Michel JULLIEN op. cit., T.2 p. 65).
167
cause de faiblesse en général passée sous silence, mais certainement non négligeable, est la
totale laïcisation de l’Université Américaine de Beyrouth…50 ».
Les Facultés civiles de l’Université Saint-Joseph que nous allons maintenant évoquer
n’eurent pas à se séculariser, comme le fit l’Université Américaine ; fondations de l’État
français ou de l’Université de Lyon auxquelles la Compagnie de Jésus accepta de collaborer,
elles sont « séculières » dès l’origine.
Les fondations civiles
Les Facultés de Médecine et de Pharmacie, de droit, d’ingénieurs de l’Université
Saint-Joseph sont des fondations qualifiées de « civiles » pour les démarquer des fondations
ecclésiales qui viennent d’être évoquées. Ce qualificatif de « civil » évoque une situation que
décrit bien, en 1954, une lettre du Supérieur provincial des jésuites au Supérieur général :
« Je me permets d’exposer le problème des diverses Facultés civiles de l’Université SaintJoseph… Mettre en doute leur importance serait renier un effort auquel la Compagnie de
Jésus a donné trop d’elle-même pour en minimiser la valeur… C’est par une réussite
inespérée et non par la seule force de la réalité que ces diverses Facultés sont apparues à
l’opinion comme des Facultés « jésuites » : non seulement, en fait, en vertu de l’influence de
celui qui paie, mais, en droit, en vertu de leurs textes constitutifs, elles dépendent de façon
décisive d’autorités extérieures à la Compagnie51 ».
Cette dépendance extérieure était clairement marquée par la dénomination de ces
institutions : Faculté française de médecine dénomination qui s’imposa après la première
guerre mondiale jusqu’en 1975, École française de droit et École française d’ingénieurs
dénominations officielles jusqu’en 1948. Les diplômes que décernaient ces institutions, une
large part de leur financement, les Autorités académiques dont elles dépendaient jusqu’en
1975 étaient françaises et extérieures à la Compagnie de Jésus. Un État et un Ordre religieux
n’ont pas d’emblée dans une œuvre commune des objectifs identiques, surtout lorsqu’un
contexte idéologique les divise profondément comme c’était le cas entre le Gouvernement
français et la Compagnie de Jésus de 1880 à 1914. La réussite de cette œuvre commune tint
du fait que certains objectifs étaient communs et que les autres n’étaient pas totalement
contradictoires. Parmi ces objectifs communs, il faut mentionner le développement de
l’instruction et le service des professions ; parmi les autres, il faut mentionner une laïcité
muée en liberté de conscience.
La Faculté française de Médecine et de Pharmacie52
Le développement de l’instruction et le service des professions sont des
préoccupations clairement exprimées, en 1880, par le Consul de France à Beyrouth dans une
lettre adressée au Ministre français des Affaires Étrangères : « Si nous voulons entrer dans la
voie nouvelle du développement normal de l’instruction, nous devons d’abord nous avouer à
nous-mêmes que le système d’études suivi par nos écoles est défectueux et cela parce qu’il est
incomplet… Beaucoup d’élèves quittent le collège dès qu’ils se croient avoir les
Jean-Michel HORNUS, le Protestantisme au Proche-Orient, in Proche-Orient Chrétien, 1961, Vol. 2. p. 34.
Lettre du 24 mai 1954 du P. ROSTAN d’ANCEZUNE au P. Jean-Baptiste JANSENS (Arch. USJ).
52 Jean DUCRUET, Un siècle de coopération franco-libanaise au service des professions de la santé. Beyrouth. USJ.
1992.
50
51
168
connaissances nécessaires pour se livrer au commerce… Devant ceux qui achèvent
complètement leurs études aucune carrière ne s’ouvre… Il y a là plus qu’un inconvénient ; il
y a un danger social… J’ai déjà exposé comment nous pouvions entrer immédiatement dans
cette voie nouvelle en ouvrant, au collège des Jésuites, un cours préparatoire destiné aux
futurs étudiants d’une école de médecine française…53 ».
Du côté des Jésuites, cette même préoccupation de l’avenir de la jeunesse était
présente, comme le relève le P. Michel JULLIEN : « Le manque de carrières pour le jeune
homme au sortir du collège diminue le prix de l’instruction et l’ardeur des élèves pour
l’acquérir ; il limite l’action chrétienne du collège sur la société, en resserrant dans
d’étroites bornes l’influence des bons sujets qu’il a formés. C’est pour suppléer en quelque
manière à ce déficit que les Pères ajoutèrent à l’Université une école de médecine et de
pharmacie avec le concours du gouvernement français…54 ».
Ce service de la jeunesse se conjugue avec celui des professions de la santé. Qu’il
suffise pour la médecine de citer le début du rapport du Professeur Jules ROUVIER qu fut
l’un des Membres fondateurs de la Faculté de Médecine : « L’idée maîtresse qui a motivé la
création de la Faculté française de Beyrouth et présidé aux multiples détails de son
organisation, a été de former un corps de médecins devant exercer leur profession dans les
villes et les campagnes de la Syrie et des vilayets limitrophes. Ces provinces étaient alors la
proie du charlatanisme, et la pénurie de médecins praticiens était vivement ressentie. En
1883, comme aujourd’hui, une seule Faculté officielle existait dans l’Empire Ottoman, celle
de Constantinople. Elle devait pourvoir aux besoins des administrations civiles et militaires.
Elle était trop éloignée de nos régions ; aussi la plupart des Syriens, après d’être d’abord
dirigés vers l’École du Caire, lorsque cette École périclita, s’étaient retournés vers l’École
de médecine, ouverte depuis quelques années à Beyrouth par la mission protestante
américaine…55 ».
Pour le P. Hippolyte MARCELLIER qui fut le premier Chancelier de la Faculté,
« L’École de pharmacie est aussi nécessaire que l’Ecole de médecine. Elle complète cette
dernière : un bon médecin a besoin d’un bon pharmacien. Elle rendra les mêmes services à
l’Orient qui abonde en vendeurs de médicaments et qui manque de pharmaciens…56 ».
Une même préoccupation de la santé de la population commandera après la première
guerre mondiale les fondations de médecine dentaire, de sages-femmes et d’infirmières.
« Il n’existe en Syrie que fort peu de dentistes régulièrement diplômés. Ces dentistes
sont établis dans quelques grandes villes seulement. Si l’on ne crée pas de dentistes diplômés
sur place, le pays sera envahi par des charlatans qui créeront à l’Administration de
l’Hygiène les mêmes difficultés qu’en Égypte où les procès et les contraventions sont
continuels…57 ».
Lettre du 15 septembre 1880 de M. SIENKIEWICZ, Consul Général de France à Beyrouth, à M. de
FREYCINET, Ministre des Affaires Étrangères. in Recueil des documents diplomatiques et consulaires relatifs à l’histoire du
Liban, édité par Adel ISMAIL. T.14, p.214.
54 Michel JULLIEN, op. cit. T.2 p.63.
55 Rapport du Professeur Jules ROUVIER au Congrès de l’Enseignement Supérieur, le 13 mars 1900, in Diaire de la
Faculté de médecine T.1 p.913.
56 Rapport du R.P. MARCELLIER au Consul Général de France en avril 1886, in Diaire, op. cit.T.1, p.45.
57 Premier projet de création d’École dentaire à la Faculté de médecine, janvier 1919 (Arch. Fac. Méd).
53
169
« Un fléau national, disons le mot, est l’ignorance de nos dites sages-femmes,
ignorance qui n’a d’égal que leur arrogance et leur témérité. Tous les jours nous sommes
navrés de voir dans la clientèle la fièvre puerpérale enlever tant de mères de famille,
l’ophtalmie purulente faire perdre la vue à tant d’innocents enfants, les infirmités incurables
rendre à jamais invalides les femmes de notre pays. Nos regrets sont d’autant plus grands
que ces maladies sont essentiellement évitables…58 ».
« Le Gouvernement libanais voudrait nommer, dans les principaux villages de la
Montagne, des infirmières-visiteuses qui soient en même temps des sages-femmes. Un récent
concours a montré qu’on trouve à Beyrouth peu de sages-femmes capables de remplir le rôle
qu’on veut leur confier. Leur formation générale d’infirmières a besoin d’être sérieusement
complétée dans une école spécialisée59 ».
Quel que soit l’intérêt que présentait la fondation d’une Faculté de Médecine et de
Pharmacie à Beyrouth dans un partenariat entre la Compagnie de Jésus et le Gouvernement
français, fondation rendue publique le 25 septembre 188160, il faut reconnaître que le
moment était mal choisi. Qu’il suffise de rappeler qu’en France la loi du 18 mars 1880
interdisait aux établissements libres de prendre le titre d’universités et de décerner autre
chose que de simples certificats d’études et que la loi du 29 mars 1880 avait donné un délai
de trois mois à la Compagnie de Jésus pour se dissoudre et évacuer les établissements qu’elle
occupait en France.
Le paradoxe de cette situation ne pouvait échapper aux partenaires de la fondation.
« Quand on nous traite en France, comme nous sommes traités à l’heure présente, ce ne
serait pas comprendre la situation que de se poser en solliciteur61 » avait commencé par
objecter au projet le Supérieur provincial des Jésuites. La position des Ministres français anticléricaux qui estimaient de leur devoir de céder à ces sollicitations était plus inconfortable
encore, face à l’opposition de leurs propres amis : « Voilà quatre ans que le Gouvernement ne
cesse de dire à cette tribune et dans le pays que la lutte contre les congrégations est l’esprit
même du républicanisme et que ceux qui ne veulent pas lutter partout et toujours contre les
congrégations ne sont pas des républicains. Aujourd’hui nous venons d’entendre un des
principaux, un des plus éminents membres du cabinet, faire en des termes élevés et très
éloquents l’éloge des congrégations dans leur œuvre à l’étranger. Je me demande comment
nos pouvons nous retrouver au milieu de toutes ces contradictions… Ce que nous demandons
c’est que la France reconnaisse que son esprit ne peut pas être propagé par les
missionnaires, mais que c’est par des œuvres laïques seulement et par une action de
développement laïque, systématique et suivie, qu’elle répandra hors de ses frontières le pur
esprit français62 ».
Pour nous en tenir à la Faculté de médecine, aux côtés des Jésuites qui la fondèrent
figurent des hommes politiques français comme Jules FERRY63, Charles de FREYCINET,
Pétition des Enseignants au Chancelier de la Faculté de médecine, 23 juin 1920 (Arch. École de Sages-Femmes).
Lettre du P. DUPRÉ LA TOUR à Mme CATROUX, 19 octobre 1942 (Arch. Sc. Infirm.).
60 Lettre aux Directeurs des principaux établissements d’enseignement de Syrie et d’Égypte du 25 septembre 1881
(Arch. Fac. Méd.).
61 Lettre du P. MONNOT au P. BECKX, le 30 août 1880 (Arch. Cie de Jésus à Rome, Provincia Lugdunensis.
1006.III 56).
62 Journal officiel français 30 janvier 1903, compte rendu de la 14° séance de la Chambre p.302.
63 Il faut relever que M. Jules FERRY, positiviste et franc-maçon, a toujours voulu instaurer une école neutre et non
pas antireligieuse. Une de ses circulaires aux instituteurs est restée célèbre : « Parlez avec la plus grande réserve, dès que vous
risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juges… Vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose
58
59
170
Léon GAMBETTA, peu suspects de cléricalisme. A partir de 1887, ils autorisent les étudiants
de cette Faculté à recevoir le diplôme d’État français, faveur qu’aucun établissement privé
n’avait obtenu en France ; lorsque dix ans plus tard, ce diplôme fut jumelé avec un diplôme
ottoman, le jury mixte, pour éviter les conflits franco-ottomans, peut être présidé par un
Jésuite ; cela valut à l’Université Saint-Joseph un mot célèbre de Georges CLEMENCEAU
sur « la laïcité à rebours »64. D’octobre 1887 à juin 1976, la Faculté décerna 2.523 diplômes
d’État français de docteur en médecine ; à partir de mai 1977, elle décerne ses propres
diplômes, mais décerna parallèlement 368 diplômes français en raison du droit acquis
d’étudiants inscrits sous le régime du diplôme français.
Le choix des enseignants aurait pu faire difficulté dans le climat de l’époque. C’est
une prérogative que la Compagnie de Jésus entendait se réserver à tout prix. « Je mets pour
condition sine qua non à l’ouverture de la Faculté de médecine notre complète indépendance
dans le choix et le maintien des professeurs », écrivait, le 25 mai 1883, le Supérieur général65.
Le Gouvernement français ne l’ignorait pas, comme le montre la première version d’une
lettre de M. CHALLEMEL LACOUR, Ministre des Affaires Étrangères, à M. Jules FERRY,
alors Président du Conseil et Ministre de l’Instruction Publique : « En ce qui touche le choix
du personnel enseignant, le P. NORMAND et le Souverain Pontife lui-même ont fait part à
notre Ambassadeur près le St Siège, dans de récents entretiens, des préoccupations que leur
causait cette question. La Société de Jésus attacherait en effet le plus grand prix à obtenir
l’autorisation de désigner les titulaires des chaires de médecine. Sans prétendre d’aucune
façon se soustraire à notre légitime surveillance pour tout ce qui se rapporte à l’examen des
capacités scientifiques et pratiques des futurs professeurs, elle fait observer seulement qu’il
lui serait difficile de confier l’instruction de ses élèves à des savants dont les doctrines
blesseraient les croyances de la majeure partie de la population du pays. Ces considérations
m’ont paru mériter notre sérieuse attention et je ne vois, pour ma part, aucun inconvénient à
satisfaire au désir qui nous est exprimé. Il nous suffira, d’ailleurs, pour garder intacte
l’autorité que nous donne notre situation, de nous réserver un droit de veto et d’imposer aux
missionnaires de Beyrouth l’obligation de soumettre la liste de leurs candidats à
l’approbation du Gouvernement français, de telle sorte qu’aucun Professeur ne puisse
contracter avec eux un engagement définitif avant d’avoir été agréé par nous66 ».
En fait, le choix du personnel enseignant en un siècle ne connut que deux problèmes
dus à des erreurs de procédure, alors qu’il n’est pas une Faculté de médecine en France qui
n’ait eu, à un moment ou à un autre, un ou plusieurs professeurs détachés à Beyrouth67. La
valeur scientifique des candidats était appréciée par leurs pairs. Mais déclarait, en 1897, le
Supérieur Provincial des Jésuites : « La valeur médicale, si elle est indispensable, ne saurait
nous suffire pour l’œuvre que nous voulons faire en Orient ; il nous faut chez les candidats
des principes de foi catholique et une pratique religieuse en conformité avec leurs
croyances68 ». Cinquante ans plus tard, les références paraissent plus compréhensives : lors
délicate et sacrée qu’est la conscience de l’enfant ».
64 Georges CLEMENCEAU, « le diplôme du Père CATTIN », article publié dans L’Homme libre du 18 août 1913.
65 Lettre du P. Pierre BECKX, Supérieur général, au P. Pierre CLAIRET, Supérieur provincial, le 25 mai 1883 (Arch.
Cie de Jésus à Rome. Registra Lugduni, VI p. 304).
66 La première partie de ce texte archivé a été rayée et la version suivante lui est substituée en marge : « Le choix du
personnel enseignant devra naturellement appartenir aux missionnaires qui ont la direction de l’École ». La condition reste
inchangée. (Lettre du 15/17 avril 1883. Arch. Aff. Etr. Turquie. Dossier 27.1881-1889. École de Médecine de
Beyrouth).
67 La liste des enseignants de la Faculté de 1883 à 1993 est donnée dans le Livre d’Or des Facultés de sciences médicales et
infirmières. Beyrouth U.S.J. 1992.
68 Lettre du P. FINE à M. HANOTAUX, Ministre des Affaires Étrangères, le 29 mai 1897 (Arch. Cie de Jésus en
171
du Conseil Supérieur de la Faculté de médecine, le 28 juillet 1945, M. LAUGIER, Directeur
des Relations culturelles demande au P. DUPRÉ LA TOUR, chancelier de la Faculté, si la
question confessionnelle doit jouer un rôle important dans le choix des professeurs.
« Le chancelier répond que les question de religion ne constitue pas à ses yeux un
empêchement formel. –Il y a actuellement à la Faculté un professeur protestant, un
professeur israélite et un professeur musulman, avec lesquels les Pères entretiennent
d’excellents rapports-. Par ailleurs, il déclare qu’il considère de son devoir d’écarter les
hommes qui seraient d’une moralité douteuse ou d’une inconduite notoire. Exigence dont
chacun tombe d’accord 69 ».
On ne saurait s’étonner que les Pères Jésuites qui se sont succédés à la Faculté de
médecine et leurs Supérieurs se soient préoccupés de la vie religieuse des étudiants. Ce n’est
que rassuré par l’œuvre des retraites spirituelles pour les étudiants qu’en 1899, par exemple,
le Supérieur général consentit à l’agrandissement des locaux de la Faculté70. La Faculté
accordait une grande importance aux conférences de déontologie médicale; ces conférences
débordaient parfois les problèmes d’éthique médicale proprement dite pour aborder des
problèmes moraux plus généraux. Certaines furent imprudemment appelées « conférences
religieuses ». Ce manquement à la laïcité fit immédiatement l’objet en France d’une lettre
publique aux députés et d’une intervention à la Chambre71 . Le caractère réglementaire de la
Messe du Dimanche pour les catholiques, bien que non sanctionné, connut aussi quelques
problèmes. Le règlement de la Faculté évolua également avec le temps. C’est ainsi qu’en
1948, une note aux étudiants précise: « La Faculté est un organisme universitaire libre dirigé
par des religieux. Lors de sa fondation, le caractère religieux s’inscrivait de façon visible
dans un certain nombre de traits extérieurs dont la Messe réglementaire. Au fur et à mesure
du développement des institutions et de la multiplication de leurs connections avec d’autres
organismes, le caractère religieux tend à devenir plus intérieur. Une bonne moralité est
encore exigée des professeurs et des étudiants, par exemple en ce qui touche au mariage. Il
n’en reste pas moins que la vie et l’influence religieuses demeurent sous-jacentes aux
structures universitaires, plus qu’au collège par exemple. Un musulman ne se sent pas à la
Faculté un étranger de seconde zone. Il me semble que cette évolution doit se marquer dans
le choix des fêtes chômées... 72 ».
Un élément constant du climat de la Faculté, au long de son histoire, est en tous cas le
respect de la liberté religieuse de chacun. Ce respect fait partie des obligations mentionnées,
dès la fondation, dans le règlement des étudiants: « La religion de la Faculté est la religion
catholique. Tous doivent la respecter. Comme les étudiants de la Faculté appartiennent à
différentes confessions religieuses et à différents rites, ils doivent également respecter
réciproquement les croyances respectives de chacun 73 ». De nombreux témoignages ont été
rendus à la Faculté à ce propos et jusqu’à la Chambre française des députés où les
interventions sur ce sujet ne manquèrent pas : « La liberté de conscience est entièrement
respectée à la Faculté de médecine de Beyrouth tant par les Maîtres que par les élèves!74 »,
déclarait le Ministre des Affaires Étrangères lors de la séance du 26 novembre 1904.
France, Coll. Prat N.C. tome 27 p.373).
69 Compte rendu du Conseil Supérieur de la Faculté de Médecine du 28 juillet 1945.
70 Lettre du P. MARTIN au P. FINE, le 15 mai 1899 (Arch. Cie de Jésus à Rome, Registra Lugduni VIII, p.134).
71 Lettre à MM. Les Sénateurs et Députés du Bloc Républicain sur les Congrégations religieuses et l’influence française en
Syrie, Montpellier 1902, p.5. Interventions à la Chambre des Députés le 29 janvier 1903.
72 Note du 23 mars 1948 sur les jours fériés à la Faculté (Arch. Fac. Méd.)
73 Règlement des étudiants de la Faculté (Arch. Fac. Méd.)
74 Journal officiel français. Chambre des députés, 26 novembre 1904 p.2711.
172
La crainte d’un État laïc que la Faculté ne respecte pas la liberté de conscience fut
donc vite dissipée. La crainte que la Faculté ne crée des situations embarrassantes en laissant
apparaître sur divers sujets les positions opposées de la science et de la religion n’était pas
non plus absente des préoccupations des fondateurs comme l’évoque une lettre, qui se veut
rassurante, du Consul Général de France à Beyrouth au Président du Conseil : « Si grandes
que soient les difficultés d’ordre divers que cette œuvre est appelée à rencontrer, il faut
espérer qu’ici du moins l’incompatibilité prétendue entre la science et la religion n’éclatera
pas de sitôt au grand jour et ne mettra pas en péril l’œuvre naissante. Après tout, ce n’est là
qu’une question de tact et de prudence; nul doute que les médecins laïques sauront concilier
leur devoir avec des susceptibilités nulle part plus légitimes que dans un établissement d’un
caractère essentiellement religieux75 ».
L’une des motivations les plus profondes de l’Institution, mal perçue, était ici du
moins entrevue. Si le Pape Léon XIII reçut à plusieurs reprises les Jésuites les plus engagés
de la Faculté de médecine 76, si Rome intervint vigoureusement à plusieurs reprises auprès des
Autorités françaises et ottomanes pour la liberté de la Compagnie de Jésus de nommer les
Enseignants77 et pour la reconnaissance du diplôme de la Faculté de médecine78, si, en 1903,
alors que l’on craignait la suppression des subventions à la Faculté, le Supérieur général de la
Compagnie de Jésus se soit permis d’écrire : « Si tout échoue, reste le Saint-Père à qui on
peut demander un soutien pour deux ou trois ans, jusqu’au changement du Ministère 79 »,
c’est de toute évidence qu’aux yeux du Pape Léon XIII, la Faculté de médecine n’était pas
une œuvre secondaire. Ce Pape éminent avait compris l’urgence de créer, en tout pays, des
foyers scientifiques chrétiens aptes à concilier science et foi, faute de quoi la possibilité
d’allier la croyance et le savoir resterait douteuse même aux yeux des chrétiens.
L’École française de Droit et l’École française d’Ingénieurs 80
A la veille de la première guerre mondiale, le climat dans lequel se négocia entre
l’Université de Lyon et la Compagnie de Jésus la fondation de l’École française de Droit et
de l’École française d’Ingénieurs de Beyrouth n’était guère meilleure que celui dans
lequel, vingt ans plutôt, avait été ouverte la Faculté de Médecine et de Pharmacie ; les lois
françaises de 1880, précédemment rappelées, avaient en effet été suivies par la loi du 1°
juillet 1901 sur les congrégations religieuses et celle du 9 décembre 1905 sur la séparation de
l’Église et de l’État.
« Si la création d’une œuvre quelconque est difficile, il faut avouer que celle-ci l’est à
un degré supérieur, écrivait M. Paul JOUBIN Recteur de l’Académie de Lyon au P. Claudius
CHANTEUR, Supérieur provincial. Veuillez considérer, Monsieur le Provincial, que si vous
avez à négocier avec Rome, de mon côté, je suis fonctionnaire public ; j’ai à côté de moi des
Lettre de M. PATRIMONIO, Consul Général de France à Beyrouth, à M. Jules FERRY, Président du Conseil,
Ministre des Affaires Étrangères, le 11 décembre 1883 (Rec. Doc. dipl. op. cit. T.15 p.68).
76 Arch. Cie de Jésus à Rome. Lugd. III 71 et Syr. 1005.11.132.
77 Arch. Ministère français des Affaires Étrangères. Turquie, dos.27.
78 Arch. Cie de Jésus à Rome. Registra Lugduni VIII p.127.
79 ibid. p.282.
80 Jean DUCRUET, Livre d’or de la Faculté de droit, sciences politiques et économiques de l’Université Saint-Joseph, 1913-1993,
Beyrouth 1995 et Livre d’or de la Faculté d’Ingénierie, 1919-1999, Beyrouth 1999.
75
173
Conseils que je dois convaincre, au-dessus de moi des Chefs à qui je dois des comptes, un
Parlement dont je sollicite les concours… Nous ne saurions être trop prudents…81 ».
Le Recteur JOUBIN dépendait du Ministre de l’Instruction Publique, M. René
VIVIANI, notoirement anticlérical ; le Professeur Paul HUVELIN , artisan principal de la
fondation des deux écoles, lui adressa son rapport et concluait à son intention : « La cause de
l’expansion française exige qu’on fasse taire ses préférences et ses défiances personnelles.
Remarquons d’ailleurs que si nous ne nous allions pas avec les Jésuites, nous passerions
pour leurs adversaires. Alliance ou hostilité ; toute la question est de savoir si l’intérêt
supérieur du pays veut qu’on se décide pour l’une pour l’autre82 ».
Le 30 juin 1913, une lettre du Ministre des Affaires étrangères était transmise au
Recteur de l’Académie de Lyon par le Ministre de l’Instruction Publique; elle donnait à
l’Université de Lyon l’autorisation de prendre en charge à Beyrouth une école de droit et une
école technique et déclarait lui attribuer à cet effet les crédits qui seraient demandés au
Parlement. Le Conseil de cette Université, le 7 juillet 1913 décida, en conséquence,
l’ouverture des deux écoles pour la rentrée universitaire suivante. Un Chancelier jésuite,
nommé par la Compagnie de Jésus, et un Directeur laïc se partageaient l’administration et la
direction de chacune de ces deux écoles. Les deux Directeurs étaient nommés par
l’Association Lyonnaise pour le Développement à l’Étranger de l’Enseignement Supérieur et
Technique, organisme dû au génie diplomatique du Professeur HUVELIN et qui s’interposa
avec intelligence et efficacité entre l’Université française laïque et la Compagnie de Jésus.
Durant le demi siècle que dura l’étroite collaboration qu’imposaient ces co-fondations, il y
eut les conflits épisodiques que connaissent les institutions bicéphales mais aucun d’entre eux
ne mit en cause l’identité de chacun des partenaires et leurs rôles spécifiques, ni ne gêna le
succès d’un œuvre commune.
Cette œuvre, pour l’École française de Droit, devenue Faculté de Droit en 1948, fut
essentiellement, dans son enseignement et par delà, la réception tant législative que
jurisprudentielle du droit français au Liban83. La réception législative commença par
l’élaboration du code des obligations et des contrats, promulgué en 1932, et se poursuivit par
celle du code de procédure civile, promulgué en 1933, du code de commerce, promulgué en
1943, du code pénal, promulgué en 1943, du code du travail, promulgué en 1946, du code de
procédure pénale, promulgué en 1948, textes largement inspirés des textes français. Quant à
la jurisprudence libanaise, elle est désormais en étroite symbiose avec la jurisprudence
française. Cette réception du droit français fut grandement facilitée par le fait que le corps
professoral de la Faculté était constitué de juristes français et libanais ; elle fut surtout
facilitée parce que, sous le mandat français, d’une part, l’Autorité mandataire partageait la
compétence législative avec l’Autorité libanaise et, parce que, d’autre part, des juridictions
mixtes composées, en partie, de magistrats français souvent enseignants à la Faculté,
Lettre du 26 juillet 1913 (Arch. Cie de Jésus en France coll. Prat N.C. Tome 28-2 p.277).
Arch. de la Faculté de droit.
83 La réception du droit français au Liban a fait l’objet de nombreux rapports. Citons simplement : -Jean
CHEVALIER, «l’influence du Code civil dans le monde : le Liban et la Syrie », Association Henri CAPITANT,
Travaux de la semaine internationale du droit 1950 pp.866-878 ; Jean-Marc MOUSSERON, « La réception au ProcheOrient du droit des obligations », Revue internationale de droit comparé 1968 pp. 37-78 ; -Pierre GANNAGE, « La
circulation du modèle juridique français au Liban », Association Henri CAPITANT, journées franco-italiennes 1993.
– Jean DUCRUET « Réception du droit français au Liban et Émergence du droit libanais », Livre d’or de la Faculté de
droit de l’Université Saint-Joseph, Beyrouth 1995 pp. 21-40.
81
82
174
participaient à côté des autres juridictions, à l’élaboration puis au développement de la
jurisprudence libanaise.
La réception du droit français au Liban a eu d’emblée ses limites, notamment dans les
matières du droit des personnes et de la famille qui, au Liban, sont de la compétence des
communautés religieuses. Même dans les domaines où le système français a été pris
clairement comme modèle, il y a eu des divergences significatives et donc l’émergence d’un
droit libanais propre. Dans cette émergence, la Faculté joua un rôle important notamment
grâce à son enseignement. L’enseignement du droit libanais à la Faculté ne pouvait précéder
l’élaboration de ce droit ; mais il l’accompagna dans les étapes de cette élaboration et donc
s’effectua par étapes dont la plus importante fut la création, en 1946, de la licence libanaise
en droit.
Le système juridique libanais révèle toujours aujourd’hui son étroite parenté avec le
système français, entretenue notamment par l’importance de la place des diplômés de la
Faculté dans le personnel judiciaire. Cette parenté s’exprime sans doute souvent encore par
l’adoption des mêmes règles, des mêmes solutions dans certaines tâches du droit. Mais,
comme le relève le professeur Pierre GANNAGÉ, elle subsiste aussi là où cette uniformité
n’est pas réalisée : « Elle se fonde alors sur des données permanentes, sur l’histoire, sur la
culture qui ont forgé chez les juristes des deux pays les mêmes modes de pensée, une
sensibilité commune à la manière dont doivent être posés et résolus les problèmes qui font
naître les relations des hommes dans toute société 84 ». On ne peut mieux évoquer une culture
juridique que la Faculté de doit, pour sa part, a largement contribué à élaborer.
Concernant l’École française d’Ingénieurs, devenue en 1948 l’École Supérieure
d’Ingénieurs de Beyrouth, un accord avait été convenu en 1913 entre la Compagnie de Jésus
et l’Association Lyonnaise pour le Développement à l’Étranger de l’Enseignement Supérieur
et Technique, accord identique à celui convenu pour l’École française de Droit et confirmé
comme lui par le Gouvernement français et le Conseil de l’Université de Lyon. Le point de
vue des Jésuites sur cette fondation avait été clairement indiqué par leur Supérieur local au
Supérieur général : « Ces messieurs, sous l’inspiration de M. HUVELIN surtout, désireraient
que nous leur prêtions pour une école technique le concours sollicité pour la Faculté de
droit. Nous aurions l’administration et la direction morale. En soi, le projet est tentant. Les
jeunes gens sortis de l’École seront les pièces maîtresses des entreprises publiques et privées,
en Syrie et même en Égypte. Il y aurait là un élément très intéressant au point de vue de
l’influence apostolique… J’ai dit et répété à ces messieurs que nous étions hommes à nous
entendre 85 ».
L’ouverture d’une école d’ingénieurs ne put se faire en 1913 en raison des lacunes de
l’enseignement scientifique dans les écoles secondaires ; on se contenta d’une école
préparatoire et l’École française d’Ingénieurs ne fut ouverte que le 10 novembre 1919, suite à
un accord signé le 27 janvier 1919. Les lacunes de l’enseignement scientifique ne paraissent
pas avoir gêné l’enseignement médical ouvert en 1883 et il n’est guère crédible qu’elles aient
été comblées au cours d’une guerre mondiale qui fut au Liban particulièrement destructrice.
En fait, ce qui justifia l’ouverture de l’École d’Ingénieurs en 1919 ce fut l’urgence de
reconstituer et développer les infrastructures détruites par la guerre ou inexistantes sous
Pierre GANNAGE, op.cit. p.262.
Lettre du P. Claudius CHANTEUR au P. Édouard FINE, le 15 mars 1913 (Arch. Cie de Jésus à Rome, Provincia
Lugdunensis, 1011-III,10).
84
85
175
l’empire ottoman ; ce fut aussi la mise en place d’un pouvoir ayant charge d’instaurer une
politique de développement.
Il ressort d’un recensement de l’activité professionnelle des 180 ingénieurs diplômés
de l’École travaillant au Liban et en Syrie, appartenant aux promotions 1922-1940, que 112
ont exercé cette activité au service de l’Etat, des municipalités ou des sociétés
concessionnaires de services publics notamment dans les secteurs des transports, des travaux
publics ou des services hydrauliques. Mentionner les transports, c’est évoquer le déblaiement
et le développement du Port de Beyrouth où sept ingénieurs de l’École se distinguèrent
spécialement, le réseau des voies ferrées à remettre en état (20 ingénieurs des promotions
1922-1940 de l’Ecole exercèrent leur profession dans les compagnies de chemin de fer), la
réfection et l’extention des routes (44 ingénieurs de ces promotions y participèrent).
Mentionner les travaux publics ce n’est pas évoquer seulement ceux entrepris par les Etats
mais également ceux entrepris par les municipalités (15 ingénieurs des promotions 19221938 sont membres des bureaux d’études des municipalités libanaises et 14 de ceux des
municipalités syriennes). Enfin mentionner les services hydrauliques, c’est rappeler que
l’inventaire des ressources en eau du Liban et de la Syrie fut entrepris à partir de 1926. Sur
cette base, la Régie des Études Hydrauliques, créée en 1929, fit l’étude des aménagements
rationnels de l’Oronte, de l’Euphrate, du Khabour et du Yarmouk d’une part, de l’irrigation
de la Békaa par les eaux du lac Yammouneh, de l’assainissement de la Békaa de la Békaasud, de l’irrigation de la plaine de Batroun d’autre part. Ces études furent achevées en 1934.
Cette année-là commenca la première tranche des travaux d’irrigation de Homs et de Hama ;
10 ingénieurs des promotions 1923-1934 participent à ces études hydrauliques et à leur
exécution au Liban et en Syrie ; le plus connu d’entre eux est Ibrahim ABD-EL-AL
(promotion 1928) qui publia notamment en 1948 l’étude hydraulique du Litani et qui fut
enseignant à l’École de 1946 à 1959.
Comme ils le firent à la faculté de médecine, les Supérieurs jésuites se sont
périodiquement préoccupés de la vie religieuse des étudiants dans les deux Écoles. Des
réponses, à quarante ans de distance entre elles, manifestent un même comportement exprimé
dans un langage différent, lui aussi significatif : « Aucun acte de culte n’est imposé aux
étudiants à l’exception d’une Messe réglementaire le dimanche dont les absences ne sont pas
sanctionnées, écrit le P. René MOUTERDE en 1924… Le grand bien est l’atmosphère saine
et de travail où vivent les étudiants. Cette atmosphère est entretenue surtout par le Cercle de
la jeunesse Catholique et par les retraites spirituelles d’étudiants. Chaque année quelques
jeunes gens déclarent avoir beaucoup gagné sur le plan spirituel ou être revenus à la
pratique religieuse grâce à leur séjour dans nos Écoles. Il faut aussi mentionner l’exemple
des professeurs que l’on sait croyants et qui jouissent, en général, d’une excellente
réputation ; cela contribue au bien de tous86 ».
« Quelle est notre action sur les étudiants ? se demande, en 1964, le P. Sélim ABOU :
Directement, elle est culturelle. Elle consiste à ouvrir les esprits aux dimensions du rationnel
et du raisonnable, les préparant ainsi au dialogue spirituel entre communautés et, à
l’intérieur de chaque communauté, à une perception plus vraie de la religion, spontanément
vécue, dans la plupart des cas, comme pure appartenance sociologique. Mais indirectement,
cette action culturelle a une incidence morale. Lorsque la morale est développée à partir de
la discipline étudiée et non comme matière à part, d’abord l’étudiant en trouve
l’enseignement normal, ensuite cet enseignement est plus incarné et a plus de chance d’être
86
Note du P. René MOUTERDE de 1924 (Archives USJ).
176
entendu. C’est le cas du cours de culture générale à l’École d’Ingénieurs, du cours de morale
politique à la Faculté de droit que j’ai donné l’an passé. Cet enseignement anthropologique
et moral est fécond… On peut estimer cet enseignement insuffisant pour les Catholiques. Les
Catholiques peuvent trouver cours de théologie, conférences, cercle d’études etc… dans une
maison d’étudiants…87 ».
Avec le recul du temps, il est possible de discerner la portée des affrontements que
l’Université Saint-Joseph de Beyrouth connut avec le protestantisme en ses premières
fondations ecclésiales et civiles. La menace protestante joua au Liban, pour le catholicisme
qui se sentait agressé, le rôle que jouèrent en France, à la même époque, les campagnes antireligieuses d’un laïcisme unificateur : elle fit prendre conscience à l’Église catholique de la
nécessité de se doter d’institutions universitaires. Une remarque faite à propos des Facultés
Catholiques de Lille vaut pour plusieurs Universités catholiques fondées ou développées à
cette époque : « Le climat de tempête ne doit pas nous faire oublier l’objectif essentiel
poursuivi par les catholiques du temps. Dans l’ambiance scientiste, il fallait, selon le mot de
Mgr d’Hulst, premier Recteur de l’Institut Catholique de Paris, créer des foyers scientifiques
chrétiens, réconcilier science et foi : faute de quoi, la possibilité d’allier la croyance et le
savoir restera douteuse aux yeux de nos contemporains88 ».
Cet objectif est bien l’un de ceux des fondations de Beyrouth, à l’occasion d’une
rivalité, afin de ne pas laisser croire « que la science se concilie mieux avec le protestantisme
qu’avec le catholicisme89 », mais aussi parce que le « scientisme », tout importé qu’il soit,
n’était pas moins une donnée avec laquelle il fallait désormais compter. Le Consul Général
de France à Beyrouth ne s’y était pas trompé, lorsqu’il déclarait, en 1883, à propos de la
Faculté de Médecine : « Il faut espérer qu’ici du moins l’incompatibilité prétendue entre la
science et la religion n’éclatera pas de sitôt au grand jour et ne mettra pas en péril l’œuvre
naissante90 ».
Si les motivations des fondations universitaires de cette époque sont souvent
identiques et si, comme l’écrit le biographe de Mgr d’Hulst, « les années qui ont suivi 1880
ont été, dans tout le monde catholique, des années d’un admirable et fécond renouveau
intellectuel 91 ». C’est que cette période de l’histoire de l’Église est celle du pontificat de
Léon XIII, un Pape convaincu de la nécessité de la présence de l’Église dans la réflexion
scientifique.
Note du P. Sélim ABOU au P. André SNOECK, octobre 1964 (Archives USJ).
Jérôme REGNIER, « Une université catholique aujourd’hui ? » Ensemble, revue de la Fédération des Facultés
catholiques de Lille, 1984 p.59).
89 Michel JULLIEN, op.cit. T.2, p.56.
90 Lettre de M. PATRIMONIO à M. Jules FERRY, Président du Conseil, le 11 décembre 1883 Rec. Doc. dipl., T.15
p.68).
91 Mgr BAUDRILLARD, Vie de Mgr d’HULST, Paris 1912, T.1, p.450.
87
88
177
AMERICAN CATHOLIC HIGHER EDUCATION: 1815-1962
Prof. Dorothy BROWN,
Georgetown University, Washington D.C., USA.
Three weeks ago, on April 1, 2001, the new Cardinal Archbishop of Washington
made his first visit to Georgetown University, the oldest Catholic university in the United
States. During his homily in the Chapel of the Sacred Heart, it was obvious that Cardinal
McCarrick was aware of the place and the moment. Turning to the Jesuits seated behind the
altar, he spoke of the long years and important contributions of the Jesuits to American
Catholic higher education. Then, speaking to the congregation of faculty, students, and
administrators, he addressed the present day challenge of mission and identity. Georgetown,
he asserted, and by inference all Catholic colleges and universities, should be identified by
three commitments: it should for strive for excellence; it should be authentically Catholic; it
should serve the poor.
His message had a special resonance at Georgetown. Considered by many to be the
flagship American Catholic university, Georgetown is the only Catholic member of the
Consortium on the Financing of Higher Education, COFHE, the awkward title given to the
group of thirty-one major private American universities, including Harvard, Yale, Stanford,
and Chicago. While Georgetown’s “excellence” has been recognized by this inclusion,
Georgetown has also been involved in a major discussion and affirmation of its Catholic and
Jesuit identity. As a member of the Association of Jesuit Colleges and Universities,
Georgetown, with colleagues in the other twenty-seven American Jesuit institutions, has just
completed a year-long reflection on justice in its curricula, research, and actions.
The Cardinal’s exhortation to this three-fold commitment would also resonate with
the two other Catholic pioneering institutions of higher learning in his archdiocese: the
Catholic University of America, founded as the first Catholic graduate school by the
American bishops, and Trinity College, founded as a college for women by the Notre Dame
de Namur congregation in the 1890s. Yet, given their varied history, structure, and resources,
each would face the challenge and respond from a different perspective. If the Cardinal
carried his message north to Philadelphia, the complexity of Catholic higher education and of
the issue of mission and identity becomes more evident: Philadelphia has seven colleges
founded by women religious: Rosemont, Chestnut Hill, Immaculata, Holy Family,
Gwynedd-Mercy, Neumann, Cabrini. Their Philadelphia neighbors are three Catholic coeducational universities: Villanova, St. Joseph’s, and LaSalle.1 The challenge of mission and
identity, of preserving the particular charism of the founding congregations, and of locating
an institutional niche, is acute in this crowded environment.
Sociologist Andrew Greeley, assessing the variety and complexity of American
Catholic higher education in his study, From Margin to Mainstream, (1972) concluded “there
is neither organizational nor ideological unity within Catholic higher education, and the
The founding congregations are: Rosemont (Holy Child), Chestnut Hill (Sisters of St. Joseph), Immaculata
(Immaculate Heart of Mary), Holy Family, (Sisters of the Holy Family of Nazareth), Gwynedd-Mercy (Mercy),
Neumann (Sisters of St. Francis of Philadelphia), Cabrini (Missionary Helpers), Villanova (Augustinians), St.
Joseph’s (Jesuits), LaSalle (Christian Brothers)
1
177
178
outside observer who expects that he will be able to generalize about this helter-skelter
aggregation of schools soon realizes that he is skating on very thin ice.”2
Accepting the thin ice and the challenge of discussing the history and significance of
American Catholic higher education from 1815 to 1962, this paper will focus on the central
issue that does connect the Catholic colleges and universities in those decades and, indeed,
the present: the issue of mission and identity. Chronologically and topically, the paper breaks
into three parts:
1) mission and identity: 1789-1887 “our main sheet anchor for religion”
2) mission and identity: 1899-1945 from margin to mainstream
3) mission and identity: 1945-1962 (and afterward) the challenge of excellence.
In each, there are echoes of Cardinal McCarrick’s challenge of mission and identity:
to strive for excellence, to be authentically Catholic, and to serve the poor.
Mission and Identity: 1789-1887 “our main sheet anchor for religion”
American higher education transplanted models and traditions from Western Europe
and developed in an American environment that was pluralist, highly mobile, and
increasingly democratic. The early foundations were Christian and pragmatic. Puritans,
Presbyterians, and Anglicans needed a literate clergy. The colonies needed educated leaders.
Harvard cited as its chief aim that “Every one shall consider the mayne End of his life &
studies, to know God & Jesus Christ, which is Eternall life.” In Virginia, the College of
William and Mary sought to insure that youth be “piously educated in good letters and
manners.3 The prescribed liberal arts curriculum differed little from that of Oxford and
Cambridge, where many of the faculty had studied. Grounded in classical languages and
literature, the course of studies added ethics, politics, physics, mathematics, botany, and
divinity. Harvard’s curriculum of 1723 changed little in the next hundred years.4
After the American revolution, there was a rush to found new colleges and academies.
If the new republic was to survive, education was essential. In the twenty years after the
victory at Yorktown, nineteen colleges were founded. Religious denominations remained the
most active founders, yet the push to the frontier, an expanding population, and growing
affluence all contributed to the explosion of colleges. (By 1880, Ohio, with a population of
three million, had thirty-seven publicly-supported or private colleges; England with a
population of twenty-three million had four universities.)5
It was in this educational ferment that Bishop John Carroll developed his “grand
hopes” for an academy, “seeing it as the key to the establishment of a stable, well-integrated
Catholic community within the new republic.6 In 1800, there were approximately 50,000
Catholics clustered in Maryland and Pennsylvania. Yet even in Maryland, founded by
Catholic Cecil Calvert, Lord Baltimore, Catholics could not vote, bear arms, or worship
Andrew M. Greeley, From Margin to Mainstream: A Profile of Catholic Higher Education (New York: 1972): 2.
John S. Brubacher and Willis Rudy, Higher Education in Transition: An American History: 1636-1956 (New York: 1958):
6-8; Christopher J. Lucas, American Higher Education: A History (New York: 1994): 104-05.
4 Brubacher and Rudy: 14-15.
5 Lucas: 116-17. There were nine colleges founded in the pre-Revolutionary years.
6 Robert Emmett Curran, S.J., From Academy to University, 1789-1889, Vol I (Washington: 1993): xv.
2
3
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179
publicly. Maryland’s law of 1704, “An Act to Prevent the Growth of Popery,” included a
provision to deport any Catholic who kept a school or instructed children. Not surprisingly,
on the eve of the revolution, Catholics, as John Adams observed, were as “rare as
earthquakes.”7
The revolution, as subsequently the Civil War and World War I and II, provided
opportunities for the Catholic minority. Catholic Charles Carroll of Carrollton was a signer of
the Declaration of Independence and a creditor of George Washington; John Carroll with
Charles Carroll accepted a mission to Canada with Benjamin Franklin to try to win the aid of
the French. In the wake of the war, even John Adams who feared the republic would be
overrun “with swarms” of Jesuits, accepted that the new nation’s commitment to “religious
liberty must afford them an asylum.” John Carroll, educated in a Jesuit college in Belgium,
ordained a Jesuit, appointed the first American bishop in 1789, wrote to a friend in England
in December 1785: “The object nearest my heart now, and the only one that can give
consistency to our religious views in this country, is the establishment of a school and
afterwards a seminary for young clergymen.” His academy was to be “our main sheet anchor
for Religion.” Carroll persuaded the former Jesuits (the order was suppressed from 1773
until 1814) to sell the plantation lands they held to fund his academy, and, when those funds
were insufficient, issued an appeal for financial support to establish an academy at George
Town, Patowmack River, Maryland "to unite the means of communicating Science with an
effectual Provision for guarding and preserving the Morals of Youth.” The choice of a site
was fortuitous, on land that would become part of Washington, the new capital of United
States. Carroll noted: “Our academy from its situation will probably be conspicuous.” It was,
in the spirit of the new republic, to be open to students of every religious profession.8
As the Puritans and Anglicans had transplanted their experience at Cambridge and
Presbyterians their Scottish roots, Carroll brought over the Jesuit model of Liege and St.
Omer: the liberal arts and classical curriculum and the Ratio Studiorum. A confident 1798
prospectus announced that “the College now offers the promising prospect of being a
complete nursery of learning equal to those in the United States.” As at Harvard in the early
years, the students were quite young, three-fourth of the first 277 students were between ten
and sixteen years old. More than three-fourths were Catholic with a bare majority of English
descent; significant numbers were French, Irish, or from the French West Indies. While
Carroll wanted an American faculty for his American academy, he had to turn in the early
years to European clergy. By 1817, when Georgetown awarded its first bachelor’s degrees,
the fledgling academy had survived the War of 1812, been strengthened by the
reestablishment of the Jesuits, received its charter from the federal government (with
legislation supported by its first graduate, William Gaston, a member of the US House of
Representatives from North Carolina) and seemed “on the verge of redeeming Carroll’s
dream of a Catholic and republican institution of higher learning, blending the best of
William P. Leahy, S.J., Adapting to America: Catholic, Jesuits, and Higher Education in the Twentieth Century (Washington:
1991): 1; Curran: 5; Edward J. Power, Catholic Higher Education in America: A History(New York: 1972): 9.
8 Curran: 24-26; Power: 20-21. Power believed Georgetown was open to all, because, among other reasons, Carroll
did not want to discourage Protestant contributions. See also John Tracy Ellis, Perspectives in American Catholicism
(Baltimore: 1963):98. Ellis observed: “John Carroll found the Catholic Church of the United States in 1790 a poor
despised, and widely dispersed aggregation; he left it a quarter century later a strong and vibrant band of priests and
people who had grown and prospered so that by 1808 four new dioceses were established in the Young Republic
and the venerable Carroll himself was raised to the dignity of first Archbishop of Baltimore.” He invited the
Sulpicians to established a seminary in Baltimore in 1791.
7
179
180
European tradition and American culture, that was the match of any college in the land.”9
Georgetown would be excellent and authentically Catholic.
In the 1820s, Georgetown’s seven-year program of studies followed the spirit, if not
the letter, of the Ratio Studiorum in its American translation. There was heavy emphasis on
Latin and Greek. Cicero was the model of style, but students also read Addison, Pope and
Milton in the quest for eloquentia perfecta. Spanish was offered and music and dance could
be elected. Chemistry experiments were carried on in the new laboratory. Philosophy brought
synthesis and integration. In 1835, following proposals formulated by Father General
Roothaan in 1832, there were some modest revisions. The first year (rudiments) continued
the emphasis on Latin and Greek grammar, Cicero, and English grammar, and added the
history of the Old Testament, and elements of geography. By the sixth year, courses in
history had moved through the history of Rome and leapt to American history. In the seventh
year, students grappled with logic, metaphysics and ethics. Lectures were delivered in Latin.
Students could elect music and drawing. The prescribed curriculum became the model for
Jesuit and much of Catholic higher education until the first decade of the 20th century.10
By the eve of the Civil War, in 1860, eighty-two more Catholic colleges had been
established either by bishops or religious congregations. A continuing influx of clerical and
religious missionaries and refugees from Europe provided about one-third of the faculty for
the new institutions.11 Two universities founded in the mid-west provide case studies of the
continued European/American/Catholic model: St. Louis and Notre Dame.
At the close of the War of 1812, French Sulpician Louis W.V. DuBourg, bishop of
Louisiana, friend of John Carroll, and former president of Georgetown College, determined
to building a cathedral and a college in St. Louis. A frontier town and gateway to the west, St.
Louis was populated by French Catholics, and, following the Louisiana Purchase, increasing
numbers of Anglo-Americans. In the fall of 1818, the academy opened, staffed by four
clergymen. Belgian Jesuit novices arrived from Maryland to work among the Indians. By
1832, when the college received its charter, French Catholic students had been joined by
German immigrants and Mexican students from Vera Cruz. Father Pierre Jean de Smet
purchased scientific equipment from the Jesuit College of Saint Acheul in France and brought
the library of the Augustinians at Enghun in Belgium. Less than two years after St. Louis
received its charter, it conferred its first bachelor’s degrees on two students and an MA on
another.12 The official history of the university , Better the Dream , opens with a quote which
captures the accomplishment and the complexity:
“St. Louis University has played many roles during its one hundred and fifty year
history. It was the first college in a region more vast than western Europe; a seminary for the
West’s largest diocese; an academy for the sons of pioneers; the first university in the transMississippi region; the resource center of missionary work among the northwest Indians; the
mother of countless schools in the Mississippi basin; a seedbed of scholarly and religious
activities; a leading Catholic medical center; the only Vatican microfilm repository in the
world.”13
Curran: 49-50, 74-78.
132-40;Dorothy M. Brown, “Learning, Faith, Freedom, and Building a Curriculum,” in
Georgetown at Two
Hundred: Faculty Reflections on the University’s Future, edited by William C. McFadden (Washington: 1990): 82
11 Greeley: 10; Power: 60; Curran: 127-31. Only 28 of the 82 colleges founded in this period survived.
12 Faherty: 6-49.
13 William B. Faherty, S.J., Better the Dream: Saint Louis: University and Community, 1818-1968 (St. Louis, 1968): xiii.
9
10Power:
180
181
Rural Indiana was the site chosen by Edward Sorin to found Notre Dame. Purchasing
the land in 1842 with a bill of credit of $300, Sorin, a French missionary priest with seven
brothers, members of what would become the congregation of the Holy Cross, within two
years built a Catholic men’s college, a preparatory high school, a vocational school and a
religious novitiate. Pasture lands and fields supplied most of the food for students and faculty.
Sisters taught the elementary grades and managed the cooking and household chores.
Although there were two lakes on the property, the adjoining marsh land proved an unhealthy
neighbor. By 1855, twenty-three priests, sisters and students had died from malaria and
cholera. In the 1850s, Notre Dame was described by one historian as a “properly chartered,
substantially constructed, modestly successful seat of learning B inadequately endowed with
faculty, students, and funds, but at least minimally endowed in all of these, not bankrupt, not
destitute, not unattended, not without hope.”14
In the 1850s, the Catholic church with 2,00,000 members comprised the largest single
denomination in a still predominantly Protestant country. The majority resided in the urban
northeast. There had been large numbers of Irish immigrants in the 1820s: in the 1840s and
1850s, there were increasing waves of Irish and German Catholics. A Jesuit provincial visitor
to Philadelphia in 1852, urged the pastor of St. Joseph’s Church, a former member of the
faculty of Georgetown, to establish a college as soon as possible to educate the sons of the
working class and “humble poor.”15 That same year, from St. Louis, the Jesuit superior wrote
to the Jesuit Father General: “admit that our colleges are not doing all the good which one
might desire and yet without the colleges where would our poor youth be and what would
become of the service and support which our colleges lend to religion?16
Catholic immigration in the 1840s and 1850s was accompanied by savage outbreaks
of nativism and anti-Catholicism. In the tense political debates over sectionalism and slavery,
Protestants were also increasingly concerned at a perceived threat to the polity by the
“clannish” newcomers, their religion and their competition in the workplace. Catholics also
perceived a threat and acted. The Second Provincial Council of Baltimore in 1833 inveighed
against the anti-Catholic sections of textbooks used in the public elementary schools and
called for a strong system of parochial schools. Four years later, the Council decried the
unhealthy religious climate in the United States. Catholics in the New York and Maryland
legislatures unsuccessfully lobbied for state funding for parochial schools. In Philadelphia,
Bishop Kenrick asked that a Catholic Bible be available to Catholic students in the public
schools.
In the 1840s, a literary society at the University of Pennsylvania argued that “native”
Americans were justified in burning the homes of their Catholic neighbors. In 1844, two
churches and thirty-five homes were burned; fourteen killed and fifty wounded. Villanova
College, opened two years before, was closed until 1846 as the Augustinians did not have
enough priests to staff both the college and rebuild the ruined St. Augustine church.17 In St.
Thomas J. Schlereth, The University of Notre Dame: A Portrait of Its History and Campus
(Notre Dame: 1976): 3-57.
The major challenge to Notre Dame was a devastating fire in April 1879, which destroyed the six-story Main
Building and our adjacent structures. Sorin arrived back on the campus and, undeterred, led the students into the
chapel and delcared: “if ALL were gone, I should not give up.
15 Leahy: 1; David H. Burton and Frank Gerrity, St. Joseph’s College: A Family Portrait, 1851-1976 Philadelphia: 1977):
5-6.
16 Power: 56.
17 Thomas J. Donaghy, F.S.C.,
Philadelphia’s Finest: A History of Education in the Catholic Archdiocese, 1692-1970
(Philadelphia:1972):56-57. David R. Contosta , Villanova University: 1842-1992 (University Park: 1995): 20-21.
14
181
182
Louis, after rumors spread that the Jesuits had brought back the Spanish Inquisition and men
and women were being tortured and killed at the University Medical College, a mob smashed
into the building and destroyed the equipment.18 Nationally, nativist fears were enough to
trigger the formation of the Know-Nothing Party; its candidate for President in 1856,
ironically won the electoral votes of only one state, Maryland.
While the participation of Catholics in the Civil War, particularly the heroic works of
the Sisters of Charity caring for the wounded, affirmed their “Americaness,” the accelerated
immigration after the war, now primarily Catholics and Jews from Southern and Eastern
Europe, kept Protestant concerns about the inundation and the health of the country alive. In
New York City, Charles Loring Brace founded the Children’s Aid Society to “rescue”
Catholic children from their parents and the corrupting environment in the city and place
them with good Protestant homes in the clean air of the country. In The Dangerous Classes of
New York, Brace wrote of the shiftless, intemperate, desperately groaning and begging
hordes, who “barely managed to stay alive long enough to breed.” They brought not only
pestilence and disease to the city but “broods of vagrants and harlots.”19. In the 1890s, as the
waves of immigrants continued and grew even greater, the nativist American Protective
Association urged “Americans” not to hire or vote for Catholics.
In response, Catholic bishops, clergy, religious, and laity again determined to take
care of their own. In 1884, the American bishops in the Third Plenary Council of Baltimore
asserted that “every effort should be put forward, by priests and people to create a complete
system of Catholic training which would protect the Catholic youth of the land at every stage
of its education.” The Catholic church of the immigrant poor erected not only thousands of
parochial schools and academies, high schools, protectories, industrial schools and nursery
schools to educate and save souls, but also developed hundreds of Catholic hospitals, and
what became the largest private system of social provision in the United States. Religious
congregations continued to found colleges: Boston College, St. John’s University in New
York, Loyola University Chicago, Duquesne University, Saint Leo University, Creighton in
the 1860s and 1870s.
Throughout the 19th Century, the Catholic colleges for men retained much of the
Georgetown model: a six year academy/college offering a classical, liberal arts curriculum.
Carroll’s vision, a commitment to moral character and to preserving the faith, continued.
Administrators, faculty and bishops generally stood outside the battles raging in American
higher education. Yale’s curricular revision of 1828, with its confident claim that it contained
all the common elements of culture needed to educate a citizen, was essentially ignored. Yet.
the landscape of higher education in the United States was undergoing rapid transformation.
The Morrill Act of 1862 supported the development of state-funded public colleges and
universities. In 1878, Johns Hopkins University, a graduate school in the German university
model, opened and was quickly emulated. At Harvard, Charles Eliot’s elective system was
instituted. The storm of debate which followed did not provoke significant discussion on
Catholic campuses.20 Pope Leo XIII left little doubt that the American church was not to be
Protestants were also alarmed at the highly publicized conversions of national figures like Orestes Brownson and
Isaac Hecker.
18 Curran: 124-35; Faherty: 95-98.
19 Cited in Dorothy M. Brown and Elizabeth McKeown, The Poor Belong to Us: Catholic Charities and American Welfare
(Cambridge: 1997): 16-17.
20 See Brubacher and Rudy for a good discussion of the many issues that flowed from the elective debate. Power
observed: “Catholic colleges rode the bandwagon of educational progress but they were never its drivers.”: 85.
182
183
encouraged to engage in the larger world in dialogue, but to concentrate on strengthening its
own subculture. Bishops and priests affirmed the dangers to the faith for Catholic students in
non Catholic schools and colleges, and promoted the Catholic college. Historian David
O’Brien summarized the situation in 1900: “a combination of ethnic commitment, Vatican
pressure, increased investment and pastoral conviction solidified support for Catholic
elementary schools, laid the basis for expansion of Catholic high schools and provided a
rationale for Catholic higher education.”21
Yet there were significant changes. Between 1860-1900, Catholic colleges began to
gradually abandon their secondary school college affiliations and their pre-seminary
collegiate and seminary divisions to adopt a four-year program of study comparable to the
state universities and Yale and Princeton. Georgetown, Fordham, and St. Louis universities
developed graduate programs and professional curricula in medicine and law. The major
initiative, however, was the creation of the Catholic University of America in the 1880s. At
the Third Plenary Council of Baltimore in 1884, John Lancaster Spalding, Bishop of Peoria,
spoke passionately for the creation of a Catholic university under the leadership of the
bishops. He argued: “When our zeal for intellectual excellence shall have raised up men who
will take place among the first writers and thinkers of their day their very presence will
become the most persuasive of arguments to teach the world that no best gift is at war with
the spirit of Catholic faith.” Spalding buttressed his argument with money; a $300,000 pledge
by heiress Mary Gwendoline Caldwell to create a graduate school of philosophy and
theology. Three years later, the Catholic University of America accepted its first clerical
students. Its President, John J. Keane, Bishop of Richmond, admitted that he did not know
anything about higher education, but he did spend two years visiting universities in the
United States and Europe. However, when he began to recruit his faculty; like John Carroll
he had to turn to Europe. The first faculty included eight foreign-born professors and two
American-born converts.22
The Jesuits at Georgetown watched with some anxiety as the new university was
established. The Papal delegate, Francesco Satolli, gave them cause very soon. He
approached the deans of the Medical and Law schools and suggested they affiliate with
Catholic University. While they quickly and heatedly refused, the Jesuit Father General and
also the Jesuit provincial, with promptings from Rome, urged Georgetown to “tone down all
public announcements of Georgetown’s postgraduate courses and to avoid the appearance of
increased tempo in the progress of the two professional schools. A “deliberate retardation of
Georgetown’s development as a u;niversity” ensued.23 The Jesuits fought the suggestion that
Catholics concentrate their resources and support only one graduate school: the Catholic
University of America. The Dean of St. Louis University’s School of Education argued that a
focus on one graduate institution would result in inbreeding, fail to meet regional needs, and
destroy the good already beginning to be achieved in the various Catholic graduate schools.
He suggested support for six or eight quality Catholic graduate universities in strategic
locations. Edward Tivnan told members of Jesuit Commission “if we do not build up one or
several good Graduate Schools, the Catholic University is going to win out.” The
O’Brien: 39-41.
Catholic University soon began to admit undregraduate students for needed tuition revenue. See C. Joseph
Nuesse, “Undergraduate Education at the Catholic University of America: The First Decades, 1889-1930,” U.S.
Catholic VI (Fall 1988):429-49.
23 Spalding cited in John Tracy Ellis, “American Catholics and the Intellectual Life,”
Thought, XXX (Autumn 1955):
359; Power: 353-66. In 1904, Catholic University admitted undergraduates. See also Joseph T. Durkin, S.J.,
Georgetown University: The Middle Years (1840-1900)(Washington: 1963): 218-25.
21
22
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Commission’s final report urged forming a national association of Jesuit schools partly to
defend against Catholic University.24 Meanwhile, one correspondent to the rector of Catholic
University pointed out that there were eighteen Catholic institutions engaged in “an insane
system of cut throat competition.” Thomas J. Conaty, of the Catholic University faculty
stressed the need for organization at the 1899 meeting of the Catholic Educational
Association in the age of “trust and syndicate.” It was not to be.
By 1900, there were 12,000,000 Roman Catholics in the United States. There were
sixty-three colleges and universities, enrolling 4,200 students, offering a prescriptive liberal
arts curriculum, stressing “character formation in an atmosphere permeated by traditional
believing Catholicism.” Approximately two-thirds of the Catholic academy/colleges founded
before 1900 had failed to survive, usually due to lack of financial resources. Andrew Greeley,
surveying the landscape in 1900, concluded: “At the beginning of the twentieth century
Catholic colleges were small, in constant financial difficulty, academically inferior, static in
educational philosophy, traditional, in curriculum and pedagogy, rigid in discipline and
student life, clerical in faculty and administration, and isolated almost completely from the
mainstream of American higher education. On the other hand,” he added,” it is worth noting
that many of the faults then as now, were also found in most other American colleges and
universities.”25
In the first century of Catholic higher education, bishops, priests, and religious had
created institutions that were (with the elementary and high schools) “the main sheet anchor
of religion.” They were authentically Catholic and they did serve the poor. They had not yet,
by their own and others’ assessments, achieved excellence.
Mission and Identity: 1890-1945: From Margin to Mainstream
The radical transformation of the American economy and society by industrialization
and urbanization was everywhere evident in the 1890s and first decades of the 20th century.
Americans grappled with the pronounced “end” of the American frontier, the business
phenomena of trusts and conglomerates, the impact of technology, the continued immigration
from Europe, the emergence of a trade union movement and its radical counterparts, and the
“migration of hope” of the American Negro from the south to the urban north. In higher
education, the creation of an expanded middle class and a concomitant culture of
professionalism, led to concerted attention to standards and accreditation by states and
regional and national professional bodies.
The greatest receptivity and readiness for change in Catholic higher education was in
the newly established colleges for women. In Baltimore, the German School Sisters of Notre
Dame expanded the academy they had founded in 1873, secured a charter from the state of
Maryland in 1895 and, as the College of Notre Dame of Maryland, became the first Catholic
college for women to confer baccalaureate degrees in 1899. In Washington, Sister Julia
McGroarty, of the Sisters of Notre Dame de Namur, with the encouragement of Cardinal
Gibbons, (who also supported the College of Notre Dame of Maryland initiative), established
Trinity College close to the Catholic University. Both colleges took as their models the
24
25
Leahy: 51-52; Gleason: 39-48.
Leahy: 1 and 22; Greeley: 13.
184
185
successful private women’s institutions, Vassar, Bryn Mawr, Radcliffe; both were determined
to be “equal if not superior “ to the best women’s and men’s colleges. Trinity became known
as the Catholic Vassar.
Fourteen additional Catholic colleges for women were founded between 1905-1915.
The motivation was obvious. As the middle class expanded, as the need for teachers and
nurses increased, as the new profession of social work developed, the colleges were meeting
a need. With the emphasis on professional credentials for high school and elementary
teachers, religious women who learned pedagogy as apprentices needed formal, advanced
education. Women who had applied for admission to Catholic University had been denied.
Catholic lay women and some religious were studying at the universities of Minnesota,
Wisconsin, Chicago and other state and private universities. Fears of the “atheistic influence
encountered” were voiced by Rev. Francis W. Howard, Secretary of the Catholic Education
Association in 1911 as he wrote to the Apostolic Delegate: “the Chicago University is doing
great harm to Catholic girls who follow the college course.”26 In 1911, the Catholic
University and DePaul University in Chicago admitted women to summer programs; five
years later Marquette’s student body included 375 women. Catholic University established
Sisters’ College to offer academic and professional training and to counter the matriculation
of women religious in secular universities. By 1920 nuns could study during the summer at
twenty-four Catholic colleges and universities, including Notre Dame, Villanova, and St.
Louis University.27
In their dioceses, bishops still alarmed at the number of Catholic women “flocking” to
state universities and normal schools and facing unceasing need to staff Catholic parochial
schools encouraged congregations to establish colleges. In some institutions, young sisters
comprised a significant part of the student body. The proliferation resulted in some of the
“insane competition” noted among graduate schools and men’s colleges. They were all small
and supported by modest tuition, the contributions and support of the sisters of the sponsoring
congregations, and miniscule funds from alumnae and benefactors. Dean Mary Molloy,
(Cornell, Ph.D.) speaking at the 1918 National Catholic Educational Association meeting,
condemned superiors who yielded to bishops and opened colleges “which were finishing
schools at best.” “The ones to suffer the most are the institutions that have looked to honest
quality first,” she observed, concluding: “We need Catholic colleges for women that are not
feeble replicas, one of the other. We need a few great institutions.”28 Trinity College, St.
Mary’s College in Indiana, College of Notre Dame of Maryland, St. Catherine’s College in
Minnesota (which was the first Catholic college to have a chapter of Phi Beta Kappa in
1937), Marymount, College of New Rochelle, and St. Mary’s of the Woods in Indiana were
determined to be excellent and were among the first in line to be reviewed and to be
accredited by the National Catholic Education Association as well as by the regional
For the College of Notre Dame of Marylandj, see Bridget Marie Engelmeyer, SSND,
Sister Ildephonsa Wegman:
Footnote to a Legend (Baltimore:1996) and Sister Mary David Cameron, SSND, The College of Notre Dame of Maryland,
1895-1945(new York 1947):54-90. For Trinity College, see Sister Columba Mallaly, SND, Trinity College Washington,
D.C.: the First Eighty Years, 1897-1977 (Westminster, Md.: 1987). Sister Julia had sent sisters on her first faculty to
Oxford and London Universities for their education. For the full survey of Catholic colleges for women sii Mary
J. Oates, CSJ, “The Development of Catholic Colleges for Women, 1895-1960,” U.S. Catholic Historian VI (Fall
1988): 413-25.
27 Gleason: 84-87; see Thomas S. Landy chapter in Mission to the Mind: Colleges Founded by Women Religious . Edited by
Cynthia Russett and Tracy Schier forthcoming Johns Hopkins University Press 2001.
28 Cited in Oates: 423. Only 38% of the 74 Catholic women’s colleges in 1930 qualified for regional accrediting
associations. Leahy: 55-56.
26
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186
accreditation bodies, the Middle States Association, North Central, and New England
Association.29
While Catholic women’s colleges were accepting the mainstream emphasis on
admission standards and criteria for faculty, Catholic higher education remained
organizationally separate. Only one Catholic institution sent a representative to the National
Educational Association convention in 1900; fewer than ten Catholics belonged to the NEA
in 1906, even though it was founded in 1870. The president of Catholic University
supposedly wondered if it would be worthwhile to accept an invitation to be one of the
fourteen founding members of the Association of American Universities, a prestigious group
of research-oriented institutions.30
Georgetown and the Jesuit colleges and universities remained committed to the tried
and true. The 1905 catalogue of Georgetown College expressed confidence in the classical
curriculum and the method of the Ratio Studiorum. To attain a “complete general and liberal
education,” the course of studies was not elective but prescribed. No student would be
excused from any requirement, not even from Greek.” The curriculum, reflecting some of the
suppleness Ignatius had envisioned, insisted on the Latin and Greek classics, but included
English, History, Modern Language, Mathematics, Physics, Chemistry, the elements of
Geology, Astronomy, Mechanics and “a very thorough training in Rational Philosophy.”
Christian Doctrine was offered in the first and fourth year. Summing up, the catalogue
proclaimed: “It is believed that its requirements are seldom equaled.” Five years later the
catalogue observed that it had yet to be demonstrated that “an adequate substitute of equal
educational power” had emerged.
In 1918, however, the National Catholic Education Association joined the assessment
movement and published its first list of approved colleges, setting up inspection and
enforcement machinery. Two years later, as the post-war surge in enrollments was beginning,
(Notre Dame announced throngs of students were crowding in during the heyday of its
football triumphs) the American Council on Education announced its accredited list of 314
institutions; only twenty-six Catholic college , or 20% of Catholic institutions, were
included.31 At the end of the decade, while the number of Catholic accredited institutions rose
from 26 to 60, approximately 60% of the 162 Catholic colleges and universities still did not
qualify for membership in regional accrediting associations.
Jesuits were now sensitized to the insistence on standards. The Jesuit Father General
Wlodimir Ledochowski, wrote to American provincials accepting that accrediting agencies
had “assumed an ascendancy and controlling power which cannot any longer be ignored.”
Jesuits should be educated and have “a more influential share in determining the intellectual
policy of the country.” During the June 1920 National Catholic Education Association
conference in New York, Jesuits met and called for renewal. An Inter-province Committee on
Studies proposed revisions. The provincial of the mid-western Jesuits promulgated a revised
curriculum, making Greek optional, introducing majors and minors, and allowing more
As late as 1966, Sister M. Adele Francis Gorman, OSF, writing, “In Defense of the Four-Year Catholic Women’s
College,” complained that in current discussions of Catholic higher education the “four-year Catholic college for
women has become the ‘whipping boy’ of the entire system, and the proliferation of such colleges is denounced by
college officials throughout the country.” Cited in Dorothy M. Brown and Carol Hurd Green, “Making It: Stories of
Persistence and Success,” in Mission to the Mind.
30 Leahy:21.
31Philip Gleason, Contending With Modernity: Catholic Higher Education in the Twentieth Century
(New York: 1995): 49-51,
59-61; Leahy: 42.
29
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187
electives. Fordham and St. Louis adopted the department system in 1921 and 1925. While
Jesuits did increasingly earn doctorates, in 1930 only one member of the California province
had a Ph.D. There were fifteen in Maryland / New York and eleven in New England. James
B. Macelwane, S.J., declared in 1931 that Jesuits “are on trial before the hierarchy who say
we have no outstanding men that we are mediocre as a class, that we are four flushers.”
Doctoral degrees, he added, “would drag us out of our intellectual lethargy to make us
forward looking, alert in the Educational [sic] world, capable, confidence-inspiring,
ambitious in a good sense.”32
While working to strengthen their faculties, the major men’s universities, including
Boston College, Fordham, St. Louis, Marquette, Notre Dame, and Duquesne, launched major
fund drives. Lay advisory boards were formed for both advice and financial support. James
Ryan, president of Catholic University, observing the lack of a tradition of Catholic
philanthropy for higher education, noted succinctly that leading Catholics had not been
“university minded.” In 1926 Catholic University had the largest endowment of Catholic
universities of $2.9 million; Columbia in 1927 had $98 million, and Harvard $76 million.
Historian John Tracy Ellis concluded that “it may be truly said that the over-all record of
intelligent appreciation and high evaluation for the intellectual activities of their Church on
the part of wealthy Catholic lay leaders has not been an impressive one.”33
Each of the colleges continued to rely primarily on tuition revenue and on the “living
endowment” of the contributed services of religious faculty, administrators and staff. While
enrollments tripled at Catholic colleges and universities in the 1920s, the secular competition
was strong and attracted 50% of Catholics pursuing higher education.34 The National
Catholic Education Association passed a resolution discouraging attendance at non-Catholic
competitors, but that was clearly ineffective. Tuition, location, quality, reputation were
among the factors that students weighed in making their selection.
The distinctive factor that Catholic colleges and universities offered to students was
their identity and mission. The 1920s identity was enhanced by the emergence of the Catholic
renaissance. The “intellectual key,” to this renaissance, Philip Gleason observed, was
“scholasticism rethought and restated in modern terms; the institutional key was the Catholic
university.” Catholic colleges engaged in a massive quest for new unity and coherence.
Terms like “organic unity,” “synthetic vision” “ integral Catholicism” and “Catholic culture”
became part of the discourse of the 1920s and 1930s on Catholic campuses and at
conventions. The Thomistic synthesis provided an integrated vision for life and for the
curriculum. In 1935, the National Catholic Educational Association approved a report of its
Committee on Educational Policy and Program, stating: “The Catholic college will not be
content with presenting Catholicism as a creed, a code or a cult, Catholicism must be seen as
a culture; hence, the graduates of the Catholic college of liberal arts will go forth not merely
trained in Catholic doctrine, but they will have seen the sweep of Catholicism, its part in the
building up of our western civilization, past and present. They will have before them not
merely the factors in the natural order but those in the supernatural order also, those facts
which give meaning and coherence to the whole of life.” Gleason saw this “Catholic culture”
Leahy: 49.
Leahy: 443-45; Ellis: 366..
34 Gleason: 168. Catholic bishops were supporting Newman clubs, but viewed them as a weak substitute for the
Catholic education available in Catholic institutions.
32
33
187
188
as leading to Catholic Action, labor schools, the work of the Catholic Interracial Council, and
the CYO.35
Philosophy and religion anchored this Catholic culture in Catholic college and
university curricula. Georgetown required twenty-four credits in Philosophy. Religion
courses were obligatory for all Catholic students, who were also expected to approach the
sacraments at least once a month, and to attend a three-day retreat. The college catalogue in
1941 read: “A man of culture without a conscience, is in no sense of the word an educated
man, but a menace to society.”36
To Robert M. Hutchins, President of the University of Chicago and champion of
scholastic philosophy and the “great books” program, this was not enough. In 1937, he
criticized Catholic institutions for failing to emphasize the Catholic intellectual tradition in a
way that would make it come alive in American intellectual circles. He charged that the
leaders and faculty of Catholic institutions had “imitated the worst features of secular
education and ignored most of the good ones.”
On the brink of World War II, Catholic colleges and universities had progressed in
numbers of institutions and students. They had remained “authentically Catholic,” while
meeting the standards set by regional and Catholic accrediting bodies. Although Catholics
had faced a resurgence of nativism and the Ku Klux Klan in the 1920s, in the 1930s they
were increasingly visible in Washington and state legislatures. President Franklin D.
Roosevelt gave the commencement address at Catholic University in 1933. The National
Catholic Welfare Conference and National Conference of Catholic Charities proved effective
lobbyists as Catholic ethnic voters increased their numbers within the Democratic party.
Catholic spokesmen, including the President of Fordham University, suggested that the 1931
papal encyclical, Quadragesimo anno “was known and studied” by the leaders of the New
Deal and that Catholic writing on social justice aided in “the ready acceptance of New Deal
programs.37 The perception of moving from the margins into the mainstream of America was
further strengthened during World War II as Catholics, as they had in the Civil War and
World War I, proved their patriotism and won further acceptance for themselves and their
institutions.
Mission and Identity: 1945-1962: The Challenge of Excellence and beyond
The post-war years brought staggering growth in enrollments in higher education.
This growth was fueled by a combination of factors. Postwar affluence and federal funding
were perhaps the most significant. The G.I. Bill sent one-third of the veterans to college.
During the Cold War in response to Sputnik federal funds supported research and programs
on college campuses in science and languages. Federal support enabled universities to build
dormitories and new facilities. At the county and local government level, the junior college
emerged as an institution responding to the needs of working adults and high school
graduates. California’s great state system was merely the largest of the state systems
organized in these years. Between 1940 and 1960, the number of Catholic colleges and
universities increased from 193 to 231. Enrollments soared from 162,000 to just over
Gleason: 144-49; Brown, “Learning , Faith and Freedom, and Building a Curriculum,”:83.
Brown, “Learning, Faith, Freedom, and Building a Curriculum,”:84.
37 Brown and McKeown: 151-52.
35
36
188
189
426,000. (At St. Joseph’s University in Philadelphia, 85 students were enrolled in 1945; in
1946, there were 1,186 of which 875 were veterans.) The number of faculty increased from
13,142 to 24,255. The proportion of lay to religious faculty also increased.38
The major study on post-war curricula issued from Harvard in 1945, General
Education in a Free Society, or the “Redbook.” The Harvard faculty committee saw the
challenge of modern democracy was “to preserve the ancient ideal of liberal education and to
extend it as far as possible to all members of society.” General education, with its balanced
emphasis on the humanities, social sciences, and sciences was “indispensable because it
speaks to the larger ends of personal development and social service.”39
As Cold War “witchhunts” of the House Un-American Activities Committee and
Senator Joseph McCarthy targeted “pink” and “red” professors, Catholics and Catholic
institutions were attacked by the Protestants and Other Americans United for the Separation
of Church and State, concerned that federal funding was breaching the wall of separation
between church and state.
The major attack on American Catholic higher education came from within. In the
autumn 1955 issue of the Jesuit quarterly journal, Thought, the respected Catholic University
historian John Tracy Ellis issued his challenging critique of “American Catholics and the
Intellectual Life.” Citing the observation of British historian Denis W. Brogan that “in no
Western society is the intellectual prestige of Catholicism lower than in the country, where in
such respects as wealth, numbers, and strength of organization, it is so powerful,” Ellis
reflected on why this was so. He went back to first things: the widespread prejudice against
Catholics which caused the beleaguered minority to withdraw into itself and to concentrate
on apologetics rather than pure scholarship. He reviewed the Church’s “staggering task” of
absorbing 9,317,000 Catholic immigrants and providing social service, health care, and
education. Finally, he focused on the Catholic universities “engrossed in their mad pursuit of
every passing fancy that crossed the American educational scene.” Lacking endowment,
facilities, and scholars to be successful competitors of the secular universities in business
administration and engineering and other fields, the Catholic universities “went on
multiplying these units and spreading their budgets so thin B in an attempt to include
everything B that the subjects in which they could, and should, make a unique contribution
were sorely neglected.” The scholastic revival of the 1930s and 40s, he asserted, found more
steadfast proponents at the University of Chicago and Princeton than at Catholic universities.
The development of numerous and competing Catholic graduate schools, Ellis saw as a
"betrayal" since, again, they all lacked the endowment, faculties, libraries, and laboratories
“to warrant their ambitious undertakings.” “The result,” he concluded, was “a perpetuation of
mediocrity and the draining away from each of the strength that is necessary if really superior
achievements are to be attained.” In rhetoric reminiscent of the 1890s, Ellis described an
unhealthy internecine warfare among the more than two hundred Catholic colleges and
declared there was a “desperate need “ for some planning on a national scale. It was an issue
of survival. Ellis perceived an “absence of a love of scholarship for its own sake” among
Catholics, Catholic bishops, and too many Catholics who are engaged in higher education. In
national rankings, Catholics are noticeably lacking from lists of top twenty-five.
38
39
Burton: 15.
Lucas: 250-51; Gleason: 263; Greeley: 14..
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In his grand peroration, Ellis introduced the phrase that framed the ensuing discourse
on the present and future of Catholic higher education, “ghetto mentality.” Catholics, he
observed, “have suffered from the timidity that characterizes minority groups, from the
effects of a ghetto they have themselves fostered, and, too, from a sense of inferiority induced
by their consciousness of the inadequacy of Catholic scholarship.” The chief blame, he
believed, “lies with Catholics themselves. It lies in their frequently self-imposed ghetto
mentality which prevents them from mingling as they should with their non-Catholic
colleagues, and in their lack of industry and their habits of work. It lies in their failure to have
measured up to their responsibilities to the incomparable tradition of Catholic learning of
which they are the direct heirs.”40
In the wake of Ellis’s critique (and he was not alone), Catholic administrators and
faculty responded. The 1960s continued the rise in enrollments (there were more American
college students than American farmers in the decade). Colleges and universities revised their
curricula in the face of student movements and the knowledge explosion; moved to further
democratize their campuses; and developed broader outreach into the community. Catholic
colleges and universities joined in the drive for excellence B which was translated into the
research university model. Admission standards were raised; faculty challenged to higher
levels of scholarship, and endowments and capital campaigns were launched to aggressively
gather needed resources. Andrew Greeley observed: “Some schools are seeking academic
excellence with so great a hunger that they can almost taste it....” The future of Catholic
education, he believed, probably depended on how many Catholic schools can combine
scholastic excellence, if not eminence, with a distinctive atmosphere that facilitates the
personal growth of the students.41
Writing in the 1990s twenty years after Greeley, Philip Gleason concluded that “The
identity crisis presently experienced by Catholic colleges and universities in the United States
is not likely to be resolved in the near future. The crisis is not that Catholic educators do not
want their institutions to remain Catholic, but that they are no longer sure what remaining
Catholic means.”42
Catholic universities and colleges did consider their mission and identity in the 1990s.
They have done so in an environment that continues to change. In the wake of Vatican II and
the movements of the 1960s, vocations to the priesthood and religious congregations began
their precipitous declines. Colleges that had traditionally been self-contained have found
themselves in an environment that demands that they either discover rapidly how to define
their place and claim their right to both government and private funding, or fail. Faculty and
administrators have had to learn the language of grant-making, the ins and outs of public
relations techniques, and the do’s and don’ts of negotiating with new funding sources. In
several cases mission statements that were strongly student-focused have provided an avenue
to innovation; in other cases the mission statement, like the budgeting, had to be creatively
reinterpreted. The challenge to retain an institutional direction that emphasizes the
importance of the spiritual in the face of sometimes overwhelming reminders of the material
have been great. 43
Ellis: 231-42. See also Gleason:287-91.
Greeley: 27, 163.
42 Gleason: 320-22. Gleason looks for aa vision that will provide what neoscholasticism did for many years B
provide a theoretical rationale for the existence of Catholic colleges and universities as a distinctive element in
American higher education.
43 Brown and Hurd, “Making It,” analyzes the particular challenges of the colleges founded by women religious but
40
41
190
191
At Georgetown, the day after Cardinal McCarrick’s visit, representatives of the 28
Jesuit colleges and universities gathered in the second annual conference on core or general
education. Panels focused on philosophy and theology, diversity, and international education.
All of the Jesuit institutions had earlier spent a year reflecting on justice in the curriculum.
All were indeed challenged to be excellent, authentically Catholic, and to serve the poor.
Georgetown’s faculty, students, administrators have drafted a new mission statement. It
builds from John Carroll’s vision and reiterates and refines its mission and identity for this
century. It indicates the path followed since Vatican II and the 1960s and sets a path for the
future:
“Georgetown University is a Catholic and Jesuit, student-centered research university.
Founded in 1789 in the spirit of the new republic, Georgetown is established on the principle
that serious and sustained discourse among people of different faiths, cultures, and beliefs
promotes intellectual, ethical, and spiritual understanding. We embody this principle in the
diversity of our students, faculty, and staff, our commitment to justice and the common good,
our intellectual openness and our international character.
An academic community dedicated to creating and communicating knowledge,
Georgetown provides excellent undergraduate, graduate, and professional education in the
Jesuit tradition — for the glory of God and the well-being of humankind.
Georgetown educates women and men to be reflective lifelong learners, to be
responsible and active participants in civic life, and to live generously in service to others.”
the challenges pertain to all Catholic institutions of higher education in the United States.
191
192
LE RÔLE DES UNIVERSITÉS CATHOLIQUES
DANS LA PRÉPARATION DU CONCILE VATICAN II
Prof. Etienne FOUILLOUX,
Université Lumière, Lyon II, France.
Tout dépend de ce qu’on entend par préparation... Dans son acception chronologique
large, incluant le travail des institutions catholiques d’enseignement supérieur depuis la
réforme de Pie XI à tout le moins (constitution apostolique Deus scientiarum Dominus du 24
mai 1931)1, le sujet n’est pas traitable en l’état actuel de la recherche. Manque en effet une
panoplie représentative d’études sérieuses sur l’évolution de ces institutions des années 1930
aux années 1960. Et quand bien même ces études existeraient, subsisterait la difficulté de
déterminer ce qui revient en propre aux universités catholiques dans l’acheminement vers un
concile lui-même improbable jusqu’à la veille de son annonce.
D’où le choix délibéré de l’acception étroite du mot préparation, à savoir le court
terme qui sépare cette annonce par Jean XXIII, le 25 janvier 1959, de l’ouverture de
l’assemblée, le 11 octobre 1962. Dans une telle option, l’historien dispose alors, sur les
universités catholiques en espérance de concile, d’une documentation abondante, sérielle et
homogène, commode d’accès et relativement facile à traiter.
Le 3 juillet 1959, se réunirent à Rome, sous la présidence du cardinal-secrétaire d’État
Domenico Tardini, responsable de la préparation de l’événement, les recteurs des sept
universités et athénées pontificaux in Urbe ; et le 17 juillet, les doyens des trois autres
facultés de théologie romaines. Décision est alors prise de demander aux diverses institutions
catholiques d’enseignement supérieur leurs « studia et vota » sur les matières à aborder au
concile. Par lettre circulaire du 18 juillet 1959, les réponses sont sollicitées pour Pâques
19602. Elles meublent trois gros volumes des
Acta et documenta concilio oecumenico
Vaticano II apparando bientôt publiés par la Typographie polyglotte vaticane : deux pour
celles des universités et facultés in Urbe (560 et 478 pages) ; un pour celles des universités et
facultés extra Urbem (824 pages), soit un total de 1862 pages3.
À défaut d’une impossible profondeur de champ, on a là un instantané qui doit
permettre de savoir ce que pensaient et voulaient les institutions catholiques d’enseignement
supérieur, dans la perspective du concile annoncé. Au prix du décodage, toujours délicat, de
l’exercice ambigu qu’est la « réponse à Rome », on peut se faire une idée de leur état d’esprit
au moment où démarre la préparation du concile.
On procédera pour ce faire en deux temps inégaux, comme pour toute explication
d’un document historique : quelques rudiments de critique externe du corpus pour
commencer, avant une tentative, obligatoirement sommaire, de critique interne, c’est-à-dire
d’analyse du contenu de la masse des réponses.
Jacques Prévotat, « Pie XI et l’enseignement supérieur ecclésiastique », Les quatre fleuves, 12, 1980, p. 103-112.
Documents dans les Acta et documenta..., Series I (Antepraeparatoria), Volumen IV, Pars I, 1, p. IX-XII.
3 AD I/IV, I, 1 et 2, 1961 (désormais, I, 1 ou I, 2) et AD, I/IV, II, 1961 (désormais, II).
1
2
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193
I. Répondre ? Mais de quelle manière ?
Bien qu’on sache rarement par qui et comment ont été rédigés les « studia et vota »
imprimés dans les Acta, leur approche externe fournit une série d’observations qui n’est pas
dénuée d’intérêt.
I.1. Les non réponses
Une première curiosité concerne bien sûr le taux de participation à l’enquête lancée de
Rome le 18 juillet 1959. Pour l’évaluer avec précision, il faudrait connaître la liste des
destinataires, que nous n’avons pas. À défaut, on a utilisé comme référence celle des
établissements d’enseignement supérieur catholique fournie par l’Annuario pontificio pour
l’année 19604.
Les douze universités, athénées, facultés et instituts romains ont répondu (y compris
l’Institut d’archéologie chrétienne et l’Institut de musique sacrée, alors que l’Institut biblique
et l’Institut oriental, confiés aux Jésuites, figurent dans les Acta sous le couvert de leur
maison-mère : l’Université grégorienne).
Sur les trente-trois universités de plein exercice en dehors de Rome, dix n’ont pas
répondu, sans qu’on puisse savoir pourquoi. Toutes se situent aux Amériques : sept au sud et
trois au nord. Les absences les plus surprenantes sont celles de Lima et de São Paulo, qui
comportent une faculté de théologie, alors que les huit autres défaillantes n’en ont pas. Mais
est-ce un argument dirimant ? Le Sacré-Coeur de Milan, Niagara Falls et Quito ont répondu
sans posséder pour autant une faculté de théologie.
Des douze facultés ou instituts privés d’études ecclésiastiques, quatre n’ont pas
répondu non plus : deux en Italie, qui pourraient être inclus dans les réponses d’institutions
proches5 ; mais aussi Buenos Aires et Sydney, ce qui accentue la sous-représentation des
continents éloignés du centre de la catholicité.
Enfin, l’Annuario pontificio recense vingt-sept facultés de théologie insérées dans une
université d’État. Douze d’entre elles, situées derrière le « rideau de fer », n’existent plus que
sur le papier. Quant à la Faculté de Lima, l’Annuario précise qu’elle appartient à l’université
de la capitale péruvienne : on ne saurait comptabiliser deux fois la même défaillance. Restent
donc quatorze établissements parmi lesquels cinq seulement ont répondu. Une absence frappe
surtout : celle de plusieurs facultés germaniques réputées : Bonn et Münster sont présentes,
mais pas Munich, Tübingen et Würzburg.
Quant aux quarante-neuf facultés canoniques des ordres et congrégations religieux, on
ne sait si elles ont été sollicitées. Aucune ne figure dans les Acta. L’unique indication les
concernant se trouve dans une des lettres par lesquelles le recteur de la Grégorienne adresse
la réponse de l’université dont il a la charge : il y signale, sans qu’on connaisse le sort qui
leur a été réservé, l’envoi conjoint de quinze contributions venues d’établissements jésuites à
travers le monde6.
Pages 1070-1075.
L’Institut ambrosien de musique sacrée à Milan et la Faculté de théologie de l’archidiocèse de Naples ?
6 Oña (Espagne), Chieri (Italie), Louvain, Zikawei (Philippines), Dublin, Heythrop (Royaume-Uni), Maastricht,
Weston (USA), Francfort, Lyon, Saint Mary’s et Los Gatos (USA), Grenade, Chantilly, West Baden (USA), I, 1, p. 4
4
5
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194
Récapitulons : sur les soixante-et-onze institutions énumérées par l’Annuario
pontificio, nous avons quarante-huit réponses, soit un taux de participation de 67, 6 %, qu’on
aurait attendu plus important de la part d’organismes voués à l’étude des rapports entre foi et
science7. Il tombe à 61 % (trente-six sur cinquante-neuf) si l’on ne retient que les universités
et facultés extra Urbem, avec un lourd déficit du côté des Amériques, latine en particulier.
I. 2. Réponses et réponses
Une autre série de calculs simples confirme en la précisant cette première pesée. La
taille des réponses varie de deux pages imprimées à 273, record significativement détenu par
l’Université du Latran. Sur les sept réponses de deux pages, cinq proviennent des Amériques
: Bogota, Quito, Santiago du Chili, Baltimore et Niagara Falls (plus Bonn et Innsbruck). Mais
celle de la Faculté de théologie de Strasbourg tient en trois pages et celle de l’Université
Laval en quatre. Décidément, les établissements américains et germaniques ne semblent pas
avoir manifesté un grand intérêt pour la consultation. Dans le second cas, l’écart apparaît
saisissant entre ce désintérêt initial et le rôle que les professeurs (et les évêques anciens
élèves) des facultés d’Outre-Rhin ont joué ultérieurement dans l’élaboration du corpus des
documents conciliaires.
Si l’on divise le nombre de pages du volume extra Urbem par le nombre des réponses,
on obtient une moyenne d’un peu moins de 23 pages (chiffre gonflé par les 108 pages de
l’Université Comillas de Madrid et surtout par les 163 pages de l’Université dominicaine
Saint-Thomas de Manille). La même opération sur les volumes romains donne une moyenne
de 86,5 pages, tirée vers le bas par les réponses brèves et ciblées des Instituts d’archéologie
chrétienne et de musique sacrée. Issue des responsables des universités et facultés in Urbe,
l’enquête les a plus retenues, quantitativement du moins, que leurs consoeurs lointaines. De là
à suggérer qu’elles entendent jouer un rôle majeur au futur concile, il n’y a qu’un pas à
franchir, tentant comme hypothèse à tout le moins. Leurs douze réponses occupent à elles
seules plus de place que les trente-six réponses extra Urbem.
On pourrait continuer ce petit jeu en évaluant, notamment, la part respective des
aspects doctrinaux, pastoraux et juridiques dans les réponses, avec une hypothèse selon
laquelle juridisme et conservatisme vont le plus souvent de pair, malgré l’exception notable
de la Catholic University of America. Ainsi, le droit canon occupe-t-il plus de 80 % de la
réponse de l’Université Comillas, 83, 3 % exactement.
I.3. Comment répondre ?
Une investigation minutieuse au cas par cas permettrait sans doute de trouver des
solutions à la question la plus importante, sur laquelle on ne possède que des bribes
d’information sûre : qui a rédigé ces « studia et vota » et selon quelle procédure ? Écriture
éclatée des différents professeurs ou bien écriture unifiée ; sous la seule responsabilité du
recteur/doyen ou bien après discussion collégiale ? Il n’était pas possible de mener à terme
une telle enquête pour ce colloque. Deux remarques néanmoins, sur le seul produit fini.
(lettre du 6 avril 1960).
7 Il faut donc corriger les pourcentages que nous avons donnés dans le premier volume de l’
II (1959-1965), qui n’ont pas la même liste de référence (Paris, Cerf/Peeters, 1997, p. 114).
194
Histoire du concile Vatican
195
La formule « studia et vota » n’est pas dépourvue d’ambiguïté. Le second vocable
implique, dans la majeure partie des cas, une réponse collective et anonyme. Le premier
permet en revanche à des spécialistes d’évoquer sous leur signature les questions qui les
agitent sur le moment. Ces « studia » allongent ainsi certaines réponses tout en les rendant
quelque peu diffuses. L’exemple le plus caractéristique à cet égard est celui des dominicains
de l’Université Saint-Thomas de Manille qui multiplient les dissertations de type scolastique
sur des points particuliers8.
La quasi-totalité des documents publiés l’est en latin. Mais quelques textes,
personnalisés ou pas, sont en langue vernaculaire. Dans la réponse du Latran, les longs vota
du canoniste G. D’Ercole et l’étude de l’historien M. Maccarrone sur les rapports papeévêques du IVe au VIIIe siècle sont en italien9. En français : les vota de l’Institut catholique
de Paris sur le droit canon oriental qui plaide en fait la cause des Églises unies contre toute
latinisation, dans une perspective qu’on peut appeler unioniste10 ; ou les appendices à la
réponse de l’Institut catholique de Toulouse sur le salut avant le Christ, l’apostolat des laïcs et
la médiation mariale11. Mais le cas qui paraît le plus intéressant est sans doute celui de
l’Université de Montréal. Si la faculté de théologie s’exprime classiquement en latin, sa
réponse est suivie de deux textes en français : sur la spiritualité de l’homme d’affaires et sur
l’importance des « facteurs non théologiques », avec le concours des sciences sociales, pour
la réflexion conciliaire12. Tout se passe donc comme si une plus grande proximité des
questions posées à l’Église par son environnement profane provoquait le passage du latin au
vernaculaire.
II. Quel concile ?
Mais il est temps de changer de registre et d’esquisser un survol du contenu des
réponses à la consultation romaine.
II. 1. L’option typologique
Une simple lecture cursive montre la grande variété des points de vue, qui va jusqu’à
des contradictions ou des antagonismes explicites. Une telle variété impose un classement qui
ne peut pas être de type géographique ni ecclésiastique. Géographique ? Certes, il faut
enregistrer la relative homogénéité des réponses romaines. Il faut aussi noter l’écho récurrent
d’une controverse récente dans les réponses anglo-saxonnes. À Maynooth (Université SaintPatrick, Irlande), Niagara Falls, Ottawa, Washington et même Poona (Inde), on attend du
concile une définition précise du sens de l’adage « Hors de l’Église, point de salut ». Dans
une lettre de 1949 à l’archevêque de Boston, Mgr Cushing, le Saint-Office a en effet exclu
l’interprétation maximaliste d’un jésuite du lieu, le père Leonard Feeney : en dehors d’une
appartenance explicite à l’Église romaine, pas de salut13. Mais Fribourg de Suisse, Nimègue
Exemple n°1 dans l’ordre de présentation : N. Dominguez, o.p., « De authentica Bibliorum sacrorum versione e
fontibus originalibus conficienda », II, p. 259-274.
9 Respectivement, I, 1, p. 315-383 (union des chrétiens, succession apostolique, catéchisme de Pie X) et
« Episcopato e primato papale. Note storiche sulla dottrina dal IV all’VIII secolo », ibid., p. 231-237.
10 II, p. 512-518.
11 II, p. 598-614.
12 II, p. 462-464 et 464-465.
13 Étienne Fouilloux, Les catholiques et l’unité chrétienne du XIXe au XXe siècle, Paris, Le Centurion, 1982, p. 828.
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195
196
et Santiago du Chili posent la même question. Et certaines oppositions de proximité se
révèlent insurmontables : la rigidité de Manille et l’ouverture de Tokyo notamment.
D’ailleurs, les regroupements géographiques qu’on pourrait opérer recoupent souvent des
parentés à caractère idéologique.
Une typologie à fondement ecclésiastique est tout aussi aléatoire. Impossible, par
exemple, de distinguer nettement les réponses séculières des régulières. On relève certes un
air de famille dominicain en faveur du respect des traditions et du magistère, aussi bien à
l’Angelicum de Rome qu’à Saint-Thomas de Manille. Rien de semblable en revanche chez
les Jésuites avec, aux deux extrémités de l’éventail, la largeur de vues de l’Université Sophia
de Tokyo et l’étroitesse des réactions de la Faculté de théologie sarde (Cuglieri, province de
Nuoro).
La typologie la mieux adaptée au corpus est donc d’ordre idéologique, au sens le plus
neutre du terme. Elle permet de différencier d’une façon élémentaire des réponses
d’inspiration intransigeante de réponses ouvertes à une évolution de l’Église catholique sur
des points sensibles. Le maniement de ces deux catégories rudimentaires est toutefois délicat,
car certaines réponses résistent au point de laisser l’historien perplexe.
La ligne de partage peut même passer à l’intérieur d’une réponse, comme le prouve
l’exemple de l’Institut catholique d’Angers. De façon avouée par la lettre d’envoi de son
recteur Olivier Riobé14, s’y juxtaposent en effet : un texte rigoureux du doyen de la Faculté
de théologie, Mgr Lusseau (qui fut l’un des fondateurs de la revue traditionaliste La pensée
catholique) contre la prolifération des erreurs ambiantes15 ; et le fruit d’une enquête auprès de
professeurs des différentes facultés, colligée par le chanoine Blond, autrement accueillante à
des suggestions réformistes, tant ad intra, en matière ecclésiologique, qu’ad extra, sur les
rapports au monde environnant16.
Il faut en revanche une analyse historienne bien informée pour déceler une faille dans
la réponse anonyme de la Catholic University of America de Washington. À fronts renversés
par rapport au reste du corpus, le fragment concernant le droit canon, pourtant censuré avant
publication par le recteur, est plus ouvert que celui sur les aspects doctrinaux : demande de
réforme de l’Index et de la censure des publications d’un côté ; demande de condamnation
des tentations modernistes et libérales de l’autre17. Malgré ces cas complexes, qu’il n’est pas
question d’occulter, la bipolarisation esquissée fonctionne, au moins à titre tendanciel.
II.2. Condamner et définir
Une première série de réponses propose au futur concile de renforcer les deux traits
majeurs du catholicisme intransigeant, tel qu’il s’est cristallisé contre le libéralisme dans la
seconde moitié du XIXe siècle : d’une part, sanctionner les déviances par rapport à
l’orthodoxie romaine apparues depuis le concile inachevé de 1869-1870 ; d’autre part,
manifester la différence d’un tel catholicisme par rapport à son environnement en accentuant
Datée du 25 mai 1960, II, p. 9.
II, p. 11-23.
16 II, p. 23-38 (« Quomodo temporibus concilii, Ecclesia inter res humanae se habeat »).
17 Voir Joseph A. Komonchak, « US Bishops’ suggestions for Vatican II »,
Cristianesimo nella storia , Bologne, vol.
XV/2, juin 1994, p. 369-370.
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son évolution dogmatique selon des voies les moins compréhensibles et les moins acceptables
par cet environnement.
II. 2.1. Marie et Joseph
Le second aspect n’est pas aussi présent que le premier dans les « studia et vota »,
mais on l’y trouve quand même. Il s’agit principalement d’un maximalisme marial dont le
sommet est atteint par la Faculté « Marianum », des Servites de Rome ; son schéma suggère
la définition par le concile de trois nouveaux dogmes mariaux : la maternité universelle de la
Vierge, la médiation de toute grâce et la royauté, universelles elles aussi18. Un cran en
dessous, la Faculté romaine des Franciscains conventuels et l’Université de Lublin ne
sollicitent que deux définitions, qui fournissent la matière des seuls vota explicites de
Lublin19. Un cran en dessous de nouveau apparaît l’Antonianum romain des Frères mineurs :
les quatre premiers points de sa réponse plaident sur vingt pages pour l’extension du culte
marial, à commencer par la définition du dogme de la maternité spirituelle20. Sur l’ensemble
du corpus, c’est la médiation qui tient la corde avec cinq occurrences (Salamanque, Santiago
du Chili, Toulouse non sans réserves, Conventuels et Servites romains).
La Faculté conventuelle Saint-Bonaventure et l’Université de Lublin réclament aussi
un développement des privilèges et du culte de saint Joseph, par exemple son inscription au
canon de la messe21. Mariologie et joséphologie viendraient ainsi accentuer l’identité du
catholicisme intransigeant, dont elles sont deux des marqueurs favoris.
II. 2. 2. Un néo-modernisme ?
Les souhaits de condamnation sont tout à la fois plus nombreux et plus vigoureux. Ils
déroulent fréquemment un raisonnement stéréotypé qui part du Syllabus errorum de Pie IX
(1864), passe par l’encyclique Pascendi de Pie X (1907), pour aboutir à l’encyclique Humani
generis de Pie XII (1950), très souvent sollicitée : le futur concile devrait, dans cette optique,
formaliser ses réprobations en condamnations explicites. Pour le Collège romain de la
Propagande, Salvatore Garofalo propose la rédaction d’une profession de foi qui tienne
compte des dernières sanctions du magistère22. Mais lesquelles ?
Tout d’abord celles à l’encontre d’erreurs externes au catholicisme, bien sûr, que le
« Damnatio atheismo a Concilio oecumenico » de la Faculté romaine des Carmes déchaux
résume toutes23 ; athéisme monnayé en listes plus ou moins longues et détaillées par nombre
de réponses. Mais aussi, et peut-être surtout, celles à l’encontre des erreurs infiltrées dans
l’Église par contamination : libéralisme, subjectivisme, relativisme... qu’ont soupçonne de
tendre vers un second modernisme.
« De Beata Maria Virgine eiusque cultu », I, 2, p. 450-470.
Maternité spirituelle et médiation pour la première (I, 2, p. 238-239) ; insertion de « mère de Dieu » dans le credo
et corédemption pour la seconde (II, p. 243).
20 I, 2, p. 55-75 (55-61 pour la définition).
21 Faveur accordée par Jean XXIII à son saint patron le 13 novembre 1962, qui fut diversement appréciée en plein
débat conciliaire (I, 2, p. 239 et II, p. 248).
22 I, 1, p. 447-452.
23 I, 2, p. 336.
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198
Dans cette configuration, le danger principal paraît celui de la « nouvelle théologie »,
ainsi baptisée par Pie XII lors de son allocution du 17 septembre 1946 à la Congrégation
générale des Jésuites. Elle est d’ailleurs évoquée plusieurs fois, avec précaution, dans les
réponses du Latran, de Saint-Bonaventure ou de Comillas24. Plus précisément encore ? Les
thèses du philosophe blondélien Henry Duméry, dernière en date des victimes de l’Index,
évoquées trois fois25, ou celles du jésuite Pierre Teilhard de Chardin, mort en 1955, qui
« bénéficie » de deux mentions contre son oeuvre posthume26.
Cependant, les multiples demandes de précisions sur les rapports entre nature et grâce,
nature et surnaturel, orientent vers une autre direction. Sans toujours l’évoquer, ces allusions
renvoient à la controverse autour des positions du jésuite Henri de Lubac dans Surnaturel,
livre de 1946 qui fut à l’origine des sanctions prises contre lui par ses supérieurs
(éloignement de Lyon et interdiction d’enseigner). Son nom est pourtant cité trois fois en
note, avec ceux de ses confrères ou amis Balthasar, Bouillard, Chenu, Daniélou et Le Blond,
dans l’étude d’Antonio Piolanti, du Latran, sur le magistère27 ; et aussi dans deux des vota des
Conventuels romains : Di Fonzo (une fois) et Blasucci (trois fois)28. On aura remarqué que
toutes les personnalités visées sont des prêtres ou des religieux français. Parmi elles, le père
de Lubac semble le plus exposé.
Ces appels à condamnation prennent quelquefois la forme de propositions à
anathématiser dans les règles. « Damnatio irrationalismi sub anathemate posset ita fieri »,
écrit ainsi le bénédictin du Collège romain Saint-Anselme Cipriano Vagaggini, qui n’est
pourtant pas l’un des plus agressifs, avant d’expliciter son angle d’attaque29.
II. 2. 3. Le centre romain et ses prolongements
Mais quel est le domaine intellectuel et géographique de l’intransigeance ? À
l’exception notable de la Grégorienne (et des Instituts spécialisés d’archéologie et de
musique), on peut y ranger les neuf autres réponses romaines, avec d’appréciables nuances
entre elles30. La contribution de l’Angelicum dominicain apparaît modeste, en quantité
comme en qualité31. Le père Garrigou-Lagrange profite néanmoins de l’occasion pour
réitérer, sous le titre « De relativismo hodernio », sa condamnation implicite de Maurice
Blondel comme inspirateur des déviances modernes ; et il lui oppose une nouvelle fois sa
définition thomiste de la vérité : « adaequatio rei et intellectus »32.
Plusieurs autres réponses romaines se distinguent en revanche par leur virulence : tel
est le cas de celles des deux Instituts franciscains et de la Faculté des Carmes déchaux. Sous
le chapeau « De <morali nova>», récemment utilisé par Pie XII pour réprouver des thèses du
« Etenim <Nova theologia> voluit conciliare dogma cum aliquibus philosophiis modernis, dogma ad
philosophiam aptans et consequenter de facto destruens » (R. Masi, I, 1, p. 244) ; I, 2, p. 257 ; II, p. 56.
25 Quatre de ses ouvrages ont été proscrits en juin 1958. Latran (C. Fabro, I, 1, p. 188) ; Carmes déchaux (I, 2, p.
321-328) ; Sacré-Coeur de Milan (II, p. 453).
26 Angelicum (I, 2, p. 14-15) et Carmes déchaux (I, 2, p. 329-332).
27 I, 1, p. 250-252.
28 I, 2, p. 237 et I, 2, p. 266-268.
29 I, 2, p. 43.
30 Première approche de ces réponses par Andrea Riccardi, « I <vota> Romani », À la veille du Concile Vatican II. Vota
et réactions en Europe et dans le catholicisme oriental, M. Lamberigts et Cl. Soetens éd., Leuven, 1992, p. 156-163.
31 I, 2, p. 7-27 (mais treize pages de texte seulement).
32 Ibid., p. 16-17.
24
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type de celles de Simone de Beauvoir33, l’Antonianum des Frères mineurs dresse la liste de
vingt-six erreurs dûment répertoriées en un catalogue aux allures surréalistes : le nudisme y
côtoie le communisme, et l’eugénisme le féminisme34 ! Quant au votum des Carmes déchaux,
transmis par le Français Philippe de la Trinité, doyen de la Faculté, il est le plus prolixe en
demandes de condamnations personnalisées. De longues citations françaises de Duméry et de
Teilhard de Chardin y figurent dans la rubrique « De erroris damnandis »35. On y voit même
réapparaître contre Yves de Montcheuil, fusillé par les Allemands en 1944, la vieille querelle
de la satisfaction vicaire, qui serait insuffisamment attestée dans ses Leçons sur le Christ
posthumes de 194936.
Mais il faut faire un sort particulier aux « studia » de la très longue réponse du Latran,
promue seconde université romaine de plein droit en 1959 par son ancien élève Jean XXIII.
Le dominicain Umberto Degl’Innocenti et le stimmatino Cornelio Fabro (qui intervient aussi
dans la réponse du Collège de la Propagande) réclament un retour strict à l’enseignement de
saint Thomas d’Aquin pour ce qui concerne la philosophie et la théologie37. Quant à
Francesco Spadafora, bientôt en conflit aigu avec l’Institut biblique, il argumente contre
l’Introduction à la Bible de Robert et Feuillet, longuement citée, en faveur d’une définition
de l’inerrance absolue du corpus scripturaire38. F. Lambruschini demande une surveillance
accrue de la production théologique39, et Antonio Piolanti un plus grand respect des
documents du magistère40. Ugo Lattanzi suggère, pour sa part, d’anathématiser la proposition
suivante : « Si quis dixerit Romanum Pontificem totius iurisdictionis fori externi immediatem
fontem in Ecclesia non esse »41, alors que Michele Maccarrone propose (en italien) la
définition de l’antique formule « Petrus initium episcopatu »42 : autant de contre-feux
papalins aux souhaits de collégialité. Par l’abondance de leurs « studia » comme par la
tonalité résolument conservatrice de ceux-ci, les professeurs du Latran affirment clairement
leur intention de jouer les premiers rôles, d’une manière restrictive, dans les travaux du
concile à venir.
Hors de Rome, la délimitation d’une aire de romanisation poussée est possible, malgré
la moindre ampleur des réponses et une bonne dose d’ambiguïté parfois. Elle englobe
l’ensemble des réactions hispaniques, sauf peut-être celle de la Xaveriana jésuite de Bogota, à
comparer dans son laconisme et ses orientations avec celles de Quito ou de Santiago du Chili.
On en veut pour preuve, par exemple, le votum de l’Université Comillas de Madrid, malgré sa
revendication d’un certain pluralisme, mais à l’intérieur de la norme thomiste et sur les
questions où le magistère n’est pas intervenu43. Ou encore le votum de Salamanque, qui prend
position contre la Formgeschichte en matière biblique, ainsi que pour un nouveau Syllabus
des erreurs ambiantes, relativisme et historicisme notamment44. Les « studia » prolixes de
Manille sont moins intéressantes par leur contenu (uniformisation de l’administration du
sacrement de pénitence ou statut de la propriété privée) que par leur méthode : il s’agit
Allocution aux congressistes de la Fédération mondiale des jeunesses féminines catholiques, 18 avril 1952.
I, 2, p. 86-88.
35 I, 2, p. 321-332.
36 Ibid., p. 355-363 (citations, p. 360).
37 I, 1, p. 415-420 et 171-189.
38 I, 1, p. 263-270.
39 I, 1, p. 218-224.
40 I, 1, p. 248-263.
41 I, 1, p. 195-209 (citation, p. 209).
42 I, 1, p. 236.
43 Critique des erreurs ambiantes, II, p. 56-63 ; sur le pluralisme thomiste, p. 84-86.
44 II, p. 543-545.
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d’austères exposés scolastiques sur des points précis qui n’apparaissent pas de première
importance pour un concile plénier45.
En Amérique du Nord, les divergences du type de celle qui passe à l’intérieur du
votum de la Catholic University of America sont plus sensibles. Et la brièveté des réponses
contraint à la prudence. On pourrait néanmoins placer de ce côté-ci de la frontière
idéologique celles de Baltimore, Chicago, Laval et Ottawa. En Europe, les tenants d’une telle
ligne intransigeante sont peu nombreux hors d’Espagne. Tel est certainement le cas de la
Faculté de théologie sarde, et aussi de l’Université de Lublin, du fait de son penchant marial
plutôt que de ses appels à condamnation, presque inexistants. Mais que faire de la réponse,
elliptique et énigmatique, de l’Université du Sacré-Coeur de Milan ? Elle commence en effet
par une explicite condamnation du fidéisme qu’incarnerait Duméry et par une vigoureuse
affirmation de la valeur des preuves philosophiques de l’existence de Dieu. Puis viennent de
brefs développements plus intéessants sur la formation psychologique des prêtres,
l’importance des questions démographiques ou l’urgence d’une meilleure justice sociale46.
Animé par des établissements romains qui paraissent avoir le vent en poupe et relayé
au sein de la catholicité latine par nombre d’instituts prestigieux, ce courant intransigeant ne
manque ni d’allure ni de puissance. On peut même l’estimer majoritaire dans le corpus ; mais
il n’est pas, ou plus, hégémonique.
II. 3. Favoriser l’aggiornamento
Une autre série de réponses, plus complexe et plus disparate, prend plus ou moins
nettement ses distances par rapport au discours intransigeant.
II. 3. 1. Ni condamnation ni définition
Tel est le premier indice par lequel on peut repérer une telle prise de distance. Les
professeurs d’Angers, à la différence du doyen de théologie Mgr Lusseau, craignent que la
stigmatisation de nouvelles hérésies ne produise de nouveaux schismes47. Ceux de Trèves
souhaitent qu’en matière d’ecclésiologie, on préfère la Bible et les Pères aux anathèmes des
théologiens48.
L’Université lazariste de Niagara Falls, quant à elle, prend des précautions pour
décliner tout maximalisme marial. Certes, saint Vincent-de-Paul avait une grande dévotion
envers la Vierge, mais cela n’empêche pas ses fils de recommander une mûre réflexion avant
de définir la médiation ou la corédemption : « vehementer compulsi rogare audemus ut
Sancta Synodus animadvertat ac ponderet Beata Mariae Virginis titulos, quibus coredemptrix atque mediatrix gratiarum omnium invocatur »49. Quant à l’athénée jésuite de
Poona, il suggère qu’on explique les dogmes mariaux dans un sens christologique50. On sent
V. Vicente, o.p., « Uniformitas quaerenda in administratione sacramenti poenitentia », II, p. 279-283 ; E. Piñon,
o.p., « De functionibus et limitibus proprietatis privatae », ibid., p. 363-415 (!).
46 II, p. 453-456.
47 « Non imprimis agitur haeresis quaedam aut schisma novum », II, p. 23-24.
48 II, p. 739.
49 II, p. 472.
50 II, p. 728.
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201
donc çà et là des résistances, encore discrètes, aux deux revendications majeures du courant
intransigeant. La prise de position la plus nette en ce sens paraît celle de l’université Sophia
de Tokyo : pas de nouvelle définition qui ferait de l’ombre à l’unique médiation du Christ51.
II. 3. 2. La Curie sur la sellette
Plus ou moins discrètement aussi, certaines réponses critiquent le fonctionnement
institutionnel de l’Église catholique, en son centre romain notamment. Le degré 0 d’une telle
critique, qui incite à placer ici la réponse de la Javeriana de Bogota souhaitant un accès plus
libre aux ouvrages prohibés52, concerne la censure et la condamnation des écrits : le voeu
d’une réforme de l’Index fait figure de marqueur minimal d’une telle tendance. Mais la
contestation ne s’arrête pas toujours en si bon chemin. Nul n’est plus vigoureux, sur ce terrain
que le recteur de l’Institut catholique de Toulouse, Mgr Bruno de Solages, dont le votum
personnel, distinct de celui de son établissement, résume trente ans de récriminations à
l’encontre des mécanismes curiaux. Il réclame tout à la fois : une décentralisation des
décisions, tant à l’échelon des provinces ecclésiastiques que des Églises nationales ; une
internationalisation de la Curie romaine pour une meilleure prise en compte des diversités
locales ; et une modification substantielle de ses usages (suppression du secret du SaintOffice en particulier)53.
Dans le même ordre d’idée, on peut signaler une suggestion originale de l’Institut
catholique de Paris : la réunion périodique des conciles provinciaux et nationaux, prévue au
chapitre VIII du code de droit canon54.
II. 3. 3. Quelles réformes ?
Mais les indices d’une telle propension au mouvement plutôt qu’à la résistance ne
sont pas seulement critiques par rapport à une situation estimée un peu trop figée. Dans les
deux registres de la réforme ad intra et de l’ouverture ad extra, nombre de réponses
suggèrent ce que pourrait être l’aggiornamento entamé par Jean XXIII.
Ad intra, le souhait d’une réforme liturgique n’est pas aussi discriminant qu’on
pourrait le croire : commencée à partir de Rome dans les années 1950, avec notamment la
restauration du rôle de la semaine sainte au coeur du calendrier liturgique, sa poursuite fait
presque l’unanimité. Toutefois, le degré d’insistance sur l’extension de l’usage de la langue
vernaculaire permet de déceler bien des nuances entre, d’une part, le maintien de
l’enseignement du latin (Faculté de théologie de Washington) et, d’autre part, le refus de
toute latinisation (Université Sophia de Tokyo)55.
Sans surprise, quelques-uns des principaux foyers du mouvement liturgique se
manifestent dans le sens d’une ouverture résolue : tel est le cas de Trèves, où prospère un
II, p. 565.
II, p. 49.
53 « De ecclesiasticae administrationis reformatione », II, p. 576-580.
54 II, p. 501.
55 II, p. 629 et, a contrario, p. 567.
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Institut spécialisé56, mais aussi d’Innsbruck, avec un court votum du jésuite Joseph Jungmann
qui suggère, entre autres réformes, celle de la Congrégation romaine des rites57.
Plus discriminants paraissent les voeux concernant le rééquilibrage des responsabilités
à l’intérieur de l’Église, au profit des évêques et des laïcs notamment. Dans le premier cas,
c’est la mention du « collège », lointain prolongement de celui des apôtres, qui apparaît
décisive. On en trouve un bon exemple, parmi bien d’autres, dans le schéma en douze points
« pro doctrina de episcopatu » de l’Institut catholique de Toulouse58. Dans le second cas, le
souci de reconnaissance formelle de l’apostolat des laïcs, lui aussi assez répandu, peut aller
jusqu’à souhaiter leur participation à la préparation du concile lui-même (Faculté de théologie
de Lyon)59.
Ad extra, les vota d’ouverture déclinent toute la gamme des dialogues possibles et
souhaitables. La préoccupation oecuménique n’est pas rare, bien que parfois hésitante sur le
vocabulaire comme sur le contenu. Les réponses de l’Institut catholique de Paris et de
l’Université Saint-Joseph de Beyrouth en restent, par exemple, à un unionisme défendant
avec vigueur ce qui subsiste de catholicité orientale60. P. Hamell, de l’Université SaintPatrick (Maynooth), juxtapose le terme connoté de « dissidents » et une référence explicite au
Conseil oecuménique des Églises (qu’on trouve également à Angers)61. Les prises de
positions les plus nettes en faveur de de l’oecuménisme proviennent de Fribourg et de
Trèves62, avec demande de la création en Curie d’un organisme capable de suivre le
mouvement de rapprochement des chrétiens séparés. La fondation par Jean XXIII, le 5 juin
1960, du Secrétariat pour l’unité vient exaucer un tel voeu.
Plus rares sont les réponses qui mentionnent les juifs. On y remarque une nette
différence entre le canoniste du Latran G. D’Ercole ou l’Université Laval63, qui se
préoccupent exclusivement de faciliter l’insertion des convertis, et les énergiques
dénonciations de l’antisémitisme ou de l’antijudaïsme chrétien par l’Institut biblique de
Rome et la Faculté de théologie de Fribourg, où se fait sentir l’influence de Jacques Maritain
et de son disciple le père Jean de Menasce64.
Quant aux non-croyants, ils ne sont guère évoqués pour eux-mêmes, mais plutôt pas le
biais de la tolérance, voire de la liberté de conscience. Ainsi les travaux du père Lecler
apparaissent-ils en filigrane dans le votum de l’Institut catholique de Paris sur la « vraie
tolérance », expression où l’adjectif étend sensiblement l’acception du substantif65. À
Nimègue, on ne craint pas de revendiquer explicitement, à côté d’une « authentique tolérance
chrétienne » une réelle liberté de conscience66, revendication qui affleure ailleurs sous
d’autres formes : rôle de l’homme dans la construction du monde ou autonomie de la société
II, p. 754-770.
II, p. 793.
58 II, p. 583-584.
59 II, p. 201.
60 Pour Beyrouth, II, p. 41-46.
61 II, p. 443-445 et p. 24.
62 II, p. 749-750 et 783-784.
63 I, 1, p. 349-350 et II, p. 531.
64 I, 1, p. 131-132 (« De antisemitismo vitando ») et II, p. 784-786 (« De antisemitismo a christianis impugnando ») ;
voir aussi Trèves, II, p. 750.
65 II, p. 499.
66 II, p. 478.
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civile. L’insistance de Montréal sur les « facteurs non théologiques » pour l’élaboration de la
doctrine chrétienne va dans le même sens67.
III. 3. 4. Des périphéries
Les lieux déjà cités procurent une idée du rayonnement géographique de telles
positions, qu’il faut maintenant délimiter avec plus de précision. En dehors d’Europe, on ne
peut guère trouver que certains établissements jésuites (Beyrouth, Poona, Tokyo et peut-être
Bogota), ainsi que certaines institutions nord-américaines : Montréal et sans doute Niagara
Falls.
En revanche, toute l’Europe du nord-ouest en est, Irlande comprise, bien qu’avec des
nuances : Nimègue, Louvain et sa filiale congolaise du Lovanium ; les cinq instituts
catholiques français avec une légère prime, dénuée de tout patriotisme de clocher, pour la
courte mais vigoureuse « declaratio » de Lyon, résolument christocentrique et très homogène
de ton68 ; les facultés de théologie allemandes, en dépit de l’absence ou de la brièveté de leurs
réponses : le modèle est cette fois à chercher du côté de Trèves, qui n’est d’ailleurs pas une
institution publique69.
Si la réponse du Latran se signale d’emblée à l’attention, ne serait-ce que par sa taille,
tel n’est pas le cas de celle de Louvain : avec sa petite vingtaine de pages, elle se situe un peu
aui-dessous de la norme70. La choisir comme pendant de celle du Latran pour incarner le
camp du mouvement tient à deux raisons d’inégale importance. À la différence de presque
toutes les autres, elle a fait l’objet d’une évaluation historienne de qualité71. On est surtout
tenté d’y chercher l’annonce du rôle éminent que les Louvanistes ont joué comme rédacteurs
de quelques-uns des principaux documents de Vatican II. « Concilium Vaticanum secundum,
id est Lovaniense primum » : les historiens de Louvain ont eux-mêmes pris soin de dégonfler
le mythe que résume cette boutade72. Il n’en reste pas moins qu’une équipe soudée de
Louvanistes (Cerfaux, Delhaye, Dondeyne, Moeller, Onclin, Philips, Rigaux et Thils, pour ne
citer que les principaux)73, tous membres éminents de la fameuse « squadra belga »,
constituent le seul groupe d’universitaires dont on puisse repérer la marque sur certains
grands textes de Vatican II : Lumen gentium et Gaudium et spes en particulier.
Comment dès lors ne pas s’intéresser au votum issu du travail des quatre commissions
constituées au sein de la Faculté de théologie pour répondre au cardinal Tardini, travail
auquel ont été associés aussi l’Institut supérieur de philosophie et la Faculté de droit canon ?
À la veille du concile, fin juillet 1962, un document plus vigoureux a été soumis aux évêques
II, p. 464-465.
Ses différents paragraphes commencent tous par invoquer le fondateur, II, p. 199-201.
69 Son
votum est bourré de références scripturaires et patristiques, à côté des références théologiennes et
magistérielles, II, p. 739-748.
70 II, p. 221-238.
71 Matijs Lamberigts, « The <vota antepraeparatoria> of the Faculties of Theology of Louvain and Lovanium
(Zaïre) », À la veille du Concile Vatican II..., op. cit., p. 169-175.
72 Vatican II et la Belgique
, Cl. Soetens éd., Ottignies, Quorum, 1996 ; Claude Soetens, « La <squadra belga>
all’interno della maggioranza conciliaire », L’evento e le decisioni. Studi sulle dinamiche del concilio Vaticano II, M. T. Fattori
et A. Melloni éd., Bologne, Il Mulino, 1997, p. 143-172.
73 Auxquels il faut joindre les évêques anciens élèves de l’Université, à commencer par celui de Namur, Mgr Charue,
vice-président de la Commission doctrinale, dont les Carnets conciliaires ont été publiés par L. Declerck et Cl. Soetens,
Cahier de la Revue théologique de Louvain, 32, Louvain-la-Neuve, 2000.
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belges par trente-sept Louvanistes de toutes facultés, de tous grades et de toutes conditions :
prêtres et laïcs, professeurs et même étudiants ; mais il n’a pas été publié et ne possède donc
qu’un caractère officieux74.
Le votum de Louvain, à l’image de l’ensemble du corpus, n’est pas dépourvu de
limites : résolument ecclésiocentré, il brille par la maigreur de ses considérations ad extra. En
revanche, ce plaidoyer pour une Église vraiment une, sainte, catholique et apostolique
contient, dans ce registre, tous les marqueurs de l’ouverture : refus de nouvelles définitions
qui alourdiraient les contentieux doctrinaux avec les autres chrétiens et le monde ambiant ;
défense de l’autorité individuelle et collective des évêques ; distinction entre recherche
théologisue et interventions du magistère ; extension du rôle de la Bible dans la vie
chrétienne et de l’autonomie du travail des exégètes ; développement de l’usage de la langue
vernaculaire dans la liturgie ; réforme de l’Index et de l’imprimatur. Toutes ces suggestions
sont exposées calmement et sans agressivité, mais non moins fermement, à la manière de
Louvain qui a su se préserver de la plupart des tempêtes doctrinales du XXème siècle.
Une lecture attentive des réponses des établissements catholiques d’enseignement
supérieur, celle qu’ont dû faire les membres romains de la Commission antépréparatoire
chargée de leur dépouillement, permet de prévoir l’affrontement bipolaire de la première
période conciliaire autour des schémas de la Commission théologique préparatoire :
affrontement remarquablement décrit, en mars 1963, par Mgr Gérard Philips, incarnation de
l’esprit de Louvain, qui en fut l’un des principaux protagonistes, dans son article de la
Nouvelle Revue théologique, « Deux tendances dans la théologie contemporaine. En marge
du IIe Concile du Vatican75. Pour autant que les réponses de 1960 soient un bon test,
l’intransigeance domine encore largement dans les universités et facultés in Urbe, ainsi que
dans celles dont la romanisation est très avancée. Mais de ce côté-ci des Alpes s’impose avec
bien des nuances un esprit assez différent, plus enclin à jouer le jeu de l’aggiornamento.
Un petit nombre de réponses importantes, dont il n’a pas été fait mention jusqu’ici,
empêche toutefois d’en rester à ce bilan contrasté. Deux d’entre elles retiennent
particulièrement l’attention. La première est celle de la Faculté de théologie d’Italie du nord,
installée à Venegono, plus substantielle que celle de l’Université voisine du Sacré-Coeur de
Milan (mais peut-être y a-t-il eu répartition des tâches entre elles ?). Il s’agit d’un votum
anonyme d’une trentaine de pages, mûrement pensé et construit : assez prudent sur la
question du surnaturel, avec mention de l’encyclique Humani generis, mais sans citer
personne ; plus balancé sur la nature et la structure de l’Église pour laquelle sont convoqués
aussi bien Tromp et Zapelena que Mersch et Congar76 ; clairement engagé en faveur de
l’accroissement du rôle des évêques et de la réforme liturgique77.
La seconde réponse atypique est celle de la Grégorienne (dont on peut rapprocher
celle de la Faculté napolitaine Saint-Louis), qui se distingue assez nettement de celles des
autres institutions romaines. Qu’il s’agisse en effet de l’interprétation de la Bible, du
développeemnt dogmatique ou de la réforme liturgique, la rédaction du votum principal est
conduite en partie double : d’un côté, prise au sérieux des dangers dont l’Église doit se
Son analyse par Mathijs Lamberigts est restée inédite.
Étienne Fouilloux, « Du rôle des théologiens au début de Vatican II : un point de vue romain »,
Cristianesimo nella
storia. Saggi in onore di Giuseppe Alberigo, Bologne, Il Mulino, 1996, p. 279-311.
76 Seule mention du théologien dominicain dans le corpus, à notre connaissance, pour son
Mystère du Temple , paru en
1958 aux Éditions du Cerf (référence, II, p. 679n).
77 II, p. 663-696.
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protéger ; de l’autre, affirmation de l’impossibilité d’en rester au statu quo ante. D’où la
nécessité de trouver une voie moyenne entre « progressisme » et « conservatisme exagéré »,
selon les termes utilisés pour la liturgie, mais transposables à d’autres domaines78. On sait
d’ailleurs que le pape a demandé une correction du passage sur les rapports entre primauté et
collégialité79.
On manque d’une étude sur l’évolution de cette prestigieuse université où une bonne
partie des futurs responsables ecclésiaux vient achever sa formation intellectuelle. Ne peut-on
avancer l’hypothèse qu’en 1960 la vieille garde des conseillers de Pie XII est en train d’y
céder la place à une nouvelle génération de professeurs plus sensible à l’air du temps, sur les
thèmes religieux comme sur leurs homologues profanes ? Encore présents dans les
contributions signées, le père Gundlach (pour l’autorité de la doctrine sociale de l’Église)80
ou le père Hürth (pour celle du mariage)81, ne parviennent plus à imposer aussi facilement
leur point de vue défensif. Tel est notamment le cas dans les instituts dépendant de la maisonmère, comme le prouve le votum de l’Oriental qui, à côté de la création d’une commission
curiale sur le communisme, suggère celle d’une commission conciliaire pour débattre avec
les chrétiens « dissidents »82 ; mais bien plus le votum du Biblique alors en conflit ouvert
avec les milieux les plus conservateurs de Rome en matière d’exégèse : il ne met pas pour
autant son drapeau dans sa poche et réclame hautement que le futur concile exploite sans
timidité toutes les ouvertures de l’encyclique libératrice Divino afflante spiritu de 194383.
La réponse de Venegono est collective et anonyme ; mais on sait le place que tient
dans cette faculté Mgr Carlo Colombo. Le votum principal de la Grégorienne est lui aussi
collectif et anonyme, mais ses annexes sont signées. Dans celles de la Faculté de droit canon
apparaît le nom du père Bertrams. Colombo et Bertrams, Bertrams et Colombo : deux des
futurs hommes de confiance de Paul VI. L’historien doit certes se défendre de la tentation du
déterminisme a posteriori qui reconstitue artificiellement une logique à partir de l’issue
connue. Les réponses des universités et facultés catholiques au cardinal Tardini semblent
pourtant préfigurer ce qui va se passer à Saint-Pierre entre 1962 et 1965. Une offensive
intransigeante sûre de son fait, mais contrée par une ligne d’ouverture où les modérés de
Louvain l’emportent sur des experts et évêques plus radicaux : tel est bien le scénario de
l’automne 1962, avec le rejet du De fontibus revelationis de la Commission Ottaviani,
présenté en séance le 14 novembre par Salvatore Garofalo84. La refonte de la plupart des
schémas décisifs par des équipes composites où la « squadra belga » est très présente, mais
sous l’oeil vigilant de Paul VI et des siens, Bertrams et Colombo parmi d’autres, dont la
position médiane paraît perceptible dès 1960 : tel est bien le scénario des trois sessions
suivantes desquelles sont sortis les seize textes du corpus conciliaire. Excès de déterminisme
et de confiance dans la valeur annonciatrice des « studia et vota » universitaires de la période
antépréparatoire ? Sans doute. Mais l’hypothèse est trop séduisante pour ne pas mériter
attention.
N° 36, I, 1, p. 26 (du votum de la Faculté de théologie, qui en comprend 49, p. 9-31).
N° 8, p. 14.
80 I, 1, p. 79-80.
81 I, 1, p. 90-118.
82 I, 1, p. 148 et 149.
83 I, 1, p. 125-131 (contre la thèse des deux sources de la foi notamment, p. 125).
84 Voir Riccardo Burigana, La Bibbia nel concilio . La redazione della costituzione « Dei Verbum » del Vaticano II , Bologne, Il
Mulino, 1998.
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206
CONCLUSION
Mgr Claude Bressolette,
Institut Catholique de Toulouse, France.
Ce deuxième colloque qui s’achève, s’inscrit, on le sait, dans le projet d’une vaste
enquête historique qui, partant de la situation actuelle, remonte le temps jusqu’aux origines
médiévales de l’Université. Nous avons donc terminé la seconde phase de notre travail
consacré aux XIXème et XXème siècles, plus précisément à la période qui s’étend de 1815 à
1962, année de l’ouverture du second concile du Vatican. Mais il est apparu que pour bien
traiter des universités de cette époque, il était souvent nécessaire de se référer à celles de
l’époque antérieure, qui feront l’objet d’un troisième colloque.
Soulignons d’emblée que le titre est général et ambitieux, puisqu’il conjugue trois
mots qui, chacun, articule l’universel et le particulier : « Université », institution
d’enseignement et de recherche, qui vise la vérité du savoir dans la diversité des disciplines,
mais avec d’inévitables spécialisations dues à la particularité du contexte social et politique ;
« Eglise », rassemblement des disciples du Christ en tous lieux, convoqués dans des Eglises
locales dans lesquelles et à partir desquelles existe l’Eglise universelle ; « Culture », manière
de vivre des hommes avec toutes les ressources de leur esprit, marquée par la mondialisation
des produits et des communications, mais héritière de patrimoines propres à chaque peuple.
Ce colloque a gagné le pari de nous donner un panorama presque exhaustif des
universités dans le monde, même s’il faut à l’évidence poursuivre et approfondir la recherche.
Et chacun des participants a pu s’enrichir des expériences présentées dans les diverses
régions du monde. C’est un acquis précieux.
Le choix de la période considérée se justifie parfaitement. La Révolution française a
marqué une rupture incontestable avec l’Ancien régime : en France, par exemple, un décret
de la Convention, en 1792, a supprimé toutes les universités, et Napoléon doit créer
l’Université impériale. A sa chute, le Congrès de Vienne redessine la carte de l’Europe. Le
XIXème siècle, jusqu’à la première guerre mondiale, voit l’expansion de la civilisation
européenne dans le monde entier. Après la deuxième guerre mondiale, la fin de la
colonisation, la guerre froide, l’avènement du Tiers-Monde à la conférence de Bandoeng en
1958, la conquête de l’espace, sont autant de signes majeurs d’un nouvel état du monde, que
le concile convoqué par Jean XXIII, en 1962, veut prendre en compte.
Les contributions ont souligné l’importance du contexte social, politique, culturel, de
l’état de guerre, d’occupation étrangère ou de paix, pour apprécier la situation des universités
catholiques. Leur liberté ou leur existence même peuvent être mises en cause, comme on le
voit sous les régimes communistes, mais pas seulement dans ce cas : Louvain, Lublin, les
universités d’Espagne ou de la Rome pontificale disparaissent pendant des périodes plus ou
moins longues. Les relations de l’université catholique avec l’Etat donnent lieu à des
situations diverses : selon les pays, elles bénéficient d’une reconnaissance légale, officielle,
ou d’un statut public, ou bien ne sont que des institutions privées ; les diplômes qu’elles
délivrent peuvent être reconnus ou non par l’Etat ; ici ou là, leur financement est assuré
totalement ou partiellement par le budget de l’Etat, ailleurs elles dépendent de subventions
variables ou même de capitaux privés. Enfin on a beaucoup évoqué les divers aspects de la
sécularisation, qui touchent les universités catholiques au niveau institutionnel sans doute,
206
207
mais aussi dans leur mission d’enseignement et de recherche lorsqu’elles doivent faire face
au rationalisme, au libéralisme, au positivisme et à toutes les formes de totalitarisme.
Ces observations faites, est-il possible de proposer une sorte de typologie des
universités catholiques dans le monde ? Voici quelques critères :
 Les relations avec l’Etat, comme on vient de le voir.
 Les fondateurs, qui peuvent être les évêques, à la demande ou avec l’appui du SaintSiège, ou des ordres religieux, comme à Rome. Des clercs interviennent souvent. Des
laïcs, parfois des personnalités isolées, sont à l’origine de telle ou telle université,
comme à Fribourg, Lublin, Milan.
 Les motifs de la fondation : souvent on a en vue la formation des clercs ou d’une élite
de laïcs au service de l’Eglise, et l’on crée des « Facultés ecclésiastiques » (théologie,
philosophie, droit canonique). La préoccupation de préparer des laïcs actifs dans la
société, une sorte d’élite civile, conduit à fonder des « Universités complètes » avec
des Facultés profanes ou même des écoles professionnelles. Dans certains cas, on veut
s’opposer à des courants contraires à la foi catholique, aux protestants, au régalisme
de l’Etat, comme à Louvain. On souhaite ailleurs participer à la vie et à la recherche
universitaires de la nation. Ces divers motifs peuvent du reste se cumuler.
 Les modèles mis en œuvre : la conception que l’on a de la théologie retentit
évidemment sur l’organisation des Facultés. Il est clair qu’au XIXème siècle, les
Universités romaines, attachées à la scolastique, sont d’un autre type que les
Universités allemandes, qui font une large place à l’histoire et aux méthodes positives.
Les rapports entre disciplines vont de la simple coexistence, à l’interaction et même à
l’intégration, selon le modèle de Newman. Quant aux structures internes, l’autorité du
recteur est mise en avant dans telle université, une large autonomie des doyens et
directeurs est ménagée dans telle autre, et parfois une certaine démocratisation est
pratiquée.
 La mission affirmée, ce critère étant très lié au précédent. Ici, on envisage d’abord le
service de la foi et de la vie de l’Eglise, là, plutôt le rôle des chrétiens dans la société,
selon le mot de Newman : « former des hommes du monde à affronter le monde ». Si
l’existence même d’une Université catholique porte témoignage d’une ouverture à la
transcendance et du souci de transmettre ce qu’on appelle les valeurs chrétiennes, la
mission reçue comporte le dialogue avec les cultures, mais aussi, comme l’a rappelé
le cardinal Préfet de la Congrégation pour l’Education catholique, l’évangélisation des
cultures.
En définitive, l’ensemble de ce colloque nous invite à une réflexion approfondie sur le
sens de l’adjectif « catholique » tel qu’il est compris par les Universités fondées depuis deux
siècles à travers le monde. Il y a là matière à recherche ! Pour notre époque, et dans un
domaine délimité, la référence aux Constitutions apostoliques de Pie XI, Deus scientiarum
Dominus en 1931, et de Jean-Paul II, Ex Corde Ecclesiae en 1990, apporte un précieux
éclairage sur l’évolution de la pensée du Magistère.
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